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HISTOIRE

DES

ACCOUCHEMENTS

CHEZ TOUS LES PEUPLES

IMPRIMERIE LEMALE ET Cie, HAVRE

HISTOIRE

DES

ACCOUCHEMENTS

CHEZ TOUS LES PEUPLES

G.-J. WITKOWSKI

DOCTEUR EX MÉDECINE DE LA FACULTÉ DE PARIS OFFICIER D'ACADÉMIE

Ouvrage contenant 1584 Figures intercalées dans le texte

PARIS Q. STEINHEIL, ÉDITEUR

2, EUE CASIMIB-DELAVIGNE, 2

887 w

AVANT-PROPOS

Nous avons essayé, dans un précédent ouvrage (1), une étude complète et dogmatique de l'accouchement ; dans celui-ci, qui en est comme le corollaire, nous nous proposons de faire une Histoire littéraire et anecdotique des accouchements, depuis V an- tiquité jusqu'à nos jours, c'est-à-dire d'offrir au public une collection telle que personne n'a encore songé à la réunir : do- cuments, notes, extraits, anecdotes, avec un certain nombre de monographies curieuses et d'opuscules humoristiques peu connus ou inédits, que nous avons analysés ou reproduits in extenso. On ne trouvera donc ici rien ou presque rien de C3 qui regarde en lui-même l'art obstétrical, mais un ensemble très complet,, et que nous nous sommes efforcé de rendre en même temps curieux et instructif, de ce que la mythologie et l'histoire, les mœurs et les croyances populaires, les religions, les superstitions, les préjugés nous offraient de tous côtés sur ce sujet.

Sue, en 1779, a fait une tentative analogue à la nôtre, et ses Essais historiques, littéraires et critiques nous ont été des plus utiles. Venant après lui et profitant de ses recherches, nous sommes naturellement plus complet.

En outre, son livre manque de gravures ; nous les avons, au contraire, multipliées ; cette partie de notre tâche n'a pas été la moins difficile, mais nous espérons avoir ainsi donné un attrait de plus à notre livre.

Les matériaux rassemblés par nous depuis plusieurs années

(1) La Génération humaine, 6e édition, ouvrage contenant 2G0 gravures sur bois et 3 planches en chromolithographie découpées et superposées.

VI AVANT-PROPOS

sont si nombreux et si divers, qu'il nous a fallu les diviser en trois séries que nous publierons séparément' et qui, néanmoins, se complètent les unes les autres.

Voici le sommaire détaillé de nos volumes :

I. les accouchements ciiez tous les peuples, compre- nant : L'obstétrique et le culte. Les erreurs et préjugés populaires. Les accouchements extraordinaires et les monstres. Les postures, les mœurs et coutumes obstétri- cales. — L'arsenal obstétrical.

II. les naissances a la coup,, c'est-à-dire : Les couches des souveraines et des maîtresses royales ou impériales. -*■ Les cérémonies, les réjouissances publiques et les par- ticularités curieuses observées à la naissance des monar- ques de toutes les nations, avec un appendice concernant les personnages illustres. On trouvera dans ce volume les Six couches de Marie de Médias, par Loyse Bourgeois et les passages les plus intéressants du manuscrit de Deneux sur la Naissance des enfants de France.

III. anecdotes et curiosités sur les accouchements. Sous cette rubrique, nous avons réuni toutes les singu- larités historiques ou fantaisistes qui n'ont pu entrer dans le texte des ouvrages précédents. Une place importante est réservée aux biographies des célébrités obstétricales, avec leurs portraits. Nous étudions aussi les accouchements dans les beaux-arts, dans la littérature et au théâtre; enfin, nous reproduisons un certain nombre de satires et de diatribes contre les sages-femmes et les accoucheurs, parmi lesquelles nous signalerons : La requête en plainte présentée à Nossei- gneurs des Etals de Languedoc parles enfants à naître contre les prétendues sages-femmes et le libelle d'IIecquct : De Vindé- cence aux hommes d'accoucher les femmes.

AU PROFESSEUR PAJOT

A vous, cher maître, nous dédions ces ouvrages.

Ils forment, vous le voyez, l'histoire anecdotique de l'art obs- tétrical, art dans lequel votre brillant et solide enseignement vous a placé, sans conteste, au premier rang.

Véritable Trublet médical, nous avons feuilleté les auteurs spéciaux, anciens et modernes et, avec eux, les littérateurs, les historiens grecs, latins, français, étrangers.

Encourrons-nous le reproche que La Bruyère adresse aux compilateurs? Avons-nous plutôt recueilli « beaucoup de choses que d'excellentes ? »

Nous voulons espérer que la quantité ne nuira pas à la qua- lité, d'autant plus que nous avons eu pour collaborateur, sans qu'il le sût, un homme dont la science éprouvée, dont l'esprit libéral et pratique nous a constamment inspiré.

C'est vous, cher maître.

Comme vous, nous pourchassons les préjugés; et vous savez si le nombre en est grand : si grand qu'il donnerait à penser, avec Benoît de Maillet, que le genre humain descend d'une huître.

Comme vous, nous nous permettons de plaisanter cette rage d'inventer un instrument nouveau, souvent pour la vaine satis- faction d'y attacher son nom ; nous avons pensé que devant une telle monomanie instrumentale, la meilleure critique était de reproduire tous ces engins dont Torquemada eût été jaloux.

Enfin, c'est votre méthode que nous avons suivie dans ces ouvrages, comme d'ailleurs dans tous nos livres de vulgarisa- tion : instruire en amusant. Il y a là-dessus un vers d'Horace dont nous vous faisons grâce.

VIII DEDICACE

Ce n'est pas, il est vrai, le chemin qui conduit aux Acadé- mies; vous en savez quelque chose, cher maître, mais, que voulez-vous? il n'est pas donné à tout le monde d'être pédant et ennuyeux.

Nous serons donc heureux, qu'en accueillant cette dédicace, vous consentiez à recevoir le témoignage de reconnaissance et de sympathie que vous adresse votre ancien élève.

G.-J. Witkowski.

P. -S. Au moment ces lignes s'en vont chez l'impri- meur, nous apprenons que M. Pajot, près d'être atteint par la limite d'âge, a demandé sa mise à la retraite.

Cher maître, vous ne serez oublié par aucun de ceux qui pendant quarante ans ont suivi vos leçons et profité de vos con- seils; tous vous garderont une admiration et une affection pro- fondes. Ceux qui siègent à l'Académie, tandis que vous n'en êtes pas, finiront par se demander pourquoi.

Pourquoi ? Bah 1 qui ne le sait ?

Quels défauts, cher maître, que l'esprit et l'indépendance de caractère!

Non seulement on n'entre pas à l'Académie, mais on reste chevalier de la Légion d'honneur pendant 27 ans. Vous auriez pu, il est vrai, vous décorer des palmes violettes que le minis- tère de l'instruction publique dispense avec une si étonnante libéralité. Pourquoi pas du mérite agricole?

Après une carrière glorieuse comme la vôtre, que peuvent de telles injustices ? Diminuer ceux qui les commettent ou les lais- sent commettre, grandir celui qui en est l'objet.

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TABLE DES MATIERES

DU TOME PREMIER

Pages

Avant-propos v

DÉDICACE IX

CHAPITRE PREMIER. L'OBSTÉTRIQUE ET LE CULTE 1

I. L'obstétrique mythologique 1

A. Naissances des divinités mythiques 1

B. Divinités invoquées par les anciens dans les accou-

chements 30

C. Pratiques religieuses concernant les accouchements

chez les Indous 51

II. L'obstétrique biblique 54

A. Sur la naissance de quelques personnages bibliques 54

B. Lois et coutumes hébraïques 77

III. L'obstétrique catholique 81

A. Sur la naissance de quelques saints personnages . . 81

B. Saintes et saints invoqués dans les accouchements 98

C. Reliques et pratiques superstitieuses relatives aux

accouchements 121

D. Embryologie sacrée 133

CHAPITRE II. Erreurs et préjugés sur la grossesse et

l'accouchement 153

I. Préjugés sur la grossesse 154

II. Sur les accoucheurs et les sages-femmes 176

III. Sur l'accouchement 178

A. Avant le travail 178

B. Pendant le travail 187

C. Après le travail 207

CHAPITRE III.— Accouchements extraordinaires et monstres 245

CHAPITRE IV. Moeurs et coutumes obstétricales 342

XII TABLE DES MATIERES

Pages

I. Postures prises pendant l'accouchement 343

A. —Antiquité 343

B. Temps modernes 354

II. Usages. Opinioyis singulières. Pratiques supers-

titieuses 439

A. Antiquité 439

B. Moyen âge et temps modernes 485

III. Sages-femmes et accoucheurs 646

Les figures 135. 145. 181, 200, 206 sont tirées du Traité d'accouchements de Tabxieb et Bcdix.

HISTOIRE

DES ACCOUCHEMENTS

CHEZ TOUS LES PEUPLES

CHAPITRE PREMIER L'OBSTÉTRIQUE ET LE CULTE

1. L OBSTETRIQUE MYTHOLOGIQUE

A. naissances des divinités mythiques

Brahmanisme et Bouddhisme L'antique religion des Brahines n'ayant été que peu défigurée par l'anthropomorphisme, nous y trouverons moins de contes obstétricaux que dans le poly- théisme grec qui en est issu. aussi, le symbolisme est souvent ridicule et grossier; mais les allégories védiques n'ont jamais cette apparence d'humanité que l'on remarque dans les mythes helléni- ques, même à l'époque d'Homère. C'est ainsi que. suivant les Védas, le monde est d'un coït immense du lingam et du nahamam. types des organes masculin et féminin, e coïtu pénis et cunn>\ dirait le latin. Si le culte vulgaire ne voyait dans le lingam et le nahamam que les appareils ordinaires de l'union des sexes, les esprits éclairés en fai- saient le symbole des deux principes de Brahma : la puissance créa-

HISTlIUE PES AGCOCCHKMESTS. 1

2

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

trice, qui ayant divisé son corps en deux parties (fig. 1), l'une mâle, l'autre femelle (1), s'est trouvé ainsi réunir la double qualité de père et de mère. Le germe produit par l'union du lingam et du nahamam devint un œuf brillant comme l'or, et de cet œuf naquit Brahma, la première personne de la trinité indoue.

Fiel.

Brahm se révélant pour la première fois sous la forme d'un personnage qui est homme d'un coté et femme de l'autre.

Les poètes légendaires ont ajouté des détails : ainsi Brahma est avec quatre têtes (fig. 2), chacune d'elles ornée de lotus; de son visage est son fils Brahman, père et éponyme des prêtres et des savants ; de ses épaules, Kchatrya ; de ses cuisses, Vaïcia ; de ses pieds, Sou- dra, de qui sont issus les kchatryas ou guerriers, les vaïcias ou marchands, les soudras ou artisans. Onze demi-dieux, les Roudras, sont sortis de son front ; Anghira, de son nez.

La seconde personne de la trinité, Vichnou, naquit, suivant quel- ques-uns, d'un œuf que sa mère, Diti, avait pondu 500 ans avant qu'il ne vînt à éclore. Dans certaines cosmogonies, Vichnou apparaît, avant Brahma lui-même, sous la figure d'un beau jeune homme porté sur les eaux parle serpent Amenta, et ayant à ses côtés sa femme, la

(1) La poésie représentait les organes de la génération céleste sous les traits d'un beau jeune homme et d'une belle jeune fille, le dieu Nara et la déesse Nari.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

belle Lakmi (fîg. 2) : une tige de lotus sortit de son nombril et Brahma naquit dans le calice de cette fleur. Dans d'autres enfin, la trinité toute entière, Brahma, Vichnou et Siva, sortent de trois œufs pondus parBravani ; il était juste qu'une si brave pondeuse présidât aux accouchements.

Que citerons-nous encore? La mère de Vichnou qui, sous le nom de Devagi, conçut un fils, Balarama, lequel fut transporté de son sein dans celui de Rogani, sa suivante? La belle Andjani qui enfanta par l'oreille le singe miraculeux Hanouman? Nous nous arrêtons : aussi bien, avouons-nous ne pas être trop à l'aise dans ce panthéon confus.

Fig. 2. Naissance do Brahma, d'après une peinture indienne.

Le bouddhisme qui, vers le VIP siècle avant Jésus-Christ, naquit dans l'Inde, en face du brahmanisme, ne fut d'abord qu'un ensemble fort simple de règles morales; plus tard, vint une époque pendant laquelle il se surchargea d'innombrables fantaisies théologiques. C'est alors que Cakya-Mouni, dit le Bouddha, est représenté comme nais- sant d'une vierge ; quelques-uns, voulant rattacher la nouvelle doc- trine à l'antiquité brahmanisme, ajoutaient que, venu au monde au pied d'un arbre, il avait été reçu dans une coupe d'or par Brahma. Une telle naissance ne pouvait avoir eu lieu sans miracles : on remar- qua, en effet, que, dans ce jour favorable, toutes les femmes enceintes étaient accouchées heureusement.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

On sait que le Lamisme est une forme du bouddhisme que l'on trouve au Thibet et chez certains Mongols. Les sectateurs du Lama croient que Tsédent, père de Gné-Tséden, mit au monde son fils par suite d'une enflure qu'il eut au bras droit (1), et qu'à son tour, Gné- Tséden donna le jour à un fils sorti de l'une de ses hanches.

Le Shaslcr, livre sacré des Banians, secte indoue de la caste des vaïcias ou marchands, conlient le récit d'un accouchement mythique assez singulier : Dieu, après avoir détruit le premier monde par un déluge universel, chargea Breman de repeupler la terre et voici la façon remarquable dont celui-ci s'acquitta de sa tâche. Il sentit des douleurs pareilles à celles qu'éprouve une femme en travail ; son corps s'enfla extraordinairement, et s'ouvrit en deux endroits, au côté droit et au côté gauche. Il en sortit deux jumeaux, l'un mâle et l'autre femelle, qui vinrent au monde dans leur grandeur naturelle.

Magisme. Le réformateur du mngisme, Zoroastre, serait, d'après une légende rapportée par Pline, le seul qui ait ri le jour de sa naissance. Comme présage de son futur savoir, le cerveau lui pal- pita jusqu'à repousser la main qui le touchait. Ce signe n'indiquerait aujourd'hui qu'un rachitisme des plus prononcés.

Le premier homme, Kaïomorts, sortit de l'épaule droite du taureau Aboudad (fig. 3), au moment celui-ci expirait sous les coups du serpent Ahriman.

Laoïsme et Sintoïsme. La naissance de Lao-Tsen qui, vers l'an 600 avant notre ère, fonda une religion en Chine, nous offre une particularité curieuse : une jeune et belle vierge ayant avalé une bulle composée de l'essence du soleil, conçut et resta enceinte pen- dant quatre-vingt-un ans. Au bout de ce temps, cette vierge mit au monde, par le côté gauche, un enfant à la tête blanche; il naquit sous un arbre nommé Li et s'écria, en le montrant de la main : « Voilà mon nom de famille. » Cette naissance de Lao-Tsen est un exemple de grossesse extra-utérine en même temps que de précocité.

Le culte japonais est celui de Sinto ou deSinsiou. Nous recueillons dans cette religion, qui tend, d'ailleurs, à se confondre avec le boud- dhisme, les deux contes suivants. Bounsio pondit cinq cents œufs qu'elle renferma dans un coffret sur lequel elle avait écrit : Fo-cia.' rou, puis elle le jeta dans le fleuve Rio-Sa-Gava. Le coffret fut

(1) De même la religion Scandinave nous parle d'une race de géants, issue d'un homme et d'une femme sortis du bras gauche d'Iimer, durant son sommeil.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

recueilli par un pêcheur qui fît éclore les œufs dans un four; chaque œuf produisit un enfant.

La mère de Sotoktais fut prévenue par une voix divine qu'elle était enceinte. Au bout de huit mois elle entendit l'enfant parler dans son sein ; quatre mois après, elle le mit au monde.

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Fig. 3. Kaïomorts ou le premier homme sortant de l'épaule droite du taureau primordial AboudaJ. (Figure tirée de la Mythologie de J. Odoland-Desnos.)

Religions égyptienne et phénicienne. Nous trouvons dans la religion égyptienne un cas extraordinaire d'inclusion fœtale. Osiris, frère et époux d'Isis, s'était uni à elle dès le ventre de leur mère ; il en résulta que, même avant de naître, Isis se trouva enceinte d'Harœri. On sait qu'à certaine époque, les mythes helléniques se mélangèrent avec les mythes égyptiens : Rhéa et Cronos se confon- dirent avec des divinités analogues, originaires des bords du Nil, et reçurent, ornés de coiffures invraisemblables, les adorations des fils de Pharaon.

Voici une fable qu'auraient imaginée les prêtres égyptiens pour faire accepter par le peuple un changement dans le calendrier. Rhéa, selon cette belle histoire, est l'épouse du Soleil : épouse légère,

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

elle commit une faute avec Cronos ; cette faute eut des suites visibles et le Soleil, qui probablement était en droit de désavouer toute paternité, s'aperçut de l'ampleur insolite que prenait la taille de sa femme. Bien que, même avant Y inconséquence de son épouse, le dieu Soleil portât une magnifique paire de cornes (1), il fut sensible à l'ou- trage: il maudit la pauvre Rhéa ei, ce qui est pis, lui déclara qu'elle ne pourrait accoucher dans aucun mois de l'année. Jugez de l'em- barras: la baleine ne garda Jonas que trois jours, et Rhéa n'était pas une baleine! Ici apparaît l'ingénieux Hermès. Amoureux de Rhéa il obtient ses faveurs: qu'avait à perdre Rhéa? La seconde faute répara la première. Rhéa confia son cas au nu- méro deux ; Hermès la tira d'affaire. Un jour qu'il jouait aux dés avec la Lune, il lui pro- posa comme en jeu la soixante-douzième par- tie de chaque jour de l'année. Toujours Grec, quoique naturalisé Egyptien, Hermès gagna et, profitant de son gain, il en composa cinq jours qu'il ajouta aux douze mois de l'année. Ce fut pendant ces cinq jours complémentaires que Rhéa se délivra de cinq enfants: Isis, Osiris, Horus, Neflé et Typhon.

La plus célèbre des divinités phéniciennes, Astarté (fig. 4.), l'Astaroth des Juifs, l'Aphro- dite des Grecs, était née d'un œuf tombé du ciel dans la mer; les poissons le portèrent sur le rivage des colombes le couvèrent. Les Grecs se sont appropriés ce mythe et chacun connaît:

Fig. 4. Astarté, donl le corps est couvert do ma- melles, d'après une sta- tuette en bronze du mu- sée de Cagliari.

... Vénus-Astarté, fille de l'onde amère.

Polythéisme grec (2). C'était une fa- mille singulière que celle des premiers dieux helléniques: l'aïeul, Ouranos (3), enterrait tout vivants les enfants que Gœa lui donnait ; Cronos, fils d'Ouranos,

(1) Amoun-Ra, le dieu solaire des Egyptiens, était représenté avec des cornes de bélier.

(2) Nous n'ignorons pas qu'on a expliqué d'une façon fort savante et môme fort juste, toutes ces générations extraordinaires de dieux et de déesses; mais il faut convenir que l'anthropomorphisme qui, depuis Homère, ('(ait le fond de la religion grecque, avait donné à tous ces mythes une couleur humaine assez étrange.

(3) Toutes les fois qu'il s'agit de mythologie grecque, nous désignons les dieux par leur nom grec: nous ne comprenons pas bien la supériorité euphonique

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

commença par pratiquer sur son père l'opération qu'à la requête des concierges pudibondes, certains industriels pratiquent sur les matous (1) ; puis, aussi bon père que bon fils, mis sans doute en dé- fiance envers ses enfants par sa propre conduite à l'égard de l'auteur de ses jours, il engloutit tous les nouveau-nés de Rhéa, sa femme. Dans ce tombeau de famille, disparaissent successivement Poséidon, Hadès, Héra, Heslia, Démêter.

Rhéa, fâchée à la fin de voir ses enfants passer immédiatement de ses entrailles dans celles de Cronos-Ugolin, imagina de substituer à

Fig. 5- Rhéa présentant à Cronos une pierre emmaillottée à la place de Zeus. (Figure tirée de la Mythologie de Odolant-Desnos.)

Zeus, son dernier né, une pierre emmaillotée (fig. 5) ; avec une indif- férence qui fait l'éloge de son râtelier, l'époux dévora ce mets de for- mation calcaire.

(VUranus sur Ouranos, de Saturne sur Cronos, de Tcllus sur Gœa, etc., pourquoi parler latin en grec ?

(1) Ouranos était un gaillard : Abélard devenant père après la mauvaise plaisan- terie de Fulbert, c'est déjà bizarre ; mais la dépouille d'Abélard engendrant sans le concours du restant d'Abélard, cela dépasse toutes les limites de la vraisemblance. Tel fut pourtant le cas d'Ouranos : « Cependant, dit Hésiode, ces divins débris que le tranebant du fer avait détachés, étaient tombés dans la vaste mer ; longtemps ils flottèrent à la surface et, tout autour, une blanche écume s'éleva naquit une jeune déesse, Aphrodite .

8

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Ce mythe profond rappelle le pot-au-feu dont parle nous ne savons quel vaudeville de Duvert et Lausanne : une brique y remplace le traditionnel morceau déculotte.

Diodore de Sicile, homme docte, mais parfois trop naïf, raconte qu'aussitôt après la naissance de Zeus, quand on le porta sur le mont Ida, le cordon ombilical de l'enfant tomba près du fleuve Triton : cette partie de l'île de Crête en aurait pris le nom d'Omphalos, mot grec qui signifie nombril (1). Le Dr Sue tire de celte tradition la preuve que, dans les temps les plus reculés, la ligature du cordon était inconnue. La conclusion du moderne vaut le conte de l'ancien.

Naissance d'Athéna. Au dire d'Hésiode, Zeus épousa

&Jr3

Fig. 6. Naissance d'Athéna, d'après un vase antique.

Métis, la déesse de la méditation et des vomitifs (2) ; mais ayant appris de l'oracle qu'elle était destinée à être mère d'un fils qui de-

(1) Ce mot est d'un usage habitue] en grec pour désigner toute position centrale.

(2) Allusion au rôle que cette déesse joua auprès de Cronos. l'avaleur de cailloux : elle lui fit prendre un breuvage dont l'effet fut de lui faire vomir d'abord la pierre indigeste, puis tous les enfants qu'il avait dévorés. Quelques étyruologistes ont-ils songé à faire venir âmètiqve de métis 1 Ménage n'eût pas reculé.

l'obstétrique et le culte 9

viendrait le souverain de l'univers, il suivit les traditions de la famille et ne fit qu'une bouchée de la mère et de l'enfant.

Les maux de tête accompagnent souvent les digestions difficiles: ce fut le cas. Pour se débarrasser de cette céphalalgie importune, Zeus s'adressa à son fils Héphsestos, bon forgeron, mais médecin un peu brutal. Dans sa trousse, Héphasstos n'avait qu'une hache ; il en fendit la tête de son père. Du crâne ouvert de Zeus jaillit, en pré- sence de tout l'Olympe, Athéna armée de pied en cap (fig. 6). Ecou- tons Homère : « Zeus, aux prudents conseils, enfanta lui-même de sa tête auguste Alhéna, toute revêtue d'armes guerrières, d'armes dorées et étincelantes. A cette vue, tous les immortels sont saisis d'étonnement et de respect. Devant les yeux du dieu qui tient l'égide, soudain, impétueusement elle s'élance de la tête immortelle, bran- dissant une javeline acérée ». Moins poétique, le facétieux Demous- tier fait, à ce propos, la remarque suivante : « Aujourd'hui, le front des hommes n'accouche plus ; mais on prétend qu'il indique souvent, par de certains signes, que leurs femmes sont accouchées » .

Héra, jalouse de ce qu'elle était étrangère à l'enfantement d'Athéna, voulut aussi devenir mère sans le concours de son mari et y parvint en touchant une fleur qui croissait dans les champs d'Olène. De ce simple contact naquit Ares qui vint au monde également armé de pied en en p.

L'irrévérencieux Lucien consacre le huitième Dialogue des Dieux à l'accouchement de Zeus :

Héphsestos. Quelle est ma besogne, Zeus? J'arrive, sur ton ordre, armé d'une hache bien affilée : elle pourrait, au besoin, couper une pierre d'un seul coup.

Zeus. A merveille, Héphfestos; fends-moi la tête en deux.

Héphlestos. Veux-tu m'éprouver, ou bien es-tu fou? Donne-moi un ordre sérieux ; dis ce que tu veux que je fasse !

Zeus. Je te l'ai dit : Fends-moi la tête. Si tu désobéis, tu éprou- veras une seconde fois ma colère; mais il faut frapper de toutes tes forces et sans tarder : je meurs du mal qui me met le cerveau sens dessus dessous.

Héphjestos. Prends garde, Zeus, que nous n'allions faire quelque . sottise ; ma hache est affilée : elle te fera venir du sang et ne t'accou- chera pas à la façon d'Ilithyie.

Zeus. Frappe toujours, Héphœstos; ne crains rien : je sais ce qu'il me faut.

Héph.estos. C'est malgré moi, mais je vais frapper : car que faire, quand tu l'ordonnes?... Hein? Quoi? Une jeune fille armée de pied en

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

cap! Tu avais là, Zeus, un furieux mal dans la tête! Il n'est pas étonnant que tu te sois montré irascible, quand tu portais toute vivante, sous la membrane de ton cerveau, une jeune fille de cette taille, et cela, tout armée ; nous ne savions pas que tu avais un camp au lieu de tête. Mais vois donc, elle saute, danse la pyrrhique, agite son bouclier, brandit sa lance, se remue comme une possédée. Ce qui est plus fort, c'est qu'elle est devenue tout à coup fort belle et fort à point ; il est vrai qu'elle a les yeux gris, mais son casque embellit ce défaut. Ainsi, Zeus, pour prix de l'accouchement, donne-la moi comme femme.

Zeus. Tu me demandes l'impossible, Héphsestos : elle veut rester toujours vierge; moi, cependant, je ne m'oppose pas à ce que tu désires.

HkphjEstos. C'est tout ce que je demandais; le reste est mon affaire : je vais l'enlever.

Zeus. Fais-le, si tu peux ; mais je sais que tu veux l'impossible.

L'opération césarienne par le cerveau, voilà un cas assurément curieux ; l'inépuisable mythologie nous offre mieux : l'opération par ablation totale du chef. Mr de Paris faisant concurrence aux ventriè- res de la capitale ! Quand Persée eut tranché la tête de la Méduse,

Fig. 7. Pégase et Chrysaor sortant de la têto de Méduse avec l'aide dîllithyie.

Pégase, le cheval ailé, et Chrysaor, le père de Géryon, s'élancèrent du tronc mutilé de la Gorgone. Un fragment de Métope de Sélinonte, et une terre cuilc de Milo reproduisent cette double naissance (fig. 7).

Naissance de Dionysos. Zeus était un époux volage; la

l'obstétrique et le culte

11

fille de Cadmos, Sémélé, fut une de ses favorites. Les assiduités de Zeuseurentleurs suites ordinaires. Or, pendant la grossesse de Sémélé, Héra aux yeux de génisse, déesse que chacun sait avoir été jalouse, prit les traits de Béroé, nourrice de sa rivale. Héra joua son rôle en vraie nourrice de comédie; elle insinua à la pauvre embesognée que son amant, ce prétendu roi du ciel, pourrait bien n'être qu'un mortel peu délicat, un simple farceur en un mot : « S'il est Dieu, qu'il se montre en Dieu; vous en valez bien la peine! » Sémélé crut la perfide;

Fig. 8. Mort do Sémélé. Premier ! naissance de Dionysos, d*aprés une peinture antique.

Zeus obéissant, descend avec sa foudre des grands jours; le feu prend et Sémélé périt dans le palais embrasé (fig. 8). Aussitôt Zeus appelle Hermès; celui-ci, toujours ingénieux, pratique une opération césa- rienne post mortem et relire du sein de la déesse l'enfant qu'elle y portait.

Zeus l'enferma et le fit coudre dans sa cuisse. Au bout des neuf mois révolus, de la cuisse de Zeus, Dionysos sortit en chantant (fig. 9). Cette double naissance était exprimée par les épithètes de Dimetor et de Dithyrambos que les Grecs appliquaient au dieu.

12

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Lucien, dans son Panthéon grotesque (1), ne pouvait manquer de s'égayer au sujet d'une naissance si extraordinaire:

Fig. 9. Seconde naissance de Dionysos, d'après un bas-relief du musée Pio Clémentino.

Poséidon. -- Peut-on, Hermès, entrer maintenant chez Zeus?

Hermès. Impossible, Poséidon.

Poséidon. Annonce-moi toujours.

Hermès. Ne me presse pas davantage, te dis-je: le moment est mal choisi, et tu ne le peux voir en cet instant.

Poséidon. Est-ce qu'il confère avec Héra?

Hermès. Non; c'est tout autre chose.

Poséidon. J'entends: Ganymède est là.

Hermès. Ce n'est pas cela; Zeus est malade.

Poséidon. Malade, et d'où? Singulière nouvelle!

Hermès. J'ai honte de te le dire, mais c'est comme cela.

Poséidon. Il ne faut pas te gêner avec moi, qui suis ton oncle.

Hermès. Eh bien! Poséidon, il vient d'accoucher.

Poséidon. D'accoucher? Lui? fi donc! Et par où? Il nous a donc caché qu'il fût homme et femme; mais son ventre ne nous avait jamais montré la moindre enflure.

Hermès. Tu as raison; aussi n'était-ce pas qu'il portait son enfant.

Poséidon. Je comprends: il sera encore accouché par la tête, comme pour Athéna: il a la tête féconde!

(1) Neuvième Dialogue des Dieux.

l'obstétrique et le culte 13

Hermès. Pas du tout; c'est dans la cuisse qu'il portait l'enfant qu'il a eu de Sémélé.

Poséidon. 0 l'excellent dieu qui porte des enfants et accouche de tous les côtés! Et qu'est-ce que cette Sémélé?

Hermès. Une Thébaine, une des filles de Cadmos : il a eu commerce avec elle et l'a rendue grosse.

Poséidon. Et puis après, Hermès; il est accouché pour elle?

Hermès. Justement, tout étrange que cela te paraisse. Héra, dont tu sais l'humeur jalouse, étant descendue chez Sémélé, lui persuada de prier Zeus de la venir voir avec ses tonnerres et ses éclairs; Zeus consentit, arriva, la foudre en main, mit le feu au toit, et Sémélé périt dans l'in- cendie. Il m'ordonna alors de fendre le ventre de cette femme et de lui apporter l'embryon imparfait, qui n'avait encore que sept mois: j'obéis, il s'ouvrit la cuisse et y déposa l'enfant jusqu'à ce qu'il vînt à terme ; aujourd'hui que le troisième mois est arrivé, il l'a mis au monde, et les douleurs de l'accouchement l'ont rendu malade.

Poséidon. l'enfant est-il donc à présent?

Hermès. Je l'ai porté à Nysa, et donné à élever aux Nymphes, sous le nom de Dionysos.

Poséidon. Par conséquent, Zeus est tout à la fois le père et la mère de ce Dionysos?

Hermès. Naturellement. Mais je m'en vais lui porter de l'eau pour laver la blessure, et lui faire tout ce qui se fait en pareil cas à une nou- velle accouchée.

Sacombe, dans La Luciniade, rapporte en détail les divers incidents de la naissance de Dionysos ou Bacchus(l).

Ah ! Muse, pourras-tu raconter sans frémir,

Les malheurs dont jadis Caclmuseut à gémir,

Quand d'Agénor Jupin eut enlevé la fille?

Junon à sa vengeance immola sa famille.

Ino, qui d'Athamas craint la rage et les cris,

Dans l'abîme des flots se plonge avec son fils.

Agave, de fureur par Bacchus transportée,

Fait frémir la Nature en égorgeant Panthée.

Autonoé, ton fils, en cerf d'abord changé,

Par ses chiens est ensuite à tes yeux égorgé.

Sémélé veut de près voir le Dieu de la foudre,

Dans son Palais en flamme elle est réduite en poudre.

(11 L'auteur, suivant la coutume d'autrefois, latinise les noms des divinités grecques. Il en sera plus loin de même ; nous en constatons le fait une fois pour toutes.

I i HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Et Bacchus, heureux fruit d'un objet bien aimé,

Par Jupin, dans sa cuisse, alors fut enfermé.

Cependant, mère tendre à la fois et bon père,

Jupiter en travail crie et se désespère ;

Il ressent au fémur d'effroyables douleurs:

Attirés par ses cris, ses sanglots et ses pleurs,

Accourent à l'envi les Dieux et les Déesses.

L'une soutient ses reins, l'autre écarte ses fesses,

Et chacun tour à tour, au souverain des Dieux

Prodigue ses conseils, ses soins officieux.

Junon seule à ses maux feignant detre insensible,

Mais l'âme à la pitié toujours inaccessible,

< Chaste époux,» lui dit-elle, « il te souvient du jour

« les Dieux assemblés au céleste séjour

« Rirent à mes dépens, quand par son imposture,

« Tirésias osant démentir la Nature,

« Prononça, sans raison, au gré de ton désir,

« Que la femme en amour ressent plus de plaisir.

« Vois quel plaisir éprouve une femme féconde,

« Qui souvent tous les ans met un enfant au monde ;

« Un enfant qu'en son sein elle a porté neuf mois,

« Au milieu des dégoûts et meurtri par son poids?

» Mais ce n'est rien encor. Si ton âme est jalouse

« De goûter les plaisirs de ton heureuse épouse,

« Souffre que, de mon art employant le secours,

« Des douceurs du travail je prolonge le cours,

« Pour enivrer tes sens de la volupté pure,

« Dont jouit le beau sexe au bras de la nature.

« Mais quoit tant de plaisir a pour toi peu d'appas,

« Tu souffres, Jupiter!... Que ne souffre-t-on pas,

« Pour sauver le doux fruit d'une amante adorée ?

« Par l'ardeur de tes feux malgré toi dévorée,

« D'amertume toujours le plaisir est mêlé,

« Mais tu vas embrasser le fils de Sémélé. »

A ces mots, Jupiter transporté de colère,

Fait pour saisir Junon un effort salutaire,

Et tandis que des yeux il la menace en vain,

De la cuisse, en chantant, sort Bacchus, Dieu du vin.

Accouchement gémellaire de Léto. L'infatigable Zeus ayant mis à mal Léto, fille de Kœos et de Phœbé, Léto fut bientôt, elle aussi, forcée d'élargir sa ceinture. Jalousie et colère de la femme légitime, Héra, qui fait jurer à la Terre de ne donner à Léto aucune retraite pour faire ses couches; de plus, cette jalouse, par trop rancu*

L'OBSTETRIQUE ET LE CULTE

15

nière, dépêche aux trousses de la malheureuse un monstre affreux, le serpent Python, qui doit la harceler sans merci.

L'auteur de l'hymme homérique à Apollon Délien énumère longue- ment toutes les contrées d'où Léto, sur le point d'enfanter, fut sans cesse chassée.

Mais enfin Poséidon, touché de compassion, fait émerger l'île de Délos, l'une des Cyclades, Léto parvient à se réfugier, près du

Fig. 10. Accouchement de Léto, d'après un vase antique.

mont de Cynthos, sur les rives de l'Inope, et, appuyée contre un pal- mier (1) (fig. 10), selon les uns, un laurier ou un olivier, suivant d'autres, elle y accouche premièrement d'Artémis, qui, en sage- femme précoce, aide elle-même sa mère à se délivrer d'Apol- lon (2). Telle était la tradition vulgaire. La tradition ionienne, rapportée

(1) « Un vieux palmier sur lequel s'appuya Léto pour accoucher, lui servit de sage-femme » dit Nonnus dans ses Dionysiaques.

(2) L'Ilithyie égyptienne, Bubastis, rendit le même service à sa mère Isis.

16 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

par l'hymne homérique que nous citons plus haut et suivie par Callimaque est différente : « Neuf jours et neuf nuits, Léto fut déchirée de douleurs désespérées. Les déesses les plus illustres, Dioné, Rhéa, Thémis, Ichnaea (1) et la retentissante Amphitrite, étaient autour d'elle, toutes hormis Héra aux bras blancs ; seule Ilithyie, l'arbitre des douleurs, n'avait rien appris. Elle était assise sous une nuée d'or au plus haut de l'Olympe, retenue par les artifices et la jalousie de Héra. Les autres déesses envoyèrent, de l'île riante, Iris, afin qu'elle ramenât Ilithyie, promettant à celle-ci un grand collier de neuf coudées, noué de fil d'or. Elles avaient ordonné à Iris de l'appeler à l'insu de Héra, de peur qu'en partant elle ne fût détournée par ses discours. Lorsque l'agile déesse, aux pieds légers comme le vent, les eut entendues, elle s'élança rapidement ; et bientôt elle eut franchi l'espace. A peine arrivée au séjour des dieux, à POlympe escarpé, elle se hâta d'appeler Ilithyie à la porte du palais ; et lui adressant des paroles rapides, elle lui dit tout ce que lui avaient prescrit les déesses habitantes de l'Olympe, et lui touche le cœur. Elles partent, semblables en leur marche à de timides colombes. Aussitôt qu'Ilithyie, arbitre des douleurs, atteint Délos, l'enfantement saisit Léto, elle se sent près daccoucher, elle jette ses deux bras autour d'un palmier, et appuie ses genoux sur le tendre gazon : et la terre au-dessous d'elle sourit et l'enfant bondit à la lumière. Or toutes les déesses jetèrent un cri de joie (2). Alors, ô cher Phœbos, les déesses te lavèrent d'eau limpide, purement et chastement, et elles te donnèrent pour langes un voile blanc, léger, frais tissu, et elles l'assujettirent avec une ceinture d'or. La mère n'allaita pas Apollon, au glaive d'or ; mais, de ses mains immortelles, Thémis lui fit goûter le nectar et l'aimable ambroisie et Léto se réjouit d'avoir donné le jour à un fils, puissant archer ».

L'accouchement de Léto fait l'objet du dixième Dialogue marin de Lucien : le railleur suit la tradition courante qui fait deux jumeaux d'Apollon et d'Artemis (3).

(1) Ce surnom de la déesse de la justice Bemble signifier : Celle qui suit à la trace le crime.

(2) Comparer Theognisia Puissant Phœbos, quand t'enfanta une vénérable déesse, Léto, quaml embrassant de ses mains délicates le tronc du palmier, près du marais arrondi, elle lit naître en toi le plus beau des immortels, la grande Délos se remplit tout eutière d'une odeur divine, la terre immense sourit ; et jusque dans ses abîmes se réjouit la mer aux vagues blanchissantes ».

(3) lîi'inarquons qu'une tradition assez répandue faisait naître Apollon et sa sœur, non plus a Délos, mais près d'Ephèse, sur les bords du Cenchrios, dans le bois sacré d'Ortygia.

l'obstétrique et le culte 17

Iris. Poséidon, cette île errante (1), qui, détachée de la Sicile, nage encore cachée sous les eaux, Zeus ordonne que tu la fixes sur le champ; il veut que tu la fasses monter à la surface des flots, qu'elle apparaisse visible au milieu de la mer Egée et arrêtée sur une base inébranlable : il en a besoin.

Poséidon. Il va être obéi, mais à quoi lui servira-t-elle, Iris, quand devenue visible, elle cessera d'être flottante ?

Ihis. Léto doit y venir accoucher : elle commence à ressentir avec force les douleurs de l'enfantement.

Poséidon. Eh quoi ! le ciel n'est -il pas un bon endroit pour accou- cher? ou bien à défaut du ciel, n'a-t-on pas toute la terre pour recevoir les enfants de Léto ?

This Non vraiment, Poséidon ; Héra, par un serment terrible, a fait promettre à la Terre de ne donner aucun asile à Léto en travail : mais cette île n'est pas comprise dans le serment puisqu'elle n'a pas encore paru.

Poséidon. J'entends. Ile, arrête-toi; sors une seconde fois de l'abîme, ne sois plus emportée par les vagues, demeure immobile, et reçois, île bienheureuse, les deux enfants de mon frère, les plus beaux des dieux. Et vous, Tritons, transportez-y Léto : que le calme règne de toutes parts. Quant au serpent qui la poursuit et l'effraye, les petits enfants, nés à peine, l'attaqueront et vengeront leur mère. Va, Iris, annonce à Zeus que. tout est prêt : Delos est fixée ; que Latone y vienne et mette au jour ses enfants.

Accouchement de Léda. Tous les poissons sont ovipares à l'exception d'un seul, la blennie vivipare; tous les mammifères ont été et sont vivipares, à l'exception de la seule Léda ou la femme ovipare.

Les plus anciens textes ignorent cette fable étrange des œufs de Léda. Suivant l'hymme homérique aux Dioscures, Castor et Pollux auraient été deux fœtus normaux, résultat d'un commerce charnel entre Zeus et Léda. Si l'on suit Pindare, l'accouchement gémellaire de Léda aurait présenté un cas de superfétalion ; celle-ci, en effet, ayant reçu dans la même nuit, les embrassements de Tyndare, son époux légitime, et ceux de Zeus, Castor serait du mari, Pollux de l'amant (2). Plus tard on transforma l'amant en cygne, lors de sa visite à Léda ; celte imagination mythologique a souvent inspiré les artistes, qui se sont plu à reproduire l'oiseau divin, soulevant à demi les ailes et allongeant son col, pour caresser le corps de son amante.

(1) Délos

(2) Cf. Hercule et Iphiclès.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

18 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Mais alors le modus coeundi aurait été aussi fantastique que dans l'union fameuse de la carpe et du lapin. Les Grecs, soucieux de mettre le sens commun dans l'absurde, racontaient tout simplement que Léda avait pris la forme d'une oie (ordre des palmipèdes, famille des anatides ou lamellirostres) pour s'unir à son cygne (même ordre, même famille) ; on voit donc que le naturaliste Aristote aurait été en droit de déclarer que les Dioscures étaient des métis produits par le croisement de deux espèces du genre anas. Bref, Léda mit au monde un œuf (fig. 11), dont, au bout de neuf mois, la coque fut brisée par deux jumeaux, les léporides de l'ornithologie ; suivant une autre version, elle enfanta deux œufs : de l'un sortit Hélène, de l'autre les Dioscures. L'incubation avait-elle été naturelle ou arti- ficielle? Les mythographes sont muets sur la question.

Fie. 11. Naissance de Castor et Pollux, d'après J. Romain.

Superfétation et accouchement laborieux d'Alcmène.

Tout le monde connaît la mésaventure du Thébain Amphitryon; les comiques grecs s'étaient de bonne heure jetés sur celle grasse matière; Plaute imita les Grecs; Molière ayant imité Plaute, nous n'insisterons pas sur les débuts du conte. Donc s en va-t-en guerre le sire Amphitryon ; il laissait enceinte Alcmène, son épouse chaste et fidèle. Bientôt arrive à Thèbes Zens, toujours gaillard; il se présente sous les espèces d'Amphitryon, et, se plaisant, sans doute par hasard, aux chemins frayés, fête Alcmène d'olympienne façon. Du jeu avec l'époux légitime avait été déjà conçu Iphiclès; le jeu avec l'époux supposé met Iphiclès à l'étroit en lui adjoignant le puissant Héraclès, celui que nous appelons Hercule. Naturellement, fureur de Héra : croire à l'innocence d'une rivale, une femme ne saurait. Conclusion : de parla volonté de liera, Alcmène ne pourra accoucher. Après sept jours et sept nuits de souffrances, Alcmène invoque Lucine; celle-ci vient, mais, gagnée par Junon, au lieu de favoriser l'accouchement elle s'y oppose au moyen de pratiques singulières que nous rapporte Ovide :

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

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Utque meos audit gemitus, subsedit in illa Ante fores ara, dextroque apoplite lœvum Pressa genu, digitis inter se pectine junctis, Sustinuit nixus; tacita quoque carmi7ia voce Dixit; et inceptos tenuerunt carmina partus (1).

Dès qu'elle entendit mes plaintes, elle s'assit Près de l'autel, devant la porte et sur son genou gauche Croisant sa jambe droite, entrelaçant strictement ses doigts, Paralysa mes efforts ; puis, d'une voix sourde elle murmura Des charmes qui suspendirenl le travail commencé.

Heureusement une des servantes, la blonde Galanthis, se douta de quelque chose en voyant celte inconnue toujours immobile à la même place (fig. 12). Pour la décider à partir elle lui dit : « Qui que tu sois

L Fio. 12. Accouchement d'Alemène, (Figuru tirée des Métamorphoses d'Ovide, de RenouarJ.)

rends grâce aux dieux ; Alcmène vient d'accoucher heureusement. » Lucine dans sa surprise, se lève et desserre ses doigts entrelacés :

(1) Ovide. Métam., liv. IX, v. 297 et suiv.

21)

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

aussiiùl Alcmène est délivrée. La déesse, se voyant jouée, punit Galanthis de son mensonge en la changeant en belette, pour qu'elle enfantât par la bouche d'où était sorti le mensonge qui l'avait abusée (1).

On sait comment Hercule se vengea d'IIéra ; encore enfant, le

I'ig._13. L'allaitement d'Héraclès, d'après le tableau de Tintoret".

héros, déjà vorace, la surprit pendant son sommeil et se jeta si gou- lu ment sur ses mamelles que, des deux, le lait jaillit avec force et, se répandant à travers le ciel, forma celte traînée lumineuse qu'on appelle la voie lactée (fîg. 13).

(1) Les Anciens s'imaginaient que la belette faisait ses petits par la bouche.

l'obstétrique et le culte 21

Naissance d'Asclépios(l). Appollon était un dieu coureur et jaloux. Parmi les belles nymphes dont il fut l'amant, les Thessaliens citaient Coronis, fille de Phlégyas. Coronis portait dans ses flancs un fils d'Apollon, quand elle s'éprit de l'Arcadien Ischys et se livra à lui. Le dieu fut informé de celte infidélité par un corbeau qu'il avait chargé de veiller sur la vertu de sa maîtresse : gardien plus incor- ruptible encore que le plus vigilant des eunuques ! Le dieu irrité, ordonna à sa sœur Artémis de tuer Coronis, qui tomba percée de flèches dans Lakéria ; suivant d'autres, il dépêcha lui-même la cou- pable et son complice. Toutefois, au moment le cadavre de l'infi- dèle était sur le bûcher, Apollon accourut et arracha l'enfant du sein de sa mère à demi consumée. Cet enfant était Asclépios, éponyme des Asclépiades, notre père à tous, mes chers confrères! Apollon, d'ailleurs, regretta bientôt sa vengeance, et pour punir le corbeau délateur, il le changea de blanc en noir. Pussent cet exemple, et la crainte d'une métamorphose en nègre hideux, protéger le sérail con- tre les indiscrétions des eunuques blancs !

Naissance d'Adonis. Les mythes venus d'Orient nous pré- sentent souvent l'union incestueuse d'un père et de sa fille. La légende d'Adonis, sous sA forme grecque, dénote par plus d'un détail son origine asiatique : Myrrha et les filles de Loth sont de même race. Quoi qu'il en soit, voici la tradition hellénisée : « On racontait que Myrrha, fille de Cinyras, roi de Chypre, poursuivie par la colère d'Aphrodite qu'elle avait refusé d'honorer, était tombée amoureuse de son propre père et s'était unie à lui sans qu'il pût s'en douter. Ins- truit bientôt de sa honte, il veut châtier sa fille et la poursuit, Cépée nue, mais les dieux ont piLié d'elle, et la métamorphosent en l'arbuste qui porte la myrrhe, smyrna. Au bout de neuf mois, l'arbre s'entrouvre (fig. 14) et donne naissance à un enfant d'une singulière beauté : c'était Adonis » (2).

Que le produit de la conception se comporte sous l'écorce d'un bal- samodendron comme dans la matrice de la mère, c'est un fait rare assurément ; n'oublions pas, toutefois, que les crapauds vivent à l'aise dans les pierres... dit-on.

Naissance d'Orion Une fausse étymologie du nom de ce géant avait été l'origine d'une fable assez malpropre. Cette fable plaçait

(l)Esculape.

(2) Decharme. Mythologie de la Grèce antique.

00

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

la naissance d'Orion en Béolie, à Ilyria (Ouria suivant le dialecte béo- tien). Le héros éponyme de cette bourgade, Hyrieus ou Ourieus avait reçu, un jour, magnifiquement, dans sa maison de Tanagre, Zeus, Poséidon et Hermès. Reconnaissants, les trois Olympiens permirent à leur hôte d'exprimer un souhait. Il demanda un fil?, mais sans avoir l'ennui d'avoir une femme. Les dieux firent apporter la peau d'un bœuf fraîchement immolé et, tout comme l'Onan biblique, semenin iîlud effuderunt, â«6<ncép(i7iorav eU aùtr)v, dit Paléphate. Cette peau fut

lu.. ] i. Naissance d'Adonis. (Figure tirée des Métamorphosa d Ovide, de Renouard.)

ensuite enfouie dans la terre, et au bout de dix mois il en sortit un enfant qui, au lieu d'être appelé anépp.*, semen, reçut le nom de Oùptav, puis celui d'ûpttov, dérivés l'un et l'autre d'oupov, urine. Orion fut placé plus tard parmi les constellations. Il est inutile d'ajouter que cette constellation est pluvieuse. C'est en fécondant Gœa ou la Terre, par le même procédé, qu'Hcphœstos engendra Erichtonios dont le corps finissait en serpent (1).

(1) Hephœstos lui-même était difforme ; cela tenait, disaient les niythographes, à ce qu'il fut conçu pendant qu'Héra, sa mère, avait ses règles.

l'obstétrique et le culte

23

Autres naissances fabuleuses. Monstres mytholo- giques. — Suivant Pausanias, Déméter eut de son frère Poséidon, dans la même couche, une fille, dont le nom n'était connu que de ceux qui étaient initiés aux mystères, et le cheval Arion. C'est sous la forme d'un cheval, que le même Poséidon viola Méduse ; quand Persée coupa la tête de Méduse, nous en avons vu sortir (Fig. 7) un cheval ailé, Pégase, et Chrysaor, père lui-même de Géryon (fig. 15), le géant tricéphale, et de la terrible Echidna, monstre moitié femme, moitié serpent. De l'union d'Echidna avec Typhaon sont sortis la Chimère,

Fig. 15. Geryon, d'après une peinture antique.

le dragon de Colchos, l'hydre de Lerne, etc. Cronos eut delà nymphe Philyre, le centaure Chiron (fig. 16). Le minotaure (fig. 17), monstre moitié homme, moitié taureau, est issu de la passion de Pasiphaé, femme de Minos, pour un taureau blanc; Aphrodite et Hermès don- nèrent naissance à Hermaphrodite (fig. 18). La fable est peuplée de géants (fig, 19), de cyclopes (fig. 20), de satyres (fig. 21), de sirènes (fig. 22) et de monstruosités de toute sorte telles que: les quatre têtes de Brahma (fig. 2) ; les bras multiples deQuanwon, divinité japonaise (fig. 23), ceux de l'Ixora des Indous (fig. 24), dont le fils, Quene- vadi, a une tête d'éléphant (fig. 25); les têtes d'animaux d'un dieu des anciens Haïtiens (fig. 26), etc. Enfin diverses naissances mythiques ont lieu sans fécondation, par la métamorphose d'animaux ou objets inanimés : Prométhée forme l'homme du limon de la terre ; Deuealion

21

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Ct Pyrrha, après !e déluge, îepcuplent le monde en jelanl derrière

Ot.LANGLS.SiL,

Fie. 1G. Le i enlaure Cliiron faisant lViluration d'Achille, d'après le tubli n i de J.-B. Renault.

eux des pierres qui se transforment en hommes ou en femmes ; les

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

25

dents du dragon, semées par Cadmos, deviennent des hommes armés; les Myrmidons sortent d'une fourmilière (1).

Fig. 17. Thésée combattant le Minotaure, d'après un médaillon antique.

Fig. 1S. Hermaphrodite, d'après une statue antique du Musée du Louvre.

Fig. 19. Géant mythique, d'après une pierre gravée antique du Musée du Louvre.

(1) Les divinités romaines proprement dites, qui n'étaient guère que des abstrac- tions, ne nous offrent rien de curieux sur le sujet qui nous occupe.

95

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

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Fio. 21. La nymphe et les satyres, d'après Fragonard.

Fig. 22. Sirène, d'après un camée antique.

28

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F.c. 23. Quanwon, divinité japonais .

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Fig. 24. Ixora, divinité indoue.

Fig. 25. Quenevadi, fils d'Ixora.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

B. DIVINITÉS INVOQUÉES PAR LES ANCIENS DANS LES ACCOUCHEMENTS

De tout temps les femmes enceintes ou en travail ont supplié cer- taines divinités de leur venir en aide et d'abréger leurs souffrances. Dans le Rig-Veda, recueil d'hymmes indous qui remonte au moins

Fia, 26. Divinité adorcSe autrefois à llaiti.

à 1500 ans avant Jésus-Christ, nous trouvons déjà cette] invoca- tion: « Maître des bois sacrés, sors de ta prison comme l'enfant sort de la matrice de sa mère. 0 Aswius, écoutez mon invocation et déli- vrez Saptawadhri... Porté pendant 10 mois, sors du sein de ta mère enveloppé par les membranes internes. Le jeune enfant est resté dix

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

31

mois dans le sein de sa mère ; qu'il en sorte vivant et fort, que le fils et la mère vivent heureux » (1).

En Scandinavie, on croyait autrefois que les fées, appelées Volas ou Valas, et les Meyar ou Maïas, nymphes toujours vierges, assis- taient aux accouchements laborieux et aidaient, par leurs incanta- tions (galdrar), les femmes en couches. Les Kymris partageaient la même croyance.

Gharlevoix, dans son Histoire de Saint-Domingue, dit que les anciens naturels de cette île adoraient plusieurs pierres en forme de croix qu'ils appelaient Zemez. Chacun de ces fétiches avait des attributions diffé- rentes ; l'un d'eux protégeait les femmes enceintes et leur assurait un accouchement heureux.

Fig. 27. Déesse de la Maternité, chez les Gaulois (■_>).

Fig. 28. Ex-voto païen eu terre cuite (2).

Les Gaulois avaient aussi une déesse delà Maternité (fig. 27), à laquelle ils offraient des ex-voto (fig. 28).

(1) Dareruberg-. Recherches sur l'état de la médecine durant la période primitive de l'histoire des Indous.

(2) Figures tirées de Paris à travers les âges. Diclot. édit.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

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Quant aux divinités obstétricales des Egyptiens, des Grecs et des Romains, elles vont être l'objet d'une étude spéciale.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

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Divinités égyptiennes. - « LesHat-Hor, dit M. Maspero (1), comme les fées du moyen âge, se pressaient autour du lit des accou- chées et attendaient la venue de l'enfant pour l'enrichir ou le ruiner de leurs dons. Les bas-reliefs du temple de Louqsor et ceux d'un temple d'Esneh nous les montrent qui jouent le rôle de sages- femmes auprès de la reine Mout-em-ouat, femme de Tahout-mès IV (fig. 29), et auprès de la fameuse Cléopâtre. Les unes soutiennent la

Fio. 30. Neith soutenant Isis, allaitant Hoius. (Figure tirée des Monuments d'Egypte, de Champollion.

jeune mère et la raniment par leurs incantations ; les autres reçoivent le nouveau-né, se le passent de main en main, lui prodiguent les pre- miers soins et lui présagent à l'envi toutes les félicités. » D'autres déesses, fort nombreuses, et en particulier Neith (fig. 30) et Anouké (fig. 31), présidaient aussi aux naissances. Mais la véritable déesse des accouchements, d'après Maspero, était Nekiiab, que Champol- lion appelle Soven. Les Egyptiennes s'adressaient encore à Bastit,

(I) Les Contes populaires de l'Egypte ancienne, 1882.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

3i

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

fille d'Isis, et à Isis elle-même, qu'invoquaient les Grecques de l'épo- que postérieure (1). Nekbab était représentée, le plus souvent, sous la forme d'un vautour ou bien avec la lele de cet oiseau recouverte d'un diadème ou de longues bandelettes, tenant un arc et des flècbes à la

Fig. 3], La déesse Anouké allaitant Harnshabi. (Teinture d'un temple de la Nubie.)

main. Quant à Isis, elle était figurée sous les aspects les plus varia- bles (fig. 32, 33, 34, 35, 36). Les Grecs qui, dès l'époque d'Hérodote, avaient identifié Isis avec leur Io, expliquaient cette forme en rappe- lant celle qu'avait prise la fille d'Inachos, poursuivie par Héra.

(1) Les Romaines, en gésine adressaient aussi leurs vaux à Isis. Ovide (Métam. lit». l,fab. V), la fait apparaître en songe à Téléthuse pour lui annoncer un heureux accouchement et, ailleurs (Amor. lib. II,eleg. XIII), il la prie de protéger la gros- sesse de Corinne, sa maîtresse.

L OBSTÉTRIQUE ET LE CULTE

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Fig. 32. Isis, déesse de la Fécondité.

Fie. 33. Isis allaitant Horus.

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Fie. 34. Isis allaitant Ilorus.

Fie. 35. Isis avec une tôle de lion.

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Divinités Grecques. Chez les Hellènes, la divinité spéciale qui préside à la naissance de l'enfant, c'est Ilithyia. Dans Homère, tout un groupe de divinités porte ce nom ; filles d'Héra, la déesse protectrice des mariages féconds, elles ne personnifient que les dou- leurs de l'enfantement, « les traits aigus qui percent et déch/rent le

Fig, 30. Isis sous la forme d'une femme ayant une tète de vache.

corps de la femme en travail » (1) ; elles sont fatales plutôt que se- courantes.

« Après Homère, dit M. Decharme, ce groupe de divinités se sim- plifie : il se réduit à une seule personne: Ilithyia, fille d'Héra et de

(1) Iliade, XI, 269.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Zeus, sœur d'IIébé et d'Ares. Cette déesse de l'accouchement était, suivant Olen, la mère d'Éros, dont on aperçoit sans peine le rapport avec elle. Le vieux poète, dans l'hymne qu'il avait composé en son honneur, lui appliquait l'épithète de eulinos (celle qui file bien), la confondant ainsi, comme le remarque Pausanias, avec la Parque de la vie; il ajoutait qu'elle est plus ancienne que Cronos, voulant si- gnifier par que l'œuvre de la génération remonte aux origines mêmes des choses. A Tégée, elle personnifiait la femme qui enfante ; on l'y avait surnommé Auge à genoux, parce qu'Auge (l'Aurore) à qui on l'identifiait, avait mis au jour Télèphe en s'agenouillant : pos- ture qui était supposée faciliter l'accouchement. »

A ^Egion, les statues d'Ilithyia la représentaient dans une attitude expressive, dont les monnaies de cette ville nous ont conservé l'i- mage (fig. 37).

Fia. 37. Hithyia, d'après une monnaie d'^Egion.

Les femmes, pendant les douleurs de l'enfantement, lui consacraient des hastes ou javelots et lui sacrifiaient des génisses pour obtenir une heureuse délivrance ; les Argiennes, d'après Plutarque, lui of- fraient un chien.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

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D'autres -divinités usurpaient, en certains pays grecs, les fonctions d'Ilithyia : Héra qui, débarrassée de tous les défauts humains que lui attribuait la fantaisie des poètes, était le type divin de l'épouse,

Fie. 38. Héra allaitant le dieu Mars (Musée Pio Clémentine)).

portait en Argolide et en Attique le surnom d'Ilithyia ; d'anciens mo- numents la figurent les ciseaux à la main et avec les attributs de la sage-femme. On la représentait aussi allaitant le dieu Mars (fig. 38).

Artémis (fig. 39), dont une tradition nous a appris les précoces dispositions pour l'art obstétrical, puisqu'à peine née elle aidait sa mère à mettre au monde Apollon, était aussi, en quelques lieux, une divinité secourable pour les femmes en travail. On peut s'étonner de voir cette déesse présider aux enfantements, quand, témoin des dou- leurs maternelles, elle conçut une telle crainte du mariage, qu'elle obtint de Zeus la grâce de garder une virginité éternelle. A Ephèse, Artémis n'est plus la vierge dorienne ; c'est une mère nourricière dont la poitrine est couverte de mamelles (fig. 39). Sous cette forme, elle peut sans rougir se donner comme une déesse delà fécondité. Elle est coiffée du polos, les deux mains étendues, et son corps est enfermé dans une gaine sculptée de têtes d'animaux.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Divinités Romaines. La religion des Romains était, comme on le sait, un mélange assez confus d'emprunts faits à la mythologie

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Fie. 39. Artémis d'Ephèse, d'après une statue en albâtre oriental du musée de Naples.

hellénique et de traditions de dogmes indigènes ; eux-mêmes assi- milaient volontiers leurs propres dieux à ceux qu'ils avaient reçus de? Hellènes. Aussi, nul doute que quelque Romaine n'ait invoqué II ï—

l'obstétrique et le culte 41

Ihyia, ou fiera, ou Artémis, au moment critique. « Elles font V amour en grec », disait Juvénal ; elles pouvaient aussi bien accoucher en grec. Horace, dans son Carmen seculare, nomme Ilithyia parmi les déesses tutélaires, et la confond d'ailleurs avec Lucine.

Rite maturos aperire partus, Lenis Ilithyia, tuere matrcs, Sive tu Lucina probas vocari, S eu Genitalis.

Toi qui ouvres les enfantements mûrs, Douce Ilithyia, protège les mères, A moins que tu ne préfères être appelée Lucine, Ou Genitalis.

La déesse latine officiellement chargée du service des accouche- ments était Junon, celles que les Romains identifiaient à tort avec Héra.

Sous le nom de Junon Lucina (1), cette divinité était l'objet d'un culte superstitieux, « d'un culte de femme en couches » dit assez spi- rituellement Preller. Juno Lucina fer opem, serva me, obsecro, s'écrie la courtisane Glycerium en travail d'enfant dans Térence(2).

Properce exprime non moins énergiquement les vœux faits à Lucine par une femme en travail :

Idem, ego cum Cinarœ traheret Lucina dolores,

Et facerent uteri pondéra lenta moram: « Junoni votum facite impetrabile, » dut; Illaparit (3).

Moi-même, comme Lucine prolongeait les douleurs de Cinara,

Et que le travail de l'utérus subissait un retard : « Faites à Junon un vœu qu'elle exaucera, » m'écriai-je; Aussitôt elle accoucha.

(1) On lui donnait encore le surnom de Solvizona, ou dénoueuse de ceintures, parce que dès qu'une femme se croyait gros.-e, elle devait déposer sa ceinture dans le temple de cette déesse. Catulle fait allusion à cet usage dans ce vers :

Çuod zonam solvit d/'u ligatam.

Elle a dénoué sa ceinture longtemps attachée.

Quelques auteurs, un peu tr6^) ingénieux, font dériver notre mot enceinte de cette coutume .

(2) Andr. Act. III, Scène I.

(3) Properce, IV, r.

42 IIISTOIIlE DES ACCOUCHEMENTS

Tout le monde connaît l'invocation à Lucine de la vie Eglogue de Virgile, celle l'on a cru voir un pressentiment de la naissance de Jésus-Christ :

Tu modo nascenti puero, quo ferrea primum. Desinet, ac toto surget gens aurea rnundo, Casta, fave, Lucina : tuus jam régnât Apollo.

A l'enfant qui vient de naître, par qui l'âge de fer Va cesser, et l'âge d'or surgir pour le monde entier, Souris, chaste Lucine: déjà règne ton Apollon.

L'invocation consistait à appeler par trois fois la déesse :

Quœ laborantes utero puellas

Ter vocata audis, adimis que letho (1).

Toi qui, appelée trois fois, entends les femmes En travail d'enfant, et les arraches à la mort.

La pièce suivante de Ronsard mentionne cette coutume :

Toy, déesse Lucine,

Requise par trois fois,

De la vierge en gésine

Tu exauces la voix,

Et desserres la porte

Au doux fruict qu'elle porte.

Tu as de la Nature La clef dedans les mains, Tu donnes l'ouverture De la vie aux humains ; Et des siècles avares Les faultes tu répares.

Dans les cas laborieux, la parturiente était obligée d'aller jusqu'à sept appellations. Si ses vœux étaient exaucés, elle offrait en sacrifice, à la déesse bienfaisante, des gâteaux, de l'argent, une jeune brebis, ou, d'après Senèque, dans un des chœurs de sa Méde'e, une génisse au corps blanc comme neige :

Lucinam nivei feminsLmcorporis Intenta jugo placct.

(1) Horace. Odes, III, xxn.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

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La victime devait être une truie, si le sacrifice tombait le premier jour du mois. De plus, Servius Tullius avait institué l'usage de dépo- ser une pièce de monnaie dans les temples de Lucine à la naissance de tout garçon. C'était le denier de Lucine!

On représentait Junon Lucine tantôt en costume matronal, tenant une pique de la main gauche, et, de la main droite, une patère sup- portant un enfant (fîg. 40) ; tantôt une main tendue, comme pour rece- voir le nouveau-né, et un flambeau à l'autre main : c'est ainsi que Rubens la représente dans son tableau de la Naissance de Marie de

Fia. 40. Junon Lucine,

Médicis (fîg. 41) ; tantôt assise, tenant de la main droite une fleur, qui ressemblait à un lis, portant un enfant emmailloté sur le bras gauche, et couronnée de dictame (fîg. 42), plante supposée favorable aux accou- chements; tantôt enfin, elle était figurée tenant d'une main un fouet et de l'autre un sceptre (fîg. 44). Ce fouet était l'emblème d'un heureux accouchement ; il rappelait les Lupercales, pendant lesquelles des jeunes gens couraient, à travers Rome, avec de grands fouets dont ils

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

frappaient le ventre des femmes enceintes qui désiraient une couche favorable. L'instrument avec lequel ils donnaient cette espèce de dis-

F.g. 41. La naissance de la Reine, d'après Rubeas.

cipline était une peau de chèvre, qu'on prétendait avoir servi de vête- ment à Junon.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

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Demoustier rappelle cette coutume en de petits vers assez ridi- cules :

Alors doux ou trois cents bandits, N'ayant que leur peau pour habits, Couraient, avec des cris farouches, Chez les épouses des Romains, Leur frappant le ventre et les mains, Pour empêcher les fausses couches.

Fig. 42. Le sacrifice à Junon Luciae, d'après A. F. Callet, 1791.

Dans une médaille de Faustine la Jeune, on représente encore

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Lucine debout, avec un enfant sur le bras gauche et deux autres à ses côtés (fig. 44).

Elle avait son temple près des Esquilies, non loin des Carènes et deSuburre ; il était entouré d'un bois sacré dont Ovide fait le théâtre d'une légende assez curieuse : les Sabines, enlevées par les Romains, étant restées stériles, les couples allèrent en pèlerinage au bois de Junon Lucina; une voix retentit au haut des arbres, indique un re- mède, et les Sabines s'arrondissent. C'est absolument le bois dont parle la chanson : On y va deux, on en revient trois.

Ilithyia chez les Grecs opérait seule : la Lucine des Romains avait sous ses ordres quantité de génies femelles qui, au fond, réduisaient son rôle à celui d'une simple surveillante. Supposons, en effet, que

Fig. 43. Junon Lucine, d'après une médaille antique.

Fig. Ai. Junon Lucine, d'après une médaille de Faustine.

Mena, la préposée aux menstrues, n'ait plus, pendant neuf mois, qu'à se croiser les bras, Junon Lucina se chargera bien elle-même, sous le nom de Fluonia, d'empêcher les hémorrhagies utérines pendant la grossesse ; sous celui d'OssiPAGA, de consolider les os du fœtus ; sous celui d'OpiGENA, de favoriser son expulsion : mais c'était Alemona qui nourrissait l'embryon; c'étaient Nona et Décima qui veillaient aux deux derniers mois de la grossesse ; c'étaient deux divi- nités mâles, Vitumnus et Sentinus, qui donnaient à l'enfant la faculté de vivre et de sentir. Et lors de l'accouchement même, la fidèle Par- tula accompagnait la maîtresse-ventrière. Et pour la manœuvre, que d'aides de toute espèce ! Candelifera allume les cierges ; les deux Carmentes récitent les formules magiques, en attendant le repas que,

l'obstétrique et le culte 47

pendant les couches, on lear servira dans une chambre isolée (1). Si la tête de l'enfant se présente d'abord, intervient une nommée Prorsa ; si ce sont les pieds, c'est Postverta. La nymphe Egérie ne dédai- gnait pas d'accourir, et avec elle Uterina et Portuta, et Numeria, et même une vieille, vieille déesse, Natis, qui péniblement arrivait d'Ardée en Latium. Enfin, après les couches, Februa sera pour délivrer la mère de l'arrière-faix et diriger les purgations.

Le dieu Sylvain, avait la réputation d'aimer à persécuter les femmes en couches. Intercidona, Pilumnus, Deverra préservaient la jeune mère contre les insultes de cette grossière divinité ; l'un frappait le seuil à coups de hache, l'autre y appliquait des coups de pilon, le troisième le balayait, afin d'empêcher Sylvain, par ces trois opérations, de pénétrer clans le logis. Les Parques (2) protégeaient aussi la nouvelle accouchée contre les attentats de Sylvain, et pour éloigner ce mauvais génie, on pendait une tête d'âne couronnée au lit de la femme.

Junon Lucine avait une rivale dans Génita Mana : cette dernière, dont le culte est assez obscur, semble, en effet, avoir exercé une grande influence sur les enfantements. On lui sacrifiait un jeune chien à la mamelle, mets digne des dieux, suivant Pline, et on lui adressait cette prière : Que de tout ce qui naît dans la maison, rien ne devienne bon! Cette prière s'entendait-elle non des personnes, mais des chiens qui, pour défendre la maison, doivent être méchants? Le mot bon aurait-il signifié les morts, et aurait-on ainsi demandé à la déesse que rien de ce qui naissait dans la maison ne vint à mourir ?

Junon Lucine avait une concurrence plus sérieuse dans trois dieux accoucheurs d'origine grecque ou peut-être syrienne, les Nixi Du (3). On appelait de ce nom trois statues agenouillées qu'on voyait au Capitule, devant la nef consacrée à Minerve, elles avaient été rap- portées de Syrie par le consul Ocilius, après la défaite du roi An-

(1) Cette coutume existait autrefois chez les Bretons : ils dressaient une table abondamment servie, avec trois couverts, pour engager les fées à être favorables au nouveau-né et à le douer de nombreuses qualités.

(2) En Scandinavie, les Parques présidaient aussi aux accouchements ; on les appelaient les trois Nomes, et au lieu de LaeJicsis, Clotho et Atropos, on leur don- nait les noms de Udr, Verdandi et Skuld, c'est-à-dire le Passé, le Présent et l'Avenir. « Les Nornes, dit A. Maury, assistent dans Bralundr, aux couches de Borghilda, reine des Danois, et annoncèrent la haute fortune que le sort réservait à Helg l'Haddingicide ».

(3) Cf. Ovide, au livre IX des Métamorphoses :

Zucinam Nixosque pari clamore vocaoam : J'invoquais d'un même cri Lucine et les Nixes.

48 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

tiochus. C'est sans doute leur atlitude latonienne qui leur a donné la confiance des femmes enceintes (1). Avant de les invoquer, il était nécessaire de se laver les mains et de se découvrir la tête. Voilà des dieux bien exigeants sur l'étiquette !

La déesse de la chasse et des bois, Diane, vieille divinité italienne, qu'on adora plus tard à côté d'Apollon comme l'Artémis des Grecs, avait, elle aussi, une action bienfaisante sur les accouchements. Au fameux temple d'Aricia, sur le lac de Némi, les femmes allaient demander des couches heureuses, et apportaient, en signe de recon- naissance, des bandelettes, des tableaux votifs, des flambeaux, des cierges enflammés.

Diane Lucifera (ûg. 45) est identifiée avec la lune et serait, pour cette raison, la patronne des accouchées. Mais que vient faire la lune dans les accouchements? Est-ce en raison de l'influence illusoire de cette planète sur le sexe des enfants et sur les fonctions intimes de la femme ? Mauriceau ne parle-t-il pas même d'un caractère lunatique ? Est-ce encore parce que les anciens voyaient une certaine analogie entre les phases de la lune et le développement progressif du ventre dans la grossesse? Ou bien n'y a-t-il qu'un simple rapprochement entre la fonction d'éclairer la nuit et celle de faire paraître l'enfant à la clarté du jour? Ou bien enfin, les actes de la génération n'ont-ils pas l'astre lunaire pour témoin? Quoiqu'il en soit, et si singulière que paraisse cette attribution d'accoucheuse à la chaste déesse, le fait n'en est pas moins vrai. Les mylhographes l'expliquent en rappe- lant que Latone était accouchée d'elle sans douleur. Martial a fait allusion à Diane-Lucine dans l'épigramme XIII du livre des Spec- tacles, à propos d'une truie qui, blessée d'un javelot, au cirque, avait immédiatement mis bas :

Experta est numen moriens utriusque Dianse. dit-il ;

Elle éprouva en mourant la divinité des deux Dianes. c'est-à-dire de la Diane chasseresse et de la Diane accoucheuse.

(1) M. A. Dastre, dans une étude sur les Anesthésigucs (Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 18S0), donne une raison assez satisfaisante de cette intervention des DU Nlxi : « L'enfantement exige la participation active de la femme ; ses efforts volontaires sont nécessaires pour la terminaison du travail. C'est ce qu'entendaient les Romains lorsqu'ils imaginaient que des divinités mâles, les Efforts, DU Niai, prêtaient leur active assistance à l'enfantement, sous la surveillance de Lucine et des femmes, seules admises à cette mystérieuse opération ».

L'OBSTETRIQUE ET LE CULTE

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Un singulier cumulétaitcelui deMATUTA: déesse desports, elle s'oc- cupaitaussi d'obstétrique. Mon Dieu ! de nos jours, plusd'unmédecinde marine s'est fait une réputation d'accoucheur. N'est-ce pas,M.Pénard?

Fig. 45. Diane Lucifera.

Fig. 46. Hécate (Musée Pio Clémentine-).

Enfin Faunus, que les Romains assimilaient au Pan hellénique, était encore un dieu précieux aux dames Romaines. On célébrait en son honneur les Lupercales, dont nous avons déjà parlé.

A la naissance d'un Romain présidaient, on le voit, plus de fées que Perrault n'en amène autour du lit la reine met au monde la Belle au Bois Dormant.

Intervenait ensuite toute une nouvelle série: en l'honneur d'Opis, la terre, notre mère à tous, on déposait sur le sol le nouveau-né; en le relevant, Levana témoignait de sa légitimité. Puis Deus Vagi- tanus ouvrait la bouche à l'enfant pour lui faire pousser son pre- mier vagissement. Les deux déesses Cunina et Rumina ou Rumilia (1) ,

(1) Son nom vient de Ttuma qui anciennement voulait dire mamelle. Il n'entrait pas de vin dans ses sacrifices, les libations ne s'y faisaient qu'avec du lait. Plutarque dit, dans les Questions romaines, que cette déesse ne voulait pas qu'on lui offrit du vin parce qu'il était pernicieux au nouveau-né.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

(fîg. 47] protégeaient, l'une le berceau, l'autre le sein de la mère ou de la nourrice.

La déesse Nundina intervenait le neuvième jour, date importante, l'enfant recevait son nom, sa bulle et certains talismans contre les sortilèges.

Une troisième catégorie de dieux et de déesses veille à la jeunesse délicate de l'enfant; après le sevrage, Potina et Educa accoutument l'enfant à boire et à manger ; Cuba le fait passer du berceau dans un

lit ; Statanus lui apprend à se tenir ; Farinus à pousser des sons indistincts, en attendant que Fabulinus lui enseigne la parole arti- culée et Locutius le langage parfait. Enfin d'autres génies ulriusquc sexus éveillent en lui les facultés de l'âme, l'accompagnent à l'école, jusqu'au moment Juventas et Fortuxa s'emparent de sa per- sonne.

l'obstétrique et le culte 51

PRATIQUES RELIGIEUSES CONCERNANT LES ACCOUCHEMENTS CHEZ LES INDOUS.

Les lois de Manou, le législateur mythique de l'Inde, nous donnent certaines prescriptions religieuses concernant la grossesse et les accouchements. Ainsi une femme enceinte de deux mois ou plus avait le privilège de ne pas payer de droit pour le passage d'une rivière. Après une fausse couche, il faut à la femme pour être purifiée autant de nuits qu'il s'est écoulé de mois depuis la conception. Avant la section du cordon ombilical, une cérémonie est prescrite à la nais- sance d'un enfant mâle : on doit lui faire goûter, dans une cuiller en or, du miel et du beurre clarifié, en récitant certaines paroles sacrées. Dans le quatrième mois, il faut sortir l'enfant de la maison il est pour lui faire voir le soleil ; vers le sixième mois, lui donner à manger du riz.

Dans la Perse et dans l'Hindoustan, les Guèbres ou Parsis obser- vent encore les prescriptions de Zoroastre, contenues dans le Boun- dehec, deuxième partie du Zend-Avesta rédigée en pehlvi ; le Sad-der, division du Boundehec, expose ainsi les obligations imposées aux nouvelles accouchées. -Nous donnons la traduction d'Anquetil-Du- perron :

Porte LXXV. Si une femme, récemment accouchée, jette la vue sur du feu, elle commettra un péché évalué quinze direms. Si elle en approche de quinze pas, il ne sera que de douze direms. Si elle fait trois pas sur la cendre embrasée, son péché sera de douze cents direms. Si elle s'assied sur l'eau, tu dois savoir que son péché sera quinze fois plus grand ; ou plutôt il le surpassera de douze cents fois. Elle ne doit pas fixer les yeux sur le soleil, ni s'entretenir de choses déshonnêtes avec les hommes. Deux femmes en gésine ne doivent pas coucher ensemble; sers-lui à manger dans des plats de plomb. Qu'elle se souvienne de ne pas jeter les yeux vers le ciel, ni marcher pieds nus sur la terre. Elle ne doit pas toucher des mains le pain qu'elle mange, ni remplir plus qu'à demi le vase qu'elle emploie pour boire. Qu'elle tienne pendant qu'elle boit, les mains toujours renfermées dans ses manches ; et qu'elle les enveloppe d'un morceau de drap, afin qu'elle ne s'expose pas à verser de l'eau sur sa peau. C'est surtout pendant le repas qu'elle doit se rappe- ler ce précepte. Une femme enceinte ne doit pas s'asseoir au soleil, de crainte que, dans l'été, la chaleur de cet astre ne l'incommode. Quand

52 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

une femme sent les douleurs de l'enfantement, quoiqu'elle se soit puri- fiée ce jour-là, qu'elle ne se lave pas la tête avant trois jours. Qu'elle attende môme encore après être délivrée neuf autres jours, jusqu'à ce que son parfait rétablissement, ne laissant plus rien à craindre pour sa vie, elle puisse se laver la tête pour purifier son âme. Si sa convales- cence dure vingt-neuf jours, elle tiendra la même conduite. Qu'elle passe trois jours entiers, et qu'elle se lave ensuite la tête. Si l'on doute si elle est sur le point d'accoucher ou non, qu'elle se prépare néan- moins une robe, qui doit avoir certaines conditions, pour remplir les vœux de la religion. Si elle est véritablement dans les maux qui annon- cent l'accouchement, que cette robe soit pure, afin que la malade ne succombe pas à sa douleur. Si elle a un fils à la mamelle, elle doit aussi faire faire une robe à son intention. Lorsque l'enfant aura reçu de son lait, elle doit s'appliquer à lui apprendre à obéir. Qu'elle lave sa tête avec celle de son enfant. Une femme nouvellement accouchée, souille, comme je l'ai déjà dit, tout ce qui s'offre à ses yeux. Si elle regarde un plat servi sur une table, il doit être incontinent purifié. On doit en faire autant de l'eau qu'elle aurait fixée. Si elle pose les mains sur un chardon, on le verra aussi promptement se faner et se sécher, que s'il eût été déraciné. Si son regard tombe sur une pièce d'indienne, elle perdra aussitôt sa couleur et sa beauté. Qu'elle se prépare donc, surtout pendant les trois premiers jours qui suivront ses couches, de tout péché et de toute imprudence.

Porte LXXVIII. Peines prononcées contre ceux qui touchent à ce qui peut appartenir à un cadavre, ou a une femme en couches. N'approche ni de la bière qui contient le mort, ni de celle il a été lavé. Tu ne dois pas moins éviter de toucher à tout bois teint du flegme et du sang que répand une femme en couches, ainsi que de celui elle aura posé le pied ; car tout cela peut souiller tes habits. Ne brûle pas même ces sortes de bois ; mais transporte-les au loin; car personne ne les achètera de ta main, puisqu'ils ne peuvent être d'aucun usage.

Porte LXXXVI. Devoirs imposés aux femmes enceintes et nou- vellement accouchées. La loi ordonne à la femme qui vient d'accou- cher, de cesser de se laver la tête, pendant vingt et un jours. Si, après ce terme, elle croit n'avoir rien à craindre, qu'elle se lave ; elle doit éviter de mettre la main à aucun ouvrage, pour que son intelligence, son esprit et sa prudence, ne soient pas mis en défaut ; qu'elle ne pose pas le pied sur le seuil de la porte. Que pendant quarante jours elle ne touche à rien de bois ou de terre. Qu'elle ne s'occupe pas à faire bouillir sa marmite. Après ces quarante jours, qui exigent de sa part la plus grande précaution, qu'elle se purifie . Qu'elle ne voie aucune autre femme avant l'expiration de ce terme, car ce serait un grand péché. Si la femme qu'elle visite est enceinte, il est certain que le lait de la nou-

l'obstétrique et le culte 53

velle accouchée nuira au fœtus que celle-là porte dans son sein ; ce qui rendrait coupables le père et la mère de l'enfant. Ne l'expose donc pas au danger.

Si tu es dans le doute si ta femme est enceinte, tu peux facilement approfondir ce mystère. Si, depuis le moment dont tu soupçonnes sa grossesse jusqu'au quatrième jour, elle a eu ses indispositions périodi- ques, dis qu'elle ne l'est pas, puisqu'il est certain qu'une femme en cet état, n'a pas ses menstrues. Ne fais aucune violence à une femme enceinte. Examine bien sérieusement si elle l'est, afin qu'elle puisse prendre les précautions convenables à son état. Une femme grosse doit se ménager, et fixer son séjour dans un lieu solitaire et retiré. Apprends que ces devoirs ne sont pas d'une médiocre importance.

Porte LXXXVII. Devoirs imposés à une femme qui s'est blessée. Une femme qui se sera blessée, doit être transportée auprès du feu sacré, pour la purifier pleinement, par les cérémonies de la religion, des souillures qu'elle peut avoir contractées. On ne doit pas lui donner d'eau à boire, pendant trois jours, pour ne pas l'exposer à mourir. Au même instant que cette femme a été délivrée, tu dois commencer à prier pour elle dans le temple : ce que tu continueras pendant trois jours. Lorsque l'enfant sera sorti du sein de sa mère, laisse le nu pendant plus d'une heure, donne lui ensuite de l'eau à boire, car peut-être en vou- dra-t-il goûter. Après les quarante jours, une femme ainsi délivrée doit se laver la tête, et faire pénitence. Si le fœtus n'a pas quatre mois, il est sans âme ; quand on le trouve glacé dans l'amnium, avant trois mois, on ne doit pas manquer de le montrer à un chien. Il faut ensuite rem- plir un bassin d'eau lustrale, deux personnes le laveront. Si l'embryon devient blanc, il sera placé au rang des cadavres, et sa mère tenue de faire pénitence. S'il est rouge ce n'est qu'une masse de sang. Mais quelle est alors la pénitence que la mère doit faire? Si l'avortement arrive trois mois après la conception, apporte toute la circonspection possible à ce que tu dois faire à ce sujet. Prends bien garde, toi qui es versé dans nos mystères, de t'exposer à quelque danger : car notre religion nous défend de ne rien faire dont la fin soit équivoque. Une femme qui éprouve un avortement, se lavât-elle la tête dix mille fois d'eau lustrale, ne sera jamais purifiée; parce que ses souillures ne sont pas dans l'extérieur de son corps. Elles sont dans la moelle de ses os, dans ses veines et dans ses entrailles. N'oublie pas cela, situ veux être sage. L'eau peut, à la vérité, purifiera l'extérieur; mais la religion peut seule effacer les taches de lame. Une personne qui oublierait ces maximes importantes ne serait certainement pas purifiée. Tout ce qui tomberait même sous ses mains, l'eau, le feu, les aliments, tout serait souillé. Chaque action que fera une femme qui se serablessée, ajoutera au nombre de ces prévarications. C'est une vérité que tu dois sérieusement méditer. Si elle touche à l'un des plats du festin, tous ceux que l'on ser-

;>1 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

vira sur la table, se corrompront aussitôt, et exhaleront une odeur fétide et empestée, comme si quelque mégère les eut empoisonnés de son haleine infernale. Qu'elle fasse donc incessamment une pénitence publi- que, et qu'elle rachète ses péchés, en donnant au clergé neuf morceaux de jayet. Qu'elle se lave aussi trois fois la tête, d'eau lustrale, pendant trois jours ; et alors elle n'aura plus à craindre le talent funeste qu'elle avait de tout souiller sous ses mains. »

Le onzième jour, celui des relevailles, « on donne au blanchisseur, dit Dubois (1), tous les linges et vêtements qui ont servi durant cette période, et la maison est. purifiée... On fait ensuite venir un brahme (2), pourohita. L'accouchée, tenant son enfant dans les bras et ayant à côté d'elle son mari, va s'asseoir sur une espèce d'estrade en terre, dressée au milieu de la maison et couverte d'une toile. Le pourohita s'approche d'eux, fait le sancalpa, offre le poudja au dieu Vignes- souara, et fait le poum'a-ava-chana, ou la consécration de l'eau lus- trale. Il verse un peu de celte eau dans le creux de la main du père et de la mère de l'enfant, qui en boivent une partie et répandent l'autre sur leur tête. Il asperge avec cette même eau la maison et tous ceux qui l'habitent, puis va jeter dans le puits ce qui en reste. Enfin, on donne au pourohita du bétel et quelque présent, et il se retire... Par cette cérémonie, qui se nomme djatacarma, toute trace de souil- lure disparaît ; mais l'accouchée ne recouvre son parfait état de pureté qu'au bout d'un mois; jusque-là, elle doit vivre dans un lieu isolé, et n'avoir de communication avec personne du dehors ».

II. l'obstétrique biblique

A. SUR LA NAISSANCE DE QUELQUES PERSONNAGES BIBLIQUES

Naissance d'Adam. Dieu créa donc l'homme à son image; il le créa à l'image de Dieu, et il les créa mâle et femelle (3).

(1) Mœurs et institutions des peuples de l'Inde.

(î) Ce nom ne B'applique d'ordinaire qu'aux prêtres de Brahnia.

(3) Genèse, I, 27. Malgré ce passage explicite, Saint Thomas assure que, dans l'état d'innocence, les hommes se reproduisaient par la seule intention des idées, spirituellement, et que les organes de la génération n'ont paru qu'après le péohé > comme des marques indélébiles <_!< la désobéissance du premier homme.

l'obstétrique et. le culte 55

Se fondant sur ce passage obscur de la Genèse, certains auteurs croient qu'Adam était hermaphrodite. C'est ainsi qu'il apparut à la sainte veuve Antoinette Bourignon et à son confesseur, Abbadie.

Nous aurions voulu donner la description de notre premier père, d'après Antoinette ou Abbadie; mais ayant constaté que l'une avait écrit dix-neuf, l'autre trente volumes de folies, nous avons reculé devant les recherches (1). D'ailleurs, les anciens s'étaient déjà mis en cervelle une bizarrerie du même genre : Platon vit, dans le premier homme, un être double, comme le rappelle l'auteur de laPucelle :

Ainsi Platon, le confident des Dieux, A prétendu que nos premiers aïeux, D'un pur limon pétri des' mains divines, Nés tous parfaits et nommés androgynes, Egalement des deux sexes pourvus, Se suffisaient par leurs propres vertus.

Le philosophe grec a tiré de cette idée une ingénieuse fiction, pour expliquer l'action attractive de l'amour sur les deux sexes : il sup- pose qu'après avoir créé l'homme double, Dieu le dédoubla ensuite et que, depuis ce temps, les deux moitiés tendent sans cesse à se rap- procher.

Naissance d'Eve. Le Seigneur Dieu dit aussi : Il n'est pas bon que l'homme soit seul, faisons-lui un aide semblable à lui (2).

Le Seigneur Dieu envoya donc à Adam un profond sommeil ; et lors- qu'il était endormi, il tira une de ses côtes et mit de la chair à la place.

Et le Seigneur Dieu, de la côte qu'il avait tirée d'Adam, forma la femme et l'amena à Adam.

Alors Adam dit : Voilà maintenant l'os de mes os, et la chair de ma chair. Celle-ci s'appellera d'un nom qui marque l'homme, parce qu'elle a été prise de l'homme (3).

Les savants qui passent leur temps à contester toutes les décou- vertes modernes et cherchent à prouver que rien n'est nouveau sous

(1) Dans la Chandelle à" Arras, poème fameux de l'abbé Dulaurens. Adam, parlant de sa naissance, s'exprime comme suit :

Certain Seigneur, qui fait tout avec rien,

Voulant unir le mal avec le bien,

Fit le chiendent, les choux et la lumière,

Entre ses mains pétrissant la matière,

Il fit un sot, et ce sot ce fut moi. (Y) Genèse, II, 18. (3) M. II, 21, 22,23.

56

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

le soleil, ne manqueront pas d'attribuer l'origine de l'anesthésie au Père éternel lui-même, qui, voulant opérer Adam sans douleur, le plongea préalablement dans un profond sommeil ; nous leur laissons le soin de faire cette remarque et de remonter au delà du déluge si bon leur semble. Notre compétence ne s'étend pas jusque-là. Donc, Dieu tira l'élément constitutif de la première femme de l'un

Fig. 48. Naissance d'Eve. (Fac-similé d'une gravure tirée du Chronicon seu historia totius mundi œtatum, par Hartmann Schedel, 1493.)

des arcs osseux dont l'assemblage formait les parties latérales de la poitrine d'Adam :

Il en tire une coste, et va d'elle formant La mère des humains, gravant si dextrement, Tous les beaux traits d'Adam en la coste animée Qu'on ne peut discerner l'amant d'avec l'aimée (1).

(1) Du Bartas . La Sepmainc, VIe Jour.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

Notre première mère fut donc une côtelette. Joli motif à plaisan- terie pour les esprits irrévérencieux et peu galants ; ainsi, Théophile Gautier, dans Pierrot posthume :

Tout irait mieux, si Dieu ne l'avait fait d'un geste Sortir du flanc d'Adam, côtelette funeste !

Un autre auteur se pose cette question facétieuse : « Est-ce par ce qu'elle sort de la côte d'Adam, mais la femme est comme certaines côtelettes, plus on la bat, plus elle est tendre ».

Le récit biblique est l'origine de l'erreur populaire qui attribue à l'homme une côte de moins qu'à la femme. « Celui qui a pu faire une femme avec une côte », dit Marchai, de Calvi, « a bien pu remplacer une côte avec n'importe quoi ; outre que, à supposer que la côte du premier homme n'eût pas été remplacée, cette imperfection a dis- paraître dès la première génération; on ne voit pas, en effet, que les enfants d'un amputé naissent eux-mêmes mutilés. Ainsi, il faut se rendre à cette vérité anatomique, que le nombre des côtes est le même chez l'homme et chez la femme ; qui en ont chacun vingt- quatre, douze de chaque côté». Puissamment raisonné et judicieu- sement conclu !

D'autres versions existent sur la naissance d'Eve : « On lit, raconte de Salgues, clans les rêveries de nous ne savons quel rabbin, sans doute malheureux en ménage, que Dieu ayant enlevé une côte à Adam, pour en faire une femme, et l'ayant posée un instant près de lui, un singe adroit et malin enleva furtivement la côte, et se mit à fuir à toutes jambes. Un ange courut après lui et le saisit par la queue; mais la queue lui étant restée dans la main, il la rapporta au lieu de la côte, et, par suite de celte méprise, ce fut de la queue du singe que la femme fut formée. De vient qu'elle a toujours con- servé quelque chose de sa première origine ». D'autres citent le même conte, en remplaçant le singe par un chat, animal égoïste, sournois, fripon et toujours prêt à jouer de la griffe.

Madagascar a aussi sa version : nous nous permettrons ici, en compagnie d'Herbelot (1), une petite excursion dans le pays qui nous envoyait naguère de si élonnants ambassadeurs. Voici ce que racon- taient nos bons amis les Malgaches. Le premier homme, trompé par le mauvais esprit, but et mangea ce que son Créateur lui avait dé- fendu; il mastiqua, avala, digéra ; puis, le premier des chymes

(1) Bibliothèque orientale .

58 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

humains étant parvenu à la partie inférieure de l'intestin, trouva sans hésiter la porte de sortie. Qui fut bien étonné ? Ce fut notre premier père. Moins avisé qu'un chat délinquant, il ne sut cacher sa faute et empuantit le céleste séjour. Plus rouge qu'une portière, dont le pail- lasson a été déshonoré par l'inconvenance d'un quadrupède, Jehovah se présente devant le coupable et, au lieu de lui remettre une pelle et de la cendre, après lui avoir préalablement frotté le nez dans sa faute, il expulse violemment le malheureux. Peu après, le premier homme vit à l'un de ses mollets se développer une tumeur qui augmenta sans cesse de volume et s'ouvrit au bout de six mois, donnant le jour à une jeune fille qu'il éleva, puis épousa, sous le nom de Ra- honna (1).

Conséquences obstétricales de la faute d'Adam. Un

accoucheur célèbre dans son temps, Viardel, prétend gravement que l'enfant porte, le plus souvent, en naissant le visage tourné vers la terre, parce qu'il se sent coupable de la faute d'Adam et que son premier cri est OA qui veut dire : « 0 Adam ! pourquoi avez-vous péché? » Tandis que le cri de la mère à la dernière douleur de l'ac- couchement est OE, ce qui signifie : « 0 Eve ! pourquoi avez-vous induit en erreur notre premier père? » Ingénieuse ineptie, rapportée déjà par Guillaume Bouchet dans ses Serées.

Le péché de nos premiers parents eut, pour Eve et ses filles, une autre conséquence dont nous instruit la Genèse: « Je multiplierai tes misères et tes conceptions, tu enfanteras avec douleur ». Et que la femme n'essaie pas de se soustraire à cet arrêt; les bons chapelains, dont la Bible est le Coran, la foudroieraient de leurs malédictions. « La reine d'Angleterre », dit V. Hugo, dans les les Travailleurs de la mer, « a été blâmée de violer la Bible en accouchant par le chloro- forme ». Quelle est à cet égard l'opinion des pieuses clergywomen? Les douleurs de l'accouchement ne sont pas le propre de l'espèce humaine; les femelles d'animaux y sont, aussi sujettes. Est-ce donc parce que jadis une coquette, peu vêtue, a marivaudé avec un ophi- dien astucieux, que nous entendons, en ces cas critiques, miauler si désespérément les chattes et hurler les chiennes ?

Le nombril de nos premiers parents. On sait que le nombril est la cicatrice formée par la chute du cordon ombilical, cinq

(1) Lucien parle d'un pays imaginaire, la Gastrocnéniie, les enfants étaient portés dans le mollet, et n'en sortaient qu'à l'aide d'une incision.

l'obstétrique et le culte 59

ou six jours après la naissance; « en conséquence », dit Brown, dans ses Erreurs populaires, « le nombril étant une partie de notre naissance, on ne doit pas le supposer dans Adam qui fut formé par le Créateur, ni dans Eve qui fut formée d'une partie d'Adam ». Reinhardt, mort en 1790, publia une dissertation il agitait sérieu- sement cette grave question.

Logiquement, la cicatrice ombilicale ne devrait pas figurer sur l'abdomen de nos premiers parents et cependant les plus grands peintres, Raphaël et Michel-Ange, ont commis cette faute physiolo- gique. L'école américaine moderne, à l'exemple de J.-B. Santerre, ne l'a point commise. En effet, nous lisons dans la Revue politique et littéraire du 31 janvier 1885, le renseignement suivant: « Le chef- d'œuvre de l'école yankee se trouve dans notre hôtel : c'est une im- mense toile qui représente nos premiers parents dans le paradis ter- restre. Adam et Eve, grandeur nature, tiennent chacun une moitié de pomme qu'un serpent à tête humaine leur conseille de manger; quel- ques animaux, groupés autour de l'arbre de la science, commencent à montrer des velléités de révolte; l'aigle jette un œil perçant sur la timide colombe; le lion ouvre une gueule énorme; l'ours grogne, c'est certain : l'on devine qu'ils ne tarderont pas à suivre le mauvais exemple donné par la femme. Jusque-là rien de bien extraordinaire; mais la beauté de l'art éclate, c'est dans la conformation d'Adam et d'Eve : ces deux ancêtres de l'humanité étant sortis des mains de Dieu, l'artiste leur a suppriméie nombrilet mis au-dessous de l'estomac une surface unie comme un tambour. C'est d'un grotesque adorable. »

"Accouchement d'Eve. La Genèse est d'une sécheresse regrettable au sujet des accouchements d'Eve :

Or Adam connut Eve, sa femme, et elle conçut et enfanta Caïn, et elle dit : J'ai acquis un homme par l'Eternel. Elle enfanta de nouveau et mit au monde Abel frère de Caïn (1).

Sur ce texte laconique, les anciens rabbins répandirent le flot de leurs commentaires ; c'est à eux que les Mahométans ont emprunté une tradition qui prêtait à Eve deux accouchements gémellaires successifs. C'était bien le moins : la terre était encore si peu peuplée ! Donc, ayant mis au monde Caïn et Aclima sa jumelle, Eve, posleriore et uno partu, enfanta Abel et Lébuda. Adam n'avait pas à chercher loin pour établir ses filles : à Lébuda Caïn, Abel à Aclima. Or Caïn

(l) Gen., IV. 1, 2.

60

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

aimait cette dernière ; il invoquait les droits que lui créait une co- habitation antérieure de neuf mois ; il avait durant ce temps vécu

Fig. 49. La première naissance, d'après le tableau de Vauchelct.

d'accord avec elle et, par conséquent, leur union ne pouvait qu'être

l'obstétrique et le culte 61

heureuse. Pour résoudre le différend, Adam proposa un sacrifice et promit Aclima à celui dont l'offrande serait, la plus agréable au créateur ; l'épreuve fut favorable à Abel qui périt victime de la colère et de l'envie de son frère.

Les rabbins ne sont pas les seuls qui se sont avisés de suppléer, par hypothèse, à l'insuffisance de la Bible ; les médecins se sont mis de la partie. L'accouchement d'Eve a suggéré quelques réflexions médicales, plus ou moins intempestives, de la part de certains savants qui avaient sans doute du temps à perdre : Jean-Henri Schultz, professeur à Altorf, a fait, en latin, une Histoire delà médecine anté-diluvienne (1); sur quels documents scientifiques, nous l'igno- rons.

Ecoutons le docte Schultz : « Que de vérités physiologiques les premiers époux purent apprendre, en s'examinant mutuellement, en s'embrassant, en faisant l'amour ! L'expérience n'enseigna-t-elle pas à Eve quels sont les débuts, les progrès, l'issue de la grossesse? Il est vraisemblable qu'Adam, poussé par la nécessité, employa ses mains, en vrai accoucheur, pour soulager son amie en travail, et fit aussi la première des opérations chirurgicales. Peut-être même ces deux premiers êtres virent-ils le premier exemple d'hémorrhagie et s'en étonnèrent ; assurément, ils virent le premier cordon ombilical, reconnurent la sécrétion du lait, apprirent son usage ; ils purent même, s'ils en eurent le loisir, s'élever à la connaissance du méconium ; nécessairement ils durent observer chez leurs enfants les phénomènes divers de la croissance, l'éruption et la chute des premières dents, l'apparition des dents permanentes, et toutes les transformations successives qui, dans les deux sexes, ont lieu jusqu'au moment de la puberté : changements qui ne sont pas assez insensibles pour ne pas exciter l'étonnement et ne pas tenir l'esprit suspendu entre l'espé- rance et la crainte. Il est donc évident qu'après la physiologie, nos premier sparents eurent l'obligation d'apprendre la pathologie : avec ces deux sciences se développa peu à peu l'hygiène ».

Adam père de la médecine ! Qu'en dis-tu, ô vieil Hippocrate de Cos?

Adam et Eve ont-ils coupé le cordon ? D'autres érudits ont exercé leur sagacité sur une question des plus contro- versées : Adam et Eve ont-ils, oui ou non, coupé le cordon ombilica de leurs enfants ? C'est ce que nous allons examiner avec eux.

(1) Historia medicinœ a rervm initio ad annum uriis Honue, DXXXV, 1728.

62 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

En 1771, J. Astruc a étudié consciencieusement cette question, et il en a donné cinq solutions différentes, sous forme de réponse à une lettre de M. D. F. B. Sur la conduite d'Adam et d'Eve à V égard de leurs premiers enfants. Nous reproduisons in extenso cette dissertation curieuse, encore qu'un peu longue ; elle montre bien à quelles futilités s'amusait ce qu'on voulait bien alors appeler la science :

Vous voilà donc engagé, Monsieur, dans une dispute avec un philo- sophe du temps, sur la manière dont Adam et Eve se sont comportés à l'égard du cordon ombilical, et de l'arrière-faix de leurs premiers enfants. L'ont-ils lié et coupé, comme on le pratique à présent ? Mais, vous a-t-on objecté « comment savaient-ils cette pratique ? Qui la leur « avait apprise ? Ils avaient été créés sans nombril, et ils n'avaient « jamais vu naître d'enfants : Ne l'ont-ils point lié et coupé ? Leurs « enfants ont donc expirer tous. C'est une vérité reconnue de « tous les médecins, et voilà le genre humain perdu ».

Vous me marquez, Monsieur, que cette objection vous a embarrassé, et vous me priez de vous indiquer la manière d'y répondre. Mais vous me paraissez fort choqué de l'air de suffisance, et du ton railleur avec lequel on vous l'a proposée. Ne savez-vous pas que c'est l'usage de ces Messieurs ? Pleins de la sublimité de leurs lumières, ils croyent que la plus légère difficulté, qui vient d'eux, doit renverser les vérités les plus respectables. Mais ils ne jouissent pas longtemps de ce vain triomphe. On leur répond, et les voilà confondus.

C'est le cas de celui dont Horace (1) parle :

Qui fragili quœrens illidere dentem, 0 f'fendit solido. . .

C'est en particulier le cas de votre philosophe. Rien de plus frivole que son objection. Je vous envoie trois ou quatre réponses, afin de lui en donner le choix. Elles sont toutes plausibles, je pourrais dire qu'elles sont toutes solides.

PREMIÈRE SOLUTION

Adam dut être surpris, à la naissance de Caïn, de voir qu'une masse informe, connue aujourd'hui sous le nom de placenta, lui tenait au nombril par un long cordon. Il est apparent qu'il n'osa pas y toucher, craignant que cette masse ne fit partie du corps de l'enfant.

Dans ce pays-ci un pareil placenta, plein de sang, à cause de la nour- riture plus forte ou plus abondante des femmes, contracterait bientôt

(1) Sat. II.

l'obstétrique et le culte 63

un principe de putréfaction; mais il y a lieu de croire que, dans le pays Adam était, plus chaud que le nôtre, il se dessécha, surtout si Ton fait attention qu'il devait être moins abreuvé de sang, à cause de la nourriture frugale d'Eve, qui se nourrissait de fruits. N'importe, suppo- sons qu'il tendit bientôt à la putréfaction, comme il ferait dans ce pays-ci ; Adam et Eve n'en durent pas longtemps être incommodés, car dès le cinquième au sixième jour, le cordon se détacha, et l'enfant fut débarrassé de ce corps étranger.

Adam profita sans doute de cette observation. Il comprit que cette masse n'appartenait point au corps de l'enfant, et qu'elle pouvait et devait en être détachée. Ainsi, profitant de ses réflexions, il coupa le cordon à Abel, son second fils, et voyant qu'il coulait du cordon quelque peu de sang, il le lia. Voilà donc la ligature et le retranche- ment du cordon connus et pratiqués par Adam dès la naissance de son second enfant, et voilà par conséquent le genre humain sauvé.

SECONDE SOLUTION

Adam connaissait la nature des animaux, puisque, dans le temps qu'il était au paradis terrestre, il leur avait imposé des noms à chacun, qui exprimaient leurs qualités (1). Il savait donc, pour l'avoir vu plus d'une fois, que les petits de tous les quadrupèdes naissaient avec une masse informe, qui tenait à leur nombril par le cordon ombilical. Il savait aussi que les femelles de ces animaux, même de ceux qui ne se nourrissaient point de chair, ajjrès avoir mis bas leurs petits, man- geaient cette masse ou placenta, coupaient le cordon avec leurs dents, et débarrassaient ainsi leurs petits.

Adam a pu profiter de ces exemples, quand sa' femme, chassée avec lui du paradis terrestre, commença à lui faire des enfants. Je ne prétends pas qu'Adam ait mangé leur arrière-faix, mais il a très bien pu couper le cordon avec ses dents. C'est ainsi que les sauvages du Brésil en usaient, quand les Français y abordèrent, comme le témoigne Jean Léry, dans Y Histoire de sa Navigation au Brésil, chap. XVI. Du moins Adam a-t-il pu juger que, puisqu'on pouvait, sans danger pour l'enfant, couper le cordon avec ses dents, on pouvait le couper de même de toute autre manière, ce qu'il aura fait. Il est vrai que voyant qu'il sortait du sang du bout qui tenait à l'enfant, il l'aura lié. Voilà donc la ligature et le retranchement du cordon établis, et voilà le genre humain sauvé de même dans cette seconde supposition.

(1) Genèse, II, 21.

G i HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

TROISIEME SOLUTION

Je vais plus loin encore, et je suppose qu'Adam, à qui l'arrière-faix et le cordon qui pendaient du nombril de Gain, déplaisaient, les arracha. Qu'en sera-t-il arrivé? la mort certaine de Caïn, vous a dit votre phi- losophe. Tel est le sentiment unanime de tous les médecins, à ce qu'il a prétendu, mais il se trompe. On arrache l'un et l'autre constamment à tous les veaux au moment de leur naissance, sans qu'il s'ensuive au- cune hémorrhagie. On les arrache de même aux jeunes cochons sans aucun danger. On l'a arraché plusieurs fois à des fœtus humains par imprudence, sans aucun accident funeste. On peut consulter les deux dissertations de Jean Henri Schulz, professeur en médecine à Hall, toutes deux dans la Collection des Thèses anatomiques de M. Haller, Tome V, l'une : De vasis umbilicalibus nalorum et adultorum, et l'autre : An umbilici deligatio in nuper natis absolutè necessaria fit ? il conclut négativement, et celle de Jean George Rœderer, professeur à Gottingue, et célèbre accoucheur, imprimée dans la seconde, partie de ses Opuscula medica, et intitulée : De funiculi umbilicalis deligatio7ie non absolutè necessaria. Dans ces dissertations, ces médecins citent plusieurs auteurs, qui ont pensé comme eux, et qui ont rapporté plu- sieurs observations d'enfants, à qui on n'a point fait la ligature, et qui n'en ont pas moins vécu.

Il est vrai qu'on oppose un grand nombre d'observations contraires, qui pourraient décider que la ligature du cordon a toujours été néces- saire., si c'était sur ce qu'on fait aujourd'hui à cet égard, qu'il fallut juger de ce qu'on faisait au commencement du monde. Mais il faut en juger sur un principe plus sûr. Dieu a pourvu à la conservation des petits de tous les quadrupèdes,, qui naissent avec un arrière-faix, comme les enfants, sans qu'ils aient besoin d'aucun secours. On a donc raison de conclure qu'il a eu pour le moins autant d'attention pour la conser- vation des enfants, qui sont le plus noble de ses ouvrages ; qu'il a par conséquent établi pour eux de sages règles dans l'ordre de la nature, pour opérer tout ce qui était nécessaire pour leur conservation; et qu'il n'a pas voulu laisser le soin aux hommes de pourvoir, par leur adresse, à ce qu'il semblerait avoir négligé de faire lui-même.

Cette conséquence devient presque une démonstration, si l'on com- pare le changement qui arrive au cordon, avec les autres changements qui s'opèrent dans le corps des enfants à leur naissance. Il fallait un canal artériel, et un trou oval pour entretenir la circulation du sang, tant que l'enfant devait demeurer dans le sein de sa mère sans respirer; mais ces communications deviennent inutiles dès qu'il commence à res- pirer, et c'est alors qu'elles se ferment d'elles-mêmes. Les vaisseaux om- bilicaux sont nécessaires de même pour la nourriture du fœtus avant

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

G5

sa naissance, mais ils n'ont plus d'usage dès qu'il est : ils doivent donc se fermer alors, et se fermer d'eux-mêmes, car il n'est pas digne de Dieu de penser qu'il ait laissé son ouvrage imparfait, et qu'il l'ait abandonné aux soins ou à l'adresse des hommes.

On peut entrevoir dans la conformation du corps des enfants la mé- canique destinée à opérer ce changement. Le cordon est formé, comme on sait, d'une veine et de deux artères (flg. 50). Pendant le séjour de l'en-

Fig. 50.

t: r.

A, A. Veine ombilicale entourée dos deux artères ombilicales, B, C.

fant dans le sein de sa mère, ces vaisseaux, nécessaires pour lui porter la nourriture, sont pleins de sang ; mais comme ils n'ont plus d'usage quand il est né, ces vaisseaux changent alors d'état. Rien ne coule par la veine, elle doit se resserrer par le ressort de ses tuniques. Dans les artères ombilicales, s'il coule encore du sang, il en coule bien peu, par

le changement arrivé dans la direction des artères iliaques, d'où elles prennent naissance.

Ces artères sont coudées pendant la -grossesse, parce que le fœtus étant ramassé en peloton (flg. 51), les cuisses en sontpliées contre le ventre. Dans cette position, le tronc de ces artères qui est au-dessous de ce coude, doit recevoir peu de sang, et la plus grande partie doit alors se détourner dans les artères ombilicales, dont l'origine est au-dessus du coude que font ces artères. Mais tout change dès que l'enfant est ; on allonge ses jambes, on ouvre au sang le chemin direct dans les iliaques, il n'en passe plus dans les artères ombilicales, ou il en passe peu, et par conséquent, ces artères vides, ou moins pleines, doivent, de même que la veine ombilicale, se resserrer par le ressort de leurs tuniques, et s'oblitérer.

Ce n'est pas encore tout. Le ressort du cercle tendineux, qui fait le contour de l'ouverture du nombril, était contrebalancé par la veine et les artères ombilicales, tant que ces vaisseaux étaient pleins de sang ;

Fie. 51. Pelotonnement du fœtus.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

66 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

mais dès que ces vaisseaux sont vides, ou moins remplis, ce ressort doit prendre le dessus, et en se resserrant, doit achever de resserrer ces vaisseaux jusqu'à empêcher tout écoulement de sang, ce qui donne le moyen d'arracher le cordon dans certains cas. ou du moins de négliger de le lier sans aucun danger, comme on l'a observé plusieurs fois.

Ces avantages devaient être fort grands dans les enfants de nos pre- miers pères, parce qu'Eve était sobre et laborieuse, fournissait peu de sang à ses enfants, et que leurs vaisseaux devaient être par conséquent moins dilatés. D'ailleurs, ces enfants étaient plus forts, avaient les fibres plus élastiques, et les tuniques de leurs vaisseaux devaient se resserrer plus vite et plus fortement. Ainsi dans les enfants d'Eve le cordon doit se resserrer de lui-même sans ligature. Cet avantage subsiste en- core dans les animaux, parce qu'ils continuent de se nourrir comme ils ont toujours fait. Il ne subsiste plus en nous, ou il subsiste bien rare- ment parce qu'on s'est écarté du régime de nos premiers parents. I s femmes grosses mangent beaucoup de viande, et d'autres aliments suc- culents, font par conséquent trop de sang, et en fournissent trop à leurs enfants, ce qui rend leurs vaisseaux ombilicaux trop gros. D'un autre •. la vie molle qu'elles mènent, fait que leurs enfants sont faibles - formés de fibres lâches et peu propres à resserrer ces gros vais- seaux, c'est pourquoi l'on est obligé de lier le cordon pour suppléer au défaut de ces deux causes.

Je finis. Monsieur, cette digression, et je conclus de ce que je viens de dire. qu'Adam a pu arracher le cordon de Caïn. sans aucun da::_ de lui nuire ; ni d e faire périr le genre humain ; comme votre Philosophe a voulu vous le faire craindre. Il est vrai que, comme il aura peut-être vu. qu'en arrachant ainsi le cordon, il suintait du nombril pendant quelque temps une sérosité sanguinolente, il aura pu prendre le r de lier le cordon de ses autres enfants, comme on le pratique jourd'hui.

Voilà. Monsieur, plusieurs solutions de la difficulté de votre Philo- sophe : vous pouvez lui laisser la liberté du choix, elles suut toutes plausibles et concluantes. Pour moi, Monsieur, je n'en adopte aucune, et vous en serez surpris; mais je crois qu'on peut répondre à votre Phi- losophe d'une manière plus générale et plus décisive, que je vais vous communiquer.

QUATRIÈME SOLUTION

Je crois, Monsieur, que celui qui a appris aux oiseaux qu'il avait et qui n'avaient jamais vu de nid, d'en construire un avec un art mer- veilleux pour y pondre ; solidement attachés aux branches des arbres, garnis en dedans de mousse, de laine, de plumes; proportionnés à la grosseur de leurs petits; que le même instruisit Adam et Eve de la conduite qu'ils devaient tenir à la naissance de leurs enfants pour les

l'obstétrique et le culte 67

conserver, supposé que leur ministère y fut nécessaire. Ce sera, si vousle voulez, parun instinct qui se sera dans la suite affaibli ou effacé (1), quand on a commencé d'agir par les lumières de la raison, et qu'on n'a plus eu besoin de s'en fier à l'instinct, ou ce qui me paraît plus plausible, ce sera par une révélation expresse ; mais il n'est pas appa- rent, que Dieu, qui a appris à tous les quadrupèdes ce qu'ils devaient faire pour sauver leurs petits à leur naissance, ait abandonné l'homme qui est la plus parfaite de ses créatures, à l'ignorance dans le même cas.

il n'y a rien de surprenant, que Dieu ait instruit Adam de ce qu'il fallait faire pour conserver les enfants qui lui naîtraient. Il est certain qu'il a daigné donner des instructions aux hommes dans ce commence- ment du monde sur des sujets bien moins importants. Adam, étant encore dans le Paradis terrestre, donna à toutes les espèces d'animaux un nom qui leur était propre {2). Il avait donc une langue, et une langue qui était abondante, dont il connaissait la valeur de tous les mots, et comment avait-il pu acquérir naturellement, et acquérir en si peu de temps, des connaissances qui sont le fruit d'un long usage et d'une pro- fonde sagesse. Caïn, fils aîné d'Adam, fut laboureur, et il offrit à Dieu les fruits de la terre; qui lui avait appris à cultiver la terre, qui lui avait montré les instruments nécessaires pour cela? Enfin Tubalcain, septième descendant d'Adam, exerça l'art de travailler avec le marteau, et fut habile en toute sorte d'ouvrage d'airain et de fer (3). On con- naissait donc dès ce temps-là le fer et l'airain, et comment pouvait-on les connaître ? Ces métaux sont cachés dans la terre sous une forme qui les rend méconnaissables, ce n'est que par des opérations répétées, qu'on les fait paraître sous leur forme naturelle. Du temps de Tubalcain avait-on pu trouver les mines qui fournissent fer et l'airain, et avait- on découvert le moyen de les préparer ? Certainement non. Comment rendre donc raison de tous ces faits, si ce n'est en reconnaissant que c'était Dieu qui avait appris à Adam la langue qu'il parlait ; à Caïn l'art et les moyens de cultiver la terre ; à Tubalcain les connaissances néces- saires pour trouver les métaux, les préparer et les travailler? et dans de pareilles circonstances, pourquoi ne dirions-nous pas de même, que Dieu avait appris à Adam ce qu'il fallait faire pour la conservation des enfants qui lui naissaient, supposez qu'il eut laissé quelque chose à faire à ses soins ?

(1) C'est ainsi que les pigeons et les tourterelles domestiques ont perdu l'instinct défaire des nids, depuis qu'on leur en fait, au lieu que les pigeons et les tourterelles sauvages l'ont conservé.

(2) Genèse, II, 19.

(3) Gen., IV, 22.

68 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

CINQUIEME SOLUTION

Jusqu'ici je n'ai fait, Monsieur, que vous fournir des moyens de ré- pondre à votre Philosophe. Il est temps de changer de rôle, et, en lui rétorquant son argument, de l'obliger à répondre lui-même. Ces Mes- sieurs se croient bien forts quand ils attaquent; mais ils sont bien faibles quand on les force à se défendre. Or il vous est facile d'y réduire votre Philosophe.

Le genre humain existe; il faut donc, ou qu'il ait commencé d'être par la volonté de Dieu, qui l'a créé, ou qu'il existe nécessairement et de toute éternité.

Si votre Philosophe prend le premier parti, son opinion ne différera de la croyance de l'Église, qu'en donnant trop d'ancienneté au monde, et en supposant qu'il y a cinquante, cent mille ans, qu'il a été créé. Dans cette supposition, vous lui ferez sur son Adam et sur son Eve. c'est-à-dire sur le premier homme et la première femme que Dieu créa, selon lui, il y a cent mille ans, l'objection qu'il vous fait sur votre Adam et votre Eve, créés il y a environ six mille ans, et vous lui déclarerez que vous vous servirez pour lui répondre, de ce qu'il adoptera lui-même pour se tirer d'embarras.

Que s'il prend l'autre parti, et qu'il ose soutenir que le genre humain existe nécessairement et de toute éternité, il faudra qu'il admette une série nécessaire et éternelle d'individus, tous contingents, ce qui est une absurdité palpable, qui renferme une contradiction manifeste, série nécessaire d'individus contingents. N'importe, Monsieur, n'in- cidentez pas. Les hommes de cette série, ou auront appris par des ob- servations répétées la nécessité de lier le cordon de leurs enfants, et, dans ce cas, avaut qu'ils ayent acquis cette connaissance, le genre humain aura eu tout le tems de périr, ou cette connaissance était en eux néces- saire et innée, ce qui est une nouvelle absurdité, dont il ne faut pas être surpris, car les absurdités s'appellent les unes les autres.

Dans ce cas, vous lui direz que vous admettez de même dans les pre- miers hommes de votre série créée, la même connaissance innée, mais non pas nécessaire, car c'est Dieu qui la leur aura donnée, c'est-à-dire que vous le battrez de ses propres armes, après en avoir ôté l'impiété qu'il y mettait.

Montrez cet écrit, Monsieur, à votre Philosophe. S'il veut bien le lire avec attention, j'espère qu'il rabattra de la confiance qu'il a dans ses opinions : mais je souhaiterais que mes réflexions eussent un succès plus heureux, et qu'elles pussent le ramener à la droite raison et l'enga- ger à avoir plus de respect pour les vérités révélées.

Je suis, etc.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

G9

Naissance d'Esau et de Jacob. Et\Isaac pria instamment l'Eternel pour sa femme, parce qu'elle était stérile.

Et l'Eternel fut fléchi par ses prières; et Rébecca, sa femme, conçut.

Mais les deux enfants s entrepoussaient dans son ventre: et elle dit : s'il est ainsi, pourquoi suis-je? Et elle alla consulter l'Eternel.

Et l'Eternel lui dit : « Deux nations sont dans ton ventre ; et deux « peuples sortiront de tes entrailles et seront divisés. Un de ces peuples « sera plus fort que l'autre, et le plus grand servira au moindre. »

Et lorsque le temps qu'elle devait accoucher fut arrivé, voici, il y avait deux jumeaux en son ventre.

Celui qui sortit le premier était roux, et tout velu comme un manteau de poil ; et ils l'appelèrent Esaii ; et après sortit son frère, tenant de sa maiu le talon d'Esau : c'est pourquoi il fut appelé Jacob (1).

Fig. 52. La naissance d'Esau et de Jacob, d'après une peinture de Benozzo Gozzoli. Campo Saute-

de Pise.

Ce qui, traduit de style divin en termes obstétricaux, signifie qu'Esaii se présenta par la tête et Jacob, très vraisemblablement, par la même extrémité, mais avec une procidence du bras. La naissance de ce dernier a pu s'effectuer spontanément, en raison du volume des

(1) Genèse, XXV, 21-2(J.

70 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

jumeaux qui est presque toujours au-dessous de la moyenne. Quant à la présence du talon d'Esaii dans la main de son frère, il ne faut voir qu'une exagération de langage expliquant la rapidité de la naissance du second enfant; autrement ce passage, pris au pied de la lettre, indiquerait que, contrairement à la règle, les deux enfants avaient une seule poche amniotique, ce qui semblerait confirmer l'opi- nion erronée de Viardel. Cet accoucheur, ami des bonnes mœurs, pré- tend, en effet, que les jumeaux du même sexe sont renfermés dans une poche unique, et que celle-ci est double quand les fœtus sont de sexe différent; et pourquoi? « afin », dit-il, « d'inspirer aux hommes, dès le premier moment de leur formation, des lois et des règles pour la chasteté ». C'est, selon lui, dans la matrice comme à l'église du village : côté des filles, côté des garçons. Le vertueux Viardel paraît ignorer que les jumeaux, même quand la nature, suivant son habitude commune, les a faits d'un sexe unique, sont le plus souvent isolés chacun dans une cavité distincte. La providence aurait-elle voulu mettre le fœtus en garde contre les aberrations amoureuses que la tradition reproche à Socrate ou à Sapho? Nous autres, gens de morale terre à terre, nous aimons mieux penser qu'en empêchant toute promiscuité, elle voulait éviter des enchevêtrements de mem- bres ou de cordons qui eussent été nuisibles à la mère et aux en- fants (1).

Des jumeaux quel est l'aîné ? Scientifiquement, et tout en réservant la question encore controversée de la superfétation, il n'y a pas lieu d'établir une différence d'âge entre eux, puisqu'ils sont conçus au même moment; civilement, il est pourtant nécessaire de fixer une règle : la jurisprudence hébraïque, avec laquelle s'accorde la nôtre, considérait comme l'aîné (de ante natus, avant), celui qui sortait le premier (2). Chacun sait de quel farineux indigeste Jacob paya son droit d'aînesse à Esaii.

Accouchements de Rachel et de la femme de Phinéès.

Et Jacob et Rachel partirent de Béthel, et il y avait encore quelque petit espace de pays pour venir à Ephrata lorsque Rachel enfanta. Et elle fut dans un grand travail ; et comme elle avait beaucoup de

(1) Newman a publié un cas de grossesse gémellaire, les fœtus étaient dans une seule poche. Or le cordon de l'un des enfants passait à, travers un nœud du cordon de l'autre et l'étranglement était tel que le premier est venu mort et le se- cond vivant.

(2) Pasquier dit que, de son temps, on écrivait ainsné, c'est-à-dire devant ains signifiait devant.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

peine à accoucher, la sage-femme lui dit: Ne crains point; car tu auras encore un fils.

Et, en expirant, car elle mourut, elle nomma l'enfant Bénoni, c'est-à- dire le fils de ma douleur; mais le père le nomma Benjamin, c'est-à- dire le fils delà droite, le bien-aimé.

C'est ainsi que mourut Rachel (1).

La mort de Rachel et celle de la bru d'Héli, dontnous-allons parler, prouvent qu'à cette époque lointaine, les accouchements n'étaient pas exempts de danger, et que la parturition difficile n'est pas, comme l'a avancé Pouchet, «un phénomène acquis par la civilisation. »

Ce passage indique aussi qu'on savait déjà que, la têle d'un enfant du sexe masculin étant plus volumineuse, un accouchement de longue durée présageait ordinairement la naissance d'un mâle. Il démontre, en outre, comme un autre passage que nous citerons bientôt, que l'in- dustrie des sages-femmes était connue des Hébreux ; ils donnaient à ces respectables matrones le nom de Majalledeth. Seulement il paraît probable que les Juives n'y avaient recours que dans les cas présen- tant une certaine gravité, et que, le plus souvent, elles accou- chaient seules. Les sages-femmes juives Sciphra et Puha, à qui le Pharaon d'Egypte demande pourquoi, malgré son ordre, elles ont laissé vivre les enfants mâles des Hébreux, répondent en ces termes:

C'est que les femmes des Hébreux ne sont point comme celles d'E- gypte; car elles sont vigoureuses, elles ont accouché avant que la sage- femme vienne chez elles (2) .

C'est ainsi qu'accoucha Jocabel, mère de Moïse ; elle se délivra elle- même, et cacha son fils pendant trois mois avant de l'exposer sur le Nil (3 .

C'est aussi sans assistance de matrones que la femme de Phinéès, fils du grand prêtre Héli, accoucha avant terme, en apprenant la mort de son mari et celle de son beau-père; il est vrai que la façon inatten- due dont se présenta le jeune Ichabod ne permettait guère d'avoir recours au ministère des spécialistes.

(1) Gen., XXXV. 16-19.

(2) E.vodcA, 19.

(3) On sait que sa jeune sœur le plaça dans une corbeille, l'abandonna au courant puis veilla sur lui; lorsque la fille de Pharaon le recueillit en se baignant, la sœur proposa alors pour nourrice la mère de Moïse : l'institution des nourrices existait donc déjà chez les Hébreux.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

La belle-fille d'Héli, qui était grosse et près d'accoucher, ayant appris la nouvelle que l'arche de Dieu était prise, et que son beau-père et son mari étaient morts, se courba et enfanta; car les douleurs lui sur- vinrent.

Et comme elle mourait, celles qui étaient près d'elle lui dirent: Ne crains point, car tu as enfanté un fils. Elle ne leur répondit rien, et n'y fit aucune attention (1).

Accouchement de Thamar. Et quelqu'un fit savoir à Thamar que Juda son beau-père montait à Thimnath pour tondre ses brebis.

Alors elle quitta ses habits de veuve et se couvrit d'un voile ; et s'en enveloppa, et s'assit dans un carrefour qui était sur le chemin de Thim- nath ; parce qu'elle voyait que Scéla, fils de Juda, et à qui elle avait été promise, était devenu grand et qu'elle ne lui avait point été donnée pour femme.

Et Juda l'ayant vue, il s'imagina que c'était une femme de mauvaise vie.

Et il se détourna vers elle au chemin elle était, et il dit : Permets, je te .prie, que je vienne vers toi; car il ne savait pas que ce fût sa belle- fille. Elle répondit: que me donnes-tu pour que tu viennes avec moi?

Et il dit : je t'enverrai un chevreau du troupeau. Et elle répondit: ce sera donc à cette condition, que tu me donnes des gages, jusqu'à ce que tu m'envoies ce chevreau.

Et il dit : Quel gage est-ce que je te donnerai? Elle répondit: Ton cachet, ton bracelet et le bâton que tu tiens à la main. Et il les lui donna; et il vint vers elle; et elle conçut de lui.

Mais trois mois après, on vint dire à Juda : Thamar, ta belle-fille est tombée dans la paillardise, et voici, elle est même enceinte. Et Juda dit : Qu'on la produise en public, afin qu'elle soit brûlée.

Et comme on la faisait sortir, elle envoya dire à son 'beau-père : J'ai conçu de celui à qui sont ces choses. Elle dit aussi: Reconnais, je te prie, à qui est ce cachet, ce bracelet et ce bâton.

Juda les ayant reconnus, dit: Elle est plus juste que moi; c'est parce que je ne l'ai point donnée à Scéla, mon fils. Et il ne la connut plus.

Et comme elle était sur le point d'accoucher, il parut qu'il y avait deux jumeaux dans son ventre, et dans le temps qu'elle enfantait, l'un deux donna la main, et la sage- femme la prit, et y lia un fil d'écarlate, disant: Celui-ci sort le premier.

Mais cet enfant ayant retiré sa main, l'autre sortit. Et elle dit : Pour- quoi as-tu rompu la membrane ? Rupture soit sur toi. Et on le nomma Phares.

(I) Itois, IV, 19, 20.

l'obstétrique et le culte 73

Ensuite son frère sortit, qui avait sur la main le fil d'écarlate, et on le nomma Zara (1).

Le docteur F. Imbert lut à l'Académie de médecine de Lyon, dans la séance du 6 décembre 1845, sur cet accouchement de Thamar, une dissertation intéressante, dont nous reproduisons les passages prin- cipaux.

. . . Cette narration commence par un point de diagnostic assez diffi- cile. Dès les premières douleurs, l'accoucheuse reconnaît qu'il y a deux enfants dans l'utérus. On donne pour signe de ces grossesses doubles : le volume du ventre, sa forme bilobée. Le toucher abdominal peut faire reconnaître deux fœtus et leur situation. Les mouvements sont forts et tumultueux. Us étaient tels, dans la grossesse de Rébecca, que l'on put croire que les deux enfants se battaient dans le sein de leur mère, et que Ton y vitlo présage des guerres acharnées que se feraient les deux nations dont ils devaient être la souche. Le ballottement est plus obscur que dans une grossesse simple. Malgré ces caractères, Désormeaux s'y est trompé, et beaucoup d'autres praticiens avec lui. Cependant, avec de l'expérience et de l'attention, on peut éviter cette erreur. C'est ce qui arriva pour Thamar. Peut-être, dira-t-on, quïl n'y a pas eu de diagnostic, que c'est l'événement qui a montré la pré- sence de deux enfants. Le mot apparuerunt de la Vulgate ne signifie pas qu'ils furent reconnus, et la traduction littérale dit : erant. Ecce gemini erant in utero ejus (2).. Ces mots peuvent, en effet, laisser quelques doutes sur ce point; mais la suite les explique, et rend le sens parfaitement clair. La sage-femme avait si bien reconnu qu'il y avait deux enfants, que, voyant l'un d'eux présenter le bras, elle le saisit, y attacha un ruban rouge, et dit : « Voilà l'aîné. » Ainsi, le diagnostic était bien établi avant l'accouchement, on savait qu'il y avait deux enfants avant qu'ils fussent sortis du sein de leur mère. C'est, du reste, ce que dit formellement la Genèse: Instante autempartu, apparuerunt gemini in utero (3).

Le second point noté par l'auteur sacré, c'est la présentation. Elle est, en effet, remarquable : l'un des jumeaux présente un bras. Mais il arrive que l'autre descend en même temps, probablement par la tête ; le bras remonte un peu, et c'est l'enfant qui a paru le second qui sort le premier. Moïse décrit ici les phénomènes naturels de l'accouchement. Tout s'opère par les seuls efforts de la nature, la sage-femme ne fait rien, elle se borne à mettre un cordon rouge sur la main qui est sortie.

(1) Gen., XXXVIII, 13-18, 2i-30.

(2) 11 y avait deux jumeaux dans son ventre.

(3) L'accouchement étant imminent , il parut qu'il y avait deux jumeaux dans son ventre.

t\ HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Il y a beaucoup do science dans cette expectation; en effet, la sortie d'un bras peut avoir lieu dans deux circonstances. tout à fait différentes; ou bien l'enfant est placé en travers, le bras qui sort fait un angle droit avec le tronc ; ou bien l'enfant présente la tète, le bras est relevé, placé sur ses côtés et descend avec elle. Dans le premier cas, l'accouchement est impossible. Le foetus dans l'utérus est replié sur lui-même, de manière à représenter un ovoïde ; il ne peut en sortir qu'autant qu'une des extrémités de cet ovoïde s'engage dans le canal pelvien. S'il s'y présente par son grand diamètre, tout retard est inutile ou dangereux; il faut changer cette position vicieuse, il faut faire la version. Dans le second cas, la sortie du bras ne change rien à l'accouchement ; elle le retarde un peu chez les primipares, mais cette circonstance ne l'empê- che pas de se terminer naturellement. Il est donc bien important de distinguer ces deux états, puisque dans l'un il n'y a rien à faire, tandis que dans l'autre, il est indispensable de pratiquer une opération souvent difficile et dangereuse.

La sage-femme ne s'y trompe pas; seulement, il paraît qu'elle ne se doute pas que le bras et la tête n'appartenaient pas au même enfant; mais cela était difficile et ne changeait rien à ce qu'elle avait à faire. En raisonnant d'après les probabilités, elle devait croire qu'il n'en était pas ainsi, car le plus souvent les deux enfants ont une position inverse, c'est-à-dire que la tête de l'un correspond aux pieds de l'autre. C'est ce qui eut lieu dans l'accouchement de Rébecca, et c'est ce que la Bible exprime en disant que Jacob vint au monde tenant Esaû par le talon.

Mais nous avons dit que l'accoucheuse avait placé un cordon rouge sur la main qui s'était présentée. Dans quel but attacha-t-elle ce cor- don? 11 semble que la réponse à cette question est facile. Au premier coup d'oeil, le texte ne laisse aucun doute à ce sujet; elle attache le ruban et dit: « Voilà celui qui sortira le premier ». Il s'agissait donc simplement d'établir l'ordre de la naissance et, par conséquent, le droit de primogéniture.

Ce droit était, en effet, bien reconnu chez les Hébreux; l'histoire de Jacob et d'Esaù en fait foi. Il y avait beaucoup de privilèges accordés aux aînés. Les dignités de chefs, de pontifes, leur étaient réservées (1). Les jeunes gens que Moïse choisit pour offrir des victimes étaient tous les fils aînés des principaux Israélites (2). Dans les successions, l'aîné prenait une part double, et il avait une autorité presque paternelle sur les autres enfants (3). Il y avait de plus, dans la famille d'Abraham, une bénédiction particulière qu'on croyait appartenir à l'aîné : Dieu avait promis à Abraham que le Sauveur naîtrait de lui par les. descendants

(1) L'exemple d'Aaron et de Moïse est une exception qui n'empêche paa la règle générale. Genèse, 20, 4!).

(2) Exode, XXTV, 5.

(H) Dcvtéronomc, XXI, 1*7.

l'obstétrique et le culte 75

d'Isaac, et l'on était persuadé que c'était à l'aîné que cet honneur était réservé. Voilà donc des raisons bien fortes à l'appui de l'interprétation donnée à la manière d'agir de la sage-femme.

Malgré cela, était-il donc nécessaire de se hâter ainsi ? Ne pouvait- elle pas attendre que l'enfant fût sorti pour le marquer. Cette précipita- tion l'exposait à se tromper, et c'est, en effet, ce qui arriva.

Un accoucheur pourrait donner une autre explication de cette liga- ture, et la voici : quand un bras se présente dans un accouchement, ou bien, comme je l'ai dit tout à l'heure, la tête descend avec lui, ou le fœtus est placé en travers. Dans le premier cas, l'accouchement est naturel ; dans le second, il faut pratiquer la version. Mais, dans l'un et l'autre cas, on doit placer un lacs sur le bras qui est sorti. Dans les pré- sentations céphaliques, on se sert de ce lacs pour tirer sur lui au moment de la douleur et aider au passage de la tête, rendu plus difficile par la présence du membre supérieur. Dans les présentations de l'épaule ce lacs est bien plus nécessaire; car, après la version, à mesure que le tronc descend, les bras se relèvent sur les côtés de la tête. Il faut aller les chercher, les faire sortir l'un après l'autre, et ce n'est pas la partie la moins délicate, la moins douloureuse de l'opération. Mais si on a pu appliquer un lacs sur le poignet, il suffit de tirer sur lui pour faire des- cendre le bras, et on a Favautage de faciliter la sortie du second, d'éviter les accidents, car très souvent les os délicats du fœtus se brisent dans les efforts qu'on fait pour abaisser l'humérus, d'abréger la durée de l'opération, point important clans cette circonstance, car le cordon est comprimé entre le corps de l'enfant et le bassin de la mère et si les manœuvres se prolongent, l'enfant meurt asphyxié.

Ainsi, si un cas semblable à celui de Thamar se présentait, il faudrait faire comme la sage-femme, appliquer un lacs, un ruban sur le poignet. Il conviendrait même que ce ruban fût rouge comme celui dont elle se servit, coccinum, pour que le sang qui s'écoule ne paraisse par sur lui et n'affecte pas la malade et les assistants. C'est une précaution qu'on a, ou plutôt qu'on avait dans l'opération de la saignée, et cet usage mérite d'être conservé.

Telle est l'interprétation qu'on peut donner à la conduite de la sage- femme. J'hésite à attribuer à une époque si éloignée de nous, des con- naissances qu'on est accoutumé à regarder comme le résultat des tra- vaux et de l'expérience des modernes. Mais la manière de faire est la même. Si les motifs sont différents, on m'accordera qu'il y a dans les faits une singulière coïncidence.

On sait ce qui arriva. L'enfant qui avait présenté le bras ne sortit pas le premier, comme la sage-femme l'avait pensé. Les phénomènes de cette parturition sont parfaitement indiqués; le bras qui avait paru remonte un peu, et le second enfant s'échappe. La sage-femme, piquée de s'être trompée, interpelle ce premier-né, et lui dit : « Quare divisa estpropter te maceria? » Ce passage a été diversement traduit etinter-

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

prêté. Paguin dit simplement : Cur divisisti ? Vatable ajoute pour paraphrase : Cur menbranam qua operiebaris rupisti ? Hoc est, cur, ruptis secundinis, prior egressus es ? et les traducteurs français, sui- vant le sens latin, ont dit : Quelle ouverture Ves-tu faite (1). Quelle brèche as-tu faite (2)? Pourquoi as-tu divisé ainsi la cloison qui vous séparait (3)? Toutes ces interprétations sont vagues ou fausses. La sage-femme ne peut pas dire à l'enfant : Pourquoi as-tu rompu la poche des eaux? puisque le bras de son frère était déjà sorti, il fallait bien que la poche fût rompue. Et le contre- sens est bien plus frappant encore, quand Corneille Lapierre ajoute qu'il est reconnu en anatomie que les jumeaux du même sexe n'ont qu'une seule enveloppe. Cette opinion qu'on trouve, en effet, dans Fernel, dans Roderic de Castro (4), est une erreur que les progrès de l'anatomie ont dissipée. Les sexes n'ont aucun rapport avec le sac amniotique, et ce que ces auteurs regardaient comme la règle est devenu l'exception ; c'est-à-dire que quelquefois on trouve deux enfants renfermés dans les mêmes membranes, mais que, le plus souvent, dans les grossesses doubles, chaque foetus a son placenta et sa poche des eaux. C'est ce que savait la sage-femme de Thamar, et pour cela elle n'avait pas besoin de ces connaissances anatomiques qui ne sont ni de son sexe ni de son temps, il lui suffisait d'avoir pratiqué, d'avoir vu d'autres accouchements doubles, ce qui ne devait pas être rare ; car quelques rabbins, pour expliquer la multiplication prodigieuse des juifs, sont allésjusqu'à dire que les femmes faisaient ordinairement trois ou quatre enfants (5). Elle avait pu remarquer aisément alors, qu'après la sortie des eaux et du premier enfant, une nouvelle poche se rompait et donnait issue à de nouvelles eaux. C'est ce que l'hébreu exprime fort bien en disant : Quare rupisti super te rupturam? expres- sion que ne rend pas du tout la Vulgate, en traduisant : Quare divisa est pr opter te maceria? Cette répétition, ce rapprochement de rupisti et de rupturam sont, selon moi, très clairs. L'accoucheuse dit à l'enfant : Pourquoi as-tu rompu, quand il y avait déjà une rupture ? Pourquoi as-tu ajouté une rupture à une rupture ? Pourquoi as-tu rompu les membranes pour sortir le premier, quand ton frère avait déjà déchiré les siennes ? Et elle ajoute : Pour cette raison tu t'appelleras Phares ; expression qui entraîne l'idée de division, de déchirement, et que nous retrouvons dans ce sens dans la fameuse inscription du festin de Bal- thazar : Manè, Thécel, Phares : Ton empire sera saccagé et divisé ; expression, enfin, qui n'aurait plus de sens, si la sage-femme avait cru, comme les commentateurs, que les deux enfants étaient renfermés dans

(1) Bible de Cologne.

(2) Bille de Bûle.

(3) Sacy. Carriees.

(4) Et dans Viardel, voir page 70.

(5) Et quelquefois même sept suivant Aben-Ezra. Histoire universelle, traduite de l'anglais, tome 1], page 186.

l'obstétrique et le culte 77

les mêmes membranes, puisqu'elles étaient rompues déjà par le bras qui s'était présenté.

Son frère vint ensuite, portant au poignet le cordon rouge qui y avait été attaché, il fut nommé Zara. Phares fut, comme on sait, un des ancê- tres du Christ, et c'est pour cela, disent les commentateurs, que Moïse entre dans des détails aussi minutieux sur sa naissance.

On a l'habitude de citer la naissance de Zara comme le premier exemple de version spontanée.

Grossesse tardive de Sara. Sara, femme d'Abraham, était arrivée jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans sans avoir eu d'en- fant, lorsque deux anges, sous la forme d'hommes, lui apparurent et lui annoncèrent que malgré son grand âge elle serait mère.

Or Abraham et Sara étaient vieux et avancés en âge ; et Sara n'avait plus ce que les femmes ont coutume d'avoir.

Et Sara rit en soi-même disant : Etant vieille, aurai-je cette satisfac- tion? Mon Seigneur étant fort âgé ! (1).

Sara se montrait bonne physiologiste : il est, en effet, impossible qu'une femme soit fécondée après avoir perdu ses règles. Cependant la promesse des anges fut tenue .

Sara donc conçut et enfanta un fils à Abraham en sa vieillesse et dans la saison que Dieu lui avait dit (2). Ce fils était Isaac.

B. lois et coutumes hébraïques

Loi contre les blessures faites aux femmes en- ceintes. — Si des hommes se battent, et frappent une femme enceinte et qu'elle en accouche, et que cependant elle ne meure pas elle-même, celui qui l'a frappée sera obligé de payer ce que le mari de la femme voudra, et ce qui aura été ordonné par les juges. Mais si la femme en meurt, tu donneras vie pour vie, Œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied (3).

(1) Genèse, XVIII, n, 12.

(2) Id., XXI, 2.

(3j Exode, XXI, 22-24.

78 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

La femme grosse, comme le fait observer Mattei, était au nombre des personnes qu'on devait respecter, même dans les combats, et l'on cite comme un rare exemple celui de Menahiem, usurpateur du trône d'Israël, qui ayant vaincu la ville de Tiphsha, tua jusqu'aux femmes en- ceintes^;.De nosjours encore, dans toutesles nations, si unecondamnée à mort est enceinte, on attend son accouche ment pour lui faire subir sa peine. En 1790,1e maire de Paris demanda que les femmes enceintes ne fussent pas mises au carcan (2). La loi de Moïse s'appliquait même aux animaux ; on ne sacrifiait pas dans les temples les femelles qui portaient. Chez les Indous, la femme en état de grossesse était dis- pensée de se jeter dans le bûcher, à la mort de son mari. A Rome, une femme ne pouvait subir la torture que quarante jours après l'accouchement.

De la loi hébraïque, dont nous venons de parler, nous rapproche- rons l'article du code annamite qui prévoit les blessures portées aux organes génitaux de la femme: « Si, après la guérison, dit A. Mon- dière dans sa Monographie de la femme de la Cochinchine, il y a inaptitude reconnue à la conception, le coupable est condamné à cent coups de bâtons, à l'exil, à 2,000 lis et, en outre, à donner à la vic- time la moitié de ses biens ». C'est parfait ; mais si la femme, de son côté, inflige aux organes de l'homme une de ces blessures que nos confrères delà marine ont trop souvent l'occasion de panser, qu'a-t- elle à payer? Rien, pas même le pharmacien.

Lois pour la purification des nouvelles accou- chées. — L'Eternel parla encore à Moïse, et lui dit :

Parle aux enfants d'Israël et dis leur : Si une femme, ayant conçu, enfante un mâle, elle sera impure pendant sept jours ; elle sera impure comme au temps de ses mois.

Et le huitième jour, on circoncira le prépuce de l'enfant.

Et elle demeurera pendant trente-trois jours pour être purifiée de son sang; elle ne touchera aucune chose sacrée et elle n'entrera point dans le sanctuaire, jusqu'à ce que les jours de sa purification soient accom- plis.

Si elle enfante une fille, elle sera impure deux semaines, comme au

(1) Rois, liv. II, ch. XV, v. 16.

(2) La Sainte Inquisition seule ne respectait pas cette loi humanitaire : en 1551,1e 14 juin, une femme, quoiqu'enceinte, fut condamnée à être pendue avec Bon mari, et subit la sentence. Deux heures après l'exécution, le cadavre de la mère donna le jour à deux enfants vivants. (Eber, in suo Calendario, et Horstius.)

L'OBSTETRIQUE ET LE CULTE

70

temps de ses mois, et elle demeurera soixante et six jours pour être purifiée de son sang.

Lorscpue les jours de sa purification auront été accomplis, soit pour un fils, soit pour une fille, elle portera au sacrificateur à l'entrée du taber-

80

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

nacle du témoignage, un agneau d'un an, pour être offert en holocauste, et, pour le péché, un pigeonneau ou une tourterelle.

Et le sacrificateur offrira cela devant l'Eternel et fera propitiation pour elle ; et elle sera nettoyée du flux de son sang. Telle est la loi pour celle qui enfante un mâle ou une fille.

Si elle n'a le moyen de trouver un agneau, elle prendra deux tour- terelles ou deux pigeonneaux; l'un pour l'holocauste, et l'autre en of- frande pour le péché ; et le sacrificateur fera propitiation pour elle, et elle sera ainsi purifiée (1).

Fig. 54.

Sepher Tora, ou rouleau de la Loi ouvert.

Fig. 55. Rouleau de la Loi fermé, entouré d'un ruban.

Ce fut le cas de Marie, lors de la présentation au Temple (fig. 53). Le prêtre immolait l'un de ces oiseaux dans un vase de terre, trem- pait l'autre dans le sang du premier, faisait sept aspersions sur la femme, la déclarait pure et lâchait l'oiseau.

(1) Lèvitique, XII, 1-8.

l'obstétrique et le culte 81

Bois de vie. Les Juifs appellent ainsi les deux bâtons qui tiennent roulée la bande sur laquelle est écrit le livre de leur Loi (ftg. 54, 55).

Si l'on en croit Collin de Plancy, ces bâtons seraient à la fois bâtons d'aveugle et bâtons d'invalide : leur simple attouchement suffirait pour affermir la vue et rendre la santé. Il n'est pas permis aux parlurientes de toucher les bois de vie ; mais les contempler, rend l'accouchement plus facile. Peut-être aussi le spectacle d'une noble rigidité offre-t-il aux maris un exemple bon à suivre.

D'ailleurs, dans les textes anciens, il n'est fait aucune allusion à celle coutume, pas plus qu'au moyen indiqué par un mauvais plai- sant, comme le plus efficace pour activer la couche laborieuse d'une Juive : présenter à l'orifice vulvaire une pièce de monnaie.

Lilith. Les Romains craignaient Sylvain ; les Juives redou- taient Lililh, prince des démons succubes, très friand du sang des nouveau-nés. C'est pourquoi, au dire de Don Galmet dans sa Disser- tation sur les apparitions, les Juifs, pour éloigner ces démons, écri- vent aux quatre coins de la chambre d'une nouvelle accouchée : Adam, Havah, Chulz, Lililh, c'est-à-dire Adam, Eve, hors d'ici Lililh; en dedans de la porte, on inscrit les noms de trois démons Senoi, Sansenoi, Samangeloph. Celte dernière coutume, pas plus que la précédente, ne semble avoir été de l'époque biblique. Ajoutons aussi que l'intarissable Dom Calmet passe pour avoir été un peu cré- dule.

III. l'obstétrique catholique

SUR LA NAISSANCE DE QUELQUES SAINTS PERSONNAGES

Naissance de Sainte Anne. Ni Mathieu, ni Marc, ni Luc, ni Jean n'ayant eu la galanterie de nous apprendre quel nom portait la mère de la Vierge, au VI8 siècle on décréta qu'elle s'appelait Anne et son époux Joachim. Va donc pour Anne et Joachim.

Une légende du XIIIe siècle, signalée dans un curieux ouvrage de Leroux de Lincy, le Livre des Légendes, transporte, mille ans après le péché, l'arbre de vie dans le Jardin d'Abraham. La fille du patriar-

HlSTOiriE DES ACCOUCHEMENTS. 6

82 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

che respire le parfum d'une fleur de cet arbre et se trouve enceinte : elle prouve aux Juifs son innocence en passant sur un brasier ardent, dont les tisons se changent en fleurs sous ses pas. Un enfant naquit, reçut le nom de Fanovel; un jour, en coupant un fruit de l'arbre de vie pour guérir un malade, il essuya sur sa cuisse le couteau dont il s'était servi et s'inocula, par inadvertance, un suc générateur qui fit enfler la cuisse : il en sortit, au bout de neuf mois, une jeune fille, Anne, qu'il donna plus tard en mariage à un chevalier du nom de Joachim ; Marie naquit de cette union.

Une autre légende, publiée en 1501, donne Emérantiane pour mère à Sainte Anne. Elle avait soixante et un an quand elle conçut sa fille, et son mari, Stolano, en avait soixante-dix. A la naissance de l'en- fant, « il parut », dit la légende, « sur la poitrine dudit enfant, quatre lettres d'or faisant nom d'Anne. Ce nom était resplendissant comme pierres précieuses ».

Accouchement de Sainte Anne. Au XIXe siècle, la théo- logie a posé en dogme que le fruit d'Anne et de Joachim avait été conçu sans la tache du péché originel (1). Celle question qui, au moyen âge, avait soulevé des querelles fameuses entre dominicains et fran- ciscains (2), n'émeut plus guère que quelques rares dévols. Gomme d'ailleurs les misérables lumières humaines du praticien ne lui per- mettent pas de distinguer si l'enfant, à sa naissance, porte ou non trace de la faute originelle, nous avouerons que les couches de Sainte Anne manquent ici d'intérêt.

Sainte Anne accoucha-t-elle? On montrait, et peut-être montre- t-on encore à Jérusalem, une espèce de grotte la Vierge aurait vu le jour : suivant quelques hagiographies, nul infidèle n'aurait pu y mettre le pied sans être frappé de mort.

L'ignorance complète des circonstances qui ont environné la nais- sance de la Vierge, a laissé un libre champ aux artistes qui, voulant les retracer, ont pu suivre les inspirations de leur génie ou de leur piété. Ainsi, ils font volontiers naître la Vierge dans un palais, vou- lant peut-êlre établir un contraste entre les couches de la mère (fig. 56) et celles de la fille qui eurent lieu dans une étable (fig. 62). On peut

(1) C'est le dogme de Y Immaculée Conception. Un ordre religieux en l'honneur de ce dogme a été fondé en Espagne, l'an 1484, par Béatrix da Silva, parente d'Isa- belle de Castille.

(2) Kobert Gaguin, docteur en Sorboune, général des Mathurins, composa au XV* siècle un poème latin sur Y Immaculée Conception ; de bonne foi, ce religieux a écrit, sous prétexte de piété, un ouvrage assez indécent.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

83

même trouver dans la fresque du Ghirlandajo, que nous reproduisons, une richesse d'ornements peu en rapport avec la fortune que la tradi-

tion prêle à la famille de la Sainte Vierge. La composition est d'ail- leurs curieuse : sur le premier plan, trois femmes sont occupées à donner les premiers soins à l'enfant nouveau-né ; d'autres, se pré-

81

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

FlG.

PAGEMAKER- FILS S.ZiBTBLUM )o*

- Naissance de la Vierge, d'après Zeitblom (Peinture à l'huile sur panneau, de la galerie de Sigmaringen).

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

8;

sentent pour offrir leurs hommages à la future mère de Dieu. Anne est à demi couchée, au second plan à droite. A gauche, sur l'escalier, Joachim reçoit les félicitations d'usage.

Fig. 58. La Nativité do la Vierge, d'après Albert Durer. %

8 6

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

D'autres peintres, comme Zeitblom (fi r. 57), Albert Durer (fig. 58),

Fin. 5i). Naissance do la Vierge, d'après Jean do Milan. (Peinture de la Chapelle Renuccmi, l'église Sainte -Croix do Florence.)

Fig. CO. Naissance de la Vierge, d'après Murillo.

Jean de Milan (fig. 59) et Murillo (fig. GO), font accoucher la mère de

l'obstétrique et le culte 87

Marie dans un milieu plus modeste; ils empruntent à leur époque le costume et le mobilier et représentent en quelque sorte une scène d'accouchement de leur temps : cet anachronisme peut fournir des renseignements sur les mœurs obstétricales dans les pays et au siècle ils vivaient.

Il est question de l'accouchement d'Anne dans un mystère du moyen âge sur La conception de la Vierge et la nativité d'icelle. Voici l'analyse de cette pièce, d'après J. Gouriet : Les deux époux, Anne et Joachim, implorent l'assistance de Dieu, un ange leur apparaît et leur prédit la naissance de Marie qui sera mère de Jésus. Après une si longue stérilité, ils ont peine à le croire ; mais aussitôt, Anne sent des douleurs : elle se couche, tire les custodes et enfante Marie. Tandis qu'Anne accouche, la chambrière dit à Joachim :

Joués de retraicte,

Monsieur, s'il vous plaist, car madame D'elle-mesme est tendre femme ; Et n'est point requis qu'on tempeste A l'accouchée ainsi la teste, Et n'a que faire de blazon (1).

Aussitôt accouchée, Anne s'adresse ainsi à Marie :

Tu estant beLle,

Jamais de telle

Ne fut au monde ;

Gente pucelle

De Dieu ancelle (2)

Très pure et monde ;

Tu es féconde,

Nulle seconde Et n'auras, doulce columbelle : Car la grâce de Dieu redonde Joue aux cieulx, et superabonde: Anges chantent de la nouvelle.

Et la chambrière reprend :

Ainsy que une luysante estoille, Sa face reluit, ma maîtresse : Mais donnez-lui votre mamelle.

(1) Bruit.

(2) Servante.

88

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Grossesse de la Vierge. La grossesse de la Vierge, à part son origine spirituelle, ne présente rien d'anormal. Sa durée, d'après

Fig. 61. I-a Visitation, d'après Raphaël.

Saint Augustin,' fut de 273 jours, soit trois jours de plus que les neuf

l'obstétrique et le culte 89

mois ordinaires. Rien donc de particulier à signaler au point de vue physiologique. Nous voudrions seulement présenter une critique, non d'esthéticien, Dieu merci ! mais d'humble gynécologue, sur la ma- nière dont les peintres ont interprété le récitdeSaint Luc, au sujet de la Visitation. L'évangéliste raconte qu'après avoir reçu le message de l'ange lui annonçant qu'elle mettrait au monde le fils de Dieu :

Marie se leva et s'en alla en diligence au pays des montagnes dans une ville de la tribu de Juda. Et étant entrée dans la maison de Zacharie, elle salua Elisabeth. Et aussitôt qu'Elisabeth eût entendu la salutation de Marie, son petit enfant tressaillit dans son sein... (1).

Or, l'ange avait annoncé à Marie que sa cousine Elisabeth était enceinte de six mois (2) ; la Vierge au contraire n'était qu'au début de sa grossesse miraculeuse ; celle-ci devait donc n'être pas encore visible, tandis qu'Elisabeth devait déjà avoir un abdomen proéminent. Or, tous les artistes qui ont. traité ce sujet de la Visitation, et ils sont nombreux, donnent à Marie le ventre que devrait avoir Elisabeth. Il est vrai qu'ils dissimulent, autant que possible, les traces de l'opération du Saint-Esprit, en drapant les vêtements, comme ont fait Rubens, André Sabbatini, Sébastien del Piombo, ou encore par la position du corps, en faisant fléchir une cuisse, le pied posé sur une marche d'escalier, ou même en la montrant presque de dos comme Federigo Baroccio. Seul Raphaël n'emploie aucun artifice et montre la Vierge, avec le développement du ventre et des seins d'une femme à terme (fig. 61). Quant à Elisabeth, sa tournure ne révèle en aucune façon sa position (3).

Accouchement de Marie. Comme on le sait, Marie accou- cha dans une étable de Bethléem ; le berceau de l'enfant-Dieu fut misérable (4).

(1) I, 39-41. Remarquons en passant qu'Elisabeth semble avoir senti remuer son enfant pour la première fois à l'arrivée de Marie, c'est-à-dire dans son sixième mois de grossesse ; or, habituellement, les premiers mouvements foetaux sont perçus beaucoup plus tôt, vers quatre mois et demi.

(2) I, 3G. « Et voilà Elisabeth, ta cousine, qui a aussi conçu un fils en sa vieil- lesse ; et c'est le sixième mois de la grossesse de celle qui était appelée stérile ».

(3) Certains artistes, pour dépeindre le « tressaillement » dont parle Saint Luc, ont poussé le réalisme jusqu'à représenter le petit Saint Jean et le petit Jésus dans le sein ouvert de leurs mères ; nous en reparlerons en étudiant les uicco licitement s dans les Beavx-Arts.

(4) A Sainte-Marie-Majeure, on vénère le berceau de Jésus-Christ, mais les magni- fiques plaques d'argent dont il est orné ne ressemblent en rien à l'auge tradition- nelle de la sainte étable, que Bethléem a la prétention de posséder seule. Les langes Jésus-Christ fut emmailloté, sont encore visibles à Rome, dans l'église de Saint-

90 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

L'absence de documents sur l'accouchement de Marie, nous oblige à nous en tenir aux racontars des vieux Noëls et des anciens cantiques du moyen âge. La Grande Bible de Noëls dit qu'au moment Marie se dispose à accoucher, Joseph veut aller quérir une sage-femme: Marie s'y oppose en ces termes:

Cher Joseph, reposez-vous, Et nous mettons à genoux.

Ce à quoi Joseph répond avec surprise:

Croyez-vous, madame, Qu'ainsi vous accoucherez, Sans aucune femme, Et que vous enfanterez En demeurant à genoux? Comment donc l'entendez-vous?

L'accouchement de la Vierge est la meilleure réponse aux objec- tions de son époux. Cette tradition d'un accouchement à genoux semble avoir été commun jadis ; en effet, dans les Chansons et Noëls nouveaux, par Lucas Le Moigne, curé de St-George-du-Puy, nous trouvons ce qui suit:

Ainsi la Vierge pucelle, Le doux sauveur enfanta; Joseph lui tint la chandelle, Qui tout tremblant regarda.

Paul. En Lorraine, on honorait le saint foin qui fut mis dans la crèche. Enfin, à Home, on adore le cordon ombilical de Jésus-Christ, divisé en deux parties ; la plus considérable est à Saint-Jean de Latran, l'autre à Sainte-Marie-du-Peuple. A toutes ces précieuses reliques, nous pouvons ajouter le lait de la Sainte Vierge. « 11 n'y a, dit Henri Estienne, si petite villette, ni si méchant couvent, soit de moines, soit de nonnains, l'on montre du lait de la Sainte Vierge, les uns plus, les autres moins. Tant y a, que si la Sainte Vierge eût été une vache, ou qu'elle eût été nourrice toute sa vie, à grande peine en eut-elle pu rendre une si grande quantité». Collin de Plancy parle de la Grotte du lait de la Vierge, près de Bethléem. « On raconte, dit-il, qu'en attendant son époux, Marie donna à teter à l'enfant Jésus, et que quelques gouttes de son lait tombèrent, sur un petit rocher qui s'amollit. Depuis ce temps, les nourrices qui manquent de lait vont à la grotte, raclent un peu de poudre du rocher qui est devenu tout blanc, le boivent dans du vin ou dans du bouil- lon, et sentent aussitôt leurs mamelles se remplir. Les femmes turques mêmes recourent à ce remède miraculeux ; et l'on assure que si un homme avait l'impru- dence de boire quelque peu de cette poudre du rocher de la Vierge, il lui pousserait incontinent des tétons pleins de lait. Nous rapportons toutes ces choses sur le témoi- gnage de trois moines: Voyage du Père Nau en Terre- Sainte, liv. IV, chap. XIV. Voyage du Père Goujon, page 276.— Voyage d' un franciscain. Paris, 1760, lr0 partie, chap. 33. »

L OBSTETRIQUE ET LE GUI-TE

91

Ces quatre vers pourraient servir de légende au tableau de

Zriililom Rût. (>2), représentant la naissance de Jésus.

EAGOTEFL *4

B.ZE.LTELCM tC

r.Miwcr lAMUtsC

Fie. Ci. Naissons du Clnist, d'aurcs Zcitbom, peinture à l'huile sur panneau de la galerie de

Sipmaringcn.

92 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Donc la Vierge aurait accouché à genoux (1), tout comme Léto à Délos. Malheureusement les documents manquent d'autorité. Quant à l'absence de toute sage-femme aux couches de la Vierge, on y pour- rait presque trouver de la couleur locale. Nous avons vu déjà, d'a- près la réponse de Sciphra et Puha au Pharaon, que les femmes des Hébreux savaient se passer d'aide dans eetle circonstance. Un autre cantique du recueil, cité en dernier lieu, fait allusion à ce détail. Marie dialogue avec une commère qui lui demande:

Pour accoucher, madame,

Fut-il besoin De quelque sage-femme?

N'en vint-il point? Sentîtes-vous les douleurs et tranchées

Des autres accouchées

Quand ce vint à ce point?

A quoi Marie répond :

Ma grossesse était sainte

Et sans péché; Sans douleur et sans plainte,

J'ai accouché Contre les lois de toute la nature,

D'une manière pure

Mon fils s'est détaché.

Le Koran aussi fait accoucher Marie à genoux, comme Léto, et complète la ressemblance avec l'accouchement de cette déesse, en plaçant la Vierge au pied d'un palmier. Voici les versets du Livre de Mahomet :

Les douleurs de l'enfantement la surprirent auprès d'un tronc de palmier. Plût à Dieu, s'écria-t-elle, que je fusse morte avant que je fusse oubliée d'un oubli éternel !

Quelqu'un lui cria de dessous elle: ne t'afflige point. Ton seigneur a fait couler un ruisseau à tes pieds.

(1) Les peintres montrent rarement la Vierge dans un lit; c'est cependant ainsi que la représente Hippolyte Flaudrin, à St-Gerrnain-dos-Frés (fig. 63).

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

(J3

Secoue le tronc du palmier, des dattes mûres tomberont vers toi. Mange et bois, et console-toi (1).

La Vierge, étant exempte du péché originel, eut, paraît-il, le privi- lège d'accoucher sans douleur (2). Le cas ne présente en lui-même rien de merveilleux; il n'est pas rare de voir desimpies mortelles accoucher dans ces conditions exceptionnelles: nous en avons cité

^v/Ct£KIA IN lxcelsis QEJépç Y

Fig. G3. La Naissance du Christ, (Taprès Hippolyte Fiandrin.

plusieurs exemples dans notre Génération humaine; il en est même qui éprouvent un certain plaisir (3).

Ce qui est véritablement miraculeux, et ce qui distingue Marie entre toutes les primipares, c'est qu'après l'accouchement elle est

(1) Koran, XIX, 23-26.

(2) Ce fait avait déjà un précédent: Plaute, dans la comédie d'J.Mjp h itnjon, fait accoucher Alcmène de deux jumeaux sans douleur : sine dolorc peperit.

(3) « On lit dans un voyage en Sicile et à Malte, de M. Brydone, publié en 1775, que l'accouchement en Sicile est regardé comme une partie de plaisir. » Sue, loc. cit. Kilian cite un ras le travail de l'accouchement eut lieu dans la plus ine/fabile voluttà. G. Millot. De l'obstétrique en Italie.

'.Il HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

restée toujours vierge. Avant la naissance d'un enfant, il n'est pas rare de constater les apparences de la virginité; Pajot a été appelé à inciser chez la même femme, trois membranes hymens superposées qui faisaient obstacle au passage de l'enfant; mais conserver l'hymen après l'accouchement, voilà le miracle ! Il est vrai qu'aucun examen n'a été fait ni aucun procès-verbal dressé par les matrones de l'é- poque (1), comme on le fit pour Jeanne Daic,à qui l'on peut donner réellement le titre de Pucelle. Etienne Molinier, dans un de ses ser- mons, explique ce prodige en comparant la naissance de Jésus à la lumière du soleil: «elle entre», dit-il «par les fenêtres sans percer les vitres, les pénètre sans les rompre, et les traverse sans les diviser ».

Les couches de la mère de Dieu donnèrent lieu à maintes contro- verses au moyen âge : Avait-elle souffert? Avait-elle été assistée par des sages-femmes? Des matrones avaient-elles constaté la persis- tance de sa virginité, de visu et tactu, après la naissance de Jésus? Ces questions se débattaient en pleine chaire. De nombreux écrits parurent aussi de singuliers problèmes étaient agités. On se de- mandait si Marie avait réellement conçu par l'oreille, comme Saint- Augustin l'avance « imprœgnavit in aurem » ; si Jésus restait assis ou couché dans le sein de sa mère, quand Marie pendant sa grossesse s'asseyait ou se couchait. Samuel Schoroer alla plus loin : en 1709, il fit imprimer une Disserlatio theologica de sanclificatione seminis Mariœ Virginia in actu concept ionis Christi (2). Enfin, Jac- ques Sannazar, de Naples, au seizième siècle, passe vingt-deux ans à composer un poème en trois livres sur l'Enfantement de la Vierge.

Prodiges signalés à la naissance de Jésus. « Le

ciel par un prodige singulier, » dit- le prédicateur Bosquier, « fit con- naître aux Mages la naissance du Christ. Dans la même nuit : Il naquit un enfant au roi Ballhazar, et cet enfant fut Saint Barthé- lémy, lequel enfant se levant aussitôt debout, dit ces paroles : In hâc nocte, in Judœâ, natus est nobis Salvator mundi ; En entrant dans un des jardins de son palais, le roi Melchior entendit une voix ; c'était celle d'une belle colombe qui disait : In hâc nocte natus es/, Salvator generis humani; Dans le même moment et la même nuit,

(1) Suidas, ilest vrai, rapporte que Marie fut visitée, quinze ou seize ans après la naissance de Jésus, par d'honnêtes matrones et qu'elle fut. encore trouvée vierge.

(2) Sanchez, dans le Matrivionlo est allé plus loin encore ; il se demande vtrum sj)iritus sanctus in eopulatione cum Virgine Maria semen emiserit. Voyez Voltaire, passim.

l'obstétrique et le culte 95

il naquit d'un petit oiseau qui avait déposé ses œufs dans le jardin du roi Gaspard, un lion et une brebis, le ciel voulant faire connaître par cette merveille que le verbe divin s'était fait homme et avait pris naissance... »

Le bœuf et l'âne qui étaient dans 1 etable, et dont les Evangiles canoniques ne font aucune mention, s'agenouillèrent et adorèrent le Sauveur. La Monnoye a rendu ce passage d'une manière fort plai- sante ; il dit en parlant du bœuf et de l'âne :

On di que ce pôvrebéte N'ure pas vu le pôpon, Quelle se mire ai genon Humbleman boissan lai tête. Que d'âne et de beu je sai, Qui po se fon fête, Que d'âne et de beu je sai, Qui n'an airein pa tan fai.

Ma le pu bea de l'histoire, Ce fut que l'âne et le beu Ansin passire deu Lai neù san maingé ni boire. Que d'âne et de beu je sai, Couvar de pane et de moire, Que d'âne et de beu je sai, Qui n'an airein pa tan fai (1).

Un de ces moines bouffons, comme en produisait le XVIe siècle, raconte la nativité de Notre Seigneur de la manière suivante : « 11 dit », raconte Philomneste, « que le coq fut le premier, qui, dès le matin, annonça la naissance du Rédempteur enchantant à plusieurs reprises, Christus natus est; et avec ces mots, il imita le chant du coq. Puis conlinua-t-il, le bœuf impatient de savoir le Christ étail né, se mit à beugler ubi, ubi, que l'orateur prononça à l'allemande, oubi, oubi, en contrefaisant le bœuf; à quoi la brebis répondit in Beethléem, in Beethléem, il se prit à bêler ; enfin, l'âne les invita à

(1) Comme le bourguignon n'est pas familier ù tous, nous traduisons : On dit que ces pauvres bêtes n'eurent pas (plus tôt) vu le poupon qu'elles se mirent à <je- iwux, humblement baissant la tête. Que d'ânes et de bœufs je sais qui n 'en auraient pas tant fait. Mais le plus beau de l'histoire ce fut que l'âne et le hceuf ainsi pas- sèrent tous deux la nuit sans manger ni boire. Que d'ânes et de bœufs je sais, cou- verte de panne et de moire, que d'ânes et de bœufs je sais qui n'en auraient pas tant fait.

96 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

s'y rendre en brayant camus, eamus, eaaamus, et c'est dans le braire du baudet, dit-on, que le prédicateur se surpassa ».

Naissance de Judas Iscariote. La mère de Judas eut un songe pendant sa grossesse; elle entendit une voix qui lui dit que son enfant serait plein de méchanceté et le destructeur de sa famille. A peine né, ses parents effrayés voulurent se débarrasser de lui; ils le mirent dans une corbeille et l'abandonnèrent sur la mer; les flots le poussèrent à la ville d'Iscarioth dont il prit le nom.

Naissance de Saint Nicolas. Ribadeneira raconte ainsi, clans la Fleur des vies des saints, la naissance du patron des écoliers : « Saint Nicolas naquit à Patare, ville de Lycie, qui est une province de l'Asie-Mineure. Euphémie. homme riche, mais extrêmement pieux et charitable, fut son père, et Anne, sœur de Nicolas, l'ancien archevêque de Myre, fut sa mère.

« Il ne vint au monde que quelques années après leur mariage, et lorsqu'ils n'espéraient plus avoir d'enfants. Leur miséricorde envers les pauvres obtint ce que la nature leur refusait. Un messager céleste leur annonça cette heureuse nouvelle, et en leur promettant un fils pour le soulagement de leur vieillesse, il les avertit de lui donner le nom de Nicolas, qui signifie victoire du peuple, et qui était aussi celui de son oncle. Lorsqu'à sa naissance, on le mil dans le bassin pour le laver, il se leva de lui-même sur ses pieds, et se tint en cet état pendant deux heures, les mains jointes et les yeux élevés vers le ciel ; ce qui fait croire à Denis le Chartreux qu'il reçut alors l'usage de la raison, et à Saint Michel, l'archimandrite, qu'il avait été sanctifié avant de naître. Il commença à jeûner dès le berceau; car, au lieu de teter ordinairement plusieurs fois ie jour, le mercredi et le vendredi, qui étaient des jours d'abstinence et de jeûne dans l'Eglise orientale, en l'honneur de la passion de Notre Seigneur, il ne tétait jamais qu'une fois vers le soir(l) ; et l'on dit même qu'il ne tétait pas la mamelle droite, dont le sang, comme plus éloigné du cœur, n'est pas estimé bon que celui de la mamelle gauche. »

(1) Charles Nisard, dans Y Histoire des livres populaires, dit que Ton rapporte le même trait de délicatesse de conscience de Jean de la Mathé, fondateur de l'ordre des Trinitaires. Saint Roch et Saint Etienne, évoque de Die, passent aussi pour avoir donné un pareil témoignage de mortification précoce, en s abstenant de teter leur mère les jours de jeûne. Saint Robert refusait le sein d'une nourrice vivant dans le désordre et prenait volontiers celui des honnêtes femmes .

l'obstétrique et le culte 97

Naissance de Saint Christophe et de Saint Dominique.

Nous détachons de YArétin moderne, un des nombreux ouvrages anti-religieux de l'abbé Dulaurens, les deux passages suivants :

Le premier concerne Saint Christophe :

« Nous savons par l'Ecriture sainte (1) que la mère de Saint Chris- tophe a été dix-huit mois à le faire et qu'il a occasionné de furieuses douleurs et de terribles coliques à madame sa mère, en le mettant au monde (2). Dame, aussi il était si grand, que cela faisait trembler (3) ».

Dans le second, il s'agit de Saint Dominique :

« Sa mère rêva, dans le temps de sa grossesse, qu'elle accouchait d'un mâtin, les dévots ont assuré que ce rêve de chien annonçait un grand homme et que l'enfant serait une des plus belles lumières de l'église, à cause qu'il y avait beaucoup de relation entre un dogue et une lumière. L'événement a vérifié le songe, Saint Dominique a beaucoup aboyé, son éloquence fanatique a fait égorger quarante mille Albigeois » (4).

Sainte Félicité. Saint Drausin. La loi ne permettant pas d'exécuter les femmes grosses avant leur terme, Sainte Félicité craignait d'être séparée de ses compagnons attendant le martyre. Cha- cun pria Dieu pour qu'il avançât le terme ; c'était trois jours avant celui de l'exécution, aussitôt FéliciLé sentit les douleurs de l'enfante- ment et accoucha d'une fille.

Rachilde, mère de Saint Drausin, voulant remercier Dieu de lui avoir donné un fils, s'abstint de vin le reste de sa vie. Malgré la richesse de la rime avec raisin, voilà un saint que n'honorera jamais la Bour- gogne ni le Médoc.

Naissance de Saint François d'Assise. Saint François d'Assise, dit le Séraphique, patriarche des franciscains et des ordres qui en dérivent, naquit avec une croix imprimée sur l'épaule (5), dans

(1) Par l'Ecriture sainte? par les hagiographes, voulez-vous dire, ô abbé impie I

(2) Saint Drogon, venu au monde par l'opération césarienne, se considéra comme le meurtrier de sa mère et passa ses nuits et ses jours à pleurer.

(3) Saint Christophe était représenté comme un colosse gigantesque.

(4; De môme, Saint Furcy prêchait avant d'être : on l'entendit du fond des entrailles de sa mère reprendre fortement les païens. Le cas du dominicain Vincent Ferrier est aussi extraordinaire : il aboyait dans le sein de sa mère, annonçant à celle-ci qu'elle accoucherait d'un grand prédicateur. Saint Bonnet se contenta d'être sacré évéque avant sa naissance.

(5) St Léon IX, pape, vint au monde la peau couverte de stigmates représentant des petites croix rouges, par suite de l'impression que la pensée fréquente de la croix de J.-C. avait faite sur l'esprit de sa mère.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

98 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

la ville d'Assise, en Ombrie. Un moine de l'ordre qu'il fonda a écrit un livre prodigieux, le Traité des conformités de Saint François avec Jésus- Christ (1). Pia, sa mère, ne pouvant accoucher de lui, un pèlerin conseilla de la conduire dans une étableoù elle enfanta aussitôt. La Sainte Vierge avait elle-même prié Dieu, le Père, d'envoyer Saint François au monde pour sauver les hommes qui s'allaient damner. « Le jour de sa nativité, il y eut une telle émotion en enfer que tous croyoient que le jour du jugement fustvenu. Puis voyans que le dit jugement ne se préparait point, ils dirent que pour certain il estoit nay quelqu'un qui esmouveroit enfer et le destruiroit. Puis envoyez par le Prince des Ténèbres par toute la terre, trouvèrent que c'estoit ce Saint François qui estoit nay à ceste heure là, tenans pour tout certain que ils seroyent destruits par lui » (2).

B. SAINTES ET SAINTS INVOQUÉS DANS LES ACCOUCHEMENTS.

Saintes protectrices des femmes en couches.

Sainte Marguerite. L'Ilithyia, la Lucine, la Diane des Catholiques, Apostoliques et Romains, c'est Sainte Marguerite (fig. 64). Quelle est, en deux mots, l'histoire de cette patronne des sages-femmes?

(1) L'extrait que nous donnons plus bas est tiré d'une tradition publiée par les buguenots, sous le titre Alcoran dos Cordeliers.

(2) Mettons ici en note quelques détails sur le fondateur de l'islamisme.

Il semble avoir, lui-même, peu aimé les miracles, mais les auteurs musulmans qui sont venus ensuite, en ont raconté plus d'un et sur sa vie et sur sa naissance. Au même instant que le prophète sortit du. sein de sa mère, disent-ils, une' lumière éclatante brilla dans toute la Syrie, et pendant plusieurs nuits elle éclaira les villes, les bourgs, les châteaux et les campagnes ; tandis que le feu sacré de Zoroastre s'éteignit chez les Persans, après avoir brûlé pendant plus de mille ans, sans inter- ruption ; le lac Sava se dessécha ; le palais de Kosroès, alors roi de Perse, s'ébranla, et quatorze tours fort épaisses s'écroulèrent. Le souverain pontife des mages eut, dans la même nuit, un songe qui lui représentait un chameau vigoureux, vaincu par un cheval arabe ; on vit plusieurs autres prodiges aussi effrayants. Cependant Mahomet, ayant à peine vu le jour, s'échappa des mains de l'accoucheuse, se jeta à genoux, leva les yeux au ciel, et prononça d"une voix mâle et distincte ces mots Bacrés : Dieu est grand; il n'y a qu'un Dieu, et je suis son prophète . Les assistants étonnés prirent l'enfant, l'examinèrent et s'aperçurent, avec admiration, qu'il était circoncis !

Mahomet parla une seconde fois : alors les démons, les mauvais génieB, les esprits de ténèbres furent précipités des étoiles, des planètes et des signes du zodiaque, ils demeuraient, dans les abîmes éternels 1

Tous ces phénomènes causèrent une si grande joie à la famille d'Abdalla, qu'on donna à l'enfant nouveau-né le nom de Mahomet, c'est-à-dire couvert de gloire.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

99

Née à Antioche, de parents païens et sans délicatesse, elle fut ce- pendant, on ne sait trop comment, aimée du préfet Olibrius, autre païen aussi laid que méchant. La figure d'Olibrius déplut-elle à Mar- guerite, ou son caractère, ou son idolâtrie ? Bref, elle repoussa ses hommages. Fureur du vilain personnage qui commence par faire rouer de coups, déchirer de verges l'objet de sa flamme ; poliment,

1*"ig. Gi. Sainte Marguerite, d'après une statue de Xanteuil.

il renouvelle ensuite sa demande. La jeune fille trouve naturellement Olibrius plus repoussant que jamais. Ce préfet à poigne l'envoie aus- sitôt en prison. Le lendemain, gracieusetés nouvelles, refus nouveau. Enfin Marguerite eut la tète tranchée. Avant d'être exécutée, elle demande à Dieu, entre autres grâces,

ICO HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

d'avoir, après sa mort, le privilège de protéger les femmes en mol d'enfant. Ainsi le raconte une vieille légende du XVe siècle:

« Quant aucune grosse sera

D'enfant, et elle m'apellera,

Sire, je te pry, vueillez

Que l'enfant ne puisse périllcr,

De ses membres parlait s'en viengne,

Autre ne ne li aviegne

Chose qui advenir ne doibt.

Que père et mère en ait joye ;

Il viengne à chrestienté.

Boçu ne soit n'en orphenté (1),

Ne contrefait, mais bel et droit,

Et ait ce que avoir doibt de droit.

Hors de péril metez la mère,

Se elle fait à moy prière;

Sequure-la en toute ensoigne (2),

Ne sus elle n'ait péril n'enssongue (3) ;

Et la veuilles reconforter,

Aider à sa peine porter;

Saine remangne (4) à ton église,

Toy mereyer en toute guise. »

La conduite de Sainte Marguerite témoigne d'une furieuse antipa- thie pour le mariage. Il peut donc paraître singulier que les femmes enceintes l'aient choisie pour leur patronne et aillent, le 20 juillet, demander dans ses chapelles une heureuse délivrance. Cette contra- diction, que nous retrouvons du reste chez les Anciens à l'égard de Diane, avait déjà frappé le théologien Thiers ; dans son Traité des superstitions, il fait observer, avec justesse, qu'il serait plus rationnel et plus conforme à l'esprit de l'Eglise de s'adresser à la Sainte Vierge pour obtenir un heureux accouchement ; d'abord parce qu'elle a prêché d'exemple en mettant un enfant au monde, et de plus parce qu'à la purification des femmes après leurs couches, l'Eglise recon- naît que c'est la Sainte Vierge qui a changé en joie les douleurs de l'enfantement : Per beatœ Mariœ Virginis parlum fidelium parien- tum dolores in gaudium convertisti.

(1) Abandon.

(2) Embarras.

(3) Souci.

(4) Retourne.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

101

Il serait possible cependant de trouver l'origine des attributions dévolues à Sainte Marguerite dans un détail de sa légende. Tandis que, par ordre de l'affreux Olibrius, elle gisait plongée dans un cachot hideux, le diable lui apparut ; il avait revêtu la forme d'un épouvan- table dragon ; ouvrant une gueule immense, il avale la prisonnière, mais avec tant de ménagements, avec tant de gloutonnerie peut-être, qu'au moyen d'un simple signe de croix, la sainte est expulsée du ventre de la bête (fig. 65). « Puisse mon fruit, pensaient sans doute les

-

Fig. Gô. Sainte Marguerite et le Dragon, d'après uu tableau de Dufresnay.

bonnes femmes, sortir de mes entrailles avec autant d'aise que vous êtes sortie de celles du dragon, ô grande Sainte Marguerite ! Qui peut le plus peut le moins : vous n'avez pas été arrêtée par les dents du diable, et, vous le savez, l'innocent pour qui je vous supplie n'a rien de tel à franchir ». La légende ajoutait qu'après s'être si prestement échappée, Sainte Marguerite sauta sur le dos du monstre, l'étrilla d'importance et le renvoya à demi assommé. Les bonnes femmes n'allaient sans doute pas jusque-là dans la comparaison qu'elles éta- blissaient entre la sainte et l'enfant qu'elles attendaient.

102 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Les Jacobins de Poitiers possédaient une de ses côtes, qui avait la vertu de faciliter les accouchements. On la vola au XVIe siècle.

La ceinture de cette sainte avait le même pouvoir; elle existait encore, en 1789, dans l'Eglise de Saint-Germain-des-Prés et elle y était exposée à la vénération des fidèles. Moyennant une certaine redevance, les bénédictins en ceignaient les femmes enceintes et leur promettaient une heureuse délivrance.

Les reines et les impératrices de France avaient une pieuse croyance au privilège attribué à Sainte Marguerite, et ses reliques jouaient toujours, un rôle important à la naissance des princes ou princesses du sang. Marie de Médicis eut recours à ces saintes reli- ques ; mais elle ne paraît pas avoir eu beaucoup à s'en louer, si l'on en croit Louise Bourgeois qui l'accoucha : « La colique travailloit plus la Reyne que le mal d'enfant, et mesme l'empeschoit... Les reliques de Madame saincte Marguerite estoient sur une table dans la chambre, et deux religieux de Saint-Germain-des-Prez qui prioyoient Dieu sans cesser... Le mal dura vingt-deux heures ». C'est- à-dire le double d'une couche normale. Ce qui n'empêcha pas la Reine de faire don à l'église de l'abbaye, en action de grâce d'avoir mis heureusemenl au monde Louis XII [, une statue d'argent représen- tant Sainte Marguerite. « L'image de saincte Marguerite, dit le R. P. F. Jacques Du Breul, dans son Théâtre des Antiquitez de Paris, 1639, que la Reyne de France, Marie de Médicis, femme du Roy Henry quatrième, a donnée à nostre Eglise, poise en argent avec son soubassement, trente-sept marcs quatre onces et demie. Qui a cousté cinq cents escus. Et fut achevée le 10 janvier 1608. Aux pieds d'icelle est le menton de ladite vierge et martyre ».

Dom Jacques Bouillart, clans son Histoire de V Abbaye royale de Saint Germain des Prez, 1724, rapporte deux faits relatifs aux pre- mières grossesses de Marie-Thérèse d'Autriche, femme de Louis XIV, et de Marie-Victoire de Bavière, femme du Grand Dauphin: «Le vingtième juillet 1661 est remarquable par une cérémonie qui se fit dans l'église de l'abbaye. La Reine, qui était pour lors enceinte, donna des marques de sa piété et de sa dévotion envers saincte Marguerite par l'offrande qu'elle fit du pain bénit le jour de sa fête. Elle ne put le présenter elle-même, parce qu'elle étoit à Fontainebleau ; mais elle y suppléa par trois de ses aumôniers, qui vinrent le présenter à l'église au son des trompettes et des tambours du Roy. Les aumôniers furent reçus à la porte de l'église, et conduits dans le sanctuaire, ils res- tèrent jusques à l'offertoire. Ils descendirent pour lors au bas de la nef, l'on avait préparé six grands pains ornez de banderoles de

l'obstétrique et le culte 103

taffetas rouge aux armes du Roy et de la Reine. Lorsqu'il fallut aller à l'offrande, les trois aumôniers précédez de quelques suisses mar- chèrent les premiers ; puis quatre tambours et quatre trompettes, et en dernier lieu douze suisses portant six brancards sur lesquels étoient les pains bénits. Le premier aumônier présenta le cierge, baisa la paix avant les autres, et la bénédiction des pains étant finie, ils s'en retournèrent avec les mêmes cérémonies. Le seizième octobre suivant, le P. Prieur de St-Germain eut ordre du Roy de porter à Fontainebleau les reliques de saincte Marguerite pour satisfaire à la dévotion de la Reine, qui les demandoit et étoit proche de son terme. Le P. Prieur obéit aussi-tôt : mais, avant son départ, il ordonna par un mandement des prières publiques pour sa Majesté, avec l'exposition du Saint Sacrement dans toutes les églises du fauxbourg; ce qui dura jusques au premier de novembre, que la Reine mit au monde un Daufin, qui fut ondoyé aussi-tôt. La nouvelle n'en fut pas plutôt répandue dans Paris, que chacun fut dans des transports de joye. L'abbé et les reli- gieux de Saint-Germain témoignèrent la part qu'ils y prenoient par une procession générale en action de grâces, qu'ils indiquèrent pour le dimanche suivant, à laquelle tout le clergé séculier et régulier assista» .

Vers le milieu de juillet 1682, « Madame la Daufine qui étoit en- ceinte et prête d'accoucher, fît écrire au Prieur de l'abbaye qu'elle souhaitoit avoir auprès d'elle les reliques de saincte Marguerite, pour obtenir par son intercession une heureuse délivrance. Elle rendit même le pain bénit par un de ses aumôniers, le vingtième juillet, fête de la sainte, et le sixième août, elle mit au monde le prince Monsei- gneur Louis, duc de Rourgogne. Le vingt-sixième novembre suivant, Madame la Daufine vint à l'église pour faire ses dévotions à la cha- pelle de saincte Marguerite. Elle fut reçeû à la porte de l'église par toute la communauté revêteù en chapes, le Père général, Dom Renoît Rrachet portant la parole ; et après lui avoir présenté la vraye croix à baiser et donné de l'eau bénite, les religieux chantèrent un répons pendant lequel elle fut conduite sous un dais dans le sanctuaire, la châsse de saint Germain étoit exposée. Elle se mit à genoux sur l'oratoire, et après ses prières elle alla faire ses dévotions à la cha- pelle de saincte Marguerite, dont elle baisa les reliques ; puis elle re- monta en carosse. »

L'impératrice Eugénie de Montijo, lors de la naissance du Prince impérial, eut aussi sous la main les reliques de notre sainte ; mais la vertu de ces ossements s'était-elle affaiblie avec le temps? ou bien, la foi de la parturiente laissait-elle à désirer ?Paul Dubois l'accoucheur dut recourir à son forceps.

1CM HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Comme il n'est pas donné à tout le monde d'avoir à sa disposition les reliques de la Lucine française ; il suffit d'une simple oraison pour s'attirer les bonnes grâces de la sainte matrone. Il existe plusieurs spécimens de ces prières. L'oraison suivante se trouve dans un opus- cule du XVIIe siècle, Dévotion particulière pour les femmes enceintes, dédié à la reine et publié en 16G5 :

ORAISON A SAINTE MARGUERITE

Vierge et Martyre

Pour les femmes qui sont dans les douleurs de l'enfantement.

Sainte Vierge et Martyre, dont la pureté inviolable n'a jamais pu estre ébranlée par les trompeuses caresses, ni par les tourmens les plus cruels des bourreaux et des tyrans, vous avez esté si agréable aux yeux de vostre divin Epoux qu'il a bien voulu, dans vos derniers supplices, vous accorder la prière que vous luy avez faite de soulager les personnes affligées qui, avec une vraie foy, invoqueroient par vos mérites son saint Nom. O invincible martyre, clonnez-moy, je vous prie, des effets de vostre bonté dans l'heureuse délivrance du fruit que je porte ; faites, s'il vous plaist, paroistre, par la conservation de la mère et de l'enfant, que vous me secourez ; et, quoiqu'une telle faveur ne puisse estre dignement reconnue, je fais néanmoins, en témoignage d'une juste reconnaissance, un ferme propos d'offrir incessamment cette petite créa- ture au service de Dieu, et de vous rendre toute ma vie des actions de grâce d'un si grand bienfait.

Ainsi soit-il.

Cette oraison est suivie de litanies qui contiennent, entre autres vocables, ceux qui se rapportent à la spécialité de la sainte :

L'espérance des femmes enceintes, priez pour nous. L'ayde des accouchées, priez pour nous. Le souhait des sages-femmes, priez pour nous. Le soulagement des petits enfans, priez pour nous. L'assistance du lit nuptial, priez pour nous.

Dans une brochure anonyme, intitulée La Vierge Marguerite sub- stituée à la Lucine antique (1), nous trouvons une pièce curieuse extraite d'un ouvrage du XVI0 siècle, La Vie ma dame saincle Mar-

(1) A. Labitte, éditeur.

l'obstétrique et le culte 105

guérite, vierge et martyre, qui est une leçon poétique fort gracieuse d'une ancienne oraison particulière au culte de notre sainte.

ORAISON DE SAINCTE MARGUERITE

A dire pour les femmes grosses.

« Madame saincte Marguerite,

Digne vierge de Dieu eslite,

Qui l'as servy de ta jeunesse,

Plaine de grâce et de sagesse ;

Qui, pour l'amour Dieu nostre Sire,

Souffris tourmens et grief martyre ;

Qui le dragon parmy fendis,

Et du tyrant te défendis ;

Qui vainquis l'ennemy d'Eufer

En prison fermée de fer ;

Qui à Dieu feis mainte requeste,

Quant on te voult coupper la teste ;

Et, par espécial, que femme

Grosse d'enfeant qui à toy, Dame,

De cueur dévot retourneroit,

Et qui ton ayde requemoit,

Que Dieu de périr la gardast,

Et de l'ayder point ne tardast ;

Si te supplie, vierge honorée,

Noble martyre et bien eurée,

Par ta benoiste pétition,

Que Dieu vueille pour moy prier,

Et doulcement luy supplier

Que par sa pitié il me conforte

Es douleurs qu'il fault que je porte;

Et, sans péril d'âme et de corps,

Face mon enfant yssir hors

Sain, et saulve que je levoye

Baptizer à bien et à joye.

Et si de vivre il a espace,

Il luy doint s'amour et sa grâce ;

Par quoy si sainctement le serve,

Que la gloire des cieulx déserve (1) ;

Et aux autres, en cas semblable,

Soit par toy, Dame, secourable . »

(1) Mérite.

106 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Une relation anonyme du XVIIe siècle, témoigne des effroyables ac- cidents dont peuvent être victimes celles qui n'ont pas confiance dans Y Oraison de sainte Marguerite ; il s'agit d'une femme appartenant à la religion réformée:

Miracle arrivé clans la ville de Genève en ceste année 1609, d'une femme qui a faict un veau, à cause du mespris de la puissance de Dieu, et de Madame saincle Marguerite.

Les femmes souillées de sang enfanteront des Monstres. Esdras, chap. 5.

... Or, Messieurs, il est à notter que ces jours passés une bourgeoise, ma concitoyenne, ayant demeuré environ onze jours au travail d'en- fant, et les Médecins ne trouvant autre remède plus expédient pour l'en délivrer, que d'appeler les Chirurgiens, aux fins de la fendre, pour tirer l'enfant de son ventre, recongnoissant fort bien que c'estoit un enfant accomply de tous ses membres, les voisines y accoururent, qui ore l'une, tantost l'autre, chacune disant son opinion : Entre autre la vint visiter une sienne bonne amie sa voisine, qui menoit, quant et soy sa chambrière, qui estoit Catholique, laquelle fust interrogée par la mère Sage, qui estoit, luy disant ainsi : M'amie, qu'avez-vous accoustumé de faire entre vous autres Catholic^ues, lorsque les femmes se trouvent en tel travail ? Alors elle respond. Pourveu qu'il me soit donné au- dience je le diray : lors le silence luy fust faict, et elle dist ainsi : Quand les femmes Catholiques se trouvent en tel travail, elles se re- commandent à Dieu, le Père tout puissant, au Fils et au Saint-Esprit, et a la douce Vierge Marie; et en outre disent l'oraison de saincte Marguei'ite, Vierge et martyre, la priant vouloir estre advocate envers Dieu, afin que la jiatiente soit tost délivrée de ce travail : par ce que Dieu luy a promis, que toutes celles qui V invoquer oient de bon cœur, estant au travail d'enfant, seroient tost délivrées. La misérable, qui estoit au travail d'enfant, ayant entendu ces parolles, dict en telle sorte : J'aimerois mieux plus tost mourir, ou vrayement enfanter un veau, que de permettre que Voraison de saincte Marguerite fust dicte en mon intention : Responso fort indigne, et dont (comme vous sçavez très bien) elle en receut tost son guerdon : Car d'un corps formé, d'une âme raisonnable qu'elle avoit dans son ventre, elle sent un corps brutal, et à l'instant délivre d'iceluy, sçavoir d'un veau, ainsi qu'elle avoit souhaité, lequel fust prins et emporté par la mère Sage à Mes- sieurs. La cloche sonne, ils s'assemblent en la sale du grand Conseil, fust porté le dict veau : quoy voyant mesdits Sieurs, après avoir en- tendu le rapport que leur fit la mère Sage des parolles susdites, bien estonnés, ne sçachant que dire sur cela; un quidan Philosophe d'entre eux, voulut attribuer cela aux imaginations de la mère, disant cela estre naturellement : Mais il fut très bien repoussé par un des assis-

l'obstétrique et le culte 107

tans. lequel disoit que ce ne pouvoit arriver naturellement. Mais aussi, comme j'ayjà dict, quoy que nostre Seigneur soit tout bon et miséri- cordieux; il ne laisse pas (quand la nécessité et l'importance de son honneur et de ses Saincts le requiert) qu'il ne face voir des effects de sa haute puissance.

Toutes les disputes entendues, Messieurs s'assemblent, et ordonnent que ledit veau sera prins et jette dans le Rosne, encor à présent se voient les marques du sang sur Feau, ne se bougeant, fors seulement, que estant agité des flots, va ores çà, ores retournant tousjours en son premier lieu, criant vengeance, vengeance.

Voilà assés pour nous ouvrir le cœur, et pour nous faire recognoistre l'obstination de nous autres; et que toutes nos raisons ne sont fondées que sur le sable mouvant de nostre erreur. »

Notre-Dame de Mont-Serrat. C'était une fille du premier comte de Barcelone ; elle se trouva possédée du diable et fut conduite à l'ermite Jean Guérin ; le saint homme l'exorcisa puis la viola et l'égorgea.

La Sainte Vierge sauva la pieuse fille et la conserva vivante au sein de la terre, dans le lieu même l'avait enterrée l'assassin. Le repentir de Jean Guérin ayant fait découvrir le miracle, on bâtit un couvent de nonnes sur l'emplacement : l'exhumée fut abesse du nou- veau monastère et frère Jean Guérin, que le plus débonnaire de nos jurys n'aurait pas hésité à faire bénéficier de l'article 302 du code pénal, en fut le directeur et le confesseur; dans la suite, on le cano- nisa. Ce couvent fut bientôt le gîte d'une Notre-Dame trouvée dans les environs; l'image devint fameuse dans toute l'Espagne, ressusci- tant les petits garçons tombés dans les puits, faisant repousser les nez mangés par les cochons, accomplissant nombre d'œuvres dignes d'admiration et de foi. Elle ne semble pas non plus avoir été inutile aux femmes enceintes. La première abbesse ayant été victime d'un viol, était-ce en souvenir de cet acte dont une grossesse fut peut-être le résultat ? En souvenir des mérites de frère Guérin dans sa jeu- nesse? Nous ne savons, mais voici ce que raconte. Collin de Plancy au tome second de son Histoire critique des reliques et des images miraculeuses :

« Une femme qui avait fait trois fausses couches, promit à Notre- Dame de Mont Serrât que, si elle avait un enfant, elle le dévouerait au service de la Vierge, Peu de jours après, elle fut enceinte pour la quatrième fois; elle accoucha d'un enfant qui mourut, et fut enterré. Lorsque les douleurs de l'enfantement furent apaisées et qu'elle eut repris ses sens, cette mère demanda à voir son fils.

108

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

On lui dit qu'il était mort. « Qu'on me l'apporte cependant, répliqua-t-elle ; je veux le voir. >> Elle fit tant d'instances, qu'on

Jr^3^o)$ 3 a -M.*a.a*rrv3

Fig. 66. Notre-Dame de Mont-Serrai, avec un einscripiion espagnole qui signifie : Demeure an- gélique de Noire-Dame de MonUerrat (1).

(1) Ce mont est ainsi nommé à cause de ses rochers, taillés en dents de scie (scïerra, scie). Cette scie symbolique est représentée entre les mains de l'enfant Jésus. Fac-similé réduit d'une gravure du XVIe siècle, appartenant à M. Bertin, éditeur à Paris.

l'obstétrique et le culte 109

exhuma le petit enfant, et qu'on le lui mit entre les mains. Elle pleura, elle reprocha à la Sainte Vierge de n'avoir pas protégé un enfant destiné au service des autels; et à l'instant, ô prodige! l'enfant se ranima, cria, et se mit à teter ».

Brantôme, dans les Vies des dames galantes, parle d'une dame espagnole, « laquelle, estant en mal d'enfant, se fit allumer une chandelle de Noslre-Dame de Mont-Serrat qui aide fort à enfanter, pour la vertu de ladite Nostre-Dame. Toutefois, ne laissa d'avoir de grandes douleurs, et à jurer que plus jamais elle n'y retournerait. Elle ne fut pas plus tost accouchée, qu'elle dit à la femme qui la luy donnoit allumée : Serra eslo cabillo de candela para olra vez; c'est-à- dire : « Serre ce bout de chandelle pour une autre fois ».

Notre-Daines diverses. D'autres Notre- Dames se partagent, avec leur camarade de Mont-Serrat, la fonction de conduire au jour, par une voie facile, les jeunes chrétiens qui aspirent à naître. Si Mont-Serrat est trop loin, qu'on aille, le lundi de Pâques, à Dom- front; mais en Normandie, rien pour rien; il ne faut garder de linge que la quantité sufiisante pour le moment criLique, en faire un pa- quet qu'on offrira à notre-dame de l'habit, dans son sanctuaire; et l'on retourne chez soi avec ce précieux fardeau. Au neuvième mois, se manifeste la reconnaissance de Notre-Dame; mais comme elle est Normande, il n'est pas inutile d'envoyer quérir la sage-femme ou l'accoucheur.

Les armoires ne sont pas riches, dira-t-on. Eh bien ! notre-dame de pitié, dans le Blaisois, rendra le même service.

notre-dame de Chartres est également considérée, depuis des siècles, comme une patronne des femmes enceintes. Elle passe aussi pour guérir la stérilité, mais son pouvoir dans cette spécialité ne nous paraît pas très étendu. Un monarque dévot, Henri III, lui fit de nombreux pèlerinages pour obtenir un héritier.

Un jour, entre autres, il y vint à pied de Paris avec la reine, « tous deux »>, dit la chronique, « bien las et ayant les plantes des pieds bien ampoulées, espérant obtenir lignée par l'intercession de la belle dame ». Mais ce fut en vain que ces royaux épidémies se frottèrent contre les cailloux du chemin.

Les faveurs que notre-dame de liesse accorde en pareille cir- constance, semblent plus efficaces, puisqu'elles agissent même quand elles sont demandées par un intermédiaire. C'est ainsi que son altesse royale, madame la duchesse de Berry, se rendit à Notre-Dame de

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Liesse, le 23 mai 1821, pour remercier la Vierge de la naissance du duc de Bordeaux et remplir le va?u qu'avait fait, à Liesse, M. de Bom- belles, au nom de la princesse. Les femmes stériles qui désiraient obtenir des enfants de cette Notre-Dame, devaient tirer, avec leurs dents, les cordes des cloches de son église et boire ensuite l'eau de la fontaine miraculeuse auprès de laquelle son image s'était arrêtée. Les

Fig. 67. Notre-Dame de Chartres. Représentation de l'ancienne statue de la vierge révérée dans les grottes de l'église cathédrale de Chartres, d'après une estampe du XIIe siècle.

nombreux ex-voto qui entourent cette céleste image indiquent suffi- samment sa spécialité et ses succès. La reine de Pologne qui, en 1675, avait déjà offert à Notre-Dame de Liesse un enfant d'argent, re- présentant Alexandre Sobieski, son fils, qu'elle lui avait fait obtenir, lui adressa plus tard une mamelle d'or pour l'avoir délivrée d'un en- gorgement laiteux du sein.

l'obstétrique et le culte 111

notre- dame de lorette, dans la marche d'Ancône, fut trans- porté mystérieusement la Santa Casa, maison de la Vierge, a aussi le privilège de faire des enfants aux âmes dévotes. Anne d'Au- triche, qui s'était adressée à tous les saints du paradis et à leurs re- liques pourvoir le terme de sa stérilité, envoya deux couronnes d'or massif et un ange d'argent qui tenait un dauphin d'or, pour rendre grâce à cette Notre-Dame de la naissance de Louis XIV. La reine d'Angleterre, femme de Jacques II, avait offert, en 1667, son ange pour avoir un enfant. L'ange fut présenté, dit-on, à cinq heures cin- quante-huit minutes du matin, et l'on ajoute qu'au même instant la reine conçut Jacques III, qui ne régna qu'en peinture.

Un jésuite écrivit l'entretien de l'ange de la reine avec la madone. Voici la traduction qu'en donne Misson, dans son Voyage d'Italie :

l'ange d'or de la reine d'angleterre. Bien vous soit, puis- sante madone. Vous voyez un ange du ciel qui vient vous présenter une très humble requête. Marie, reine d'Angleterre, est dans une affliction inconcevable de n'avoir point d'enfants. Elle vous salue en toute humi- lité, et vous supplie d'agréer le présent qu'elle vous adresse. O pitoyable vierge ! faites en sorte que ses entrailles un peu négligées puissent être fécondément arrosées, afin qu'elle conçoive et qu'elle enfante bientôt selon son souhait. Cela est nécessaire, non seulement pour sa consola- tion, mais aussi pour le bien des Etats dont elle est reine, et pour l'af- fermissement de la religion catholique, qui est présentement chance- lante dans ce pays-là.

la madone de lorette. Oui-dà, cher ange, j'accepte volontiers le présent de la reine d'Angleterre et j'exauce ses vœux. Elle aura des enfants, je te le promets ; au moment que je te parle, la chose se fait : Jacques embrasse Marie, Marie embrasse Jacques, et Marie conçoit.

l'ange. Mais, ô bénigne madone, c'est un fils que la reine de- mande à votre majesté; car il y a déjà deux filles du roi qui sont ca- pables d'hériter. Accordez donc un fils aux vœux de Marie.

la madone. Oui, mon enfant, la reine aura un fils. Crois-moi, l'af- faire est déjà faite. Cet heureux héritier sera l'honneur et l'appui de la couronne et de la religion. . .

l'ange. O joie inexprimable! La reine Marie exauce la reine Marie. Alléluia! û félicité ! alléluia! alléluia! alléluia! (1).

Il est inutile d'aller si loin pour obtenir la protection céleste : nous

(1) Collin de Plaucy. Dictionnaire des reliques.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

avons trouvé dans l'église notre-dame-des-victoires, à Paris, l'ex- volo suivant :

13399

RECONNAISSANCE

N.

D. DES VICTOIRES

POUR

UNE

HEUREUSE DÉLIVRANCE G. J.

Sainte Brigide et Sainte Honorine. Une Suédoise et une Cauchoise, la première du XIV0 siècle; la seconde, bien plus ancienne, sinon meilleure, du Ier au IIe siècle; l'une veuve et visionnaire, l'autre vierge et martyre; toutes deux s'occupent d'obstétrique.

Si vous avez besoin de leur ministère et que vous soyez à Romet, touchez la robe de Sainte Brigide ou Brigitte ; si vous habitez Paris ou Pontoise, envoyer acheter à Conflans-Andrézy des jarretières ou des ceintures (1) , auxquelles la châsse de la sainte aura communiqué ses vertus, et portez-les pendant la grossesse, jusqu'aux relevailles. Si vous êtes sur les lieux, il vous suffira de toucher au coffre sont con- servées les précieuses reliques.

Sainte Livrade. Personne, croyons-nous, ne s'est avisé de recueillir en volume les chansons dont Thérésa, dans sa première manière, ébranlait les voûtes bariolées de l'Alcazar ; mais si, quelque jour, il prenait fantaisie à un éditeur de réunir ces chefs- d'œuvre du goût national, nous lui recommandons de mettre en tête

(1) La ceinture que nous avons en notre possession, et qu'une cliente a portée pendant ses deux grossesses, est un simple ruban en calicot de deux centimètres et demi de large sur quatre-vingt-seize centimètres de long. D'un côté on lit :

et de l'autre

BONNE Ste HONORINE, PRIEZ TOUR NOUS BONNE Stc MARGUERITE, TRIEZ POUR NOUS

l'obstétrique et le culte 113

du livre l'image de Sainte Livrade ou Liberate. En effet, cette sainte, qui a plus d'une chapelle dans le Midide la France, doit être la patronne des Femmes à barbe et des Sapeurs; c'est du moins ce qu'on peut conclure d'un récit fait par M. l'abbé Barrère. Ce pieux auteur nous raconte que le ciel, voulant aider Livrade à garder sa virginité, fit croître sous sa lèvre inférieure plus de poils que n'en présente le men- ton d'un bouc. Ceci veut une explication : nous l'emprunterons à la spirituelle étude de P. Parfait sur Y Arsenal de dévotion :

« Livrade, fille, dit-on, d'un roi mal servi par le Dieu des batailles, fut offerte comme gage de paix par le monarque battu à son vainqueur. La jeune fille frémissant à l'idée du mariage qui va s'accomplir, supplie le ciel de lui venir en aide. Le ciel a entendu sa voix. Une barbe de sapeur garnit tout à coup son doux menton. Stupeur du prétendu : « Tout est rompu, beau-père! » Sur ce, fureur du chef de famille, qui, ne trouvant plus d'autre moyen de se débar- rasser de sa fille, la fait crucifier ». Certes, Livrade est à plaindre d'avoir subi un sort aussi cruel ; mais nous ne voyons pas bien pourquoi les femmes en travail invoquent cette sainte à barbe, concurremment à ses collègues du paradis, Brigitte et Honorine.

Marie d'Oignies. Notons enfin que les dames en mal d'enfant pou- vaient appeler à leur secours non seulement la Vierge et les saintes en titre d'office, mais une simple recluse, la bienheureuse Marie d'Oignies. Des reliques que contient l'église d'Oignies (1), le corps, la ceinture, le mouchoir et le couteau de la bienheureuse, servent, il est vrai, à peu de chose; mais sa vieille chemise de laine est toute- puissante pour les accouchements.

Saints protecteurs des femmes en couches. Les

païennes en gésine n'invoquaient guère que des divinités femelles ; les catholiques semblent, au contraire, s'être volontiers adressées aux saints, remontant ainsi, dans leur souffrance, au sexe qui en est le premier auteur. Nous allons les passer en revue.

La ceinture de Saint Oyan, saint de notoriélé médiocre, possède les mêmes vertus obstétricales que celle de Sainte Marguerite. Boguet cite une certaine Pierrette Girod, hérétique du pays de Gex, qui n'accoucha que par l'intervention de cette précieuse ceinture. Pier- rette aussitôt se convertit ; c'était justice : pourquoi les hérésiarques cherchaient-ils querelle aux saints parmi lesquels se trouvaient tant

(1) A quatre lieues de Nauiur.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS 8

1 1 i HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de bons accoucheurs ? Mais Saint Oyan a-t-il toujours son cabinet? Bien que la naissance de Saint Christophe eût coûté cher à sa mère, les femmes en travail l'invoquaient cependant :

Glorieux Saint Christophe, au matin te voyant, Sans crainte d'aucun mal on se couche en riant.

Celte inscription et d'autres semblables qui accompagnaient les statues de Saint Christophe, et font allusion au privilège que la légende lui attribuait d'empêcher la mort subite dans la journée, quand le matin on a vu une de ses statues, expliquent naturellement l'engouement qu'eurent, pour ce saint, dans beaucoup de pays, les femmes en mal d'enfant.

Elles invoquaient aussi Saint Hyacinthe qui jouissait, en outre, de la réputation de guérir la stérilité. On voyait anciennement cette épigramme dans l'église des Jacobins de Reims :

Femme qui désirez de devenir enceinte ; Adressez cy vos vœux au grand Saint Hyacinte ; Et tout ce que pour vous le saint ne pourra faire, Les moines de céans pourront y satisfaire (1).

Mais les grands patrons des femmes stériles ou se croyant telles, furent Saint Greluchon et Saint Guignolet. Dulaure décrit ainsi une statue de ce dernier qui existait à Montreuil : « Celte statue était de pierre, couchée sur le dos dans une chapelle, absolument nue, ayant un membre viril très considérable. Cette pièce élait faite comme un bâton de pierre postiche. On le poussait par derrière, à mesure que la dévotion des femmes qui venaient s'y frotter et le racler en diminuait la taille; de sorte qu'il paraissait toujours le même ». Saint Greluchon opérait dans les mêmes conditions en Berry et en beaucoup d'autres lieux. Ces spécialistes distingués trouvèrent desimilateurs dans Saint Prix, à Cormeilles-en-Parisis, et Saint René, en Anjou. Il y avait aussi, raconte Henri Estienne, dans le Cotentin, en Normandie, un Saint Gilles qui faisait des enfants aux femmes « quoiqu'il fut bien vieux et bien caduc ». Tous ces saints se présen- taient aux fidèles dans la même posture indécente que leurs chefs de file; seul Saint Arnault, à Saint-Aubin, dans le Bourbonnais, avait la pudeur de porter un tablier. « Les femmes stériles », dit LeDuchat,

(1) Suivant Dulaurens, Saint Hyacinthe n'aurait été le protecteur des femmes en travail que parce que son nom rime avec tille enceinte.

l'obstétrique et le culte 115

« levaient le tablier de celte statue, espérant devenir fécondes, par la vue seule des parties sexuelles du saint ». Pour être complet, nous signalerons encore les vertus prolifiques des braguettes ou culottes de Saint François d'Assise, au rapport d'Henri Estienne, et celles de la châsse de Saint Urbic, évèque de Glermont, en Auvergne. Ce saint était marié, mais en recevant l'épiscopat, il avait fait vœu d'observer la continence avec sa femme. Un soir de printemps, celle-ci se glissa dans le lit épiscopal et devint grosse d'une fille. Sa châsse conserva, après sa mort, la même faculté de donner des enfants aux femmes qui en désiraient. Citons encore, pour mémoire, Saint Renaud, qui opérait en Bourgogne; Saint Barthélémy, en Allemagne, et Saint Nerlin, dans le diocèse de Beauvais. Accordons, pour finir, une mention spéciale à Saint Martin, dont les vertus prolifiques ont été habilement exploitées par une revue bimensuelle du Midi, l'Ange Adorateur. Cette publi- cation, honorée du patronage de plusieurs évêques, a imaginé une nouvelle sorte de prime, annoncée par ses prospectus dans les termes suivants :

L'administration du journal vient de se procurer à grands frais un morceau de ce fameux manteau qui recouvre la châsse do Saint Martin, évêque de Tours, connu du monde entier pour ses nombreux miracles.

Nos chers associés ou abonnés de la région du Midi, qui auraient ou qui connaîtraient des femmes stériles, pourront les envoyer à Agde et éviter ainsi le voyage de Tours. (Attouchements gratuits.)

L'austère Saint Bernard ne dédaigne, même encore aujourd'hui, de prêter ses bons offices au sexe en détresse. «Les femmes enceintes», écrit à Mgr Guérin, le curé de Montsalvy (Cantal), «se recommandent à Saint Bernard, et, dans leurs couches, elles sont très heureuses d'avoir quelques parcelles de ses reliques, ce qui leur est facile, vu que : vers 1844 ou 1845, Mgr Jalabert, vicaire-général, ouvrit l'ancienne châsse pour prendre un os destiné à la cathédrale de Saint-Flour, et donna de petits os au curé d'alors, et en 1865, lorsqu'il s'agit de remplacer l'ancienne châsse, Mgr l'évêque m'auto- risa à retirer, pour les distribuer, de petits fragments que le temps ou le frottement avajt détachés ».

Les Jésuites ont prêté toutes les vertus à leur Inigo de Loyola, Saint Ignace pour les dévotes. Rien de surprenant si leur P. Terwe- coren le recommande aux femmes et contre la stérilité et contre les couches laborieuses. Dévotion facile, génération assurée, accouche- ments aisés ! Il n'y a que lui !

lit) HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Ignace avait jadis un rival redoutable dans Thomas d'Orvieto. Il prêtait aussi son concours aux femmes sur le point d'accoucher ; pour entrer dans ses bonnes grâces, il suffisait de lui adresser la prière suivante que relate le Recueil des Scapulaires : « Vous vous êtes toujours montré le protecteur spécial des femmes qui deviennent mères. Veuillez, ô glorieux saint, m'assister aussi en ce dangereux moment, et m'obtenir la grâce d'une heureuse délivrance ». Mais qui songe aujourd'hui à Thomas?

A Barcelone, du tombeau de Raimond de Penafort, ancien général des Dominicains, sort continuellement une poussière sainte, dont la vertu est de faire accoucher rapidement et sans douleur toute femme assez courageuse pour en boire une demi-once dans un verre d'eau. Singulier excitant pour les utérus paresseux.

Il semblerait que l'inventeur de la féroce Inquisition n'ait guère compatir aux douleurs physiques de l'humanité; pourtant, à Mar- seille, Saint Dominique d'Osma hâtait les délivrances, avec son étole pour tout instrument.

Si l'on se défiait du premier des Dominicains, on pouvait aussi se recommander à Saint Bonaventure, général des Franciscains.

Ecoutons maintenant ce que nous dit Collin de Plancy sur un certain Robert, abbé de Newminster, en Angleterre, mort vers 1159 : « On l'accusa de quelques galanteries, parce qu'il avait un commerce trop étroit avec une dame qu'il avait convertie; mais sa cein- ture faisait tant de miracles à Newminster, en faveur des femmes qui souhaitaient un accouchement heureux, qu'elle fit taire la médisance».

Il est juste de permettre aux Petits Bollandistes de nous présenter un spécialiste d'un certain renom, Saint Udault : « La protec- tion la plus manifeste du saint martyr s'éprouve dans les accouche- ments difficiles. Il n'est pas alors de femme qui ne le trouve propice, si elle l'invoque avec ferveur ». Ils ajoulent qu'à la collégiale de Saint-Ours, dans la vallée d'Aoste, si, dans ses couches, une femme court péril, on a coutume de lui présenter un calice ayant appartenu à Saint Udault.

Nous terminerons par Saint André, que nous avons entendu invoquer d'une façon bien singulière ; peut-être n'était-il question de lui que pour la rime. Le fait a déjà été rapporté dans notre Généra- tion humaine : Nous avons accouché, y disions-nous, une femme de bonne famille qui ne cessait de répéter, pendant toute la durée du travail, cette bizarre prière : « O mon bon Saint-André, faites qu'il ne me fasse pas plus de mal pour sortir qu'il ne m'en a fait pour entrer ! »

Mais, de nos jours, tous ces saints de la vieille légende ont été dé-

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

117

possédés par un confrère que P. Parfait, dans son Arsenal de la dévo- tion, dénonce hautement comme un accapareur; en face de la con- currence moderne, leurs sanctuaires sont comme une humble, mais honnête boutique écrasée par quelque colossal Bonheur des Dames. L'article à la mode, article avantageux entre tous, économique, inu- sable, sans rival, c'est le Cordon de saint Joseph (1). Et pourtant, plus d'une dame ne se contenterait pas des mérites conjugaux d'un époux in parlibus.

Lisez cet extrait d'un étonnant prospectus dans lequel le R. P. Huguet préconise la vertu miraculeuse du saint cordon de Joseph (2)

(1869). « Une de mes cousines », dit le révérend, « allait devenir mère pour la quatrième fois. Déjà des dou- leurs aiguës s'étaient fait sentir. Huit jours s'écoulent. Lesdouleurs devien- nent plus fortes, presque insupporta- bles... Le quinzième jour ma cousine n'est pas encore délivrée... Le ving- tième jour arrive ; la malade, dont l'état est des plus alarmants, exté- nuée, accablée par une souffrance continue et violente, peut respirer à peine. Elle est aux portes du tom- beau... Une des personnes qui entou- raient le lit de la malade songea au cordon bénit de Saint Joseph et aux merveilles qu'il avait souvent opé- rées. Vite elle court le chercher. A sa

F.g. 68. - Cordon do Saint Joseph, avec VUe> la flgUre de la malade parut sept nœuds qui sont le symbole des sept changer. Quelle impression avait- douleurs et des sept allégresses de Saint ni' » . c, -nt ■>•

j0SePh. elle donc éprouvée ? Nous 1 ignorions

(1) Ce cordon a donc le double emploi de mener à bien les femmes en couebes et d'aider à éteindre le feu de la concupiscence pour conserver « la vertu de conti- nence et de chasteté ».

(2) Les cordons de saint Joseph, dit le prospectus, bénits et parfaitement conformes aux dernières décisions de Rome, se trouvent chez Henri Briquet, à Saint-Dizier (Haute-Marne).

En coton.

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En fil.

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118 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

alors; mais, depuis, la malade nous a dit qu'elle avait entendu une voix intérieure lui dire : « Aie confiance, ma fille; par ce cordon, tu seras heureusement délivrée ».

Son mari, tout en larmes, lui mit le cordon autour des reins, plein d'espoir en Saint Joseph, et n'attendant que de lui seul le salut de sa chère épouse. Deux heures après, une délivrance des plus heureuses justifiait la confiance des assistants, du mari et de la malade. Ce qui prouve qu'en matière d'accouchement, il ne faut jamais négliger le cordon.

Outre ces dévotions particulières, l'Eglise a encore des prières plus générales pour les femmes en travail. Saint Charles Borromée et Saint François de Sales sont les auteurs de deux oraisons qui se trouvent dans certains rituels, et que nous traduirons à titre de curio- sité. Celle de Charles Borromée est presque un office complet :

BÉNÉDICTION DE SAINT CHARLES BORROMÉE, ARCHEVÊQUE DE MILAN, SUR LA FEMME GROSSE DONT ON REDOUTE UN ACCOUCHEMENT FUNESTE.

Le Prêtre dit :

Dieu venez à notre aide, etc. ; Gloire au Père..., etc.;

La terre a donné son fruit.

Que Dieu ait pitié de nous et nous bénisse, qu'il éclaire pour nous sa face et ait compassion de nous.

Afin que nous connaissions sa voix sur la terre et le salut qu'il a ap- porté à toutes les nations.

Les peuples ont confiance en vous, ô mon Dieu ; toutes les nations ont confiance en vous.

Tous ils se réjouissent, ils exultent de joie, parce que vous les jugez suivant l'équité, et que vous les gouvernez sur la terre.

Les peuples ont confiance en vous, ô mon Dieu ; tous les peuples ont confiance en vous : la terre a donné son fruit.

Bénissez-nous, ô mon Dieu, bénissez-nous; que tous vous craignent, sur toutes les parties de la terre.

Gloire au Père..., etc.

La terre a donné son fruit.

Notre Père..., etc.

f Et ne nous induisez pas en tentation.

r$ Mais délivrez-nous du mal.

f Sauvez votre servante.

r! Qui espère en vous, ô mon Dieu.

f Soyez-lui, ô mon Dieu, la tour inexpugnable.

f^ En face de l'ennemi.

f Que l'ennemi ne puisse rien contre elle.

l'obstétrique et le culte 119

f^ Et que le fils de l'iniquité n'approche pour lui nuire.

y Envoyez-lui, Seigneur, votre secours du haut du Ciel.

^ Et de Sion protégez-la.

y Seigneur, écoutez notre prière.

rJ Et que nos cris s'élèvent jusqu'à vous.

y Que le Seigneur soit avec vous.

}\ Et avec votre esprit.

PRIONS

Seigneur Dieu, créateur et maître de toutes choses, acceptez, nous vous en supplions, le sacrifice d'un cœur contrit et le fervent désir de ta servante qui vous supplie humblement pour la conservation du fruit débile que vous lui avez permis de concevoir. Protégez ce qui vous appartient et sanctifiez-le de l'immense bénédiction de votre grâce; défendez-le de toute trahison, des insultes de l'ennemi et de toute ad- versité, pour qu'il parvienne, sain et sauf avec votre secours, à la lu- mière de cette présente vie, qu'il te serve pieusement avec tous les fidèles et mérite finalement d'arriver à la vie éternelle. Par notre Sei- gneur, etc. Ainsi soit-il.

y Le Seigneur soit avec vous.

f$ Et avec votre esprit.

y Dieu nous bénisse et nous exauce.

f^ Ainsi soit-il.

y Séparons-nous en paix.

j\ Au nom du Christ.

y Bénissons le Seigneur.

f^ Rendons grâces à Dieu.

Le Prêtre l'asperge ensuite d'eau bénite en disant :

Que la bénédiction de Dieu tout puissant, Père, Fils et Saint-Esprit descende et soit toujours sur toi et sur ton enfant; qu'elle y soit à jamais. Ainsi soit-il.

ORAISON DE SAINT FRANÇOIS DE SALES, QUE DOIVENT RÉCITER LES FEMMES ENCEINTES

(Tirée du livre trois de ses Epitres spirituelles ; Ep. LXXXIII). 0 Dieu éternel, Père d'une immense bonté, qui avez ordonné le ma- riage pour multiplier les hommes sur cette terre et remplir, haut, la Cité éternelle; vous qui avez principalement destiné à cette fonction notre sexe, voulant ainsi que notre fécondité fût le signe de votre béné- diction sur nous, me voici prosternée devant la face de votre majesté, que j'adore, en faveur du petit enfant que j'ai conçu et que vous avez daigné, par votre grâce, former dans mes entrailles. Mais, ô Seigneur, puisque cela vous a plu, étendez sur moi jusqu'à l'accomplissement de

120 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ce que vous avez commencé, le bras do votre providence ; que votre perfection vienne au secours de ma grossesse, et de votre protection continuelle, assistez avec moi la créature que vous avez voulu former en moi jusqu'à l'heure elle viendra à la lumière. Alors, ô Dieu, se- courez ma vie, de votre droite sainte raffermissez ma faiblesse, regardez mon fruit d'un œil bienveillant, afin qu'étant à vous déjà par la créa- tion, il le soit encore par les mérites de la Rédemption, et que, ayant reçu l'eau du très saint baptême, il repose dans le sein de l'Eglise» votre épouse. O Sauveur de mon âme, vous qui, alors que vous viviez sur la terre, aimiez si ardemment les petits enfants, qui les preniez si souvent dans vos bras, recevez également celui-ci et prenez-le en votre sainte adoption pour que vous ayant et vous invoquant comme Père, votre nom soit sanctifié en lui et que votre royaume lui appartienne. Rédempteur du monde, je le députe vers vous de tout mon cœur, je le dédie et le consacre à l'obéissance de vos commandements, à l'amour de la servitude qui vous est due et à la servitude de votre amour. Mais puisque votre justice a soumis la mère du genre humain et toute sa postérité à maintes douleurs et aux souffrances de l'enfantement, j'ac- cepte volontairement toutes les souffrances qu'il vous plaira permettre, ô Seigneur, qu'à cette occasion je supporte; je vous conjure seulement par le saint et joyeux enfantement de votre très innocente Mère, de m'être propice au moment où, malheureuse et vile pécheresse, j'accou- cherai, de m'accorder ainsi qu'à l'enfant que vous avez daigné me donner, l'éternelle bénédiction de votre amour ; je vous la demande humblement, pleine de confiance en votre bonté.

Et vous, très sainte Vierge mère, ma maîtresse que je chéris, vous, l'unique Reine et la gloire des femmes, sous votre patronage et dans le sein de votre maternelle et incomparable suavité, recevez mes vœux, mes prières, pour que la miséricorde de votre Fils daigne les exaucer. Je vous le demande et vous en supplie, vous qui êtes la plus aimable des créatures, par le virginal amour, dont vous entouriez votre époux bien aimé, saint Joseph, par les mérites infinis de la nativité de votre Fils et par les saintes entrailles vous l'avez nourri. O saints Anges, préposés à ma garde et à celle de l'enfant que je porte, défendez-nous, guidez-nous tous les deux, pour que, grâce à votre secours, nous puis- sions parvenir à la gloire dont vous jouissez, pour que nous méritions de louer et d'exalter avec vous notre commun roi et Seigneur, qui règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

121

C. RELIQUES ET PRATIQUES SUPERSTITIEUSES RELATIVES AUX ACCOUCHEMENTS

Outre les reliques que nous avons déjà signalées avec les saints ou saintes qui s'y rattachent, il en est d'autres qui protègent les femmes enceintes, leur donnent une heureuse délivrance et abrègent leurs douleurs :

Au premier rang, citons les agnus dei (fig. 69), médaillons en cire blanche qu'il suffit de placer sous l'oreiller de la parturiente ; ils sont bénits et consacrés par le Pape. Dans l'oraison récitée par le Saint-Père

I'ig. 69. Agnus Dei.

aumomentdela bénédiction, il est dit enpropres termes : «Queles dou- leurs des mères qui e»fantent soient calmées, et que l'enfant soit con- servé sain et sauf avec sa mère». Comme preuve de l'efficacité du fétiche, le chanoine X. Barbier de Montault, qui a consacré un bel in-18 à la Dévotion aux Agnus Dei, rapporte l'histoire de Madeleine Dordi qui échappa aux risques d'un accouchement très pénible en prenant, à trois reprises différentes, des morceaux d'agnus imbibés d'eau bénite. On sait, sans doute, que les débris d'agnus passent pour avoir la même efficacité que l'agnus entier. Cette vertu des Agnus ne serait pas nouvelle; on raconte, en effet,

122 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

que le pape Urbain V en expédia trois à l'empereur des Grecs, avec ces vers il est fait mention de leurs qualités obstétricales :

Les tonnerres il chasse; Les péchés il efface; Sauve d'embrasement Et de submergement ; Garde de mort subite; Les diables met en fuite ; Dompte les ennemis. Hors de danger sont mis Et l'enfant et la mère Qui travaille à le faire; Et donne maint pouvoir Aux dignes de Favoir. Sa part, quoique petite, Tant que la grand' profite.

Par suite de quelle association d'idées s'avise-t-on de donner aux pierres dont fut lapidé saint Etienne le même privilège qu'aux Agnus? Nous ne savons. Calvin, dans son Traité des Reliques, plai- sante cette singulière croyance :

On demandera c'est qu'on les a pu trouver, et comment ils les ont eues, de quelle main et par quel moyen. Je réponds brièvement que cette demande est folle ; car on sait bien qu'on trouve partout des cail- loux, tellement que la voiture n'en coûte guère... Et de fait, les Carmes de Poitiers, depuis quatorze ans, ont bien trouvé de ces pierres, aux- quelles ils ont assigné l'office de délivrer les femmes, lesquelles sont en travail d'enfant. Les Jacobins, auxquels on avait dérobé une côte de Sainte Marguerite servant cet usage, leur ont fait grande noise, criant contre leur abus ; mais à la fin ils ont gagné en tenant bon.

La maison de notre-dame à Nazareth, Jésus fut conçu dans le sein de Marie, passe pour opérer de grandes merveilles. Collin de Plancy décrit comme suit et le local et les propriétés du local :

C'est un petit caveau souterrain, qui n'a guère que dix-huit pieds de longueur et qui est taillé dans le roc ; on y remarque deux colonnes, dont l'une, qui est rompue à sa base, inarque l'endroit la Sainte-Vierge était à genoux, lorsque l'ange Gabriel vint lui annoncer le mystère de l'incarnation. La colonne qui est rompue à sa base, et qui se soutient presque suspendue à la voûte par une espèce de miracle perpétuel,

l'obstétrique et le culte 123

opère tous les jours de grandes merveilles. On dit que les femmes en- ceintes qui peuvent s'y aller frotter accouchent heureusement ; on ajoute que des ceintures qui ont touché cette colonne produisent les mêmes merveilles en différents pays.

La sainte chemise que Marie portait lorsqu'elle mit au monde Notre Seigneur, et qu'elle garda pendant toute la durée de sa grossesse, se trouve en même temps à Aix-la-Chapelle et à Chartres, les femmes enceintes timorées vont adorer ce tissu ubiquitaire. Mais afin d'éviter un voyage quelquefois dangereux, toujours fatigant pour les femmes dans une situation « intéressante », l'église Notre-Dame de Chartres a ingénieusement imaginé de faire fabriquer, comme fac-similé de la sainte relique, des chemisettes que l'on porte sur soi et qui possèdent les mêmes vertus que l'original (1).

« Parmi les faveurs attribuées à cette pieuse pratique, dit un pros- pectus répandu par l'Œuvre des clercs de Notre-Dame, l'histoire mentionne spécialement les heureuses délivrances des mères et la sauvegarde des soldats sur les champs de bataille ». Nous dénonçons les clercs de Notre-Dame pour exercice illégal de la médecine.

Dans l'illustre abbaye d'Anchin, s'élevant jadis près de Douai, on conservait I'anneau de la vierge qui jouait son rôle dans les accou- chements. Un savant local, médecin tombé dans l'archéologie, le doc- teur Escallier, rapporte, d'après Fr. de Bar, deux épisodes con- cluants :

Une certaine femme, d'auprès d'Arras, était en mal d'enfant; depuis cinq jours, elle souffrait sans pouvoir être délivrée. Cette malheureuse était difforme et construite de telle façon que les sages-femmes, aidées de savants médecins, ne pouvaient opérer sa délivrance, lorsqu'une vieille femme survenant fit boire à la patiente de l'eau consacrée par l'immersion de l'anneau de la Vierge : incontinent la femme mit au monde un enfant bien portant.

Voici l'autre fait qui témoigne de l'efficacité du bijou de la Vierge :

Le 2 mai 1591, le comte de Ligne avait envoyé un gentilhomme de sa famille à l'abbaye d'Anchin pour chercher le précieux joyau. L'abbé l'ayant confié au gentilhomme, celui-ci était à peine arrivé sur le terri- toire domauial de Ligne, qu'une pieuse femme, qui, depuis trois jours, était en travail d'enfant, fut délivrée presque sans douleur.

(1) Des esprits malintentionnés ont contesté jusqu'à l'existence de cet original.

124 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

La ceinture de la vierge se trouve en divers endroits, notamment au Puy-Notre-Dame, en Anjou, et dans l'église de Quintin, petite ville de Bretagne.

La ceinture du Puy-Notre-Dame (fîg. 70) est faite d'un tissu de lin et de soie recouvert d'un filet à mailles serrées. Elle est renfermée dans trois enveloppes qui ne permettent d'apercevoir la sainte relique qu'à travers deux anneaux en argent doré, fermés par un verre de cristal relevé eu bosse et qu'on appelle les monslrances, présent de Louis XIII. Le saint tissu ne sort du reliquaire que le dimanche qui suit la Nativité, jour du pèlerinage ; les fidèles peuvent alors la baiser à leur gré. « Est-ce une véritable ceinture de la bienheureuse Vierge Marie, se demande l'abbé Zacharie Bédouel? S'il est difficile de le prouver, il nous est facile au moins de l'admettre en consultant le té- moignage populaire et en considérant les miracles et faveurs signa- lées obtenus par son attouchement ». Sans être un parpaillot, on peut douter de l'authenticité de la précieuse relique.

Quoi qu'il en soit, la renommée des bienfaits octroyés aux femmes enceintes par l'attouchement de la sainte ceinture parvint aux oreilles de Louis XIII, qui voulut faire porter à Anne d'Autriche ce précieux talisman, lorsqu'après vingt-trois ans d'union stérile, la grossesse de la reine fut déclarée certaine.

Grandet nous dit, dans sa Notre-Dame angevine, que :

Le vingt-sept janvier, maître Louis de Bernage, conseiller et au- mônier du roi, vint, de la part de Sa Majesté, au chapitre du Puy, pour demander la sainte ceinture, comme aussi pour y faire toucher des rubans de la même longueur de ladite ceinture, pour porter à la reine, afin qu'il plût à Dieu de lui faire la grâce d'accoucher heureuse- ment d'un Dauphin : et pour cet effet elle désira qu'on fit une neuvaine à son intsntion, laquelle fut commencée le môme jour par une messe solennelle chantée au grand autel dédié à Marie ; le chantre portant son bât m, la sainte ceinture étant exposée sur l'autel dans son vase ordinaire avec les ceintures et un rosaire de la Vierge qui ont touché des deux côtés la vraie ceinture, depuis un bout jusqu'à l'autre, la couverture de satin ayant été décousue, pour cet effet, par le sacristain-chanoine de Saint-Georges, en présence de tout le chapitre : et lors de la consécra- tion le dit de Bernage présenta un cierge à l'autel de la forme ordinaire, et se ceignit la ceinture par la tête au nom et intention de la reine : et afin d'exciter le peuple à demander à Dieu la même grâce, on exposa pendant neuf jours le saint sacrement sur l'autel, et lors de la consé- cration de chaque messe, un chanoine présenta aussi un cierge blanc à la même intention.

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

125

La ceinture fut portée à la Reine, à Saint-Germain-en-Laye, et M. de Saint-Christophe, qui eut l'honneur de la lui ceindre autour des reins, la rapporta en Anjou.

Fie. 70. Ceinture de la Vierge du Puy-Notre-Dame.

Deux mois après, le chapitre du Puy reçut la lettre suivante

Aujourd'hui vingt-cinquième jour do mars mil six cent trente-huit, le roi étant à Saint-Germain-en-Laye, ayant une confiance particulière en l'intercession de la glorieuse Vierge Marie, envers Jésus-Christ son fils, et désirant employer spécialement son assistance sur la grossesse

126 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de la reine, à ce qu'il plaise à Dieu lui faire porter heureusement son fruit.

Sa Majesté ayant fait apporter de Notre-Dame-du-Puy, en Anjou, la ceinture de' la Vierge, qui y est depuis longtemps gardée audit lieu, pour appliquer à cette bonne intention sur le corps de la reine, et, considérant que l'on ne peut honorer et conserver assez dignement une si sainte relique, Sa Majesté a fait don, à ladite église de Notre-Dame- du-Puy, d'une châsse d'argent vermeil, dorée, à jour, ornée d'une image de la Vierge, au haut d'icelle, avec une petite cassette d'argent, le tout pesant trente-quatre marcs et dans un étui garni de velours, pour, après que ladite châsse et cassette auront été bénites en la manière requise, y mettre la sainte ceinture de la Vierge, et y être perpétuellement gardée à l'avenir.

Mandant, Sa Majesté, aux doyen, chanoines et chapitre de ladite église d'effectuer et faire observer ce qui est en cela de son intention sans y contrevenir, ni permettre qu'il y soit contrevenu, ayant, pour témoignage de sa volonté, fait expédier le présent brevet, qu'elle a signé de sa main et fait contre-signer par moi, son conseiller, secrétaire d'État en ses commandements et finances.

Signé : Louis. Et plus bas : Sublet.

Pleine de confiance en la sainte relique, Anne d'Autriche, sentant son terme approcher, écrivit le sept août aux chanoines du Puy de lui envoyer de nouveau la sainte ceinture, qu'elle désirait avoir sur elle au moment de sa délivrance. Le chapitre s'empressa d'obéir au désir de la reine, qui, le cinq septembre, quelques heures avant d'accoucher, la prit sur elle et mit heureusement au monde un fils : par reconnaissance, elle l'appela Dieudonné ; c'était Louis XIV. Anne d'Autriche, à sa seconde grossesse, demanda encore la sainte relique. Sa lettre est ainsi conçue :

A nos très chers et bien-aimés les doyen, chanoines et chapitre de l'église collégiale de Notre-Dame-du-Puy, en Anjou.

De par la reine,

Très chers et bien-aimés, le favorable succès que nous reçûmes par la puissante intercession de la glorieuse Vierge dont vous nous apportâtes la ceinture il y a deux ans, pour la naissance de notre très cher et très aimé fils le Dauphin, nous faisant espérer de sa bonté, les mêmes grâces pour l'heureuse délivrance de l'enfant quïl plaira à Dieu de nous donner. Nous vous faisons encore celle-ci, pour vous dire que nous désirons que vous nous en envoyiez, par ceux que vous députerez de votre compagnie, cette sainte relique pour la singulière dévotion que nous portons à la sacrée mère de notre bon Dieu, et la confiance que

l'obstétrique et le culte 127

nous avons en ses prières. A quoi nous assure de votre affection eu notre endroit, que .vous apporterez la plus grande diligence que nous pouvons nous promettre.

Signé : Anne. Et plus bas : Legras.

La ceinture fut portée à la reine qui, l'ayant sur elle, le 21 septem- bre, mit au monde un second fils nommé Philippe, duc d'Anjou, de- puis duc d'Orléans.

Elle fut aussi proposée par M. Louvet à l'impératrice Eugénie, lors de la naissance du Prince impérial, mais celle-ci préféra les reli- ques de Sainte Marguerite.

Nous trouvons dans le Pèlerinage de la sainte ceinture au Puy- Notre-Dame, de l'abbé Zacharie Bédouet les deux prières suivantes à l'usage des pèlerins :

ORAISON POUR LES FEMMES ENCEINTES

O bien heureuse Vierge Marie ! qui avez conçu le Fils de Dieu par l'opération du Saint-Esprit, porté neuf mois en votre chaste sein, sans peine, et enfanté sans douleur ni altération de votre virginité. En revê- tant ce ruban sanctifié par son contact avec votre sainte Ceinture, je me mets sous votre garde, et me jette dans les bras de votre maternelle protection, vous suppliant par votre divin fils Jésus, qu'il vous plaise de préserver de tout mal le fruit que je porte ; faites-moi comprendre les délicates et vraies attentions que cet enfant réclame dès aujourd'hui de l'amour maternel. Je vous demande très humblement, par celui qui vous a délivrée des douleurs de l'enfantement, que vous adoucissiez et abrégiez les peines et les tranchées de mon accouchement, lesquelles je vous offre dès à présent, pour les présenter alors à mon Rédempteur, en mémoire et en union des chagrins et des souffrances que lui et vous, endurâtes sur le Calvaire, et en rémission de mes péchés.

O Marie ! vous qui êtes bénie entre toutes les femmes, qui avez mis la vie au monde, qui êtes la mère du salut, faites que l'attouchement de votre glorieuse et sainte Ceinture répande en nous une heureuse fécon- dité de mérites et de bonnes œuvres, et que le fruit de mes entrailles arrive heureusement au monde et parvienne à la grâce du saint bap- tême. Je vous offre, ô divine Mère, cette faible créature, je la dédie à votre service et à la gloire de Dieu, en union de l'amour avec lequel vous offrîtes votre cher Enfant Jésus sitôt que vous l'eûtes conçu et enfanté; auquel soient honneur et gloire avec vous par tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

108 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

PRIÈRE POUR UNE FEMME PRÊTE D'ACCOUCHER

Dieu tout-puissant et éternel, qui avez inspiré dès les premiers siècles à votre Eglise de célébrer la gloire de la Mère de votre divin Fils, en instituant une fête en l'honneur de la Ceinture sacrée que porta Marie, faites, nous vous en supplions, que ceux qui l'honorent pieusement sur la terre, triomphent du péché et arrivent un jour à l'éternelle béatitude. Souvenez-vous, grand Dieu, des larmes de la bienheureuse Marie et des souffrances de notre bon Jésus, pour diminuer et adoucir en faveur de votre servante le juste châtiment qu'attira sur l'humanité la faute de nos premiers parents. Si justement irrité du crime d'Eve, vous avez rendu notre naissance chétive et asservi nos mères à des peines si cruelles pour nous mettre au monde, afin de nous humilier, ayez pitié de votre servante; modérez, je vous prie, les douleurs que l'enfante- ment me prépare; en considération de la sainte Ceinture de Marie que je révère, usez de votre pitié et de votre bonté envers moi; ne tirez pas vengeance de mes fautes, mais délivrez-moi par votre clémence. Re- gardez, Seigneur, votre image que je porte dans mon sein; ne permettez pas que la mort la prévienne avant qu'elle soit marquée du sceau de votre grâce.

O Marie, espoir des chrétiens ! obtenez à cette frêle créature la grâce d'arriver au saint baptême ; et, si vous daignez m'obtenir le bonheur de la voir grandir, à la satisfaction de la famille, préservez ce cher enfant de la contagion du monde, inspirez-lui une vive horreur du péché, un grand désir de sanctification. Faites, Mère de miséricorde, qu'étant heureusement délivrée, je ne démente pas la vois de ma prière par celle de ma vie, ni que je détruise par le mauvais exemple que je don- nerais à mon enfant, par mes conseils indiscrets, ou par ma négligence, ce que je vous prie de mettre et d'établir en lui. O sainte Vierge, mère du Sauveur! bénissez-moi en bénissant mon enfant, et veillez sur moi, afin que je puisse veiller sur lui; faites que je l'élève dans la sagesse, dans la crainte de Dieu et dans votre amour, pour que nous méritions de chanter vos louanges dans l'éternité. Ainsi soit- il.

Passons maintenant à la concurrence de Quintin. « La tradition quintinaise », dit le père Guépin, « affirme non seulement que cette relique a appartenu à la Sainte Vierge, mais qu'elle est l'ouvrage même de ses mains, et que Marie la portait lorsque le fils de Dieu descendit dans son sein...

« Dès que la ceinture de Marie fut apportée à Quintin, on vit naître dans notre ville une dévotion que nous retrouvons dans presque tous les lieux qui ont possédé de semblables trésors. Les femmes enceintes

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demandèrent à cette précieuse relique une protection contre les périls de la maternité... Toutes les fois que des femmes enceintes deman- daient la ceinture, un prêtre la sortait avec respect du reliquaire. Les pieuses clientes de Marie la passaient autour de leur taille et la gar- daient, durant le saint sacrifice qu'elles faisaient offrir pour leur heu- reuse délivrance. Quand, à l'heure de l'enfantement, l'une d'elles était en péril de mort, elle obtenait encore le secours de la précieuse ceinture qu'un des chanoines portait à sa maison. Comme de nos jours, Marie tenait à honneur de protéger ses humbles clientes, et un accident survenant à une mère ou à un nouveau-né était un fait inouï à Quintin. Aussi la ceinture delà Sainte-Vierge était-elle demandée dans des villes fort éloignées, et les chanoines de la collégiale fai- saient de fréquents voyages pour la porter à de nobles dames jusqu'à Rennes et au fond de la Basse-Bretagne ».

P. Parfait, à qui nous empruntons ces détails, consignés dans sa Foire aux reliques, nous révèle que la pieuse indélicatesse de certains fidèles parvint à distraire quelques bribes de la relique; c'est pour- quoi l'on décida que dorénavant, les femmes se contenteraient de porter, soit pendant une partie, soit pendant toute la durée de leur grossesse, des ceintures ou des rubans bénits, mis préalablement en contact avec la sainte ceinture (1); et ce nouveau système ne fit pas un moment regretter l'ancien. La diffusion du fétiche fut même rendue plus commode. « Des ceintures' bénites à Quintin ont donné bien loin de notre ville », dit encore dom Guépin, « des signes écla- tants de la vertu surnaturelle que le contact de la précieuse relique leur avait communiqués ». Et entre autres exemples, le brave homme cite celui d'une paysanne qui avait failli périr dans ses deux pre- mières couches. « Les troisièmes s'annonçaient terribles, et, d'après toutes les probabilités humaines, la pauvre mère devait y laisser la vie. Une jeune dame du voisinage lui prêta une ceinture bénite à Quintin, qui fut reçue comme le gage d'une protection assurée de Marie. Cette foi simple eut sur le champ sa récompense. L'enfant et la mère furent sauvés ».

Les ceintures miraculeuses par procuration, voilà une invention qui fait honneur au clergé de Quintin.

Il est fâcheux que, pour donner à la sous-ceinture la même valeur

(1) C'est un ruban de soie blanche sur lequel est imprimée en caractères bleus Tinvocation : «Notre-Dame de Délivrance, protégez-nous! » La même invocation est répétée sur le cachet bleu de la paroisse, nui donne à cette amulette son carac- tère d'authenticité.

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qu'à la pièce primitive, il faille tirer le morceau précieux du reli- quaire et induire ainsi en tentation les Quintinaises de dom Guépin.

Le peigne de la Sainte Vierge qui, d'après la Epoca, figura aux couches de la reine d'Espagne, serait plus facile à surveiller, n'étaient les trois cheveux qui l'accompagnent.

Un moyen de tout concilier, c'est le système de la Cloche : il suffit aux paroissiennes., dont le ventre aura été béni, d'attacher leur ceinture à l'anse d'une cloche d'église et de sonner trois coups vigoureux. L'effet sera le même que si elles possédaient la ceinture ou le peigne. Nous sommes même étonnés qu'aux deux vers fameux :

Laudo Deum verum, plebem voco, congrego clerum, Defunctos ploro, fugo fulmina, festa decoro,

On n'ait pas ajouté ce troisième :

Et facile infantes maternis extraho vulvis.

Un cierge brûlé à l'église ou dans la chambre de la parturiente, pendant toute la durée du travail, est un moyen plus pratique et, paraît-il, aussi efficace que celui des cloches.

Cari Schrœder, dans son Manuel d'accouchements, dit que, dans plu- sieurs pays, on faisait boire aux femmes en couches de l'encre avec laquelle on écrivait un Miserere mei, Domine, jusqu'aux mots Do- mine, labia mea aperies. Le calembour est aussi malpropre que la tisane.

Certaines prières passent pour avoir la même vertu que les cloches, les cierges, l'encre et les calembours ; telles sont les oraisons de Saint François de Sales, de l'archevêque de Panorme et celle de la Sainte Croix qui, découverte en 1505, sous le Saint Sépulcre, fut imprimée en 1880, rue Cassette. On y lit ces mots :

Quand une femme se trouve en enfantement, qu'elle entendra lire ou lira cette prière, ou la portera. sur elle, elle sera promptement délivrée ; elle restera tendre mère, et quand l'enfant sera né, il faudra poser cette prière sur son côté droit, et il restera préservé d'un grand nombre d'accidents.

Nous avons déjà cité le théologien Thiers. Dans son Traité des Superstitions, il assure que, d'après une ancienne croyance, les femmes n'éprouvaient aucune douleur pendant leurs couches, si quel- ques jours avant elles restaient assises durant l'Évangile de la messe. Cette superstition pourrait bien, comme les ablutions des Mahomé-

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tans, n'être que de l'hygiène. Ce qui est une simple folie, ce sont les exercices que, suivant le même auteur, on pratiquait sur les femmes grosses pour les faire accoucher sans douleurs.

De ces simagrées, la plus souvent employée était la suivante : il fallait lire le grimoire tête nue, puis le placer dans la main droite de la femme ; ensuite l'exorciste, dont le sexe paraît avoir été indifférent, devait faire sur le sujet autant de signes de croix qu'il y en avait de marqués dans l'oraison.

Voici le morceau :

Anna peperit Mariam ; Maria Christum Salvatorem nostrum ; Elizabeth Johannem Baptistam; sic mulier ista pariât salva in nomine Domini -j- Jesu Christi, puerum qui est in utero, sive sit masculus, vel femella. Venias foras, Christus te vocat, lux desiderat te videre ut vivas ; veni foras in nomine Domini nostri -{• Jesu Christi. Mulier cùmparit, Isetitiam non habet, quia venit hora ejus : et cùm peperit filium, jam non meminit pœnarum propter gaudium, quia natus est homo in mundum f Jésus autem transiens per médium illorum ibat. -j- Titulus triumplialis -J- Jésus y Nazarenus •J- Rex Judœorum f Miserere nobis.

Ce qui signifie :

Anne a enfanté Marie; Marie, le Christ notre Sauveur ; Elizabeth, Jean-Baptiste ; que de même cette femme, sauvée au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, mette au monde l'enfant qui est dans son sein, que cet enfant soit mâle ou femelle. Viens dehors, le Christ t'appelle, la lumière désire te voir pour que tu vives ; viens dehors au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Quand la femme enfante, elle n'a point de joie, parce que son heure est venue ; et quand elle aura enfanté un fils, elle ne se souviendra plus de ses douleurs, à cause de sa joie, parce qu'il est un homme au monde. Or Jésus allait passant au milieu d'eux. Inscription triomphale : Jésus de Nazareth, roi des Juifs, ayez pitié de nous.

Autre exorcisme que l'on faisait au moment de l'accouchement ; celui qui le récitait devait tenir à la main un cierge allumé; en l'allu- mant, on devait dire :

Notre Seigneur Jésus-Christ, étant au mont d'Olivet avec ses disciples, a ouï une femme qui enfantait, et dit à Jean-Baptiste : Va à l'oreille droite de cette femme et lui dis qu'ainsi comme Anne enfanta Marie, et Mario enfanta le sauveur du monde, ainsi enfante cette femme sans douleur, soit mâle ou femelle, soit mort ou vif, viens dehors, Christ te demande à sa lumière. JesuDalthasar te assistit; Jesu mémento filiorum Edom, dicunt exinanite, exinanite.

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Il fallait répéter plusieurs fois le même exorcisme et dire à la fin un Pater et un Ave. De plus on devait, avant de le réciter, ordonner à toute femme enceinte de quitter la chambre, dans la crainte de la voir accoucher sur l'heure. Enfin il fallait s'agenouiller et le mur- murer à l'oreille de la femme sur qui l'on voulait opérer. Ne riez pas ; allez à la campagne et mettez au chevet d'une fermière en travail la sorcière, avec ses formules cabalistiques, et Mmo Lachapelle, avec sa science et sa pratique, laquelle sera écoutée de préférence ?

D'ailleurs, les femmes avaient un moyen moins compliqué de hâter leur délivrance ; c'était de chausser les bas ou les souliers de leur mari.

Plusieurs conciles avaient défendu de donner l'extrême-onction aux femmes en travail ; sage défense, car, suivant une croyance commune, toutes celles qui recevaient ce sacrement n'accouchaient qu'avec peine, et, de plus, leur enfant avait la jaunisse.

Certaines autn s imprudences pouvaient faire accoucher d'un enfant mort : par exemple, passer sur un tombeau durant la grossesse ou porter un enfant sur les fonts baptismaux.

Superstitions relatives aux relevailles. C'est encore d'après Thiers que nous donnons les détails suivants :

Quand une femme est morte en couches, la matrone qui l'a assistée, ou une autre femme se présente à l'église et se fait relever à sa place. Sans la cérémonie de la purification, la défunte ne pourrait pénétrer dans l'église, ni être inhumée en terre sainte, ni voir Dieu au paradis.

Toutefois, à Argenteuil, on ne connaissait pas les relevailles par procuration ; on purifiait après décès; le prêtre faisait son office sur le cadavre, comme il l'eut fait sur une femme encore en vie.

Une autre bizarrerie consistait à tenir pour Juive toute nouvelle accouchée, tant que l'église ne l'avait pas purifiée. Jusqu'à ce qu'elle se fût présentée au prêtre compétent, elle restait chrétienne en inactivité ; il lui était même interdit de prendre l'eau bénite en entrant à l'église; elle ne pouvait que la recevoir de la sage-femme qui l'accompagnait. Cette superstition avait un côté incommode pour le mari ; la femme, avant la purification, ne pouvant ni faire le pain, ni s'occuper d'aucun soin domestique.

De même les chrétiennes du rite grec s'imaginaient, qu'étant immondes pendant les quinze ou vingt jours qui suivaient leurs couches, elles devaient demeurer oisives dans leurs maisons, sans toucher à quoi que ce fût, ustensile de ménage ou de cuisine. Elles ne rentraient en fonctions qu'après avoir ouï l'oraison qui est dans YEuchologue sous ce titre : Oratio in mulierem puerperam jjost

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viginti vel quindecim elles. Chez les chrétiens d'Abyssinie, la mère est considérée comme impure jusqu'après le baptême de l'enfant qui a lieu au bout de quarante jours pour les mâles, quatre-vingts pour les filles.

Nous n'en avons pas fini avec toutes ces superstitions.

La nouvelle accouchée aurait commis une grande faute si, en sor- tant de sa chambre, elle avait regardé le ciel ou la terre avant d'avoir entendu la messe. Au retour de la cérémonie des relevailles, elle devait veiller à ne point faire certaines rencontres : se trouver face à face avec un méchant, c'était exposer son enfant à tenir de lui. Il n'était pas indifférent non plus de trouver sur son chemin un garçon ou une fille : à la prochaine grossesse, l'enfant aura le sexe de celui qui se sera présenté aux regards. Imprudence que d'aller faire ses relevailles dans une église, le jour on y a célébré un mariage. Imprudence ou, suivant le cas, bonne précaution, que de choisir un vendredi pour la cérémonie ; c'est être infailliblement assuré de n'avoir plus d'enfants.

C'était au contraire le vendredi ou le mercredi que devaient se présenter au prêtre les femmes ayant avorté par accident : en y allant un autre jour, on s'exposait à se blesser dans la prochaine grossesse.

D. Embryologie sacrée.

Il faut se garder de confondre l'embryologie profane avec l'em- bryologie sacrée ; la première est une science physiologique, fort curieuse, qui étudie dans leur formation et leur développement les premières ébauches des corps organisés ; l'autre traite « de l'octroi du baptême aux fœtus arrivés prématurément au monde, à ceux qui sont encore dans le sein de leur mère, ou à ceux qui ne peuvent naître naturellement, question de la plus haute importance, car il est de foi que le baptême est nécessaire au salut de tout être possédant une àme raisonnable. » Telle est la définition qu'en donne un traité fort réputé (1).

(1) Joannis Gaspari Sœttler in sextum Deealogi prasceptum, m conjugum olli- gationes, et quœdum matrimvnium spectantia, prœlectiones ex ejusdem thvologia morali imvoersa excerpsit, notis et novis quœsitù amplificavit et denuo typis man- (Tari cura/oit P. J. Rousselot, S. S. theologiœ inseminario Gratiano politano pro- f essor, in ■■ graliam neo-corifessariorum et discipulorvm. Grenoble, 1810. Plusieurs réimpressions.

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Les discussions étranges de l'embryologie sacrée, ses conclusions parfois monstrueuses, ses procédés d'une chirurgie tantôt barbare, tantôt ridicule, méritent de nous arrêter quelque temps. D'ailleurs, il ne faudrait pas croire que celte prétendue science soit morte, comme la géomance ou l'astrologie, moins dangereuses qu'elle ; elle a encore ses docteurs, ses maîtres, ses chaires. Si Cangiamila de Païenne, l'aïeul in-folio, si Dinouart de Paris, son abréviateur in- quarto, sont aujourd'hui peu feuilletés de nos jeunes lévites, Sœltler revu par Rousselot (1) et Mgr Bouvier, évêque du Mans (2), sont en- core classiques dans nos séminaires. Nous emprunterons à leurs ou- vrages, hautement approuvés des autorités compétentes, certaines singularités assez édifiantes.

De l'avortement. Mgr Bouvier blâme l'avortement sans restriction ; il n'a qu'un tort, c'est de dresser un catalogue trop com- plet de tous les procédés, efficaces ou non, d'ordinaire mis en usage pour l'obtenir. Science mauvaise pour les célibataires qui craignent le scandale ! Sœltler et Rousselot ont plus d'audace et étudient nette- ment la question de savoir si l'avortement peut être conseillé en cer- tains cas : « Si une jeune fille enceinte se montre absolument déter- minée à détruire elle et son fruit, et ne puisse en être détournée autrement, il est permis de lui conseiller de détruire le fœtus seul, et de se conserver vivante. »

Pour nous, humbles laïques, nous rappellerons à la pauvre fille que le Code Pénal, dans sa brutalité, n'admet pas toutes ces déli- catesses de casuistes, et nous l'inviterons à se pénétrer de l'article 317(3).

Plus loin, les mêmes auteurs nous apprennent qu'il n'existe aucune peine canonique contre ceux qui procurent l'avortement d'un fœtus non animé (4). Mais à quel âge le fœtus est-il animé? Mgr Bouvier, qui décidément vaut mieux que sa réputation, cite Aristote, saint

(1) Voir la note de la page précédente.

(2) DisseHatio in scvtvm Decalogi prœceptum et svpplementitm ad tractatum de matrimonio. Paris, 1843 (Dixième édition). Réimpressions postérieures très nom- breuses.

(3) Elle y lira ce qui suit : « La peine de la réclusion sera prononcée contre la femme qui se sera procuré l'avortement à elle-même ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet, si l'avortement s'en est suivi. »

(1) La loi des Visigotbs et des Francs faisait une distinction entre le fœtus ani- mé ou inanimé : « Celui qui a tué un enfant formé paiera CCL solidi ; C seulement si l'enfant n'était pas encore formé. »

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Thomas, les disciples de ce dernier, Cangiamila, et finit par avouer, en toute franchise, qu'il l'ignore absolument. Rien de moins précis, en effet (1). Admettons un instant la doctrine aristotelico-thomiste, sui- vant laquelle un garçon est animé au bout de quarante jours, une fille au bout de quatre-vingts : il nous faudra conclure, comme P. Berl(2), qu'on peut avoir jusqu'au quatre-vingtième jour à ne pas pêcher, s'il s'agit d'un fœtus femelle et, s'il s'agit d'un mâle, jusqu'au qua- rantième seulement. Cangiamila ne nous accorde guère qu'une quin- zaine. Mais comment savoir?...

Ça, vous répondra Rousselot avec Sœttler, ça, c'est votre af- faire.

Fr. Génin, dans son livre trop oublié sur les Jésuites et V Université, montre bien les conséquences de ce bel enseignement :

« La cour d'assises a plus d'une fois constaté que des prêtres, tra- duits devant elle pour attentat aux mœurs, avaient fait avorter leurs maîtresses ; n'est-il pas possible de penser que les malheureux s'autorisaient peut-être en conscience de leurs cours de théologie morale? »

Dès le XVIe siècle, le pape Sixte-Quint semblait l'avoir compris : il avait édicté les peines les plus sévères contre ceux qui procuraient l'avortement, que le fœtus fut animé ou non. Il était d'ailleurs dans la véritable tradition.

L'ancienne discipline de l'Eglise Latine imposait trois carêmes, même aux femmes qui avaient eu le malheur d'un avortement invo- lontaire. Actuellement encore, l'Eglise Grecque ordonne dans ce cas des pénitences, présumant, dit l'abbé Dinouart, que Dieu n'a permis la perte d'un enfant, qu'en punition de quelque péché des parents.

Embryotomie et Crâniotomie. L'embryolomie et la crâniotomie sont deux opérations qui, dans un accouchement, mettant en danger la mère et l'enfant à la fois, sacrifient ce dernier pour sau- ver la première. L'instrument appelé embryotome découpe le fœtus en morceaux ; avec le crâniotome, on pratique la perforation des os du crâne.

(1) « On admet généralement aujourd'hui l'animation du fœtus dès qu'il y a vie, c'est-à-dire dès le premier moment de la conception. La distinction des Anciens entre le fruit animé et le fruit inanimé perd, par le fait même, sa raison d'être. Aussi a-t-elle disparu dans la récente bulle, Ajpostolioœ sedis, sur les censures, qui déclare excommuniés d'une manière générale «procurantes abortutn effectu secitto. >< Auparavant on lisait : procurantes ahorlum fœtus animait. »

(2) La morale des Jésuites,

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Jadis, l'Eglise était unanime à déclarer coupables ces pratiques chirurgicales ; de nos jours, elle hésite et se contredit. Rome, naguère interrogée par le cardinal-archevêque de Lyon sur la légitimité de la crâniotomie, l'a formellement, il est vrai, déclarée criminelle et impie. Mais, d'autre part, la sacrée Pénitencerie se montre bien moins affirmative. En 1869, on lui proposait le problème suivant de casuistique : « Thomas, prêtre, est appelé auprès de Julie que des couches difficiles mettent en danger. Le fœtus ne peut être expulsé d'aucune façon ; le médecin déclare que la mort de la mère est im- minente, si l'on ne coupe en morceaux l'enfant vivant pour l'extraire ensuite avec le forceps. Julie refuse avec horreur ; le médecin insiste, alléguant cette raison que l'existence certaine de la mère doit être préférée à l'existence incertaine de l'enfant. Julie demande à Thomas ce qu'elle doit faire. On demande si, dans l'espèce, l'opération peut être permise. »

Que répond le saint tribunal? Consulat probalos auctores : Qu'il consulte les auteurs approuvés. La décision n'est pas compromettante, car ces auteurs ne sont pas d'accord. Si Kenrick (1) paraît incliner à suivre l'avis des médecins, l'inexorable abbé Cresson répond par un non h'cet catégorique : « Quelque générale que puisse être, dit-il, cette barbare coutume, nulle raison ne peut la justifier. Les médecins qui se permettent de la suivre sont coupables de meurtre, et, avec tout le respect qui peut leur être dû, ne craignons pas de le dire, ils méritent d'être rangés parmi les assassins (2) ».

Mais vous, M. l'abbé, ne seriez-vous pas quelque peu l'assassin de cette pauvre Julie?

Notons toutefois que, de nos jours, l'intransigeance de ce canoniste farouche paraît être assez rare. Les uns se taisent, comme Bouvier; d'autres, Sœttler et Rousselot par exemple, restent dans le vague. L'Eglise même compterait des théologiens qui accepteraient, paraît- il, sans trop d'horreur, embryotomie et crâniotomie.

Baptême des avortons. Doit-on baptiser un avorton, c'est- à-dire un fœtus venu prématurément au monde? Uui, sans condi- tion, s'il est manifestement vivant ; sous forme conditionnelle si, la vie étant douteuse, il a cependant la figure et les premiers linéaments du corps humain. En ce dernier cas, il y a tout un rituel assez compliqué.

(1) Dans sa Thcologia moral ix.

(2) Hérite des Sciences ecclésiastiques, mai 1872. L'autorité de l'abbé Cresson est grande ; il a publié en 1870, cbez Poussk'lgm', un Manuel nom-eau fort estimé dans le monde religieux.

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Un avorton doit être baptisé conditionnellement, en usant de la for- mule : Si tu vivis, ego te baptizo, etc. Si l'avorton est enveloppé dans ses membranes, on doit le baptiser sur les membranes, en disant : Si tu es capax, etc. « Cette condition, remarque Dinouart, regarde autant le doute l'on peut être s'il vit, que le doute qui peut naître de la validité du baptême, à cause de la membrane dont il est enve- loppé. »

On ouvre ensuite la membrane et on baptise de nouveau sous condition : Si tu non es baptizatus, etc.; il est, en effet, possible que l'eau n'ait pas touché immédiatement le corps de l'avorton (1). Les baptêmes de ce genre se font par immersion dans un plat ou dans un verre rempli d'eau tiède. « Il faut, dit Mgr Bouvier, retirer l'enfant promptement, pour ne pas le noyer. Car quoi qu'on ait la certitude qu'il ne peut vivre longtemps, il n'est pas permis de le tuer, et celui qui le ferait volontairement serait homicide et irrégulier; mais s'il cause sa mort, tout en usant de précautions, il n'est ni irrégulier, ni coupable d'aucun péché. »

Baptême des monstres. L'Eglise actuelle ne nous semble pas avoir une doctrine bien solidement établie sur l'octroi du baptême aux monstres, c'est-à-dire aux fœtus s'écartant en tout ou en partie de la conformation naturelle. Une décision du pape Clément VII de- vrait cependant mettre les théologiens bien à l'aise. Dom Vaissette, en son Histoire générale du Languedoc, raconte que ce pontife, résidant à Avignon, fut consulté sur un cas fort singulier survenu dans la ville de Montpellier, le 6 septembre 1387. Une ânesse mit bas deux êtres ayant la forme d'enfants mâles; fallait-il leur administrer le bap- tême? A tout hasard, le Saint-Père se prononça pour l'affirmative. Si la plus haute autorité de l'Eglise, autorité infaillible, comme cha- cun sait, a voulu qu'on accordât le sacrement à deux êtres de prove- nance suspecte, comment refuser de faire chrétiens les produits de la femme, si monstrueuses que soient les déviations organiques qui les affligent. C'est pourquoi nous nous rallions à la doctrine professée à l'Université catholique de Lille, par le R. P. Vauverts, lequel ne traite pas le monstre plus mal que l'avorton.

« Pourvu qu'ils aient une forme, une apparence humaine, et que l'on puisse constater leur existence d'une manière absolue ou sous condition, il faut les baptiser : Sivivis, aut si capax es.

(1) Même en ce cas, il ne serait pas certain que le baptême fût nul ; on peut, en effet, comme le fait observer Mgr Bouvier, regarder cette enveloppe à laquelle l'en- fant tient comme faisant un tout avec lui.

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« Dans le cas môme le monstre ne présenterait rien d'humain, il faudrait encore baptiser sous condition : Situeshomo. Caries auteurs modernes affirment que tout être qui vient de la femme est un être humain et est muni d'une âme... Voici ce que dit M. Frédault : « Pendant longtemps on crut à la réalité des monstres (1), on imagi- nait que la femme pouvait concevoir avec des animaux et engendrer des petits, moitié homme et moitié bête. Une étude plus approfondie a changé ces manières de voir. On a reconnu que la femme ne pou- vait concevoir que de l'homme ; que la création d'un métis mons- trueux entre l'homme et la bête était impossible; en un mot, que la nature ne fait pas de monstres, et que les monstruosités ne sont que des vices de développement par suite d'accidents.

Le cardinal Gousset, dans sa Théologie morale, enseignait la même doctrine : « Quant aux productions irrégulières, nous pensons qu'on doit baptiser tout monstre qui sort du sein de la femme, quelque difforme qu'il soit, quelque ressemblance qu'il puisse avoir avec la brûle.

« D'un autre côté, dit Frédault, on n'a jamais vu, ce que l'on croyait autrefois, des formes véritablement monstrueuses, qui rappelassent des formes animales.

« Dans le doute, si un 'monstre est composé d'une ou plusieurs personnes, on doit s'attacher à ces paroles du Rituel : Peut-on discer- ner si le monstre a une ou plusieurs têtes, une ou plusieurs poitrines, il aura dès lors autant de cœurs, d'àmes et d'individualités distincts, et dans ce cas, chacun des êtres devra être baptisé. S'il y a péril de mort et que le temps manque pour que chaque être soit baptisé sépa- rément, on pourra, en versant l'eau sur chacune des têtes, les baptiser en même temps en disant : Ego vos baptizo. Quand il n'est pas bien certain que deux personnes soient réunies dans le même monstre, il faut en baptiser une d'abord absolument, et l'autre ensuite sous condition, de cette manière : Sinon es baplizatus, si tu n'es pas baptisé.

« Quand deux têtes sont réunies sur un seul corps, on peut affirmer la présence de deux âmes. L'analyse anatomique, dit Geoffroy Saint-Hilaire fils, dans Y Encyclopédie du dix-neuvième siècle, démontre que, dans de tels êtres, chaque individu possède en propre un côté de

(1) Sœttler, dans son Commentaire sur le VI' précepte du décalogue, à propos de cette question : s'il faut et si l'on peut baptiser les monstre*, fait précisément allu- sion à ce genre de monstruosités imaginaires : « Un monstre, dit-il, étant de la bestialité et ayant apparence humaine, on le baptisera s'il est le produit d'un homme et d'une bête, mais s'il provient d'une femme et d'une bête, il ne faut pas le baptiser. C'est que, dans le premier cas, mais non dans le second, il peut être homme, descen- dant naturellement d'Adam ».

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l'unique corps et l'une des deux jambes; et l'observation des phéno- mènes psychologiques confirme pleinement ce résultat singulier et pourtant incontestable. »

Le P. Scotti, dans le Médecin chrétien, examine un cas parti- culier. « Que faire, dit-il, quand le monstre est sans tête. Plusieurs auteurs pensent que cette créature, ne pouvant se dire humaine, est indigne de recevoir le sacrement de baptême, qui est fait pour les hommes. D'autres, au contraire, persuadés que le monstre vit, et que il y a vie, l'àme y est également, veulent absolument qu'on baptise. » La conclusion, fort raisonnable, du P. Scotti, c'est l'emploi du baptême conditionnel : Situ es homo..., etc. Parce moyen, il envoie aux célestes cohortes l'acéphale qu'il a baptisé, ou, si la créature n'est pas animée, il évite de profaner le sacrement. Le P. Scotti, malgré son esprit conciliant, est cependant sévère pour Tortosa . . Qu'est-ce que Tortosa, nous l'ignorons; mais le fait est que Tortosa s'appuyant sur l'autorité de quelques auteurs qui, au dire du P. Scotti, ne sont d'aucun poids pour un théologien, et, comme si son opinion était infail- lible,veut absolument éliminer «l'injurieuse formule » : Situ eshomo .. Exiger qu'un homme dont la tête porte calotte soit poli envers un acéphale I Ce Tortosa est un insolent personnage.

Baptême pendant l'accouchement. L'abbé Dinouart nous dit: « L'enfant, tant qu'il est possible, doit recevoir l'eau du baptême à la tête ; la plupart des théologiens ne croient pas qu'il soit indiffé- rent qu'il la reçoive sur quelque autre membre ». Toutefois, d'après les meilleurs auteurs, s'il présente un membre quelconque au dehors, la sage-femme ou l'accoucheur ne doit pas hésiter à le baptiser sur ce membre.

Remarquez le mot membre : le baptême doit, en effet, être administré sur une des parties intégrantes du corps humain; les statuts syno- daux du diocèse de Langres, en 1404, sont exprès à cet égard et ne reconnaissent pas le baptême du cordon ombilical quand « on le voit sortir du ventre de la mère et que le corps de l'enfant y est encore enfermé». Et d'ailleurs, le baptême sur le pied ou la main est-il bien valide ? Ces membres n'étant pas essentiels à la vie, on peut en douter. C'est pourquoi si l'enfant naît vivant, il faut le réitérer, sous con- dition : le Rituel de Rome l'exige expressément. D'autre part, si ce baptême anticipé avait été administré sur la tête, il ne devrait point être réitéré; tous, en ce cas, s'accordent sur sa validité, et Saint Thomas, et Saint Charles Borromée, et le Rituel Romain, et le pape Benoît XIV.

liO HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Fréquemment, il arrivequ'il soit urgent d'administrer le baptème(l), en l'absence du prêtre, Les sages-femmes sont-elles compétentes pour l'octroi du sacrement? Les Constitutions apostoliques déclarent que « pour la femme, c'est une présomption impie et sacrilège que d'entre- prendre de donner le sacrement de baptême ». Pourquoi Tertullien, Saint Jérôme, Saint Augustin, après eux Bossuet et la plupart des théologiens en renom, semblent-ils admettre que tout chrétien peut donner ce qu'il a reçu ? C'est la doctrine générale de l'Eglise. Et cependant, si l'on en croyait le docteur Verrier, qui a publié dans la Revue médicale de 1867 une étude complète sur ce sujet, et sur laquelle nous reviendrons bientôt, le baptême paraîtrait avoir une validité plus certaine s'il est conféré par un accoucheur, que s'il l'est par une sage-femme. L'Eglise grecque, plus libérale, reconnaît aux femmes le pouvoir de baptiser, en cas d'urgence, les nouveau-nés.

Quel liquide doit être employé pour le baptême? Le P. Gury, dans son Compendium theologiœ moralis, est assez abondant sur la ques- tion. La seule matière valable est l'eau naturelle; mais on peut ad- mettre comme efficaces l'eau de mer, l'eau sulfureuse, les eaux mi- nérales, la rosée, l'eau mélangée avec une autre substance comme le vin, le lait, etc., pourvu que l'eau soit la matière prédominante; sont matières douteuses : l'eau de lessive et la bière légère; doivent être rejetés absolument : le lait pur, le sang, les larmes, la sueur, la sa- live, le pus, l'urine, le vin pur, l'huile, la boue, l'encre, etc. L'abbé Dinouart ajoute prudemment que si l'eau ordinaire fait défaut, le baptême doit être donné sous condition, en disant: «Si je puis te baptiser avec cette eau, je te baptise, etc. »

Baptême intra-utérin. Cotte question du baptême est un sujet d'inquiètes et graves méditations pour tout esprit croyant. N'est-ce pas le baptême qui fait le chrétien (2), qui arrache les âmes à Satan ? Donc, rien ne doit être négligé pour disputer au malin toute proie, si mince qu'elle puisse être. S'inspirant de cette sage pensée, Benoît XIV est d'avis que si l'on n'aperçoit aucun membre à l'inté- rieur et que l'accouchement s'annonce comme très difficile ou impos- sible, on doit essayer de baptiser l'enfant dans le ventre de sa mère.

(1) Dans ce cas, le baptême prend le nom d'ondoiement.

(2) Jadis on croyait même que la présence clans la matrice d'un enfant non baptisé suffisait à souiller la mère ; les Eglises de Gaule refusaient la sépulture en terre sainte aux femmes mortes pendant leur grossesse ou pendant leurs couches. Le concile de Rouen abolit cette coutume en 1074.

l'obstétrique et le culte 141

Toutefois, si l'enfant venait à naître vivant, on devrait le baptiser sans condition.

Longtemps la validité du baptême intra-utérin fut contestée; Saint Thomas formulait une prohibition formelle: Infantes in ma- ternis uteris existentes baptizari possunt nulle modo: « Les enfants ne peuvent absolument pas être baptisés, tant qu'ils sont dans le ventre de leur mère ». La décision de Benoît XIV semble aujour- d'hui acceptée de toute l'Eglise. L'objection principale des anciens théologiens était que l'enfant devait naître à la vie avant de naître à la grâce. Mais, leur répond-on, l'enfant est formé et vit dans la cavité utérine; il est soumis au péché originel, et, par conséquent, il est susceptible de naître à la grâce. D'ailleurs la rupture des mem- branes qui l'enveloppent est nécessaire pour conférer le sacrement ; cette rupture mettant l'enfant en communication avec l'air extérieur, le fait naître à la vie avant qu'il ne reçoive le baptême. Donc le bap- tême intra-utérin sera valable toutes les fois que les enveloppes de l'œuf auront été rompues, que l'eau aura pu couler sur la partie fœtale qui se présente, et que le sacrement aura été conféré au nom des trois personnes divines, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Pour administrer le baptême intra-utérin, on introduit de l'eau tiède avec la main, une seringue ou un siphon, de manière qu'on touche l'enfant, et on prononce en même temps les paroles de la formule.

Tous les anciens traités d'accouchements publient une délibération de la Faculté de théologie de Paris (fig. 71), sur la validité du bap- tême intra-utérin conféré par injection. Voici cette décision:

Un chirurgien accoucheur, représente à Messieurs les Docteurs de Sorbonne; qu'il y a des cas, quoique très rares, une mère ne sçauroit accoucher, et même l'enfant est tellement renfermé dans le sein de sa mère, qu'il ne fait paroître aucune partie de son corps, ce qui seroit un cas, suivant les Rituels, de lui conférer, du moins sous condition, le Baptême. Le Chirurgien qui consulte, prétend, par le moyen d'un petite canule, de pouvoir baptiser immédiatement l'enfant, sans faire aucun tort à la mère. Il demande si ce moyen, qu'il vient de proposer, est permis et légitime, et s'il peut s'en servir dans le cas qu'il vient d'exposer.

RÉPONSE

Le conseil estime, que la question proposée souffre de grandes diffi- cultés. Les Théologiens posent d'un côté pour principe, que le Baptême qui est une naissance spirituelle, suppose unepremière naissance. 11 faut

142 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

être dans le monde, pour renaître en Jésus-Christ, comme ils l'en- seignent. S. Thomas, 3. part, quœst. 88, art. Il, suit cette doctrine comme une vérité constante; l'on ne peut, dit ce S. Docteur, baptiser les enfants qui sont renfermés dans le sein de leur mère. Nullo modo infantes in maternis uteris existentes baptisari possunt. Et S. Thomas est fondé sur ce que les enfants ne sont point nés, et ne peuvent être comptés parmi les autres hommes; d'où il conclut, qu'ils ne peuvent être l'objet d'une action extérieure pour recevoir, parleur ministère, les sacrements nécessaires au salut : Pueri in maternis ute7'is existentes nondùm prodierunt in lucem, ut cum aliis hominibus vitam ducant ; undè non possunt subjiciactionihumanse, ut per eorumministerium Sacra- menta 7'ecipiant ad salutem. Les Rituels ordonnent dans la pratique ce que les Théologiens ont établi sur les matières, et ils défendent tous d'une manière uniforme, débaptiser les enfants qui sont renfermés dans le sein de leurs mères, s'ils ne font paroître quelque partie de leur corps. Le concours des Théologiens et des Rituels, qui sont les règles des Dio- cèses, paroit former une autorité qui termine la question présente. Ce- pendant le Conseil de conscience, considérant d'un côté que le raison- nement des Théologiens est uniquement fondé sur une raison de conve- nance, et que la défense des Rituels suppose que l'on ne peut baptiser immédiatement les enfants ainsi renfermés dans le sein de leurs mères, ce qui est contre la supposition présente; et d'un autre côté, considérant que les mêmes Théologiens enseignent que l'on peut risquer les sacre- ments que J.-C. a établis comme des moyens faciles, mais nécessaires pour sanctifier les hommes ; et d'ailleurs estimant que les enfants, renfermés dans le sein de leurs mères, pourroient être capables de salut, par ce qu'ils sont capables de damnation; pour ces considérations, et eu égard à l'exposé, suivant lequel on assure avoir trouvé un moyen certain de baptiser ces enfants ainsi renfermés, sans préjudicier à la mère, le Conseil estime que l'on pourroit se servir du moyen proposé, dans la confiance qu'il a que Dieu n'a point laissé ces sortes d'enfants sans aucun secours, et supposant, comme il est exposé, que le moyen dont il s'agit est propre à leur procurer le baptême; cependant, comme il s'agiroit, en autorisant la pratique proposée, do changer une Règle universelle- ment établie, le Conseil croit que celui qui consulte, doit s'adresser à son Evoque, à qui il appartient de juger de l'utilité, et du danger du moyen proposé; et, comme sous le bon plaisir de l'Lvêque, le Conseil estime qu'il faudroit recourir au Pape qui a le droit d'expliquer les Règles de l'Eglise et d'y déroger dans les cas la Loi ne sçauroit obliger : quelque sage et quelque utile que paroisse la manière de baptiser dont il s'agit, le Conseil ne pourroit l'approuver sans le concours de ces deux autorités. On conseille au moins à celui qui consulte, de s'adresser à son Evoque, et de lui faire part de la présente Décision, afin que, si le Prélat entre dans les raisons sur lesquelles les docteurs soussignés s'appuient, il puisse être autorisé,

L OBSTETRIQUE ET LE CULTE

143

dans le cas de nécessité, il risquèrent trop d'attendre que la permis-

Fig. 71. liéunion delà Faculté de Théologie de Paris, d'après une miniature tirée d'un manuscrit de la BiLl. Nat.

sion fût demandée et accordée, d'employer le moyen qu'il propose, si

144 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

avantageux au salut de l'enfant. Au reste le Conseil, en estimant que l'on pourroit s'en servir, croit cependant que, si les enfants dont il s'agit, venoient au monde, contre l'espérance de ceux qui se seroient servis du même moyen, il seroit nécessaire de les baptiser sous condition, et en cela, le Conseil se conforme à tous les Rituels qui, en autorisant le Baptême d'un enfant qui fait paroître quelque partie de son corps, en- joignent néanmoins, et ordonnent de le baptiser sous condition, s'il vient heureusement au monde.

Délibéré en Sorbonne, le 10 avril 1733.

A. Lemoyne. L. de Romigny.

De Marcilly.

Au chapitre XVII du Tristram Shandy, Sterne, après avoir cité cette élucubration étonnante, la fait suivre des réflexions suivantes : « Les compliments, s'il vous plaît, de M. Tristram Shandy, à Mes- sieurs L..., de R... et de M... Il espère qu'ils ont bien dormi la nuit qui a suivi une consultation si ennuyeuse et si fatigante. Mais ne peut-il pas leur demander si, après la cérémonie du mariage, et avant celle de la consommation, ce ne serait pas un moyen bien plus court et beaucoup plus sûr de baptiser à la fois, par injection, tous les embryons, sous condition'? Gela ne ferait sûrement aucun tort à la mère; et si la chose était faisable, ainsi que le pense M. Shandy, il n'en coûterait de plus pour se mettre en ménage, que l'achat d'une petite seringue. »

C'est, en effet, avec une seringue (fïg. 72) ou un irrigateur, un injec- teur quelconque que l'on administre le baptême intra-utérin. Nous nous souvenons même qu'appelé à la campagne pour pratiquer la perfora- lion du crâne, dans un cas de rétrécissement extrême du bassin, nous l'avons, mon confrère Régnier, de Cormeilles, et moi, administré, avant l'opération, sur la demande de la famille, avec une grosse seringue achevai; c'était le seul appareil hydraulique qui existât dans le voisinage.

Un baptiseur qui ne s'embarrassait guère, c'était le Grégoire dont Diderot parle dans une lettre adressée à M110 Voland, 17G0. « M. Hoop, écrit ce philosophe, faisait un cours d'accouchement chez un homme célèbre, appe!é Grégoire. Ce Grégoire croyait sérieusement qu'un enfant qui mourait sans qu'on lui eût jeté un peu d'eaù froide sur la tête, en prononçant certains mots, était fort à plaindre dans l'autre monde : en conséquence, dans tous les accouchements laborieux, il baptisait l'enfant dans le sein de la mère, oui, dans le sein de la mère. Or savez-vous comment il s'y prenait? D'abord, il prononçait

l'obstétrique et le culte 145

la formule : Enfant je te baptise ; puis, il remplissait d'eau sa bouche qu'il appliquait convenablement, soufflant son eau le plus loin qu'il pouvait; en s'essuyant ensuite les lèvres avec une serviette, il disait : « Il n'en faut que la cent millième partie d'une goutte pour faire un ange ».

D'ailleurs, l'usage de la seringue avait ses détracteurs. Riolan condamnait l'emploi de tout instrument et voulait que, suivant la coutume de Paris, on portât, avec la main, l'eau directement sur l'enfant.

Le docteur E. Verrier, professeur libre d'accouchements, frappé des inconvénients nombreux que, dans la pratique, présente l'emploi

Fie 72. Seringue employée par les accoucheurs du XVIIe siècle, pour administrer le baptême intra-utérin, d"aprè's Mauriceau.

d'une seringue, a imaginé un appareil spécial pour baptêmes intra- utérins. Voici comment il expose les avantages sociaux, théologiques et médicaux de ce baptisoir :

« Le ridicule qui s'attache à la seringue, surtout depuis les plai- santeries de Molière, fera qu'en France du moins, la très grande majo- rité des médecins ne voudra jamais s'en servir ; et delà la mort spiri- tuelle d'une foule d'enfants, qui succombent sans baptême.

« D'un autre côté, l'accoucheur ne peut avoir dans sa trousse un pareil instrument; il est obligé, s'il veut administrer le baptême, de prendre la seringue qui se trouve dans la maison de sa cliente, et qui toujours a servi à des usages abjects; ce qui est une espèce de pro- fanation pour le sacrement.

« Dans ces circonstances, j'ai inventé un instrument très simple, qui réunit toutes les conditions qu'on peut demander, au double point de vue de la théologie et de la médecine, savoir :

« En ce qui concerne la théologie:

« Le sacrement se donne par affusion et non par injection, puis-

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 10

14G HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

qu'il suffit de verser dans la partie évasée en forme d'entonnoir de l'eau contenue dans une carafe ou un vase quelconque, en prononçant les paroles sacramentelles.

«2° Le signe de croix que forment les prêtres qui baptisent, sur le front des enfants, est imité par l'autre extrémité de mon instrument qui est terminé par une ouverture cruciale.

« Plus de crainte de profanation, par l'emploi d'un instrument souillé.

« Un grand nombre d'enfants qui mourraient sans baptême, ne seront plus, désormais, privés de la grâce attachée à ce sacrement.

Fig. 73. Instrument du docteur E. Verrier pour administrer le baptême intra-utérin. 1, Enton- noir en métal s'adaptant au 2. 2. Tube en caoutchouc de longueur suffisante pour l'usage requis, 3. Ouverture inférieure de ce tube, terminé en forme de croix.

« Sous le rapport médical :

« Facilité de porter l'instrument qui se démonte en deux parties.

« Plus de ridicule attaché à l'emploi de la seringue.

d L'instrument nouveau s'allonge ou se raccourcit à volonté, suivant la hauteur à laquelle se trouve l'enfant dans le canal vulvo- utérin.

« Dans le cas de mort de la femme avant l'accouchement, alors que l'enfant palpite encore, si la famille refuse à l'accoucheur l'auto- risation de faire l'opération césarienne post mortem, celui-ci peut encore administrer le baptême à l'enfant qui va mourir. Il en serait de même si l'accoucheur ne jugeait pas que la vie de l'enfant puisse persister jusqu'à la fin de l'opération.

« Ces deux dernières circonstances intéressent tout à la fois le médecin comme le théologien.

l'obstétrique et le culte 147

« Avantage scientifique : La facilité d'administrer le baptême fera rejeter l'opération césarienne, si désastreuse quand on la fait dans le seul but de baptiser l'enfant. Non débet homo occidere ma- trem, ut bapliset puerum suum, dit Saint Thomas.

« L'ange de l'école subordonnait ainsi l'avenir de la science au scru- pule religieux. Nous croyons avoir trouvé un moyen de concilier ces deux intérêts dans toutes leurs exigences.

« Il n'y a que dans les cas de ruptures utérines, quand l'enfant est passé en entier dans le ventre de sa mère, ou bien quand il y a gros- sesse extra-utérine, que la gastrotomie peut être pratiquée pour donner le baptême; mais alors la mère, dans le premier cas surtout, est vouée à une mort certaine, et d'ailleurs la gastrotomie simple est encore moins grave que la gastro-hystérotomie.

« Conséquence : Des hommes peu éclairés, mais animés de l'es- prit de conciliation, se sont demandé si l'on ne pourrait pas baptiser l'enfant en danger, à travers les parois abdominales.

« En raison de la facilité que donne mon instrument, on peut répondre sans hésitation, que cette dernière forme de baptême doit être rejetée ; puisque, d'une part, elle est inutile, et que, d'autre part, elle ne répond pas à ce qui est exigé pour l'administration du sacrement, même sous conditions. »

Le baptême intra-utérin est-il valable en cas d'ex- pulsion postérieure du fœtus? Benoît XIV, recommande expressément de rebaptiser l'enfant sous condition, au cas il vien- drait à naître vivant. Dans un de ces petits problèmes sous forme d'anecdotes, dont les théologiens semblent avoir emprunté l'habitude aux rhéteurs antiques, l'ingénieux P. Gury (1) s'est plu à élucider toutes les difficultés que peut soulever la question du second bap- tême :

« Honorine, sage-femme, appelée pour un accouchement, et crai- gnant que le fœtus ne périsse avec la mère, qui est en danger, le bap- tise avec un instrument dans le sein de sa mère ; plus tard, le bras de l'enfant étant sorti, et le péril croissant, elle baptise sur ce membre. Puis, n'étant pas rassurée sur la validité de ces baptêmes et l'en- fant étant agonisant après sa naissance, elle le baptise une troisième fois. Enfin le curé arrive, et doutant de la valeur de ces cérémo- nies, il donne une quatrième fois le sacrement, mais sous condi- tion. »

(1) Cemjpendiitm théologien moralis.

Ii8

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

«Si, avec ces quatre baptêmes, les papiers du jeune chrétien ne sont pas en règle, c'est que la chancellerie céleste sera bien vétilleuse.

De l'opération césarienne. Une femme est-elle tenue, pour assurer, par le baptême, le salut de son fruil, de subir l'opération césarienne, c'est-à-dire l'incision des parois de l'abdomen et de celles de l'utérus (fig. 74), lorsque l'accouchement est déclaré naturellement

Fig. 74. Opération césarienne.

impossible? « Si un habile chirurgien, dit Mgr Bouvier, avait l'es- poir de réussir, un confesseur devrait engager la femme à s'y sou- mettre, et se servir pour cela des motifs les plus capables de l'y déterminer. » Toutefois, le doux évêque ajoute qu'on ne peut l'y con- traindre en la menaçant de lui refuser l'absolution. Mais l'obligation de pratiquer l'opération césarienne n'est plus contestable quand la femme est morte. L'enfant peut-être trouvé vivant; donc l'hésitation n'est pas permise. Il ferait beau voir qu'une femme s'avisât de témoi- gner quelque répugnance à être éventrée après sa mort. Ecoutez l'anecdote racontée, à ce propos, par l'abbé Dinouart : « Je terminerai ce chapitre par un événement qui inspire la plus

l'obstétrique et le culte 149

grande horreur. Au commencement de ce siècle, dans une des prin- cipales villes de la Sicile, une femme noble, mère de sept garçons, au moment de la mort et enceinte, fit venir ses enfants et les pria ins- tamment de lui accorder deux choses : la première, de ne pas permettre qu'on lui fit l'opération césarienne après sa mort; la seconde, qu'on l'ensevelit ornée de ses habillements les plus précieux. Elle meurt, et ses enfants ne lui obéissent que trop fidèlement. L'archiprêtre du lieu se présente avec un chirurgien pour l'opération, leurs prières, leurs raisons ne sont d'aucun poids auprès des enfants, qui l'épée en main repoussent avec violence le curé et le chirurgien. Quelques jours après l'inhumation de la mère, le bruit se répand que les reli- gieux de l'église son corps était inhumé, l'avaient dépouillée de tous ses riches habillements. Les fils demandent à grands cris qu'on ouvre le tombeau pour constater le fait. Affreux et déplorable spec- tacle ! ils trouvent leur mère avec tous ses habits, et près d'elle, deux jumeaux sortis de son sein, et morts. La main de Dieu s'appesantit sur cette famille illustre et opulente : tout ces enfants périrent dans l'indigence, et accablés par l'infortune la plus humiliante. Ce fait est certain, mais on me dispensera de nommer ni la famille ni le lieu de ce triste événement. »

Nous croyons sans peine cet excellent abbé, mais il eut donné plus d'authenticité à son récit en nommant le pays qui fut témoin de cette extraordinaire histoire. Laissons le bon Dinouart et revenons aux théologiens du siècle.

« C'est surtout aux sages-femmes, aux médecins et généralement à ceux qui président aux accouchements, que les curés et les con- fesseurs doivent démontrer la nécessité et l'obligation grave de faire l'opération césarienne sur le cadavre d'une femme morte, et cela le plus tôt possible. » Ainsi s'exprime Mgr Bouvier : Sœttler et Rous- selot se gardent de le contredire : « Les curés devront enseigner aux femmes, aux accoucheuses, qu'il est de leur devoir strict d'ouvrir la femme enceinte aussitôt après sa mort, pour baptiser l'enfant qu'on en tirera le plus souvent en vie. Ils devront même apprendre à faire l'opération césarienne, pour pouvoir l'enseigner, si l'occasion se pré- sente. » Le P. Debreyne, trappiste, qui a examiné en détail celte question dans sa Mœchialogie sacrée, veut que la section abdominale soit imposée au médecin dès l'instant que l'enfant est animé, c'est-à- dire à partir du moment « l'union de ses substances spirituelle et corporelle s'est effectuée. » Malheureusement on se heurte de nouveau à la difficulté déjà signalée : à quel âge le fœtus a-t-il une âme? Avec Zacchias, nul embarras : l'animation s'opérant au moment de lacon-

150 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ception, une femme morte au début de la grossesse est éventrée de plein droit. Florentini (1), nous rend déjà perplexes : baptisez, nous dit-il, baptisez, sous peine de péché mortel, l'embryon lors même qu'il ne serait pas plus gros qu'un grain d'orge ; et cette doctrine est qualifiée d'indubitable par la Sorbonne. Donc, au bout de trente jours, éventronsou nous serons damnés.

En réalité, la grossesse ne peut être reconnue avec certitude que vers le milieu du quatrième mois, et en ouvrant avant cette époque une femme prétendue enceinte, on s'exposerait, et l'on s'est exposé déjà, à de graves mécomptes. Il peut se faire que les gens de l'art, race parfois impie, refusent de déférer aux ordres de la famille ou du prêtre; en ce cas, l'Eglise autorise tout individu de l'un et de l'autre sexe à faire les sections nécessaires. L'auteur de la Mœchialogie sacrée veut même que le prêtre, à défaut de toute autre personne, pratique l'opération ; il encourage le chirurgien en soutane par les paroles suivantes : « Qu'il s'arme du signe de la croix, qu'il fasse la section avec confiance et courage; sa charité lui attirera de Dieu une double récompense, et pour avoir retiré l'enfant d'une étroite prison il de- vait nécessairement mourir, et surtout pour lui avoir conféré le bap- tême. 11 en sera le père spirituel, parce qu'il l'aura régénéré en Jésus- Christ; il en sera en quelque sorte la mère, comme dit Cangiamila, parce qu'il l'aura véritablement mis au monde. Si l'enfant meurt quelque temps après avoir reçu le sacrement de baptême, ce qui est assez ordinaire, il aura sans délai dans le ciel un protecteur puissant qui intercédera incessamment pour lui auprès de Dieu. Quel sujet donc de joie, de consolation et d'espérance pour vous, ô ministre et fidèle serviteur de Dieu, d'être certain d'avoir été l'instrument immé- diat du salut éternel d'une âme qui, sans ce sublime et courageux dévoùment, que la charité vous a inspiré, n'aurait jamais joui de voir et de posséder Dieu éternellement ! »

Certains conseils de Mgr Bouvier ont un caractère plus pratique et visent particulièrement le procédé opératoire : u Faire une incision de six ou sept pouces de long sur le côté le plus éminent... Il faut que l'incision soit faite en long et non en travers parce qu'on arrive plus directement à la situation de l'enfant et parce que, si par hasard la femme vivait encore, la plaie se fermerait plus facilement. Les chi- rurgiens ont des instruments propres à ces sortes d'opérations, les autres personnes, rien ayant pas, doivent se servir de celui qu'elles

(1) Dissertation xiir le baptême des avorton», 1658.

l'obstétrique et le culte 151

auront sous la main et qui leur paraîtra le plus propre à cet effet; c'est le rasoir qui convient le mieux ».

Des précautions assez baroques étaient jadis prises pour assurer la consécration de l'enfant. Le synode de Cologne, en 1528, et celui de Cambrai, en 1550, disent « qu'il faut mettre entre les dents de la femme, à l'instant de sa mort, un tube de roseau ouvert des deux côtés. Mercatus est du même avis. Paré et Heister rejettent cette pré- caution comme inutile, puisqu'il est bien sûr que l'enfant enfermé dans ses membranes, n'a aucune communication avec la trachée artère et la bouche de la mère. L'usage de ce tuyau est recommandé dans une ordonnance sur cette matière, donnée en 1744 par M. l'é- vêque de Girgenti, afin de permettre l'issue des corpuscules putrides, dont le séjour pourroit être nuisible à la conservation de l'enfant : la précaution est fort sage. Guillemau, Charles Etienne et Schenchius admettent la pratique de Mercatus. Ils ordonnent même de mettre un tube de roseau dans le vagin à l'instant de sa mort : sed etiam ut simili modo palula uteri vagina servctur. Cette dernière précaution de l'insertion d'un tube dans le col de la matrice est très importante, et ne doit pas être négligée, surtout lorsque le chirurgien est absent, et que le moment de l'accouchement naturel étant arrivé, la membrane est ouverte ».

Ces prescriptions, fort inutiles, au reste, ne sont plus suivies de nos jours : « La seule chose nécessaire »,' dit Mgr Bouvier, « est de pré- server l'enfant du froid delà mort, en tenant toujours chaude la région qu'il habite. Pour cela, il faut faire chauffer des linges ou des étoffes, et les appliquer sur le ventre de la mère, en attendant qu'on puisse en faire l'ouverture ».

Toutes ces instructions de séminaire sont trop fréquemment appli- quées par le clergé belge; Y Art médical d'Anvers souvent enregistre des faits semblables; prenons-en un au hasard. Il y a quelques an- nées, dans la commune de Zoersel, une jeune fille succombait et était considérée par le curé comme enceinte. Celui-ci prescrivit au père de la jeune fille qu'aussitôt après le dernier soupir, il eut à pratiquer l'opération césarienne, lui donnant un canif à cet effet. Le malheu- reux père, ne pouvant se résigner à accomplir cet acte sur le corps de son enfant, appela une sage-femme, qui opéra à. l'aide d'un rasoir. La jeune fille n'était pas enceinte; et la sage-femme, interrogée par le juge d'instruction sur les signes qui lui avaient prouvé que la femme était morte, répondit qu'elle ne savait pas... Plus récemment, un ecclésiastique, vicaire de Aertrycke, fut condamné par la Cour d'appel de Gand à un mois de prison, pour avoir pratiqué l'opération

152 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

césarienne post mortem. Mais ce jugement fut cassé par la Cour de cassation, attendu que ce fait constituait la violation d'un cadavre avant la sépulture, fait non prévu par la loi, et non pas la violation de la sépulture d'après la loi existante.

Les membres du clergé français sont plus circonspects. Cependant, en 1878, dans le département delà Loire, un boucher a ouvert, sur l'invitation du curé, une femme enceinte paraissant avoir rendu le dernier soupir, et il fut seulement condamné, pour exercice illégal de la chirurgie, à une amende insignifiante. De même à Néaulphe-sous- Essai (Orne), la même année, une femme à terme fut ouverte avec un canif par une voisine, aussitôt après la mort, sur l'ordre du curé :

« Ce qu'il y a de plus intéressant dans tout ceci », dit Paul Bert(l), « c'est que la préoccupation de sauver la vie soit à la mère, soit à l'enfant, n'entre pour rien dans l'esprit des casuistes. On devra ouvrir le ventre, alors que l'enfant ne sera certainement pas viable; il suffit qu'il puisse être vivant. C'est qu'en effet il n'y a d'intéressant que le salut éternel de l'enfant. Cette préoccupation dominante s'est manifestée l'année dernière (en 1878), dans des conditions extrêm" ment dramatiques. La Cour d'assises du Calvados a condamné deux femmes, la mère et la fille, qui avaient tué le nouveau-né de celle-ci ; auparavant, ces deux ferventes catholiques avaient eu le soin de le baptiser, afin qu'il pût devenir un ange ».

(1) La Morale des Jésuites.

CHAPITRE II

ERREURS ET PRÉJUGÉS SUR LA GROSSESSE ET L'ACCOUCHEMENT

Le préjugé est de même nature qu'un académicien: il est immor- tel. Joseph Prudhomme se croit au siècle des lumières et, sous l'Em- pire, Joseph Prudhomme, sénateur à trente mille francs de gages, discutait gravement sur l'homœopalhie et ses bienfaits. De nos jours, Joseph Prudhomme n'hésite pas à se déclarer spirite. Rappelez-vous ce colonel à qui l'on montre la poupée destinée à évoquer l'esprit d'une de ses parentes ; le président du tribunal s'étonne : « Me pre- nez-vous pour un imbécile? » riposte cet étonnant guerrier oublié par Ch. Leroy.

Le terrain le plus propre au développement du préjugé est, sans contredit, le cerveau d'une femme : tendance au merveilleux, au mensonge même, ignorance, présomption, obstination, tout favorise en elle l'éclosion de cette plante tenace. Parasite aussi difficile à ex- tirper de l'esprit féminin que le chiendent d'un champ ! Déracinez, hersez, labourez ; bientôt vous verrez paraître de nouveaux rejetons !

Dès lors, est-il utile d'ajouter que le nombre des préjugés relatifs à la grossesse et à l'accouchement est presque infini. La même niai- serie a cours dans la loge de la concierge en gésine et au premier étage, au premier étage et dans la mansarde; elle va, court, vole, incessamment propagée par des langues infatigables.

Rions de toutes ces sottes croyances ; leur faire la guerre, c'est peine perdue: « Je puis bien parler là-dessus, moi, monsieur, vous répondrait une commère, j'ai accouché sept fois. Tout médecin que vous êtes, en avez-vous jamais fait autant ? »

Passons donc en revue les plus singulières de ces erreurs chères au sexe qui bavarde et qui accouche.

154 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

I. PRÉJUGÉS SUR LA GROSSESSE.

Signes de la grossesse. Il a exislé de tout temps des moyens empiriques et des recettes puériles pour reconnaître la gros- sesse.

« On ne se contente pas, dit Venette dans le Tableau de l'amour conjugal, d'avoir des signes communs, on fait encore quantité d'ex- périences, à l'imitation de l'antiquité, pour découvrir la grossesse d'une femme. Les uns frottent au rouge les yeux de celle que l'on .soupçonne grosse ; et, si la chaleur pénètre la paupière, on ne doute plus après cela que cette femme ne soit enceinte. Les autres tirent de son corps quelques gouttes de sang, et, après les avoir laissées tomber dans, l'eau, ils conjecturent qu'elle est grosse si le sang va au fond. Quelques-uns, après avoir mis dans ses parties naturelles une gousse d'ail, ou fait brûler de la myrrhe, de l'encens, ou quel- qu'autre chose aromatique, pour lui en faire recevoir la vapeur par le bas, croient qu'elle est grosse, si elle ne ressent point quelque temps après à la bouche ou au nez l'odeur de l'ail ou des choses aro- matiques (1). Il y en a encore qui font diverses expériences sur l'urine. Ils considèrent cette liqueur dès qu'on la rend, et après l'avoir trouvée troublée et de couleur de l'écorce de citron mûr, avec de petits atomes qui s'y élèvent et qui y descendent, ils disent qu'elle a conçu. D'autres laissent l'urine pendant la nuit dans un bassin de cuivre, l'on a mis une aiguille fine; et, s'ils observent le matin quelques points rouges sur l'aiguille, ils ne doutent plus de la gros- sesse. — Quelques autres prennent parties égales d'urine et de vin blanc : si l'urine, après avoir été agitée, paraît semblable à du bouil- lon de fèves, ils assurent que la femme est grosse. Les autres lais- sent pendant trois jours reposer à l'ombre, dans un vaisseau de verre bien bouché, l'urine d'une femme; et, après l'avoir coulée par un taffetas clair, s'ils rencontrent de petits animaux sur le taffetas, ils ne font pas difficulté d'affirmer que la femme est grosse. »

Voici les symptômes que le Jardin parfumé du cheikh Nefzaoui donne comme indices certains de la grossesse : « la sécheresse de la vulve, immédiatement après le coït, le besoin de s'allonger, de s'éti-

(1) Cette recette est donnée par Hippocrate au livre I des Maladies dos femmes.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 155

rer, des accès de somnolence, un sommeil lourd et profond, fréquem- ment une contraction de l'ouverture de la vulve telle, qu'on ne peut même y faire pénétrer un meroud, la teinte noirâtre que prend le bout des seins, et enfin, ce qui vient corroborer tous ces indices, la suppression des règles... Lorsqu'il y a doutes sur la grossesse de la femme, on lui fait boire au moment de se coucher, de l'eau de miel, et, s'il lui vient des pesanteurs dans le ventre, c'est une preuve qu'elle est enceinte. » N'en déplaise au cheikh Nefzaoui, nous préférons, à ses indices de certitude, ceux de nos auteurs modernes: le ballote- ment de l'œuf, perçu avec le doigt; les mouvements de l'enfant, constatés par la main du médecin, et les bruits du cœur fœtal, en- tendus par l'homme de l'art.

Régime alimentaire. Chez les anciens, et principalement à Athènes, les femmes enceintes croyaient obtenir des enfants plus vi- goureux en mangeant souvent des choux (1). Mais il fallait que ces choux ne fussent point trop salés ; car, autrement, Aristote affirme que l'enfant viendrait au monde sans ongle ! En réalité, l'absence des ongles prouve que l'enfant n'est pas à terme.

Une erreur encore fort répandue de nos jours et sous toutes les la- titudes, veut qu'une femme enceinte mange pour deux, quitte à s'ex- poser à de dangereuses indigestions. Les Pahutes partagent cette opinion et s'imaginent que l'enfant ne quitte l'utérus qu'au moment il n'y trouve pas assez de nourriture ; aussi, vers la fin de la grossesse, mettent-ils la femme à une diète, sévère, pour affamer l'enfant et l'obliger à sortir de sa retraite. L'effet de ce régime débi- litant est d'élargir les voies génitales de la femme, par l'amaigrisse- ment, et de faciliter, de la sorte, l'expulsion de l'enfant.

En Chine, les femmes enceintes doivent s'abstenir de tourterelles, de poulets et de canards, sans quoi elles mettraient au monde un sourd-muet ; le lièvre leur est aussi interdit dans la crainte du bec- de-lièvre. Chez les Annamites, la viande de bœuf passe pour provo- quer l'avortement pendant le sommeil.

Madame de Sévigné, que ses Lettres nous montrent souvent comme une véritable commère conseillant à tort et à travers des remèdes, même à ceux qui ne lui en demandent pas, prétend que le chocolat peut nuire à une femme enceinte, et la preuve « c'est que la marquise de Coetlogon, prit tant de chocolat, étant grosse l'année passée, qu'elle

(1) Serait-ce l'origine du dicton populaire qui fait naître les enfants sous les choux ?

156 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

accoucha d'un petit garçon noir comme un diable, qui en mourut. » On voit qu'il ne suffit pas toujours d'avoir de l'esprit pour posséder du bon sens. Quoiqu'en diseAristote et la docte marquise, rien ne doit être changé dans le régime de la femme, pendant toute la durée de la grossesse.

Exercice. Rien n'est plus fatal que le préjugé qui recommande aux femmes enceintes, à l'approche de leur terme, un surcroît d'exer- cice pour faciliter leurs couches ; Liébaut allait même jusqu'à con- seiller un voyage en coche ou une promenade sur un cheval de trot. Si l'exercice au grand air est favorable à la femme enceinte, il ne faudrait pas cependant imiter Jeanne d'Albret qui, dans son dernier mois de grossesse, entreprit un voyage de quinze jours, pour venir de Compiègne à Pau, accoucher de Henri IV ; il ne serait pas non plus prudent de suivre l'exemple de la reine de Pologne qui, vers la fin de sa grossesse, accompagnait dans les camps, son mari, le roi Sobieski.

Les femmes enceintes devront fuir aussi le bal, ainsi que, par la plume d'un mauvais traducteur, le recommande Claude Quillet, dans son charmant poème, la Callipédie ou l'Art de faire de beaux enfants :

«... De tout jeu violent que l'on s'abstienne encore, Qu'on évite surtout celui de Terpsichore... Croyons en le vieillard qui fut l'honneur de Cos : Avide de la danse, une dame d'Argos, N'écoutant que le cri d'un coupable caprice, S'était, au premier mois, permis cet exercice ; Mais, au sein du plaisir, la peine la saisit; Le fil, trop délié, tout à coup se rompit, Et l'utérus, froissé par le poids de la chute, Vomit en gémissant une masse encore brute. »

Rapports sexuels. Mauriceau défendait à la femme^de remplir ses devoirs conjugaux dans les deux derniers mois de la grossesse, prétendant, comme de nos jours au Japon, que les 'se- cousses du corps et la compression du ventre pouvaient être nuisi- bles à la mère et à l'enfant. Son contemporain et parent, Dionis, pro- teste vivement contre cette opinion. « Mauriceau », dit-il, « ne peut avoir fait ces observations par lui-même, n'ayant jamais pu avoir un seul enfant en quarante-six années de mariage. Pour moi qui ai une

ERREURS ET PRÉJUGÉS 157

femme qui a été grosse vingt fois, et qui m'a donné vingt enfants, dont elle est accouchée à terme et heureusement, je suis persuadé que les caresses du mari ne gâtent rien. » C'était l'avis de L. Bonaccioli, médecin qui pratiquait à Ferrare, vers 1530 : « Les femmes, dit-il, qui ont continué à remplir, pendant la grossesse, leurs devoirs conju- gaux, supportent plus facilement l'accouchement que celles qui ont été continentes et, d3 plus, les premières n'ont pas sur le visage cette pâleur, qui rend les autres hideuses. »

Sue remarque que cette particularité a toujours été ignorée des chi- rurgiens-accoucheurs. Mais le préjugé qui veut que la continence rende l'accouchement plus facile est ancien, puisqu'il était déjà en crédit du temps d'Hippocrate; il reposait, sans doute, sur cette obser- vation que la femelle des animaux fuit instinctivement les approches du mâle pendant toute la durée de la gestation. « Les bêtes sur leurs ventrées », dit Rabelais, « n'endurent jamais le mâle masculant». Le docteur Sue dit, d'un autre coté : « Il est bien étonnant que de tous les animaux femelles, il n'y ait que la femme et la jument qui sup- portent pendant la grossesse les approches du mâle, tandis que les autres animaux en ont une grande aversion. Mulier, equa, omnium maxime animalium, gravidx coiturn patiuntur: cœtera, ubi gravida fuerunt, fugiunl mares, dit Bonaccioli.

« Voici, au reste, la réponse que fit Popilia à quelqu'un qui lui demandait son avis sur ce sujet. Elle répondit qu'elle ne s'étonnait pas que les femelles des bêtes fuyaient, lorsqu'elles étaient pleines, la compagnie des mâles, parce qu'en effet elles étaient des bêtes ; c'est ce qu'a exprimé Jean Porthius, par cette épigramme :

Appeteret venerem prœgnans cur fœmina, prsegnans Quant fugeret brutum, qusestio mota fuit : Fœmina convivis immissa jocantibus inquit : Da mentem brutis, bruta sequentur idem. »

Pourquoi la femme grosse désire l'amour, et pourquoi

Le fuit la bête pleine, c'est une question qu'on agita ;

Une femme se mêlant aux propos des convives, dit :

« Donnez la raison aux bêtes, les bêtes feront comme nous. »

N'écoutez donc pas le conseil du poêle qui dit :

Épouses, je vous dois un conseil salutaire; Quand vous avez conçu, n'allez pas à Cythère.

15S HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Cependant, sans citer comme bon à suivre l'exemple de Julie, fille d'Auguste, qui « n'admettait de passager dans sa barque que quand elle était pleine », et sans admettre complètement l'opinion d'Aristote, qui conseillait le coït pour faciliter l'accouchement, nous devons déclarer que les rapports sexuels modérés ne font aucun tort à la grossesse. Seules, les femmes qui sont sujettes aux fausses cou- ches devront s'en abstenir.

Nous citons, pour en rire, le préjugé ancien qui dit que si la femme éternue immédiatement après avoir conçu, elle s'expose à l'avortement. C'est accuser d'un bien gros méfait cet innocent coryza.

Usage des bains. Les Japonaises s'imaginent que les bains sont nuisibles aux femmes enceintes et, dans la crainte de refroidisse- ments, préfèrent se nettoyer avec des semelles chauffées au feu. Ce- pendant la propreté n'est défendue dans aucun cas. Notons encore qu'il est inutile de suivre le conseil que Sacombe donne aux blondes de prendre des bains à une température moins élevée que ne les pren- draient les brunes.

Les lavements aussi ne peuvent être que profitables; l'auteur de la Luciniade est, sur ce sujet, plus sensé :

Les lavements sont sains, je consens qu'on les donne

A toute femme enceinte. Albinus les ordonne

Contre ces fils d'Eole, abhorrés en tout temps,

Et d'un impur séjour importuns habitants,

Qu'à grands coups de piston il faut chasser sans cesse,

Comme ennemis jurés de l'état de grossesse.

Saignées. Pendant longtemps on a saigné les femmes en- ceintes, surtout vers quatre mois et demi : « Parce que le fœtus, dit Mme Ducoudray, ne peut dans ces premiers temps consommer la quantité de sang dont la matrice regorge et qui, par son abondance, peut détacher l'arrière-faix. » On attribuait alors les maux de tête, les vertiges, les palpitations et les syncopes qui accompagnent si souvent la grossesse, à un état congestif résultant de l'accumula- tion du sang des règles dans l'économie. Or l'examen microscopique a démontré, au contraire, que tous ces symptômes étaient dus à l'appauvrissement du liquide nourricier; delà l'indication naturelle

ERREURS ET PRÉJUGÉS !50

de remplacer la lancette (1) par les toniques, chez la femme en- ceinte.

Purgations. Les purgations ont longtemps passé et passent encore pour nuisibles pendant la grossesse. Que de femmes, se soupçonnant enceintes, se purgent fortement dans l'espoir de faire « couler l'enfant! » Avenzoar rapporte un fait personnel bien propre à détruire ce préjugé populaire. « Je veux qu'on sache ici », dit-il, « ce qui m'arriva étant arrêté en prisonnier dans la conciergerie de Haly. Ma femme était donc enceinte sans que je m'en aperçusse, et comme elle devint si malade, que je fus obligé de lui donner une potion laxa- live qui fut telle que personne ne saurait s'imaginer qu'aucune femme grosse, après en avoir pris une quantité médiocre, puisse porter à terme son fruit. Et c'est ce qu'elle fit néanmoins sans le moindre dom- mage ni d'elle ni de son enfant ; après quoi, comme les marques de sa grossesse parurent, je me repentis bien fort de ma faute et en de- mandai pardon au souverain créateur. Quelque temps après, elle ac- coucha d'un garçon qui est à présent avec moi ». Le fameux médecin Hercule Saxon dit aussi que comme il était dans le sein de sa mère, qui passait pour avoir une môle, les médecins lui firent prendre des purgations extrêmement violentes pour expulser cette prétendue môle, mais en vain, car il n'en naquit pas moins sain et sauf.

Enfant mort. On croit encore de nos jours, comme du temps de Mauriceau, que la mort d'un enfant dans le sein de sa mère peut compromettre la vie de celle-ci « par la corruption de l'enfant dans le ventre maternel, d'où il s'élève des vapeurs malignes qui se portent au cerveau et y font une mauvaise impression ». Rien n'est plus faux et il n'est pas rare d'observer des grossesses extra-utérines qui ont duré plusieurs années, jusqu'à quarante ans même, sans déterminer d'accidents. Cela tient à l'intégrité des enveloppes du fœtus qui le mettent à l'abri de l'air et de la putréfaction.

Le corps et les organes d'un enfant mort-né passaient autrefois pour avoir certaines vertus bienfaisantes. A Rome, les magiciennes ajoutaient dans leurs philtres amoureux le foie et les testicules d'un enfant mort- qu'elles broyaient avec ceux d'un supplicié. Au moyen âge, on pensait guérir la lèpre par le contact prolongé d'un enfant

(1) On faisait un véritable abus de la saignée cbez les femmes enceintes ; ainsi De La Motte parle d'une femme à laquelle on ouvrit quatre-vingt-sept fois la veine pen- dant les cinq derniers mois de sa grossesse.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

mort-né. Au XVIe siècle, la ventrière Pcrrette faillit être brûlée vive pour avoir favorisé cette pratique. On faisait aussi des amulettes avec de la peau d'enfant et Catherine de Médicis en portait toujours une sur elle.

Les Hottentots voient, au contraire, un funeste présage dans la naissance d'un enfant mort-né, et ils en éprouvent un effroi tel qu'ils transportent aussitôt leurs habitations loin de l'endroit l'accou- chement a eu lieu.

La croyance aux effets salutaires du sang des nouveau-nés a porté certains peuples à sacrifier des enfants pour apaiser le courroux de

Fig. 75. Sorcière allant au sabbat sur un bouc.

leurs divinités et en obtenir les bonnes grâces. Ainsi se conduisaient les Ammonites à l'égard de iMoloch, « ce démon affreux et terrible, dit Milton, couvert des pleurs des mères et du sang des enfants ». Au Mexique, le prêtre de Quetzulcoatl faisait une image de Dieu avec de la farine mélangée à du sang de petits enfants ; le prêtre tuait ensuite l'image en la perçant d'une flèche ; il en offrait le cœur au roi qui le mangeait et distribuait au peuple le reste du corps.

De même les sorcières passaient pour emporter au sabbat (fig. 75 et 76) les enfants nouveau-nés qu'elles sacrifiaient au diable (fig. 77).

A ces croyances se rattachent celles des enfants volés par les fées.

ERREURS ET PREJUGES

161

« On prétend dans le Nord, raconte M. Dufau dans les Contes irlan- dais, que les fées enlèvent quelquefois les enfants qui leur plaisent et leur substituent de petits monstres nés d'elles. Pour les forcer à rendre l'enfant qu'elles ont pris, on expose l'enfant substitué sur une pelle et on le tourmente cruellement. En Danemark, la mère chauffe le four et met l'enfant sur la pelle en menaçant de le lancer dans la flamme, ou bien elle le fouette avec des verges, elle le jette dans la rivière. En Suède et en Irlande, on l'expose à la porte sur une pelle.

Fig. 76, Sorcière se rendant au sabbat sur un manche à balai.

« Quelquefois on lui fait boire une potion de coquilles d'œuf. Dans le Glossaire provincial de Grose, on voit la mère d'un enfant volé casser une douzaine d'œufs et placer les vingt-quatre demi-coquilles devant l'enfant substitué, qui s'écrie : « J'avais sept ans quand on me mit en nourrice, quatre ans se sont passés depuis, et je n'ai jamais vu de petits pots aussi blancs. » Le changement d^n enfant est toujours fait avant le baptême. Le moyen de prévenir ce malheur est de faire une croix sur la porte et sur le berceau, de mettre un morceau de fer auprès du berceau, de laisser une lumière allumée. En Thuringe, on suspend au mur les culottes du père. En Ecosse, on attribue le

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

même crime de rapt aux elfes, et quand un enfant est sourd, muet, aveugle ou contrefait, on le croit substitué » (1).

Fig. 77, Sorcières sacrifiant des enfants nouveau-nés, d'après le tableau de Spranger.

Signes de la mort du fœtus. « Les anciens chirurgiens- accoucheurs que rien n'embarrassait, dit A. Lempereur, en vantaient beaucoup qui nous paraissent aujourd'hui assez singuliers ; on verra d'après les suivants, s'ils constituaient des moyens assurés de recon- naître la mort du fœtus.

« E. Blancard et Paul Barbette indiquent celui-ci : on prend un mor- ceau de pain blanc, qu'on trempe dans du vin de Malvoisie, puis on l'applique sur l'ombilic de la femme : si le fœtus vit encore, regail- lardi par ce tonique, il le témoigne bientôt par la vivacité de ses mouvements.

« Fr. Jœlis et Th. Bartholin en ont donné un autre : la femme plonge ses mains dans l'eau chaude, les y laisse un instant, cela suffit pour faire mouvoir le fœtus. Ou bien l'accoucheur place sur le ventre de la mère sa main humide et glacée, même résultat. Ou bien, on prend un noble à la rose ou quelque autre pièce d'or, on la chauffe,

(1) Colliu de Plaucy. Dictionnaire infernal.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 103

et on la jette se refroidir dans du vin que la femme avale à l'instant, effet immanquable. »

Louise Bourgeois employait un moyen fort répandu à Paris de son temps : « J'accouchay, dit-elle, une dame, il y a environ six ans, laquelle fut un mois entier sans sentir bouger son enfant. Les méde- cins et moy, fîsmûs tous les remèdes qui peuvent se faire pour voir si l'enfant pourroit remuer; mais ce fut en vain. En appliquant une tranche d'une rouelle de veau, lardée de clous de girofle, poudrée de muscade, arrosée de malvoisie, puis rostiesurle gril, et appliquée dans un linge sur le ventre, il ne se sentit qu'une chose qui se haussoitqui estoit le corps de la matrice, laquelle estoit si refroidie de contenir cet enfant mort,que sentant lachaleur qui la consoloit, elle s'en approcha . .

De la conception au moment des règles. L'influence pernicieuse qu'exercerait sur le produit de la conception l'accouple- ment, pratiqué au moment des règles (1), est encore une erreur popu- laire dont il ne faut tenir aucun compte. Ainsi, le Dr Gazan a avancé, sans preuves sérieuses, que les enfants conçus dans ces conditions étaient disposés aux gourmes. Burnotte, d'autre part, a cité l'exemple de trois enfants rouges nés de père et mère bruns, qui ont été conçus pendant la période menstruelle. La sueur de sang [purpura hemor- rhagica) à laquelle on a attribué, bien à tort, la mort de Charles IX, serait due, d'après certains auteurs trop crédules, à ce que ce prince fut conçu au moment des règles.

Un enfant conçu pendant « la période d'impureté » de la femme s'appelle en hébreu Mamser Ben idah; c'est, paraît-il, la plus grande injure de la langue hébraïque. Le Talmud, d'après Weill, prétend que tout enfant conçu durant l'impureté de la mère est forcément voué au vice et à la maladie. 11 est ou ivrogne, ou fou, ou épileptique, ou assassin, ou crétin. Rien ne saurait faire de lui ni un honnête homme, ni une femme vertueuse.

Procréation des sexes à volonté. De nombreux moyens ont été indiqués pour concevoir des garçons et des filles à volonté; mais l'expérience a démontré leur inefficacité. Nous indiquerons néanmoins les plus connus.

Si l'homme veut engendrer un garçon, dit Hippocrate, il se liera le testicule droit autant qu'il pourra le supporter ; pour une fille, il se liera le testicule gauche. Millot appliquait à la femme le même pré-

(1) Voir la note de la page 22, relative à liera.

lG'i HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ceple : il attribue à l'ovaire droit la propriété de fournir des garçons et à l'ovaire gauche celle d'engendrer des filles. Aussi veut-il que, pendant la copulation, la femme se couche sur le côté droit, si elle désire un enfant du sexe masculin, et sur le côté opposé dans le cas contraire. Mais, pour réfuter ces opinions, il suffit de savoir que des hommes privés d'un testicule, et des femmes auxquelles il manque un ovaire, engendrentindistinctement des enfantsdel'unoude l'autre sexe.

... « Quand ton coït sera terminé et que tu voudras te séparer de ta femme », dit le cheikh Nefzaoui, dans son Jardin parfumé, « ne te lève pas tout d'un coup, mais descend doucement de son côté droit; et, si elle a conçu, elle engendrera un mâle, s'il plaît à Dieu très élevé !

« Des sages et des savants (que Dieu leur accordée tous le pardon!) ont dit : « Si quelqu'un, posant sa main sur les organes d'une femme enceinte, a prononcé les paroles suivantes : « Au nom de Dieu! qu'il accorde le salut et la miséricorde à son Prophète. 0 mon Dieu! je vous prie, au nom du Prophète, de faire de cette conception un garçon », il arrivera que, par la volonté du Créateur et en considéra- tion de notre Seigneur Mohammed (que le salut et la miséricorde de Dieu soient sur lui!), la femme accouchera d'un garçon ».

Chez les Kiovas, pour que la mère accouche d'un garçon, on pend à la tête du lit le fusil et la selle d'un guerrier.

Le Talmud dit que, pour avoir des garçons, il faut attendre que la femme désire ardemment son mari; pour avoir une fille, il faut, au contraire, que l'homme désirant violemment sa femme la surprenne pour ainsi dire et l'aime à l'improviste. A. Weill raconte que Meyer- beer, dînant un jour à la table de Louis-Philippe, le roi, au dessert, lui demanda s'il avait des enfants. Oui, sire, répondit le maestro, je regrette seulement de n'avoir que des filles. Comment ! s'écria le roi, vous qui êtes juif, vous ignorez fart d'avoir des garçons? Pendant mon exil en Suisse, j'ai fait la connaissance d'un rabbin qui m'a donné des leçons d'allemand. Mais ce qu'il m'a appris de mieux, c'est de me marier de bonne heure et d'avoir des garçons et des filles à ma volonté. Là-dessus, le roi communiqua son secret au musicien, secret tout à fait conforme au Talmud. Je vous certifie, ajouta le roi, que l'expérience a tout à fait justifié celte théorie. D'avance j'ai annoncé à mes parents et connaissances, soit mon garçon, soit ma fille.

Macer Floridus, poète latin du moyen âge, prétend, dans son traité de viribus herbarum, qu'une sorte d'herbe ligneuse, l'aristoloche (1),

(1) Le nom même de l'aristoloche, aristos, excellent, et lochcia, accouchement, rappelle cette prétendue vertu.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 165

mélangée à de la chair de bœuf et placée sur le bas-ventre d'une femme, la fait accoucher d'un mâle.

On trouve une autre recette dans les Secrets admirables d'Albert le Grand : « Que le mari et la femme réduisent en poudre la matrice et les entrailles d'un lièvre; qu'ils les boivent dans du vin, et la bour- geoise concevra un garçon, toutefois avec l'aide de quelqu'un du sexe laid. Qu'on prenne le foie et les testicules d'un jeune porc, qu'on les réduise en poudre, que le couple qui veut se multiplier boive cette poudre dans du vin clairet, une fille naîtra très certaine- ment ».

Enfin, Napoléon Ier écrivait à une princesse de sa famille qui était enceinte : « Buvez un verre de vin par jour ». Il croyait lui donner ainsi une recette suffisante pour lui faire avoir un garçon qu'elle dé- sirait : une fille naquit.

Détermination du sexe. Aucun signe positif ne peut ré- véler le sexe de l'enfant pendant la gestation; il faut se résoudre à attendre l'accouchement pour être renseigné, et, s'il a lieu dans l'obs- curité, on imitera la duchesse de Berry qui, ayant accouché seule pendant la nuit, quand on arriva près d'elle, dit : « C'est un garçon ! J'en suis sûre : j'ai tâté ! » Quelques accoucheurs interrogés avec in- sistance par des clientes trop crédules se tirent d'embarras en pro- mettant le sexe désiré. Mauriceau croit qu'il est plus habile de faire tout le contraire; c'est-à-dire d'annoncer un garçon si les époux attendent une fille et vice versa : « si vous vous. trompez », dit-il, « la femme heureuse d'avoir le sexe après lequel elle soupirait, pardonne aisément votre méprise et se contente de rire aux dépens de votre prétendu savoir. Si vous rencontrez juste, au contraire, malgré leur chagrin, les parents sont forcés de vanter votre habileté ».

Quoi qu'il en soit, il n'est peut-être pas de sujet sur lequel l'imagi- nation s'est donnée une plus libre carrière ; les moyens de reconnaître le sexe de l'enfant pendant la grossesse sont aussi variés qu'incer- tains, on en jugera par la longue énumération suivante :

« S'appuyant », dit Velpeau, « sur le principe contestable que l'embryon mâle se développe plus tôt que l'embryon femelle, Aris- tote prétend, ainsi qu'IIippocratc et beaucoup d'autres auteurs an- ciens, que la femme sent remuer plus tôt quand elle porte un garçon, et plus tard quand c'est une fille. Partant de la même idée, on a transporté à la mère la force relative du fœtus. On a dit qu'elle se sentait plus de vigueur, d'activité, de gaieté, de contentement; que ses yeux étaient plus vifs, sa figure plus colorée : Si marem gerit,

166 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

bene colorât a est (1); son pouls plus grand, plus fréquent, ses diges- tions plus faciles ; que toutes ses fonctions, en un mot, s'exécutent plus librement quand elle doit accoucher d'un enfant mâle, que quand elle est enceinte d'une fille; qu'une raie brune ou noire sur la ligne médiane du ventre, une force plus grande, une coloration plus vive, les mamelons plus relevés, le sein plus dur, plus tendu, les batte- ments des carotides plus forts, les veines plus grosses à droite qu'à gauche, annoncent la présence d'un garçon; qu'en se levant ou en marchant, la femme avance ou le genou ou le pied droit le premier; que la matrice est inclinée à droite, que les urines sont habituelle- ment chargées, qu'elles déposent un sédiment briqueté si c'est un enfant mâle, et qu'on observe des phénomènes contraires quand le fœtus est du sexe féminin ».

Les Secrets admirables d'Albert le Grand ont là-dessus tout un cha- pitre :

Des marques pour connaître si une femme est enceinte d'un garçon

ou d'une fille.

Les marques et les signes qui suivent, sont véritables et assurés pour connaître si c'est un garçon ou une fille qui est dans le ventre d'une femme ; parce que dans le temps de la conception d'un garçon, la cou- leur du visage est rouge et le mouvement est léger.

Si le ventre se grossit et devient rond du côté droit, c'est un garçon.

De plus, si le lait sortant des mamelles paraît épais, de telle sorte que le mettant sur quelque chose bien propre il ne se sépare point ; qu'au contraire, ses parties se tiennent ensemble sans couler, c'est une marque aussi sûre que les précédentes. De même si on prend du lait d'une femme grosse, ou une goutte du sang qu'on lui aura tiré du côté droit, et que le jetant dans une fontaine d'eau claire, ou dans son urine, il va direc- tement au fond, elle est grosse d'un garçon. Si, au contraire, il demeure au-dessus, c'est une fille. Ou bien si elle a la mamelle droite plus grosse que l'autre, c'est un garçon : si la gauche est la plus grosse, c'est une fille. Ou bien si le sel qu'on met sur le bout des mamelles ne se fond pas, c'est un mâle.

Il y a encore un autre signe pour savoir si c'est un garçon : il faut prendre garde si la femme remue toujours le pied droit le premier, Et pour connaître si c'est une fille, il faut voir si la femme est pesante et pâle, si elle a le ventre long et rouge du côté gauche, tirant sur le noir, si son lait est noir, indigeste, livide, aqueux et délié, si le mettant sur

(1) Hippocratc. Aph.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 167

quelque chose il se sépare, ou le jetant dans une fontaine il nage sur l'eau et ainsi des autres. Tout cela marque qu'une femme est grosse d'une fille. Il y a outre ceux que l'on vient de dire, plusieurs autres signes : comme, si elle sent de la douleur au côté gauche, c'est une fille, si elle sent du côté droit, c'est un garçon. J'en sais de plus un autre qui est véritable, et a été expérimenté. Si quelqu'un veut savoir si une femme est grosse ou non, qu'il lui fasse boire du mellicrat : si elle sent quelque chose autour du nombril qui la pique, il est sûr qu'elle est grosse; si elle n'en a point senti, elle ne l'est pas: le mellicrat est une potion faite avec de l'eau et du miel mêlés ensemble, qu'on fait prendre à la femme dans le temps qu'elle se couche, et aussitôt après. Mais comme il y en a d'assez rusées qui, connaissant la chose, diraient le contraire, quand on leur en veut faire boire, il ne faut pas leur parler de grossesse, mais attendre qu'elles se plaignent, comme elles ont coutume de faire, de quelques douleurs de tête ou d'ailleurs, et aussitôt leur dire qu'une telle potion est tout à fait souveraine pour ce mal. Après qu'elles l'auront bue, on pourra leur demander le lendemain matin, si elles n'ont ressenti aucune douleur dans leur corps, si elles disent qu'elles en ont senti proche du nombril, il faut croire qu'elles ont conçu : sinon, elles ne sont pas grosses. Mais celles qui se doutent de cette finesse, ne disent jamais la vérité, mais toujours le contraire.

Les Arabes s'en rapportaient surtout à la couleur du mamelon. Rhazès dit : Inspiciendum est in capitemamillœ, quod déclinans fuerit ad nibedinem masculum, erit; siadnigredinem fœmina est. « Il faut regarder le mamelon : s'il incline à la rougeur, ce sera un garçon; s'il tourne au noir, c'est une fille. » Il dit aussi de confectionner une pastille avec du lait et de la farine, et de la faire dessécher auprès du feu : si la pastille se durcit et reste compacte, ce sera un garçon; si elle se fendille, ce sera une fille.

Nos pères ont cru remarquer qu'une rotondité régulière du ventre de la mère annonçait un garçon et qu'une proéminence exagérée était l'indice d'une fille; de ce proverbe : « Ventre pointu n'a jamais porté chapeau. »

Un usage assez répandu dans plusieurs pays consiste à faire cou- cher par terre une femme enceinte et à observer comment elle se relè- vera: si elle prend son point d'appui du côté gauche, l'enfant est une fille ; dans le cas contraire, ce sera un garçon.

Ce procédé vaut celui des matrones qui, cachant sous une chaise une paire de ciseaux et sous une autre un couteau, font asseoir une femme grosse sur l'un de ces deux sièges, dont le premier annoncerait une fille et le second un garçon.

Le mal de hanche, chez les femmes grosses, est, dit-on, un signe

108 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

qu'elles auront une fille. C'est ce que la trop crédule Mme de Sévigné donne à entendre quand elle écrit à Mme de Grignan : « Qu'est-ce que vous me dites d'avoir mal à la hanche? est-ce que votre petit garçon serait devenu fille ? ».

Au temps de cette agréable bavarde, pour avoir des garçons, on faisait des béguins au saint Père; mais ce procédé ne réussissait pas toujours. Hélène, une des femmes de la marquise, pendant le trouble produit par l'accouchement de madame deGrignan, lui dit: « Madame, c'est un petit garçon. » Madame de Sévigné ajoute : « Je le dis au coadjuteur et puis, quand nous le regardâmes de plus près, nous trouvâmes que c'était une petite fille. Nous en sommes un peu hon- teuses, quand nous songeons que tout l'été nous avons fait des béguins au saint Père. Je vous assure que cela rabaisse le caquet ».

L'Ecole de Salerne, s'occupant de notre cas, émet cet aphorisme scatologique :

Observe l'excrément de la future mère,

Le sexe de l'enfant te livre son mystère :

S'il est épais, rougeâtre, arrondi, gras, visqueux,

Si l'urine abandonne un dépôt granuleux,

En globules formé, cet enfant sera mâle ;

Femelle, si tu vois l'excrément plat et pâle.

Moins malpropre était le moyen employé par Julie, fille d'Auguste. Etant enceinte de Tibère, elle désirait ardemment un fils. Pour savoir si ses vœux seraient accomplis, elle plaça un œuf dans son sein et, lorsqu'elle était obligée de le quitter, elle le confiait à une nourrice. L'augure fut heureux : elle eut un coq de son œuf et un enfant mâle de son mari.

Mahomet enseigne que les mouvements de l'enfant mâle se font sentir du côté droit ; alors la mamelle droite de la mère se développe davantage, le pouls de la main droite a plus d'ampleur, la femme en se mettant en marche porte le pied droit le premier en avant ; toutes circonstances qui sont à l'inverse, si l'enfant est du sexe féminin. Les pronostics et instructions que donne le cheikh Nefzaoui, « sur ce que la femme enceinte engendre» sont plus intéressantes : « Si la femme n'a pas cessé d'être en bonne santé au moment s'est déclaré sa grossesse, si elle n'éprouve pas plus tard d'indisposition, si son visage est de bonne apparence et son teint clair, s'il ne lui vient pas de taches de rousseur, c'est un signe qu'elle est enceinte d'un garçon.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 1G9

« La rougeur du mamelon indique également que l'enfant sera du sexe masculin. Le grand développement des seins et l'hémorrhagie nasale, quand elle a lieu par la narine droite (1), sont des indices de même nature.

« Les signes qui permettent de savoir que la femme a conçu une fille sont nombreux. Je citerai les fréquentes indispositions pendant la grossesse, teint maladif, les taches de rousseur, les maux de matrice, les cauchemars répétés, la noirceur du bout des seins, la sensation de pesanteur du côté gauche, l'hémorrhagie nasale de ce même côté. »

D'après Sue, dès qu'un Lapon s'aperçoit que sa femme est enceinte, il s'empresse de consulter les astres pour connaître le sexe de l'enfant. S'il voit une étoile au-dessus de la lune, il conclut que ce sera un garçon ; si l'éloile est au-dessous de la planète, ce sera une fille. De tout temps, d'ailleurs, les phases de la lune ont joué un rôle prépondérant dans la détermination du sexe de l'enfant. « Les com- mères », raconte Velpeau, « disent que si la première conception a lieu dans le croissant de la lune, il en résulte un garçon, et que si c'est dans le déclin de cet astre, au contraire, la femme accouchera d'une fille. Quelques autres, non moins habiles, admettent que l'enfant sera du même sexe que celui du dernier accouchement, si la lune n'a pas changé dans les trois jours qui ont immédiatement suivi celui-ci ». Tout récemment encore, aux environs de Paris, nous avons pu vérifier, par nous-même, que ce préjugé était fortement enraciné dans certains esprits étroits.

Engelmann (2) nous indique le procédé suivi par les Chinois pour établir le sexe de l'enfant, pendant la grossesse. « On multiplie 7 par 7, ce qui donne 49 ; on retranche l'âge de la mère, puis on ajoute 19, plus le chiffre du mois la conception a eu lieu. Le nombre impair indique un garçon, le nombre pair une fille. Supposons, par exemple, que la mère ait vingt-cinq ans et que l'enfant ait été conçu dans le mois de l'année; nous aurons l'équation suivante: 49 2o + 19 + o = 48,. nombre pair, donc une fille ».

Influence de l'imagination. La grossesse peut réellement apporter dans les facultés affectives et intellectuelles de la femme des troubles plus ou moins sensibles ; il faut néanmoins reconnaître que ces perturbations psychiques sont beaucoup plus rares qu'on ne le

(1) Le côté droit est considéré par les musulmans comme le côté de bon augure. Voyez le Koran, chapitre LVI, verset 26.

(2) La pratique des accouchement* ehex les peuples primitifs. J. Baillière, éditeur.

170 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

croit communément. L'idée fort accréditée qu'il ne faut pas contrarier les désirs ou envies (1) des femmes enceintes, contribue pour beaucoup à les faire naître. Mauvaise excuse pour toutes celles qui profitent de cette croyance populaire pour remonter leur garde-robe, satisfaire leurs goûts luxueux et même commettre des vols ou des crimes !

« Une idée enracinée en Orient», dit Zambaco, « c'est que, si l'envie d'une femme grosse excitée par la vue, par l'odorat, voire même par l'imagination, n'est pas satisfaite sur-le-champ, une fausse couche, s'ensuivra. Aussi voit-on le mari frapper parfois à la porte du voisin pour demander d'un plat dont le parfum a alléché l'odorat de sa femme enceinte ». Passe encore quand il ne s'agit que d'une gour- mandise à satisfaire, mais rechercher, comme le dernier des Canaques, de la chair humaine, voilà qui sort des bornes. Or le fait a été observé plusieurs fois : Roderic parle d'une femme qui voulait manger l'épaule d'un boulanger, son voisin (2). Goulard raconte que, dans un village voisin d'Andernach, sur les bords du Rhin, une paysanne enceinte fut éprise d'une telle passion pour son mari, qu'elle eut la fan- taisie de le manger ; elle le tua, en dévora une partie et sala le reste. C'est le comble de l'affection.

Le cas du savant Canïerius, célèbre botaniste du XVIe siècle, quoique désagréable fut moins grave; sa femme étant enceinte et revenant un jour du marché avec des œufs, entre dans le cabinet de son mari en soupirant; celui-ci attendri lui demande quelle est sa peine : elle avoue, en lui montrant les œufs qu'elle vient d'acheter, qu'elle est tourmentée du désir irrésistible de les lui casser l'un après l'autre sur la face. Camerius aimait sa femme, et craignant les suites d'un refus, il s'enveloppa le visage, et la laissa faire (fig. 78).

De même, on croit généralement que de vives émotions morales peuvent exercer sur le produit de la conception des modifications organiques plus ou moins importantes. C'est ainsi que l'on explique la production des signes et des taches sur le corps du fœtus. « Ces taches, dit Bonnet, sont comme les nues ; on y trouve tout ce qu'on y cherche ». Ainsi, le spina-bifida qui siège le long de la colonne ver-

(1) UiTprofesseur libre d'accouchement, un peu trop libre peut-être, disait à l'un de ses cours qu'en fait d'envies chez les femmes enceintes, il n'admettait que les envies fréquentes d'uriner.

(2)', C'est sans doute de la même personne que parlent Langius et Donatus qui assurent, de la meilleure foi du monde, qu'une dame mit au monde trois enfants dont un était mort, parce qu'un boulanger, après s'être laissé mordre par elle deux fois à l'épaule, s'y était refusé une troisième. (Lempereur. Sur la mort du fœtus).

ERREURS ET PREJUGES

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tébrale et qui résulte d'un arrêt de développement de celle-ci, est généralement attribué à une envie de tomate.

Fig. 7S. Une envie de la femme de Camerius.

S'il est vrai qu'une perturbation morale vive a pu parfois déterminer

172 HISTOIRE DES AGCOUCHEMENTS

chez le fœtus une anomalie particulière, telle que l'anencéphalie cons- tatée par Isidore-Geoffroy Saint-IIilaire, il ne faut pas rapporter à la môme cause tous les cas de monstruosités humaines, comme on tend trop à le faire dans le public. Ce qui prouve que l'imagination de la mère n'est pour rien dans la production des difformités fœtales et dans celle des taches de la peau, c'est que, d'une part, on observe des ano- malies analogues chez les plantes et chez les animaux, veaux à deux têtes, moutons à cinq pattes, becs-de-lièvre, et que, d'autre part, le nombre des enfants qui naissent avec des signes ou des vices de con- formation est relativement très restreint, par rapport à celui des femmes qui, pendant leur grossesse, ont eu des peurs, des envies, ou des regards. En outre, il est des femmes qui donnent le jour à des monstres, sans avoir éprouvé aucune impression fâcheuse, et d'autres qui accouchent d'un enfant bien conformé, après avoir été boule- versées par une forte émotion.

Enfin, si les désirs avaient une influence certaine sur le produit de la conception, les femmes pourraient à leur gré engendrer des garçons ou des filles, et la laideur ainsi que la bêtise disparaîtraient de ce monde.

Les partisans de l'influence morale de la mère sur le développe- ment des difformités fœtales-citent plusieurs exemples qui semblent plaider en faveur de leur opinion. On connaît l'histoire des trou- peaux de Jacob. La Genèse nous apprend qu'il existait entre Laban et Jacob une convention par laquelle le premier aurait tous les agneaux nés d'une seule couleur, et le dernier ceux qui naîtraient tachetés. Jacob plaça au fond des vases, les brebis en rut allaient boire, des petits bâtons dépouillés par endroits de leur écorce. Il n'y a pas encore bien longtemps qu'une société savante a conseillé de teindre en blanc ou en noir la toison des béliers, avant de les faire saillir, pour obtenir des chevreaux de l'une ou de l'autre couleur. Galien parle d'un petit homme laid et bossu qui, craignant d'avoir une postérité contrefaite, plaça près de son lit le dessin d'un enfant bien conformé que sa femme devait fixer dans certaines circonstances. Le procédé réussit et cette dame accoucha d'un enfant qui ressemblait au portrait qu'elle avait eu devant les yeux. Il paraît que Denys, tyran de Syracuse, fit mettre le portrait de Jason devant Je lit de sa femme pour que son enfant eût la beauté du chef des Argonautes.

On a attribué la mémoire du cardinal du Perron à l'envie que sa mère avait eu d'une bibliothèque pendant sa grossesse. Sterne expli- que le caractère distrait de Tristram Shandy par cette circonstance que, lorsqu'il fut conçu, sa mère interrompit l'auteur de ses jours

ERREURS ET\PREJUGES

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par celte exclamation : « Je crois, mon ami, que tu as oublié de remonter la "pendule ».

Fig. 7D. Une femme enceinte vivement impressionnée à la vue d'un supplicié.

A Stockholm, les chasseurs sont obligés d'envelopper la tête des

17 i HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

lièvres qu'ils ont dans leur carnier, de peur d'impressionner les femmes enceintes et de donner un bec-de-lièvre à leur enfant.

Du temps de Thomas Brown, on croyait qu'une femme grosse devait éviter la vue d'un mort dans la crainte d'avoir un enfant livide. Montaigne rapporte, dans ses Essais, l'histoire d'une jeune fille qui fut présentée au roi de Bohême ; elle élait « toute velue et hérissée, que sa mère disoit avoir esté ainsi conçue à cause d'une image de sainct Jean-Baptiste pendue à son lict ». Malebranche cite un autre exemple, souvent invoqué par les partisans de l'influence de l'imagination maternelle sur le fœtus :

« Il y a sept ou huit ans passés, qu'on vit un jeune homme à l'hôpi- tal des Incurables, un idiot, dont le corps élait rompu aux mêmes endroits l'on rompt les criminels. Il a vécu vingt ans dans cet état, et il a été vu de plusieurs personnes. La cause d'un malheur si terri- ble fut que sa mère, apprenant qu'on devait rouer un criminel, voulut en voir l'exécution (fîg. 70). Les enfants voient ce que leurs mères voient, entendent les mêmes cris ; ils reçoiventles mêmes impressions des objets et sont émus par les mêmes passions. Les coups qu'on donna au malfaiteur frappèrent l'imagination de la mère, et, par con- tre-coup, le tendre cerveau de l'enfant dont les fibres, no pouvant résister au torrent des esprits, furent rompues. C'est pour cette raison qu'il vint au monde idiot. Le mouvement impétueux des esprits ani- maux de la mère dilata avec force son cerveau et se communiqua aux diverses parties de son corps, qui répondaient à celles du criminel. Mais, comme les os de la mère purent résister à l'impétuosité des esprits, ils ne furent point blessés. Peut-être qu'elle ne sentit point la moindre douleur ; mais ce cours rapide des esprits a été capable d'emporter ou de briser cette tendre partie des os de l'enfant. Et il faut observer que si cette mère eût détourné le mouvement des esprits vers quelque autre partie de son corps, en se chatouillant avec force le derrière, par exemple, son enfant n'aurait point eu les os rompus.» Avis aux dames enceintes qui auraient la fantaisie d'assister à une de ces petites fêtes matinales que M. de Paris offre au public devant la Pioquelte : elles devront « se chatouiller avec force le derrière » ou prier un voisin complaisant de leur rendre ce service, sinon leur fruit pourrait venir la tête détachée du tronc. Ajoutons, d'ailleurs, que Chaussier a pu constater sur le corps d'un nouveau-né jusqu'à treize fractures, et cependant la mère n'avait vu rompre les os d'aucun cri- minel.

Les mutilations spontanées qu'on rencontre parfois sur les mem- bres du fœtus à sa naissance, ont été interprétées en faveur des

ERREURS ET PRÉJUGÉS 175

influences psychiques de la mère sur le produit de la conception : Une femme accouchée par le docteur Trepant, de Nesle, le 10 juillet 1879, mit au monde un enfant mâle auquel il manquait l'avant-bras gauche ; or, étant enceinte de deux mois, elle fut fort épouvantée d'un accident arrivé, en sa présence, à un jeune homme qui subit l'ampu- tation de l'avant-bras. De même, une princesse, citée par Gaharliep, accoucha d'un manchot parce qu'elle fut saisie d'effroi en voyant abattre, d'un coup de sabre, la main d'un homme. Lavater a rap- porté un exemple semblable.

On a voulu aussi donner à l'imagination le pouvoir de reproduire certaines images sur le corps des enfants. Une petite fille, née à Valen- ciennes, l'an III de la République, portait sur le sein gauche la figure du bonnet phrygien. « Cette anomalie, observe I.-G. Saint-Hilaire, n'a rien de remarquable en elle-même ; mais ce qui l'est beaucoup, c'est que le gouvernement de l'époque crut devoir récompenser, par une pension de 400 francs, la mère assez heureuse pour avoir donné le jour à une enfant parée par la nature elle-même d'un emblème révolutionnaire ! »

A. Lempereur (1) cite encore de nombreux faits d'altérations du fœtus dans le sein maternel :

« C'est une dévote qui porte six ans un fœtus devenu aussi blanc et aussi dur que le marbre, parce que, dit Hoffmann, elle s'était oubliée trop souvent en de longues extases devant un séraphin de plâtre.

« C'est une italienne qui met au monde un enfant pétrifié, parce que, étant grosse, elle avait un goût prononcé pour les substances calcaires, qu'elle mangeait en toute occasion.

« C'est une femme qui donne le jour à un enfant dont le côté gauche était ulcéré et saignant, parce que, enceinte de quatre mois, elle avait été vivement frappée de la plaie saignante d'un crucifix.

« C'en est une autre qui accouche de deux jumelles, dorées comme l'aurore, après avoir pris un julep au safran.

« Une autre, mère d'un enfant plus noir qu'un corbeau, parce qu'elle avait été enveloppée dans l'explosion d'une poudrière.

« Le Journal dAllemagne (t. II, obs. 149) rapporte l'histoire d'un fœtus, sans épiderme, parce que la mère, pendant toute sa gros- sesse, ne prenait pour aliment que des acides et pour boisson que du vinaigre.

« Segerus trouve naturelle la gangrène d'un fœtus dont la mère avait été vivement effrayée par un terrible incendie. Etc., etc. »

(1) Loc. cit.

17G HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Nous pourrions multiplier à l'infini les exemples de ce genre; mais quel que soit leur nombre, nous devons les considérer comme autant de coïncidences curieuses, dont le véritable caractère a été méconnu.

II. SUR LES ACCOUCHEURS ET LES SAGES-FEMMES

Contestation de leur utilité. A quoi bon des accoucheurs ? En trouve-t-on chez les sauvages ? Les animaux ont-ils imaginé de confier spécialement à l'un d'eux le soin de délivrer leurs femelles? L'accouchement n'est-il pas une fonction normale? Laissez faire la nature : elle est plus savante que le plus savant de vos opérateurs!

S'il existe encore des disciples de Jean-Jacques, ils auraient belle matière à interrogations indignées et à exclamations éloquentes. As- surément nous respectons la nature; loin de nous, comme dit un hé- ros de Labiche, la pensée de déverser le blâme sur cette bonne mère; mais enfin cette bonne mère se trompe parfois et souvent a besoin d'aide. En ce cas, le praticien est un utile compère. Il n'y a point d'accoucheurs chez les Niams-Niams ou chez les Botocudos? D'ac- coucheurs ayant en poche diplôme et patente, soit; mais il y a la mère, il y a le sorcier ou la sorcière, aides à la main souvent brutale, mais dont les soins, si malhabiles qu'ils puissent être, prouvent qu'il n'est pas toujours bon d'abandonner la nature à elle-même.

Demandez aux vétérinaires, aux artistes de village, combien de fois ils sont appelés à délivrer des femelles domestiques, des chèvres, par exemple, dont le chevreau se présente souvent de travers. Il y a plus : les batraciens n'ayant pas encore leurs entrées chez Sanfourche, le vulgaire crapaud des environs de Paris, l'Alyte accoucheur, le Bufo obstetricans, accouche lui-même sa femelle, l'aide à se débarrasser de ses œufs. Mais revenons aux vivipares : toutes les femelles de cet ordre, bipèdes et quadrupèdes, Australiennes ou Parisiennes, chèvres angora ou lionnes de l'Atlas, sont exposées à périr avec leur fruit, si elles ne sont pas secourues dans les présentations vicieuses ou quand les déformations du bassin s'opposent au passage du fœtus. Donc vive l'obstétrique et les suppôts de cet art!

Force physique et conformation des mains. Beaucoup s'imaginent qu'une grande force physiqueest nécessaire à l'accoucheur. Certes, une bonne constitution est utile pour résister aux fatigues du

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métier; passer des jours et des nuits auprès de personnes exigeantes en leur double qualité de femmes et de malades, veiller au milieu des plaintes, des récriminations, des supplications, des invocations, des malédictions, suppose une vigoureuse santé de corps et d'âme. Mais on ne retire pas un fœtus, même récalcitrant, avec les efforts d'Her- cule arrachant un chêne; Milon de Crotone, l'assommeur olympique, eut fait, croyons-nous, un assez médiocre tocologue.

Le docteur Payelle, dans sa thèse inaugurale, signale cet autre préjugé qui exigerait de l'accoucheur une main fine et de longs doigts. C'est très aristocratique, mais bien inutile. Notre judicieux confrère va nous le prouver d'une façon péremptoire :

« Quand à ce qui est de la grosseur de la main, dit-il, que les dames ne s'alarment pas trop : quel que soit le volume de la main de l'accou- cheur, ce volume sera toujours moindre que celui de la tête de l'en- fant. Que les passages s'agrandissent à un moment plutôt qu'à un autre, avant ou après, c'est, à mon avis, chose assez indifférente... La longueur des doigts! L'accoucheur n'est pas nécessairement un pianiste, et, du reste, quand la main est entrée, il est à croire que les doigts seront toujours assez longs et effilés. »

Préférence accordée aux sages-femmes. Nous ne mé- dirons pas de la pudeur; la pudeur est à la vertu de la femme ce que son langage est à sa pensée; son langage nous trompe souvent sur sa pensée, et ce qu'elle appelle sa pudeur, sur sa vertu. Mais enfin, cette hypocrisie séduit les hommes jusqu'à ce que, une fois séduits, ils exigent son oubli. Faut-il cependant qu'un sentiment tout artificiel fasse négliger à la femme le soin de sa vie ? Perdre ce qu'on ne re- trouve jamais pour sauver ce qu'on oublie souvent, nous paraît être un franc marché de dupe. C'est pourtant celui que chaque jour nous voyons conclure à ces femmes qui, pour accoucher, ont recours aux personnes de leur sexe. C'est un préjugé qui tombe; mais jadis il allait fort loin : un certain Hecquet l'encouragea même dans un opus- cule que nous reproduirons plus tard et qui est intitulé : De l'indé- cence aux hommes d'accoucher les femmes. On aurait pu lui répondre par un traité : De V impertinence aux femmes d'accoucher leurs sem- blables. 11 n'est certes pas impossible de trouver des sages-femmes capables et prudentes; mais aussi combien sont ignorantes et par cela même téméraires ! Et ce sont précisément ces dernières qui, par leur assurance, savent capter la confiance; ce sont elles qui sont dangereuses. Une intervention étrangère est-elle nécessaire? Espé- rant tirer profit et honneur de la difficulté qu'elles cherchent inutile-

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 12

178 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ment à vaincre et dont elles ignorent la gravité, elles tardent le plus longtemps possible à demander du secours, et quand elles se résignent à le faire, souvent il est trop tard et pour l'enfant et pour la mère. « La pudeur », dit fort bien Trousseau, « tue plus de femmes qu'elle n'en sauve ».

P. J. Proudhon, avec sa logique brutale, traite ce môme sujet dans sa Pornocratie : « Dès l'instant, » écrit le penseur jurassien, « que les femmes, dans une société parvenue à un haut degré de civilisa- tion, ne peuvent plus s'accoucher toutes seules, comme faisaient les femmes des Hébreux en Egypte, et comme le font encore aujourd'hui toutes les négresses et sauvagesses ; dès l'instant que, par le déve- loppement de la sensibilité nerveuse, l'accouchement est devenu un cas pathologique, il vaut mieux, dans l'intérêt même de l'honnêteté publique, appeler le médecin, que faire instruire, dans cette science scabreuse, de jeunes paysannes. Entre le médecin et la femme en couche, entourée de son mari et des siens, la pudeur n'est pas plus intéressée qu'entre le soldat blessé et la sœur de charité. Allez-vous donc aussi, sous prétexte de pudeur, chasser les femmes des hôpitaux? Non, non : la femme, comme le médecin, est à son poste au lit du malade; devant le péril, la pudeur se retire sous l'aile de la charité. Le dévouement seul ici se montre : dévouement de l'homme envers la femme, dévouement de la femme envers l'homme. C'est la loi du mariage qui gouverne ici, loi que votre fausse pudeur ne comprend pas. Quant à moi, je vous le déclare, je préfère mille fois, pour la morale publique et pour la morale domestique, lerisquedudocLeurà celui des accoucheuses, mêmes jurées ».

III. sur l'accouchement

A. AVANT LE TRAVAIL

Sur l'époque de l'accouchement. Naissances tar- dives. — L'expulsion du fœtus a lieu d'ordinaire vers la fin du neu- vième mois ; mais pour éviter toute cause d'erreur, notre jurispru- dence a établi la limite des naissances tardives au trois centième jour ou dixième mois. Quoique ce terme, fixé par la loi, soit déjà une exception, on croit cependant qu'il peut être encore dépassé. Laurent Joubert, médecin du XVIe siècle, s'élevant contre les préjugés de son temps, n'a pas craint d'écrire ce qui suit :

ERREURS ET PRÉJUGÉS 179

« Puisque la diversité des complexions est si grande an l'homme et non ez autres animaus, il ne se faut ébaïr, que l'homme n'ayt au- cune saison limitée à faire l'amour, ny aucun terme à porter les an- fans, comme les autres animaus ont le tout limité. Et quant au port de la groisse, le divers terme est de la diversité des complexions, tant de l'anfant conçeu que de la mère. Car il y a desanfans de grand éclappe et corpulance, qui requièrent plus de seiour de leur matu- rité, comme dit Aristote des éléphans, qui ont besoin de seiourner deux ans dans la matrice pour leur grand' corpulance. Les jumans pour mesme raison portent douze mois, et les anesses aussi. Il me souvient de la matrone qui persuada à un Florantin (ainsi qu'il est écrit au livre des ioyeuses avantures) duquel la famé étoit accouchée douze moys après qu'il ne l'avoit cognue, que si une famé voit un une le iour qu'elle ha conçeu, elle portera autant de tems que fait l'ànesse... Ainsi (pour revenir à mon propos) un gros fruit n'est si tost meur qu'un petit... Ainsi voit-on conlmunémant les filhes venir iusques au bout du mois neuvième et les fils naître au commencemant et aatrée du mois, car la complexion chaude sert à la prompte matu- rité, la froide et humide est plus tard meure. »

Rabelais, médecin lui aussi, mais peu crédule de nature, se montre au contraire fort sceptique à l'endroit de ces termes prolongés de la grossesse. Il faut lire le chapitre III du Gargantua : « En son eage virile, Grandgousier espousa Gargamelle, fille du roy des Parpaillos, belle gouge et de bonne troigne. Et faisoient eux deux souvent en- semble la beste à deux doz, ioyeusement se frotans leur lard, tant qu'elle engroissa d'un beaufilz et le porta iusques à l'unziesmemoys.

« Car autant, voire d'advantage, peuvent les femmes ventre porter, mesmement quand c'est quelque chef d'œuvre, et personnage qui doibve en son temps faire grandes prouesses. Comme dict Homère que l'enfant duquel Neptune engroissa la nymphe nasquit l'an après révolu : ce fut le douziesme moys. Car (comme dict A. Gelle) ce long- temps convenoit à la maiesté de Neptune, affin qu'en icelluy l'enfant feust formé à perfection.. . Messieurs les anciens Pantagruelistesont conformé ce que ie dis, et ontdéclairé non seulement possible, mais aussi légitime, l'enfant de femme l'unziesme moys depuis la mort de son mary. » Après avoir cité Hippocrate, Pline, Aristote « et mille autres folz, le nombre desquelz a esté acreu par les légistes » il ajoute : « Moiennans lesquelles loys, les femmes vcufes peuvent franchement iouer du serrecropière à tous enviz et toutes restes, deux moys après le trespas de leurs mariz ». L'austère madame de Main- tenon songeait-elle au passage de Rabelais, quand elle écrivait à

180 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

M. d'Aubigné, son frère: « Consolez-vous du retardement des couches de madame d'Aubigné ; les héros sont au moins de dix mois dans le sein de leur mère ».

L'empereur Adrien reconnut comme héritier légal un enfant onze mois après le décès du mari (1). Lucius Papirius, préteur ro- main, d'après Pline, adjugea aussi une succession à un enfant que sa mère disait avoir porté treize mois dans son sein. « Mais, » fait ob- server à ce sujet Jacques Duval, « telles portées sont rares et plus propres aux femelles des éléphans qui engendrent de grosses bestes, qu'aux femmes. Ce que j'estime fort sujet à caution, aussi bien comme ce qui nous est raporté par Joubert, de ceux qui ont eu enfans vivans aux cinquième et sixième mois, et ce que raconte Avicène qu'une femme avoit enfanté à quatorze mois. Ce qui doit estre conté entre les rares événements, qui sont plus tost pour aider à favoriser celles qui auroient emprunté mal à propos un pain sur la fournée, ou qui voudroient livrer la vache èmprainte, comme il se dit en commun proverbe ; et les jeunes veufves, qui auroient fait un coup d'essay, avec ceux qu'elles désirent par après espouser que pour en tirer con- séquence de loy générale ».

La jurisprudence musulmane, Si Khelil, est encore plus libérale que celle des anciens Romains, puisqu'elle admet le terme de cinq ans comme maximum de durée possible de la gestation ; il est vrai que ce terme a été constesté par nombre de légistes. Qu'auraient-ils dit de celui de dix ans que proposait, comme très possible, sinon comme très probable, un certain Niconitius, du XVI0 siècle, dans une thèse dont voici le titre : Bis centum et vigenti quatuor rationes dubitandî, seu argumenta unius loci, sed plurium auctoritatibus non scriptis alibi comprobata, quïbus videbatur fdium natum ex uxore, absente marito per decennium, esse legitimum (Cracovie, 1541). Il prétendait y montrer par deux cent vingt-quatre bonnes raisons qu'un enfant après dix ans d'absence du mari était parfaitement légitime, ou tout au moins qu'il y avait lieu d'hésiter avant de se prononcer pour la négative. La thèse porte pour épigraphe : Incivile est non tota lege perspecta judicare : « il est déshonnêle de porter un jugement sans bien examiner toute la loi ». L'éditeur a eu le bon esprit d'ajouter cette dédicace aux épouses :

Clemens Janicius.

AD UXOIIES

(1) Nous donnerons l'opinion des Anciens sur les naissances tardives et précoces au chapitre des Mœurs et Usages.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 181

Conjugum adulteria prohibet Niconitius, at vos

Jam lapsas magno protegit ingenio : Talem et tam doctum vobis nec prisca tulerunt

Sœcula patronem, neque futura dabunt.

Niconitius défend aux épouses l'adultère, mais vous Qui avez failli spirituellement il vous encourage:

Tel ni si docte avocat ne vous donnèrent Les siècles passés, les siècles futurs ne vous en donneront pas.

A la même espèce de mystification appartient un prétendu arrêt rendu en 1327 par le Parlement de Grenoble, mais dont on ne connut l'existence qu'au XVIIe siècle. L'arrêt est assez curieux pour que nous en donnions la teneur complète :

ARRÊT DU PARLEMENT DE GRENOBLE

Donné au iwofit d'une dame qui fit un enfant en l'absence de son mari, et sans avoir eu connaissance d'aucun homme.

Entre Adrien de Montléon, seigneur de la Forge et Charles de Mont- léon, écuyer, seigneur de Bourglemont, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, appelants et demandeurs en requête du 26 octobre, tendant à ce qu'il fut dit que l'enfant duquel était alors enceinte Made- leine d'Auvermont, épouse de Jérôme de Montléon, seigneur d'Aigue- mère, fût déclaré illégitime d'icelui seigneur son mari ; et qu'en cefaisant, lesdits appelants et demandeurs seraient déclarés seuls héritiers et habiles à succéder audit sieur d'Aiguemère, d'une part;

Et ladite Madeleine d'Auvermont, intimée et défenderesse à l'inter- vention de ladite requête, d'autre part ;

Et encore Claude d'Auvermont, écuyer, seigneur de Marsaigne, tuteur d'Emmanuel, jeune enfant depuis né, etc ;

Vu les pièces de production et sentence dont il est appel; vu les requêtes desdits de la Forge de Bourglemont, contenant entre autres choses, qu'il y a plus de quatre ans que ledit seigneur d'Aiguemère n'a connu charnellement ladite dame Madeleine d'Auvermont son épouse, ayant icelui sieur son mari, en qualité de capitaine de chevau-légers, servi au régiment du Cressensault ;

Vu les défenses de ladite dame d'Auvermont, au bas desquelles est son affirmation faite en justice, par-devant Mélinot, greffier en cette cour, soutenant qu'encore que véritablement ledit d'Aiguemère n'ait été de retour d'Allemagne et ne l'ait vue ni connue charnellement depuis quatre ans, néanmoins que la vérité est telle, que ladite dame

18'2 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

d'Auvermont s'étant imaginé en songe la personne et l'attouchement dudit sieur d'Aiguemère son mari, elle reçut les mêmes sentiments de conception et de grossesse qu'elle eût pu recevoir en sa présence; affir- mant, depuis l'absence de son mari, pendant les quatre ans, n'avoir eu aucune compagnie d'homme et avoir pourtant conçu et enfanté ledit Emmanuel ; ce qu'elle croit être advenu parla seule force de son imagi- nation; et pourtant, demande réparation d'honneur avec dépens, dommages et intérêts ;

Vu encore l'information en laquelle ont déposé dame Elisabeth d'Ailbriche, épouse du sieur Louis do Pontrinal, sieur de Boulagne ;

Dame Louise de Nacarcl, épouse de Charles d'Albert, écuyer, sieur de Vinages ;

Marie de Salles, veuve de Louis CransauL écuyer, seigneur de Vernouf;

Et Germaine d'Orgeval, veuve de feu Louis d'Aumont, en son vivant conseiller du roi et trésorier général de la chambre des comptes ;

Par la déposition desquelles il résulte qu'au temps ordinaire de la conception,, avant la naissance dudit Emmanuel, ladite dame d'Auver- mont, épouse du sieur d'Aiguemère, leur déclara qu'elle avait eu lesdits sentiments et signes de grossesse, sans avoir eu compagnie d'homme, mais après l'effort d'une imagination de l'attouchement de son mari, et qu'elle s'était formée en songe ;

Ladite déposition contenant en outre que tel accident peut arriver aux femmes, qu'en elles-mêmes telles choses leur sont advenues, et qu'elles ont conçu des enfants dont elles sont heureusement accouchées, lesquels provenaient de certaines conjonctions imaginaires avec leurs maris absents, et non de véritable copulation ;

Vu l'attestation de Guillemette Garnier, Louise d'Artault, Perette Chauffage et Marie Leimant matrones et sages-femmes, contenant leurs avis et raisons sur le fait que dessus ;

Lecture faite aussi du certificat en attestation de Denis Sardine, Pierre Méraupe, Jacques Gaffié, Jérôme de Revisin et Léonor de Belle- val, médecins;

Informations faites à la requête du procureur général; tout consi- déré ;

La Cour, ayant égard aux informations desdites femmes et médecins dénommés, a débouté et déboute lesdits de la Forge et Bourglemont de leur requête ;

Ordonne que ledit Emmanuel est et sera déclaré fils légitime et vrai héritier dudit seigneur d'Aiguemère ;

Et ce faisant, ladite Cour a condamné lesdits sieurs de la Forge et Bourglemont a tenir ladite d'Auvermont pour femme de bien et d'hon- neur, dont ils lui donneront acte après la signification du présent arrêt, etc.

Fait en Parlement, le 13 février 1327.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 183

Tallemant des Réaux altribue cette supercherie à un nommé Sau- vage qui vivait au commencement du XVIIe siècle et se plaisait à donner pour vrais les faits les plus extraordinaires. « De Bruxelles», dit Tallemant, « il envoyait des gazettes pleines de chimères pour contrecarrer celles de Théophraste Renaudot ». Son arrêt de Grenoble fît grand bruit; il y eut information du Procureur général du Parle- ment de Paris; le Parlement de Grenoble s'indigna, instruisit l'affaire et par un autre arrêt longuement motivé déclara celui du 13 février 1327 « faux, supposé, calomnieux et injurieux à son honneur ; ordonna que la copie imprimée du dit Arrêt serait remise entre les mains de l'exécuteur de la haute justice pour être par lui biffée et lacérée, et les pièces jetées au feu et brûlées devant la grande porte du Palais, dans Place publique de Saint-André ; fit défense de l'imprimer, l'exposer en vente ni l'acheter sous peine de la vie; commit tous conseillers, juges royaux etf>résidiaux de son ressort, et le prévôt des marchants, pour informer contre les auteurs, inventeurs et ceux qui avaient donné cours au dit Arrêt, pour tous genres de peines, même par monitoire, pour saisir les coupables et les empri&onner. » Beaucoup de bruit pour peu de chose, en somme.

Primerose explique, à sa façon, comment un accouchement peut être retardé jusqu'à onze mois. « C'est», dit-il, « parce que le mari re- tourne trop à sa femme déjà grosse : en quoy il ne fait que gâter la besogne, comme qui remueroit la terre quelques jours après que les graines commencent à germer, auxquelles il faut du temps après pour reprendre racine, afin de vivre et profiter de nouveau. Ainsi, l'enfant qui aura été secoué naîtra plus tard. »

Au dix-huitième siècle, une vive polémique s'éleva, entre les mé« decins, sur la légitimité des naissances tardives, au sujet d'un cas; cependant peu douteux, rapporté par Antoine Louis dans son Mé- moire (1) :

Charles étoit le 15 janvier 1687. Il avoit 72 ans passés lorsqu'il épousa au commencement de l'année 1759, Renée qui étoit jeune, d'en- viron 30 ans, et dont il n'a point eu d'enfans pendant près de quatre ans que leur mariage a duré.

Il tomba malade la nuit du 7 au 8 octobre 1762. Sa maladie commença par une fièvre et Une oppression violente qui n'ont pas cessé jusqu'à sa mort.

L'oppression étoit si forte qu'il fut toujours assis clans son lit, ne pou- vant tenir dans une autre situation, et disant à ses gardes de ne pas le

(1) Mémoire contre la légitimité des naissances prétendues tardvoes, 17G1.

184 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

laisser dormir, dans la crainte il étoit d'être suffoqué; il n'avoit pas la force de se mettre à genoux sur son lit pour le premier des besoins; on lui passoit, avec peine, le vase nécessaire aux malades les plus affoiblis; ses gardes ne le quittoient ni jour ni nuit.

Il avoit un pied et une partie de la jambe gangrenés dès le 21 oc- tobre : gangrène sèche et point accidentelle. Dès le 12, il sentit à cette jambe une douleur vive et un grand froid, mais ne la voulut montrer aux médecins que le 21. Ce jour on lui entailloit le pied sans qu'il s'en aper- çut. Les médecins et chirurgiens opinèrent à l'amputation; son état de foiblesse et de dissolution totale s'y opposa. On considéra qu'il lui seroit impossible de soutenir cette opération ; et qu'en la faisant, on ne feroit qu'avancer la fin par un tourment inutile.

Il fit un testament, par lequel il pria un magistrat, proche parent d'un de ses héritiers collatéraux, d'assister au prisage qui seroit fait entre eux de son argent et de son argenterie; preuve de la persuasion de ne point laisser d'héritiers directs.

Renée sa femme ne couchoit point dans sa chambre, et il n'eut pas même été possible qu'elle y couchât : cette chambre se ressentoit du genre de la maladie : on y respiroit une odeur insupportable, au point queJe médecin, le chirurgien? l'apoticaire et les gardes étoient obligés de tenir très souvent les fenêtres ouvertes.

La gangrène, l'oppression et la fièvre ne cessèrent pas de faire des progrès jusqu'au 17 novembre qu'il mourut, environ les deux heures de l'après-midi, âgé de 76 ans.

Plus de trois mois et demi après sa mort, Renée sa veuve témoigna des doutes de grossesse, sans pourtant vouloir déclarer l'époque qu'elle entendoit donner à cette grossesse, et sans permettre qu'on la visitât.

Les héritiers collatéraux nommèrent un médecin et un chirurgien pour être les surveillans de son état, lui rendre des visites, et assister à l'accouchement si aucun arrivait.

Cet accouchement est arrivé en effet ; mais n'est arrivé que le 3 oc- tobre 1763. Renée en ressentit les premières douleurs à sept heures du matin; les grandes ne commencèrent qu'à onze heures, et environ à midi elle mit au monde un enfant mâle, bien constitué, dans l'état ordi- naire d'un enfant de neuf mois. Ces faits sont prouvés par le procès- verbal.

Jusqu'à ce moment elle n'avoit eu aucunes douleurs qui annonçassent un accouchement; le sien a été facile, et il n'y a aucun signe qui puisse faire présumer que l'ordre de la nature ait été troublé ni retardé dans ses opérations.

Or, à compter du 8 octobre 1762, jour de la maladie de Charles, jus- qu'au 3 octobre 1763, jour de l'accouchement inclusivement, il y a un an moins quatre jours.

Il y a onze mois et demi depuis le 21 octobre, jour que la gangrène se manifesta.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 185

Et à compter du jour de la mort seulement, il y a dix mois dix-sept jours, sans accident, sans douleurs, sans aucune circonstance, dont on puisse induire que la grossesse a pu être naturellement d'une durée beaucoup plus longue que les grossesses ordinaires.

Sur cet exposé, on demande si l'enfant de Renée doit être réputé l'en- fant légitime de Charles.

Antoine Louis conclut par la négative. Aussitôt de nombreux pam- phlets protestèrent contre ses conclusions si judicieuses. La jeune Renée, cause de tout ce bruit, devait se faire des gorges chaudes, en entendant ses défenseurs, qui n'étaient pas les premiers venus (1), accepter les accouchements à onze mois et au delà,

Un partisan des naissances tardives, Panenc, docteur en médecine établi à Aix, en Provence, écrivit à Chomel une lettre, datée du 23 mai 1764, il dit avec conviction : « Je pense qu'il est très pos- sible que l'enfant soit légitime, quoique dix mois et demi après la mort du père. Ma femme portoit ses garçons pendant neuf mois com- plets, et les filles jusqu'au dixième et même au delà. Cette observation a été toujours constante et la même, dans sept différentes grossesses; sçavoir de trois garçons et de quatre filles ».

Naissances précoces. Pour éviter toute cause d'erreur, la loi a établi la limite des naissances précoces au cent-quatre-ving- tième jour ou sixième mois; mais c'est l'exception. On cite, comme exemples curieux, le maréchal de Richelieu et philosophe Fortunio Liceli qui naquirent à six mois, ce qui n'empêcha pas le premier de vivre jusqu'à 92 ans et le second de mourir à 80. Livia, femme d'Au- guste, vint aussi, dit-on, à six mois.

Au sujet des naissances prématurées, il existe un préjugé singulier : On croit qu'un enfant à huit mois est moins bien conformé et offre moins de chances de vie que s'il était à sept mois seulement. « Quant au huctième », dit Jacques Duval, « il n'est réputé vital et salutaire en l'Europe ». C'est une erreur ; plus l'enfant est développé, plus nombreuses sont ses chances de vivre. Il est utile de combattre cette croyance populaire ; elle pourrait faire négliger de donner les soins nécessaires à un enfant chétif venu à huit mois.

Depuis quelques années, à la Maternité de Paris, on place les en- fants venus avant terme dans un appareil spécial que l'on appelle la couveuse pour enfants ; nous reproduisons dans les figures 80, 81, 82,

(1) A. Petit, Renard, Chomel, Bellestre, Gervais, Moreau, Dufouart, Tenon, etc.

18G

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

le modèle du docteur Auvard. Déjà Fortunio Liceti, dont le père

Fig. 80. Couveuse pour enfants.

h,b. Boutons qui servent à enlever le couvercle V. H. Orifice de sortie de l'air, auquel est fixé un tube muni d'une hélice. M. Boule d'eau chaude destinée au chauffage. 0. Voie d'in- troduction des boules d'eau chaude dans l'étage inférieur. T. Ouverture obturée par une porte incomplète qui pormet le passage permanent d'une certaine quantité d'air. V. Couvercle vitré fermant l'étage supérieur et que l'on ouvre pour retirer l'enfant ou quand la température intérieure est trop élevée.

Fig. 81. Coupe de la couveuse.

A. voir II de la figure 80. b, b. M. T. V. Voir explications à la fig. 80. E. Kponge imbibée d'eau pour humidifier l'air, placée dans l'ouverture de communication des doux compartiments. Un thermomètre est aussi placé dans l'étage supérieur pour maintenir la température entre 31 et 32. P. Cloison horizontale incomplète qui divise la boite en deux étages et sur laquelle repose le nouveau-né.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 187

était médecin à Gênes, avait été élevé, pendant trois mois, jusqu'à ce qu'il fut à terme, dans un four, l'on entretenait une chaleur modérée et uniforme.

Fig. S2. Boule d'eau chaude en grès, ou moine.

Coupe des cheveux. Le chirurgien Antoine Petit a beau- coup contribué à propager, parmi les femmes, une coutume baroque, celle de se faire couper les cheveux avant l'accouchement, et cela pour « favoriser la circulation des humeurs «.Pourquoi, dans le même but, n'a-t-il pas recommandé de se rogner les ongles, qui, comme les cheveux, ne sont que des productions épidermiques ? De nos jours, cette étrange imagination a perdu tout crédit ; rien, en fait, n'auto- rise une semblable pratique; il suffira de natter les cheveux de la parturiente, afin de ne pas avoir trop de difficulté à les démêler plus tard. Si l'on avait négligé cette précaution, Pajot conseille de trem- per littéralement la chevelure dans de l'huile pour faciliter le pas- sage du peigne.

B. PENDANT LE TRAVAIL

Nous allons noter ici, pour ne plus avoir à y revenir, un certain nombre de préjugés anciens, aussi variés que ridicules, relatifs au travail de l'accouchement.

Commençons par celui que nous trouvons dans Y Embarras de Go- dard, comédie représentée en 1668 :

Des enfants nés la nuit, on m'a dit que la vie, De malheurs infinis estoit toujours suivie.

Saint Bernardin de Sienne raconte que, de son temps, on chassait

188 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

les mouches de la chambre d'une femme en travail d'enfant, dans la crainte qu'elle n'accouchât d'une fille.

« Les femmes, » dit Thiers (1), « pour ne point avoir le cauchemar pendant leurs couches ou de peur que les sorciers ne leur enlèvent leurs enfants, font mettre sur leur lit un couteau ou une courroie. »

Laurent Joubert, dans son quatrième livre des Erreurs populaires, discute un préjugé de ses contemporains qui croyaient que l'os Ber- trand (ils appelaient ainsi la réunion des deux os pubis), s'écartait pour donner passage à l'enfant :

« Le vulgaire ne peut comprandre qu'un si grand cors puisse sortir par le conduit ordinaire, qui est communémant à la mesure du mam- bre viril, sans grande violance, et que c'est la cause des fortes dou- leurs que sant la famé qui accouche, surtout de ses premiers enfans. Car depuis que cela ha été souvant ouvert, il ne fait tant de mal. Pour cette raison, on dit aussi, celles qui sont mariées plus tard, ou qui autremant sont âgées avant que d'enfanter, y andurer le plus, d'au- tant que leur cors, étant plus dur et sec, tels os ne s'élargissent que diflicilement, dont les anfans meurent bien souvant au passage.

« Aucuns disent an outre, que les matrones et sages-fames de Gênes, pour éviter ces difficultés, quand les filhes naissent, leur an- fondrent ces os, comme à un chappon pour le faire paraître plus ample, à ce qu'ils demeurent touiours séparés et élargis, tellemant que les famés n'ayent aucune peine, quand viendront à anfanter. »

Laurent Joubert ajoute, avec raison, que l'écartement du diamètre antéro-postérieur du petit bassin, au moment de l'accouchement, est dû, non à l'écartement du pubis, mais bien à la mobilité du coccyx, que, sans tant de façons, il appelle le cropion. Son explication contient des considérations au moins originales :

« Les p jouent tant du cropion que venant à faire un anfant,

leur cropion est fort soupple a prêter et a consantir. Les autres famés qui l'agitent moins souvant, l'ont plus roide et surtout les vielhes, qu'on épargne plus que les ieunes, mesmes an mariage, et si elles ont plus de mal des derniers anfans que des premiers, cela an est cause. De mesmes les filhes qu'on marie un peu âgées ont grand peine à l'anfantemant, parce qu'elles n'ont acoutumé de ieunesse à remuer le cropion, tandis qu'il étoit tandre et cartilagineus... Les villageoises et autres famés de labeur, qui fond ordinairemant grand exercice, et sont plus debout qu'assises, ont beaucoup plus aysée dé- livrance que les marchandes et bourgeoises, qui sont le plus souvant

(1) Traité des Superstitions.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 189

an repos et assises. Parquoy Lycurge ordonna très sagemant aus fîlhes et famés lacédémoniennes l'exercice de la lutte antre elles pour les randre plus fortes à soutenir toute sorte de peine et mesme un travail de l'anfant. Or que le cropion soyt icy le principal, les famés qui ont anfanté, le peuvent témogner, car leur principale douleur (outre celles des reins) est audit lieu et non à l'os Bertrand, lequel devroit au moins douloir par ces ligamans sensibles, s'il étoit ouvert de violance, comme panse le vulgaire. Mais c'est le seul cropion qui andure d'estre violamment pressé et reculé, pour donner passage à l'anfant, antre luy et l'os Bertrand, lequel ne bouge aucunemant. Le cropion est une petite queue, composée de quatre osselets, laquelle est plus longue à certains Anglois que aus autres. Les Grecs l'ont nommé coccyx à la samblance d'un bec de coccu. le ne say si pour cela, les François appellent coccu, celuy qui permet à sa famé de remuer ceste partie à l'appétit d'autruy. Car de l'appeler coucu pour samblable fasson de faire, que l'oyseau nommé coucu, ce seroit trop grand'faute, d'autant que le coucu ne permet pas à autre oyseau de nicher ou pondre an son nid, ains au contraire il va pondre au nid d'autruy...

« C'est donc le cropion, qui s'étant fort remué au plaisir de la con- cepcion, ha depuis à souffrir extansion douleureuse quand l'anfant doit sortir. L'os Bertrand qui au ieu d'amours n'ha bougé, ains comme un anclume ha soutenu les coups et le fardeau, ne bouge an l'anfan- tement, et n'andure aucun mal. »

D'autres auteurs attribuaient l'écartement du bassin au déplace- ment du sacrum. « Séverin Pineau », dit Jacques Duval, « veut que la dénomination de sacré ait esté donnée à cet os postérieur, situé au bas des lombes, à raison que par un aide sacré et divin, il s'écarte et sépare des os des îles, pour donner libre voye et passage à l'enfant, qui autrement ne pourroit estre en santé rendu à la lumière de ce monde (1) ». Aussi le médecin de Rouen conseille-t-il, pendant le dernier mois de la grossesse, « d'oindre l'abdomen ou bas-ventre, aines, intérieur des cuisses et région de l'os sacré, avec huyle de lis ou d'amandes douces, axonge d'oye ou de canard ».

Femmes mortes en couches. A Lacédémone, la femme qui perdait la vie en donnant un citoyen à la patrie, partageait, avec les guerriers morts les armes à la main, l'honneur de l'épitaphe ; aussi l'idée de la gloire étouffait-elle, chez ces vaillantes Doriennes,

(1) Le sacrum est ainsi appelé parce qu'il était offert aux dieux dans les sacrifices.

190 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

le sentiment de la douleur et les aidait-elle à supporter stoïquement les souffrances de l'enfantement.

Les femmes Arabes montrent un semblable courage, soutenues par l'idée que si elles meurent en couches, elles occuperont au paradis une place exceptionnelle.

Les Aztèques avaient aussi en grande vénération la femme morte en couches; ils pensaient qu'un de ses doigts suffisait pour rendre invincible le guerrier qui possédait ce précieux talisman et, pendant les obsèques de la malheureuse, les parents étaient obligés de soutenir une véritable lutte pour empêcher les jeunes gens pusillanimes de mutiler son cadavre.

Les naturels des Garolines ont une singulière croyance au sujet des femmes qui succombent pendant l'accouchement; ils pensent « qu'elles reviennent au logis pendant la nuit et prennent un malin plaisir à tourmenter ceux qui s'y trouvent, en ouvrant et en fermant avec violence les portes et les fenêtres (1) ».

De même les Molucquois, suivant le Dr Sue, croient, qu'après leur mort, les femmes mortes en couches errent dans la campagne sous la forme de spectres. Pour les empêcher de courir les chemins la nuit, ils leur attachent les jambes, placent un œuf sous chaque aisselle et leur plantent des épingles dans les orteils.

Le même auteur raconte qu'à Madagascar, dans la crainte de mourir pendant le travail, les femmes, dès les premières douleurs, se croient obligées de dire à leurs maris si elles ont eu des rapports illicites avec d'autres hommes ; elles doivent donner le nom de ceux- ci et raconter toutes les circonstances de l'aventure. Si l'une d'elles vient à succomber, les autres femmes pensent qu'elle avait caché quelque escapade à son mari. Il rapporte encore l'usage bizarre, observé dans plusieurs provinces par les ensevelisseuses, de mettre dans le cercueil d'une femme morte en couches des ciseaux et du fil, comme si elles devaient accoucher après leur mort.

Durée du travail. < La facilité de l'accouchement » dit M. Chailly « est en raison inverse du degré de la civilisation ». « La parturition difficile » avance, d'autre part, M. Pouchet « est un phéno- mène acquis par la civilisation ». C'est, en effet, une opinion courante que chez les sauvages et dans les campagnes, l'accouchement est moins long que dans les villes. Rien n'est moins vrai; la durée des contractions utérines, et par suite du travail, est la même pour

(1) E. Plancliut. Revue Scient :

ERREURS ET PRÉJUGÉS 191

toute l'espèce humaine ; seulement il est naturel qu'une femme habituée aux fatigues de la vie sauvage, aux travaux de la vie rustique, exhale des plaintes moins prolongées et moins intenses que la citadine délicate et nerveuse. Et, encore, que d'exceptions! Le Dr Felkin, dont nous reproduisons plus loin 'une intéressante] relation sur les accouchements dans l'Afrique centrale, dit fort bien que, dans cette partie du monde, assez barbare on en conviendra, ils ne lui ont point paru plus aisés que partout ailleurs.

Les récils de la Bible ne nous indiquent-ils pas déjà que, sous ce rapport, les Hébreux n'étaient pas mieux partagés que nous? Quand la femme de Phinées accouche « tout son corps tremble et les douleurs sont telles qu'elle se tord sur le lit ». Une autre en mal d'enfant « lève les mains au ciel et dit : Malheur à moi, on m'assassine! » (l) Ce n'est pas précisément l'indice d'accouchements rapides. Pour soutenir son idée sur la courte durée du travail chez les peuples primitifs, Engelmann (S?) rapporte, d'après le Dr Faulkner, qu'une femme Sioux accoucha en allant chercher du bois dans la forêt; elle en revint avec un fagot et son enfant. Le même auteur s'appuie, en outre, sur la communication que lui a faite le Dr Chcquette au sujet des Kootenais. Ce dernier a vu une indienne de cette tribu quitter la colonne de chasseurs dans laquelle elle se trouvait et la rejoindre peu après avoir donné le jour à un enfant (3).

(1) Le langage des prophètes qui ont souvent emprunté leurs métaphores à l'obstétrique, prouve encore, qu'à leur époque, l'accouchement était loin d'être tou- jours prompt et facile ; Isaïe, comparant les Hébreux pervertis à la femme en travail, écrit : « Les crampes et les douleurs les saisissent ; ils tremblent comme celle qui est en travail d'enfant ». Ailleurs, en parlant de ses souffrances, il s'exprime ainsi : « Mes reins sont pleins de douleurs, des angoisses me saisissent comme les angoisses d'une femme en travail ». Il dit encore : « Comme une femme enceinte dont la délivrance approche, saisie de douleurs, elle pouse des cris ». Le même prophète fait dire aux habitants de Jérusalem, lui dépeignant leur impuissance à soutenir le siège : « Les enfants sont venus jusqu'à l'orifice, mais il n'y avait point de force pour enfanter ».

Jérémie parle de la ville de Dameschecx en ces termes : « L*angoisse et la douleur l'ont mise comme une femme qui va enfanter ». Enfin le prophète Miehah dit, en parlant de Jérusalem désolée : « Pourquoi pousses-tu des cris ? La douleur t'a-t-elle saisie comme une femme qui enfante ? » Une preuve d'ailleurs plus concluante est fournie par la Genèse, quand Lieu adresse à la femme ces paroles comminatoires : « Je vous affligerai de plusieurs maux pendant votre grossesse ; vous enfanterez dans la douleur ». Certainement les auteurs de la Bible n'eussent pas mis cette menace dans la bouche du l'ère éternel si, de leur temps, les accouchements avaient été rapides

(2) Loc. cit.

(3) Posidonius rapporte un fait analogue ; il raconte qu'une Ligurienne, « em- ployée à travailler la terre de son hôte Charmolaûs, de Marseille, s'étant trouvée prise des douleurs de l'enfantement, se retira à quelques pas du lieu elle travaillait

192 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Il n'est pas nécessaire d'aller si loin pour trouver des exemples analogues ; nous en avons cité un certain nombre, dans notre Géné- ration humaine, observés dans toutes les classes de la société.

Ne sait-on pas que le duc de Bordeaux vint au monde « en deux douleurs », suivant la propre expression de la duchesse de Berry? Ne voyons-nous pas communément des femmes accoucher dans des voitures publiques? L'une d'elles fut même surprise par les douleurs de l'enfantement dans la nacelle du ballon captif des Tuileries ; une autre, voulant assister aux obsèques de Victor Hugo, accoucha en plein boulevard Saint-Germain, avant l'arrivée du cortège. Et ces do- mestiques qui accouchent clandestinement, sans éveiller l'attention de leurs maîtres ni même celle des personnes qui habitent avec elles? Concluerons-nous de ces faits que dans la race blanche les accou- chements sont rapides et indolores? Assurément non. Eh bien les partisans de la brièveté de la durée du travail chez les peuples primi- tifs ne sont pas plus autorisés que nous à établir leurs conclusions sur les exemples qu'ils ont cités. Leurs faits prouvent que les mani- festations extérieures de la douleur sont moins sensibles chez ces sau- vages, mais non que la durée du travail y est plus courte qu'ailleurs.

Que dire des commères qui promettent un accouchement d'autant plus rapide qu'il s'éloigne du premier quartier delà lune? Il n'y a certes pas lieu d'attacher plus d'importance à ce racontar qu'à l'opinion originale, émise par Bird,qui veut que l'enfant aime d'autant mieux sa mère que le travail aura été plus laborieux. Peut-être pourrait-on s'en servir en guise de consolation offerte à la patiente, pour l'aider à sup- porter ses souffrances; mais nous doutons fort que l'on rencontre des femmes assez naïves pour accepter une compensation aussi aléa- toire.

« Un fait des plus avérés, admis par Hippocrate, » dit Rhodion, a et qu'il ne faut pas qu'un chirurgien ignore, c'est qu'une femme accouche plus facilement d'un mâle que d'une femelle ». Le contraire serait plutôt vrai; l'accouchement d'un garçon est ordinairement plus long et plus pénible, pour la bonne raison qu'un garçon a, le plus souvent, la tête plus volumineuse que celle d'une fille.

C'est encore une erreur de penser, avec les Anciens, que les souf- frances de la femme augmentent quand elle accouche d'un enfant mort, parce qu'il ne peut aider la mère de ses efforts. On sait, en effet, que, pendant longtemps, on a regardé le fœtus comme l'agent actif de

et après s'être délivrée revint se mettre à l'ouvrage, qu'elle ne consentit à quitter qu'après qu'on lui eut payé son salaire ».

ERREURS ET PRÉJUGÉS 193

sa sortie, par analogie à la conduite des poulets qui brisent, avec leur bec, la coque qui les renferme.

Telle est la raison qui faisait croire autrefois que les garçons nais- saient plus rapidement que les filles; étant plus vigoureux que celles- ci, leurs efforts devaient être moins prolongés pour sortir de leur retraite. La même croyance au rôle actif du fœtus pendant l'accou- chement, a conduit les Anciens à considérer comme mort l'enfant qui tardait trop à naître; aussi n'hésitaient-ils pas à l'extraire par mor- ceaux avec leurs instruments meurtriers.

Mme de Sévigné parle de ce préjugé dans une lettre à sa fille qui vient d'accoucher d'un enfant faible : « D'où vient qu'il est si faible ? » écrit la marquise. « N'est-ce point ce qui l'empêchait de s'aider pen- dant votre travail ! Car j'ai ouï dire aux femmes qui ont eu des enfants que c'est celte faiblesse qui fait qu'on est bien malade* » Les Chinois aussi croient que la femme est essentiellement passive pendant le travail, et ils la comparent, comme les Anciens, à l'œuf, et l'enfant au poulet qui brise ses enveloppes selon son bon plaisir. De même les Papagos sont convaincus que, dans les couches laborieuses, c'est l'enfant qui, par son entêtement, résiste à sa sortie ; et ils laissent sans regret mourir la mère et l'enfant, en pensant que la tribu est ainsi débarrassée d'un mauvais sujet. Les Klamaths partagent la même croyance; et si le travail se prolonge quelque peu, la sage- femme menace le fœtus récalcitrant de la morsure du crotale, le cro- quemitaine de l'endroit, et lui enjoint de sortir de sa retraite au plus vite.

Pour les Néo-Galédoniens, un travail prolongé ne peut être que la conséquence d'un adultère, et les femmes qui assistent la patiente l'engagent à révéler le nom de son amant, sans quoi elle s'exposerait aux plus terribles souffrances. Dans le nord de la Russie, on pense abréger la durée du travail, en invitant la patiente à confier à la sage- femme le nom des personnes auxquelles elle a accordé ses faveurs ; le mari doit en faire autant de son côté, et, si malgré ces aveux, l'ac- couchement tarde encore à se faire, on en conclut que l'un des époux n'a pas dit toute la vérité.

Marche exagérée. En Piussie, au voisinage d'Astrakhan, la patiente doit marcher pendant toute la durée des douleurs; elle n'est autorisée à se coucher qu'au moment de l'expulsion.

Chez les Birmans, la femme est obligéede courir dans le simple ap- pareil, autour de la chambre, pendant que plusieurs femmes la pour- suivent en lui frappant le ventre et les reins avec des oreillers. Cette

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. ]3

191 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

course fantastique ne cesse que quand la malheureuse tombe épuisée sur le sol.

En France, dès les premières douleurs et jusqu'à la fin de l'accou- chement, on a souvent le tort de faire marcher les femmes de long en large dans la chambre ; il en résulte une fatigue qui épuise les forces de la parturiente et l'empêche affaire valoir ses douleurs sur la fin, suivant l'expression de Mauriceau. Cet exercice doit être modéré, et on ne l'emploiera que dans le cas les progrès du travail seront trop lents.

Boissons alcooliques. —Sous prétexte de donner des forces à la femme, on l'engage souvent à boire du vin ou autres boissons alcoo- liques dès le début du travail; il en résulte, au contraire, des vomis- sements qui le retardent. Déjà au XVIIIe siècle, cette coutume était fort en usage, et Mauriceau puis Dionis se sont élevés contre elle. Ce dernier fait, à ce sujet, une réflexion qui ne manque pas de jus- tesse, quoique légèrement facétieuse ; après avoir défendu les liqueurs aux femmes en couches, il ajoute : « Mais afin que les vins d'Espagne ou de Canarie dont on a fait provision, ne soient pas per- dus, il faut les faire boire par les assistants fatigués par quelque partie de la nuit qu'ils auront passée sans dormir, et à qui ils feront plus de bien qu'à l'accouchée. »

Pressions abdominales. Pour hâter l'accouchement, on exerce souvent de violents massages sur l'abdomen ; cette pratique, fort estimée chez les peuples primitifs, peut déterminer de graves accidents, en contusionnant par exemple la matrice et même en pro- voquant sa rupture.

Les Siamois (fig. 83) et les Apaches Coyoteros ne se contentent pas de pétrir le ventre dans les couches laborieuses ; ils suspendent la femme sous les bras, un ou deux assistants se cramponnent à sa taille et compriment le fond de l'utérus pour en faire sortir son contenu.

Sur la présentation. Les Anciens pensaient, avec Hippo- crate, que l'accouchement par les pieds était ordinairement funeste à la mère et à l'enfant, parce qu'ils ne savaient pas dégager le menton ni les bras qui se relèvent le plus souvent. Ils voyaient, en outre, dans cette présentation «contre nature » un présage fâcheux pour les con- temporains. Ils disaient qu'il était naturel d'entrer dans le monde par la tête et d'en sortir par les pieds, faisant ainsi allusion à la ma-

ERREURS ET PREJUGES

195

nière dont ils portaient les morts en terre, et ils appelaient Agrippa les enfants qui se présentaient par le siège ou les membres infé- rieurs ('!). « In pedes procedere nascenlem, dit Pline, contra naturam

15 r -/-,

7'*—

Fig. 83. Une couche laborieuse chez les Siamois.

est, quo argumente, eos appellavcre Agrippas, ut œgre partes. » Cette étymologie est ridicule. Non moins ridicule est l'opinion de ceux qui veulent faire dériver notre expression « prendre en grippe » de ce vieux préjugé. On a aussi rapproché le terme agripperas la croyance

(1) Ou cite comme exemples de personnages nés de la sorte : Agrippa, Néron, Richard III et Louis XV,

196 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

étaient les Anciens que les enfants, dont les bras se relevaient au passage, saisissaient le bassin pour ne pas sortir. Toutes ces conjec- tures étymologiques sont mal fondées.

Notons, en terminant, que Fernel, par respect pour la pudeur, fai- sait naître les garçons la face tournée du côté de l'anus de la mère et les filles regardant le côté opposé; il faut d'ailleurs reconnaître, à l'hon- neur des accoucheurs, qu'il fut le seul à soutenir cette niaiserie.

Influence de la coiffe. Amniomancie. Quelquefois, l'en- fant vient au monde la tête recouverte des membranes de l'œuf (fig. 84). et l'on a coutume de dire que l'enfant « naît coiffé ». On croit généra- lement que cette particularité est d'un bon augure pour l'avenir du nouveau-né. Ça porte bonheur, dit-on. Ce préjugé est si peu fondé que, si l'accoucheur ne se hâte de rompre les membranes, le placenta peut se décoller prématurément et causer de sérieux accidents.

Ainsi dans certaines régions de la France, en Bretagne, on conserve comme un talisman cette coiffe membraneuse, dite « coiffe de bon- heur», et les jeunes gens qui la possèdent n'oublient pas de s'en munir le jour du tirage au sort. Cette amulette, faut-il l'ajouter, n'exerce pas plus d'influence sur le sort, que la corde de pendu, ou les sachets contenant des excréments du Grand Lama que celui-ci envoyait aux potentats d'Asie, pour enchaîner la fortune. yElius Lampridius assure, dans la Vie de l'empereur Antonin, que, chez les Romains, les avocats recherchaienlcette membrane et la portaient à nu sur leur poitrine pour gagner leurs causes. Il raconte aussi que l'impératrice Cesonia Celsa donna à l'empereur Macrin un fils qui naquit « coiffé ». Les grands dignitaires, voyant dans ce fait le pré- sage d'une haute destinée, nommèrent le jeune prince Diadumène (1).. Or, il arriva qu'il fut proscrit et assassiné après la mort de son père.

Autrefois, les sages-femmes prédisaient le sort du nouveau-né par l'inspection de cette coiffe: la destinée était heureuse, si elle était rouge et malheureuse, quand elle présentait une teinte plombée.

« Quand l'enfant venait au monde avec ses coiffes, » dit Collin de Plancy, « nos pères étaient persuadés que c'était un signe visible de la Providence qui l'appelait à la vie religieuse, et l'on ne manquait guère, sans autre preuve de vocation, de l'enfermer dans un couvent ». Par analogie, la coiffe, appelait le voile ou le capuchon.

Cependant le plus souvent on ne regardait la coiffe que comme un simple porte-bonheur. Il est même étonnant qu'un grand esprit,

(1) C'est-à-dire couronné.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 197

Ambroise Paré, ait accueilli cette superstition : « Véritablement, » dit-il, « ie suis d'avec elles, et encore ie dis davantage, que la mère est aussi bien heureuse, à cause que l'enfant est sorti assez librement; quand l'enfantement est laborieux, les enfans n'apportent iamais cette membrane sur la teste, car elle est arrestée au passage, ainsi qu'une couleuvre, voulant laisser sa peau, passe par un lieu estroit pour estre

Fig.84. Enfant recouvert de sa coiffe, d'après AIdrovandi (1).

dépouillée; ainsi le semblable se fait à l'enfant laissant sa coëffe au ventre de sa mère ».

Au XVIe siècle, on se disputait, avec ardeur, les coiffes de nouveau- nés. L'Etoile conte qu'il vit deux prêtres, l'un putier, l'autre sorcier, se battre à coups de poings dans l'Eglise du Saint-Esprit pour une de ces coiffes, et que le putier se trouva le plus fort, si bien que la coiffe lui resta.

Laurent Joubert croyait-il à l'influence de la coiffe ? « L'enfant, » écrit-il, « s'étant dépoulhé totalemant et venant tout nud au monde c'est-à-dire, hors la matrice, qui est immunde, orde et sale, située antre le boyau cullier et la vessie dont l'anfant est logé antre l'urine

et la m Tellemant que le propos des bonnes famés du Languedoc

est bien véritable que Entre la m et lou pis, se nourris lou bel fis.

Quelquefois il sort révolu de sa tunique, comme d'une chemise, laquelle raremant luy couvre tout le cors, le plus souvant ne passe les épaules

(1) Dans cette figure, la longueur de la coiffe est exagérée, son étendue est géné- ralement celle de la calotte du crâne.

198 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

et quelque fois couvre seulemant le visage. On prandcela à bon augure et dit-on qu'il sera heureus, parce que il est vêtu. »

C'est un honneur pour l'Eglise de s'être toujours élevée contre cette superstition. Dès les premiers temps, saint Chrysostôme, dans ses Homélies, blâmait cette « sotte croyance »; et le canonisto Balsamont raconte que, de son temps, un clerc, nommé Petus, fut gravement censuré pour avoir acheté d'une sage-femme une coiffe, dans l'espoir qu'elle lui porterait bonheur.

La membrano charnue dont les poulains ont la tête couverte en naissant entrait dans la composition d'un philtre des anciens, Vhippo- vnane. Suétone raconte que, pour se faire aimer de Caligula, sa femme Césonie lui fit boire ce prétendu aphrodisiaque qui, au lieu d'exciter ses sens, contribua à lui faire perdre entièrement l'esprit.

Horoscopes. Les superstitions relatives à la coiffe nous amè- nent à dire un mot des horoscopes (1). Autrefois, la constellation sous laquelle la naissance s'effectuait, indiquait la destinée de l'enfant (2) :

La Balance (du 22 septembre au 21 octobre), par allusion à celle deThémis, annonçait un caractère équitable; c'est pour être sous ce signe que Louis XIII reçut le surnom de Juste ;

Le Scorpion (du 22 octobre au 21 novembre), donnait la malice et la fourberie ;

Le Sagittaire (du 22 novembre au 21 décembre), l'amour de la chasse et des voyages ;

Le Capricorne (du 22 décembre au 21 janvier), un caractère léger, vif et inconstant en amour;

Le Verseau (du 22 janvier au 21 février), la gaieté ;

Les Poissons (clu 22 février au 21 mars), la douceur;

Le Bélier (du 22 mars au 21 avril), un caractère emporté;

Le Taureau (du 22 avril au 21 mai), la hardiesse et la force ;

Les Gémeaux (du 22 mai au 21 juin), la prudence et la géné- rosité ;

UEcrevisse (du 22 juin au 21 juillet), les désagréments ;

Le Lion (du 22 juillet au 21 août), le courage ;

La Vierge (du 22 août au 21 septembre), la pudeur.

(1) On trouvera, dans nos Accouchements à la cour, l'horoscope de plusieurs souverains.

(2). Oger Ferrier, médecin « natif de Toulouse », a composé sur ce sujet un petit in-8", imprimé à Lyon en 1550 et intitulé : « Des Jugements astronomiques sur les nativitez ».

ERREURS ET PREJUGES

199

Pour abréger le travail et calmer les douleurs. La

liste est longue des moyens employés parles commères ou même par des médecins ou des sages-femmes pour calmer les douleurs et faciliter l'accouchement. Les superstitions de ce genre sont et seront de tous les temps parce que ces pratiques populaires agissent, avant tout, sur l'esprit de la parturiente, la tranquillisent et peuvent avoir, dans certains cas, une efficacité réelle. Il est, en effet, démontré que les influences morales ont une action notable sur la durée de l'accou- chement: l'arrivée de l'accoucheur, la présence d'une personne détes- tée suffisent pour retarder ou pour suspendre le travail, Velpeau

Fig. 85. Naissance d'Héraclès, d'après un bas-relief du Musée Pio Clementino.

raconte que Baudelocque, dans son service de la Clinique, réussissait, parfois, à faire disparaître et renaître alternativement les contractions chez une femme en travail, suivant qu'il conduisait les élèves à la salle d'accouchements ou les en éloignait. Quoi d'étonnant que la vue d'une relique, pour celles qui ont la foi, ou l'application d'un remède empirique pour d'autres, procurent un soulagement mar- qué ou tout au moins aide à faire supporter le mal avec plus de cou- rage ?

Dans un chapilre précédent, nous avons déjà signalé les pratiques se rapportant aux différents cultes ; nous examinerons ici celles qui sont étrangères aux croyances purement religieuses, et que l'on peut appeler les superstitions laïques; leur nombre est non moins consi- dérable.

Les sages-femmes, chez les Grecs, étaient quelque peu sorcières ; leurs Enchantements avaient la vertu d'activer ou de ralentir le travail

200 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de l'accouchement. Quand elles n'avaient pas recours à ces procédés, toujours mal vus du public, elles devaient veiller à ce que personne de la maison n'eût les jambes ni les doigts croisés ; une telle posture eut été un obstacle invincible à l'accouchement. Dans Ovide (1), Alcmène prétend que Lucine « gagnée par Junon, fit languir cet accouchement en croisant le genou droit sur le gauche et en entrelaçant ses doigts » (fig. 12,851.

Qu'était-ce au juste que le fameux dictamne ou dictame de Crète auquel l'antiquité tout entière attribuait des propriétés merveilleuses, et dont les Romains tressaient des couronnes à Lucine? (fig. 42) Très probablement Yoriganum dictamnus, plante de la famille des Labiées. Le dictame de Crète, bienfaisant comme vulnéraire, aurait été non moins utile dans les couches difficiles. Les plantes du genre origan passent d'ailleurs pour des emménagogues assez puissants. Aétius donne la même vertu à la racine de grande tithymale, plante mieux connue sous le nom d'euphorbe.

Plus puissante encore était Vaélite, ainsi nommée parce qu'elle se trouvait dans le nid des aigles (2), ou, suivant une autre opinion rapportée par Pline, parce que sa couleur est blanchâtre comme la queue d'un aigle (3). Toutes les pierres d'aigle que nous avons vues étaient de couleur foncée et non blanche, comme l'explique leur com- position. Chimiquement, l'aétite est un tritoxyde de fer qui se pré- sente sous la forme d'une géode ou pierre naturellement creuse dans laquelle battent, quand on l'agite, des débris plus ou moins volumi- neux. L'aétite renfermant ces débris mobiles, tout comme le sein de la mère renferme un autre être, on l'appelle quelquefois, par suite d'une comparaison assez naturelle, pierre enceinte ; c'est sans doute à cause de cette particularité que, depuis les temps les plus reculés, elle a obtenu une si grande vogue chez les femmes en couches. D'a- près Dioscoride, l'aétite attachée à la cuisse de la femme facilite l'ac- couchement ; si on la lui met au bras gauche, elle le retarde et peut alors empêcher une fausse couche.

Pline est au sujet de l'aétite singulièrement confus, et il contredit en partie Dioscoride. « Les pierres d'aigle, » dit le compilateur latin, « doivent leur grande vogue à ce nom imposant et se trouvent en effet

{\)MHam., liv. IX.

(2) Aetos, en grec.

(3) On l'appelait aussi quelquefois lychnite (bjehnos, flambeau).

Les étymologistes expliquent ce nom en disant que la pierre aurait servi aux aigles comme de flambeau de Lucine pour aider à la sortie des aiglons hors de l'œuf ?

ERREURS ET PRÉJUGÉS 201

dans les nids des aigles ; on dit qu'il s'en trouve deux dans chaque nid, le mâle et la femelle ; que jamais l'aigle ne pond sans ces pierres, et que c'est pourquoi elles sont au nombre de deux, comme les œufs des aigles... Toute aétite suspendue en temps de grossesse au cou de la femme dans un morceau de la peau d'un animal sacrifié, empêche l'avortement ; et il ne faut point la retirer avant la crise de l'enfante- ment, sans quoi la matrice tombe. » Suivant d'autres, si l'on négli- geait de la tirer aussitôt après l'accouchement, elle pouvait même ex- pulser la matrice au dehors : Agricola en est garant ! Selon Lemnius, l'aétite attirait le fœtus comme ferait l'aimant à l'égard du fer : c'est pourquoi Mizault à tort de la placer sur la poitrine et non à la cuisse. Dioscoride, Pline, Agricola, Lemnius, Mizault sont bien loin de nous. Et cependant, M. Emile Bertrand, un de nos minéralogistes contem- porains les plus distingués, reçoit presque chaque jour la commande d'une pierre d'aigle pour une pharmacie de Paris ou des départe- ments !

La minéralogie obstétricale comptait encore d'autres produitsjadis réputés précieux. Qui peut le plus peut le moins : Si une pierre d'ai- mant attire le fer, dur métal, comment cette vertu attractive ne s'exer- cerait-elle pas sur ce paquet de chairs molles qu'on appelle un nou- veau-né? Et comme conclusion de cette argumentation puissante, les bonnes gens attachaient une pierre d'aimant à l'aine des iemmes en travail. On pouvait aussi employer l'émeraude, en la fixant à la cuisse. Il est même assez curieux de voir cette pierre précieuse servir à deux usages opposés. On sait que beaucoup de personnes pensent qu'une émeraude en bague, les aide à conserver leur chasteté. Pour ce dernier usage, mieux vaut l'anneau de Hans Carvel !

A défaut de la pierre d'aigle, on a prôné la plume de cet oiseau at- tachée à la cuisse, ou mieux la première plume de son aile droite fixée à la plante du pied correspondant.

D'autres arcanes, tels que la graisse de vipère ou le fiel d'anguille en onctions sur l'ombilic, ont joui longtemps de la réputation d'atté- nuer les douleurs de l'enfantement. « L'eau de lys distillée, dit Jean-Baptiste Fayol, dans ses Harmonies célestes, fait facilement accoucher les femmes et diminue beaucoup leur douleurs, d'où vient que les sages-femmes en oignent les parties inférieures d'une femme en travail pour faciliter son accouchement. »

Le safran a eu aussi son moment de vogue, on le prenait en potion ou on l'appliquait sur la hanche (1).

(1) Une comédie du XVIIIe siècle, Y Embarras de Godard, parle de cette plante,

202 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Démocrite vantait la langue de caméléon ; d'autres, la dépouille d'un serpent ou celle d'un lièvre maintenue autour de l'abdomen, ou une peau d'élan (1) autour de la cuisse. Pline, compilateur exact de

et nous indique en même temps les divers ingrédients que réclamait alors une sage- femme :

M. GODAED Ne perdons point de temps, courons viste, Madame, Et ne négligeons rien, pour secourir ma femme.

LA SAGE-FEMME

Avez-vous les apprests qu'il faut à cette fin ?

M. GODARD

Oui.

LA SAGE-FEMME

Si vous dites vrai, vous avez donc du vin ?

M. GODARD

Oui.

LA SAGE-FEMME

Vous avez du linge ?

M. GODARD Oui.

PAQUETTE

Dépeschez Madame, Nous avons ce qu'il faut, pour une sage-femme.

LA SAGE-FEMME

N'avez-vous pas aussi de bous ciseaux céans ?

M. GODARD

Oui.

PAQUETTE

Ces demandes font désespérer les gens,

LA SAGE-FEMME

N'avez-vous pas de fil ?

M. GODARD

Oui. part) Ma peine est extrême !

PAQUETTE

Si jusques à demain elle poursuit de même. . . LA SAGE-FEMME

Avez-vous du sel 1

M. GODARD Oui. part) Si j'en crois mon courroux, Je lui...

LA SAGE-FEMME Mais du safran, enfin, en avez-vous? (I) En vertu de la médecine des signatures, les Anciens pensaient que ces animaux pouvaient communiquer leur agilité par le contact de leur dépouille ; c'est aussi pour ce motif, qu'au XVIIIe siècle, les princesses elles-mêmes avaient recours à l'eau de tête de cerf, « ce sont, » dit Dionis, « des andouillers de la tête du cerf encore tendres que l'on fait distiller et dont on prend dans le travail ».

ERREURS ET PRÉJUGÉS 203

toutes les sottises antiques, conseille de mettre sur le ventre de la femme une pierre rendue par un calculeux (1) ou encore le sabot pulvérisé d'un âne (2). Moschion veut que la femme gobe un œuf ou qu'on lui ceigne la tête d'une couronne de raves enduites de fiente de pigeon. Aétius préconise un procédé qui semble inventé par les Chi- nois : appliquer sur les reins du sujet des nids d'hirondelle dissous dans de l'huile. Soranus d'Ephèse critique l'usage des concombres couverts de cire et attachés avec de la laine rouge (3). De son temps, on croyait aussi que la main gauche pouvait faciliter les accouche- ments, puisqu'elle avait la vertu d'attirer les serpents. Pour activer le travail, on conseillait encore l'emploi des torpilles comme, de nos jours, les courants électriques.

Le moyen âge estimait le limaçon rouge (4) comme un puissant remède oxytocique. Voici la recette, assez malpropre du reste, que donne Albert le Grand : « Si on prend par égale portion des limaçons rouges et du romarin, et qu'on les hache ensemble bien menu, ensuite qu'on les mette pendant quarante jours sous du fumier de cheval, dans un pot plombé et bien bouché, on en tirera une huile que l'on mettra dans une fiole de verre bien close ; ensuite, on l'exposera au soleil : cette huile guérit, en peu de temps, les tranchées que les femmes souffrent avant ou après leur accouchement. Celles dont le

(1) Sans doute, en raison de l'analogie qui existe entre les coliques néphrétiques et les douleurs de l'enfantement.

(2) L. Coquelet dit que « la fumée de la corne d'asne facilite l'accouchement de l'enfant mort dans le ventre de sa mère ».

(3) La couleur rouge a joué longtemps un rôle important en obstétrique : nous avons signalé à l'accouchement gémellaire de Thamar le cordon écarlate que la sage-femme passe autour du poignet de Zara ; bientôt nous indiquerons l'efficacité des limaçons rouges, du corail rouge, des grenades ; nous verrons aussi intervenir les roses de Jéricho. Jacques Duval conseille de mettre certaines plantes officinales dans un morceau de taffetas rouge que l'on pendait au cou de la patiente « et tost après elle enfantera ». Ailleurs le même auteur prescrit de toucher les aphtes du nouveau-né avec un morceau d'écarlate rouge enduit de miel rosat. On ne trouve guère d'exception que chez les négresses du Loango qui, pendant la grossesse, ne doivent pas porter de vêtements rouges, mais blancs et bleus. Ce sont aussi les deux couleurs auxquelles les croyantes vouent leurs enfants, si les couches se pas- sent sans encombre. Du temps de Dionis on y joignait le gris.

(4) Déjà, chez les Anciens, les mollusques de cet espèce étaient employés dans les accouchements ; Quintus Serenus Sanimonicus dit :

At nbijam certum spondet prœgnatio fcetum, Utfaciii vigeat servata puerpera partu,

Dictamnum bibitur, cochlea vumducantur edules.

Quand la grossesse promet sûrement un fruit

Pour que la mère jouisse, saine et sauve, d'un accouchement facile,

Qu'elle boive du dictame et mange des escargots.

204 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ventre sera ridé, à cause du nombre des enfants qu'elles auront portés, pourront s'en servir ; il n'est rien de plus sûr qu'elles auront la peau du ventre aussi unie et douce que si elles étaient encore filles. »

Au XVIIe siècle, la poudre de laRoyne, était employée « tant pour garantir des douleurs restées après un travail violent, que mesmes pour rendre le futur accouchement tranquille et moins douloureux ». Cette poudre était un composé de racine de grande consoude, de noyaux de pêche, de noix muscades, d'ambre jaune et gris ; tous ingrédients bien anodins.

A la même époque, on faisait dans les accouchements laborieux des fumigations locales avec un appareil spécial, représenté par A. Paré (fig. 86, 87). On employait, à cet effet, différentes plantes, telles que l'armoise, la sabine, le dictamne, la myrrhe, la sarriette, etc. « Ceux qui », dit Jacques Duval, « dénuez des commoditez de la ville, sont contrains se servir de ce qu'ils trouvent aux champs, font fumi- gation avec fiente de chat ou d'agneau, et ongle de cheval, appliquent mesmement un délivre de vache sur le ventre, ou bien en donnent quelque portion qu'ils auront gardée estant batue et meslée avec du vin blanc». Le même médecin indique encore d'autres recettes employées de son temps pour faciliter les couches : « Il sera aussi bien convenable, d'attacher à la cuisse dextre du styrax calami, coriande verte, ou racines de polygonon et de cyclamen. La racine d'hyosciame doit aussi estre liée et attachée à la cuisse gauche. Une pierre d'Emery tenue en la main dextre. Faut aussi donner le poids d'un escu de rasure d'yvoire à boire avec eau de canelle ou théricale.

« Le corail rouge pendu au col profite grandement. La sarriette battue et mise sur le ventre tire et met l'enfant hors du corps, soit mort ou vif.

« Ce que peut faire aussi le laict d'asnesse beu avec quelque peu d'eau salée, ou d'eau rose. Il y en a qui appliquent sur le ventre de l'armoise battue et laict de femme, avec fort bon succez. Jean de Ville-Neufve et Jean de Sainct-Amand approuvent fort qu'on face tenir sur la région de l'aiue, douze ou treize grains de corriande liez dans un linge bien tenu, par un enfant vierge, soit fils ou fille, et qu'on face boire une demie drachme de roche de borras dans de fort vin blanc, ou eau de canelle quantité d'une once. Et Victorinus Faventin approuve fort ce remède. Prenez écorce du raifort et feuilles de mer- curiale, de chacune une once, trois grains de saffran, deux drachmes de canelle bien battue : meslez le tout et le mettez dans un morceau de taffetas rouge que vous pendrez au col de la malade, et tost après

ERREURS ET PREJUGES

205

elle enfantera. A ce convient aussi l'odeur de genest brûlé, ou bien du bitume judaïque, qui est plus convenable. »

A toutes les extravagances des siècles passés, le XVIIIe siècle ajouta nécessairement la trinité des fameuses panacées de l'époque, le saignare, le pur g are et leclisterium donare; la saignée surtout fai- sait merveille. A. Leroy proclame que la lancette est le meilleur de tous les forceps. Mauriceau préconise le séné avec du jus de citron. Lebas

Fig. 8G. Appareil à fumigations, d'après A. Paré.

Fig. 87. Sorte de spéculum placé dans le vagin pourrecevoirles fumigations, d'après A. Paré.

tient pour les vomitifs ; d'autres préfèrent les sternutatoires. De La- mote, plus sage, s'en rapporte à la nature et critique tous ses con- frères qui attribuent la rapidité du travail à l'usage de leur recette. Il raconte la mésaventure d'un accoucheur de son temps qui avait une poudre merveilleuse pour accélérer le travail ; appelé, un jour, à la hâte auprès d'une femme en couches, il s'aperçoit qu'il a oublié sa poudre, il part la chercher et trouve à son retour l'accouchement terminé. De même Viardel s'apprête à pratiquer la saignée tradition-

20G HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

nelle pour hâter le travail, mais il n'a pas encore tiré sa lancette qu'il reçoit l'enfant avant l'arrivée de la sage-femme. C'est la philosophie de toutes les arcanes qui ont la prétention d'accélérer l'accouchement; on leur attribue généralement un mérite qui revient à la nature.

Avant d'en finir avec cette revue, déjà longue, nous avons encore à signaler certaines extravagances des plus étranges.

« Les bonnes famés de village, à l'antour de Mompelhier, » dit Lau- rent Joubert, « ont éprouvé que si celle qu'est travailhée d'anfant, s'assied sur le cul d'un chauderon, qu'on ha levé presantemant du feu, elle anfante plus aysément. Nous savons que tel chauderon, auquel naguère l'eau boulhoit, ha le cul tiède, qu'on dit froid en com- paraison du reste, qui est chaud brûlant. Or, cette tiédeur remollit le cropion, et le rand plus facile à céder, comme font les fomantacions remollissantes que nous usons à cet effet...

« Il y a moins de raison à ce que les mesmes villageoises font, de mettre sur le vantre de la famé, le bonnet ou chapeau de son mary, sinon par avanture que y étant mis, on serre le vantre par dessus le bonnet, qui an ce cas sert de compresse pour ayder à l'expulsion. Mais ie panse qu'on le fait an ieu, au moins qu'il a été ainsi intro- duit et que depuis on le prand à bon ôciant. Et le ieu peut être prins de cette sorte : Que les marys volontiers s'excusent et défandent de n'assister à tels affaires. Quelquefois on les y veut contraindre; pour s'y aider et si on n'an peut avoir autre chose, on leur retient le bon- net, qu'on met sur le vantre de sa famé : comme an disant, de l'homme est parvenu cette anfleure de vantre, comme s'il avoit la pointe venimeuse; luy, ou son bonnet, appliqué dessus sert de contre venin et fait passer l'anfleure. Mais ie trouve bien plus raison- nable que ce soit luy mesme, qui de son vantre couvre le vantre de sa famé, nom pas que sa tiède chaleur vigorant celle de la famé y fit tant que la copulacion accoutumée. Car la famé an se remuant tant soit peu, ébranle doucement et plaisammant le cropion, et la semance du marry rand le passage glissant, beaucoup mieus que ne font les eaus. C'est l'urine de l'enfant, laquelle à ces fins doit sortir la pre- mière, le say personnes qui an usent ainsi, dont leurs famés se trou- vent fort bien et ont aysée délivrance. »

Ne quittons pas la France : Thiers va nous fournir encore nombre de superstitions bizarres. Ici, les commères déclarent que plus long- temps une femme grosse laisse sur le trépied son cuvier à lessive, plus ses couches dureront de temps; là, qu'il est utile de prononcer certaines paroles sur le toit de la maison gémit une femme en mal d'enfant ; ailleurs, qu'il suffit de murmurer à son oreille sucamydur.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 207

D'autres, enfin, font porter à l'épouse la culotte, les bas ou les chaus- sures du mari. Que reste-t-il de toutes ces croyances? L'erreur étant tenace de sa nature, nous ne serions pas étonné qu'on en trouvât trace encore dans nos campagnes, aussi bien peut-être que d'une gra- cieuse superstition méridionale rapportée par le même Thiers. La voici : au pays de Provence, les femmes enceintes mettent dans l'eau des roses de Jéricho; si les fleurs s'ouvrent, c'est l'annonce d'une heureuse et facile délivrance; quand, au contraire, elles restent fer- mées, la couche sera pénible. Dans d'autres pays, on se contente d'attacher les mêmes roses de Jéricho aux pieds du lit pour accélérer l'accouchement.

Achevons par une courte promenade à l'étranger. En Sicile, les femmes en travail boivent abondamment de l'eau glacée, ou tiennent dans leurs mains de la neige, ou se l'appliquent sur le ventre. Suivant la doctrine musulmane, il faut, dans un accouchement difficile, écrire sur un parchemin des versets du Koran et répandre sur cette écriture de l'eau que l'on fait avaler à la femme. Les Finnois ouvrent le cou d'un poulet vivant et le tiennent suspendu, jusqu'à son agonie, de- vant les organes externes de la femme ; pour eux, les mouvements convulsifs de l'animal invitent la matrice à suivre son exemple. Au Japon, nous verrons un parent ou un ami de la patiente en détresse aller au temple voisin avaler des bouts de papier, appelés sitzu-bum. Les Chinois sont plus malpropres : dans les cas difficiles, ils font prendre à la femme en couches des cheveux d'homme grillés et de l'urine d'enfant. Non moins repoussante est la recette employée dans le centre de la Russie : quand les moyens ordinaires, comme de faire souffler la femme dans une bouteille vide, ont échoué, on admi- nistre alors à la malheureuse des cendres et des poux, agent théra- peutique qu'on a toujours sous la main. Au Kamtschatka, nous nous arrêterons, les indigènes offrent à leurs femmes, pour les rendre fécondes et faciliter leurs couches, l'insecte industrieux et répugnant que nous nommons araignée. Rappelons cependant que l'astronome Lalande croquait volontiers de ces horribles bêtes et leur trouvait un goût de noisette.

L. APRES LE TRAVAIL

Sur la délivrance. procédés pour hâter l'expulsion du délivre. Hippocrate donne de nombreuses recettes, plus ridi- cules les unes que les autres, pour hâter l'expulsion du délivre ; en voici

208 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

deux échantillons : Introduire dans le vagin un linge contenant du concombre sauvage délayé avec du lait de femme; boire du vin dans lequel on aura écrasé trois oursins de mer ou de la peau de serpent. Des médecins modernes ont surpassé en niaiserie le père de la méde- cine : le docteur Lemery, dans sa Pharmacopée, conseille sérieuse- ment d'avaler des punaises vivantes pour faciliter l'expulsion du pla- centa.

Au sujet de la délivrance, on peut rappeler ici le propos des bonnes femmes qui défend de jeter le placenta au feu, dans la crainte d'ex- poser la mère à de l'inflammation.

attache du cordon ombilical. Beaucoup de commères, ana- tomistes médiocres, croient que le cordon tient au cœur de lamère; si, par accident, celle-ci succombe à une hémorrhagie pendant la dé- livrance, les bonnes langues ne manquent pas de reprocher à l'accou- cheur d'avoir rompu le cœur de la parturiente, en tirant trop fortement sur le cordon.

tours du cordon. Encore une superstition signalée par Thiers: « Il ne faut pas qu'une femme grosse voie habiller un prêtre à l'autel, et particulièrement lorsqu'il met la ceinture de son aube, de crainte que son enfant ne naisse le boyau au cou, comme l'on parle d'or- dinaire. »

A Taïti, on regarde, au contraire, comme un heureux présage quand un enfant vient au monde avec deux circulaires autour du cou ; celte particularité promet un vaillant guerrier.

Dans les campagnes, on croit encore que l'enfant « aura le cordon » si la mère, pendant sa grossesse, a mis un écheveau de fil autour de son cou.

nœuds du cordon. Connaissez-vous Yomphalomancie? C'est un petit commerce divinatoire, encore pratiqué de nos jours, paraît-il. Certaines matrones, femmes ingénieuses, sinon respectables, pré- tendent deviner par le nombre de nœuds (fig. 88) que présente le cordon ombilical du nouveau-né, le nombre d'enfants que l'accouchée aura dans la suite : autant de nœuds au cordon, autant d'enfants; pas de nœud, plus d'enfant; si la distance entre les nœuds est grande, grand sera l'intervalle entre chaque accouchement; chaque nœud noirâtre ou rougeâtre annonce un garçon, les nœuds blancs présagent des filles.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 209

Laurent Joubert, qui critique cette erreur, en commet une autre en voulant expliquer, à sa façon, la production des nœuds : « Toute la signification qu'ils peuvent avoir, est de ceste coniecture, à mon avis,

que la multitude des nœuds ou tortil- hemans qui sont près l'un de l'autre et de couleur rouge ou noirâtre, peuvent témoigner la matrice de la famé estre robuste et bien complexionée, de bonne chaleur et non baveuse. Car ce qui est ainsi noué, est aussi plus fort, comme nous disons des incisions du muscle droit de l'abdomen ; et la couleur rouge est signe de vivacité. Dont on pourroit fig. es. - Nœuds du cordon ombilical dire à voyr plusieurs nœuds an la veine (Leyman). umbilicale, que la matrice qui les ha

formés est galharde, et an pourra faire beaucoup d'autres; nom pas qu'on puisse deviner le nombre. Et par mesme raison elle hâtera de près et ne sera guières an seiour, veu sa fécondité, et fera plus de mâles que de femelles. Car telle est la condi- tion d'une matrice bien tampérée... ».

section du cordon. Quand un jeune enfant est atteint d'une hernie ombilicale, la mère est le plus souvent disposée à en rejeter la cause sur le compte de la sage-femme ou de l'accoucheur ; elle les ac- cuse d'avoir lié le cordon trop loin de l'abdomen. Inutile d'insister sur la fausseté de cette accusation.

Autrefois, on coupait le cordon à une distance plus longue pour le garçon que pour la fille « parce que », disait-on, « le court nombril rend le ventre plus gresle et menu, ce qui est plus requis en l'un qu'en l'autre ». Laurent Joubert donne une autre raison de cette pratique :

« Les bonnes famés, sogneuses de la conservacion du genre hu- main, remontrent volontiers et requièrent charitablemant aus sages famés, quand c'est un fils, que luy fassent bonne mesure. Car elles pansent que le mambre viril prandra son patron et qu'il deviendra plus grand, si ce qui pana ancores du nombril est demeuré bien long. Quant aux filhes, il ne s'an parle point, car si la vedilhe (le cordon) gouverne ou transmue le conduit qui va à la matrice (lequel répond à la verge de l'homme, comme la gaine au couteau) les famés vou- draient bien qu'il demeurât court et droit, car il ne s'agrandit que trop » .

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 14

210 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

A Taïti, ou attend que la délivrance soit terminée pour couper le cordon, et on opère sa section au voisinage du placenta, dans la per- suasion que plus le cordon a de longueur et plus la vie de l'enfant sera longue.

propriétés du cordon. «: An quelques pais», dit encore L. Jou- bert, « les bonnes famés gardent sogneusement celle de leurs filhes pour leur faire des amoureus quand il les faudra marier. C'est qu'elles ont opinion que si on donne a manger ou a boire de cette vedilhe mise en poudre, a l'homme qui leur est aggréable, il devient extrê- mement amoureus de la filhe, et ne faut plus sinon faire les pactes de mariage. Je tiens cela pour une erreur et abus trop cuidant, comme la plus part de ce qu'on dit des autres breuvages amoureus,

an Grec dits philtres, que l'on attribue aux sorcières et vielhes p ,

pour coiffer les hommes de leur amour. Mais je pense qu'il y a quel- que secrette allégorie an telle opinion et c'est, paravanture, que si les hommes viennent à si grande familiarité des filhes trop faciles et ployables, qu'ils puissent faire toucher et joindre leurs nombrils, qu'elles les attirent par là, et font la conjonccion de l'Androgyne de Platon par telle réunion. An quoy plusieurs sont attrapés, quelque- fois à leur dam. Et voilà commant le nombril des filhes, non pas le mort, ains le vivant, duquel on donne goût aus hommes, en les af- friandant les rand échauffés et abêtis, si la raison ne les domine et régit. Dont souvant ils antandent et condessandent à des partis in- dignes de leur condicion. »

En dehors de cette propriété aphrodisiaque du cordon, dans cer- tains pays, en Océanie par exemple, le cordon desséché est gardé précieusement, et, en cas de guerre, on le jette à la mer pour favoriser le sort des armes. De môme les Kalmoucks considèrent le cordon desséché comme un porte-bonheur. Les Fidjiens l'enterrent en céré- monie (1) et dans le pays d'Uganda, d'après Speke (2), on le décore de perles, puis on le conserve toute la vie de l'individu, et, à sa mort, on l'ensevelit avec lui.

divers usages du délivre. Des tranchées suivent fréquemment les couches, surtout chez les multipares; on pensait autrefois les calmer en appliquant sur le ventre de la femme, en guise de cata- plasme, le placenta et ses annexes (fig. 89). Lemery, dans sa Pharmaco-

(1) Giraud-Teulon. Les origines de la famille.

(2) Voyage aux sourees du NU.

ERREURS ET PREJUGES

211

pée, attribue les mêmes propriétés à un délivre séché et mis en poudre, dont on prendra quelques pincées dans de l'eau ; il dit qu'on doit

Fig. 89. Placenta et ses annexes.

choisir l'arrière- faix beau et entier et, de préférence, celui d'un garçon.

Pour faciliter la conception, Hippocrate conseille d'introduire dans le

vagin un mélange composé des mem- branes du délivre, de têtes de vers et d'alun d'Egypte, le tout préalable- ment broyé dans un mortier avec de la graisse d'oie.

Dans certains pays, en vertu d'un autre préjugé tout aussi absurde, on attribue aux placentas encore chauds et saignants des accouchées la sin- gulière propriété de guérir les nœvi materni, autrement dit les envies. Suivant une observation rapportée par le D1' Brière, cette pratique a failli causer la perte de la vue chez une fille de cinq mois, qui présentait

sous le sourcil gauche un nœvus de la grosseur d'une lentille.

D'après les conseils d'une sage-femme, la mère de cette enfant

Fig. 90. Insufflation directe.

212

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

appliqua, sur la paupière atteinte, un fragment de délivre; ce frag- ment provenait d'une femme de mauvaises mœurs; il se produisit bientôt une ophthalmie purulente, qui ne disparut qu'au bout d'un mois, après avoir causé les plus vives inquiétudes.

Fig. 91. Position d'inspiration.

Pour ranimer un enfant en état d'asphyxie, on a conseillé de l'exposer à la fumée du placenta et du cordon ombilical qu'on brûle à côté de lui. Nous croirions plutôt. à l'effet contraire. En Sicile, les sages-femmes mettent le bec d'une poule vivante dans le rectum de l'enfant. Dans d'autres endroits, on préconise la succion du mamelon gauche, sans doute à cause du voisinage du cœur. Du temps de Dionis, les sages-femmes plongeaient le délivre, non détaché de l'enfant, dans un poêlon de vin chaud. On sait que le meilleur moyen de ranimer

ERREURS ET PREJUGES

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l'enfant est de pratiquer la respiration artificielle en comprimant mé- thodiquement les côtes, ou mieux de les plonger rapidement dans un

Fig. 92. Position d'expiration.

bain d'eau très chaude. Les tubes laryngiens, l'insufflation de bouche à bouche (fig. 90) et le procédé du Dr Schultze (fig. 91, 92) ne nous inspirent qu'une médiocre confiance.

Soins donnés à la mère. sommeil. Assez souvent on défend le sommeil à la femme nouvellementdélivrée.Alacourde France,

214 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

la lectrice,celle même dontla voix, sans aucun doute, availfréquemment endormi la reine, était chargée de veiller à ce qu'après ses couches la souveraine ne se laissât pas aller au sommeil. Sotte coutume, comme le fait justement remarquer le Dr Payelle : « Il n'est pas plus ra- tionnel d'interdire à une pauvre accouchée, dont le travail de l'enfan- tement a épuisé les forces, de prendre un instant de repos, que d'em- pêcher un travailleur de se remettre de ses fatigues, dans la crainte qu'il ne tombe en léthargie ». On laissera donc dormir la femme aus- sitôt après la délivrance, si elle en éprouve le besoin; il suffira de la surveiller attentivement, au cas une hémorrhagie surviendrait.

position horizontale. Les bonnes gens croient volontiers que toute accouchée doit rester étendue sur le dos, les femmes du peuple pendant neuf jours, celles de la classe riche pendant trois semaines. Or, c'est un supplice gratuitement infligé à la femme; non seulement la position est des plus fatigantes, mais elle est loin de favoriser l'écoulement des lochies. Il y a avantage, au contraire, à laisser l'accouchée sur l'un ou l'autre côté, et même sur son séant.

Les commères sont inépuisables en prescriptions baroques. Elles recommanderont encore de ne jamais mettre de draps neufs au lit d'une femme en couches : ce serait l'exposer à une perte. A une perte de linge, tout au plus : une précaution d'économie domestique s'est transformée en règle d'hygiène.

aliments et régime.— C'est à tort que l'on condamne la femme en couches aux boissons chaudes. Tout breuvage peut être pris, sans inconvénient, à la température de la chambre.

Dans certains pays, on gorge de nourriture la nouvelle accouchée, pour combler le vide qui vient de se produire dans son ventre. « En Italie, » écrit P. Salius, « on donne aux femmes, aussitôt délivrées, de bons chapons, après leur en avoir fait boire le bouillon ».

« Si on ha mal commencé, » dit L. Joubert, « on fait pis en conti- nuant, ie ne dis pas de nourrir, mais de saouler et farcir à crever les accouchées, comme si on vouloit faire un boudin de leur vantre. Les bonnes famés allèguent pour leurs raisons que la matrice est vuide et qu'il faut la ramplir. C'est une proposicion de Physique et bien natu- relle, que la nature ha an horreur le vuide et ne le peut souffrir. Mais la matrice qui se vuide par plusieurs iours après l'enfantemant, lors qu'il n'y a plus rien de superflu, elle se reserre et étroissit : tellemant qu'elle n'ha iamais capacité vuide et indigeante de replecion. Etquand elle an auroit besoin, ce n'est pas la viande qu'elle requiert, ni du

ERREURS ET PREJUGES

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sang fait de la viande, ains du sperme tant seulemant, qui est sa frian- dise et la chose désirée. Mais ie m'assure que les honnestes famés ne la luy accorderont pas avant que leur gessine soit bien célébrée. »

De même Roderic de Castre s'élève contre les sages-femmes de son temps : « Ce n'a été qu'avec beaucoup de chagrin de me voir obligea tolérer ces sortes de femmes, qui gouvernent les nouvelles accouchées

Fig. 93. Banquet dans la chambre de l'accouchée, d'après 1' 'Hygiène et médecine des deux sexes.

et se mettent dans la tête qu'on ne peut rien faire de bon, à moins qu'on ne les remplisse de viande et de vin ».

Il est trop évident qu'après neuf mois de gêne ou de fatigues, après une crise redoutable, la femme a besoin de tranquillité.

21G HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

« On doit éloigner sans distinction », dit Capuron, « tous ceux dont la présence pourrait troubler le calme et le repos dont elle a besoin, tant au moral qu'au physique... A Sparte, la femme était affranchie de tout compliment fade et ennuyeux; à Rome, on suspendait une couronne au-dessus de la porte de la maison qu'elle habitait (1), comme pour avertir les passants et les voisins de respecter un asile ; enfin, dans des temps plus modernes encore, le magistrat de Harlem n'ac- cordait-il pas une espèce de sauvegarde à la demeure de la femme en couches, et l'approche n'en était-elle pas défendue à l'appariteur et à tout suppôt de justice ? »

Dès lors nous blâmerons l'imprudence de certains campagnards qui, ayant baptisé l'enfant peu de jours après sa naissance, festoient dans la chambre de l'accouchée (fig. 93) et y dansent à grand bruit. Tout ce vacarme de langues, de pots et de pieds est excellent pour donner la fièvre à la nouvelle mère.

L'Eglise s'élevait autrefois avec raison contre cette coutume ; les statuts synodaux du diocèse de Saint-Malo, en 1620, prohibaient « les vaines comessations et festins que l'insolence mondaine a introduit sous ombres de baptêmes. Et d'autant que les prêLres doivent avoir horreur de voir ainsi luxurier et abuser des biens de Dieu, leurs dé- fendons principalement d'assister à telles dissolutions et yvrogneries, sur peine de suspense arbitraire ».

aération. Dans les chambres d'accouchées, il est utile de re- nouveler l'air plusieurs fois par jour ; trop souvent on craint d'obser- ver cette mesure hygiénique, oubliant que la femme vient d'accomplir une fonction normale et ne doit pas être traitée en malade; il sera temps d'aviser, si l'on prévoit quelque complication ; mais ce n'est pas le cas ordinaire. En Turquie, d'après le Dr Zambaco (2), les croisées sont toutes grandes ouvertes pendant l'accouchement; mais aussitôt après, elle sont fermées et condamnées ainsi que les portes, durant au moins huit jours, quelle que soit la saison. Le linge imprégné de tous les liquides de l'accouchement et des lochies, reste aussi le même nombre de jours auprès de la femme, de sorte que celle-ci séjourne

(1) Juvénal fait allusion à cet usage lorsqu'il dit, dans sa neuvième satire :

. . . Foribus suspende coronas : Jam 2>ater es !

A ta porte suspends des couronnes: Tu es père !

(2) Contribution à l'étude de la femme en Orient.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 217

dans une atmosphère infecte. Il paraît que, sans ces précautions, les Djinns viendraient jouer de mauvais tours à la nouvelle accouchée.

Un préjugé fatal, respecté de nos jours, Dit que durant la couche on doit suer toujours. Cette erreur capitale, aux femmes si funestes, A causé plus de maux que la guerre et la peste. Ne confondez jamais la transpiration, De nos humeurs utile évaporation, Qui, nécessaire au corps, mais naturelle et libre, Y rétablit sans cesse, y maintient l'équilibre, Avec cette liqueur qui, des pores du corps, Ruisselle, et sans succès affaiblit ses ressorts. Je dis plus, la sueur, chère aux yeux du vulgaire, Des fièvres de la couche est la cause ordinaire.

Sacombe écrit en patois, mais son patois a raison.

constriction du ventre. Les femmes qui viennent d'accou- cher demandent qu'on leur sangle le ventre avec une serviette pour conserver la finesse de leur taille. Cette constriction a, en effet, son utilité, mais surtout pour suppléer au défaut d'élasticité de la peau et à l'affaiblissement des muscles abdominaux. Quoi qu'il en soit, ce bandage ne doit être serré que modérément. « Il ne faut pas, » dit Marceau, « suivre la mauvaise coutume qu'ont la plupart des gardes qui, croyant mieux et plus promptement raccommoder la taille du ventre de leur accouchée, le serrent si fort pour en diminuer la gros- seur que la matrice, au lieu de se rétablir dans sa situation naturelle, est poussée en bas par la trop grande compression de ce bandage, ce qui est souvent cause que la femme en reste longtemps fort incom- modée d'une grande pesanteur de matrice, et que son ventre, au lieu de diminuer, en est rendu encore plus gros, à cause de la fluxion que ce douloureux sentiment de pesanteur entretient en cette partie et dans toutes celles qui lui sont voisines. » Quelques médecins, sur le conseil de Stolz, remplacent la serviette par un ou deux draps plies que la nou- velle accouchée doit semaintenir sur le ventre. Cette pratique est mau- vaise en ce qu'elle oblige la femme à conserver la position horizontale.

Autrefois, pour éviter les rides du ventre, ce que Pajot appelle si pittoresquement « le ventre en persienne » des accouchées, on prati- quait des onctions sur l'abdomen avec de la graisse de baleine, comme ce passage de Brantôme le prouve :

« D'autres y a-t-il qui ont le ventre si mal poly et ridé, qu'on les prendroit pour de vieilles gibessieres ridées de sergents ou d'hoste-

218 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

liers; ce qui advient aux femmes qui ont eu des enfants, et qui ne sont esté bien secourues et graissées de graisse de baleine de leurs sages-femmes. » Pline raconte que, de son temps, les nouvelles accou- chées cherchaient à faire disparaître les rides et les taches de leur ventre avec des fomentations d'urine. Il suffit de signaler ces recettes pour en faire justice.

contre les tranchées. Plus une femme a d'enfants, plus les tranchées ou douleurs qui suivent les couches sont intenses. « Les bonnes gens », écrit L. Joubert, « disent que Dieu le veut ainsi, a seule fin que la famé ne soit dégoûtée dez le commancemant à re- chercher de faire des enfants. Mais on voit bien, que après les plus fâcheuses gessines, elles an sont autant ou plus friandes. Quand elles auroient bien été près de mourir, tous les maus s'oblient et les bonnes dames sont de très bon apointemant. La lune n'ha pas achevé son cours, qu'elles sont prestes au retour. Vous diriés qu'elles n'ont iamais été offancées tant sont ployables et charitables, faciles à tout bon accord. Quoy que de ce combat anfin leur aviene grand effusion de sang, elles sont si traittables, qu'aussi tost que la playe ne saigne plus, il n'est plus souvenance des premières amours. »

Pour guérir ces tranchées, on avait jadis un grand choix de remèdes. Nous avons déjà signalé la Poudre de la Royne, bonne pour garantir des douleurs qui suivent un travail violent. Le placenta et ses annexes n'étaient pas seulement utiles pour faire disparaître un ncevus ; on pouvait en user comme d'un cataplasme naturel contre les tranchées utérines. Sue raconte avoir lu dans YAnatomie de la matrice, par Michel Yalentinius, professeur de médecine à Giessen, qu'un mari, homme d'un dévouement et d'un estomac robustes, consentit, pour soulager sa femme de violentes tranchées, à avaler quelques cuillerées de l'écoulement séro-sanguinolent qui s'échappe du vagin et que l'on appelle lochies. Ce préjugé se rattache sans doute à la croyance l'on était autrefois que le mari ressentait, pendant la grossesse de sa femme, les mêmes indispositions que celle-ci. Delà sans doute l'ori- gine de la couvade, dont nous parlerons plus loin.

Autrefois en Languedoc et en d'autres pays, pour préserver la femme de toute douleur, on lui donnait, aussitôt après la délivrance, trois cuillerées d'huile d'amandes douces (1), avec un peu de sucre candi;

(1) Certaines personnes croient s'assurer un accouchement facile en prenant tous les matins, pendant leur grossesse, une cuillerée d'huile d'amandes douces ; elles ignorent les premières notions de l'anatomie et ne se doutent pas que si leur huile aide à une expulsion quelconque, ce n'est certainement pas à celle de leur enfant.

ERREURS ET PREJUGES

219

ailleurs, pendant quatre ou cinq heures, on laissait sur le ventre de

la femme la peau d'un mouton noir écorché tout vif en sa présence,

220 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ou, plus modestement, d'un lièvre dépouillé dans les mêmes condi- tions.

Nous n'inventons rien, le procédé se trouve détaillé tout au long dans le Traité des Hermaphrodits de Jacques Duval : « Quelques-unes appliquent l'arrière fais sur le ventre, soudain qu'il a esté tiré. Mais il est meilleur et de trop plus certain, d'avoir un mouton noir, qui sera escorché tout vif, en la chambre de la malade, pour de la peau toute chaude, parsemée de poudre de roses et de myrtiles, lui enve- lopper les reins et le bas ventre. Et sous les extrémitez de ladite peau, sera étendue la peau d'un lièvre, qui par semblable sera tirée dudit animal vivant, lequel sera à l'instant égorgé, et le sang reçeu dans sa peau, pour d'icelle toute chaude et sanglante couvrir tout le ventre inférieur. A raison que ce sang tout chaud, qui est réputé grossier et mélancolique, a une grande vertu de conforter la matrice et parties adjacentes, qui mesmes oste les rides du ventre. Et par dessus seront étendues les extrémités de la peau de mouton ». A ce sujet, Dionis raconte un incident curieux qui eut lieu aux couches de la Dauphine, Anne-Maiie-Victoire de Bavière. Au premier accouchement de la princesse, en 1682, son médecin, Clément, voulut lui recouvrir le ventre d'une peau de mouton noir fraîchement écorché. Il fallait que l'opération du boucher se fît dans une chambre voisine de celle de l'accouchée ; or, il arriva que le mouton tout sanglant suivit son bour- reau jusqu'auprès du lit de la Dauphine (fig. 94). L'effroi que produi- sit ce spectacle fit qu'on renonça à cette pratique, aux autres couches de la Dauphine.

Jacques Duval recommande encore, contre les tranchées, de la fiente de vache ou des œufs fricassés avec de l'huile de noix et appli- qués sur le bas-ventre ; les œufs, ainsi préparés, pouvaient être pris à l'intérieur, au choix de la malade. Du temps de Mauriceau, on pla- çait sur le nombril d'une femme qui venait d'accoucher, un emplâtre de galbanum et de civette, dont l'odeur « réjouissant la matrice se relevait d'elle-même pour en approcher ». C'était aussi pour agir sur le sens olfactif de la matrice que, dans les accouchements laborieux, on brûlait près de la vulve des parfums divers, tandis qu'on appro- chait des narines de l'asa-fœtida ou des « vieilles savates bruslées. »

sur les lochies. La croyance à la qualité vénéneuse des lochies remonte à la plus haute antiquité; de même on pensait que la durée de l'écoulement lochial était plus long quand il s'agissait de la nais- sance d'une fille. Ces erreurs sont consacrées dans les livres de l'Ancien Testament, il est dit « qu'une femme qui accouche d'un

ERREURS ET PRÉJUGÉS 221

garçon est impure pendant quarante jours, et pendant quatre-vingts si c'est d'une fille (1) ». Hippocrate partage la même opinion et avance que la durée du flux lochial est de quarante-deux jours après la nais- sance d'une fille et de trente jours après celle d'un garçon. Ces idées erronées ont été longtemps adoptées dans la science ; Lazare Pe, médecin du XVIe siècle, va encore plus loin ; il veut que la nouvelle accouchée ne donne le sein « qu'après être bien nette et purgée de ses vidanges source du mauvais lait; à savoir : trente jours après la couche d'un mâle, et quarante-deux après celle d'une fille; et pen- dant ce temps, l'accouchée aura une autre femme qui donnera à leter à l'enfant. »

On a cru longtemps que la matrice était reliée aux mamelles par des vaisseaux communs, chargés d'y faire affluer le lait pendant l'allaitement; d'où l'expression méthaphorique « la montée du lait » ; de aussi l'opinion, encore répandue de nos jours, que le lait qui disparaît chez une nouvelle accouchée passe par les lochies « presque toutes blanches et semblables à du lait trouble», dit Dionis.

allaitement. D'après Boèce, c'était un déshonneur pour une mère, chez les anciens Romains, de ne pas allaiter son enfant; on allait jusqu'à la soupçonner d'infidélité, quand, faute de lait, elle ne pouvait nourrir.

Un préjugé assez commun, encore aujourd'hui, s'oppose à ce que la femme donne le sein le jour même de ses couches ; il faut, dit-on gravement, que le lait soit monté. Hippocrate voulait que la nouvelle accouchée ne donnât le sein que le vingt- cinquième ou le trentième jour, jusqu'à ce que le lait soit débarrassé de son principe purgatif, le colostrum. Au dix-septième siècle, on donnait le sein à l'enfant quatre à cinq heures après sa naissance, mais c'était une nourrice qui était chargée de ce soin, pendant six jours ; durant ce temps, la mère dégorgeait ses mamelles avec une pipette en verre, appelée tutoir; après quoi elle était autorisée à allaiter son enfant. Le mieux est de donner le sein de la mère quelques heures après l'accouchement pour que le colostrum aide l'enfant à se débarrasser de son méconium.

Un autre préjugé, fort accrédité de nos jours, veut que le change- ment de nourrice ou encore le mélange de plusieurs laits soient préju- diciables à l'enfant ; mais il n'en, est rien. On peut changer impu- nément de nourrice, le principal est de le faire à temps. Les Anciens avaient déjà rejeté cette erreur. Ainsi, Platon voulait, dans sa répu-

(1) Lèvitique, chap. XII, v. 2, 4 et 5.

222 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

blique idéale, que les nourrices fussent en commun ; et les Romaines, d'après Aulu-Gelle, avaient plusieurs nourrices à la fois pour le môme enfant. Henri IV, on le sait, fut difficile à élever; il essaya huit nour- rices différentes ; ce qui n'altéra en rien sa santé.

A propos de l'allaitement, nous avons entendu répéter cette hérésie: le lait chasse le lait; donc point de lait à qui nourrit, du lait en abondance à celle qui veut sevrer.

« Pour nourrisse, écrit Jacques Duval, doit plutost être choisie celle qui a enfanté un fils qu'une fille : d'autant que par la concep- tion qu'elle a faite d'un enfant masle, on peut conjecturer, que son tempérament est meilleur, et participant d'avantage de chaleur tem- pérée; comme aussi celles qui sont enceintes d'un fils sont mieux colorées que celles qui portent des filles. » Le médecin de Rouen oublie que la nourrice peut avoir un garçon à son premier accouchement et une fille à son second et inversement, sans cependant changer de tem- pérament. Mais c'était une opinion répandue de son temps. « Bonne nourrice ayt fait son dernier masle, ce qui a été déclaré par Jacques de Pars, parce qu'une telle nourrice a le laict plus pur et mieux digéré que celle qui fait femelle. » Ainsi s'exprime Simon de Vallambert, médecin de Mme Marguerite de France, dans ses Cinq livres de la manière de nourrir et gouverner les enfants dès leur naissance (1565). On a aussi prétendu longtemps que les garçons devaient être'allaités par des nourrices mères de garçons et les filles par des nourrices mères de filles.

Jacques Duval veut encore que la nourrice donne le sein « à toutes heures qu'elle l'oit crier. Car à raison que l'enfant estant dans la matrice de sa mère, en tiroit l'aliment qui luy estoit convenable, à chacun moment de temps, comme une jeune plante succesans inter- mission ce qui luy est convenable d'un jardin, aussi ne faut qu'il y ait d'heures ny temps limité pour un enfant, et n'est convenable qu'on luy dénie le tetin, sous prétexte de luy donner une accoustumance, comme font les paresseuses, ou qui, avec la nourriture de l'enfant entreprennent d'autre besongne, elles se veulent emploier, pleure l'enfant ou non : mais faut que la fréquence de bailler le tetin, récom- pense l'assiduité que l'enfant avoit au ventre maternel. » Ce sont autant de mauvaises raisons. Le héron de la Fable, qui vivait de régime et mangeait à ses heures, connaissait mieux les lois de l'hygiène que ce médecin rouennais. L'enfant doit prendre le sein toutes les trois heures dans les premiers jours, et toutes les deux heures plus tard.

antilaiteux. C'est sans aucune raison qu'on attribue à cer-

ERREURS ET PRÉJUGÉS 223

taines substances et à certaines drogues la propriété de diminuer ou d'arrêter la sécrétion du lait. Van Ilolsbeck conseillait de suspendre au devant de la poitrine de l'accouchée qui allaite un tube de mer- cure, les bonnes femmes mettent autour du cou de la chatte dont elles veulent faire passer le lait un collier de bouchons : c'est tout aussi efficace. Ni l'infusion de pervenche, ni la décoction de bouchons ou de canne de Provence, ni les applications de persil sur les seins, ni aucun des médicaments préconisés, ne sont des antilaiteux. Le seul moyen sûr pour tarir le lait, c'est la cessation des succions. Il faudra aussi restreindre les aliments et les boissons aux femmes qui ne doivent pas nourrir.

Mauriceau connaissait des femmes qui prétendaient faire évader le lait par un moyen original et facile : il suffisait que le sujet portât la chemise du mari aussitôt que ce dernier l'avait ôtée, et la gardât jusqu'à disparition complète du lait. Le cœur d'un crapaud, applique- sur les mamelles d'une nouvelle accouchée, passait au contraire pour activer la sécrétion du lait.

lait répandu. On attribue au « lait répandu », c'est-à-dire à de prétendues migrations de lait dans l'organisme, certaines maladies qui affectent particulièrement la peau, et surviennent pendant et même longtemps après l'allaitement.

C'est, sans plus de raison, que l'on accuse le vieux lait de prédis- poser les enfants aux éruptions, désignées communément sous les nom de gourmes ou de croûtes de lait. On dit aussi qu'un nouveau-né « rajeunit » un lait déjà ancien, parce qu'il tête avec plus d'avidité que le précédent nourrisson, auquel on donnait à manger dans les derniers mois de l'allaitement.

influences psychiques sur la lactation. Chez les personnes impressionnables, une sensation désagréable suffit pour suspendre momentanément la lactation. Siebold a connu une femme chez laquelle l'odeur du camphre produisait cet effet. Il ne faut pas croire, cependant, comme on le fait communément, que la moindre contrariété trouble le lait. C'est cette crainte exagérée que les nour- rices savent si bien exploiter. Un autre préjugé, non moins répandu, veut que le caractère de la nourrice, ses penchants et ses goûts se transmettent par le lait au nourrisson. Les Anciens attribuaient la férocité de Caius Caligula(l), la cruauté de Néron, l'ivrognerie de

(1) On raconte que, pour l'engager à prendre le sein, sa nourrice étendait du sang sur son mamelon.

224 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Claude Tibère et la tendance au vol de Rémus et de Romulus au lait de leur nourrice. Rien n'est moins exact. La chèvre communique- t-elle son humeur capricieuse et turbulente aux personnes qui font usage de son lait?

fièvre de lait. Déjà Levret mettait en doute l'existence de la fièvre de lait « puisque », dit-il, « si la femme qui est en couche se porte bien à tous égards quand le lait gonfle préalablement son sein, elle n'a ni mal à la tête, ni altération, qui sont, comme on le sait, deux symptômes, inséparables de tout accès de fièvre, surtout précédés de frisson ». Aujourd'hui, il est démontré que non seulement cette fièvre n'existe pas toujours, mais que souvent on constate à sa place un ralentissement du pouls plus ou moins appréciable; ce qui n'em- pêchera pas la fièvre de lait d'être longtemps encore un article de foi dans le monde l'on accouche.

engorgement des seins. Pour dégorger les seins, il existe des recettes plus originales les unes que les autres. Nous avons donné nos soins à une nourrice de Sannois qui, sur le conseil d'une voisine, n'avait rien trouvé de mieux que de s'appliquer une omelette, sortant de la poêle, sur le sein malade; nous eûmes dès lors à soigner deux maladies au lieu d'une : l'engorgement et la brûlure.

En Russie, les femmes exposent le sein engorgé à un brasier ardent, puis on trempe une chaussette dans l'urine de la patiente et on l'ap- plique très chaude sur l'organe malade; cela fait, on passe du chaud au froid en remplaçant la chaussette par un fer à cheval, refroidi dans la glace.

gerçures du mamelon. Les commères du Midi donnent contre es gerçures du mamelon la recette suivante : « Placez pendant une heure du vieux lard rance en haut d'une lessive, plongez-le ensuite dans de l'eau-de-vie nouvelle et. frictionnez-en le bout des seins quel- ques mois avant les couches ».

serpents et nourrices. Les serpents, dit-on souvent, ont un goût très prononcé pour le lait ; aussi recommande-t-on, dans cer- tains pays, aux nourrices ou aux mères qui allaitent de ne pas s'en- dormir les seins découverts. « L. Boursier, écrit Jouard, raconte qu'une femme a porté, pendant dix mois, un serpent attaché à son mamelon qu'il avait pris, pendant qu'elle s'était endormie en donnant à teter à son enfant; mais ce qui n'est pas le moins admirable de l'aventure, c'est qu'il ne fut pas possible à aucun médecin de faire

ERREURS ET PRÉJUGÉS 225

lâcher prise à cet animal, lequel prit un accroissement tel que cette malheureuse femme ne pouvait presque plus le porter. Il n'y eut qu'un sorcier de village, nommé Barillet, qui vint à bout de l'en déli- vrer en prononçant certains mots cabalistiques ».

Une autre histoire, non moins répandue, sur le même sujet, rap- porte qu'un serpent se glissait dans le berceau d'un nouveau-né chaque fois qu'il avait pris le sein, lui introduisant le bout de sa queue dans la bouche pour le faire vomir et se régaler du lait qu'il venait de prendre.

Cette particularité gastronomique a été utilisée, au dire de certains narrateurs crédules, pour faire sortir de l'estomac des serpents qui s'y étaient introduits subrepticement ; il a suffi de placer un bol de lait au voisinage de la bouche et l'odeur seule de ce liquide a attiré ces ophidiens au dehors.

Sur les soins donnés à l'enfant. tranchées. Sui- vant les commères, l'enfant est atteint de tranchées ou de coliques quand la mère, à son premier accouchement, n'en ressent pas ; aux autres couches, les rôles seraient intervertis. Il est vrai d'ailleurs que les primipares ont toujours moins de coliques à la suite de leurs cou- ches que les multipares ; quant aux tranchées de l'enfant, elles n'ont rien à voir avec le nombre des accouchements.

Les recettes pour calmer les coliques des nouveau-nés sont très nombreuses; la plus curieuse assurément est celle que préconisent les Ephémérides d'Allemagne et qui consiste à assujettir un goujon vivant sur le nombril de l'enfant; encore une des nombreuses appli- cations de la médecine des signatures : les frétillements du poisson, ayant une certaine analogie avec les contractions de l'intestin, doi- vent agir efficacement sur celles-ci.

cosmétiques a l'usage des nouveau-nés. Autrefois on frottait le corps du nouveau-né avec de l'huile de noix pour donner plus de finesse à sa peau et plus de beauté à son teint.

« Il y a», dit Dionis, « un cérémonial que les gardes n'oublient point et qu'elles ne manquent pas de pratiquer aussitôt que l'enfant est emmaillotté, c'est de mettre deux pois au bas des joues, vers les angles de la bouche, et de les y appuyer, pour y former deux petits trous, qu'elles disent y demeurer toute la vie, quand on le fait au moment de la naissance, lorsque les chairs sont encore tendres; ce qui est un trait de beauté, aux filles principalement. Mais ce qui est de plus avantageux pour les gardes, c'est qu'elles ont la coutume de

HISTOIRE DES ACCOCCUEMENTS. 15

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demander au père de l'enfant un écu d'or pour lui en frotter les lèvres, afin qu'elles soient vermeilles pendant toute sa vie; et de fait elles en frottent les lèvres de l'enfant, et elles mettent en suite l'écu d'or dans leur poche, qu'elles disent être un droit attaché à leur charge ». N'est-ce pas le cas de rappeler le mot de Ricord, disant à propos des préparations d'or, que certains spécialistes avaient substitué au mercure, que toutes choses égales d'ailleurs, elles produisaient de meilleurs résultats administrés du malade au médecin que du mé- decin au malade..

Richerand a vu un accoucheur à la mode employer une pratique des plus malpropres. Il exprimait soigneusement le sang du cordon ombilical, puis en barbouillait le visage et la poitrine du nouveau- né, afin, disait-il aux parents, de lui rendre la peau blanche. « C'était un de ses secrets », ajoute Richerand, « et, s'il fallait l'en croire, il en possédait bien d'autres inconnus au commun des accoucheurs et des sages-femmes. Je crus même qu'il marmottait entre ses dents quelques paroles magiques tout en exécutant sa burlesque opération. Il l'acheva d'un air satisfait, assurant la famille d'un succès infail- lible. Si cela, ne fait pas de bien, au moins cela ne fait-il pas de mal, me dit le père en me voyant sourire ». Gela peut toujours faire sou- lever le cœur des assistants.

compressions de la tète. On se gardera bien de pétrir la tête, généralement allongée de l'enfant qui vient de naître (fig. 96), pour lui donner une forme plus convenable; cette modification s'opère d'elle-même en peu de jours.

Les Grecs et les Romains avaient horreur de la « tête pointue au sommet » (1); aussi cherchaient-ils à arrondir la tête du nouveau-né, suivant le conseil de Soranus, d'Ephèse. De pareilles manœuvres sont très nuisibles, parce qu'elles peuvent déterminer, comme l'a prouvé Broca, un travail pathologique du cerveau et de ses membranes, et disposer à la folie ou à l'épilepsie.

Il est tout aussi dangereux d'appliquer sur la tête des enfants un bandeau fortement serré (fig. 97) : il en résulte un enfoncement circu- laire de la tête (fig. 98) qui persiste toute la vie. « Les béguins trop serrés par des rubans », dit Virey, « ont allongé la tête en pain de sucre à quelques individus ». Aux environs de Toulouse, les habi- tants avaient coutume, il y a peu de temps encore, de déformer la tête de leurs enfants au moyen d'une coiffure assez singulière qui

(1) On sait qu'Homère avait donné à son Tkersiste, type de la laideur, une con- formation semblable.

ERREURS ET PREJUGES

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leur allongeait le crâne en forme de boudin. Or, les asiles d'aliénés de la localité contenaient une proportion considérable d'individus dont la tête avait été ainsi déformée. Les Marquisiennes, au contraire

Fig. 95. Tête normale telle qu'on l'observe quand le fœtus a été extrait par l'opération césarienne.

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Fig. 96. Déformation de la tête dans l'accou- chement par le sommet.

des Anciens, aiment à façonner la tête de leur progéniture en forme de pain de sucre; déplus, suivant Clavel, elles corrigent l'aplatis-

Fig. 97. Serre-tête des nouveau-nés, d'après Foville,

Fig. 93. - Déformation de la tête résultant de l'usage du serre-tête, d'après Fovillo.

sèment du nez de leurs rejetons, en le comprimant avec les doigts plusieurs fois par jour; elles cherchent aussi, par des manœuvres semblables, à donner à cet organe la conformation de celui d'un

228 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

parent affectionne. On sait que certaines peuplades sauvages, comme les Caraïbes (fig. 99), les Ghinooks de la Colombie et les Aymaras péruviens, ont l'habitude de serrer, à l'aide de bandelettes, le crâne de leurs enfants en bas âge, pour obtenir des fronts fuyants et bas qu'ils considèrent comme un attribut de la beauté. Les Indiens Têtes- Plates arrivent au même résultat, en appliquant une planchette (fig. 100) sur le front de leurs enfants. Les indigènes de l'Amérique septentrionale compriment aussi la tête des nouveau-nés entre deux planchettes revêtues de cuir, pour lui faire prendre la forme d'un

Fig. 9i). Crâna de Caraïbe déformé par une compression extérieure.

coin; aux yeux de ces primitifs, cette dolicéphalie artificielle est le suprême de l'élégance. De même à l'île de Chio, les originaires ont la tête en pain de sucre, grâce aux mains des matrones qui compriment latéralement la tête des nouveau-nés. Les tribus centrales de l'Amé- rique du Sud aplatissent aussi la tête de leurs enfants, avec cette différence que la compression a lieu d'avant en arrière, afin de rendre la face plus large et semblable à la pleine lune. Les Albanais préfèrent aplatir la tête de haut en bas, suivant la coutume des Huns d'Attila, qui cherchaient, de la sorte, à faire saillir le front en avant pour donner aux guerriers un aspect plus farouche. Enfin, les Arabes, d'après le Dr Bertherand, pétrissent la tête de l'enfant pour lui donner une forme globuleuse. Ils agissent à l'opposé des Orientaux qui por- tent le turban « lesquels», dit le D1' Verrier, « obtiennent, à l'aide de bandelettes, une dépression frontale qui aide celte coiffure à se tenir en équilibre ».

inconvéinients du maillot. Toutes les pièces du maillot doi- vent être fixées d'une manière assez lâche par des rubans ou par des épingles à broche ; il ne faut pas, comme on le faisait autrefois (fig. 101, 102, 103, 104, 105), sangler les enfants au point d'entraver

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la liberté de leurs mouvements. Pline s'élevait déjà contre cette fu-

L.DALÛANOS.

T'.r,. 100. Manière de porter les enfants chez les indiens Têtes-Plates i-t les Pawnies.

Fig. 101. Médaille antique représen- Fie 102. Enfant en Fig. 103. L'enfant Jésus, d'après una tant un enfant enveloppé de ses ban- maillot, d'après une miniature du IXe siècle.

delettes. peinture de Pompéi.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

nesle habitude: « l'enfant», dit-il, « n'est pas plustot délivré de sa prison, qu'on lui donne de nouvelles entraves; ce roi des animaux, pieds et mains liés, pleure, gémit ; et sa vie commence dans les sup- plices. »

En effet, quand le maillot est trop serré, il gêne toutes les fonctions de l'enfant et devient pour lui un véritable appareil de torture. C'est alors que sont justifiés les reproches de J.-J. Rousseau. « De peur, »

Fig. 104.

Enfants portés par des chambrières au XIII» siècle, d'après une miniature d'un manuscrit de la Bibliothèque Nationale.

dit-il, « que les corps ne se déforment par des mouvements libres, on se hâte de les déformer en les mettant en presse. On les rendrait volontiers perclus pour les empêcher de s'estropier... Leurs premières voix, dites-vous, sont des pleurs ? Je le crois bien : vous les contra- riez dès leur naissance ; les premiers dons qu'ils reçoivent de vous sont des chaînes ; les premiers traitements qu'ils éprouvent sont des tourments. N'ayant rien de libre que la voix, comment ne s'en servi- raient-ils pas pour se plaindre ? ils crient du mal que vous leur faites : ainsi garrottés, vous crieriez plus fort qu'eux... Nous ne nous sommes pas avisés de mettre au maillot les petits des chiens ni

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des chats ; voit-on qu'il résulte pour eux quelque inconvénient de cette négligence? Les enfants sont plus lourds; d'accord: mais à propor- tion ils sont aussi plus faibles. A peine peuvent-ils se mouvoir ; com- ment s'estropieraient-ils? Si on les étendait sur le dos, ils mourraient dans cette situation, comme la tortue, sans pouvoir jamais se retour- ner. »

Au bon temps jadis, on ménageait dans le maillot une anse dont les chefs étaient retenus par les bandelettes qui enveloppaient le corps de l'enfant, à la manière des momies Egyptiennes, et sans plus de façon, on suspendait le pauvre petit être à un clou (fîg. 106), pendant que les parents allaient aux champs ou au cabaret.

Fîg. 105. Nourrice emmaillottant un enfant au XVIIe siècle, d'après Abraham Boss.

Nous reproduisons, à titre de curiosité, une caricature alle- mande (fig. 107), représentant les attitudes comiques d'un sergent- major bavarois auquel a été confié la garde d'un enfant en maillot et qui, ne parvenant pas à calmer les cris du marmot récalcitrant, s'en débarrasse en l'accrochant à un clou; la stupéfaction de la mère, à la vue de son enfant ainsi suspendu, prouve assez que cette habitude, qui était autrefois en usage en Allemagne, n'existe plus aujourd'hui.

Dans le département de l'Ariège, on a observé une pratique plus

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

funeste encore. « Un grand poteau », dit Foville(fig. 108), « estdressé au milieu de la maison, et lorsque les parents sortent pour se livrer à leurs travaux, ils suspendent leurs enfants à ce poteau avec des courroies, de manière que l'extrémité des pieds louche la terre. Le poids du corps l'abaissant peu à peu, sans que les épaules puissent, dans la même pro- portion, s'engager dans des courroies serrées au-dessous des aisselles et arrêtées au poteau, le plus grand nombre de ces enfants restent contrefaits, et dans les départements règne cet. usage la proportion des bossus est im- mense ».

bains froids. Pour habituer les en- fants « à la dure », on a conseillé de les bai- gner dans l'eau froide, dès leur naissance. Cette coutume, renouvelée de Sparte, l'on plongeait le nouveau-né dans les eaux glacées de l'Eurotas, se pratique de nos jours en An- gleterre. Rousseau s'en déclare partisan. Le théologien Thiers est plus sage que le philo- sophe Genevois : « C'est un préjugé », écrit-il, « de croire qu'un enfant ne sera pas sensible au froid et qu'il n'appréhendera pas l'hiver, si peu après qu'il est sorti du ventre de sa mère on lui trempe les pieds et les mains dans de l'eau qui i^aura pas été chauffée ». Dès les temps antiques, Galien protestait contre une telle imprudence : « Laissons aux Sarmates », disait-il, « aux Germains, nations du Nord, laissons aux ours et aux lions, non moins barbares, l'usage de plonger les enfants nouveau-nés dans les eaux glacées; ce n'est point pour elles que j'écris ». Galien a raison, sauf son impu- tation gratuite à des quadrupèdes qui n'ont jamais songé à semblables pratiques.

Comme nous le verrons plus tard, cet usage est très répandu chez les peuples primitifs ; mais il ne saurait avoir, dans les climats chauds, les mêmes inconvénients que sous nos latitudes. Les Maje- ronas de l'Amérique du Sud, à défaut d'un cours d'eau voisin, plon- gent leurs enfants, dès la naissance, dans une sorte de baignoire faite avec une feuille de palmier (fig. 109).

Fig. 106. Enfant au maillot, attaché à un clou.

effets de l'air froid. C'est aussi une très mauvaise habitude

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de faire sortir, dès les premiers jours et par tous les temps, le nou-

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Fig. 107. L'enfant du sergent-major (ligure tirée des Fliegende BUïtter)(i).

veau-né, afin de l'habituer de bonne heure aux vicissitudes de

(1) Braun et Schneider, éditeurs à Munich.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

mosphère; en agissant ainsi, on risque fort de lui faire contracter une affection plus ou moins grave des voies respiratoires.

L'action nuisible du froid est démontrée par l'excessive mortalité des enfants en hiver et celle des nouveau-nés envoyés en nourrice, qui est beaucoup plus grande le premier mois de la naissance qu'à toute autre époque, à cause des refroidissements contractés pendant

Fig. 108. Enfants dans l'Ariègc.

le voyage. En Russie, le baptême pratiqué selon la coutume des pre- miers chrétiens, c'est-à-dire par une triple immersion dans l'eau froide, cause la mort d'un grand nombre d'enfants. On prend, à Paris, la précaution de baptiser avec de l'eau tiède et dans l'atmosphère plus chaude de la sacristie. Mais il serait encore préférable de suivre l'exemple de l'évêque de Wurtzbourg, qui autorisa les prêtres de son diocèse à administrer le baptême à domicile, comme l'extrême-onction. C'est pour éviter les dangers de refroidissement auxquels expose la

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sortie prématurée de l'enfant que, depuis 1868, sur la proposition de l'Académie, la municipalité de Paris a confié à des médecins asser- mentés le soin de faire les constatations de naissance à domicile. Avant celte époque, les articles 55 et 56 du Code civil et 346 du Code

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Fig. 109. Indienne Majeronas baignant son enfant dans une feuille de palmier.

pénal voulaient que cette formalité fût remplie, dans les trois jours de l'accouchement, devant l'officier de l'état civil et que l'enfant lui fût présenté, sous peine d'un emprisonnement de six jours à trois mois et d'une amende de seize à trois cents francs.

pesées des enfants. La balance est le meilleur critérium pour apprécier la valeur d'une nourrice; c'est pourquoi celles qui sont mauvaises font volontiers courir le bruit et affirment avec auto- rité que peser un enfant porte malheur. 11 faut négliger ces criaille- ries intéressées et user sans crainte du pèse-bébés (fig. 110). On se rappellera que, jusqu'au sixième mois, l'enfant doit augmenter de 20 à 30 grammes en vingt-quatre heures : s'il ne s'accroît pas dans ces proportions, on est en droit d'en conclure, non pas que la pesée lui porte malheur, mais qu'il y a vice dans son alimentation. Il est

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curieux de constater, avec le Dr Zambaco, que dans certains villages de l'Arménie, le peuple pèse l'enfant, de temps en temps, pendant les premiers mois de son existence, pour voir s'il prospère. Cette prati- que date, paraît-il, de l'antiquité ! Nil novi sub sole.

La balance est encore utile pour faire justice des exagérations qui se produisent à la naissance sur l'estimation du poids de l'enfant. « Un nouveau-né de huit à neuf livres est énorme, » dit Velpeau. « Les personnes qui entourent l'accouchée manquent rarement de s'écrier, en le voyant, que c'est un enfant de douze ou quinze livres. Heureux encore si, pour rendre le fait plus curieux, quatre ou cinq livres ne s'y trouvent pas ajoutées, quand la cinquième ou la sixième langue le raconte ! »

soins de propreté. Un proverbe espagnol dit :

Si quieres que tu hijo cresca, Lavale los pies y rapale la cabeza.

Si tu veux que ton enfant grandisse, Lave-lui les pieds et brosse-lui la tête.

Ce qui signifie que la propreté est indispensable à l'enfant.

Malheureusement nos gens du midi ont nombre de proverbes pour contredire celui que nous venons de signaler. Un dicton langue- docien, déjà cité par Laurent Joubert (1), mais avec un sens différent, exprime cette idée malpropre :

Dins la merclo etdinsu lopis Tout infan se nourris.

Dans la m. et dans l'urine Tout enfant se nourrit.

Les méridionaux s'écrient encore volontiers:

Ah ! que faï ben pezonilla !

Ah ! qu'il est bon d'avoir des poux !

Et que de paysannes et du nord et de l'ouest et du centre sont mé-

(1) V. page 107.

ERREURS ET PREJUGES

237

ridionales sur ce point! Les poux, à les entendre, c'est tout comme le cresson, la santé du corps. De même on obtient difficilement que les campagnardes laissenten-

Fig. 110. Berceau pèse-bébés.

lever au nouveau-né le chapeau ou gourmes du cuir chevelu. L'enfant vient-il à succomber d'une maladie quelconque, on ne manque pas d'accuser le médecin de les avoir fait passer trop tôt.

naissance de jumeaux. Nous avons vu que la jurisprudence hébraïque, avec laquelle s'accorde la nôtre, considérait comme l'aîné de deux jumeaux celui qui naissait le premier. La législation romaine, admettant la possibilité de la superfétation, reconnaissait, au contraire, la qualité d'aîné à celui des jumeaux qui venait au monde le dernier, parce qu'on croyait, qu'étant conçu le premier, il avait être refoulé au fond de la cavité utérine lors de la conception du second. Le même ordre de progéniture existait autrefois en Es- pagne: le dernier était regardé comme l'aîné, par la raison, disait- on, que de deux pierres tirées d'une carrière, la dernière est censée avoir été formée la première. Cette solution géologique est au moins bizarre.

Les astrologues pensaient que le premier de deux jumeaux res-

238 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

semblait davantage au père, c'est pourquoi il servait à juger du sort du père par son point de nativité.

La naissance des jumeaux est diversement appréciée suivant les peuples, en général on peut dire que leur venue ne cause qu'un mé- diocre enthousiasme. Cependant au Bénin, la fécondité des femmes est très prisée, la naissance des jumeaux est considérée comme un heureux événement ; le roi ordonne à ce propos des réjouissances et fournit, sur sa cassette particulière, une nourrice à l'un des enfants. Chose curieuse, le même monarque qui encourage la fécondité au Bénin, tolère dans la ville d'Arobo, autre partie de son royaume, une pratique tout opposée, et laisse les habitants de ce lieu égorger une mère qui enfante deux jumeaux. Suivant eux, une telle fécondité ne pourrait être que le résultat d'un commerce avec les esprits. Toute- fois, comme au Loango, règne aussi cette coutume barbare, ils donnent à la femme la faculté de se racheter au prix d'une esclave qui est tuée en sa place ; mais les enfants sont toujours sacrifiés sans pitié (1).

Au vieux Calabar et en Guinée, les jumeaux subissent le même sort ; chez les Béchuanas, ils sont déclarés tlotos et immolés comme les enfants difformes. Les Esquimaux pensent et agissent de même. A Ardra, la naissance de deux jumeaux ne peut être que la consé- quence d'un adultère ; on n'admet pas qu'un homme soit capable de procréer deux enfants à la fois. Les Comanches ont l'habitude de sa- crifier l'un des jumeaux; « ils agissent ainsi, dit Engelmann, parce qu'il est humiliant, pour une femme, de mettre au monde plus d'un enfant à la fois, comme le font les chiennes. » Cette appréciation sur les accouchements gémellaires, ainsi que la coutume de sacrifier l'un des enfants se retrouvent à la Guyane. Ecoutons Sacombe :

Si de jumeaux la femme à la Guyane accouche, Elle a de son époux déshonoré la couche. Parents, amis, voisins, sans pitié, sans raison, Viennent alors en foule investir sa maison. « 0 reine cle souris ! lui dit-on, truie insigne ! De cette race immonde, issue en droite ligne, Et digne d'égaler ces féconds animaux, Tu mettras bientôt bas quelques quatri-jumeaux. Rougis, si tu le peux, de ta conduite infâme, Ton époux méritait une plus chaste femme. »

(1) Histoire Générale des Voyages, XV, 2G3.

ERREURS ET PRÉJUGÉS 239

Ce n'est pas tout. Après quelques jours de repos,. Le mari furieux joint le geste au propos.

« Venez mère aux jumeaux, dit-il, d'un ton colère, Venez de vos exploits recevoir le salaire ; Venez servir d'exemple aux femmes du canton, Qui de vous imiter, voudraient prendre le ton. Et vous, maris constants, d'une épouse infidèle, Sachez, en pareil cas, me prendre pour modèle. »

A ces mots, un faisceau de verges à la main, A grands coups redoublés, de son bras inhumain, Il fait jaillir au loin le sang de sa victime, Et croit que des jumeaux un seul est légitime. Souvent pour se soustraire à ce dur châtiment, De l'amour maternel bravant le sentiment, Je frémis d'y songer ! une épouse égarée, Plonge dans une fosse en secret préparée, Celui qui des jumeaux est venu le premier, Etpoursécber ses pleurs réserve le dernier.

Superfétation, erreur si manifeste, Toi seule a consacré ce préjugé funeste !

Les Hottentots, dit-on, retranchent le Lesticule gauche aux garçons, pour les empêcher de produire des jumeaux. Dès lors tout homme qui aurait rapport avec une femme sans avoir subi cette mutilation préalable serait impitoyablement mis à mprt. Aussi avant le mariage la femme est-elle autorisée à vérifier, par elle-même, si son futur mari a subi l'ablation obligatoire. Cette coutume n'indique pas un goût prononcé pour les jumeaux, et cependant quand ce sont des garçons, ils sont accueillis par des réjouissances publiques; mais s'il s'agit de filles jumelles, l'usage est de tuer la plus laide; et si, de la même couche, naît un garçon et une fille, celle-ci est exposée ou ensevelie vive.

PRÉJUGÉS DIVERS, RELATIFS AUX NOUVEAU-NÉS. Le Conduit

auditif des chiens nouveau-nés est oblitéré par une membrane qui se déchire au bout de quelques jours et les paupières de ces ani- maux restent closes pendant le même temps ; aussi ne voient-ils et n'entendent-ils que plusieurs jours après leur naissance. De même on croit généralement que l'enfant ne voit ni n'entend quand il vient au monde, or la vision et l'audition fonctionnent normalement chez lui, mais il n'a que la conscience simple et non la conscience réfléchie de ses impressions: il voit sans regarder, il entend sans écouter.

240 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Autrefois, on exposait les nouveau-nés au feu pour les préserver des maléfices. Cette coutume, sur laquelle les détails nous manquent, serait venue des Egyptiens et des Amorrhéens. En Bretagne, on atta- chait au cou du nouveau-né un morceau de pain noir, afin que les génies, voyant qu'il était pauvre, ne lui fissent point de mal (l). Les sauvages mettent au cou des nouveau-nés des gris-gris achetés aux sorciers, comme en France, on y suspend des médailles bénites ou des scapulaires, pour leur assurer un sort heureux. Les Chinois se servent de fétiches qui doivent placer leurs enfants sous la protection des ancê- tres. « Chez les Turcs, » ditle Dr Zambaco, « à la partie supérieure du front des nouveau-nés, on pend un paquet composé d'une pièce en or plus ou moins grande sur laquelle se trouvent inscrit des versets du Coran. Dans les familles riches, un bijou en or et diamant, sur lequel on lit Mâcha Allah (ce que Dieu veut), une pierre bleue, une turquoise, ou un morceau de verre rond pour les pauvres, quelques perles enfilées, et une gousse d'ail, constituent un talisman préser- vatif contre les accidents et le mauvais œil. Les chrétiens remplacent le Mâcha Allah par une croix, et la pierre en or par une monnaie ancienne, vénitienne, de Marie-Thérèse ou de Pierre le Grand. Les Grecs préfèrent une pièce byzantine de Constantin. Dans certains villages grecs, on ajoute une dent de porc ou de sanglier et la coquille d'un limaçon. Il est surprenant que les Gaulois aient porté aussi des amulettes dans lesquelles figuraient une canine de sanglier ou de porc et de petits coquillages appelés porcelaines ». On sait que les Romains attachaient au cou ou sur le front de leurs jeunes enfants des bulles en guise de porte-bonheur; nous parlerons en détail de cette coutume dans le chapitre consacré aux Mœurs et Coutumes.

En France, pour préserver les enfants des convulsions, on leur met au cou des colliers de gousses d'ail ou d'ambre, sans doute en raison des vertus antispasmodiques et magnétiques de ces produits; d'après la doctrine des semblables, on y suspend aussi des têtes de vipères; du vif argent dans un nouet ou bien des pattes de taupes, l'une devant, l'autre derrière, arrachées à l'animal vivant. Au moment des convul- sions, on invoque Saint Gilles, ou bien on arrache le bonnet de la tête de l'enfant, on le jette au feu et on fait sur les cendres un grand signe de croix.

Notons, entre autres médications bizarres, conseillées parles com- mères, pour guérir la jaunisse anodine des nouveau-nés, la recette publiée par le Dr Droixhe, de Huy :

(1) Rambaud. Histoire de la civilisation française .

ERREURS ET PRÉJUGÉS 241

« Vous achèterez un pot, après que l'enfant aura uriné dessus, à minuit sonnant; vous sortirez du lit et vous vous rendrez en chemise et pieds nus sur le chemin, en portant votre enfant sur le bras gauche et tenant le pot dans la main droite. Après avoir fait quelques pas, vous lancerez au loin le pot derrière vous, sans vous retourner, en disant: Cest pour le premier chien qui passe, et le premier chien qui passera, mangera la miche et emportera la jaunisse ».

Toute aussi efficace était la recommandation de Salchon, médecin à Meldorf, et du crédule chevalier d'Igby qui conseillaient de presser sur le cordon pour en faire refluer le sang jusqu'au délivre, afin de préserver les enfants de la variole et de la rougeole. Levret, lui-même, voyait dans cette pratique le préservatif de la jaunisse des nouveau- nés. Cette idée erronée remonte d'ailleurs à Aristote qui croyait, par ce moyen, rendre l'enfant plus vigoureux.

C'était pour les Anciens un heureux présage de naître avec des dents ; les Béchuanas ne partagent pas cet avis et immolent ces enfants privilégiés comme de véritables monstres. La précocité de l'éruption dentaire ne mérite ni cet excès d'honneur ni cette indignité, elle a seulement le grand inconvénient d'empêcher d'élever les enfants au sein. Ainsi pour Louis XIV, qui présenta cette anomalie à sa nais- sance, on fut obligé de changer plusieurs fois de nourrice, à cause des morsures qu'il leur faisait. Dionis attribue à tort ce changement fré- quent de seins au grand appétit du jeune prince.

Les Romains, d'après Pline, voyaient aussi les plus belles desti- nées pour l'enfant qui était venu au monde par l'opération césarienne. Au XVIIIe siècle, pendant celte opération, il était d'usage de maintenir ouverte, avec un bâillon, la bouche de la patiente; « ce n'est pas », dit Dionis, « que sur ce chapitre, je sois dans l'erreur du menu peuple, qui croit que l'enfant respire dans le ventre de sa mère, et qui s'ima- gineroit que trouvant l'enfant mort, comme il arrive le plus souvent, ce seroit la faute du chirurgien qui n'auroit pas mis le bâillon. Je sçai que cette circonstance est inutile, mais il ne la faut pas obmettre, pour contenter les assistans et pour éviter tous les sots discours que feroient contre le chirurgien quelques femmelettes». Nous avons vu le synode de Cologne (1) recommander, dans le même but illusoire, non seulement de mettre entre les doijts de la femme, à l'instant de de sa mort, un bout de roseau ouvert des deux côtés, mais encore de placer un tube semblable au fond du vagin.

Jacques Duval relève une foule de préjugés dont plusieurs ont

(1) Voir page 151.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 16

242 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

encore cours de nos jours; on disait de son temps « qu'il faut laisser crier un enfant masle principalement, d'autant que cela lui augmente la poitrine, et fortifie la voix. Ce qui est bien souvent cause de luy donner une relaxation de l'intestin, qui descend dans le scroton ou bourses des testicules, dont il est cruellement vexé toute sa vie » .

« Quelques-unes », ajoute-t-il, « donnent du vin pur disans que ce vin ainsi donné, empesche que l'enfant estant parcru ne s'enyvre si aisément » . Les Cosaques ont cette mauvaise habitude mais ils croient rendre l'enfant plus vigoureux. C'est aussi un préjugé courant dans nos campagnes.

Les mères ne devaient pas embrasser leurs enfants aussitôt après le travail : « Quand encore esmues de leur travail, le sang perturbé et les infectées lochies ou purgations estant tellement agitées en elles, qu'elles peuvent infecter un mirouer, corompre son lustre et splendeur de leur seul regard, induire la rage aux chiens qui gousteroient de cest excrément, faire une playe incurable à ceux qu'elles morderoient, les vins qui en seroient imbues devien- droient aigres, les tendres germes des plantes touchées en seroient brûlés, les fruicts des arbres qui en auroient esté imbuez tomberoient. C'est pourquoy Columelle deffend qu'une femme malade de telles pur- gations soit admise en un lieu auquel on a de nouveau planté des melons, concombres, ou citrouilles, d'autant que par leur attou- chement l'augmentation desdictes herbes s'hébète et ne peut procéder en avant : et la femme aussi fait mourir les jeunes fruicts des plantes par son regard seul. Et a esté reconnu mesmement qu'une femme ayant rétention de telles superfluitez peut offencer et corrompre un jeune enfant, voire même aagé de six à sept ans, qui seroit avec elle couché. Si donc advient que par leur témérité, elles s'inclinent pour donner des baisers à ce qui est nouvellement nay, elles peuvent lui donner pasle couleur du visage, lentigines, bourgeons, dartres pernitieuses, rongnes, et autres infections du cuir. En quoy on recognoist que par leur indiscrétion elles leur portent un amour de cinge, qui est, dit-on, de serrer si fort ses petits, par un ardent désir d'amitié, qu'il les suffoque ».

En Livonie, on a coutume de planter un arbrisseau à la naissance de chaque enfant et la destinée du nouveau-né est attachée au sort de cet arbre, que l'on entoure des plus grands soins. Mme Auzou a fort bien représenté (fig. 111) l'effroi d'une jeune Livonienne qui, venant cultiver l'arbre planté à la naissance de son premier né, le trouve brisé.

Chez les Ainos Karafutos, les ancêtres des Japonais, les sages-

ERREURS ET PREJUGES

243

femmes avaient une singulière façon de reconnaître la vigueur de l'enfant : elles prenaient de l'eau froide dans la bouche et lançaient cette sorte de douche, avec force, sur le ventre du nouveau-né; s'il protestait par des cris, ce qui devait être le cas le plus fréquent, c'était l'indice d'une nature vigoureuse; son silence était interprété comme signe de faiblesse et il était exposé. De même, en Bretagne, les habitants du Finistère, non moins arriérés que les ancêtres des Faces Jaunes, plongent l'enfant aussitôt dans les eaux glacées de

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Fig. 111. L'effroi maternel, d'après le tableau de Mme Auzou, salon de 1810.

la fontaine de Sainte-Candide, située dans l'arrondissement de Quim- perlé. « Si le pauvre petit étend les pieds, dit le Dr A. Legendre, c'est signe qu'il vivra; s'il les retire, c'est signe d'une mort prochaine. » Les Groenlandais, peuple prudent quoique naïf, mettent à côté d'un enfant nouveau-né qui meurt, une tête de chien; ils craignent que,

244 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ne connaissant pas bien le pays des âmes, il ne s'égare en chemin ; le chien, vrai chien d'aveugle, lui servira de guide et le conduira au séjour des âmes.

Les sauvages Ghirigans semblent être des gens économes et n'ai- ment pas à rien perdre ; quand un enfant meurt en bas âge, on l'en- terre le long d'un chemin ; passe une femme enceinte, et l'âme du jeune défunt s'empressera de pénétrer dans ce domicile de hasard.

Nous terminons ici notre trop longue énumération des préjugés en obstétrique : ce n'est pas que le sujet soit épuisé, loin de ; mais nous devons nous borner dans la crainte de devenir ennuyeux; d'ail- leurs nous aurons encore l'occasion de signaler un certain nombre d'idées baroques, de pratiques superstitieuses quand nous parlerons des mœurs et usages chez les différents peuples.

CHAPITRE III

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES ET MONSTRES

Les histoires d'enfantements prodigieux sont innombrables : la plupart ne sont que des fables inventées à plaisir, qui peuvent nous donner une haute idée de la crédulité humaine. Nous ferons, bien en- tendu, un choix dans ces folles imaginations et ne citerons que les plus curieuses.

Leur place est toute marquée à la suite des Erreurs et Préjugés populaires.

Femmes mettant au monde des animaux. Les contes de ce genre sont nombreux. Pline l'Ancien, cet abîme de science et de crédulité, nous apporte naturellement sa part. « Alcippe, » ra- conte cet étonnant physiologiste, « mit au monde un éléphant, présage funeste, comme lorsqu'une esclave, au commencement de la guerre des Marses, accoucha d'un serpent (1). » Un autre compilateur latin, Julius Obsequens, parle de deux femmes qui, en Italie, enfantèrent l'une un chien, l'autre un chat. En 1278, une Suissesse aurait donné naissance à un lion. Boguet raconte dans ses Discours des exécrables sorciers, qu'en 1531 une femme maléficiée enfanta «d'une même ven- trée » une tête d'homme, un serpent à quatre pieds (fig. 112) et un pourceau. Une Thuringienne accoucha d'un crapaud, qu'Aldrovandi a reproduit (fig. 113) dans son Histoire des monstres, d'autres accou- chèrent de cochons de lait, de poulets ; toute une basse-cour. On sait que la reine Berthe, excommuniée pour avoir épousé Robert le Pieux, son cousin au quatrième degré, mit au monde « par la colère d'en haut »

(1) Dans le même passage. Pline raconte qu'à Sagonte, l'année la ville fut prise par Annibal, un enfant qui était venu au monde, rentra aussitôt dans le ventre de sa mère. Hayne affirme, avec aplomb, avoir observé le même fait.

246

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

un enfant ayant une tête et un col d'oie. Bayle rapporte cet autre conte, imaginé par deux moines de Corbie, qu'une femme accoucha d'un chat noir: l'animal fut brûlé par ordre du Saint Office parce que le diable pouvait seul en être le père.

Fig, 112. Serpent à quatre pattes mis au monde par une femme, d'après Boguet.

Salmuth (obs. 66) parle d'une comtesse qui accoucha d'une fille avec un côté rongé, « parce que dans la matrice se trouvait en même temps un oiseau vivant sans plumes, qui mordit bellement la sage-

Fig. 113. Crapaud à queue dont accoucha une Thuringicnne, d'après Aldrovandi.

femme à la main, puis courut par toute la chambre jusqu'à ce qu'on l'eût étouffé sous des oreillers (1). »

(1) A. Lerapereur. Des altérations que subit le fœtus après sa mort.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

247

D'après Collin de Plancy, l'année 1545, « une dame de noble lignée mit au monde, dans la Belgique, un garçon (fig. 114) qui avait la tête d'un diable (selon le jugement des experts), une trompe d'éléphant au milieu du visage, des pattes d'oie au bout des bras et des jambes, des yeux de chat au-dessous du ventre, une tête de chien à chaque coude et à chaque genou, deux visages de singe en relief sur l'esto- mac, une queue de scorpion proprement retroussée et longue d'une aune et demie. Personne ne voulut se reconnaître père de cet aimable garçon ; les théologiens et les parents de la dame attribuèrent au

Fig. 114. Monstre, d'après Ilueff.

Fig. 115. Monstre, d'après Rueff.

diable ce bel ouvrage. La mère soutint que l'enfant était de son mari. Quoi qu'il en soit, le petit monstre ne vécut que quatre heures ; et, en mourant, il s'écria à haute et intelligible voix, par les deux gueules de chien qu'il avait aux genoux : Veillez et priez, carie jugement der- nier est tout proche! Malgré cela, le jugement dernier n'est pas en- core venu ».

Les auteurs anciens citent de nombreux exemples de monstres dont une ou plusieurs parties du corps procèdent de l'animalité (fig. 115, 116, 117). Nous en retrouverons plus loin d'autres spécimens cu- rieux.

248

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

En 1726, le médecin Saint-André fut victime d'une mystification qui fit grand bruit à Londres. Ce médecin, en effet, était partisan de la doctrine des générations fortuites qui eut tant 'de crédit à cette époque; et, en vertu de cette doctrine, il admettait qu'une sole pou- vait engendrer une grenouille; une carpe, un poulet; une huître, une

Fig. 11C. Monstre, d'après Aldrovandi.

Fig. 117. Monstre, d'après Aldrovandi.

puce; une femme, un animal quelconque, par l'assimilation des par- ties organiques d'un animal dans les moules d'un autre. Une certaine Maria Tofts de Guildford, s'appuyant sur cette théorie fantaisiste, prétendait être accouchée d'un lapereau. Voltaire va nous conter l'aventure :

DUNE FEMME QUI ACCOUCHE D'UN LAPIN

A quoi ne porte point l'envie de se signaler par un système!

Cette doctrine des générations fortuites avait déjà pris tant de crédit dès le commencement du siècle, que plusieurs personnes étaient per- suadées qu'une sole pouvait engendrer une grenouille. Il ne faut pour cela, disait-on, que des parties organiques de grenouilles dans des moules de soles. Un chirurgien de Londres assez fameux, nommé Saint- André, publiait cette doctrine de toutes ses forces, en 1726, et il avait

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 249

l'enthousiasme des nouvelles sectes. Une de ses voisines, pauvre et hardie, résolut de profiter de la doctrine du chirurgien. Elle lui fit con- fidence qu'elle était accouchée d'un lapereau, et que la honte l'avait for- cée de se défaire de son enfant ; mais que la tendresse maternelle l'avait empêchée de le manger.

Saint-André, trouvant dans l'aveu de cette femme la confirmation de son système, ne douta pas de cette aventure et en triompha avec ses adhérents. Au bout de huit jours, cette femme le fait prier de venir dans son galetas; elle lui dit qu'elle ressent des tranchées comme si elle était prête d'accoucher encore. Saint-André l'assure que c'est une superfétation. Il la délivre lui-même en présence de deux témoins. Elle accouche d'un petit lapin qui était encore en vie. Saint-André montre partout le fils de sa voisine. Les opinions se partagent ; quelques-uns

Fig. 118. Maria Tofts accouchant de lapins, d'après Hogarth.

crient miracle : les partisans de Saint-André disent que, suivant les lois de la nature, il est étonnant que la chose n'arrive pas plus souvent. Les gens sensés rient ; mais tous donnent de l'argent à la mère des lapins.

Elle trouva le métier si bon qu'elle accoucha tous les huit jours. Enfin la justice se mêla des affaires de sa famille; on la tint enfer- mée ; on la veilla ; on surprit un petit lapereau qu'elle avait fait venir, et qu'elle s'enfonçait dans un orifice qui n'était pas fait pour lui. Elle fut punie ; Saint-André se cacha. Les papiers publics s'égayèrent sur cette garenne, comme ils se sont égayés depuis sur l'homme qui devait se mettre dans une bouteille de deux pintes, et sur le public qui vint en foule à ce spectacle.

La saine physique détruit toutes ces impostures, ainsi qu'elle a chassé les possédés et les sorciers.

Il résulte de tout ce que nous avons vu, qu'il faut se méfier des lape-

250 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

reaux de Saint-André, des anguilles de Needham, des générations for- tuites, de l'harmonie préétablie, qui est très ingénieuse, et des molé- cules organiques, qui sont plus ingénieuses encore.

Le célèbre caricaturiste W. Hogarth, qui vivait à cette époque, ne manqua pas de ridiculiser cette aventure dans une estampe, intitulée Cunicularii, ou la Consultation des sages de Godliman (The Wisemen of Godliman). Cette gravure est aujourd'hui introuvable; à son défaut, nous reproduisons une partie de celle qui se trouve dans ses Œuvres, sous le titre de Crédulité, la femme aux lapins occupe le premier plan (fig. 118).

Inversement, on a vu des animaux donner le jour à des créatures humaines. L'histoire du Languedoc fait mention d'un accident de cette nature et a été cité par Dulaure dans sa Description des principaux lieux de France: a Le 6 septembre de l'an 1387, une ânesse mit au jour deux enfants mâles, formés comme tous ceux que pourrait enfan- ter une femme ; ils naquirent dans le château de Montpellier. On demanda au pape si on devait les baptiser. Cette question causa de grands débats, que le cardinal de Saint-Angel termina en décidant qu'ils pouvaient être baptisés, et ils le furent ».

Debruis parle d'une vache qui mit bas un enfant, lequel, quoique broutant l'herbe et ruminant, reçut aussi le baptême. Liceti n'admet-il pas qu'Attila fut le fils d'une femme et d'un chien, et les anciens chro- niqueurs ne racontent-ils pas que la femme de Clodion le Chevelu, se promenant un jour sur le bord de la mer, fut surprise par un monstre sorti des flots et en eut un fils, Mérovée ou Meer-Wech, qui signifie veaumarin. Enfin nousrappellerons le fameux miracle arrivé à Genève, en 1609, d'une femme qui fit un veau « à cause du mespris de la puis- sance de Dieu, et de Mme saincte Marguerite » (1).

Accouchement d'œufs. A l'exemple des Anciens qui firent naître d'un œuf plusieurs de leurs personnages mythiques, tels que Castor et Pollux, Vichnou et Astarté, le naturaliste italien Ulysse Aldrovandi, un Pline du XVIe siècle, se plaît à raconter dans son volume des Monstres, que les femmes Sélénites, alias les citoyennes de la Lune, sont ovipares, et que de leurs œufs sortent des êtres qui atteignent la taille des anciens géants (fig. 119). L'autorité d' Aldro- vandi est Conrad Wolffhart, en philologie Lycosthcnes, auteur d'une Chronique des prodiges et merveilles (2). Au moins Lycosthènes place-

(1) V. page 106.

(2) Pi-odigiorum et ostentorum Chronicon, Bâle, 1557.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

251

t-il son histoire dans la lune ; libre à Cyrano, à Edgar Poe et à Jules Verne d'aller contrôler son dire ! Voici qui est plus fort. Olivier, à l'article Œufs de l'Encyclopédie, affirme qu'une femme est accouchée d'un plat d'œufs. Ce devait être des môles hydatides qui ressemblent à une agglomération d'oeufs (fig. 120). Dans le même article, il est ques- tion d'hommes ayant expulsé des œufs par le fondement, tout comme le héros de La Fontaine.

Fia. 119. Femme Sélénite accouchant de plusieurs œufs, d'après U. Aldrovandi,

A. Paré représente (fig. 121), avec plusieurs auteurs, un œuf qui contenait une tête d'homme : « Ce présent monstre que voyez cy dépeint a esté trouvé dedans un œuf, ayant la face et visage d'un homme, tous les cheveux de petits serpenteaux tous vifs, et la barbe à la mode et façon de trois serpents qui luy sortoient hors du menton ' il fut trouvé le quinzième jour du mois de mars dernier passé, 1569» chez un advocat nommé Baucheron, à Aulhun en Bourgongne, par une chambrière qui cassoit des œufs pour les mettre au beurre, entre lesquels cestuy-ci estoit: lequel estant cassé par elle, voit sortir ledit monstre, ayant face humaine, les cheveux et la barbe de serpens, dont elle fut merveilleusement espouventée. Il fut baillé de la glaire du dit œuf à un chat, qui mourut subitement. De quoy estant advert monsieur le baron de Senecey, chevalier de l'ordre, a esté de sa

252

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

part envoyé ledit monstre au roi Charles, qui pour lors estoit à Metz. »

Bartholin parle d'une femme de Copenhague qui fit un œuf, mais, craignant de devenir la risée publique, elle le cassa et le fît dispa- raître aussitôt. Enfin peu de temps après la supercherie britannique des lapins (1), une autre fut tentée en France. On présenta à l'Aca-

^%S-c

Fig. 120. Môle hydatide.

demie des sciences de Paris deux œufs pondus par une femme et d'où il était sorti deux pigeons pattus. Une commission fut nommée et conclut à une mystification. C'était, en effet, un peu trop prendre à la lettre la célèbre maxime d'Harvey : Omne vivumex ovo.

Enfants qui parlent dès leur naissance. Nous venons de citer l'exemple du petit monstre qui, quatre heures après sa nais-

(1) Quelque philologue de l'avenir trouvera peut-être l'origine d'une locution en TjBage dans le monde horizontal et noctambule.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

253

sance, annonçait à haule et intelligible voix la prochaine fin du monde, et nous avions déjà signalé Mahomet, Sotoktais, le domini- cain Vincent Ferrier, les Saints Barthélémy et Fursy qui se firent

Fig. 121. Tête d'homme avec cheveux et une barbe de serpents, trouvée dans un œuf, d'après

A. Paré.

entendre dans le sein même de leur mère ou dès leur naissance. D'autres exemples aussi fantaisistes sont relatés par une complainte de 1587 intitulée :

Discours très merveilleux et espouvantable advenu en la ville de Zélande, dix lieues de la ville d'Envers, de trois en fans lesquels ont parlé tost après leur nativité et dit chose merveilleuse, puis à l'ins- tant trespassèrent.

Peuple chrestien preste l'oreille, Pour ouyr les faits merveilleux. Jamais on n'a ouy la pareille Raconter à nos pères vieux. En une ville de Zélande. Dix lieues de la ville d'Envers, Est advenu un cas estrange, Comme vous verres cy-après.

Une femme y est accouchée Ces jours passez de trois enfans, Qu'elle a produit d'une portée Par le vouloir du Tout-Puissant, Lesquels dès qu'ils furent sur terre, Ont parlé ainsi promptement

254 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Chacun son vers, sans plus enquête, Non en Français mais en Flament.

Le premier a parler commence, Et dit ces mots distinctement : « A-t-on point faict encor' vengeance « Des vices qu'on faict a présent? » Puis a l'instant fina son dire, Disant : « Craignez l'ire de Dieu, « Tant plus on vit plus on empire, o Cela se voit eu chascun lieu. »

En asprès le second commence, Si tost que le premier eut dict, Disant ces mots : « Faits pénitence, « Monde perverti et maudict, « Car le grand jour dernier s'aproche « Que Dieu le monde jugera. » Finit son dire, et clost sa bouche Puis le troisiesme enfant parla.

Le troisiesme à voix lamentable Dit : « Qui pourra ensepvelir « Le pauvre monde misérable « Que par faim on voyra mourir? « Car la cherté sera si grande « Que si Dieu n'a de nous pitié, « Il commencera, ô chose estrange ! « Qu'il en meure bien la moictié. »

Ces trois enfans avoyent des ongles Plus grands qu'on a veu a vingt ans, Et les dents grandes, et fort longues, Qui espouvanta les assistants : Les autres membres estoient semblables Aux membres des autres enfants ; Cela fut veu par gens notables, Tant de la ville que des champs.

Ayant tous trois finy leur dire, Sont décédez en un moment, Présent plusieurs gens de la ville, Qui ploroient fort amèrement, Disant : « Hélas ! voicy des signes « Qui sont dignes de remarquer ; » Se frappans tous à la poitrine, Pour l'amour de Dieu appaiser.

Peuple qui as de Dieu la crainte Humilie toy de tout ton cœur, Embrasse l'Eglise sans sainte

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 255

L'aymant et luy portant honneur :

Dieu qui est père de lumière

Laisse tous ces motz divertir,

Et à l'hérétique adversaire,

S'il te plaist les feras sentir. Recognois donc peuple ta faute

En criant tretous, Peccavi,

Suppliant la puissance haulte,

Ainsi qu'a faict le roy David;

Lors Dieu par sa miséricorde

Nous fera mercy et pardon,

Nous donnant paix et concorde,

Et de tous biens à grand foison. Malgré du temps la violence,

Si nous quittons tous noz malfaictz.

Dieu vous donra par sa clémence

De tous biens selon noz souhaitz

Car s'il nourrist l'oiseau qui voile,

Bien plus tost il nous nourrira,

Comme il le dit par sa parolle,

Heureux celuy qui y croira. Fuions avarice et rapine,

Usure et toute pauvreté,

Paillardise qui le corps mine,

Orgueil et toute vanité,

Et prions la Vierge bénigne,.

Qu'intercéder veuille pour nous,

Appaisant la bonté divine,

Affin qu'il ayt pitié de nous. Vous, discordans François, sans armes, priez Dieu Affin qu'accord et paix demeurent en tout lieu.

Les enfants dont parle la complainte, enfants précoces s'il en fut jamais, ne semblent être restés que le terme ordinaire dans le sein de leur mère. Mais il en est d'autres qui, trouvant ce séjour agréable, l'ont prolongé durant plusieurs années. Tel est l'enfant de Volsung qui, suivant la tradition, fut retiré vivant, au bout de six années, par une opération sanglante et embrassa sa mère mourante. Tel est encore cet enfant mâle qui vécut vingt-huit ans dans le sein maternel et y serait encore resté si les chirurgiens ne l'avaient obligé à sortir de sa retraite. Il était enfermé dans une coque osseuse et, pour occuper ses loisirs, il avait appris le latin ; le narrateur affirme « qu'il partit pour voyager et qu'il racontait dans cette langue les particularités si curieuses de son entrée dans la vie »

256 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Naissances multiples. Les exemples de naissances multi- ples sont aussi nombreux que peu véridiques. Le maximum que l'on peut avoir en une couche est de cinq enfants, mais, en raison de leur faiblesse native, ils ne vivent que quelques heures. C'est ce qu'on observa chez cette servante qui, suivant Aristote, eut à la fois cinq enfants.

Cinq jumeaux, le chiffre est déjà respectable; c'est peu cependant pour les amateurs de merveilleux. Six, huit ou dix enfants, telles sont les portées que se plaisent à signaler les collecteurs de prodiges. Pour admirer vraiment, il faut en venir à la dame de Trazégnies. Un des seigneurs de cette maison, Gilles, dit le Brun, celui qui accompagna saint Louis dans la Palestine, et qui fut connétable de France, était l'un des treize enfants d'une même couche. Son père étant parti pour une de ces expéditions guerrières si fréquentes au moyen âge, avait laissé sa mère enceinte. Elle accoucha, en son absence, de treize enfants vivants. Epouvantée d'un tel nombre et redoutant le mécon- tentement de son époux, sans trop, du reste, se rendre bien compte de ce qu'elle faisait, elle ordonna à sa servante d'en aller noyer douze. La servante mit ces pauvres petits êtres dans son tablier, et elle les portait à la rivière, lorsque Dieu permit qu'elle fut rencontrée par son maître, qui revenait de son expédition. Il lui demanda ce qu'elle empor- tait et elle allait ainsi et, comme elle hésitait à répondre, il ouvrit son tablier. Touché de compassion pour ces douze petits enfants, dont la servante dut lui avouer la naissance prodigieuse, il les mit en nour- rice sans rien dire à sa femme. La voyant triste et agitée par l'amer regret de l'ordre qu'elle avait donné, il se décida, au bout de six mois, à lui dire qu'il connaissait la cause de son chagrin, mais qu'elle pou- vait se consoler, parce que ses treize enfants vivaient, et il les fit apporter dans son château, la noble marquise fut heureuse de reconnaître que la bonté de Dieu lui avait épargné un grand crime. Le nom de Trazégnies signifierait en vieille langue wallone treize nés ensemble et s'expliquerait par ce récit. L'argument philologique est pitoyable et la seigneurie de Trazégnies semble avoir été voisine de la gentilhommière habitée par le baron de Crac.

« Franciscus Picus Mirandula (1) », dit Ambroise Paré (2), « escrit qu'une femme en Italie, nommée Dorothea, accoucha en deux fois de vingt enfants, à sçavoir, de neuf en une fois, et d'onze à l'autre : laquelle portant un si grand fardeau, estoit si grosse qu'elle soute-

(1) C'est le fameux Pic de la Mirandole, son prénom habituel est Jean et non François.

(2) D'après Lycosthènes.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

257

noit son ventre, qui luy descendoit iusques aux genoiiils, avec une grande bande qui la prenoit au col et aux espaules, comme tu vois par ce pour traict (fig. 122). Mais de toutes ces portées ou enfantements, il n'y en a point qui approche de la comtesse de Flandres, laquelle par une juste permission et vengeance de Dieu, conceut et accoucha d'une seule portée, ainsi que plusieurs historiens nous ont laissé par escrit, de 365 enfans, autant qu'il y a de jours en l'an ».

Fig. 122. Italienne qui accoucha, en deux fois, de vingt et un enfants, d'après A. Paré.

Voici comment un auteur du XVIII0 siècle raconte l'histoire à laquelle fait allusion A Paré :

« Losdun, ville à demi-lieuë de la Haye, est célèbre par le monas- tère de Filles nobles que Marguerite, Comtesse de Hollande, y fonda en 1267, et par l'accouchement monstrueux que Mathilde, fille unique du Comte de Florent, et sœur de Guillaume, Roy des Romains, y fit l'année 1576. L'Histoire assure que cette Princesse refusa l'aumône à une femme qui portoit deux enfans jumeaux, luy reprochant que ce n'étoit pas du fait d'un seul homme : que cette femme, fâchée de l'injure qu'elle faisoit à la vérité, luy souhaita qu'elle en eût d'une

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

258 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

couche aulant qu'il y avoit de jours dans l'année, qu'au bout de neuf mois elle accoucha de 365 enfans, tous bien formez et ayant vie, gros comme le poing. Ils reçurent tous le baptême, par Guy, Suffragant d'Otton, évêque d'Utrecht, qui donna le nom de Jean aux masles, et celui d'Elisabeth aux femelles. Ils moururent bientôt après, aussi bien que la mère, et furent tous mis dans un même tombeau. On voit encore dans l'église de ce village les deux bassins d'airain ces enfans furent baptisez, qui n'ont qu'environ cinq pouces de profon- deur. On y voit aussi cette histoire dans un tableau, au bas duquel on lit des vers latins dont voici la signification :

« Voici un monstrueux et mémorable effet, qui n'en a point de pareil depuis le commencement du monde. Lecteur, après avoir lu cette his- toire, retire-toi d'ici tout confus et étonné. »

D'après une autre version, plus ancienne, ce n'est pas trois cent soixante-cinq enfants, mais bien quinze cent quatorze qu'aurait eu cette comtesse de Hollande, Mathilde ou Mechtilde. Voici, en effet, ce qu'on lit dans Sennert: Aventinus scribit Mechtildim, comitissam ab Honneberg, filiam Florentini IV, Batavini comilis, sororem Gulielmi régis Romanorum, sub Frideric II, Imperat. mille quingentos quatuor- decim pueros genuisse, qui in malluvio ab Othone, Trajeclensi Epis- copo, avunculo ejus, sacra aquâ luslratifuerunl. «Aventinus rapporte que Mechtilde, comtesse de Honneberg, fille de Florentin IV, comte de Hollande, et sœur de Guillaume, roi des Romains, sous l'Empereur Frédéric II, accoucha de quinze cent quatorze enfants, qui furent tenus sur les fonds et baptisés par Othon, évêque d'Utrecht, son oncle. »

Dans ses Erreurs populaires, Laurent Joubert raconte deux his- toires du même genre. Un sieur de Beauville était soupçonné par sa femme de courtiser une de ses servantes. Celle-ci fut mariée par sa maîtresse et accoucha de trois enfants. La jalouse l'accusa d'avoir eu des rapports avec son mari « ne se pouvant persuader qu'une femme, d'un seul homme, peust concevoir tel nombre d'enfans, car elle soustenoit tousiours opiniaslrement que d'un homme on ne pouvoit concevoir au plus haut que deux enfans, comme l'homme n'a que deux génitoires et la femme deux mamelles». Bientôt la femme du sieur de Beauville devint elle-même enceinte et accoucha de neuf filles : « ce qu'on inlerpresta estre d'une punition de Dieu » pour avoir calomnié une innocente. Craignant d'être diffamée par sa propre opi- nion, elle donna l'ordre à sa chambrière de noyer huit filles ; le mari survint, comme dans la légende de Trazégnies, et sauva les inno- centes.

L'autre histoire est une variante de celle de la comtesse de Hollande.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 259

Elle s'applique aux Pourcelets, famille noble d'Arles, en Provence. Leur nom et la truie qui figure dans leurs armoiries viendraient de ce que la chambrière, ayant rencontré le mari, tandis qu'elle portait noyer huit enfants, lui dit que c'était des pourcelets « d'autant que la truie n'en pouvoit tant nourrir. On dit que ce fut par l'imprécation d'une pauvre femme qui demandoit l'aumosne à la darne de la maison, ladite femme estant environnée de plusieurs siens petits enfans. Ce que la femme luy reprocha, comme procédant de lasciveté, et d'estre trop addonnée aux hommes. Lors la pauvre femme, qui estoit femme de bien, fit ceste imprécation qu'icelle dame peust engrosser d'autant d'enfans qu'une truye fait de petits ; et qu'il advint ainsi par le vou- loir de Dieu, pour montrer à la noble dame qu'il ne faut imputer à vice ce qui est d'une grande bénédiction ». Avec le temps, ces huit enfants, chiffre déjà respectable, se changèrent comme les œufs de La Fontaine, soit en trois cent soixante-cinq, soit en quinze cent quatorze.

Suivant Ambroise Paré, on pouvait lire au neuvième pilier de la grande galerie du cimetière St-Innocent la curieuse épitaphe sui- vante : Cy gist honorable femme Yollande Bailli, jadis femme de hono - rable homme Denys Capel, procureur en Chatelet de Paris, qui tres- passa le xvij Avril, Van MDXII1, le 88 an de son aage, le xiij de son veufvage, laquelle a veu, ou a peu voir devant son très-pas, 293 enfans yssus d'elle. Il s'agit vraisemblement d'enfants, petits- enfants et arrière-petits-enfants.

i

Grossesses et accouchements simulés. La simulation de grossesse paraît avoir été une formalité légale de l'adoption chez certains peuples antiques. Diodorede Sicile (1) raconte qu'Héra, con- trainte par Zeus d'adopter Héraclès, monta sur son lit et, là, attira l'enfant sur son corps et sous ses vêtements; puis, elle le laissa tomber par terre, simulant ainsi un accouchement véritable. « Les Barbares, ajoute l'historien, pratiquent encore de nos jours ces mesmes rites, lorsqu'ils veulent adopter un fils. » Le plus souvent, chez les Grecs et chez les Romains, les simulations de ce genre n'étaient qu'une super- cherie, un procédé de chantage : c'est ainsi que dans le Truculentus Plaute met en scène la courtisane Phronésie feignant d'accoucher pour s'attacher le guerrier Stratophane, son amant.

Les hagiographes chrétiens (2) rapportent une singulière histoire

(1) IV, 39.

(2) Fleurs de la vie des Saints, par les PP. Ribaduneira et Giry.

260 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de fausse grossesse méchamment imputée à une pieuse jeune fille et ayant causé sa mort. A une époque inconnue des chronologistes, Ber- taut, cavalier modeste et de bonne mine, aimait Irène, vierge de Tomar en Portugal. Mais déjà celle-ci était fiancée au Seigneur: Ber- taut tomba malade de désespoir, Irène l'alla voir ; elle fît à son soupi- rant l'éloge de la chasteté, et, Dieu l'inspirant, fut si persuasive que Bertaut fit taire son amour. Il exigea seulement d'Irène le serment que si elle se décidait jamais à aimer un homme, elle lui donnerait la préférence. Sélio, oncle d'Irène, était abbé d'un couvent voisin du monastère s'était retirée sa nièce ; il lui choisit pour directeur spi- rituel un moine, nommé Rémi. Cet impudique personnage convoita sa pénitente et la sollicita au péché. L'éloquente Irène lui montra toute l'horreur de la concupiscence, mais ne put toucher son âme.

Le moine, pour se venger de ses refus, lui fit boire un breuvage qui lui enfla le ventre. On la crut enceinte, et Bertaut, furieux de voir qu'elle eût forniqué avec un autre que lui, chargea un méchant soldat de la tuer. Le corps de la pauvre Irène fut dépouillé et jeté dans la rivière de Naban. Cependant une révélation d'en haut avait appris la vérité à l'oncle Sélio; le peuple fut averti et l'on partit en procession, l'abbé en tête, pour rechercher le cadavre. La rivière de Naban l'avait emporté dans une autre rivière, et le courant de celle-ci l'avait conduit dans le Tage.

La procession suivait les bords de ce fleuve ; elle s'aperçut qu'en un certain endroit, il s'était retiré de son lit. On s'approche ; le fleuve avait laissé à sec le corps de la vierge qui reposait dans un riche tom- beau bâti par les anges. On ne put l'en tirer; c'était la volonté de Dieu qu'il demeurât là. On se contenta donc d'emporter une partie des cheveux et la chemise de la sainte. Sélio déposa dans son monas- tère ces précieuses reliques, bientôt reconnues souveraines contre les maux d'yeux et la paralysie. A quelque chose malheur est bon.

Après les imaginations romanesques des bons jésuites qui nous ont laissé ce conte, il est bon de revenir au réel. Nous rapporterons donc le récit naïf que nous a laissé Ambroise Paré sur une grosse garce de Normandie qui feignoit avoir un serpent dans le ventre :

« L'an I06I vint en ceste ville une grosse garce fessue, potelée et en bon poinct, aagée de trente ans ou environ, laquelle disoit eslre de Normandie, qui s'en alloit par les bonnes maisons des dames et damoiselles leur demandant l'aumosne, disant qu'elle avoit un serpent dans le ventre, qui luy estoit entré estant endormie en une cheneviè- vre : et leur faisoit mettre la main sur son ventre pour leur faire sentir le mouvement du serpent qui la rongeoit et tourmenloit iouret nuict,

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 261

comme elle disoit. Ainsi tout le monde luy faisoit aumosne par une grande compassion qu'on avoit de la voir, joinct qu'elle faisoit bonne pipée. Or, il y eut une damoiselle honorable et grande aumosnière qui la print en son logis et me fit appeler (ensemble MM. Hollier, docteur, régent en la faculté de médecine, et Germain Cheval, chirur- gien juré à Paris), pour sçavoir s'il y auroit moyen de chasser ce dra- gon hors le corps de ceste pauvre femme, et l'ayant veue M. Hollier luy ordonna une médecine qui estoit assez gaillarde (laquelle luy fit faire plusieurs selles) tendant à fin de faire sortir ceste beste: néantmoins ne sortit point. Estant de rechef r'assemblés, conclusmes que je luy mettrois un spéculum au col de la matrice, et partant fut posée sur une table son enseigne fut desployée pour luy appliquer le spé- culum, par lequel je feis assez bonne et ample dilatation pour sçavoir si on pourroit apercevoir queue ou teste de ceste beste: mais il ne fut rien aperçu, excepté un mouvement volontaire que faisoit ladite garce par le moyen desdits muscles de l'épigastre : et ayant conneu son imposture, nous retirasmes à part, il fut résolu que ce mouvement ne venoit d'aucune beste, mais qu'elle le faisoit par l'action desdits muscles. Et pour l'espouvanter et connoistre plus amplement la vérité, on luy dist qu'on reïtereroit à luy donner encore une autre médecine beaucoup plus forte à fin de luy faire confesser la vérité du fait : et elle, craignant reprendre une si forte médecine, estant asseu- rée qu'elle n'avoit point de serpent, le soir mesme s'en alla sans dire adieu à sa damoiselle, n'oubliant à serrer ses hardes et quelques unes de ladite demoiselle, et voilà comme l'imposture fut descouverte. Six jours après je la trouvay hors la porte de Montmartre sur un cheval de bast, jambe deçà, jambe delà, qui rioit a gorge desployée et s'en alloit avec les chasse marées, pour avec eux (comme je croy) faire voler son dragon et retourner en son pays. » Si la « grosse garce » riait si fort, c'est peut-être qu'elle songeait à maître Ambroise, armé de son spéculum, et cherchant à voir tête ou queue de la bête.

J, Boeder a consacré un opuscule entier à parler d'une mendiante qui simulait une grossesse perpétuelle. Voici ce qu'en dit Barbier dans son Journal :

« Il s'est vérifié par toutes lesgazeltes etMercuresqu'à Strasbourg il est mort cette année une fille d'environ soixante ans, à qui la Fa- culté de médecine faisait une pension depuis vingt ans, et qui avait d'autres charités, parce qu'elle avait le ventre exlraordinairement gros. Elle n'avait jamais voulu se le laisser tàter que par-dessus, par pudeur et par la douleur de l'attouchement. A sa mort, il y a eu grand empressement pour l'ouvrir pour la découverte de choses extraor-

262 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

dinaires. On lui a trouvé le ventre à l'ordinaire, et à côté de son lit, un petit matelas rempli de chiffons, qui pesait vingt livres et qu'elle mettait tous les jours. Gela a fait beaucoup de honte à la Faculté. On remarque que cette fille avait augmenté son enflure à mesure que les charités augmentaient. »

Velpeau a publié l'observation d'un cas analogue : en se bourrant le vagin de chiffons, une fille parvint à simuler un accouchement complet, après s'être dite enceinte pendant près de trois ans. On peut rapprocher de ce fait une observation transmise par Hippocrate (1), il s'agit delà servante de Dyseride qui, à l'exemple d'Héra, ac- coucha d'une pierre. « Dans sa jeunesse, cette femme, dit le divin vieillard, sentait de vives douleurs pendant le coït. Elle ne souffrait point autrement et ne conçut jamais. Parvenue à l'âge de soixante ans, elle ressentit, avant midi, des douleurs semblables à celles de l'en- fantement. Après midi, ayant mangé des poireaux, elle éprouva une vive douleur dans la région vaginale et, en y portant les mains, elle sentit un corps dur et raboteux. Une femme qui l'assistait, intro- duisit ses doigts dans le vagin et en tira une pierre grosse comme un peson que les fileuses mettent au fuseau. »

Nous devons dire un mot des grossesses dissimulées. Le procédé le plus extraordinaire dont il ait été fait usage est assurément celui qu'employa Eponine, femme de Sabinus. Elle croyait son m;iri mort et avait intérêt à dissimuler son état. Plutarque raconte qu'elle se frotta avec une certaine préparation qui la fit enfler des pieds à la tête; le développement du ventre disparut ainsi dans le gonflement général du corps. Quelle était cette drogue, près de laquelle le lait mamilla n'est que de l'eau claire? Plutarque ne nous en a malheureusement pas laissé la recette. Le plus souvent, les moyens mis en œuvre pour dissimuler les grossesses ne sont que des artifices de couturière; c'est ainsi que nous verrons (2) la Montespan imaginer les robes bat- tantes pour atteindre ce résultat. En revanche, pendant la grossesse de nous ne savons plus trop quelle reine de France, les dames de la cour portèrent des robes qui les faisaient paraître enceintes. Ce devait être incommode, moins pourtant que de simuler, comme certains courtisans, la fistule de Louis XIV.

Tardieu (3) a signalé aussi un cas d'avortement simulé par une sage-femme pour nuire à une concurrente. C'était à Melun, en 1857.

(1) Epid., liv. V, 25.

(2) Les Accouchements à la Cour.

(3) Etude médico-légale sur l'avortement.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 263

Une matrone voulant se débarrasser d'une rivale nouvellement ins- tallée, s'abouche avec l'ancienne servante d'un médecin. Les deux coquines imaginent la fable suivante : La servante, se croyant en- ceinte, serait allée trouver la sage-femme qu'on voulait perdre î séance tenante, la servante étant debout, la praticienne lui aurait in- troduit une sonde et le lendemain de l'eau se serait écoulée, des dou- leurs et des coliques seraient survenues; le surlendemain nouvelles douleurs, hémorrhagies, évacuation d'un caillot gros comme deux doigts et recouvert d'une peau blanche. Aussitôt elle fait appeler l'autre sage-femme, sa complice. « Celle-ci, de son côté, déclare qu'à ce moment elle la trouve se tordant, se cramponnant, ayant des pous- sements comme une femme en travail. Elle la touche et prétend aussi trouver dans le vagin, un petit caillot de sang et une dilatation de l'orifice utérin de soixante millimètres. Le lendemain, examinant le vase de nuit, la sage-femme dit y avoir vu, nageant au milieu du sang, un morceau de placenta long comme la paume de la main. » Bref, durant quatre jours, cette farce odieuse continue, les deux cou- pables simulent des accidents plus sérieux. Ce qui perdit tout, ce fut l'impudence de la matrone qui espérait entraîner dans le piège le doc- teur Saint- Yves. La perspicacité du médecin ruina tout cet échafau- dage de mensonges et l'autorité de Tardieu, appelé à donner son avis dans cette affaire, porta le dernier coup à l'accusation calomnieuse des deux gredines.

Après les simulations volontaires, nous devons parler des gros- sesses illusoires. C'est encore à Paré que nous emprunterons cet exemple d'illusion diabolique ;

« Un fort belle ieune fille à Constance, laquelle avoit nom Magde- leine, servante d'un fort riche citoyen de laditte ville, publioit partout que le diable une nuit l'avoit engrossie, et pour ce regard, les potes- tats de la ville la firent mettre en prison, pour entendre l'issue de cet enfantement. L'heure venue de ses couches, elle sentit des tranchées et douleurs accoutumées des femmes qui veulent accoucher, et quand les matrones furent prestes de recevoir le fruit et qu'elles pensoient que la matrice se deust ouvrir, il commença à sortir du corps d'icelle fille des clous de fer, des petits tronçons de bois, de verre, des os, pierres et cheveux, des estoupes et plusieurs autres choses fantas- tiques et estranges, lesquelles le diable, par son artifice, y avoit ap- pliquées pour décevoir et embabouiner la vulgaire populace, qui adiouste légèrement foy en prestiges et tromperies. »

De à la folie, il n'y a pas loin. Or, on sait que les accouchements illusoires sont fréquents chez les aliénés; le docteur Calmeil en a réuni

264 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de nombreux cas. On peut rapprocher du fait cité par A. Paré celui dont parle Ksquirol :

« Mademoiselle de ***, âgée de trente et un ans, d'une taille moyenne, ayant les cheveux et les sourcils noirs, l'habitude du corps maigre, le tempérament nerveux, le caractère mélancolique, la con- duite très régulière, se rend avec sa mère, pour entendre le cours de botanique d'un célèbre professeur. Après quelques leçons, mademoi- selle de *** se persuade qu'elle est enceirte du professeur, qui est âgé, à qui elle n'a jamais parlé; rien ne peut la dissuader. Elle maigrit beaucoup, ne mange point, est horriblement contrariée de ne plus re- tourner entendre celui qui l'a rendue mère. Les menstrues se suppri- ment, ce qui est une nouvelle preuve de grossesse. Les conseils d'une mère tendre et aimée, les médecins, les médicaments, tout est re- poussé avec obstination. Mademoiselle de *** passe huit mois à faire une layette. Le neuvième, le dixième mois s'écoulent sans accouche- ment. Il n'a pas lieu, dit la malade, parce qu'elle n'a pas les coliques ni les douleurs nécessaires. Elle reste debout, les pieds nus, afin de provoquer les douleurs. Elle entend le père de l'enfant qu'elle porte qui l'exhorte à la patience et l'encourage à supporter les douleurs fa- vorables à l'enfantement; elle pousse quelquefois des cris que ne manquent jamais de faire les femmes qui accouchent. D'ailleurs, ma- demoiselle de *** est très raisonnable. « Je sais bien que j'ai l'air d'une folle, » dit-elle quelquefois, « mais il est certain que je suis en- ceinte. » Rien n'a pu triompher des convictions de cette malade, qui, quelques mois après, est allée mourir à la campagne. »

L'accoucheur Campbell qui exerçait à Paris, bien qu'il fut sur les bords de la Tamise, n'avait conservé qu'un seul client de l'autre côté du détroit et ce compatriote était un aliéné lord Dud... qui, à certaines époques déterminées, croyait ressentir les symptômes de l'enfantement. « Il s'alitait, dit Ferney, commandait la layette, pre- nait toutes les dispositions usitées en pareil cas, et mandait par télé- graphe le docteur Campbell. »

Le docteur arrivait. Inutile de dire que son intervention était pure- ment platonique, et que le malade accouchait par la simple opération.. . de son propre cerveau. La délivrance accomplie, on recherchait parmi les nouveau-nés du village, le plus intéressant et le plus nécessiteux ; on le présentait à lord Dud..., qui le choyait, le caressait, le dotait et une fois relevé découches n'y pensait pas plus qu'à sa première molaire.

La dernière fois que le noble lord fut en mal d'enfant, il n'y avait dans le pays que des mioches hors d'âge. Comment faire ? Le cas

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 265

était urgent. Passe un petit collégien en uniforme. On le hèle, on l'em- poigne, et, sans qu'il ait eu le temps de protester, on le dépose sur le lit de souffrance.

« Ah ! fît lord D... avec un soupir et tapant sur la joue du bon- homme, je m'explique pourquoi j'ai tant souffert... ce sont les bou- tons ! »

A part les cas miraculeux consignés dans les Ecritures, la grossesse tardive peut être considérée comme une variété de grossesse illusoire. En voici un exemple dont tous les journaux se sont occupés. Nous reproduisons le récit humoristique donné dans l' Union médicale par A. Latour, qui semble croire à l'authenticité du fait :

a On vient d'admettre à la Clinique de l'Ecole de médecine une femme de soixante-dix ans qui se trouve dans un état intéressant... pour la Faculté. Cette brave femme habite Garches. Elle se nomme la veuve T... Fortement imbue du principe que « le vin est le lait des vieillards » elle lève volontiers le coude, et il y a quelques six mois, à la suite de libations un peu plus prolongées que d'habitude, elle s'était assise sur le bord du chemin, attendant, pour rentrer chez elle, que sa demeure vint à passer.

« Un jeune homme de vingt-quatre ans, qui la connaissait, l'aperçut dans cet état et lui proposa de la reconduire. La veuve T... accepta, et, comme la nuit venait et que les bois ne sont pas sûrs, elle offrit en revanche à son galant chevalier l'hospitalité pour la nuit.

« Ce ne fut pas une nuit qu'il resta, mais quatre : il paraît que son audace avait été heureuse et qu'il avait retrouvé des trésors qu'on croyait perdus depuis longtemps... Bref, à sa grande stupéfaction, la Vénus septuagénaire se vit un jour obligée d'élargir sa ceinture...

« Une sage-femme qu'elle alla consulter, le médecin de Garches, appelé à son tour, ne purent que constater la chose : l'automne (et presque l'hiver) donnait les fruits qu'avait refusés le printemps.

« Bref, la belle amoureuse est à la Clinique, on la dorlote, on la choie, car le cas est des plus curieux... et les habitants de Garches attendent avec impatience le résultat... ils sont même disposés, le cas échéant, à contribuer aux frais de baptême et qui sait? aux dépenses de la noce : il faut des époux assortis. »

La vérité est que le Dr Tillaux, chirurgien de Beaujon, a constaté, dans le flanc droit de cette femme, la présence d'une tumeur volu- mineuse dépendante du foie ; ce qui est loin de ressembler à ce qu'on appelle dans les salles de garde « une hydropisie de neuf mois ».

Voies anormales. Les Anciens ne pouvaient admettre que

266 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

les divinités vinssent au monde comme le commun des mortels ; aussi font-ils sortir Bacchus de la cuisse de Jupiter, et Minerve de son cer- veau. Au moyen âge, la légende du chevalier Fanouël rappelle les mythes antiques : « Un jour qu'il avait coupé le fruit d'un arbre enchanté pour guérir des malades, il essuya sur sa cuisse le couteau dont il s'était servi. 0 prodige! le suc générateur s'introduisit dans la cuisse du chevalier; elle enfla graduellement; ce fut en vain que les plus habiles médecins furent consultés, nul ne put découvrir un remède. Au bout de neuf mois, la cuisse s'ouvrit ; il en sortit une char- mante petite fille ».

Certains médecins n'ont pas craint de renchérir sur ces inventions. Thomas Bartholin s'est distingué entre tous, en publiant son opus- cule: De insolitis parlûs humani viis (1664), au sujet d'un enfant qui, huit ans après la conception, sortit par un abcès développé à la région ombilicale de la mère. C'est un compendium de toutes les déviations possibles, et surtout impossibles, de l'expulsion fœtale. 11 faut même reconnaître que souvent la crédulité de Bartholin semble telle, qu'on regrette de ne pas trouver dans son étonnant ouvrage Y accouchement du Capucin qui rendit une vipère par l'urètre, cas plus que phéno- ménal, exposé dans la Bibliothèque choisie de médecine, et expliqué par ce fait que le bon religieux avait, en mangeant de la salade, avalé un œuf de vipère (1).

Voici d'abord le fœtus expulsé par la bouche. Une servante du

(1) Des œufs de vipères ! notre naturaliste oublie que ripera est une contraction de vhipara et que, par conséquent, vipère, signifie vivipare. Si l'homme aux œufs de vipère avait vécu au XIXe siècle, il aurait certainement adopté l'explication fan- taisiste que J. Civiale donnait sur le passage des haricots blancs dans la vessie par le torrent de la circulation. Cette superbe imagination amena un tel haro sur l'au- teur, qu'il fit acheter et détruire tous les exemplaires de l'édition il l'avait consi- gnée. Comme un hasard nous a fait dénicher la brochure incriminée, nous ne résis- tons pas au plaisir de reproduire ce document, bien qu'il touche fort peu à notre sujet :

« Il est extrêmement rare de trouver des gens qui confessent de bonne foi l'intro- duction de ces corps étrangers par l'urètre ; chacun estime plus commode de dire, et on ne manque pas de l'affirmer, qu'ils ont été avalés, et que l'on ne comprend pas comment ils sont parvenus dans cet organe. Instruit de ce stratagème, le prati- cien doit au moins savoir douter. Cependant les ouvrages contiennent des faits qui sembleraient prouver que des corps étrangers peuvent passer de l'estomac dans la vessie. Il est question, dans les Transactions pli ilosophiques, de deux balles de plomb avalées par suite de coliques, et qui furent rendues par l'urètre. Les Mémoires de la Société d'Edimbourg contiennent des exemples dans lesquels des aiguilles avalées auraient été trouvées dans la vessie. Au rapport de Pouteau, des haricots blancs auraient aussi passé de l'estomac dans la poche urinaire. Si les faits rapportés sont exacts. Ces coups suivent-ils le torrent de la circulation ?

J. Civiale. Nouvelles considérations sur la rétention d'urine, 1823,

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 2G7

marquis de Mondexar, élant en convalescence, vomit en chair et en os la valeur d'un enfant bien constitué. Comment s'opéra l'ascension ? Bartholin l'ignore : et cet aveu est la seule preuve de sens commun qu'il nous donne en ce passage. Fontecha et Rejes ont essayé des explications ingénieuses.

Ces cas rares, dont on connaît des exemples authentiques chez les animaux (1), peuvent s'expliquer à la rigueur par le développement du fœtus dans la cavité abdominale, et son expulsion par les voies supérieures après avoir perforé la paroi stomacale.

Maroldus, en 1699, digne émule de Bartholin, composa une longue dissertation sur ce sujet : De abortu per vomitum rejecto ; entre autres exemples merveilleux, il donne l'observation d'une paysanne de Reust, « âgée de 27 ans, qui en 1664, grosse de deux mois, vomit un fœtus environné d'un placenta. En 1665, elle vomit encore un œuf semblable au premier. En 1666, elle devint encore grosse pour la troisième fois ; tout alla bien jusqu'au troisième mois, mais les mêmes symptômes que précédemment se montrèrent, et, chose étrange, au lieu d'un fœtus entier, elle jeta par la bouche avec un placenta et un arrière- faix, des os entiers, des morceaux de chair, une tête et les autres membres d'un fœtus que l'on distinguait assez pour y reconnaître un véritable avortement. Elle mourut de pleurésie en 1667 (2) ».

Salmuth parle d'une femme qui vomit un fœtus humain de la lon- gueur d'un doigt. Le Parlement, informé du fait, le fit déterrer et ouvrir; on reconnut qu'il était normalement conformé. Cet auteur explique un autre cas de grossesse stomacale par l'absorption d'une certaine quantité de sperme.

Georges Wolkemer cite des cas analogues la conception se serait, d'après lui, faite par la bouche ; Jean Gunther a combattu cette opi- nion, le produit de la conception devant être digéré dans Festomac, comme on l'observe in Mis qui aliorurn semen voranl.

Dans les cas de grossesse extra-utérine, quelques fœtus sortent par le nombril (3), d'autres par les hypochondres, d'autres par les flancs,

(1) Aristote nous enseigne que la belette met bas par la gueule; Solin que les ibis, et Pline que les corbeaux pondent par le bec ; mais ce n'est pas à ces erreurs physiologiques que nous faisons allusion.

(2) A. Lempereur, loc cit.

(3) Le médecin Mathias Cornax raconte qu'en 15ir>, la Viennoise Marguerite Karlinger, femme de Georges Wolczer, déjà mère, ayant conçu de nouveau, sentit au jour de sainte Luce, de violentes douleurs. Malgré tous ses efforts, elle ne par- vint à évacuer que fragorem satis sonorum. Tendant quatre ans, elle vécut le ventre affreusement ballonné, les parties naturelles infectées de pus. A la région ombi- licale se produisit une fissure par s'écoulait une sanie purulente. Enfin trois chî-

2G8

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

d'autres par la vessie, d'autres enfin, sans préjugés ceux-là, par l'anus. C'est ainsi, qu'après une gestation de deux ans, accoucha la femme de Jérôme Bisaccioni, noble dame de la ville d'Insi ; et cela par faveur spéciale de Notre-Dame de Lorette! Les voies du ciel sont, sinon impénétrables, du moins parfois bien bizarres. Il est certain cependant qu'on a pu observer l'expulsion du fœtus vivant par l'anus, chez certaines femmes atteintes d'un vice de conformation, faisant ouvrir le vagin dans la partie inférieure du gros intestin : en ce cas, il n'y a pas d'orifice vulvaire, et règles, matières fécales et fœtus pren- nent la même voie pour sortir à l'extérieur.

Fie 123. Schéma de la conformation nor- male : A. Vessie. B. Utérus. C. Vagin. D. Rectum.

Fig. 124. Vice de conformation du vagin> C, s'ouvrant dans le rectum, D.

Le Dr Lefort, dans sa thèse sur les Vices de conformation de l'uté- rus et du vagin, rapporte le cas que Louis a rendu célèbre : Une jeune fille avait les organes de la génération cachés par une imper- foration qui ne permettait aucune introduction. Cette femme fut réglée par l'anus. Son amant, devenu très pressant..., la supplia de s'unir à elle par la seule voie qui fut praticable. Bientôt elle devint mère. L'accouchement à terme d'un enfant bien conformé eut lieu par l'anus. Louis rapportait ce cas à la fin de sa thèse ayant pour titre : De par- tium externarum generationi inserventium in mulieribus, etc. Le

rurgiens, Wirt, Dirlewang, Winckler, et deux médecins, Jean Enzianer et le grand Cornax lui-même, résolurent de lui ouvrir le ventre. La section opérée, on retira un fœtus en pourriture. La mère guérit.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

269

Parlement rendit un arrêt par lequel il défendait de soutenir cette thèse; la Sorbonne interdit Louis à cause de cette question qu'il adressait aux casuistes : In uxore, sic disposita, uti fas sit, vel non, judicent theologi morales ? Heureusement le pape Benoît XIV (1) donna l'absolution à Louis, dont la thèse fut imprimée en 1754.

Le cas de Louis n'est pas isolé, Barbaut en cite plusieurs autres dans son Traité d'accouchements.

Opération Césarienne. Parmi les voies anormales de i'ac-

Fic. 125. Une opération césarienne au XVIII» siècle, d'après Jean Seultet, 1712.

couchement, la moins rare est encore l'opération césarienne; on sait qu'elle consiste à ouvrir l'abdomen et la matrice de la mère, quand il n'est plus possible d'introduire par les voies naturelles les instru-

(1) Ce pape pensait avec les PP. Cucufe et Tournemine qu'une fille, privée de la vulve, devait trouver dans l'anus le moyen de remplir le vœu de la reproduction. Pougens étend cette décision et pense que les jeunes femmes stériles devaient ten- ter les deux voies pour s'assurer de la véritable route de la propagation . Mais alors, comme le fait remarquer le Dr Roubaud, Pougens répudie cette maxime de la sa- gesse des nations : Dans le doute, abstiens-toi.

270 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ments nécessaires au morcellement du fœtus ; par exemple, dans les cas de rétrécissements du bassin (fig. 126) ou lorsque, la mère étant morte en couches, on veut essayer de sauver l'enfant.

Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit ailleurs à pro- pos de cette opération; nous en avons déjà cité les exemples mytholo- giques (1); les exemples historiques viendront dans les Accouche- ments à la Cour. Nous avons établi la doctrine du clergé à son sujet, et rappelé les discussions médicales qu'elle souleva (2). Nous noterons seulement qu'une lexregia, mise sous le nom de Numa, or- donnait d'ouvrir toutes les femmes qui mouraient enceintes « afin de conserver des citoyens à l'Etat ». Guillemeau rapporte une autre loi des Anciens, d'après laquelle les jurisconsultes condamnaient à mort « celuy qui aura ensevely la femme grosse devant que de luy tirer son enfant, pour lui avoir oslé (avec la mère) l'espérance de vivre ». Jusqu'au XVIe siècle, l'opération n'était pratiquée qu'après la mort de la femme. Suivant Bauhin (3), ce fut en l'an 1500 que Jacques Nufer, châtreurd'un village de Thurgovie,la pratiqua sur une femme vivante : c'était sa propre épouse, Elisabeth Alespachin. Voici l'his- toire : « Elisabeth étant à terme et sentant depuis quelques jours des douleurs pour accoucher, fit venir treize sages-femmes et quelques lithothomistes pour la soulager; toutes leurs tentatives furent inu- tiles. Gomme les douleurs augmentaient sans qu'elle put obtenir de soulagement, son mari lui dit que si elle avait confiance en lui, il tenterait une opération, qui, avec la grâce de Dieu, pourrait réussir. Elisabeth accepta la proposition. Le mari demanda au magistrat l'autorisation d'entreprendre cette opération. Après quelques hésita- tions et en présence du danger que courait sa femme, la permission lui fut accordée. En rentrant, il prévint les sages-femmes de sa ré- solution et pria les plus courageuses de l'assister, deux seules restè- rent avec les lithotomistes. La femme fut étendue sur une table, le mari incisa l'abdomen, comme s'il se fut agi d'un porc, et du premier coup il en tira l'enfant. « Les onze sages-femmes qui étaient à la porte, ayant ouï crier l'enfant, souhaitaient fort d'y être, mais elles n'y purent entrer qu'après que l'enfant eut été nettoyé et la playe cousue, suivant la manière dont il cousoit les animaux. » La femme se rétablit heureusement et accoucha heureusement de deux jumeaux l'année suivante. »

(1) V. page 21.

(2) V. page 148.

(3) Gaspari Bauhini. Aj)j)end'uv ad Iïoussctum.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

271

Nous allons citer quelques curiosités gastrotomiques. Commençons par l'histoire, tant soit peu fantaisiste, de François de Cirile, gentil- homme Normand, en 1536. La mère était morte enceinte, pendant

Fie. 12G. Marie Depleix, 25 ans, rétrécissement du détroit inférieur de 4 centimètres, opéréo à la Maternité en 1881.

l'absence de son mari ; on l'avait enterrée sans songer à tirer l'enfant par l'opération césarienne. Un peu après les funérailles, arrive le mari qui apprend avec surprise la mort de sa femme, et s'indigne de

272 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

la négligence qu'on a montrée pour le fruit qu'elle portait. Il fait exhumer le cadavre; on l'ouvre et l'on en tire François de Cirile en- core vivant. Ce ne fut pas la seule chance de ce genre qu'eut François de Cirile. En 1562, au siège de Rouen, par Charles IX, il était ca- pitaine, il fut laissé pour mort dans un fossé; son valet le reconnut au diamant qu'il portait au doigt et le ramena à la vie. Sur ces entre- faites, la ville est prise d'assaut et le bruit est tel que François de Cirile perd de nouveau connaissance. On le jette sur un tas de fumier comme mort. Cependant, il donne encore quelques signes de vie et, avec de grands soins, recouvre la santé. D'Aubigné dit qu'il l'a vu souvent aux assemblées nationales, député de Normandie, à l'âge de soixante-six ans, et qu'il signait toujours : François de Cirile, trois fois mort, trois fois enterré, et trois fois, par la grâce de Dieu, res- suscité (l).

L'histoire suivante est intéressante en ce qu'elle fut le sujet d'un dessin de Jean Cousin à la date de 1582 (fig. 127). En voici les détails : Colombe C..., femme d'un tailleur de Sens, âgée de 28 ans, éprouva pendant l'année tous les symptômes de la grossesse ; au neuvième mois elle ressentit les douleurs ordinaires de l'accouchement, perdit les eaux, puis un gros caillot sanguin, et ce fut tout. Bientôt ses ma- melles s'affaissèrent, les mouvements de l'enfant se suspendirent, et les douleurs se calmèrent peu à peu, mais elle garda le ventre d'une femme enceinte; elle mourut à l'âge de 68 ans. Sa grossesse avait duré quarante ans.

Après sa mort, l'autopsie fut faite par des hommes de l'art; Jean Albosius (d'Alibourg, médecin de Henri IV) nous en a conservé les détails, attestés par six témoins oculaires; trois médecins, deux chi- rurgiens, un apothicaire. On trouva un enfant du sexe féminin dont les pieds et les mains étaient durs comme du marbre ou de l'ivoire, et dont les enveloppes, comme testacées, résistaient au scalpel.

Voici le texte de cette curieuse observation d'un fœtus réduit à l'état de pétrification, qui serait resté quarante ans dans V utérus de sa mère (2).

(1) Le fameux Andréa Doria qui vint au monde par l'opération césarienne, disait gaiement à ses amis qu'il ne pouvait mourir puisqu'il n'était pas né. G. Millot, loc. cit.

(2) Ce fœtus fut vu plus tard par Louise Bourgeois, sage-femme de la reine, ce II estoit )), dit-elle, « entre les mains d'un notable marchant de ceste ville, nommé Pretesegle, homme fort curieux de choses rares. 11 manque une main, laquelle de- meura adhérente à l'arrière-faix, lequel estoit aussi réduit en pierre comme le corps. ); Il passa en 1G53 dans le cabinet du roi de Danemark, et ne fut plus dési- gué désormais que sous le nom de fœtus MôsniensiSi

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

273

Quibus, dissecto mulieris abdomine, et rejecto infra peritonseo, utérus sese offert, aspectu quidem rugosus et versicolor, ut crista illa pendilla, quse gallis indicis ex summo capite prolabitur, velpotius ut

Fio. 127.

Extraction du fœtus hors la matrice de sa mère. Fac-aimile d'une gravure de J. Cousin, 18J2 (1).

operimentum illud cutaneum quod illorum collum ambit Tactu autem durus, testaceus et crassus instar twv oarpaxoSepjAcov. Tunx nova- culam in portentosam illam molem et gypseam injiciunt, qua ad aciem cultelli renitente, scalprum altius adigunt. Eorum autem aiter

(I) Elle figure trois diverses positions dudit enfant.

A. Figure et assiette de l'enfant en la matrice delà mère. B. L'enfant tiré hors la matrice avec portion d'icelle et avec ses tayes. C. Le petit corps estant enve- loppé de ses tayes et estendu en telle dimension qu'on a peu.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

274 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

inflicto casu in cranium vulnere et in aliquot costas, tandem hume- rum dextrum impetit, a quo erumpens ossis caput, certissimam fecit fidem ossium illic latitantium. Ex quo scalpellum alio transferunt, et magna vi, sensim tamen et recta, uterum sécant, diductisque duris- simis vulneris labris, infayitem in orbem implicitum et ex transverso in uteripositum, introspiciunt in penitissimo sinu et altissimis late- bris stabulantem, in suamque veluti cystim quam allantoïdem tuni- cam fuisse puto, callosissimam reconditum.

Utérus ipse, prsecipuè ad coxam dextram, ad nates, et ad partem spinse dorsi cum cute infantuli omnino coalescebat.

Ossa capitis tenuia quidem, sed firma, et instar cornu nitentia, cute capitis multis in locis pilosa.

Après qu'on eut ouvert l'abdomen de la femme et repoussé en bas le péritoine, l'utérus apparut d'un aspect rugueux et de couleur rougeâtre, comme cette caroncule qui pend du haut de la tête des coqs d'Inde, ou plutôt cette membrane cutanée qui leur enveloppe le cou; au toucher, il était dur, testacé, épais comme une coquille d'huître. Les médecins essayent d'enfoncer le scalpel dans cette matière étrange etgypseuse, elle résiste et ils portent l'instrument plus haut. L'un d'eux ayant par hasard donné un coup sur le crâne et les côtes, atteignit enfin l'humérus droit dont la tête, en se montrant, les convainquit delà présence certaine d'os cachés en cet endroit. Ils portèrent donc le scalpel autre part et à grande peine, mais en opérant graduellement et en ligne droite, parvinrent à fendre l'utérus ; écartant les bords, qui étaieut très durs, ils virent alors le foetus ployé en rond et placé en travers dans l'utérus, reposant tout au fond et renfermé comme dans un kyste, que je suppose être la mem- brane allantoïde, devenue extrêmement calleuse.

L'utérus lui-même, surtout vers la cuisse droite, les fesses et une partie de l'épine dorsale, adhérait complètement à la peau du fœtus.

Les os de la tête étaient minces, mais résistants, et brillants comme de la corne, la peau du crâne poilue en maints endroits.

Au siècle suivant, on cite le fœtus pétrifié de Pont-à-Mousson, qui eut l'idée originale, au dire de Bartholin, de quitter l'utérus, son ha- bitacle naturel, pour émigrer dans l'abdomen maternel il séjourna six lustres ou trente ans. Il s'agit d'un fœtus enkysté, suite de grossesse extra -utérine (1).

On peut rapporter d'autres exemples analogues. Richard-Brown

(1) Cette grossesse extra-utérine suscita les plus vives controverses. Guy Patin nie la réalité du fait « qui n'est qu'une pure fable d'Esope, car aucune conception ne peut se faire en dehors de l'utérus. Eryo, ou c'est un produit de l'utérus, ou ce n'est pas un fœtus ».

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 275

Cheston, médecin de l'hôpital de Glocester, a publié en 1814 YHistoire d'un enfant retenu clans le sein maternel cinquante-deux ans au delà du temps ordinaire de la grossesse. Nous avons relevé également au Père-Lachaise l'épitaphe suivante :

ICI REPOSE

Mme MARIE-MAGDELEINE MILCENT,

ÉPOUSE DE Mr ETIENNE FOURNIER,

DÉCÉDÉE LE 10 MARS 1824,

ÂGÉE DE TRENTE-HUIT ANS.

ELLE FUT LE MODÈLE DES ÉPOUSES

ET LA PLUS SINCÈRE DES AMIES.

SA MORT FUT ACCÉLÉRÉE PAR DE LONGUES SOUFFRANCES

QU'ELLE SUPPORTA AVEC COURAGE.

SA DOUCEUR ET SA BONTÉ L'AVAIENT RENDUE CHÈRE

A TOUS LES MALHEUREUX

ELLE A PORTÉ DANS SON SEIN

UN ENFANT DOUZE MOIS VIVANT ET SEPT ANS MORT,

AINSI QUE L'ONT CONSTATÉ, APRÈS SON DÉCÈS,

LES DOCTEURS DUBOIS ET BÉLIVIER,

SES MÉDECINS, QUI ONT RETIRÉ CET ENFANT

BIEN CONFORMÉ ET PARFAITEMENT CONSERVÉ.

REPOSE EN PAIX, OMBRE CHÉRIE,

LES LARMES DE TON ÉPOUX ET CELLES DE TA FAMILLE

COULERONT SUR TA TOMBE JUSQU'AU MOMENT

OU ILS VIENDRONT TE REJOINDRE.

De toutes les opérations césariennes, les plus singulières assuré- ment sont celles que des taureaux ont opérées à coup de cornes. A Saardam, cette ville de Hollande Pierre-le-Grand, sous le nom de Mikhaïlov, vint apprendre la construction des navires, il existe une église réformée dite du Taureau. Ce nom s'explique par un tableau placé au fond du chœur (ûg. 128). Cny voit un taureau furieux qui, sur ses cornes, enlève une femme grosse : au même instant, la femme accouche et retombe avec son enfant. Ce dernier aurait vécu un mois, et la mère serait morte au bout de trente-six heures.

Une Normande de la Frenaye fut plus heureuse : opérée acciden- tellement d'un coup de corne, elle se rétablit au bout de six semaines. Le chirurgien Desault rapporte un fait analogue qui serait arrivé à

276

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 277

Saint-Sébastien, pendant un combat de taureaux. Voici comment Sa- combe raconte l'anecdote :

L'aventure est plaisante, et l'on dirait d'un conte, Mais le fait est constant; que je te le raconte, Tel que l'a rapporté Desault le chirurgien.

Vers l'Ibère, en un lieu nommé Saint-Sébastien, Une femme assistait, à neuf mois de grossesse, Au combat de taureaux. On se foule, on se presse, L'amphithéâtre croule, et soudain renversés, Roulent les spectateurs, l'un sur l'autre entassés; Effrayée, expirante, au milieu de l'enceinte, Sur les morts, les mourans tombe la femme enceinte. Epouvanté des cris, poussés par tant de voix, Un Taureau furieux (c'est celui que tu vois), Vole, se précipite, et franchissant la borne, Fond sur la femme enceinte, et d'un seul coup de corne, Perce ses vêtements, fend son ventre et son sein, Le fétus sort vivant, sans franchir le bassin; Et sa mère.... ô prodige! après cette aventure, N'eût besoin que de vin et d'un point de suture.

A l'éloge de Sacombe, reconnaissons qu'il se montre sceptique :

De tels faits opposés aux lois de la nature Ont été, je le sens, forgés par l'imposture.

Les vers valent peu de chose, mais l'idée en est sage. Citons, pour terminer, un cas curieux d'opération césarienne prati- quée par la patiente elle-même, avec un plein succès. Les journaux

(I) Cette curieuse gravure porte l'inscription suivante :

Sîet Iwc dat de Vl'ujer hier,

Yervveelit de boosheyt inde Stier,

!](/«>• (hier int derji van Sardam,

DaarManen Vrou oint leven que m.

Aansiet het vvrede dier door syn natuur gedreven,

Die man, en vrou en liïnt seer haaftig brengt omt teven.

Voyez comment un cerf-volant

Excite la colère d'un taureau,

Dans le village de Sardam,

Et coûta la vie à un homme et à une femme.

Regardez cet animal féroce, poussé par sa nature,

Tuant à la fois l'homme, la femme et l'enfant.

278 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

l'ont publié sous la rubrique « Y Infanticide de Viterbe)). Nous repro- duisons le récit du Temps :

« Un fait probablement uniquedans les annales de la pathologie vient de se produire près de Viterbe, dans la campagne romaine ; fait si surprenant on peut dire si monstrueux que nous, hésiterions à en parler s'il n'avait d'abord été constaté par un journal que sa haute position scientifique met au-dessus du soupçon, la Gazzetta degli ospitali, et attesté ensuite dans les colonnes de the Lancet, par deux médecins distingués, les docteurs R. Baliva et A. Serpieri. Il s'agit d'une jeune paysanne qui a perpétré sur elle-même, au neuvième mois de sa grossesse, l'épouvantable opération césarienne, qui a sur- vécu à cette opération et qui est maintenant entièrement rétablie après quarante jours de traitement. Les détails de l'affaire sont peut-être plus extraordinaires encore que la chose elle-même.

« Voici comment la content les deux médecins précités, dans une lettre qu'ils adressent au journal médical anglais :

« Viterbe, 15 mai 1886.

« Nous vous donnons, selon votre désir, le récit de l'opération cé- sarienne que la nommée N... A..., de Viterbe, a pratiquée sur elle- même le 28 mars dernier. C'est une paysanne de vingt-trois ans, de petite taille (1 m. 40 c), de tempérament lymphatique et de constitu- tion délicate. Elle se trouvait au neuvième mois d'une grossesse qui était pour ses voisins un sujet continuel de médisance, pour ses maî- tres et sa famille un sujet grandissant de colère. Ces causes l'ame- nèrent, le 28 mars, à trois heures du matin, à une résolution extrême. Elle prit un couteau de cuisine et s'ouvrit l'abdomen. La blessure était linéaire, mais quelque peu hachée (le couteau coupant mal), longue de 12 centimètres, dirigée de l'ombilic vers la région iliaque droite et de dehors en dedans. C'est par cette plaie profonde que la malheureuse fît elle-même l'extraction d'un enfant mâle pesant 1 ki- logramme 900 grammes. Ainsi que l'examen nécroscopique l'a dé- montré, cet enfant était mort avant d'avoir respiré; il avait la tête séparée du tronc entre la dernière et l'avant-dernière vertèbre cervi- cale et de profondes blessures au thorax... L'opération achevée, la patiente se banda le corps avec une serviette, de manière à rappro- cher les bords de la plaie et à contenir les intestins qui tendaient à s'échapper.

« Puis, vers cinq heures deux heures à peine après l'opération elle se leva, s'habilla et partit à pied pour Viterbe : la dislance est d'un kilomètre environ. elle se rendit chez sa sœur, ne lui dit rien

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 279

de ce qui venait de se passer et déjeuna d'une tasse de bouillon, d'un peu de café et de pain, après quoi elle sortit pour se promener par la ville, dans le but spécial de se montrer, dit-elle, et de mettre un terme aux bavardages dont sa grossesse était l'occasion. Enfin, vers dix heu- res, toujours à pied, elle revint chez elle. Mais ses forces la tra- hirent : elle fut prise de douleurs intolérables et de vomissements et finit par tomber évanouie; le bandage qui contenait ses intestins s'é- tait dérangé ; la masse presque tout entière faisait hernie hors de son abdomen. C'est seulement vers onze heures que la famille, constatant l'état des choses, se décida à envoyer chercher le médecin.

« Suit le détail du traitement. La hernie fut réduite, les bords de la plaie furent réunis, un tube de drainage laissé dans la blessure. Une péritonite partielle éclata, mais sans accidents graves. Les mé- decins attirés par l'étrangeté du cas s'occupèrent surtout d'assurer la bonne ventilation de la chambre gisait la malade et de l'entourer de la propreté la plus méticuleuse. Tout marcha à souhait. Le vingt- cinquième jour, la blessure n'était plus que superficielle et réduite à six centimètres de long; le quarantième jour, la cicatrisation était complète. La malade est maintenant complètement rétablie et vaque à ses occupations habituelles, mais en restant à la disposition de la justice, qui lui demandera probablement compte de son acte. »

N'est-ce pas le cas d'appliquer à cette narration le proverbe qui nous vient du même pays : Se non è vero, è bene trovato ?

Accouchements post mortem. Dans son Embryologie sacrée, l'abbé Dinouart nous en cite un cas :

« François Arevalle de Ségovie étoit allé dans un paiis éloigné. Son épouse meurt : on envoie un Courier lui annoncer cette mort; il se met aussitôt en route, il arrive tard, son épouse étoit déjà inhumée. Dans l'excès de sa douleur, son amour lui inspire d'ordonner qu'on l'exhume, et qu'on apporte son cercueil en sa présence, persuadé que ce spectacle le consolera dans sa douleur. On consent à sa demande, et le Ciel dans ce moment lui présente l'objet de la joie la plus sen- sible. Il considère le corps; et au mouvement qu'on remarque dans le ventre, et à certains cris sourds, on s'apperçoit que la défunte ac- couche; on examine, et on voit un enfant dont la tête étoit déjà sortie. On le retira, il vécut, et gouverna dans la suite des temps la Province qui lui fut confiée. »

Une aventure analogue arriva à la baronne de Panât à la suite d'une mort apparente :

« Le baron de Panât était un gentilhomme huguenot d'auprès de

280

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Montpellier, de qui on disait : « Lou baron de Panât, plus tôt mort que nat, » c'est-à-dire, plus tôt mort que : car on raconte que sa mère, grosse depuis près de neuf mois, mangeant du hachis, avala un petit os qui, lui ayant bouché le conduit de la respiration, la fit passer pour morte ; qu'elle fut enterrée avec des bagues aux doigts ; qu'une servante et un valet la déterrèrent de nuit pour avoir ses bagues, et que la servante, se ressouvenant d'en avoir été maltraitée, lui donna quelques coups de poing, par hasard, sur la nuque du cou, et que les coups ayant débouché son gosier, elle commença à respirer, et que quelque temps après elle accoucha de lui, qui, pour avoir été miraculeusement sauvé, n'en fut pas plus homme de bien, au con- traire. »

Monstruosités humaines. Notre chapitre ne serait pas complet si nous ne disions un mot des monstruosités humaines. On

Fig. 129. Cynocéphale, d'aDres Aldrovandi.

sait ce qu'il faut penser, à cet égard, de la crédulité des Anciens : les monstres mythiques (1), dont nous avons déjà parlé et auxquels

(1) V. page 23.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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nous ne reviendrons qu'incidemment, nous en ont déjà donné une idée suffisante. Dans Pline, dans Aulu-Gelle, dans Tacite lui-même, il est question de peuples extravagants, habitant l'Inde, l'Afrique, la Sar- matie. Il est possible que tous ces contes aient été inspirés par la connaissance de certains cas tératologiques. Ainsi, on parle souvent, dans l'antiquité, de cynocéphales ou hommes à tête de chien (fig. 129). Or, en 1875, chacun de nous a pu voir le paysan russe Adrien Jefti-

Fig. 130. Adrien Jeflichjew, dit t l'homme-chien •, et son fils Fédor.

chjew (fig. 130) dit l'homme-chien, dont la tête, en effet, rappelait celle d'un griffon au poil brun roussâtre ; il était accompagné de son fils, Fédor, présentant le même aspect. Adrien et Fédor étaient tous deux horriblement laids; leur laideur était cependant surpassée par celle de Julia Kostroma (fig. 131), la femme à barbe qu'exhibaient les Folies-Bergère. Nous nous rappelons avoir vu, dans notre enfance, le corps à moitié

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

plongé dans un baquet, d'une femme-poisson (1). Ce pasliche des antiques sirènes (fig. 132, 133) n'était probablement qu'un cas de sirénomclie (fîg. 134, 13o) ou fusion des membres inférieurs. Cette môme monstruosité a peut-être donné l'idée dos monocoles ou hommes à une seule jambe dont parle Aulu-Gelle, des sciapodes (fig. 137) dont

Fig. 131. Julia Kostroma.

le nom signifie que, de leur pied unique, ils pouvaient, comme d'une ombrelle, s'abriter contre les rayons du soleil; ce que n'aurait pu faire même Berthe aux grands pieds. Les sirènes ne sont pas la seule conception mythologique qu'on puisse justifier par quelque monstruo- sité. Le poil et les cornes des satyres, l'arrière-train des centaures (fig. 139, 140), lescyclopes, tout cela se retrouve non seulement dans les gravures fantaisistes de Schedel, mais encore dans les atlas térato- logiques sérieux.

(1) On parle dans l'Histoire du Portugal d'une pêche d'hommes marins au cap de Comorin, dont une femme et une fille furent envoyées au roi Emmanuel.

Au XVIII' siècle, on ajoutait encore foi à cette fable ; il est vrai que le nôtre, n'a rien à envier au précédent ; n'avons-nous pas vu le Constitutionnel faire avaler à ses abonnés, non pas des couleuvres, mais le fameux serpent do mer?

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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Gomme exemples de surabondance pileuse, nous avons l'homme chien et son fils, cités plus haut; les innombrables femmes à barbe,

Fig. 132. Sirènes, d'après Aldrovandi.

orgueil de nos baraques foraines, et tout récemment la jeune Krao (1) dont le corps est couvert de poils soyeux. Au dire de son barnum,

Fig. 133. Sirène allaitant son enfant. Fig. 134. Sirénomélie, d'après Cruveiihier.

(1) Krao signifie singe, en Siamois.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

cette Siamoise appartiendrait à une tribu vivant dans les forêts du Laos et formant, d'après la genèse darwinienne, les chaînons naturels qui relient l'homme au singe.

Fig. 135. Autre cas de Siréaomélie.

La figure 141, tirée du Musée préhistorique de M. de Mortillet, semble donner quelque vraisemblance à cette théorie : il s'agit d'une

Fig. 136, 137. Monstres de Pline, d'après la Chron. de Schedel (Nuremberg, 1493).

femme enceinte, gravée sur os ; elle est nue, son ventre et ses flancs sont recouverts de poils ; on peut donc en conclure, ainsi que d'autres

Fig. 138, 139. Monstres de Pline, d'après la Chron. Fig. 140. La Centauresse et son de Schedel. petit. Camée antique.

dessins du même âge, qu'à l'époque du renne, dont on voit deux

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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jambes gravées au-dessous de la femme, la population était très

Fig. 141. Pièce osseuse trouvée à Laugorie-Basse, commune de Tayac (Dordogne). Collection

Ed. Piette.

velue. Le nœvus pileux (fig. 142) peut aussi recouvrir de poils une

lie. 1 12. Nœvus pileux couvrant une partie du corps. Les poils se dirigent presque tous de haut en lias et de dehors en dedans ; une tumeur cutanée existe entre les deux épaules et à la région dos fesses.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

partie plus ou moins étendue du corps et donner à la peau l'aspect simiesque que présentait celle de Jacob. La femme tigresse qui se montrait dans les foires devait son nom à une anomalie semblable. Ces nœvi pigmentaires poilus ne sont d'ailleurs pas rares. Alibert raconte l'histoire d'une jeune fille qui portait sur le ventre une large plaque couverte de poils noirs et drus ; elle se maria sans en prévenir son fiancé, mais le soir de ses noces le mari fut si désagréablement surpris de cette particularité qu'il demanda le divorce et l'obtint.

Les hommes cornus ne sont pas non plus un mythe ; même parmi les femmes, on cite la veuve Dimanche (fig. 143), comme le plus beau

Fig. 143. La veuve Dimanche.

spécimen du genre. La jument hydrocéphale (fig. 144), née au 10" régi- ment de chasseurs et offerte par le major Fabre au musée de Limoges, pourrait assurément passer pour un centaure (1).

Nous retrouvons la conception descyclopes dans cette monstruosité justement nommée cyclocéphalie (fig. 145).

(1) D'après Suétone, les pieds du cheval de Jules-César étaient pourvus d'or- teils, et les Augures virent dans cette anomalie la preuve crue le cavalier serait nommé empereur.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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Il n'est pas jusqu'à des attributs évidemment symboliques qu'on ne retrouve chez certains êtres sous forme de cas tératologique. Tout le monde connaît l'Artémise Ephésienne et ses innombrables ma- melles (fig. 39) ; or les mamelles supplémentaires ne sont pas rares. Le docteur Robert, de Marseille, a observé une mamelle supplé-

Fig. 144. Jument hydrocéphale.

mentaire sur la cuisse gauche d'une femme. Son enfant a teté cette mamelle pendant vingt-trois mois, alorsqu'un nourrisson s'allaitait aux seins normaux. Adrien de Jussieua publié l'observation d'une femme qui avait une mamelle supplémentaire dans l'aine, et c'était celle qui servait d'ordinaire à l'allaitement. Nous avons vu à l'hôpital Saint- Louis, dans le service du Dr Porak (salle Paul Dubois), une femme

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Fig. 146. Mamelle supplémentaire sur la cuisse.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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affectée d'hypertrophie mammaire présentant, en outre, sous le sein gauche, une mamelle supplémentaire qui donnait du lait (fig. 147, 148). Les Anciens connaissaient aussi l'hypertrophie mammaire, témoin ce monstre étrusque avec les tétines pendantes, que nous trouvons reproduit dans Y Antiquité de Mesnard.

Fig. 147. Hypertrophie des seins.

Il en est de même du Janus bifrons; la tératologie a, en effet, dans son musée les monstres janiceps (fig. 150, 151, 152) qui, comme onle voit, tirent leur nom de l'ancienne divinité latine. Notre vieux roman d'Alexandre suppose que le héros grec rencontra, tandis qu'il guer- royait aux Indes, des monstres à six mains (fig. 153) ; si les mains trifurquées sont rares, les bifurquées (fig. 154) le sont beaucoup

H1ST01I\E DES ACCOUCHEMENTS.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

moins. Il en est de môme des doigts surnuméraires (1) (fig. 155), bifur- ques (fîg. 15G), hypertrophiés (fig. 157) et palmés (fig. 158) ; ce dernier cas pourrait à la rigueur expliquer le canard mis au monde par la

Fig. HS. Mamelle supplémentaire sous le sein hypertrophié,

reine Berthe. Les enfantements de crapauds, de singes, d'éléphants, peuvent trouver leur explication dans une vague ressemblance du crapaud avec les anencéphales (fig. 159, 160), du singe avec certains monstres aux membres supérieurs allongés (fig. 161), de l'éléphant (fig. 162; avec les rhinocéphales (fig. 163). Assurément le monstre

(1) Léonard de Vinci nous oflïe un exemple de cette malformation dans son chef-d'œuvre de la Cène, l'un des apôtres présente une main ayant six doigts. Michel-Ange, dans son Jugement dernier, a eu la même fantaisie.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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Fig. 149. Monstre étiuSjUj

Fig. 150. Monstre janieeps, d'après Is. G. do St-Hilaire.

Fig. 151. Autre monstre jauioeps.

Fig. 1P2. Autre \ariété de monstre janieeps communiqué par le professeur Depaul.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Fig. 153. « Comment Alexandre se bataille as porcs qui ont grans dens d'un code de long, et a homes et femes sauvages qui ont VI mains ». Miniature d*un man. du XIIIe siècle, 'n° HOiO. Bibl. de Bourgogne.

Fig. 154. Main bifurqué

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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représenté (fig. 164) est de pure fantaisie; il n'en est pas moins vrai que, dans les vitrines du musée Dupuytren, on peut voir la repro-

Fig. 155. Doigt surnuméraire. Fig. 156. Pouce bifurqué. Fig. 157. Doigt hypertrophié, (Musée Dupuytren). d'après Curling.

duction en bois du monstre indien connu sous le nom de nosencéphale de Pondichéry, lequel ressemble à un tigre.

Fig. 158. Doigts palmés.

Fig. 159. Aneni'éphalo.

La présence d'un petit appendice à la région sacrée (fig. 165), a donné l'i.lée des hommes à queue. On sait que des voyageurs ont

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Fie 1G0. Momie d'ancncéphale apportée d'Egypte Fig. 161. Monstre ressemblant à un singe, par M. Pavsalacqua, en 1826, et prise par les d'après Ahlfeld.

Egyptiens pour un singe.

Fig. 162. Monstre à tMe d'éléphant, d'après Palfyn.

Fig. 163. F.hinocepliale, d'après Is. G. St-IIilaire.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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même affirmé que les Niams-Niams, dans l'Afrique orientale, étaient pourvus de cet ornement : mais ces observateurs, quelque peu super-

Fig. 1G4. Monstre à crinière de lion, d'après Palfyn.

fieiels, avaient pris une lanière de cuir pour un appendice caudal naturel (fîg. 1G6). Il faut cependant avouer que dans la galerie tératologique des

Fîg. 1G5. Monstre présentant un double appendice caudal, d'après A. Guérin.

Fie. 166. Niam-Niam.

auteurs anciens, Schedel, Rueff, A. Paré, Liceti, Aldrovandi et Pfafyn, qui se sont tous copiés, il figure bon nombre de monstres qui

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

n'ont jamais existé que clans leur imagination : tels sont ceux, qu'à

Fig. 107. Monstre marin ressemblant à un moine.

Fig. 16S. Ornitanthropos.

Fic.lGO. Fœtus double, l'un blanc, l'autre n'^gre. Fig. 170. Fœ'us lu main accolé àunloup.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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titre de curiosité, nous reproduisons ci-contre (fig. 167, 168, 169, 170, 171,172, 173,174, 175, 176).

Fig. 171. Enfant avec les jambes d'une chèvre. Fig. 172. Chat avec deux jambes humaines.

La figure 176 est le fac-similé d'une vieille gravure de 1658 qui

Fig. 173. Monstre sans tête avec une Fie. 17). Monstre a deux pattes

trompe dans le dos. et j lusieurs têtes.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

porte la légende suivante, dont nous respectons l'orthographe : « Voicy la figure d'un monstre, trouvé dans l'isle de Madagascar, en Afrique, par un capitaine d'un vaisseau de Monsieur le Mareschal de la Meilleraye. Il est aprésen à Nantes en Bretagne, et seras bientôt à Paris. Ce monstre est d'un naturel doux et traiclable, qui parle un

Fig. 175. Monstre à ttîto de canard.

Fig. 176. Monstre à tiltc de «rue.

certain langage que l'on ne comprend point. On lui a apris à faire le signe de la croix; et l'on a consulté des docteurs en théologie et en médecine, pour scavoir si on lui peut donner le baptême. Ils ont ordonné qu'il seroit instruict pendant 4 mois, et si on trouvoit qu'il raisonna, qu'on le pourroit baptiser ».

Sortons de la fantaisie et rentrons dans la réalité : la réalité térato- logique est d'ailleurs assez extraordinaire. Quand un œuf contient deux germes qui se fusionnent ou s'accolent par un point quelconque du corps, il donne lieu à des monstres à une tête sur deux troncs (fig. 177) ; à deux ou trois têtes sur un seul tronc (ûg. 178, 179, 180) : à deux troncs sur uneseule paire de membres inférieurs (fig. 181, 182),

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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à des] fœtus réunis soit par la tète (flg. 183, 184); soit parle périnée

Fie. 177. Monstre à une tête sur deux tronc d'après A. Paré.

Fia. 178. Monstre à deux têtes sur un seul trône, d'après A. Paré.

SMVA?

Fie. 179. Dieéphale à plusieurs bras. FlO. 180. Tricéphale, d'après Alilfeld.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

(fig. 185) ; soit par le tronc (fîg. 186, 187), comme l'étaient les frères Siamois, Chang et Eng (fig.188, 189), et Rita-Christina (fig. 190) ;

Fig. 181. Dicéphale à deux jambes.

soit par les reins, à l'exemple de Millie-Christine (fig. 191), et le monstre bifemelle (fig. 192, 193), à Mazères (Ariège) et observé

C-UV-féSl

Fig. 182. Autre variété de dioéphale à deux jambes, d'après Ahlfeld.

par les docteurs Joly et Peyrat; soit encore par les fesses, à la façon des sœurs hongroises Jlélène et Judith (fig. 204) que Pope a chantées.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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Fig. 1S3. Monstre céphalopage.

Fig. 184. Monstres soudés, à angle droit, par l'occiput, d'après Ahlfeld.

Fig. 185. Monstre^double autositaire, observé par le h' Berjoan, du Caire.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Fie. 186. Sternopago.

Fia. 187. Monstres soudés par le tronc, d'après Ahlfeld.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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A côlé de ces monstruosités doubles se placent naturellement les cas l'un des jumeaux, incomplètement développé, s'insère sur le ventre, ou toute autre partie du corps de l'autre (fig. 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200).

L'inclusion complète d'un fœtus dans un autre fœtus a été assez souvent observée. Bartholin rapporte que dans l'ile de Fionie, une certaine Jeanne, femme d'un Nicolas Pierre, mit au monde un fœtus qui en contenait un second. D'autre part, le moine Isabord d'A-

Fig. ISS. Les frères Siamois.

mexullen raconte ce qui suit : « J'étais un jour, au Mont-Saint- Pierre, à Erfurt, quand je fis la découverte d'un manuscrit se trouvait l'aventure d'une jeune fille de dix-neuf ans : en l'an 836, cette fille fut traduite devant les magistrats et accusée d'être grosse ; •lie affirme son innocence; pressée de questions, elle s'écria : « Si je

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Fig. 189. Chang et Eng.

Fig. 190.— Squelette de Rita-Cristina, conservé au Muséum d'histoire naturelle, a, a, os coxaux ; b, bassin.

Fig. 191. Millie-Christine. Vue de la soudure.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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suis grosse, Dieu fasse que l'enfant que je porte le soit également ! » Or, au bout de quelque temps, elle mit au monde un enfant mort

Fig. 192, Le monstre humain, bifemelle de Mazères (Ariège).

Fig. 193. Vue des organes sexuels se composant d'une vulve unique.

qui avait un ventre très développé : les juges furent aussitôt avertis

Fig. 194. Homme portant sur le ventre l'insertion d'une portion d'enfant, d'après A. Paré.

Fig. 193. Tirée do Geoffroy-Saint-Hilaire. Anomalies ; planche 18.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de cet événement; il fut ordonné qu'on ouvrirait le corps de cet enfant, dans lequel on trouva, en effet, un fœtus bien conformé ».

Négligeons le côté romanesque de ce récit, le souhait de la mère ; il n'y a rien d'impossible clans le fait en lui-même, pas plus que dans l'histoire, rapportée par Bayle et Sigaud delà Fond, d'une petite fille qui, près deNaumbourg en Thuringe, vint au monde enceinte d'une autre dont elle accoucha huit jours après sa naissance. Nous allons maintenant citer une observation plus sérieuse. En 1804, àVerneuil,

Fig. 19G. Le mousquetaire de Liceti.

dans l'Eure, un enfant, nommé Bissieu, portait dans le flanc gauche, dès les premiers temps de son existence, une petite tumeur qui, vers Tàge de treize ans, augmenta subitement de volume en déterminant des accidents fébriles très intenses. En même temps, l'enfant rendit par les selles des matières putrides, de longs cheveux et il tomba dans un état de consomption qui le fit succomber un an après. A l'autopsie, on trouva, dans son ventre, une poche (fig. 201), renfermant les débris d'un autre enfant, tels que des portions d'os, des cheveux, des ongles et des dents, résultat d'une inclusion fœtale.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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Le cas du jeune Bissieu nous prouve que l'inclusion fœtale peut être observée même chez un individu du sexe masculin. C'est sur ce fait indéniable, qu'Edmond About a bâti un de ses romans, mais non pas un des meilleurs, le Cas de M. Guerin, dédié à Charles Robin.

Fig. 197. Monstre polymélien. a, rudiment de vulve du parasite, d'après Depaul.

Fig. 198. Monstre polymélien ; jeune portu- gais qui se faisait voir à Paris, d'après Lancereaux.

Nous terminerons par quelques détails sur certaines célébrités tératologiques : ils sont pour la plupart empruntés soit à Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1), soit au Dr Ernest Martin (2).

Un monstre assassin. Suivant Sauvai, un monstre double,

(1) Des Anomalies de l'organisation chez Vhomme et les animaux,

(2) Histoire des monstres.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Fig. 199. Gustave Evrard n<5 avec un arriére-train supplémentaire formé d'une portion de bassin et d'une cuisse unique, donnant insertion à deux jambes terminées par deux pieds, d'après Jules Guérin.

Fig. 200. Monstre épignathc. Une masse se terminant par une jambe et un pied bien conformé prend son insertion sur le maxillaire supérieur gauche et sort par la bouche. (Musée de la Maternité).

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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que l'on voyait à Paris en 1649, commit un assassinat. Une seule des moitiés était coupable et fut condamnée à mort. Mais quand vint le

Fig. 201. Fœtus trouvé dans le corps d'un enfant, d'après une pièce modelée en cire.

Tête du fœtus, a, <z, a. Dents dans leurs alvéoles, b, Dent implantée hors de son alvéole, c, A cette place était intérieurement un œil. x, Bouquet de poils tenant la place des sourcils, d, d, Ces trous sont présumés êire ceux de l'odorat, e, e, Partie chevelue du crâne, f, Masse charnue, reste de lèvre, g, Portion informe, osseuse, tenant la place de l'épaule, h, h, Epine du dos. «', Appendice graisseux, au milieu duquel on a trouvé trois phalanges, k, Le bassin. /, La cuisse et la jambe, m, Le pied vu par derrière, n, », Trois orteils, o, o, Eminences osseuses. B.Rate. C. Estomac. D. Portion du colon. E. Portion du côlon transverse ouvert, avec laquelle le kyste était adhérent. F, F. Lambeaux du kyste qui enveloppait le fœtus et qui était composé des membranes chorion et amnios. G. Portion la plus épaisse du même kyste, à laquelle aboutissaient les vaisseaux ombilicaux, et qui doit être regardée comme le placenta du fœtus ou arrière-faix, puisque dans cet amas de vaisseaux étaient compris les artère et veines ombi- licales, p, p, pointillé qui indique le contour du kyste.

moment de l'exécution, les juges se dirent que tuer l'un c'était con- damner l'autre au même sort; ils aimèrent mieux révoquer la sen- tence et le monstre fut remis en liberté.

310 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Le fou de Jacques IV. Le fou de Jacques IV, d'Ecosse, était un être double au-dessus de l'ombilic et simple au-dessous. Des deux êtres qui le composaient, l'un était plein d'intelligence, d'esprit et de verve ; il était bon musicien, et, par sa beauté aussi bien que par son esprit, charmait les dames de la cour; l'autre, au contraire, était laid, idiot et ivrogne à un tel degré qu'il a fini par tuer son frère, en mou- rant lui-même alcoolique. Ces deux êtres n'étaient jamais d'accord; ils se battaient et s'arrachaient la bouteille des mains, l'un pour la boire, l'autre pour la jeter.

Nains et géants célèbres (1). Les monarques et grands sei- gneurs de tous les temps ont montré pour les nains un véritable engouement; et cependant, à quelques exceptions près, ces êtres rachi- tiques ne sont pas seulement difformes de corps, mais ils ont une intelligence bornée et sont décrépits de bonne heure.

Au nombre des nains célèbres, nous trouvons, dans l'antiquité : Carachus, conseiller intime du grand Saladin, que ce sultan cachait dans ses larges manches pour le consulter secrètement en public ; Philetas, le protégé d'Aspasie, auquel un coup de vent cassa une jambe et qui, par la suite, porta des semelles de plomb pour éviter un semblable accident ; le nain de Tibère qui ne craignait pas de dire à cet horrible prince les plus dures vérités ; celui de Domitien que ce monstre fit mettre à mort par son imprudente réponse : « N'y a-t-il personne avec l'empereur? » lui demandait Vibius Priscus. Non, pas même une mouche », répondit le nain faisant allusion à l'habitude qu'avait son maître, de s'enfermer une partie de la journée pour enfi- ler des mouches avec un poinçon d'or ; Lucius, le favori d'Auguste qui lui fit élever après sa mort une statue en marbre dont les yeux étaient faits de deux gros diamants: comme ce nain avait une belle et forte voix, l'empereur imagina de lui faire chanter plusieurs hymnes, blotti clans le casque gigantesque d'un prisonnier gaulois que celui-ci vint déposer au milieu du cirque, à côté de son épée fichée en terre ; Cunopas et Andromède qui montaient sur deux petites échelles pour présider à la toilette de leur maîtresse, Julie, fille d'Auguste.

Dans les temps modernes, nous citerons :

Le nain que Marie de Médicis avait adopté, alors qu'elle était toute- puissante, et qui la suivit dans son exil à Cologne; Corneille de Lilhuanie, le nain et le confident de Charles-Quint ; le nain de Fran-

(1) Voir les Nains et Us Géants par Edouard Garnier.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 311

çois Ier, nommé Grandjean par ironie; Barwilowski, attaché à la com- tesse Humieszka, était, par exception, un gentilhomme bien propor- tionné et très intelligent, sa taille ne dépassait pas 76 centimètres ; Jeffery Ilugdson, nain de la duchesse de Buckingham, était encore plus petit, il n'avait que 56 centimètres de hauteur: sa maîtresse l'offrit, enfermé dans un pâté, à la reine Henriette-Marie, femme de Charles Ier d'Angleterre ; Nicolas Ferry, plus connu sous le sobriquet de Bébé, était le nain de Stanislas Leczynski, roi de Pologne ; il ne mesurait que 89 centimètres : un sabot lui servit, dit-on, de berceau. Son épouse, Thérèse Sauvray, était de la même taille que lui. Bébé ne put jamais apprendre à lire, et son nom lui vint de ce qu'il ne fît entendre que la syllabe B, pendant ses premières années. Il mourut de vieillesse à vingt-cinq ans. Son squelette est au Muséum du Jardin des Plantes et son mannequin au musée Orfîla.

Nous terminerons cette longue énumération par les nains contem- porains les plus connus :

Le prince Colibri que l'on voyait souvent aux Champs-Elysées con- duire un superbe attelage de poneys nains ; Tom Pouce, qui joua au théâtre des Variétés le rôle du petit Poucet et qui s'était réfugié, un jour, dans le manchon de Fanny Elssler ; enfin, le commodore Mor- rison Nutt dont la taille mesurait 30 pouces à 16 ans, lorsque Barnum vint l'engager chez ses parents, en 1860 ; mais avec les années, il grandit un peu et, à sa mort, il avait 3 pieds 7 pouces.

Parmi les géants authentiques qui ont vécu de nos jours, nous cite- rons le Finlandais Caianus, haut de 2m,83 ; le Kalmouck Margrath, qui mesurait 3ra,53 et dont les os sont conservés dans les vitrines du musée Orfila ; enfin, le Portugais Luengo y Ca pilla qui avait une sta- ture de 2m,30 et portait des chaussures de 65 cent, de long. Quant au fameux roi des Cimbres, Teutobochus, auquel on attribuait une hau- teur de trente pieds, Cuvier a démontré que les ossements, trouvés dans son tombeau, provenaient d'un mammifère antédiluvien de l'es- pèce des mastodontes.

Malgré la croyance populaire, les peuples de géants et de nains n'ont jamais existé ; les Myrmidons et les Pygmées des temps fabuleux sont aussi imaginaires que les Spithamiens de Pline, les Quinios de Commerson et les Lilliputiens de Swift.

Tribulations des hermaphrodites. Autrefois les herma- phrodites étaient considérés comme des monstres indignes de vivre. Les Athéniens et les Romains les sacrifiaient dès leur naissance ; au moyen âge, ils étaient brûlés vifs comme possédés du démon, et jus-

312 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

qu'au XVIIe siècle, nous voyons Riolan, lui-même, qui le premier réagit contre le préjugé attribuant l'origine des monstres à l'inter- vention de démons ou d'animaux, ne faire aucun quartier à l'herma- phrodisme : « Quant à l'être », disait-il, « qui moitié homme, moitié femme, fait injure à la nature, il doit être mis à mort. »

On lit dans la Chronique scandaleuse de Louis XI: « En ladite année 1478, advint au pays d'Auvergne, que en une religion de moines noirs, appartenant à Monseigneur le cardinal de Bourbon, y eut ung des religieux dudit lieu qui avoit les deux sexes de l'homme et de la femme, et de chacun d'iceulx se aida tellement qu'il devint gros d'enfant ; pourquoy fut prins et saisi et mis en justice, et gardé jusques à ce qu'il fût délivré de son posthume, pour après iceluy venu, estre fait dudit moine noir ce que justice verroit estre à faire ». C'est sur ce moine du couvent d'Issoire que Bauhin fit ce vers tautologique :

Mas, mulier, monachus, mundi mirabile monstrum.

Il était homme, femme, moine, prodige surprenant de la création.

En réalité, c'était un hermaphrodite, avec prédominance du sexe féminin, et capable d'enfanter.

Nous avons plusieurs exemples semblables. En 1599, une herma- phrodite de Dôle, Antide Collas, fut examinée par des médecins ; ces doctes personnages, établirent que sa conformation sexuelle était le résultat d'un commerce infâme avec le démon. Elle fut soumise à la question et, vaincue par les tortures, elle fit des aveux complets et fut condamnée à être brûlée vive. Un fait analogue eut lieu en 1601, mais les juges furent plus indulgents ; le parlement de Rouen n'infligea que la prison perpétuelle à une certaine Marie le Marcis, accusée de porter indûment des habits de garçon. Riolan, contrairement à l'avis de Duval, chargé d'examiner le sujet, dit que Marie le Marcis, était une fille, mais reconnut qu'elle avait été de bonne foi en portant des vête- ments étrangers à son sexe. Sur ces conclusions favorables, le parle- ment ordonna sa mise en liberté, avec ordre de prendre les habits de femme et de rester célibataire sous peine de mort. Pareille obligation fut faite à Anne Grand-Jean qui, croyant appartenir au sexe mas- culin, s'était mariée, en 1761, avec Françoise Lambert.

Au commencement de ce siècle, on observa un cas très intéressant d'hermaphrodisme, avec prédominance du sexe féminin, chez Marie Madeleine Lefort (fig. 202), que plusieurs médecins avaient prise pour un sujet du sexe masculin. Le clitoris (fig. 203) était très développé et

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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simulait une petite verge dont le gland eut été imperforé. L'urine et le sang des règles passaient par un cloaque commun. A sa mort, en 1864. l'autopsie donna raison au physiologiste Béclard qui, dès 1817, avait soutenu qu'elle était femme, malgré sa voix masculine et la barbe qui couvrait son menton.

Fig. 202. Marie Madeleine Lefort (Holmes, mal. chir. des enfants, 1870).

En 1876, tous les journaux ont parlé d'une erreur de sexe assez curieuse. Voici le récit d'A. Scholl :

« Parmi les hirondelles de nuit qui rasent les trottoirs du quartier du Temple, se trouvait, il y a quelque temps, une fille inscrite sous le nom de Marie Brécinet. Simple dans sa mise, modeste dans ses exi- gences, Marie Brécinet vivait tant bien que mal des petites généro- sités que lui faisaient les passants. Le tarif est peu élevé dans les environs du Château-d*Eau. On y entend un opéra pour deux francs, et Vénus sait régler ses exigences sur celles du directeur du théâtre.

314 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

« Un jour, l'un des médecins de la préfecture de police est changé. Le nouveau docteur, en passant son inspection, s'arrête stupéfait. Il appelle son collègue et lui démontre par a plus b que Marie Brécinet doit être considérée comme appartenant au sexe masculin. Elle a été inscrite comme fille soumise avec une coupable légèreté. Il y a bien, dans la conformation du sujet, une irrégularité d'où est venue l'erreur, mais Marie Brécinet est bien certainement un homme.

« La malheureuse supplia, mais en vain.

« Elle fut rayée du registre de la prostitution, son état civil fut rec- tifié, et, comme l'Etat ne perd jamais ses droits, elle fut incorporée dans un régiment de ligne !

a Fille publique il y a un an, elle est sur le point de passer caporal » .

Poésie tératologico-religieuse. En 1569, naquirent dans le Forez deux jumeaux qui étaient réunis par toute l'étendue de la poi- trine; ils furent présentés à Charles IX, avant leur mort. La dissec- tion en fut faite par Jacques Roy, mais l'auteur d'une brochure, publiée en 1570, le Pourtrait des enf ans jumeaux envoyés au Roy, ne nous fait pas connaître les détails de l'autopsie ; il a mieux aimé les remplacer par trois sonnets et une épigramme antithésique où,burlesquement, il compare aux deux jumeaux la religion catholique et la réformée :

S'entr'accolans vous voyez ces jumeaux,

Ayans un corps, deux cœurs et deux cerveaux,

L'un prsemourant, sans baptisme, est vaincu,

A qui l'autre a, baptisé, survescu (1).

O spectateurs, sont deux religions,

La Catholique, etl'Huguenotte aussi, etc.

L'auteur termine ainsi :

Conclurre fault, que malgré la canaille Des Huguenots et leur rébellion, Leur naissante et faulse religion Succombera bien tost; et quoy qu'il tarde, Luy donnera l'église la nazarde, Pour l'envoyer aux diables infernaulx, Voilà le sens prognostic des jumeaux.

Plus tard, au commencement du XVIIe siècle, après la promulga-

1) L*un des deux jumeaux avait survécu quelque temps à sou frère.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

315

tion de l'édit de Nantes à Paris, un autre cas tératologique donna au protestantisme l'occasion de rendre au papisme la monnaie de sa pièce. Il était deux jumelles réunies par l'ombilic; on les ondoya et

io wu si

*.VuWv\ri\\J,

Fio. 203. Coupe du bassin de Marie-Madeleine Lefort, montrant les organes génitaux. J, sonde passée par l'ouverture principale au-dessous du clitoris. M, Vagin. 0, Ovaire. T, trompe.

U, utérus. L, ligament rond. V, vessie. U, uretères. D, orifice de l'urètre. R, rectum.

G, grandes lèvres (D^ Wieland).

elles moururent le second jour de leur naissance. Un chroniqueur huguenot « sous prétexte d'écrire », dit le D1' Martin, « Vhistoire vé- ritable et remarquable de deux jumelles jointes, rima comme une saynète il déploya son talent de poète en même temps que sa haine contre Rome et le pape.... Un médecin, un enquesteur et un théolo- gien prennent successivement la parole : le premier déclare que le monstre est un exemple de surcroît « de matière, trop grande pour un

316 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

seul corps, trop petite pour deux. » Cependant il ne tente pas « d'en- foncer le secret d'un aussi étrange cas »; il passe donc la parole au théologien qui répond :

Je tiens que ces deux fronts, cette face jumelle, Sont deux religions dont l'une est qui s'appelle Papisme, et son autheur est l'antechrist romain, De l'autre est Mahumetavec son Alcorain.

« Il n'eût certainement pas tenu ce langage sept années auparavant. Enfin il termine, lui huguenot, par ce souhait vengeur :

... Que du grand pasteur la semence bénitte Chante de ces tyrans la force déconfitte, Disant, c'est pour le vrai que Christ tue à ce coup Le lion arabic et de Rome le loup. »

Hélène et Judith. Ce monstre double, bifemelle, apparte- nant au genre pygopage, naquit en 1701 à Szony, bourg de Hongrie; fut baptisé sous le double nom d'Hélène et de Judith ; offert à sept ans en spectacle à la curiosité publique; promené dans toutes les parties du monde; placé à neuf ans, par les soins de l'archevêque de Strigo- nie, dans un couvent de Presbourg, il mourut dans sa vingt- deuxième année.

Buffon a décrit ce monstre et la France médicale de 1873, a donné la traduction du document publié alors dans les Transactions philo- sophiques de la Société royale de Londres. Nous reproduisons quel- ques extraits de ce curieux document.

Sur un double monstre femelle, à Szony, en Hongrie, le 26 oc- tobre 1701, et mort le 25 février 1725, à Presbourg, au couvent des sœurs de Sainte-Ursule, il fut enseveli, par Justus-Joiiannes Torkos, M. D. P. R. S., traduit du latin.

« 1. Le docteur Torkos commence le récit de cette monstruosité en faisant remarquer la preuve qu'elle fournit de l'influence de l'imagi- nation de la mère sur le fœtus; car, au commencement de la gros- sesse, la mère regardait avec une attention extrême des chiens coïtant, collés l'un à l'autre sans pouvoir se séparer, les têtes tour-

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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nées chacune de leur côté, et elle ne pouvait chasser ce tableau de sa pensée.

« 2. Lors de l'accouchement, le corps d'Hélène sortit d'abord jus- qu'à l'ombilic. Trois heures après, les pieds sortirent avec le corps de Judith joint à celui d'Hélène. Hélène était la plus grande et la plus forte. Bien qu'elles fussent unies par le dos au-dessous des reins, elles pouvaient encore tourner à moitié leur figure et leur corps l'une vers l'autre, de sorte qu'elles pouvaient s'asseoir, se lever, marcher. Elles avaient un anus commun, situé entre le fémur droit d'Hélène et le fémur gauche de Judith. Elles n'avaient qu'une vulve, placée

Fig. 204. Hélène et Judith.

au milieu de leurs quatre jambes, de sorte que, lorsqu'elles se te- naient debout, on ne pouvait l'apercevoir. Quand l'une d'elles avait envie d'aller à la selle, l'autre éprouvait le même désir; mais, quant à l'excrétion de l'urine, l'une pouvait avoir envie de faire de l'eau sans que l'autre ressentît rien. Aussi, dans leur enfance, bien qu'elles s'aimassent beaucoup l'une l'autre, était-ce entre elles la source de fréquentes et violentes disputes; c'était à qui emporterait l'autre sur son dos ou la traînerait jusqu'au lieu elle avait besoin d'aller (1).

(1) « D'après une autre version plus récente, » dit M. de Parville, « les évacua- tions alvines, aussi bien que les évacuations urinaires se seraient faites chez les deux sœurs à différents moments. »

318 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

« 3. A six ans, Judith eut une paralysie du côté gauche, et, bien que guérie, elle resta toujours plus faible, plus apathique et plus bornée ; au contraire, Hélène devint plus vive, plus spirituelle et plus belle.

« 4. Il n'y avait pas seulement cette différence dans leurs per- sonnes; on observait également une différence dans leurs fonctions vitales, animales et naturelles, dans l'état de santé, comme dans l'état de maladie. Et, bien qu'elles aient eu la variole et la rougeole en même temps, elles pouvaient avoir séparément d'autres maladies. Judith avait souvent des attaques de nerfs, tandis qu'Hélène restait libre de toute indisposition. Hélène eut une pleurésie, Judith la fiè- vre. L'une avait un catarrhe et de la colique, tandis que l'autre con- tinuait de se bien porter.

« 5. Le 8 février 1723, à l'âge de vingt-deux ans, Judith fut saisie de convulsions violentes, suivies de coma, et mourut le 23 février. Pendant ce temps, Hélène était affectée de fièvre, accompagnée de fréquentes pertes de connaissance; aussi, bien qu'elle sentit encore, et qu'elle pût encore parler, elle devint tellement faible, qu'elle tomba dans l'agonie trois minutes avant Judith. Après une courte lutte, les deux sœurs expirèrent presque au même instant.

« 6. A l'ouverture de leurs corps, on remarqua que chacune d'elles avait des viscères distincts ; mais, tandis que ceux-ci étaient tous en bon état chez Hélène, chez Judith le cœur était démesurément dilaté et renfermé dans un péricarpe très épais; le poumon était en putri- lage. L'aorte et la veine cave descendante, en arrière du point elles donnent naissance aux artères et aux veines iliaques, étaient unies ensemble. Tous les viscères de l'abdomen étaient sains. Cha- cun des deux corps avait son foie propre, sa rate, son pancréas, ses reins, sa vessie, son utérus, avec les ovaires et les trompes de Fal- lope. Les parties génitales externes, excepté l'orifice du vagin qui leur était commun, étaient propres à chacune d'elles. Chez les deux, l'estomac et les intestins avaient la position naturelle, mais les deux rectums étaient unis au niveau du sacrum, de manière à former un canal commun assez large. Les sacrums se réunissaient au niveau de la deuxième division et formaient un seul corps, de sorte qu'au bout, il n'y avait qu'un sacrum et qu'un coccyx. •»

Chang-Eng ou les Frères Siamois. Ce monstre, illus- tre entre tous, naquit en 1811, dans le royaume de Siam, d'une mère indigène et d'un père chinois. Chang et Eng vinrent au monde sans difficulté, placés de telle sorte que la tête de l'un touchait aux pieds de l'autre; ils étaient unis entre eux de l'ombilic à l'appen-

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dice xiphoïde : le cas est connu sous le nom de xiphopagie (fîg. 189). Dans leur enfance, ils se trouvaient opposés face à face, les deux thorax et les deux abdomens se touchant, disposition commune à tous les xiphopages lors de leur naissance. On conçoit facilement la gêne qui en résulte; aussi par suite d'efforts faits dès l'enfance pour arriver à des relations mutuelles plus commodes, les deux appendices xi-

Fig. 205. Les frères Siamois en costume de ville,

phoïdes se sont relevés et rejetés latéralement, l'un à gauche et l'autre à droite. Les deux sujets se sont trouvés dès lors, l'un par rapport à l'autre, de côté et à angle droit, soudés ensemble par une sorte de bande transversale, longue de cinq pouces, large de six, assez flexible pour que, l'un étant debout, l'autre put se baisser. Ils pou- vaient encore se placer l'un en face de l'autre, comme ils l'étaient durant leur enfance; mais, en ayant perdu l'habitude, cette attitude

320 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

leur était devenue gênante. C'est dans la position les représente notre figure (fig. 205) que les frères Siamois marchaient, s'asseyaient, se tenaient debout, « comparables, » dit I. Geoffroy Saint-Hilaire, « à deux personnes qui, serrées l'une contre l'autre, se touchent réci- proquement par un des cotés de leurs poitrines ». La jambe et le bras droit de l'un des frères, la jambe et le bras gauche de l'autre étaient en avant, les deux autres jambes et les deux autres bras en arrière ; dans la marche, les jambes postérieures ne pouvaient alors que se- conder et, pour ainsi dire, suivre les deux antérieures: aussi étaient- elles faibles, maigres et, chez l'un des deux frères, sensiblement ca- gneuses. De même, quand Changet Eng ne les enlaçaient pas mutuel- lement autour de leurs cous ou de leurs poitrines, leurs bras posté- rieurs pendaient comme inertes derrière leur double dos. « Les deux moitiés du corps, » dit I. Geoffroy Saint-Hilaire, « et même de la tête, les yeux exceptés, pour lesquels a précisément lieu l'inverse, offrent des différences moins marquées, mais analogues; en sorte que, par une disposition que la simplicité de son explication ne rend pas moins singulière, le côté droit d'Eng se trouve beaucoup plus semblable au côté gauche de Chang, et réciproquement, qu'à l'autre moitié de son propre corps ». Remarquons, en passant, que si les frères Siamois se ressemblaient de visage, ils différaient par la taille et la force.

Ordinairement, la respiration et les pulsations artérielles étaient simultanées chez les deux frères. Toutefois, les médecins de Londres et de Paris ont pu constater à plusieurs reprises, quelquefois sans cause apparente, des différences dans le nombre des pulsations. Chang et Eng montraient d'ailleurs dans toutes leurs fonctions, dans leurs actions, dans leurs paroles, dans leurs pensées mêmes, une remarquable concordance, mais, comme le fait justement remarquer I. Geoffroy St-Hilaire, « toutes ces concordances prouvent la parité et non l'unité: des jumeaux normaux en présentent souvent d'ana- logues (1), et sans doute en offriraient de tout aussi remarquables, s'ils eussent invariablement, pendant toute leur vie, comme les deux Siamois, vu les mêmes objets, perçu les mêmes sensations, joui des mêmes plaisirs, souffert des mêmes douleurs». Notons, toutefois, que c'était leur état habituel, mais non leur état constant et néces-

(1) En effet, les jumeaux provenant d'un œuf ot contenus par conséquent dans une seule poche amniotique ont toujours le même sexe et présentent souvent une concordance frappante dans leur conformation physique et dans leurs facultés psychiques. Les deux paires de jumeaux de la comédie de Shakespeare les iïiïprixes, suivant la remarque de Schroder, doivent donc être supposés provenir d'un seul et même œuf.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

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saire. Il est faux, comme on l'a prétendu, que les deux frères aient éprouvé toujours, au même moment et au même degré, le sentiment de la faim ; que les plus légères indispositions de l'un aient toujours été ressenties par l'autre; enfin que leur sommeil ait toujours com- mencé et fini au même instant, si bien que jamais l'un d'eux n'aurait pu voir son frère endormi. « Chang et Eng s'aimaient beaucoup. Obligés de s'obéir tour à tour et de se faire, à chaque instant, le sacri- fice mutuel de leur volonté, à peine les a-t-on vus quelquefois en mésintelligence. Telle était même la force de leur affection, qu'ils^ne

Fig. 206. Dissection de la bande qui unissait les frères Siamois.

trouvaient pas acheté trop cher, au prix de la gêne constante de leurs mouvements, le bonheur de se sentir sans cesse l'un près de l'autre, et de réaliser à la lettre cette belle image de l'amitié : tous deux ne sont qu'un, et chacun est deux. On assure que plusieurs chirurgiens, ayant conçu le projet, trop hardi peut-être, de les rendre à l'état normal par leur séparation, ce fut ce sentiment, bien plus que la crainte de la douleur ou de la mort, qui les détermina à se refuser à toute opération (1) ». Cependant, Chang et Eng ne s'adressaient presque jamais la parole, si ce n'est pour se dire quelques mots, en apparence sans suite et inintelligibles aux autres. En revanche, ils

(1) I. Geoffroy Saint-Hilaire.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

il

322 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

s'entretenaient volontiers avec leurs visiteurs; souvent même chacun d'eux suivait séparément une conversation distincte avec des interlo- cuteurs différents.

Dans leurs courses errantes, Chang et Eng s'étaient façonnés aux mœurs d'Occident. Ils parlaient couramment l'anglais et avaient presque oublié le chinois. Enrichis par la curiosité publique, ils se retirèrent dans l'Amérique du Nord, à Mount-Airy, ils firent de la grande culture sous le nom des frères Bunker. Us épousèrent les deux sœurs et eurent vingt-deux enfants bien constitués. Chang, qui était assez porté aux boissons alcooliques, eut une congestion céré- brale et une paralysie d'une moitié du corps pendant quelques années; il devint sobre après cet avertissement et se remit peu à peu. Mais le 13 janvier 1874, en revenant de la chasse, il fut pris de refroidis- sement et, le quatrième jour de sa maladie, mourut d'une fluxion de poitrine, pendant le sommeil de son frère. A son réveil, celui-ci voyant son frère mort, eut conscience de sa fin prochaine et succomba quelques heures après dans une agitation extrême.

La dissection de la bande qui les unissait (fig. 206) fut faite par des médecins qui y constatèrent la présence de vaisseaux volumineux et des prolongements du péritoine : aussi son excision aurait-elle été extrêmement dangereuse et très probablement mortelle.

Rita-Cristina. Rita-Oistina (fig. 190, 207), monstre xypho- dyme, naquit à Sassari, en Sardaigne, le 10 mars 1829. La mère, femme robuste, avait eu déjà huit couches heureuses, quand à l'âge de trente et un ans elle mit au monde l'enfant double qui nous occupe. L'accouchement eut lieu à terme normal, mais fut assez difficile pour que l'on dût recourir à l'emploi de lacs : ce furent les deux têtes qui se présentèrent d'abord.

Dès l'âge de trois mois et demi, les deux individus composants pré- sentaient entre eux une différence très sensible: le sujet placé au côté gauche de l'axe d'union, Cristina, avait la tête plus ovale et plus grosse que le sujet droit, Rita; de plus elle était vive, gaie, avide de prendre le sein, tandis que Rita, maigre, jaune, sans appétit, portait sur sa figure, qu'on aurait dite bleuâtre, une certaine expression de souffrance. Un sentiment d'humanité fort mal entendu vint aggraver la situation de Rita.

Les parents de notre monstre étaient venus à Paris avec le dessein d'exploiter la curiosité publique: la police leur refusa l'autorisation nécessaire ; les malheureux tombèrent dans une misère noire sans autres ressources que quelques aumônes et le produit de' quelques

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visites clandestines. L'hiver fut terrible pour le malheureux monstre. « Tenues, dit J. Geoffroy St-Hilaire, dans une chambre presque tou- jours sans feu, découvertes plusieurs fois par jour pour être soumises à de nouvelles investigations, Rita et Cristina ne pouvaient manquer dépérir d'une prompte mort. En effet, Rita fut prise d'une bronchite intense dont il fut impossible d'arrêter les progrès au milieu des déplorables circonstances se trouvaient placées les deux sœurs. Ce fut trois jours seulement après l'invasion de la maladie, que suc- combèrent Rita et Cristina ; Rita, déjà privée de sensibilité, et vrai- ment à l'agonie depuis plusieurs heures; Cristina, jusqu'au dernier moment, pleine de vie et de santé: sa respiration était seulement un peu gênée, son pouls plus fréquent, et elle venait encore de prendre

le sein, quand tout à coup, sa sœur ex- pirant, elle expira aussi ». Les deux sœurs étaient âgées de huit mois.

Les observations physiologiques faites sur Rita-Cristina sont des plus curieu- ses. Souvent l'une dormait tandis que l'autre tétait, l'une criait tandis que l'autre souriait. Touchait-on une partie du corps non comprise dans l'axe d'u- nion, une seule des deux sœurs percevait la sensation ; si l'on chatouillait la jambe droite, Rita seule le sentait et Cristina seule, si l'on chatouillait la gauche : donc sur cette paire commune de membres, une jambe appartenait à Rita seule, une à Cristina. Au contraire, dans le cas l'expérimentateur agissait sur une partie comprise dans l'axe d'union, sur la vulve, par exemple, ou sur l'anus, la sensation était perçue par les deux sœurs. Avant même l'autopsie, il avait été démontré que Rita et Cristina, contrai- rement à une opinion d'abord admise, avaient chacune un cœur distinct: en effet, quand Rita devint gravement malade, elle eut environ vingt pulsations de plus que sa jumelle. A ce moment, le nombre des mouvements respiratoires présenta aussi quelques diffé- rences, mais assez peu sensibles. Les deux sœurs éprouvaient sépa- rément le sentiment de la faim, mais c'est presque toujours ensemble qu'elles sentaient le besoin d'expulser les matières fécales. Cette différence s'explique par la disposition de leur canal alimentaire,

Fig. 207. Rita-Cristina. Xyphodyme.

32 i HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

double jusqu'au commencement de l'ileum. Celte particularité nous fait aussi concevoir comment Rita pouvait subsister avec le peu de nourriture qu'elle prenait : Crislina, qui était extraordinaire- ment avide, faisait passer dans l'ileum commun plus de subs- tance nutritive qu'il ne lui en fallait à elle-même et soutenait ainsi sa sœur.

Millie- Christine. Millie-Christine naquit en 1851 dans un village du comté de Colombus (Caroline du Nord); le père était mu- lâtre et la mère négresse. Lors du séjour que Millie-Christine fît à Paris, les docteurs Robin et Tardieu, chargés d'aller l'examiner, firent un rapport qui donna lieu, à l'Académie de médecine, à une discussion intéressante que nous résumons (1).

« L'être double dont il s'agit », dit M. Tardieu, « est en réalité formé de deux personnes du sexe féminin, originaire de la Caroline du Nord et actuellement âgées de vingt-deux ans. Les deux têtes sont volumineuses et présentent au plus haut degré les principaux traits de la race noire. L'œil est vif, le regard est doux et intelligent; l'expres- sion de la physionomie mobile est tout à fait personnelle et distincte chez chacune d'elles. Le tronc est complètement séparé; les deux corps, originellement placés dos à dos, sont exactement réunis par la soudure complète du sacrum. La réunion n'a pas lieu par une lan- guette de chair, ou un appendice graisseux, ou un prolongement de la peau, mais par la réunion intime des deux squelettes. La peau du dos se réfléchit de l'un sur l'autre individu au niveau du bord supé- rieur du sacrum, et la main portée au fond de l'intervalle sent très bien la configuration et la résistance de la surface osseuse. Mais une disposition fort remarquable se présente du côté de la colonne verté- brale, dans toute la partie qui est au-dessus du point a lieu la réunion. Le rachis offre une double incurvation latérale très pro- noncée, qui remonte évidemment aux premiers temps de la vie, et qui est due aux efforts qu'ont faits les deux sœurs, condamnées à se tourner le dos éternellement, pour se retourner et arriver à se faire face l'une à l'autre, à se voir, à s'enlacer comme elles font faci- lement aujourd'hui. Cette déformation delà colonne vertébrale a ré- duit beaucoup-là taille et explique en partie le développement incom- plet que celle-ci présenle.

« Dans cette partie supérieure du corps de Millie-Christine, les deux troncs, complètement libres, sont pourvus d'organes, et vivent

(1) De Parville. Causeries scientifiques, 1873.

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d'une vie absolument indépendante. Nous avons eu une preuve très piquante et singulièrement marquée de la séparation absolue de leurs facultés affectives et intellectuelles, dans un incident qui s'est pro- duit devant nous. Les arguments très pressants que nous employions

Fig. 207. Millie-Christine. Figure tirée do l'Illustration.

pour obtenir d'étendre notre visite jusqu'aux parties les plus cachées, repoussés par un sentiment de pudeur qui n'avait rien déjoué, avaient toutefois semblé toucher et presque ébranler l'une des deux sœurs, lorsque l'autre manifesta son opposition dans une sorte de querelle

326 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

qui s'établit entre les deux sœurs, permettant de reconnaître, au son de la voix et aux traits du visage, la différence des sentiments et de la volonté chez l'une et chez l'autre.

« Les fonctions organiques ne sont pas moins séparées et dis- tinctes. Les cavités thoraciques, à part la déviation du rachis, sont bien conformées; les seins et l'attache des bras sont en rapport avec la race. Le cœur occupe chez chacune d'elles sa place normale. Nous constations même que les deux cœurs ne battent pas à l'unisson, et que le pouls n'a pas la même vitesse ni les mêmes caractères chez les deux sœurs. De même, la sensibilité tactile est complètement séparée dans toute la partie supérieure du corps : chacun des individus reçoit et perçoit à part les différentes impressions.

« La portion élargie du squelette du bassin reste bien conformée et séparée. Nous avons pu suivre avec le doigt le rebord de l'os des îles, dont la conformation normale est d'ailleurs attestée par l'articu- lation régulière des membres inférieurs sur l'os coxal. Ceux-ci sont au nombre de quatre; ils se meuvent librement et non sans une cer- taine élégance, bien que, pour chaque couple, il y ait une légère iné- galité de longueur et de développement entre les deux jambes. »

A ces renseignements, M. le docteur Broca ajouta ceux-ci :

« Les quatre jambes ne sont pas, en effet, égales en force et en longueur. Le mouvement de torsion qui s'est produit dans les co- lonnes vertébrales et à la faveur duquel les deux sœurs ont fini par arriver à se retourner quelque peu l'une vers l'autre, s'est effectué dans le sens qui correspond au côté gauche de Millie et au côté droit de Christine; de sorte que, si l'on considère chaque sœur isolément, il y a deux faces extérieures et deux lignes médianes ; mais si l'on con- sidère le monstre dans son ensemble, on peut dire qu'il a une face anté- rieure, constituée par le côté gauche de Millie et le côté droit de Chris- tine, et une face postérieure constituée par la réunion des deux autres faces latérales. On peut donc, d'après cette convention, dire qu'il y a deux jambes antérieures et deux jambes postérieures; les deux jam- bes antérieures sont celles qui correspondent au côté vers lequel les deux têtes peuvent se retourner, et par lequel les deux sœurs se pré- sentent au public; c'est aussi de ce côté qu'elles marchent de préfé- rence. Or, les deux jambes antérieures, ainsi définies, sont notable- ment plus faibles et plus courtes que les deux autres, d'environ 0m,04. Malgré cette différence de longueur, les quatre pieds, grâce à l'inclinaison des bassins, reposent à la fois sur le sol, et participent ensemble aux mouvements très remarquables, très symétriques et très gracieux de la marche et de la danse. M ais la marche est possible

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 327

sans le concours des pieds antérieurs, les deux sœurs peuvent mar- cher en s'appuyant exclusivement sur leurs pieds postérieurs, en pre- nant une allure que l'on peut comparer à l'amble.

« Elles n'ont qu'un anus, et le rectum est simple, au moins dans sa partie inférieure; la bifurcation en Y qui le fait communiquer avec les deux tubes digestifs s'effectue au-dessus des limites que l'on a pu atteindre. L'anus unique (fig. 208) est situé entre les membres que j'ai appelés antérieurs. Il est donc sur la gauche de Millie et sur la droite de Christine. La vulve est placée horizontalement, entre les racines des quatre membres, sur la face inférieure des bassins réunis. Cette vulve, quoique simple en apparence, est double en réalité. Elle a la forme d'une fente ou d'une ellipse terminée en pointe à ses deux extrémités; à chaque extrémité, un clitoris; il y a donc quatre petites

Fig. 208. Millie-Christine. Vue de l'anus unique et de la vulve double,

lèvres, mais seulement deux grandes lèvres, faisant le tour de la vulve et correspondant à un seul vestibule. Une cloison médiane, verticale, antéro-poslérieure, sépare les deux appareils génitaux.

« La défécation est simultanée chez les deux sœurs; on comprend très bien pourquoi. Elles mangent toujours ensemble, et également, il est donc tout naturel que leurs deux digestions parallèles se termi- nent en même temps. On sait d'ailleurs que la volonté et l'habitude permettent de régler, dans une certaine mesure, le moment de la défé- cation. Il y a des personnes qui vont très régulièrement à la garde- robe tous les jours, à la môme heure, et si l'on arrive à ce résultat

328 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

par des motifs de convenance personnelle, il est très naturel que Millie et Christine aient pris l'habitude de faire coïncider cette fonc- tion, qui, sans cela, aurait tour à tour été infiniment désagréable à chacune d'elles. La volonté agit avec plus d'efficacité encore sur les fonctions de la vessie, puisque l'on peut souvent retarder l'émission de plusieurs heures. L'association fonctionnelle s'explique donc en- core ici tout naturellement sans que l'on soit obligé de supposer que les deux jumelles ont une seule vessie. »

A ces détails scientifiques, nous en ajouterons quelques-uns d'un autre ordre. Millie et Christine ont un caractère très doux et, comme les frères Siamois, s'accordent très bien ensemble. Elles parlent plu- sieurs langues et peuvent tenir séparément une conversation en un idiome différent. Elles sont bonnes musiciennes et chantent agréa- blement; Millie a une voix de contralto, Christine une voix de so- prano. Leurs facultés artistiques ont pu les faire surnommer le ros- signol à deux têtes.

Blanche Dumas. Blanche est née en 1860, à Segry, dans l'Indre; la figure est assez agréable mais peu intelligente, elle n'a d'ailleurs jamais pu apprendre à lire et n'est habile que dans les tra- vaux d'aiguille ; la tête et le torse sont normaux ; elle a une jambe gauche et deux droites dont l'une présente un pied légèrement déformé. A côté de la jambe surnuméraire, il existe le rudiment d'une quatrième jambe en avant de laquelle se trouve une mamelle (fig. 209). Elle a deux vulves indépendantes. Ce cas curieux est considéré comme un monstre double ayant les apparences d'un monstre simple.

Les frères Tocci. Ce monstre est en 1877, à Lacona, dans la province de Turin. Les deux frères ont deux têtes bien conformées, deux paires de bras et deux thorax pourvus de tous leurs organes internes. Mais, à partir de la sixième côte, tout leur est commun. C'est ainsi qu'ils n'ont qu'un abdomen, un ombilic et un anus, une jambe droite et une jambe gauche. Leurs organes génitaux se com- posent d'un pénis avec le scrotum correspondant ; mais, en arrière, on aperçoit les rudiments d'un autre organe génital mâle, par lequel s'échappe quelquefois un peu d'urine.

Vus parla région postérieure, ces enfants présentent deux colonnes vertébrales, deux sacrums et trois fesses. Celle du milieu est évidem- ment le résultat de la fusion de [deux fesses, et l'on y aperçoit un anus rudimentaire. L'anus vrai sert pour les deux enfants. La jambe droite obéit à la volonté du jumeau du côté droit, qui s'appelle

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

3-2!)

Baptiste, tandis que la jambe, terminée par un pied équin, appartient au jumeau du côté gauche, qui s'appelle Jacob. Il en résulte que les deux enfants, sains et forts cependant, se trouvent dans l'impos- sibilité de marcher.

Chaque enfant a une personnalité distincte. Parfois l'un pleure quand l'autre rit ; l'un peut dormir, l'autre restant éveillé. D'ordi- naire, ils ont la tête et la face fortement inclinés de côté, l'un à

Fig. 203. Clanjho Dumas.

droite, l'autre à gauche; mais chacun d'eux peut prendre une attitude presque perpendiculaire (1).

L'homme-tronc. Un monstre contemporain, bien connu des badauds qui courent les fêtes foraines delà banlieue parisienne, c'est Y 1 tomme-tronc, un joyeux compère qui, sans bras ni jambes, n'a pas l'air de trop en vouloir à la nature de son inconcevable parci- monie. Autant de moins à dépenser pour le tailleur et le cordonnier. Ecoutez le dernier couplet de la chanson qu'il distribue :

(1) Presse mèd, belge.

330

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Une moitié de vêtement

En drap d'Elbeuf ou de Narbonne,

Me suffît, messieurs, largement ;

Je le trouve pour mon tronc bonne.

Des souliers me sont superflus,

Il ne faut pas de pans à mes jaquettes:

Mais ce que j'use encore le plus,

Ce sont des gants et des chaussettes!

bis.

Anatomiquement, l'homme-tronc a deux rudiments de cuisse; le bras gauche manque complètement ; le bras droit est représenté par une sorte de moignon conique long de vingt centimètres environ.

Fig. 210. L'hommc-tronc en train d'cîcrire.

C'est ce rudiment de bras que V artiste utilise ingénieusement en l'apposant à sa joue, à son menton, à son corps pour exécuter une série de curieux exercices. L'affiche de l'artiste-tronc donne un résumé exact de ses talents et de sa biographie:

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 331

L'ARTISTE-TROÏÏC

LA PLUS GRANDE MERVEILLE DU XIXe SIÈCLE

PIIÉXOJIÈ^E UNICITE

De toutes les bizarreries que produit la nature, la plus curieuse, cer- tainement, est ce phénomène extraordinaire, qui résout ce problème de

MANGER, ÉCRIRE, ROIRE SANS RRAS!

ET DE

MARCHER, SAUTER SANS JAMRES !

10,000 Francs

exécutés par

à qui prouvera que les exercices FARTISTE-TROM sont dus à un subterfuge quelconque

1. Écrire très couramment; t). Couper du papier avec des ciseaux ;

2. Boucher et déboucher une carafe ; &, 7. Enfiler une aiguille ;

3. Verser de l'eau dans un verre ; li 8. Marcher, courir, sauter avec adresse ; 1. Manger avec cuiller et fourchette; ^J. 9. Ouvrir les montres, tirer au pistolet ; 5. Calculer sur un tableau; t 10. Peindre et dessiner, etc., etc.

TOUS CES EXERCICES SONT EXÉCUTÉS SANS L'AIDE DE PERSONNE NOTICE

Est le fils d'un directeur des mines de Troizk, en Sibérie, âgé de trente-quatre ans, sans bras ni Jambes, marié et père de cinq enfants bien constitués. Sa taille est de 85 centimètres.

L'ARTISTE-TRONC a obtenu le plus grand succès partout : à Saint-Pétersbourg, l'empereur Alexandre II l'a applaudi ; à Vienne, il a été félicité par l'empereur d'Autriche, etc.

La famille de l'ARTISTE-TRONC. dont l'apparition ne peut effrayer personne, sa présence produisant une joyeuse admi- ration, ose espérer être honorée de la visite des personnes les plus convenables.

E'S|rtiôte-lprone parle Brançaiô, le Huôôe, l'Sllcmand et la lanque Ifartare

lisible lotis tes Jours fie 1 h. à 7 /«. et tte S h. à tuhutil

332

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Nous avons eu l'honneur de nous entretenir amicalement avec Kobelkoiï qui a bien voulu, pour nous, se faire photographier en train d'écrire (fig. 210). De plus, nous avons obtenu de l'artiste l'auto- graphe que nous reproduisons ci-dessous :

t^

rtt^e) -zs-ff-i-^a ^-*-a<-&/ /? -tu. 'C^é>>

C'est, comme on le voit, une écriture fort régulière, avec de belles volutes aux majuscules et un paraphe que ne désavouerait pas l'illustre élève de Brard et Saint-Omer :

Nulla manus trunco; si truncus scribat, aranti Membranam calamis, est bene docta manus.

Ce tronc n'a point de main, et pourtant quand il écrit

Et promène la plume sur le papier, ce tronc a une belle main.

Plusieurs cas analogues ont été cités par les auteurs, mais il s'agit surtout d'individus privés des membres supérieurs et dont l'un ou l'autre moignon avait acquis la dextérité d'une main :

« On a veu », raconte A. Paré, « depuis quelque temps en ça, à Paris, un homme sans bras, aagé de quarante ans ou environ, fort

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

333

et robuste, lequel faisoit presque toutes les actions qu'un autre pou- voit faire de ses mains : à sçavoir avec son moignon d'espaule et la teste, ruoit une coignée contre une pièce de bois aussi ferme qu'un autre homme eust sceu faire avec ses bras. Pareillement faisoit cliqueter un foit de chartier, et faisoit plusieurs autres actions: et avec ses pieds mangeoit, beuvoit, et ioïioit aux cartes et aux dez,

Fig. 211. Ectromfcle, d'après A. Paré.

ce qui est démonstré par ce portrait (fig. 211). A la fin fut larron, voleur et meurtrier, et exécuté en Gueldre, à sçavoir pendu, puis mis sus la roue (1). »

Il y a quelques années, on voyait à Paris un manchot des deux bras qui se servait de ses pieds pour écrire et pour coudre, après avoir lui-même taillé sa plume ou enfilé son aiguille. Un autre, écri-

(1) En 1829, on exécuta, dans la Vendée, Nicolas Seguineau, une sorte de cul- de-jatte possédant d'un côté un rudiment de jambe, et de l'autre un pilon en bois qui l'aidait à marcher avec deux béquilles ; il commit plusieurs assassinats qui avaient jeté la terreur dans le pays, et ce mendiant, se traînant de hameau en hameau, était le seul qu'on ne soupçonnait pas. Pour accomplir son crime, il s'asseyait au pied d'un arbre, débouclait les courroies qui retenaient sa jambe do bois et visait sur sa victime avec un fusil dissimulé dans sa quille.

33:

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

vait avec'un porlc-plume fixé dans le creux de son nombril. Enfin, Louis'Ducornet et Charles Felu, tous les deux privés de bras, se sont acquis une certaine célébrité en peignant à l'aide de leurs pieds. On sait que le premier exécuta la peinture de la voûte de St-Jacques- du-Haut-Pas, couché sur un matelas.

Fig. 212. Squelelte de phocomèle.

Dans cette galerie de malformations des membres, peut encore figurer cet individu qui a son squelette au Musée Dupuytren ^fig. 212), et dont les membres thoraciques sont réduits aux mains et les membres abdominaux aux pieds ; anomalie faisant ressembler cet être humain à certains animaux aquatiques.

•ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 335

Diverses questions relatives aux monstruosités.

Quelle cause produit les monstres? La colère des dieux, si l'on en croit les anciens, leur volonté de présager quelque malheur ; Tacite dit sérieusement que la mort de Claude fut annoncée par la naissance de monstres doubles. A Sparte, on se débarrassait, sans façon, de ces citoyens manques et l'on pensait ainsi détourner le présage. Les Athé- niens et les Romains s'empressaient, en cas de naissance monstrueuse, de faire des prières publiques accompagnées de sacrifices. En Orient, au contraire, on paraît avoir vénéré certains monstres ; ainsi en Chal- dée, un enfant, naissant avec six doigts à la main droite, devait néces- sairement être un guerrier vainqueur.

Au XVIe siècle, le bon Ambroise Paré en est encore à Vire de Dieu, comme cause de la production des monstres; il est vrai qu'il y ajoute, avec Empédocle, la trop grande quantité de semence; mais ce à quoi n'avait pas songé le philosophe grec, il fait intervenir l'influence directe des démons. Les comètes ont aussi été accusées de ces méfaits et de bien d'autres. « C'est une chose honteuse pour l'esprit humain » , dit Maupertuis, « de voir de grands médecins traiter les comètes comme des abcès du ciel, et prescrire un régime pour se préserver de leur contagion ». Ne rions pas de nos pères: depuis, n'avons-nous pas vu Raspail affirmer que les épidémies sont dues à l'existence d'une comète visible ou non à l'horizon? L'absurdité humaine est inépui- sable. On a encore attribué la production des monstres à l'influence d'une fécondation opérée sous le signe des gémeaux. On trouve rap- portée sérieusement, dans plusieurs anciens ouvrages, l'histoire d'une femme qui, ayant conçu sous ce signe, donna naissance à la fois à quatre monstres dont trois étaient doubles.

La conception au moment des règles a passé longtemps pour pro- duire des monstres, comme nous l'apprend le quatrain suivant :

Femmes qui désirez de la progéniture, Durant le cours des mois respectez la nature ; Le fils de Jupiter, Vulcain, ainsi conçu, Vint au monde impotent, cul-de-jatte et bossu.

Il est vrai que d'autres auteurs attribuent la difformité de Vulcain à l'ébriété dans laquelle se trouvait Jupiter au moment il engen- drait le dieu du feu.

L'accouplement de l'homme ou de la femme avec quelque animal était une explication commode de certaines monstruosités, soit physi- ques, soit morales. A quiconque admettait la fécondité de telles unions,

33G HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

la naissance du Minotaure pouvait sembler fort possible ; nous avons déjà cité quelques exemples semblables.

Riolan, le premier, nous l'avons dit, eut le courage do s'attaquer à cette superstition qui voyait des présages funestes dans la naissance des monstres, et de nier leur origine bestiale, Dans un Mémoire sur deux jumelles ou agrippines, réunies parla poitrine, il conclut qu'elles ne doivent pas être sacrifiées. Après s'être demandé ce que les agrip- pines pourraient bien présager: « Je n'en sais rien, » dit-il; «et quant à moi, je ne crains rien ; ce que je sais cependant, c'est que ces jumelles ont été une source de félicité pour leurs parents, qui, avec elles, font tous les jours une quête fort plantureuse ». Et cependant, en 1745, le chanoine Cangiamila admettait encore, pour cause de la production des monstres, « l'œuf d'un animal qui fortuitement pénètre dans le sein d'une femme ». Il y joint d'ailleurs « la scélératesse de la mère» et-« la fantaisie maternelle ». Cette dernière cause, l'influence de l'imagination de la mère, est peut-être celle qui a été le plus souvent invoquée pour expliquer la production des monstres, et on a cité à l'appui de nombreux exemples qui ont pu en imposer aux esprits non prévenus (1).

On a attribué la naissance d'Hélène et Judith à l'influence de l'ima- gination de leur mère, frappée, vers le commencement de la grossesse, de la vue de deux chiens accouplés. Ce spectacle se présente assez souvent dans les rues aux yeux des femmes enceintes, et cepen- dant le nombre des monstruosités doubles est fort restreint. S'il est vrai qu'un violent ébranlement moral produise sur l'embryon un trouble fonctionnel qui peut, à la rigueur, se traduire par un vice de conformation tel que l'anencéphalie, le plus souvent les anomalies de développement sont le résultat de l'hérédité ou de chocs violents sur l'abdomen.

En Irlande, les canons de l'Eglise interdisaient le coït le dimanche, sans quoi on s'exposait à procréer des monstres ou des lépreux. Nous avons vu que dans ce même pays, comme du reste dans les autres contrées du Nord, les monstres passent pour des enfants des fées qu'elles substituent aux autres.

Les monstruosités soulèvent d'autres questions intéressantes.

Ainsi l'on croit généralement que l'expulsion des monstres (fig. 213) est très pénible. Il n'en est rien, parce que, en général, les monstres doubles naissent avant terme, comme pour les couches gémellaires ; quant aux monstruosités unitaires, à l'exception des cas d'hydrocé-

(1) V. Erreurs et Préjugés, p. 109.

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

337

phalie (fig. 214, 215), d'ascite ou de rétention d'urine (fi g. 216) qui nécessitent souvent l'intervention du chirurgien, l'accouchement se fait normalement ou même plus facilement, surtout s'il y a absence de la tête ou d'une autre extrémité, comme pour l'homme-tronc, le volume du corps étant diminué d'autant.

Fig. 213. Xaissance d'un monstre thoraeopage.

Ailleurs (1) nous avons parlé des discussions soutenues au sujet du baptême des monstres, et nous avons vu qu'il est de règle de consi- dérer le nombre des monstres en raisonne celui de leurs têtes : quot capita lot monstra. Au point de vue de l'état civil, un être double doit-il être regardé comme unique ou double? lui donnera-t-on un ou deux noms? pourra-t-il hériter ou tester? lui sera-t-il permis de se marier? (21.

(1)V. page 137.

(2) Nous nous rappelons qu'au moment du séjour de] Millie-Christine en France, on souleva une question de chemin de fer. Le Rossignol à deux têtes devait-il payer une place ou deux places? Que si l'état civil nous dit : quot capita tôt homines, les compagnies peuvent, de leur côté, prétendre que quot culi tôt sedes.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 22

338

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Nous l'avons dit, tout monstre double à deux têtes est considéré comme deux individus ; tout monstre à une seule tête, aurait-il deux corps, n'est regardé que comme un seul être. Les monstres peuvent tester, ils peuvent hériter et se marier. Dans ce dernier cas, la mons- truosité ne se transmet pas nécessairement aux enfants. Ces ques- tions relatives au mariage des monstres ont servi de donnée à un roman curieux de Pisrault-Lebrun.

Fig. 214. Hydrocéphale.

La nombreuse progéniture des frères Siamois, indemne de toute difformité, prouve suffisamment que les monstruosités ne sont pas héréditaires ; il n'en est pas de même des vices de conformation tels que le bec-de-lièvre, le pied-bot, les doigts supplémentaires ou pal- més. Une jeune fille enceinte, citée par Grawford, accusait un homme sexdigitaire qui protestait de son innocence : mais elle accoucha de deux jumelles dont les mains présentaient chacune dix doigts.

Monstres artificiels. On peut faire des monstres, non pas seulement des monstres de laideur, comme Quasimodo ou la victime des Gomprachicos, V Homme qui rit, de Victor Hugo, mais des mons- tres au sens scientifique du terme. Pline vit conservé dans du miel un centaure venu d'Egypte ; c'était sans doute le chef-d'œuvre d'un mys- tificateur. La dent d'or avec laquelle l'enfant de Schweidnitz était

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES

339

venu au monde rentre dans la catégorie de ces mystifications (1). Jacques Hortius a expliqué ce prétendu phénomène par l'influence des constellations qui avaient présidé à la naissance de l'enfant.

Fig. 215. Fœtus hyilrûcéphalique (Yrolik)

(1) Voici ce qu'écrit Fontenelle au sujet de cette supercherie : « En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or à la place d'une de ses grosses dents. Hortius, professeur en médecine dans l'université de Helmstœdt, écrivit en 1595 l'histoire de cette dent, et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie merveilleuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant, pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. Figurez-vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens, ni aux Turcs. En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rolland us en écrit encore l'histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant,

3i0

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

L'enfant, disait-il, naquit le 22 décembre 1586, époque le soleil se trouvait en conjonction avec Saturne dans le signe du bélier; cette circonstance détermina une augmentation considérable de chaleur, et accrut la force nutritive à tel point, qu'au lieu d'une substance osseuse, ce fut de l'or qui se trouva sécrété.

Les habitués de la Cour des miracles étaient passés maîtres dans la confection des difformités et monstruosités humaines. A leur exem- ple, les bateleurs obtiennent un faux hydrocéphale en insufflant de

Fig. 216. Rétention d'urinu chez le fœtus.

l'air sous le cuir chevelu d'un enfant. Qui ne connaît l'histoire des rais à trompe? On sait que, par l'autoplastie,il est possible de souder une partie du corps détachéed'un point, sur un autre. C'est ainsi que Brinon, ancien prosecteur de Gratiolet, souda quelques centimètres de la queue de plusieurs rats au bout de leur museau et il les appela des rais à trompe du Sahara. M. Bory de Saint-Vincent, considérant

écrit contre le sentiment de Kollandus, qui fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eut examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent avec beau- coup d'adresse ; niais on commença par faire des livres et puis on consulta l'or- fèvre. ))

ACCOUCHEMENTS EXTRAORDINAIRES 341

ces monstruosités comme authentiques, en acheta une paire trois cent francs, avec l'intention de propager cette curieuse espèce. « Mais hélas ! » dit Joulin, « dès la première génération, il s'aperçut que ses pensionnaires avaient été victimes, et lui aussi, d'une opération... commerciale. Les petits n'avaient pas besoin de cornac, ils étaient dépourvus de trompe ! ». Dans la notice biographique que nous con- sacrerons à cet accoucheur, on pourra lire une histoire bien amu- sante, mais purement fantaisiste, d'une épidémie d'anencéphales.

CHAPITRE IV

MŒURS ET COUTUMES OBSTÉTRICALES

On a accouché, on accouche, on accouchera ; le verbe se conju- guera aussi longtemps que, par le monde, se conjugueront les sexes. Mais dans quelle posture accouchait-on jadis? Dans quelle posture accouche-t-on aujourd'hui sous les diverses latitudes? Cette question d'ethnologie méritait d'être étudiée. Elle l'a été par différents auteurs, principalement par Rigby (1), Victor Legros (2), Henri Ploss (3), Goodell (4) et Georges Engelmann (5) dont l'ouvrage fut traduit par M. Paul Rodet, en son français (6). Entre la version de M. Rodet et notre chapitre, le lecteur pourra trouver des points de ressem- blance. A ce propos, nous ferons remarquer qu'avant cette dernière publication, nous avions écrit à l'auteur original pour lui demander l'autorisation de reproduire son travail, paru dans les Gynecological transactions, et dont nous avions confié la traduction, dès 1883, à un érudit, M. Victor Gérard ; le docteur américain mit six mois à nous répondre. 11 est vrai que Saint-Louis, sur le Mississipi, est loin de Paris. D'autre part, M. Rodet n'ignorait pas que, pour notre Histoire des Accouchements, en préparation depuis plusieurs années, nous avions tiré parti des observations d'Engelmann: avant l'impression de son

(1) Médical Times and Gazette, 1857.

(2) De la position de la femme pendant l'accouchement (Gazette des hôpitaux, 1864).

(3) Ueberdie Lage und Steïlung der Frau, Wakrend der Oehuvt bel verschicdcnen Vôlliem. Leipsick, 1872.

(4) Some ancientes Methods of Delivery. American journal of obstetrics, 1872.

(5) Labor among primitive People showing the development of the obstetric science of to day, front the natural and instruction customs of ail Races, 1880. Le doct. C. Hennig en a donné une traduction allemande. Vienne, 1884.

(6) La pratique des accouchements chez les peuples primitifs, chez J.-B. Baillière et fils, 1886. Le docteur E. Verrier a aussi étudié cette question en détail, dans ses Leçons sur V accouchement compare dans les races humaines, 1886,

MOEURS ET COUTUMES 3i3

travail, au cours d'une conversation chez notre éditeur, nous avions cru pouvoir le lui confier. La confidence ne fut pas réciproque; M. Rodet, par sa discrétion exagérée, a donné une fois de plus raison au proverbe italien : tvaduttore, traditore.

Après les postures, nous avons traité (tes coutumes singulières et des idées superstitieuses chez tous les peuples. C'est comme un complément de notre chapitre sur les Erreurs et préjugés popu- laires en obstétrique. De plus, nous signalons les particularités curieuses que présentent les règlements des diverses Maternités de l'Europe ; nous disons aussi quelques mots du mode d'allaitement propre à chaque pays, ainsi que de la fréquence plus ou moins grande des avortements qui s'y pratiquent. Les documents rassemblés dans ce paragraphe sont fort nombreux ; pour plus d'exactitude, nous avons d'ordinaire conservé le texte même de l'auteur dans lequel nous les avons puisés. C'est la partie la plus longue de ce chapitre ; ce n'est pas la moins intéressante, croyons-nous.

Pour finir, nous avons réuni dons une dernière section, tous les renseignements qui se rattachent plus particulièrement à la profession obstétricale : on y trouvera les statuts et prérogatives des accoucheurs et des sages-femmes depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, et des études sur les mœurs professionnelles de la corporation. On nous pardon- nera, nous l'espérons du moins, quelques irrévérencieuses critiques qui ont échappé à notre plume. Enfin, nous offrons aux amateurs d'imageries populaires, un petit musée des enseignes obstétricales; la collection des réclames de ce genre dénote, chez nos matrones, un penchant prononcé pour la peinture facétieuse.

POSTURES PRISES PENDANT L ACCOUCHEMENT

A. ANTIQUITÉ

Inde et Egypte antiques. Autrefois, en Egypte, d'après plusieurs témoignages archéologiques (fig. 217, 218), les femmes devaient accoucher agenouillées sur le sol et assises sur leurs talons. Cependant, un bas-relief du temple de Louqsor nous montre la reine Mout-em-ouat venant d'accoucher, soutenue par les déesses Hat- Hor et assise sur un trône, au-dessus d'un vaste lit à tête et à pieds de

344

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

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lion (fig. 29) ; ce qui donnerait à penser que les égyptiennes accou- chaient aussi sur un siège.

Dans l'Inde ancienne, on faisait coucher la patiente sur un lit moelleux, et elle devait y être maintenue les jambes écartées « par quatre femmes courageuses, d'un âge mûr, habituées à voir des accouchements, et qui avaient le soin de rogner leurs ongles ». Ce renseignement nous est fourni par V Ayurvedas de Susruta, qui fait partie du quatrième Veda, et remonte au moins à mille ans avant Jésus-Christ.

Fig. 217. Hiéroglyphe, exprimant l'idée enfanter.

Attitude des femmes des Hébreux. Par suite d'une mauvaise interprétation de certains passages de la Bible, on a tiré des conclusions fausses sur la position que prenaient, pour accoucher, les femmes des Hébreux. Nous avons déjà rappelé l'ordre donné par le Pharaon à Sciphra et Puha, sages-femmes d'Israël. « Quand vous

Fig. 218. Accouchement de Cliiopàtre, d'après un has-relief du temple d'Esneh.

recevrez les enfants des femmes des Hébreux, et que vous les verrez sur le siège, si c'est un fils, mettez-le à m.ort... » De cette indication : Quand vous les verrez sur le siège, certains auteurs ont voulu induire que les Juives accouchaient assises sur une chaise ad hoc, analogue à celle qui, autrefois, était en usage en Allemagne (fig. 240). Comme toujours, un érudit a, pour tout, une explication sous la main, on ajoutait que cette coutume obstétricale était une importation juive dans le pays de Luther. Cahen, Resdale et Siebold pensent que le siège indique la partie de l'enfant que les sages-femmes devaient examiner pour s'assurer de son sexe. Suivant Kotelmann, le mot

MOEURS ET COUTUMES 345

hébreu ebnaim (1) ne signifie pas siège, mais pierre, et les Arabes ont encore l'habitude de s'asseoir sur des pierres pour accoucher. Vater croit que ce siège n'était autre qu'un bain de siège, nous ne parta- gerons pas cet avis. Malgaigne, dans ses Lettres sur l'histoire de la chirurgie, suppose, avec assez de vraisemblance, qu'il s'agit du siège ordinaire de la femme et non d'une chaise spéciale.

Ailleurs, le texte sacré dit : quand la femme de Phinéès accouche, elle se courbe. D'après le lexique hébreu de Genesius, le verbe que nous rendons par se courber, signifierait en réalité se mettre à genoux, posture que les Juives auraient prise pour accoucher. Cette opinion semble corroborée par un autre passage de l'ancien Testament, dans lequel Job s'écrie: « Pourquoi les genoux étaient-ils contre moi? » Ce qui signifie : « Pourquoi les genoux de ma mère restent-ils rigides et m' étranglent-ils en naissant? ». D'autres commentateurs ont vu dans le « elle se courbe » la preuve que les femmes des Hébreux s'accroupissaient pour accoucher, comme on le fait aujourd'hui en- core en Orient. Mais, suivant toute vraisemblance, la femme de Phinéès, saisie par la triste nouvelle, s'affaissa sur elle-même et accoucha. Cet accouchement est accidentel et ne saurait donner au- cune indication sur la position prise ordinairement.

Le Dr F. Imbert induit d'autres passages que la femme en travail se plaçait sur les genoux de son mari ou d'une autre personne : « Ut pariât super genua mea[2), dit Rachel ; Natisunt ingenibus Joseph (3), lit-on ailleurs à propos des enfants de ce patriarche. Les commenta- teurs ont dit qu'il y avait une figure. Valable a traduit : Ut acci- piam puerum in gremio meo. Tout cela est vrai, mais un sens figuré suppose un sens littéral ; sans cela, il serait inintelligible. Que signi- fierait la formule, je vous embrasse, par laquelle on termine une lettre à un ami, si l'usage n'était pas de s'embrasser en signe d'amitié? Je dis même que ces mots : Natisunt in genibus Joseph, n'auraient point de sens, si l'usage n'avait pas été d'accoucher sur les genoux de quel- qu'un ».

Nous ne discuterons pas sur le plus ou moins de commodité que peut présenter la posture indiquée. Nous constaterons seule- ment que l'auteur a tiré de la rhétorique un argument au moins

(1) Le nom abenim, que les Egyptiennes donnent au fauteuil qu'elles emploient encore de nos jours pour accoucher, se rapproche un peu de ce mot hébreu dont il est l'anagramme ; nous ne savons trop ce que penserait la philologie sémitique d'un tel argument; il nous paraît bien maigre.

(2) Qen. XXX, 3.

(3) Gcn. L, 22.

3'i6 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

étrange. Un sens figuré, nous dit-il, suppose un sens littéral ; anté- rieurement, soit ; mais par ce fait même que vous usez de figure, le sens propre a disparu. J'ai été élevé sur les genoux de l'Eglise: est-ce une raison pour que l'Eglise soit un être muni de ces articulations unissant la jambe et la cuisse, et que, cette articulation étant ployée, j'aie assis mon siège sur sa partie antérieure? Et puis d'ailleurs, pour raisonner sur la valeur d'une métaphore, encore faudrait-il con- naître la langue dans laquelle elle a été employée. Or, le docteur Imbert connaissait-il l'hébreu ? Pas plus que nous, je suppose. Et qu'est-ce que la traduction d'une métaphore? La photographie inexacte d'un tableau expressif. Lemaistre de Sacy qui était, non pas un méde- cin soucieux de soutenir un paradoxe biblico-médical, mais un fort orientaliste, interprète ce passage de façon à enlever toute équivoque : « RacJiel ajouta: fai Bala ma servante; allez à elle afin que je reçoive sûr mes genoux ce quelle enfantera, et que j'aie des enfants d'elle ». Quant au passage il est question des genoux de Joseph, il est plus net encore, s'il est possible: « Machir, fils de Manassé, eut aussi des enfants qui furent élevés sur les genoux de Joseph ».

D'un autre passage de la Bible, on a voulu conclure que les femmes des Hébreux accouchaient debout : Jérémiedit aux Hébreux : « Pour- quoi vois-je tout homme ayant les mains sur les reins comme une femme en travail? (1) »; mais ce passage fait plutôt allusion à l'habitude qu'ont, encore de nos jours, les femmes de se promener dans la chambre, pendant le travail, les mains sur les hanches. Ainsi donc, par ces inter- prétations variées des livres sacrés, on a fait accoucher successivement les Juives, assises sur une chaise spéciale, sur une pierre ou sur les genoux d'un aide, à genoux, accroupies et enfin debout. En réalité, les documents sont insuffisants pour établir dans quelle posture accouchaient les femmes des Hébreux.

Comment accouchaient les Grecques anciennes. Les

femmes de l'Hellade primitive semblent avoir souvent accouché à genoux, le corps incliné en avant, à la façon dont l'hymne homérique à Apollon Délien nous représente Léto (fig. 10). Plus tard, cette attitude fut réservée surtout aux femmes obèses; mais, dans les cas ordinaires, les Grecques prenaient la position horizontale sur un lit. Moschion recommande seulement à la sage-femme de ne pas se placer en face de la parturiente, de crainte d'alarmer sa pudeur, ce qui pourrait « fermer les passages ».

(1) Je vernie, ch. XXX, v. 6.

MOEURS ET COUTUMES

3i7

Pour les couches laborieuses, Ilippocrale conseillait une manœuvre, appelée depuis la succussion hippocratique (fig. 219) : « On étendra », écrit-il, « un linge par-dessous la femme couchée sur le dos, et on jettera un autre linge pour cacher la vulve ; chaque jambe et chaque bras seront enveloppés d'un linge. Deux femmes saisiront les jambes, et deux autres femmes saisiront les bras; alors, tenant fermement, elles ne donneront pas moins de dix secousses. Puis, elles mettront

Fig. 219. Succussion hippocratique horizontale.

la femme sur le lit, la tête en bas, les jambes en haut ; et laissant les bras, elles saisiront toutes les quatre les jambes et donneront plusieurs secousses sur les épaules, en rejetant la patiente sur le lit, afin, qu'ainsi secoué, le fœtus se replace dans l'espace large, et puisse cheminer régulièrement ».

La succussion se faisait encore d'une autre manière (fig. 220) : « On place quelquefois la femme », dit ailleurs Ilippocrale, « sur un lit solide élevé, elle se couche renversée sur le dos ; on la ceint par la poitrine d'un ruban large ou d'une courroie souple, qui passe sous les aisselles et qu'on attache au lit: on ceint de même les bras; on

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

fait éloigner les jambes l'une de l'autre, et on contient les pieds en les liant par les malléoles. Après avoir ainsi disposé la femme en tra- vail, on a deux fagots de bois sec et souple, ou tout autre chose propre à faire que, lorsque le lit sera dressé verticalement et qu'on le secouera contre la terre, le milieu des pieds ne puissent point toucher la terre. On dit en même temps à la femme de se tenir des mains au lit, sans y appuyer la tête, en sorte que son corps porte sur les pieds sans

Succussion verticale.

qu'elle puisse glisser. Le tout étant ainsi disposé, et le lit étant placé verticalement, on met les fagots par derrière sous les pieds du lit, on les range de façon que la traverse des pieds du lit ne touche point la terre, quand on le secouera ; mais qu'elle porte sur les fagots. Deux hommes placés, un de chaque côté, élèveront le lit en haut d'un mouve- ment uni et égal, qui ne donne point de secousses de côté, en le lais- sant tomber sur les fagots, au moment la femme aura des douleurs ;

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

s'arrêtant aussitôt qu'elle sera délivrée, ou bien recommençant, en tenant toujours le lit vertical. Tel est le moyen de faire sortir l'enfant, quand il se présente naturellement. »

Enfin un passage de Moschion nous indique que fréquemment aussi les Grecques accouchaient assises, appuyées sur un aide. Cet auteur examinant combien d'aides sont nécessaires pour l'accouchement s'exprime en ces termes : « Il en faut trois, dont deux sont placées à droite et à gauche de la femme en travail ; la troisième doit être pla- cée derrière elle et l'empêcher de se jeter de côté lorsque les douleurs

Fig, 222. Un accouchement dans !a Grice an;ienn3 (1). Groupe faisant partie du musée Cesnola.

surviennent; elle doit, en outre, l'encourager à supporter courageuse- ment ses douleurs ». Un panneau allégorique, conservé au Musée Orfila, reproduit avec art celte position (fig. 221). Plus curieux encore est un groupe en marbre trouvé à Chypre, en 1871, par le général Cesnola, de New-York (fig. 222), dans les ruines d'un temple à Gol- goï. Ce morceau de la meilleure époque de l'art grec indique la posi-

(1) Nous avons tenté une restauration de la tête des personnages mutilés par le temps.

MOEURS ET COUTUMES

351

tion assise, à demi couchée, en usage à Chypre, environ 480 ans av. J.-G. Dans le fronton du Parthénon se trouve un groupe analogue (fig. 223).

De la chaise obstétricale dans l'antiquité. Ce groupe de Golgoïnous amène à nous occuper d'une question d'histoire obsté- tricale assez intéressante. Le siège sur lequel la parturiente est à demi étendue, est-il un siège spécial? D'après la coutume encore ob-

Fig. 223. Groupe représenté dans le fronton du Parthénon.

servée de nos jours en Chypre, la réponse ne semble devoir être dou- teuse. En effet, les sages-femmes de cette île se servent de sièges ab- solument semblables, qu'elles emportent avec elles quand elles vont faire un accouchement (fig. 224).

D'ailleurs, plusieurs médecins grecs font mention de la chaise à accoucher. Artémidore, Soranus d'Ephèse, Moschion, Aetius, Paul d'Egine. « Il sera temps de mettre la parturiente sur le fauteuil, » dit ce dernier, « quand l'ouverture de l'utérus aura été constatée par le toucher, et que la sortie de l'enfant est imminente. » Avant eux, Hippocrate en conseilla déjà l'emploi pour faciliter la sortie du pla- centa : « Si l'arrière-faix ne sort point», écrit-il, « laissez-le tenir à l'enfant, et placez la mère sur une chaise qui soit percée et élevée, afin que l'enfant suspendu à l'arrière-faix, l'attirant par son propre

352

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

poids, l'aide à sortir. Ceci doit être fait avec précaution, doucement et sans tiraillement, de crainte d'amener des inflammations ».

Position des Romaines. La médecine antique ayant été exclusivement hellénique, les pratiques scientifiques en usage dans la Rome civilisée étaient celles qu'enseignaient et suivaient les Grecs. D'après les textes et les monuments, les Romaines semblent avoir surtout accouché au lit : « Holà, Pithécium », dit à sa servante une courtisane qui veut se faire passer pour mère, « aide-moi à me mettre au lit » ; et à Archilis, une autre servante : « Tire-moi mes sandales, couvre-moi (1).

Ce lit qui servait à l'accouchement et aux suites de couches, était très grand ; on le dressait dans une pièce particulière réservée aux

Fig. 224- Chaise moderne de sage-femme à Chypre, d'après Engelmann (2).

accouchements et dont les Romains donnaient la clef à leurs épouses dès les premières douleurs. Les riches le jonchaient de fleurs et le tapissaient d'étoffes de pourpre frangées d'or. Ce magnifique lit de misère était appelé genialis ou genilalis (fig. 225). Prudence, dans une de ses épigrammes contre Symmaque, préfet de Rome, dit :

Jam gravidoe fulcrum géniale jparatur.

« Déjà on prépare pour la femme enceinte le lit génital ».

Sur ce lit, les Romaines accouchaient dans une altitude analogue à celle qu'elles prenaient pour se mettre à table, la partie supérieure du

(1) Plaute. Truculcntuf, II, 5.

(2) Loc. cit.

MOEURS ET COUTUMES

353

corps inclinée. Nous en avons une preuve dans la Naissance de Titus, peinte sur le plafond d'une pièce du palais de cet empereur, à Rome (fig. 226). Une peinture de Pompéi (fig. 227) nous représente une

Fig. 225. Lit génital. (Figure tirée du Costume des anciens peuples, d'André Bardon.)

scène toute semblable : c'est l'accouchement d'Alcmène sur un lit ; mais il est évident que l'artiste s'est inspiré des costumes de son temps.

Fig. 22G. Naissance de l'empereur Titus, d'après Ploss.

Dans certains cas, les Romaines se plaçaient, comme les Grecques, sur les genoux et sur les coudes. « Si la difficulté », dit Soranus

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

23

354

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

d'Ephèse, médecin grec qui pratiqua à Rome sous le règne des empe- reurs Trajan et Adrien, « provient de l'excavation des lombes, il fau- dra placer la parturiente sur les genoux, pour que l'utérus, se diri-

Fig. 227. Accouchement d'Alcmène.

géant vers l'hypogastre, prenne une position meilleure ; on mettra clans la même posture les femmes grasses et charnues ».

B. TEMPS MODERNES.

France. Position au XVIe siècle. Ambroise Paré, dans ses Œuvres, parues en 15G4, nous donne une description que nous reproduisons dans toute sa naïveté : « ... Si tels signes se démonstrent, sois asseuré qu'en brief la femme enfantera ; et partant qu'on luy prépare tout ce qu'elle aura besoin pour tel affaire, et principalement à la bien situer en un lict en figure moyenne, à sçavoir non du tout à la renverse ny assise, mais aucunement le dos eslevé, afin qu'elle puisse mieux respirer et avoir force à mettre l'enfant hors. Davantage, faut qu'elle ait les jambes courbées, et les talons vers les fesses, et les cuisses escartées l'un de l'autre, et qu'elle s'appuye contre une bûche de bois posée au travers de son lict, ayant un peu les fesses eslevées.

« Aucuns accouchent debout estans appuyées des bras sur le bord du lict ou d'un banc; autres en une chaire propre à cela (fîg. 228), laquelle ne doit pas estre plus haute de la terre que de deux pieds. L'utilité de cette chaire n'est à mespriser parce que la femme grosse

MOEURS ET COUTUMES

355

y est située estant renversée sur le dos, de sorte qu'elle a son inspi- ration et expiration libres ; aussi que l'os sacrum et l'os caudœ sont en l'air, n'estans aucunement pressez, qui fait que les dits os se desjoi- gnent et séparent plus aisément. Pareillement l'os pubis, à cause que les cuisses sont escartées l'une de l'autre, joinct aussi que la sage- femme besongne plus à l'aise, estant assise devant la femme grosse.

c< L'on mettra un oreiller au dossier de la chaire, et quelques lin- ges où les cuisses seront appuyées, afin que la femme grosse soit plus à son aise.

«... Estant la femme en travail d'enfant, le tout venant bien, faut

T'ig. 228. Chaise obstétricale, d'aprùs Eucharius Rhodion et A, Paré.

laisser faire nature, et la sage-femme ; toutesfois faut commander à la femme (lors qu'elle aura des ondées et tranchées) qu'elle s'espreigne le plus qu'elle pourra, luy clouant le nez et la bouche, et une matrone luy presse les parties supérieures du ventre en poussant l'enfant en bas ; car telle chose ayde grandement à les faire accoucher, n'estans si vexées des tranchées ou ondées, comme j'ay souvent esfois expéri- menté en plusieurs femmes j'ay esté appelle pour leur ayder à accoucher.

356 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

« Pour haster la femme d'accoucher, la semence de lin, pilée avec eau d'armoise et de sabine, sert grandement ; après elle tachera à csternuer avec sternutatoires: quoy faysant, la femme avec moins de travail enfantera.

«...On baillera à la femme subit après l'enfantement deux ou trois cuillerées d'huile d'amandes douces tirées sans feu avec un peu de sucre. Autres prennent deux jaunes d'oeufs avec sucre, autres pren- nent de bon hippocras ; autres un consommé ou de la gelée ».

Dans le cas d'opérations obstétricales, on faisait prendre à la patiente une position des plus pénibles, qui ressemblait à une véri- table torture; pour assurer son immobilité, on l'entourait de liens des pieds à la tête. Voici, du reste, la description qu'en donne A. Paré, dans le Livre il traite De la manière de bien situer la femme pour lu y extraire V enfant :

« Et si telles choses », dit le chirurgien de Charles IX, « ne pro- fitent, faut besongner par œuvre manuelle et instrumens propres, en la manière qui s'ensuit. Premièrement rectifieras l'air de la chambre, sçavoir est, s'il est froid l'eschaufferas, et s'il est trop chaud le refroi- diras ; cela faict, faut situer la mère en la posant près le bord du lict, et la coucher à l'envers ayant les fesses aucunement eslevées sur quelque carreau dur, ou autre chose semblable, et qu'elle soit ren- versée, toutesfois en figure moyenne, c'est à sçavoir qu'elle ne soit du tout couchée n'y courbée, comme nous avons dit cy-dessus, afin qu'elle puisse avoir son inspiration et expiration plus libres, et que les ligaments de la matrice ne tendent point tant que si elle estoit couchée du tout à la renverse.

a Aussi luy faut courber les jambes ayant les talons assez près des fesses, les lier avec une grande et large bande de toile, ou autre chose, laquelle poseras premièrement par dessus le col, et au travers des espaules de ladite femme en manière de croix S. André ; puis derechef croiseras ladite bande à chacun pied, et la tourneras autour des jambes et cuisses, lesquelles seront escartées l'une de l'autre, en rapportant encore ladite lisière par dessus le col, et le faut lier et attacher si ferme que ladite patiente ne puisse se mouvoir çà ny là, ainsi qu'on lie ceux auxquels on extraict la pierre de la vessie (fig. 229). Et feras en sorte qu'elle aye les talons appuyez contre le bout du lict, et la feras tenir par dessous les aisselles et cuisses par bons servi- teurs, tellement qu'en tirant l'enfant, son cops ne suyve, car en suivant et obéissant on ne pourroit faire l'extraction.

« Cela faict, faut prendre un drap chaud en double et le poser sur les cuisses de ladite patiente, afin que l'air extérieur ne blesse la ma-

MOEURS ET COUTUMES

357

trice, et que l'opération soit plus" honneste, à cause des assistans, puis faire oindre toutes ses parties génitales avec choses onctueuses, afin de les rendre plus glissantes et coulantes, pour plus facilement extraire l'enfant ; ayant le chirurgien ses ongles rognez et qu'il n'aye aucun anneau en ses doits, pour garder qu'il ne fasse lésion aux parties il touchera. »

Cette ligature, malgré la vive répugnance qu'elle inspirait, resta adoptée pendant près de deux siècles. Nous verrons Dionis s'élever contre cette pratique barbare et constater, qu'à son époque, elle n'était pas encore tombée en désuétude.

Position au XVIIe siècle. Jacques Duval,' l'auteur du Traité des hermaphrodite (1612), va nous donner des détails intéres-

Fio. 229. Position pour la taille, analogue à celle qui était prise au XVI" siècle dans les accouchements laborieux, d'après A. Paré,

sants sur la position que, de son temps, les Françaises prenaient pour accoucher :

«... Mais parce qu'il est rare qu'une femme qui est en travail d'en- fant puisse toujours estre sur pied : on lui préparera un siège près de la table, ou autre chose de pareille hauteur, sur quoy elle se

3.")8 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

puisse tempestivement appuier. Et doit ce siège estre haut médio- crement, comme de pied et demi ou deux pieds : ouvert tant par devant que par derrière, à fin que l'obstétrice ait libre accez d'attou- chement... Ladicle chaire doit avoir un dossier inclinant à l'envers, sur lequel la femme se puisse commodément renverser, pour mieux se reposer au temps qu'elle n'aura ses achées.

« Et sera ladicte chaire bourrée des deux costez, ou bien garnie de coissinets, à ce que la femme soit mollement assise, en ce qui doit estre porté dessus, tant des cuisses que du siège.

« Elle aura devant elle un coissin assez large, sur lequel elle se mettra de genoux quand elle sentira survenir l'accèz, s'appuyant des mains sur ladicle, qu'elle tiendra ferme en s'efforçant à son pouvoir par la rétention de son haleine, à pousser son fardeau contre bas.

« Ou bien elle embrassera une femme par le col, durant qu'elle fera son effort. Et cependant l'une des obstétrices poussera doucement le ventre contre bas, aydant nature à son effort désiré, et l'autre ayant la main oingte de huyle de lis ou de beurre frais fondu, s'ef- forcera de dilater le couronnement, augmentant à son pouvoir le pas- sage de l'enfant, comme dessus est dit.

« Et adviendrait qu'une femme fust tant débille, qu'elle ne peust rester assise, elle sera mise sur un lict couvert de draps et de castalongnes suffisantes, tellement disposée, que la teste et tout le corps soient eslevez, pour avoir meilleure et plus facile respiration : le siège un peu plus bas, mais de beaucoup plus haut que les pieds, qui seront appuyez sur une barre, de peur qu'elle ne glisse ; elle les réfleichira vers le siège, tenant les genoux haut eslevez et ouverts.

« Dessous ses reins sera mise une élèze ou nappe de travers, dont la largeur sera telle, qu'estant ploiée en divers plis, elle reste large d'un pied. Et quand Tachée surviendra, deux des femmes qui l'assis- teront, la soulèveront avec la nappe ou élèze, qu'elles tiendront par les deux bouts, à ce que l'effort de nature se puisse librement faire, en la rémotion des os des iles et renversement du coccyx ou acromion.

« Et estant ainsi la patiente retenue par dessoubs les aisselles, et souslevée par dessoubs les lombes, une femme poussera l'enfant tout doucement, et l'obstétrice, oignant sa main, dilatera l'orifice de la matrice.

« Après l'accouchement et au cas que besoin fust de changer de lict à raison du débris delà couche, en laquelle elle aura rendu son enfant, eau et sang qui dessus seroient escoulez: on couvrira fort bien tout le bas ventre, avec un grand linge chaud, qu'on resserrera par entre les cuisses, tant devant que derrière : et outre ce on l'enveloppera d'un

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drap chaud doublé en deux ou trois doubles, puis l'ayant couverte d'un manteau de chambre on la conduira dans un autre lit bien chaud,

blanc et mol : elle sera suffisamment couverte, tant qu'il n'y ait deiïaut ny excez. Et estant bien mollement couchée, on luy couvrira

360 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

tout l'abdomen d'une pièce d'écarlate rouge, et par dessus on mettra une compresse faite en triangle, l'un des angles sera avancé entre les cuisses, pour luy couvrir toute la nature, et les deux autres eslevez sur les flancs jusques à la poitrine, et sera cette compresse bien unie- ment bandée, d'une nappe ou grande serviette ployée en trois ou qua- tre, qui soit large d'un pied, luy serrant le ventre à telle tolérance qu'elle ne sente douleur, mais que tout le bas ventre soit bien et com- pétamment comprimé.

« ... L'enfant ainsi nouvellement nay sera détenu sans teler par l'espace de quatre à cinq heures, puis ce temps passé, la femme empruntée luy donnera la mammelle par l'espace de six jours, ou plus, veu qu'Hippocrate en requert 25 ou 30, jusqu'à ce que le laict de la nourrice accouchée soit rectifié, et rendu propre pour l'enfant ». Nous avons déjà parlé de ce préjugé et de quelques autres qui avaient cours à cette époque.

Une curieuse gravure d'Abraham Boss (fig. 230) nous prouve, qu'au XVIIe siècle, les femmes accouchaient également sur un lit de misère. C'était l'habitude prise par Dionis et les autres accoucheurs de l'épo- que ; seul Mauriceau faisait accoucher les femmes dans leur lit.

« La manière la plus usitée en France », dit Dionis, « c'est d'accou- cher sur un petit lit qu'on appelle lit de travail, que l'on dresse exprès dans la plus grande ruelle du lit de la femme grosse. Ce lit doit être composé de deux matelas, placez sur un lit de repos qui n'ait pas plus de trois pieds de large, il faut même mettre entre les deux matelas une planche, afin que les fesses de la femme ne soient pas dans un creux; on y met deux draps et une couverture des plus minces; il y faut double traversin pour lever la tête et les épaules de la femme; on y met deux chevilles d'un pied de long, l'une à droite et l'autre à gauche, que la femme empoigne clans le temps des douleurs, et il y a une barre au pied du lit, qui sert d'appui aux pieds de la femme en travail.

» Quoi que ces sortes de lits soient très commodes, que toutes les femmes qui s'en servent s'en trouvent bien, et que les reines et les princesses, pour lesquelles on a cherché et inventé ce qu'il y a de meilleur, accouchent sur ces lits, dont il y en a un dans le garde- meubles du roy, qu'on a fait exprès, sur lequel les reines et madame la Dauphine ont accouché; néanmoins Mauriceau veut que les femmes accouchent dans leur lit ordinaire; il allègue pour toute raison, qu'a- près leur accouchement elles n'ont pas la peine d'être transportées d'un lit dans un autre. Il me paroît que cette légère incommodité ne doit pas l'emporter sur vingt commoditez que la femme reçoit en accou- chant sur un lit de travail ».

MOEURS ET COUTUMES

361

Dionis s'élève avec raison contre les ligatures, préconisées par A. Paré, dans les couches laborieuses. « C'est faire », dit-il, « une pro- position extravagante que de conseiller, comme font quelques auteurs, de lier une femme pour l'accoucher de force ; n'est-elle pas assez à plaindre de son mal, sans être garotée comme si elle étoit condamnée au supplice? A-t-on peur qu'elle s'enfaye, et qu'elle s'échappe? elle a trop d'intérêt d'être délivrée pour appréhender qu'elle ne se soumette pas volontairement à tout ce que l'accoucheur lui impose pour son bien: il n'est donc point. nécessaire de lacs ni de cordes, il ne faut seulementque trois femmes qui la tiennent, deux pour tenir les jambes et une autre derrière pour tenir les épaules ».

Posture au XVIIIe siècle. A cette époque, les idées de Mau- riceau dominent et le lit de travail semble abandonné, au grand déses-

Fig. 231. Position prise en France, au XIXe siècle, pour accoucher, d'après Maygrier.

poir d'Astruc qui s'écrie: « Il faut donc se réduire à accoucher à pré- sent toutes femmes ou sur une chaise longue ordinaire, ou même dans leur propre lit ». Il déplore surtout l'abandon d'un lit spécial, dont il donne la description: « On a employé», dit-il, « pendant longtems un litde travail, fait comme un lit de repos, avec cette seule différence qu'il étoit mobile sur un aissieu qui étoit sous le milieu du châssis du lit, moyennant quoi on pouvoit le faire pencher du côté des pieds ou de la

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

tète, ou le tenir dans une situation horizontale, selon le besoin, et le fixer dans la situation qu'on souhaitoit par le moyen d'une cheville. Ce lit étoit étroit, pour donner plus de liberté d'agir à la sage-femme, et couvert d'un matelas ou d'un sommier de crin, assez dur, afin que la femme en travail ne s'y enfonçât pas trop. Il y avoit au bout une tra- verse, contre laquelle elle pouvoit roidir les pieds,et en haut deux poi- gnées, l'une à droite et l'autre à gauche, qu'elle pouvoit empoigner dans les efforts... Cependant ce lit si commode et si utile est aujour- d'hui hors d'usage ».

Posture au XIXe siècle. De nos jours, dans les villes de France, comme du reste chez presque tous les peuples civilisés, le décubitus dorsal (fig. 23 1) est la posture la plus généralement employée. L'accoucheur soutient avec sa main le périnée, pour en empAcher la rupture, au passage de la tête.

Le plus souvent, l'accouchement se fait sur un lit préparé, appelé lit de misère (fig. 232). L'Ecole de la Maternité et un certain nombre d'autres accoucheurs préfèrent, à l'exemple de Mauriceau, ne pas déranger la femme et la bisser accoucher clans son lit. Voici comment

Fin. 232. Lit île miBère moderne.

ils disposent celui-ci pour la circonstance; nous empruntons la des- cription qui suit à YHygiène de la nouvelle accouchée du D1' .1. Bar- ba ri n :

« Sur le matelas on place une toile cirée ou du papier goudronné, ou même à leur défaut plusieurs doubles de vieux journaux ; on fait ainsi au-dessus de lui une garniture imperméable qui le protégera contre les diverses sécrétions et excrétions. Par-dessus on place un

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drap, puis une alèze en travers ; on a ainsi établi le lit définitif au- dessus duquel on va installer le lit provisoire.

«Sur l'alèze on met une nouvelle garniture imperméable, puis un drap, puis une alèze, et on procède à la confection des deux couver- tures ; l'une, la définitive, avec son drap et les diverses pièces qui la composeront, sera enroulée au pied du lit, tandis que la provisoire sera mise en place.

« De cette façon, quand l'accouchement sera terminé, il n'y aura plus qu'à faire glisser drap, alèze et garniture provisoires, à enlever ce qui recouvrait la femme, amener à la place la couverture qui était roulée à ses pieds, pour qu'elle se trouve sans secousse aucune dans un lit complètement propre, frais, sans être froid, et elle reposera tout aussi bien que si le lit venait d'être fait entièrement.

Fie. î.33. Autre variété <1e lit do misère, d'après Verrier.

« Les matelas sont préférables à la plume qui s'imprègne trop facilement des odeurs exhalées par la femme en couches et a le grave inconvénient de concentrer la chaleur. »

Le Dr Verrier représente, dans ses Leçons sur l 'accouchement comparé dans les races humaines, un lit de misère (fig. 233), qu'il a vu employer dans sa jeunesse et que nous retrouverons, légèrement modifié, au Canada. C'est un lit de sangle ou de fer, dont la tête est adossée au mur de la chambre ; on y dispose une chaise renversée, recouverte d'un matelas sur lequel se couche h patiente.

En Alsace, on passe sous le siège de la femme, un sac rempli de

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

son qui absorbe les liquides et que l'on brûle après l'accouchement.

Dans quelques contrées du midi, les femmes se tiennent, à la fa- çon des Roumaines, sur les genoux et les mains ; dans d'autres ré- gions, comme en Bretagne, elles accouchent debout, les jambes écar- tées, le tronc fléchi en avant et les coudes ou les mains appuyés sur le rebord du lit. Est-ce pour atténuer la douleur ou, en ménagères soi- gneuses, pour ne pas salir leur lit à l'avance ? Quoi qu'il en soit, elles ne se couchent que pour la délivrance.

Les femmes du Gâtinais s'agenouillent devant le siège d'une chaise et accouchent dans les cendres chaudes du foyer, la sage-femme prend l'enfant : de son nom de ramasseuse.

Dans le Morvan, elles s'accroupissent entre deux chaises (fig. 234)

Fig. 234. Position prise dans lo Morvaa.

qui leur servent de points d'appui. Beaucoup de Morvandelles de l'arrondissement de Château-Chinon se tiennent debout pour accou- cher en s'appuyant contre le lit. Les douleurs se rapprochant el croissant en intensité, la femme écarte les jambes afin de faciliter les manœuvres de l'opératrice. Celle-ci tire le nouveau-né et le reçoit sur ses genoux, elle a étendu une vieille chemise du père. Ce point est essentiel. Tout autre, lange serait dépourvu des vertus préservatrices dont est imprégnée la chemise paternelle.

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Angleterre. D'après Dionis, les Anglaises, au XVIIIe siècle, usaient d'un fauteuil de bois fait exprès, dont le fonds était échan- cré par devant, pour permettre à l'enfant de sortir commodément. Il s'agit sans doute de la chaise obstétricale d'Eucharius Rhodion (fig. 228).

En 1751, Jean Burton, d'York (1), veut que la femme se couche sur le côlé et tourne le dos à l'accoucheur ; cette méthode, en rap- port avec la pruderie britannique, fut universellement adoptée dans le Royaume-Uni et est encore en usage de nos jours. L'Anglaise en mal d'enfant se couche sur le côté gauche (fig. 235), près du bord du

Fig. 235. Posture anglaise.

lit, les jambes et les cuisses maintenues par un oreiller placé entre les genoux. « J'avoue », dit Depaul, « que je ne comprends pas au point de vue de l'accouchement, les avantages d'une pareille posture; elle m'a toujours paru incommode et moins propre à favoriser les efforts. Je suppose qu'elle est la conséquence de certaines habitudes anglaises et l'exagération d'un sentiment de pudeur que les femmes de ce pays portent si loin en toutes choses. » Cependant il faut reconnaître que cette attitude facilite la surveillance du périnée et réduit ainsi consi-

(I) Essay towards a Compleat System of Midroifery,

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

dérablement les chances des déchirures ; aussi est-elle employée de nos jours dans la plupart des maternités d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse, surtout pour les primipares et au moment du passage delà tête ; les multipares, dans ces pays, accouchent, comme en France, dans le décubitus dorsal. L'école de Lyon suit aussi l'exemple de ces pays.

Les figures 236, 237, extraites du Traité cl 'accouchement de Playfair, président de la Société obstétricale de Londres, nous montrent la fa- çon dont l'accoucheur soutient le périnée au passage de la tête, et la

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Fig. 236. Position des Anglaises pour accoucher.

manière dont se fait l'application du forceps dans la posture anglaise. En Irlande et en Ecosse, les femmes accouchent souvent accrou- pies, presqu'à genoux, ou bien, même pour un accouchement nor- mal, elles se posent sur les genoux et les coudes, croyant ainsi accé- lérer le travail et diminuer la douleur. Spence dit que, dans le Nord de l'Europe, les femmes en travail se suspendent au cou d'une per- sonne de haute taille qui leur soutient le dos et leur maintient les genoux avec les siens. C'est, nous le verrons, la position favorite des Iroquois.

Allemagne. Dès le milieu du seizième siècle, on fit usage, en Allemagne, de la chaise à accouchement dont Eucharius Rhodion ou

MOEURS ET COUTUMES

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Mais le mot latin, lavet, indique bien plutôt une simple lotion, comme de nos jours.

Dès que l'enfant était venu au monde, on le plongeait dans l'eau, opération que représente la naissance d'Achille (fig. 340). A Sparte, c'était dans l'eau glacée, ou bien on le lavait avec du vin, pour le ren- dre plus vigoureux. Il était ensuite placé sur un bouclier à côté d'une lance, et la mère disait : « Ou ceci ou sur cela; » c'est-à-dire : « sois victorieux avec la lance ou reviens mort sur le bouclier. »

Après le premier bain, on emmaillotait l'enfant dans les langes (--àpyava), habitude que méprisait d'ailleurs la rigidité Spartiate. En Thessalie, d'après Soranus d'Ephèse, on couchait l'enfant sur une

Fig. 340.

Naissance d'Achille.

planche percée d'un trou au milieu et recouverte d'un coussin rempli de foin ; sur les côtés de cette planche étaient percées des ouvertures pour passer les bandelettes qui fixaient le nouveau-né dans ses langes. « Le cinquième ou le sixième jour, le nouveau-né recevait la consé- cration dans une cérémonie la nourrice, le tenant dans ses bras, faisait en courant le tour du foyer allumé ; c'est pourquoi ce jour s'appelait opbiu&w.ov îjfiap et la cérémonie ajxcpt8prf{iia. Un festin réunis- sait alors tous les membres de la famille dans la maison paternelle, dont la porte était ornée d'une couronne d'oliviers pour annoncer la naissance d'un fils, et d'une touffe de laine pour indiquer celle d'une fille. Cette fête était suivie le dixième jour, d'une autre cérémonie (Sexà-ni) l'on donnait un nom au nouveau-né ; le père reconnaissait en même temps l'enfant comme issu de son union légitime. Le nom, sur lequel les parents tombaient presque toujours d'accord, était gé- néralement celui du grand-père ou de la grand'mère ; quelquefois on l'empruntait à une divinité ou à ses attributs et l'enfant était alors par-

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ticulièrement recommandé à leur protection. Immédiatement après l'attribution du nom, on faisait un sacrifice à Héra-Ilithyia, déesse de la naissance ; puis on donnait un repas auquel prenaient part les parents et amis de la maison qui apportaient à l'enfant des jouets de métal et d'argile et des vases peints à la mère.

« Le berceau antique était une espèce de simple van (Wxvov) ; il y en a un spécimen en relief sur une terre cuite du British Muséum (fig. 341) l'on voit le petit Bacchus, porté par un Satyre, jouant avec un thyrse, et par une Bacchante, brandissant une torche. Il y avait en- core un autre genre de berceau en osier en forme de soulier ; il avait l'avantage de pouvoir être transporté par ses anses et suspendu par

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Fig. 341. Naissance de Bacchus, d'après un bas-relief en terre cuite.

des cordes en guise de balançoire ; une peinture sur vase représente, dans un de ces berceaux, Hermès enfant, reconnaissable à son pètasos. Des berceaux, analogues à ceux usités de notre temps, n'apparaissent qu'à. une époque ultérieure. Les anciens avaient déjà l'habitude d'en- dormir les enfants en leur chantant des chansons spéciales (pau/.aX^aa-ca v.a-% pau/.aXrîas-.ç) et en les berçant dans leur couchette.

« Quant à la manière d'élever les petits enfants, déjà au temps d'Homère, on confiait généralement aux nourrices (^'tOt;) les soins ma- ternels ; cette coutume serépandit plus tard dans tous les états ioniens ; les Athéniens riches remettaient leur progéniture à des nourrices la- cédémoniennes (1), plus robustes que toutes les autres. L'enfant, une

(1) A Lacédéinone, les lois de Lycurgue obligeaient les mère3 de nourrir leurs en-

MOEURS ET COUTUMES

463

fois sevré, on remplaçait la nourrice par une garde (h tpo<p<fe) qui nour- rissait l'enfant avec des substances moitié liquides, moitié solides, et

Fie. 342. Nourrice grecque. (Figure tirée de La famille dans l'antiquité, de R. Menard.)

lui prodiguait, de concert avec la mère, tous les soins nécessaires à

fants et leur défendaient d'avoir recours a des nourrices. Cinq siècles plus tard, nous retrouvons à Athènes la même rigueur. Ainsi Démosthène raconte que, de son temps, une Athénienne fut accusée d'avoir allaité l'enfant d'une autre femme et qu'elle ne put échappera la punition de ce délit, qu'on faisant connaître quel pro- fond degré de misère l'avait forcée de le commettre.

464 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

sa personne » (1). Dans les familles riches, la nourrice restait auprès de la personne qu'elle avait élevée et devenait sa confidente, comme on le voit dans les anciennes tragédies.

De nombreuses inscriptions funéraires prouvent que la nourrice faisait en quelque sorte partie de la famille, dont elle partageait sou- vent le tombeau. Ainsi en Troade, on a découvert un bas-relief funè- bre (fig. 342) sont figurées la mère et la nourrice de deux petits en- fants ; cette dernière, en raison de son infériorité sociale, est repré- sentée avec une taille plus petite. Cependant, si l'on en croit le pro- verbe xerca jcspai taSat vvous allaitez aussi mal que les nourrices), ces mercenaires n'étaient pas à l'abri du reproche et ne méritaient pas toutes l'honneur de l'épitaphe.

Censorin, dans son traité du Jour natal, nous apprend que les femmes ne paraissaient pas en public avant le quarantième jour de leur délivrance. « En effet», dit-il, « durant cet espace de temps, la plupart des femmes souffrent encore de leur grossesse et sont sujettes à des pertes de sang ; durant ce temps-là aussi, les nouveau-nés sont languissants ; aucun sourire, aucun jour sans danger; c'est pourquoi ce jour est ordinairement un jour de fête que l'on appelle TÊoaapaxotyrdv quarantième).

L'avortement en Grèce. Dans les sociétés grecques, l'a- vortement n'entraînait aucune pénalité. Nous trouvons bien à Athè- nes et à Thèbes le droit d'intenter un procès à quiconque aurait dé- terminé l'avortement au moyen d'une potion ; mais il est vraisembla- ble que l'accusation ne pouvait être portée devant les juges que si la drogue avait été donnée à la femme sans qu'elle y consentit. Gomment expliquer autrement que la loi n'ait visé qu'un seul des procédés abortifs, et le moins sur ? Quant aux philosophes, ils étaient sans scrupule à ce sujet : ils conseillaient l'avortement, en certains cas, pour prévenir l'excès de population par exemple : « Si la mère, » dit Aristote dans sa Politique, « vient à concevoir au delà du nombre prescrit, elle sera tenue de se faire avorter ». Platon, dans le Théététe, reconnaît expressément aux sages-femmes le droit de faciliter l'avor- tement « quand la mère est décidée à le faire ». Seulement l'opéra- tion doit être pratiquée avant que le fœtus ait le sentiment de la vie : « ce qui, dans ce cas, est d'accord avec la sainteté des lois, ne l'est plus lorsque le fœtus est animé » (2).

(1) Gubl et W. Koner. La Vie antique, traduction Trawinski et Kiémann.

(2) Aristote. Politique.

MŒURS ET COUTUMES

465

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

4G0 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Sur la question de l'avortement, les médecins étaient très philoso- phes. Hippocrate lui-même semble, dans la pratique, avoir fort mal observé une des prescriptions de son fameux serment profession- nel (1). Un passage du livre IV de la Génération en fait foi ; il est vrai que le fœtus, si fœtus il y avait, était loin d'être animé. Une ba- ladine avait entendu dire que quand une femme conçoit, la semence ne sort pas, mais reste à l'intérieur ; le fait lui arriva et le bruit de l'accident parvint aux oreilles d'IIippocrate : « Ainsi informé, » ajoute tranquillement le père de la médecine, « je lui ordonnai de sauter, de manière que les talons touchassent les fesses ; elle avait déjà sauté sept fois, lorsque la semence (2) tomba à terre en faisant du bruit ».

Ce procédé, bien aléatoire d'ailleurs, n'était guère pratique que pour une acrobate ; ily en avait d'autres. Olympias de Thèbes, d'après Pline, conseillait la mauve avec de la graisse d'oie; on a préconisé aussi les purgatifs, les pessaires, etc. Aspasie de Millet et Cléopâtre ont donné de nombreuses formules d'abortifs.

Coutumes romaines. Le danois Th. Bartholin, anatomiste et érudit, a publié, sous le titre De puerperio veterwn, un opuscule, à propos d'un beau bas-relief en marbre reproduit par Montfaucon, dans son Antiquité expliquée (fig. 343). Bartholin abonde en détails précieux et nous lui ferons plus d'un emprunt. Un mot d'abord sur ce bas-relief.

Il représente, d'un côté, le mariage et, sur le devant, la naissance du premier enfant. Sur la face consacrée au mariage est figurée la Juno Pronuba, la Junon des noces, entre les deux fiancés se donnant la main ; sur l'autre face, qui nous intéresse plus spécialement, la

(1) « Je ne remettrai à aucun un pessaire abortif. »

(2) Le père de la médecine nous semble coupable plutôt d'intention que de fait, car il est fort probable que cette semence n'était autre qu'un mélange de liqueur spermatique et de mucus utérin et non un germe embryonnaire, qui n'avait pas eu le temps de se former. D'ailleurs son moyen ne pouvait pas être d'une grande efficacité, si l'on en juge par les femmes enceintes qui tombent du haut de plusieurs étages sans avorter. Voici un exemple curieux, rapporté par Brillaud-Laujardière et Tardieu, qui prouve encore la force de résistance que certaines femmes offrent aux causes d'avortement : « En 1854, devant la cour d'assises de la Loire-Inférieure, se déroulaient les tristes expédients employés par un paysan, qui avait séduit sa ser- vante et qui voulait la faire avorter. Cet homme, monté sur un vigoureux cheval sur lequel il prenait sa domestique, partait au galop à travers les champs et lançait à terre cette malheureuse au plus fort de sa course. Ce barbare moyen, auquel il eut recours à deux reprises, n'ayant pas produit d'effet, il imagina de lui appliquer sur l'abdomen des pains bouillants sortant du four. Cette seconde tentative fut aussi in- fructueuse que la première, et la pauvre fille, ainsi martyrisée, accoucha cependant à terme d'un enfant vivant et bien constitué ».

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jeune mère, assise dans un fauteuil, regarde le nouveau-né, tandis que la sage-femme le pose dans un bassin ou dans un berceau ; une aide, la nourrice peut-être, déploie une pièce de lin destinée à essuyer ou à envelopper l'enfant. Deux autres femmes se tiennent auprès d'une colonne qui supporte un globe ; sur ce globe, l'une d'el- les, avec un style, marque le jour et l'heure de la naissance : observation que les Romains avaient soin de faire avec la dernière exacti- tude. En effet, dans nombre d'inscriptions sépul- crales, nous trouvons mentionnés les années, les mois, les jours de la vie et jusqu'aux heures, quelquefois même jusqu'aux minutes. Ainsi voici une épitaphe d'enfant, rapportée par Fa- bretti dans ses inscriptions : « Benemerenti in paceSilvania quœ hic dormit, vixit ann. XXI, mens. III, hor. IV, scrupulos VI ; « Silvania qui dort ici en paix, a vécu vingt et un ans, trois mois, quatre heures

Fig. 34-1. Ex-voto trouvé à PomDéi.

Fig. 3i3. Le vœu de la mère.

ÎG8

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

et six minutes ». L'indication exacte du moment de la naissance servant aussi à tirer l'horoscope de l'enfant.

Les femmes romaines, durant la grossesse, adressaient des vœux aux divinités protectrices de leur sexe, à Vénus Génitrix et à Juno

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Fie. Sic. Faseia mamillaris, d'après une statue antique.

Lucina surtout. Nous possédons encore des inscriptions commémo- ralives qui témoignent de cette coutume et certains ex-voto destinés à être suspendus dans les lemples. Ainsi, à Pompéi, on a trouvé un ex-voto (fig. 344) représentant une matrice, dont les dimensions font

Fie. 347. Faseia, d'après une peinture de Pompai,

penser qu'elle était à l'état gravide, et a pu être offerte par une femme en couches; Bartholin a reproduit un autre ex-volo (fig. 345), le vœu de la mère, qui représente la sage-femme portant le nou- veau-né et soutenant la mère de la main droite.

MOEURS ET COUTUMES

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Dans Y Obstétrique mythologique, nous avons parlé des innombrables divinités qui présidaient à la conception, à la naissance et à la pre- mière éducation de l'enfant. Nous ne reviendrons pas sur ce sujet, nous contentant de rappeler certaines coutumes établies à Rome.

Comme à Athènes, les femmes enceintes devaient porter un genre de vêtements qui ne pouvait nuire au développement de leur fruit ; nous savons déjà qu'au début de leur grossesse, les romaines avaient l'habitude de déposer leur ceinture dans le temple de Juno Solvi-

Fig. 348. Scène de tragédie figure un enfant au maillot, d'après une peinture de Pompé

zona. Cette ceinture était vraisemblablement la fascia mamillaris (fig. 346, 347), sorte de bandelette qui serrait la taille au-dessous des seins, en guise de corset. Du temps d'Aristote, cette bandelette était appelée apodesme; depuis, on la nomma stelhodesme, lien du sein; quand elle était placée par dessus la tunique, elle constituait le strophion.

Pendant leur grossesse, les femmes, nous l'avons vu, faisaient un usage fréquent de dictame, de choux et de limaçons ; elles s'abste- naient de sel et d*eau froide. Pour leurs promenades,, elles préféraient être conduites par des juments pleines. Sue croit voir dans certains

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

passages de Catulle et de Pline qu'elles étaient obligées de garder le lit; Pline dit, en effet, qu'elles célébraient au lit les fêtes de Paies: ipsœ inleclo cubantes célébrant Pal'ûia ; cela prouve seulement qu'on voulait leur éviter les fatigues de certaines fêtes, et sans doute aussi les accidents qui pouvaient survenir au milieu de la foule ; il n'y a rien d'inconciliable avec les textes, il est dit que, pour se prome- ner, elles préféraient être traînées par des cavales pleines. L'enfant venu au monde, un acte solennel était nécessaire pour

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Fig. 349. Sépulture d'un enfant qui ne vécut que quatre heures.

Fig. 350.

Statue de femme étrusque tenant un enfant nouveau-né.

qu'il fût reconnu légitime; la sage-femme prenant le nouveau-né, adliitc a maire rubentem, encore rouge du sang de sa mûre, écrit Ovide, elle le déposait à terre. « Par », dit Dujardin, « on se proposait trois choses : d'exciter les cris de l'enfant par le contact de la terre et à ce premier cri on invoquait le dieu Vagitanus ; de voir s'il était droit et par suite agréable aux dieux conjugaux ; de lui faire saluer Opsou la Terre, notre mère commune ». En outre, il fallait que, sous les auspices de la déesse Levana, le père ou une personne autorisée par lui, fût-ce la sage-femme, prît l'enfant et le levât. Ja- mais le père ne relevait une fille « dans la crainte de quelque mau-

MOEURS ET COUTUMES

471

vais présage (1) ». Aussitôt après l'élévation, la sage-femme plongeait l'enfant dans un bassin plein d'eau et le nettoyait. Quand le père lavait lui-même son enfant, c'était le signe de la plus haute affection. La toilette du nouveau-né terminée, on l'enveloppait d'abord dans une toile de lin blanche « qui était pour les enfants », dit Bartholin,

Fig. 351. Enfant entouré de ses bandelcltes, d'après une statue décorative d'Andréa du la Robia.

« comme un costume sacré, puisque les linges de lin appartenaient aux prêtres »; cette toile était supposée avoir la vertu de fortifier les chairs délicates de l'enfant (2). Ensuite, on l'emmaillotait de ban- delettes [fasciœ) qui le serraient étroitement, comme le démontrent certaines peintures (fig. 348) et certaines médailles antiques. Les mo- numents funéraires (fig. 349) en offrent également des exemples. La médaille que nous avons déjà reproduite (fig. 101), nous enseigne, de plus, comment on portait les enfants dans un pli du manteau qui re-

(1) Ovide. Met., lib. IX.

(2) Il est possible que ce soit cette pièce d'étoffe que nous retrouvons dans le bas-relief reproduit plus haut, fig. 343.

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II I s roi It K DES ACCOUCHEMENTS

couvrait la tunique. Une slalue mutilée, tirée de l'Antiquité expli- quée d& WLontfaucoTi , nous montre une femme étrusque portant un enfant d'une façon analogue (fig. 350).

On ne se contentait pas d'emmailloter l'enfant comme une momie; on l'immobilisait encore avec d'autres bandes qui entouraient le ber- ceau. « Fasciis opm csl, » dit Piaule, « pulvinis, cunis, incunabulis » ; il faut des langes, des coussins, un berceau, des bandelettes. Ces ban- delettes étaient ordinairement en laine et de couleurs variées; les riches préféraient la couleur blanche ou pourpre. Au bout de quelques mois, on déliait les bras, comme on le voit sur une des statues de la loge des Innocents, à Florence (fig. 351), puis les jambes étaient libé- rées de leurs bandelettes.

Le berceau des Romains, comme celui des Grecs, avait la forme d'un van (fig. 352) ou encore d'une petite barque, d'un bouclier. Cette

Fie. 352. Berceau fait d'un van d'après lu bas-relief reproduit fig. 341.

forme facilitait aux nourrices et aux esclaves la tâche de bercer les enfants et de les balancer de tous côtés. Quelquefois les enfants étaient simplement bercés sur des supports mobiles (fig. 353', comme le repré- sente une figure extraite d'un manuscrit de la Genèse et reproduite par Bartholin (1). Les berceaux des riches étaient ornés de mosaïques, de peintures et garnis d'étoffes de pourpre et de fleurs ; on ajoutait au fond une peau, pour recueillir les excréments de l'enfant.

(1) Il ne faut tenir compte, dans cette gravure, que de la forme du berceau et non des personnages, dont le costume moyen âge est un de ces anaclironismes si fréquents jadie.

MOEURS ET COUTUMES

473

Nous avons déjà dit que le troisième jour, après la naissance de l'en- fant, on suspendait à la porte de la maison de la nouvelle accouchée une couronne de laurier, de lierre, de persil ou d'herbes aromatiques; cette couronne rappelait celle que portait la femme au jour de ses noces . Elle rendait inviolable l'asile de l'accouchée. L'entrée de sa maison était interdite aux magistrats eux-mêmes, et, comme à Athènes, on épargnait le meurtrier qui s'y était réfugié (1) ; en agissant ainsi, on

Fig. 353. Nourrice amusant un nouveau-né avec des jouets, d'après Bartholin.

voulait éloigner toute espèce de bruit de l'accouchée et lui éviter toute émotion préjudiciable à sa santé.

Avant le départ de la sage-femme, on pratiquait la cérémonie de Y ablution. Toutes les personnes, parents, amis ou serviteurs, qui avaient assisté à l'accouchement ou seulement qui avaient touché à la mère, se réunissaient le cinquième jour (2) et se lavaient solennelle- ment les mains. Cette cérémonie se terminait par un grand festin et la distribution de présents à tous les invités ainsi qu'à l'accouchée et à son enfant, comme l'indique certain passage d'une lettre de Commode

(1) Dans la ville de Harlem, l'entrée d'une semblable demeure était défendue aux créanciers.

(2) Plaute, dans le Bourru, fait dire à l'hronésie : « Je veux offrir aujourd'hui un uacrifice pour l'enfant, comme cela se fait le cinquième jour ».

474 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

à Albinus, publiée par Capitolinus : « Infanlulo tuo Pescennio Prineo munera cligna suo loco taoque mittcmus ; « Nous enverrons à ton petit enfant Pescennius Prineus des présents dignes de sa naissance et de la tienne » (1).

D'autres cérémonies avaient encore lieu dans les premiers jours de la naissance. Vers la fin de la première semaine, on consacrait des tablettes votives dans les temples, on plantait de jeunes pousses de chêne et de peuplier dont le sort présageait celui de l'enfant ; pendant la seconde semaine, on dressait un lit et on offrait un repas à Junon, puis on versait quelques pièces d'argent dans son trésor. Les enfants étaient purifiés d'eau lustrale ; cette cérémonie avait lieu pour les filles le huitième jour, pour les garçons le neuvième. La plus âgée des parentes faisait, au nom de la famille, des vœux pour le nouveau-né. « C'est, » dit Perse, « quelque grand'mère, quelque tante maternelle, femme craignant les dieux, qui tire l'enfant de son berceau ; et, d'abord avec le doigt du milieu (2), elle frotte de salive le front, les lèvres humi- des du nouveau-né pour le purifier; puis, elle le frappe légèrement des deux mains et déjà, dans ses vœux suppliants, elle envoie ce débile objet de ses espérances en possession des riches domaines de Licinius » .

Le jour de la purification était celui l'on donnait à l'enfant son nom ; on rasait les quelques cheveux du nouveau-né et l'on faisait un sacrifice suivi d'un grand festin. Quelquefois, on allumait des flambeaux de cire auxquels on suspendait des cartouches étaient inscrits diffé- rents noms, et l'enfant prenait le nom correspondant au flambeau qui avait brûlé le plus longtemps. C'était un présage de longévité et de bonheur.

Trois jours seulement après l'imposition du nom, le père allait déclarer la naissance de son enfant et livrait ses noms au prcvfectus œrarii qui l'inscrivait sur les registres des actes publics, conservés dans le temple de Saturne.

Si l'enfant était promptement purifié, il n'en était pas de même de la mère, pour qui cette cérémonie se faisait attendre beaucoup plus longtemps : ainsi que chez les Grecs, il était interdite toute nouvelle accouchée de pénétrer dans un temple avant le quarantième jour ; elle

(1) Ces largesses se renouvelaient assez souvent et les mamans n'hésitaient pas ù recevoir les cadeaux même des esclaves; au début du Pàormion, l'esclave Davus plaint, en ces ternies, son confrère Géta : « Puis une autre contribution viendra frapper Géta, lorsque la dame aura un enfant, puis encore une autre à cliaque anniversaire de la naissance du marmot, à chacune de ses initiations, la mère enlèvera tout, et l'enfant sera le prétexte des cadeaux ».

(2) Voir les notes 3 et 4 de la page suivante.

MOEURS ET COUTUMES 475

était jusque-là considérée comme impure, et toute personne qui lui ren- dait visite devait, en sortant, se purifier comme si elle avait touché un cadavre.

Pour préserver l'enfant des maléfices, des sortilèges et pour éloigner de lui les goules, les stryges, les vampires, tout ce monde fantastique inventé par la peur, on pendait au cou de l'enfant diverses amu- lettes, des gousses d'ail, de l'alysson (1), de Torchis (2), un petit phal- lus en bois ou en métal (fig. 354, 355) ou bien on frottait de salive (3) le front et les lèvres de l'enfant avec le médius, digitus infamis (4) .

Fig. 354. Amulette. Fig. 355. Autre amulette.

Plus tard, les amulettes grossières furent remplacées par des bulles en or chez les riches, en cuir chez les pauvres. La première (fig. 356) se composait, à ce que nous apprend Macrobe, de deux plaques d'or concaves, fixées ensemble par un lien élastique delà même matière et formant ainsi un globe complet qui renfermait une amulette. La bulle de cuir (fig. 357) était un ornement analogue ne différant guère du premier que par la matière ; le cordon était composé de lanières de cuir tressées. Les archéologues ont trouvé d'autres objets (fig. 358, 359, 360, 361 auxquels ils font jouer le même rôle qu'aux bulles d'or et de cuir ; mais, dans l'hypothèse, l'audace des archéologues est sans bornes. Quoi qu'il en soit, c'était sur le front, et non sur la poitrine, qu'on mettait la bulle aux nouveau-nés, afin qu'elle ne fut pas souillée par les déjections; plus tard, on la leur pendait au cou.

(1) riante de la famille des crucifères.

(2) Genre type de la famille des orchidées dont la forme rappelle celle des testi- cules.

(3) Perse, en parlant d'une grand'mère superstitieuse, dit :

Frontem atque via labclla Tnfamï digito,et lîtstralibus ante salivis Expiât. Elle mouille le front et les lèvres de son petit-fils avec le médius trempé dans sa salive, pour le garantir des enchantements.

(i) Le signe des débauchés, xi g nu m. infâme, pour représenter l'attribut de Priape, était l'érection du médius, les autres doigts restant fléchis ; de la le nom de « doigt infâme » donné au médius.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Les nourrices chez les Romains. L'usage des nourrices s'introduisit de bonne heure chez les Romains. Les sévères matrones de la République semblent avoir mis leur gloire moins à allaiter leurs enfants qua veiller sur leur éducation. Il ne faudrait pas abuser d'un passage bien connu du Dialogue des orateurs (1) : « Autrefois, chaque Romain gardait près de lui son fils qui, d'une mère chaste, crois- sait, non pas dans le réduit d'une nourrice à gages, mais au giron et sur le sein de sa mère, non in cellaemptœ natricis, sed gremio ac sinu matris educabatur ». Or, que signifient gremio et sinu, opposés à cella emptœ nutricisl Gremio : les enfants étaient assis sur le giron, sur les genoux de leur mère ; Sinu : leur tête reposait sur son sein. Ce

Fig, ZOG. Biilla aurea, trouvée à Roma-Veceliia. Fig. 3^7- huila scortca, trouvée à Pérouse.

ne sont pas de telles expressions qu'un Latin eût employées pour rendre l'idée d'allaitement. Que dans certaines familles, comme celle du vieux Caton, la femme ait nourri elle-même ses enfants, c'est pro- bable, mais cet exemple ne fut guère imité dans les classes élevées. César reprochait aux dames de son temps les chiens et les singes quelles portaient sous le bras, tandis qu'elles laissaient leurs enfants aux nourrices. Cette classe de femmes est citée d'ailleurs dans des textes bien antérieurs. Plaute, dans le Truculenlus, dit que la nour- rice a toujours besoin d'avoir une forte cruche de vin vieux, pourboire la nuit et le jour :

(1) Attribué avec vraisemblance à Tacite.

MOEURS ET COUTUMES

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Opus nutrici autem, utrem habeat veteris vint largiter, Ut dies noctes que fotet...

"Vin rouge ou vin blanc ? Le comique est muet sur cette grave ques- tion ; plus tard Apulée déclarera, en vertu de l'hygiène des signatures, qu'elles ne peuvent boire de vin rouge.

Fig. 358.

Fie. 359.

Comme les nourrices grecques, les nourrices romaines s'envelop- paient dans une sorte de manteau en laine qui leur permettait de pré-

FlG. 360.

Fig. 361.

server leur nourrisson des intempéries de l'air. Les gens riches, pour que le lait des nourrices ne s'échauffât pas, faisaient porter leurs enfants par des esclaves, bajulalrices . Saint Jérôme, en énumérant

i78 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

les qualités nécessaires à une nourrice qu'il veut prudente, non lascive ni babillarde, ajoute : « Elle doit avoir une porteuse modeste, un nour- ricier d'un âge mûr ; habmt modestam gerulam, nulritium gravera ».

Les Romains, nous l'avons dit, ne croyaient pas au préjugé, si répandu de nos jours, que le mélange ou le changement de lait est nuisible à l'enfant ; d'après Aulu-Gelle, ils avaient plusieurs nourrices à la fois pour le même enfant et Platon voulait, dans sa République idéale, que les nourrices fussent en commun.

Pour éviter la substitution des enfants confiés aux nourrices, les Romains avaient l'habitude de mettre au cou des nouveau-nés, qu'ils confiaient aux mercenaires, un collier appelé crepundia.

A Rome, comme en Grèce, la nourrice restait attachée à la famille après le sevrage, et s'occupait de l'éducation de l'enfant qu'elle avait allaité. Varron écrit : Educit obsletrix, educal nulrix, « la sage- femme donne le jour et la nourrice l'éducation. » Aulu-Gelle dit qu'elles restaient jusqu'à la puberté de l'enfant, mais leur séjour pou- vait se prolonger indéfiniment et elles devenaient, alors, un membre respecté de la famille. On raconte qu'un Gracchu?, rentrant victorieux dans Rome, aperçut sur les remparts sa mère et sa nourrice : c'est dans les bras de cette dernière qu'il se jeta d'abord; il lui donna en présent un riche collier d'or, tandis qu'il n'offrit à sa mère qu'un simple anneau d'argent.

Les Romains connaissaient aussi l'usage des biberons et ils appe- laient assœ nutrices, nourrices sèches, les femmes qui étaient chargées de ce soin.

Avorteraient, désaveu de paternité, exposition des enfants. L'avortement était dans les mœurs romaines ; le théâ- tre de Plaute en parle déjà comme d'une chose commune : « Elle te cachait sa grossesse, » dit un personnage de Truculentus, « car elle craignait que tu la contraignisse à un avortement, à la mort de l'en- fant qu'elle portait dans son sein ». Plus tard, sous l'empire, malgré les lois qui punissaient l'avortement de la rélégation, des mines et même du dernier supplice (1), le fléau .prit des proportions inouïes. « Vous avez, » dit Tertullien, « des lois qui défendent de tuer les nouveau-nés, et il n'y a pas de loi qui soit plus souvent, plus impu- nément violée, que la loi contre l'infanticide ; tout le monde est com- plice de ce crime. » En effet, l'impératrice elle-même donnait l'exem- ple. Un passage d'Ovide semble cependant prouver que l'opinion

(1) Paulus. Bccerpt. Sentent, XXXVIII, 7.

MOEURS ET COUTUMES 479

publique avait parfois encore quelques sévérités pour ces effroyables pratiques :

At tenerx faciunt, sed non impune, puellx. ;

Sœpe suos utero dum necat, ipsa périt. Ipsa périt, fer turque toro resoluta.capillos,

Et clamant : « Merito », qui modo cumque vident.

Des jeunes filles y ont recours, mais non impunément ; Souvent celle qui tue son enfant dans son sein, périt elle-même ; Elle périt, on la porte échevelée sur sa couche, Et quiconque la voit, de s'écrier : « C'est justice ! » (1).

Les femmes en étaient arrivées à se débarrasser de leur grossesse, pour n'en être pas incommodées en voyage (2). C'est un éloge réel que Sénèque adresse à sa mère Helvia, quand il la félicite de n'avoir jamais tué, dans ses entrailles, « un fruit plein d'espérance (3). » Le plus souvent, en effet, l'avortement était provoqué par la mère, « afin, » dit Montesquieu, « que leur grossesse ne les rendît pas désagréables à leurs maris ; » et à leurs amants, aurait dûajouter l'historien. L'auteur du petit poème intitulé le Noyer (4), fait allusion à cette odieuse coquetterie.

Nunc uterum vitiat, quse vult formosa videri, Raraque in hoc sevo est qu& velit esse pareils.

Maintenant elle tue son fruit, celle qui veut paraître belle

Et, dans notre âge, est rare la femme qui consente à être mère.

Aulu-Gelle, dans les Nuits altiques (5), parle des femmes qui se font avorter de peur que leur ventre ne soit déformé par la grossesse. « Penses-tu » dit cet auteur, « que la nature ait donné des mamelles aux femmes, comme de gracieuses protubérances destinées à orner la poitrine et non à nourrir les enfants? Dans cette idée, la plupart de nos merveilleuses [prodigiosœ mulieres) s'efforcent de dessécher et de tarir cette fontaine sacrée le genre humain puise la vie, et ris- quent de corrompre ou de détourner leur lait, comme s'il gâtait ces attributs de la beauté. C'est la même folie qui les porte à se faire avorter, à l'aide de diverses drogues malfaisantes, afin que la sur-

(1) Amours. Liv. II, Eleg., XIV.

(2) Of. Ovide. Fastes, I.

(3) Consolation à Ilelvia.

(4) Faussement attribué à Ovide.

(5) XII, 1.

480 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

face polie de leur ventre ne se ride pas et ne s'affaisse point sous le poids de leur faix et par le travail des couches. » De même Ovide, s' adressant à Corinne, qui s'était fait avorter et avait mis ses jours en péril, dit à sa maîtresse (1) : » Scilicet, ut careat rugarum crimine venter,, Sternatur jyugnse tristis arena tuœ ?

Est-ce pour que ton ventre ne t'accuse point par ses rides, Que tu abîmes la triste arène du combat amoureux ?

Une autre cause fréquente d'avortement était la nécessité de faire disparaître le résultat de relations illégitimes. On connaît ces vers de Juvénal sur Julia, nièce et concubine de Domitien :

Cum tôt abortivis fecundam Julia vulvam Solveret et patruo similes effunderet offas.

Tandis que de ses flancs féconds en avortements, Julia Versait d'informes lambeaux, portraits de son oncle (2).

Au temps du satirique, le mal était dans toute son horreur :

Sedjacet aurato vix nulla puerpera lecto :

Tantum artes hujus, tantum medicamina possunt ,

Quœ stériles facit, at que homines in ventre necandos Conducit !...

Mais plus d'accouchée étendue sur un lit doré,

Tant sont puissants l'art et les breuvages de celle

Qui rend stérile, et fait métier (3) de tuer l'homme au ventre de sa mère.

La cupidité poussait aussi à ce crime. Cicéron (4) raconte qu'au temps de son séjour en Asie, une Milésienne fut justement condamnée à mort pour avoir détruit son fruit, à l'instigation des parents de son mari; le môme auteur charge d'invectives la mémoire d'un certain Oppianicus qui avait commis un avortement, dans l'espoir d'un héri- tage. « La fréquence de l'avortement », dit le Dr Galliot, « en était arrivée à un tel degré dans les familles riches, que des noms dispa- raissaient faute d'héritiers. Souvent, par haine de leur mari, surtout

(!) Amours. Liv. II, Eleg. XIV.

(2) Satire II. Suétone nous apprend qu'enfin Julia en mourut.

(3) J<1.,\\.

(4) Pro Clmntio.

MOEURS ET COUTUMES 481

après séparation, les femmes essayaient de se faire avorter, et il était d'usage, pour garder les intérêts du père, de constituer un curateur au ventre » (1).

Cependant, à côté de ce relâchement des mœurs, qui devait être sur- tout accentué dans le monde de la galanterie, il est juste de faire re- marquer que la stérilité était généralement considérée comme une honte; aussi est-il souvent question dans les auteurs des moyens que les femmes employaient pour devenir mères, remèdes magiques, flagellation par les Luperques, prières adresssées à certaines divi- nités, à Vénus Genitrix, entre autres, etc.

Ovide les énumère poétiquement dans le second livre de ses Fastes :

Nupta, quid expectas? Non tu pallentibus herbis, Nec prece, nec magico carminé mater eris.

Excipe fœcundœ patienter verbera dextrae ; Jam socer optatum nomen habebit sévi.

Qu'attends-tu, nouvelle épousée, ce ne sont pas des herbes sèches Des prières, des chants magiques, qui te rendront mère ;

Reçois patiemment les coups de fouet d'une main féconde, Et ton beau-père aura le nom de grand-père, qu'il désire.

Quant aux procédés d'avortement ils étaient nombreux ; nous ne parlons pas, bien entendu, des moyens rationnels dont usaient les mé- decins, dans un but thérapeutique; nous ne parlons que des avorte- ments criminels. Dans les textes, il est surtout question de breuvages et de sortilèges, mais, comme l'observe justement le Dr Galliot, ne faut-il pas entendre par ces sortilèges des manœuvres intra-utérines ? Ovide dit expressément :

Vestra quid effoditis subjectis viscera telis ? (2)

Pourquoi enfoncer des instruments dans vos entrailles?

Quels étaient ces instruments? Un pessaire? Une sonde utérine plutôt. Quoi qu'il en soit, il y a trace de procédés plus efficaces que les décoctions de plantes, surtout que l'odeur de lampe mal éteinte et que le sang menstruel incinéré, rangés par Pline au nombre des abor- tifs. L'absorption des cantharides, malgré ses dangers, était si sou-

(1) Recherches historiques, ethnographiques et médico-légales sur Vavortement cri- minel, 1884.

(2) Amours, II, 14.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. ■31

482

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

vent employée par les dames romaines qui se croyaient enceintes qu'on fut obligé de faire la loi Cornélia pour mettre fin à cette pra- tique désastreuse.

Il nous reste à dire quelques mots d'une autre coutume déplorable, tout aussi répandue chez les Romains, le désaveu de paternité et l'exposition des enfants qui en était la conséquence. D'ordinaire, le Romain accueillait avec joie la venue d'un enfant, d'un garçon sur- tout ; mais s'il doutait de la légitimité (1), si le part était monstrueux (2), si la naissance avait été accompagnée de funestes présages, rien ne

Fig. 3G2. Juno Sospita.

Fig. 3G3. Colonne Lactan'a.

pouvait le forcer à Yélever, tollere, et à le reconnaître par cet acte. L'enfant renié était exposé et abandonné à jamais ; c'était souvent le sort des filles. Des esclaves dévoués mettaient les enfants condamnés, dans une sorte de bassin ou de corbeille en osier, et les portaient se- crètement, durant la nuit, dans certains endroits consacrés à cet usage, au pied de la colonne Lactaria, par exemple. Une médaille (fig. 363) représente celte colonne, surmontée d'un petit enfant et placée entre deux chèvres, nourrices naturelles des petits malheureux ainsi aban- donnés ; sur le revers se trouve l'image de Juno Sospita (3) (fig. 362).

(1) La ressemblance des enfants aux parents était alors considérée comme la meil- leure preuve de leur légitimité ; ainsi Horace dit, dans la cinquième Ode du livre IV :

Laudantur simili proie jmerperœ, On loue la mère dont l'enfant est semblable à l'époux, et l'on conçoit que, dans leurs prières, les femmes enceintes demandaient avec ins- tance cette faveur aux dieux, pour ne pas être accusées d'infidélité.

(2) Les vieilles lois ne permettaient pas l'exposition d'un enfant difforme, à moins qu'on eût pris l'assentiment de cinq voisins ; plus tard, la loi des Douze Tables au- torisa le père à tuer sur-le-champ un enfant monstrueux.

(3) En Grèce, dans les cités doriennes, aussitôt après sa naissance, on portait l'enfant au Lesché, il devait être examiné par les anciens de la cité ; s'il n'avait

MOEURS ET COUTUMES

483

Quand, au contraire, on avait l'intention de se défaire de l'enfant, au lieu de l'exposer dans un endroit fréquenté, on le déposait dans un lieu désert, sur le bord d'un fleuve, comme le Romulus de la lé-

Fig. 364. Ilémus et Romulus, d'après un camée antique.

gende et son frère Rémus, les nourrissons de la louve (fig. 364), ou encore au lac Vélabre et aux égouts (1).

aucune difformité, il était déclaré apte à être élevé et recevait en héritage un neuf millième des parts de terre de l'Etat ; s'il était contrefait, on le jetait sans pitié dans le gouffre, appelé Apothétes, auprès du mont Taygète.

Les Athéniens exposaient les bâtards au Cynosarge. Ce dernier fait est au moins suspect.

(1) Cette coutume immorale se retrouve chez d'autres peuples. Si l'on en croit Pétrone, les Crotoniates abandonnaient les enfants de l'un et l'autre sexe. Voici le passage : « Dans cette ville personne n'élève de famille (nemo pueros tollit) ; car, quiconque a des héritiers naturels se voit exclu des soupers et des spectacles ; tous les avantages de la société lui sont interdits ; il reste perdu dans la canaille )>. Ajou- tons que, chez certains peuples, on s'assurait de la légitimité des enfants en les sou- mettant à des épreuves barbares. Les Ethiopiens présentaient leurs enfants aux oiseaux, et, suivant Lucain, quand les l'sylles d'Afrique ont des doutes, ils exposent le nouveau-né à la piqûre mortelle d'un serpent :

Letifica dubios explorant aspide partus.

Les Celtes avaient l'épreuve de l'eau ; Claudien y fait allusion quand, dans sou poème contre ïlufin, il parle de ceux « que l'eau du Rhiu éprouve à leur nais-

•Ï8ï HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Si les parents ne voulaient pas s'enlever toute chance de retrouver plus tard leur enfant, ils mettaient dans leurs langes un jouet, un anneau indiquant la condition libre, parfois môme leur nom. Cette coutume nous a valu la scène suivante de YHéautontimoruménos: Sostrata a reconnu au doigt d'Antiphile l'anneau qu'elle avait mis à côté de sa fille quand elle fut exposée, et l'annonce ainsi à Chrêmes, son mari :

Sostrata. Hé, mon mari !

Chrêmes. Hé, ma femme !

Sostrata. Je vous cherchais.

Chrêmes. Parlez, que voulez-vous?

Sostrata. Je vous prie d'abord d'être bien convaincu que je n'ai rien osé faire contre vos ordres.

Chrêmes. Voulez-vous que je croie cela, bien que ce soit incroya- ble ? Je le crois.

Syrus. Cette précaution oratoire nous annonce quelque méfait.

Sostrata. Vous vous rappelez que, dans une de mes grossesses, vous m'avez dit formellement que si j'accouchais d'une fille, vous ne vouliez pas l'élever?

Chrêmes. Je devine ce que vous avez fait. Vous l'avez élevée.

Syrus. Serait-ce vrai, maîtresse? Voilà mon maître avec une nou- velle charge !

Sostrata. Point du tout. Il y avait ici une vieille femme de Co- rinthe, d'une conduite honorable : je lui donnai l'enfant à exposer...

Chrêmes. Jupiter! quelle absurdité... Que de fautes dans une seule action ! Et d'abord, si vous aviez commencé par exécuter mes ordres, il fallait tuer cette enfant, et non pas prononcer un faux arrêt de mort, qui lui laissait l'espoir réel de la vie.

sance ». Un auteur, qui s'est rendu justice en gardant l'anonyme, a décrit cette épreuve dans les mauvais vers que voici :

C'est grâce au Ehin jaloux que le Celte indompté

Constate de ses fds la légitimité,

Et de l'enfant qui naît nul ne se croit le père,

Qu'il ne l'ait vu baigné par le fleuve sévère.

A peine l'embryon hors du sein maternel

A, par son premier cri, salué l'existence,

Que sur un bouclier, d'un air d'indifférence,

Le mari le dépose, et son cœur paternel

Ne s'ouvrira pour lui que quand l'onde amicale

Aura justifié la couche conjugale.

Mais la mère qui, chaste et fidèle à l'honneur,

Doit, même dans ce cas, voir succéder pour elle

Aux tourments de Lucine une douleur nouvelle,

De l'eau mobile attend l'arrêt avec terreur.

MOEURS ET COUTUMES 485

Les enfants abandonnés servaient à faciliter la « supposition » qui existait aussi dans les habitudes des Romains. Voici ce que Plaute fait'dire, dans une de ses pièces, à Phronésie qui veut simuler un ac- couchement: « Ma mère, voyant approcher le dixième mois, charge nos servantes de chercher un enfant, garçon ou fille, pour aider à la supposition ».

Souvent la femme qui s'était fait avorter par coquetterie, en cachette de son mari, simulait l'accouchement au terme normal, et présentait à son époux un enfant d'emprunt, toujours un garçon.

B. MOYEN AGE ET TEMPS MODERNES.

La battue des étangs. Voici ce que nous lisons dans le Je ne sais quoi de Cartier de Saint Philippe : « J'ai ouï parler d'un Droit seigneurial quelque part en France; quand la Dame du lieu est en couche, les païsans sont obligés de remuer l'eau du. fossé qui entoure son château, afin d'empêcher les grenouilles d'oter, par leur coassement, le repos à la Dame ».

Cette coutume semble bien singulière et on pourrait se demander si ce n'était pas plutôt les plaintes bruyantes de l'accouchée qui trou- blaient le repos de ces inoffensifs batraciens ; mais il en existait une toute pareille en faveur des abbés, aussi douillets que les femmes en couches. On battait l'eau des étangs ou des douves, autour des châ- teaux où dormait l'indolent prélat, et d'anciens chroniqueurs nous ont transmis la cantilène que fredonnaient à mi-voix les paysans, en agitant leurs gaules :

Pâ, pâ, pâ, rainette, pâ,

Pour monsieur l'abbé que Dieu gâ.

(Paix, paix, paix, rainette, paix, Pour monsieur l'abbé que Dieu garde.)

Les fées et leurs attributs. Nous savons tous quel rôle important jouent les fées à la naissance de Riquet à la Houppe ou de la Belle au bois dormant. Leur nom môme, dérivé de fata, indique qu'elles présidaient à la destinée des mortels. « Un des traits les plus caractéristiques des fées », dit A. Maury, « c'était le soin qu'elles pre- naient d'assister à la naissance des enfants auxquels elles dispen- saient à leur gré les défauts et les qualités, le bonheur et la mauvaise fortune. Nous reconnaissons dans cette présence, près du berceau des

486 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

nouveau-nés, un des attributs des Parques, dont une des fonctions était d'assister Ilithyia et de se trouver à la naissance des enfants, pour prononcer sur leur avenir. » C'est ainsi que les légendes du moyen âge nous montrent les fées, assistant, le plus souvent au nom- bre de trois, comme les Parques antiques, à la naissance d'Ogier le Danois, de Brun de la Montagne, du fils de Maillefer. Cette supers- tition ne serait pas entièrement perdue : dans le canton de Rhétiers, aux environs de la Roche-aux-Fées, les paysans croiraient encore aux fées qui prennent, disent-ils, soin des petits enfants, dont elles pronostiquent le sort futur ; elles descendent dans les maisons par les cheminées et ressortent de même pour s'en aller.

Ces braves gens leur offrent-ils encore un repas, comme leurs an- cêtres du XIIIe siècle? Nous lisons, en effet, ce qui suit dans le roman de Guillaume au Court-Nez :

« Il y avoit alors en Provence, et dans plusieurs autres pays, une coutume qui consistoità placer sur la table trois pains blancs, trois pots de vin, et trois hanaps ou verres, à côté; on posoit le nouveau-né au milieu, puis les matrones reconnaissoient le sexe de l'enfant, qui ensuite étoit baptisé.

« Le fils de Maillefer fut donc ainsi exposé, et les matrones, après l'avoir vu, s'éloignèrent. Tout dormoit dans la chambre quand cette aventure eut lieu. Le temps étoit beau, la lune brillante. Alors, trois fées, entrèrent, prirent l'enfant, le réchauffèrent, le couvrirent et le placèrent dans son berceau. Prenant ensuite le pain et le vin, elles soupèrent, et chacune d'elles fit au nouveau-né présent d'un beau souhait...»

A la naissance d'Obéron, les fées furent invitées, à l'exception d'une seule qui, pour se venger, condamna Obéron à ne jamais dépasser la taille d'un nain.

Aujourd'hui, sauf peut-être dans le canton de Rhétiers, les fées sont bien déchues de leurs antiques prérogatives. Perrault s'en va chassé par Jules Verne ; nos enfants connaissent mieux le capitaine Hatteras que la fée Carabosse ; les pauvres dames n'ont plus guère d'autres fonctions que d'amener des changements à vue sur nos théâ- tres. Et encore remplace-t-on, le plus souvent, leur baguette par un pied de mouton ou la queue d'un chat :

Sunt lacrymœ rerum.

Soins donnés à l'enfant au moyen âge. Maillot et berceaux. Au moyen âge, comme dans tous les temps et chez

MOEURS ET COUTUMES 487

tous les peuples, sauf cependant chez les Turcs, plus arriérés à cet égard que les sauvages, on nettoyait le nouveau-né dans un bassin d'eau chaude (fig. 365), aussitôt après la section du cordon. « L'on doit commancer par le baing tost après avoir couppé le nombril de l'enfant », dit Simon de Vallambert (1). Cette section se faisait avec un rasoir, les forcettes ou un couteau. Souvent, avant de baigner l'enfant, on l'enveloppaitdans une peau d'agneau récemment écorché, pour soulager le nouveau-né des souffrances qu'il avait endurées au passage ; ou bien on retendait sur un lit de paille chaude dont on le frictionnait par tout le corps ; d'autres fois, on le saupoudrait de

Fig. 365. Nettoiement du nouveau-né au moyen âge.

farine, comme un merlan, ou bien on le frottait avec une couenne de lard pour renforcer ses membres.

Le bain pris, on enlevait la matière sébacée qui s'accumule dans certaines régions, soit avec un linge, soit par des succions répétées, comme le font encore aujourd'hui quelques peuplades de l'Océanie. Quand le filet existait, on le coupait avec l'ongle du pouce. Gordon conseille que « tost après que l'enfant ha esté baigné, nettoyé et formé comme il appartient, la nourrice doit l'envelopper de beaux linges nets, et estendre ses bras sur les costes, et les bander médio- crement d'une bande largette et non rude ; puis estendre aussi les cuisses et les iambes ; et si c'est un masle, mettre sa pisne et ses deux petits dessus les cuisses : et si c'est une fille, laisser engrossir

(1) Cinq livres de la manière de nourrir et gouverner les en/ans dès leur nais- sance, 1565.

488

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

les anches, lâchant un peu la bande en cest endroit. » On se servait de drapeaux en linge usé et de langes ou langeolz en laine fine.

Le maillot étant bien assujetti avec des bandelettes, à la mode anti- que, on couchait l'enfant dans son berceau. Cette coutume de ficeler ainsi les nouveau-nés dura longtemps : dans un manuscrit latin du IXe siècle (1), contenant une miniature (fig. 103) qui représente la nais- sance du Sauveur, nous voyons l'enfant Jésus ainsi fagoté ; certaines autres miniatures des siècles Suivants (fig. 104), nous montrent le même maillot.

Les premiers berceaux figurés dans les manuscrits du IXe siècle, semblent faits d'un simple tronc d'arbre coupé longitudinalement et

Fig. 3GG. Miniature du siècle. (Figure tirée du Diction, du Mobilier, de Viollet-Ie-Duc/

creusé en forme de lit ; le bord était percé de trous par lesquels pas- saient des bandelettes destinées à empêcher l'enfant de tomber; la con- vexité de la partie reposant à terre facilitait le bercement.

Plus tard, les berceaux eurent la forme de petits lits disposés sur des morceaux de bois courbes (fig. 366, 368) ; ce n'est guère que vers le XVe siècle (fig. 367), que l'on commence à faire usage de berceaux pou- vant se mouvoir au moyen de tourillons placés sur deux montants fixes. Au XVIe siècle, les berceaux furent munis de rideaux; jusque- ils étaient enveloppés la nuit sous les amples courtines qui entou- raient le lit des parents.

Tout cela est de bien mauvaise hygiène ; ce qui valait mieux, c'était la coutume, généralement répandue même dans les hautes classes, d'être la nourrice de son enfant. On sait que la reine Blanche voulut

(1) Biblioth. Nation., Astronom., fonds Saint-Germaiu, 434.

MOEURS ET COUTUMES

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allaiter elle-même son fils, qui fut Saint Louis. Malheureusement cette louable habitude n'eut qu'un temps; déjà en 1464, Pierre des Gros, de l'ordre des Frères Mineurs, gourmande ses contemporaines qui confiaient leurs enfants à des nourrices mercenaires. « N'y a», dit-il, « ne (1) royne ne princesse qui de son let ne doive norrir ses enfans se (2) le let ele peut avoir. Considérant en vérité les nobles dames et bourgoyses pourquoy c'est que eles ne norrissent pas leurs enfans, eles trouveront que c'est pour- l'une des trois causes, communément ou pour pluseurs. La première pour ce qu'eles auroyent honte de les norrir, veu, que ce n'es pas la coustume; et c'est orguel. La seconde, pour

Fig. 367. Berceau du XV<= siôcle, d'après une miniature reproduite par Yiollet-le-Due.

plus garder leur beauté et frescheté; et c'est vanité. La tierce, pour plus prendre esbastemens à leurs maris ; et c'est incontinence. » Un siècle plus tard, Simon de Vallambert constate encore que « es mai- sons des grands, communément quand uue femme grosse s'approche de son terme, on tient la nourrice preste, qui ha esté choisie pour nour- rir et gouverner l'enfant, si tost qu'il sera ».

(1) Ni.

(2) Si.

490 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Nobles et bourgeoises au XVe siècle. Aliénordc Poitiers, vicomtesse de Furnes, rapporte, dans les Honneurs de la Cour, ouvrage du quinzième siècle, des détails intéressants sur les coutumes en usage dans la noblesse, au moment des couches :

« J'ai vu, » dit-elle, « plusieurs grandes dames faire leurs couches à la cour ; elles avoient un grand lit et deux couchettes, dont l'une étoit à un coin de la chambre, et l'autre devant le feu. La chambre étoit tendue de tapisseries à verdure ou à personnages, mais les rideaux du lit et le ciel étoient de soie, les couvertures du grand lit et des cou- chettes fourrées de menu vaîr; le drap étoit de crêpe bien empesé; le dressoir, à trois degrés, tout chargé de vaisselle : on l'éclairé avec deux grands flambeaux de cire, on garnit d'un tapis de velours le plan- cher de la chambre ; les oreillers du grand lit et des couchettes doivent être de velours ou de drap de soie, aussi bien que le dais du dressoir; à chaque bout de ce dressoir, il faut placer un drageoir tout plein, cou- vert d'une serviette fine. Les femmes de simples seigneurs bannerets ne devroient pas avoir de couchette devant le feu ; toutefois, depuis dix ans, quelques dames du pays de Flandres l'y ont eue. L'on s'est moqué d'elles, et avec raison,car du temps de Madamelsabelle, nulle ne le faisoit; mais aujourd'hui, chacun agit à sa guise. Aussi est-il à crain- dre que tout n'aille mal, car le luxe est trog grand, comme chacun dit.

« Dans la chambre d'une accouchée, le plus grand prince du monde s'y trouvât-il, nul ne peut servir vin ou épices, excepté une femme mariée. Si quelque princesse vient rendre visite à la malade, c'est à la première dame d'honneur de sa suite qu'il appartient de lui présenter le drageoir. »

Si nous en croyons Christine de Pisan, dans son Trésor de la Cité des Dames, les bourgeoises de l'époque enchérissaient encore sur le luxe de la noblesse :

« Ce n'est mie (1) », dit-elle, « comme aux marchands de Venise ou de Gennes, qui vont oultre-mer et par tous pays ont leurs facteurs, achaptent (2) en gros et font grandz fraiz, et puis semblablement envoyent leurs marchandises en toutes terres à grandz fardeau lx, et ainsi gaignent grandz richesses, et tels sont appelez nobles marchantz ; mais celle dont nous disons achapte en gros et vend en détail pour quatre souz de denrées, se besoing est, ou pour plus ou pour moins, quoiqu'elle soit riche et portant trop grand estât. Elle fit une gésine (3)

(1) Négation, Pas.

(2) Achètent.

(3) Couche.

MOEURS ET COUTUMES

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d'ung enfant qu'elle eut n'a pas longtemps. Ainsi qu'on entrast dans sa chambre, on passoit par deux autres chambres moult belles, il y avoit en chascune un grand lict, bien et richement encourtiné ; et, en la deuxiesme, ung grand dressoir, couvert comme ung autel, tout chargé de vaisselle d'argent ; et puis, de celle-là on entroit en la chambre de la gisante, laquelle estoit grande et belle, toute encour-

FiG. 36S. L'enfant nouveau-né, d'après une miniature de l'histoire de la Delle-IIéléne, manuscrit du quinzième siècle, à la Bibliothèque nationale de Paris.

tinée de tapisserie faicte à la devise d'elle, ouvrée très richement de fin or de Chippre ; le lict grand et bel, encourtiné d'ung moult beau parement, et les tappis d'entour le lict mis par terre, sur quoy on mar- choit, tous pareilz à or. Et estoient ouvrez les grandz draps de pare- ment, qui passoient plus d'un espan par soubz la couverture, de si fine toille de Reims, qu'ils estoient prisez à trois cens frans; et tout par dessus le dict couvertouer à or tissu estoit ung autre grand drap de

492 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

lin aussi délié que soye, tout d'une pièce et sanscousture, qui est une chose nouvellement trouvée à faire et de moult grand coust, qu'on pri- soit deux cens frans et plus, qui estoit si grand et si large qu'il cou- vroit de tous lez le grand lict de parement, et passoit le bort du dict couvertouer qui traisnoit de tous les costez ; et en celle chambre estoit ung grand dressoir tout paré, couvert de vaisselle dorée; et en ce lict estoit la gisante, vestue de drap de soye tainct en cramoisy, appuyée de grandz oreillez de pareille soye, à gros boutons de perles, atournée comme une damoyselle. Et Dieu scet les autres superfluz despens de festes, baigneries, de diverses assembleez, selon les usaiges de Paris à accouchées, les unes plus que les autres, qui furent faictes en cette gesine ! Et pour ce que cest oultraige passa les autres (quoy qu'on en face plusieurs grandz), il est digne d'estre mis en livre. Si fust ceste chose rapportée en la chambre de la Royne, dont aucuns dirent que les gens de Paris avoient trop de sang, dont l'abondance aucunes fois engendroit plusieurs maladies. C'estoitàdireque la grand habondance de richesses les pourroit bien faire desvoyer ; et pour ce seroit le mieulx que le Roy les chargeast de aucun ayde, emprunt ou taille ; par quoy leurs femmes ne se allassent plus comparer à la royne de France, qui guères plus n'en feroit. »

Toutes les bourgeoises ne pouvaient cependant pas déployer un luxe pareil et plus d'une devait se contenter d'un confortable plus strict, ainsi que l'indique la figure 368.

Visites et caquetages. En tout temps, en tout pays, les femmes ont aimé aller remuer la langue auprès d'une amie, d'une voisine en couches. Au quinzième siècle, l'auteur des Quinze joyes du mariage exerce là-dessus sa verve satirique : « Or approche le temps de l'enfantement; or convient qu'il ait compères et commères à l'or- donnance de la dame ; or a grand soussy pour quérir ce qu'il faut aux commères et nourrisses et matrones, qui y seront pour garder la dame tant comme elle couchera, qui beuvront de vin autant comme l'en en bouteroit en une bote. Or double sa peine ; or se voue la dame en sa douleur, en plus de vingt pèlerinages, et le pauvre homme aussi la voue à tous les saincts. Or viennent commères de toutes pars ; or convient que le pauvre homme face tant que elles soient bien aises. La dame et les commères parlent et raudent et dient de bonnes chouses, et se tiennent bien aises, quiconques ait la peine de le quérir, quelque temps qu'il face ; et s'il pleut, ou gelle, ou grelle, et le mary soit dehors, l'une d'elle dira ainsi : Hellas ! mon compère, qui est dehors, a maintenant mal endurer ! Et l'autre répond qu'il

MOEURS ET COUTUMES 493

n'y a force et qu'il est bien aise. Et s'il avient qu'il faille aucune chose qui leur plaise, l'une des commères dira à la dame : Vraiment, ma commère, je me merveille bien, si font toutes mes commères, qui cy sont, dont vostre mary fait si petit compte de vous et de vostre enfant ! Or, regardez qu'il feroit si vous en aviez cinq ou six. Il appert bien qu'il ne vous ayme guères : si lui feistes-vous le plus grand honneur de le prendre qu'il avenist oncques à pièce de son lignage. Par mon serment, fait l'autre des commères, si mon mary le me faisoit ainsi, je ameroye mieux qu'il n'eust œil en teste. Ma commère, fait l'autre, ne lui accoustumez pas ainsi à vous lesser mettre sous les piez, car il vous en feroit autant ou pis, l'année à venir, à vos autres accouchemens, etc., etc.,» et tant d'autres discours du même genre. Le mari n'en était pas quitte pour avoir la tête rompue, il fallait encore qu'il ouvrit aux commères le buffet et le cellier :

« Or de sa part, le proudomme fait aprester à diner selon son estât, et y travaille bien, et y mettra plus de viande la moitié que au com- mencement propousé n'avoit, par les ataintes que sa femme lui a dites. Et tantoust viennent les commères, et le proudomme va au devant, qui les festoyé et fait bonne chière, et est sans chapperon par la meson, tant est jolis, et semble un foui, combien qu'il ne l'est pas. Il maine les commères devers la dame en sa chambre et vient le pre- mier devers elle, et lui dit : M'amie, voyez cy vos commères qui sont venues. Ave Maria, fait-elle, je amasse mieulx qu'elles fussent à leur meson, etc. Lors les commères entrent; elles desjunent, elles disnent, elles menjent à raassie ; maintenant boivent au lit de la com- mère, maintenant à la cuve, et confondent des biens et du vin plus qu'il en entreroit en une bote ; et à l'aventure il vient à barrilz n'en y a que une pipe. Et le pouvre homme, qui a tout le soussy de la despense, va souvent voir comment le vin se porte quand il voit terriblement boire. L'une lui dit ung brocart, l'autre li gelte une pierre dans son jardin. Briefvement, tout se despend; les commères s'en vont bien coiffées, parlant et janglant, et ne s'esmoient point dont il vient. . . »

Le passage suivant, des Ténèbres de Mariage, complète le tableau :

Quand vient à l'enfant recevoir, Ilfault la sage-femme avoir, Et des commères un grand tas. L'une viendra au cas pourvoir; L'autre n'y viendra que pour veoir Comme on entretient telz estatz.

494 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Vous ne vistes oncq tel caquet : Çà ces drapeaux, ça ce paquet, Çà ce baing, ce cremeau, ce laict Et voilà le povre Jaquet Qui luy servira de naquet, De chamberière et de varlet.

Cette dernière citation est tirée de l'introduction aux Quinze joyes du mariage, par Leroux de Lincy ; le savant éditeur nous fournira encore d'autres médisances.

Vers la même époque, le Rémois Guillaume Coquillart, chanoine assez cynique, a tracé un tableau peu flatté de ces conciliabules fémi- nins. La muse de Coquillart est haut troussée, mais elle est d'Eglise, et en cette qualité emprunte volontiers à la maison du Seigneur ses termes de comparaison :

Dieu scet se bien sont esplucbées

Paroles et menus fatras,

Aux chambres de ces accouchées ;

Les fenestres [ne sont bouchées

Que à faulx et à manches d'estrilles ;

Les couches ne sont attachées

Que de grands lardons pour chevilles ;

Les carreaux sur quoy seent les filles,

Sont pains d'ung tas de semi-dieux ;

Les tapis, ce sont évangilles

Et vies à povres amoureux.

Au chevet du lict, pour tous jeux,

Pend ung benoistier qui est gourd,

Avec ung aspergés joyeulx,

Tout plain d'eaue benoiste de court ;

La garderobbe, c'est la court

on traicte noz'mignons ;

on n'espargne sot ne sourt ;

C'est on les tient sur fons.

L'une commence les leçons

Au coing de quelque cheminée,

Et l'autre chante les responz

Après la légende dorée.

Sitost que mâtine est sonnée,

Il n'y a ne quignet ne place

Que on n'y carillonne à journée ;

Il est toujours la Dédicace.

En la messe il y a Préface,

MOEURS ET COUTUMES 495

Mais de Confiteor jamais. Oncques puis le temps Boniface Aussi on n'y bailla la paix, Car il y a entre deux ais Toujours quelqu'une qui grumelle D'entre sa voisine d'emprès, Qui veult dire qu'elle est plus belle Bref, c'est une droicte chapelle, Et si n'y a prélat d'honneur Qui ne tâche bien, sans séquelle, D'avoir place d'enfant de cueur. L'une comptera de Monsieur, Et l'autre d'une créature Qui a cul de bonne grosseur, Mais il ne vient pas de nature. L'une dict que c'est enfanture, L'autre dira qu'il n'en est rien, Et, pour oster la conjecture, Chascune faict taster le sien, S'il est fagotté, s'il est bien, S'il est troussé, s'il est serré. S'il est espais, quoy et combien ; S'il est rond, ou long, ou carré. Tel y a, s'il estoit paré, Et qu'on lui vist un peu la cuisse, On le trouveroit bigarré Comme un hocqueton de Souysse. Celuy-si, me semble, est bien nice Qui fonde dessus une maison, Car, quelque chose que on bastisse, Le fondement n'en est point bon. Après qu'on a dit ce jargon, Tantost après arrivera Une grande procession Qui d'aultre matière lira. L'une d'elles commencera A resgaudir ses esperitz ; Dieu scet s'elle praticquera Le tiltre De injuriis ! Quelqu'une, par moyens subtilz, Ira semer de sa voysine Qu'elle suborne les amys Et les chalans de sa cousine ; D'une autre on dira que c'est signe D'une parfaicte mesnagière

496 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Prester, pour garder sa cuisine,

Son cul plustost que sa chaudière.

S'on touche de quelque compère,

L'une dit qu'il est trop faschant,

L'autre qu'il a belle manière,

Mais il se panche un peu devant,

D'ung tel, il sent son entregent ;

Et si luy siet bien à dancer,

Mais il n'a pas souvent argent,

Il ne scet que c'est que foncer.

Quelque vieille va commencer

A Aller, qui empongnera

Sa quenoille de Haut tancer,

Son fuzeau de Tout se dira,

Les estoupes de On le sçaura,

Le rouet de J'ay bec ouvert,

Le vertillon de On verra

Le pot aux roses descouvert.

Le fil de la quenoille est vert

Et si délié pour s'enfiler,

Que le grand diable de Vauvert

A peine s'en peut desmesler.

Pour mieux à l'aise vaneler.

On met estoupes par dedans

La saincture de trop parler,

Et couche l'un des plus grans.

On empesche langues et dents,

Et mettentleurs soings etleurs cures

Par lardons, broquars, motz piquans,

A exposer les escriptures.

C'est ainsy que telz créatures,

En parlant de l'autre et de l'ung,

Lisent le titre Des injures.

Nos pères étaient intarissables sur ce sujet : Jean du Castel, abbé de Saint-Maure, dans le Miroir des Pécheurs, décrit aussi, mais en termes plus convenables, la chambre d'une accouchée :

« Il y a caquetoire (1) paré, tout plein de fins carreaux pour asseoir les femmes qui surviennent, et près du lit une chaise ou faudesteuil garni de fleurs. L'accouchée est dans son lit, plus parée

(1) Henry Estienne dit qu'on avoit donné à Paris le nom de caquctoires « aux sièges sur les quels estans assises les dames (et principalement si c'estoit autour d'une gisante), chacune vouloit monstrer n'avoir point le bec gelé ».

MOEURS ET COUTUMES 497

qu'une épousée, coiffée à la cocarde, tant que diriez que c'est la tête d'une marote ou d'une idole. Au regard des brassières, elles sont de satin cramoisi, paille ou blanc, de velours ou de toile d'or et d'argent, que les femmes excellent à choisir. Elles ont colliers autour du cou, bracelets d'or, et sont plus couvertes de bijoux que des idoles ou des reines de cartes; leur lit est garni de draps de Hollande ou de toile de coton de la plus grande finesse, et si bien apreté que pas un pli ne passe l'autre; le bois est taillé à l'antique et orné de marqueteries et de devises. »

Le Languedocien Gratien du Pont, sieur de Drusac, auteur des Controverses des sexes masculin et féminin (1534), un des livres les plus bizarres de notre littérature, n'a pas oublié ce trait dans ses dia- tribes contre les femmes. Il reproduit les discours que les muguettes ou femmes à la mode avaient entre elles, et leur fait tenir ces propos :

L'aultre dira, comme trop médisante :

Hélas ! commère, d'une telle gesante

Si vous voyiez la pompe et braguerie,

Vous jugeriez qu'est vraye mocquerie ;

Elle a ses lictz, la popine accouchée,

Et mesmemeut la dicte est couchée,

Si bien garniz et si très bien à poinct,

Que mieulx en ordre ne sçauroit estre poinct.

Ung lict d'anticque peint d'or, d'asur et d'acre,

Au bort du quel, pour servir de soubdiacre,

Maint ung muguet, trouvères et causeur,

Prothonotaire, ou bien aultre jaseur.

Qu'entretiendra icelle dicte dame

Sans honte avoir, en cestuy monde deame.

Sur une chaire le gallant est assis

Qui de pareilles aura bien cinq ou six,

De fin velours, de drap d'or ou broché ;

Sur celles chaires par grand gloire couché ;

Lict et couchette, et chambre ou morte soye,

Sont tous garniz de drap d'or ou de soye.

Si la chambre est parfumée et parée,

N'en faut parler ; elle est équiparée,

Ou bien y a encor plus de richesse

Qu'en nulle chambre de grande dame ou duchesse,

Et si n'ay paour que disse chose vaine

Quand je diroys qu'est plus fort d'une Royne.

Du demeurant, s'il est bien, Dieu le sçait!

Dessus son corps elle porte un corset

HISTOIRE DES .VCCOUCHEME.NrS. 32

498 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

D'ung fin drap d'or frizé, pour vray le diz ; Fourré de martres ils ont veu plus de dix ; Et qui pis est, sans que du propos sorte, Tous les dimanches en a changé de sorte. De mcnestriers, puisqu'il faut que le dye, Et d'instrument y a telle mélodie, Tant de chansons d'orgues et de plaisir, Que vous n'auriez certes aultre désir Que d'escouter leurs accords et cadences, Et compasser maintes sortes de dances.

Un contemporain de Gratien du Pont, le fameux Roger Bontemps, maislre Hoger de Collerye, dans un Dyalogue comp ose\ Van mil cinq cent douze pour jeunes enfants, nous montre les chambres d'accou- chées devenues de véritables salons de réception :

LE FRERE.

.... Voirement Que dit-on de nos accouchées ?

LA SEUR.

Qu'on en dict ? Tout premièrement, Les unes sont trop longuement En leur lict mollement couchées.

LE FRÈRE.

Elz sont bouchées.

LA SEUR.

Elz sont touchées.

LE FRÈRE.

Hz leur fault tant mirlifîcques.

LA SEUR.

Elz sont visitées et preschées, Et bien souvent plus empeschées Qu'on est à baiser les reliques.

LE FRÈRE.

Les brasseroles magnifiques...

LA SEUR.

Riches carcans,

LE FRÈRE.

Tapisserye...

MOEURS ET COUTUMES 499

LA SEUR.

Do peur qu'elz ne soient fleumatiques, Ou trop mègres ou trop eticques, On vous les sert d'espicerye.

LE FRÈRE.

Hypocras...

LA SEUR.

La pâtisserie.

LE FRÈRE.

Couliz de chapons...

LA SEUR.

Tant de drogues.

LE FRÈRE.

Arrière la rôtisserie I

LA SEUR.

Fy ! fy ! Ce n'est quernincerie.

LE FRÈRE.

En leur lict, pompeuses et rogues...

LA SEUR.

Bendées...

LE FRÈRE.

Comme les synagogues Qu'on voit au portail de Féglise.

LA SEUR.

Accouchées ont le temps.

LE FRÈRE.

Les vogues...

LA SEUR.

Je ne deuil que de vielles dogues Qui fout les sucrées.

LE FRÈRE.

C'est la guyse.

LA SEUR.

Mon frère, il est temps qu'on savise Daller autre part caqueter.

)00 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Estienne Pasquier, dans ses Ordonnances générales d'amour (1618), n'oublie pas de parler des caqueteuses qui bourdonnent autour du lit des accouchées. En sage législateur qui permet ce qu'il ne peut em- pêcher, il leur donne licence pour toutes sortes de commérages :

« 17. Detïendons de faire le procès extraordinaire à quelques personnes que ce soit, si ce n'est chez les accouchées ou autres bu- reaux solennels à ce expressément dédiez, ausquels lieux seront traictez et décidez tous affaires d'Estat, et signamment ceux qui concernent les mariages inégaux, soit pour le regard de l'aage, des mœurs ou des biens; et pareillement les bons ou mauvais traictementsdes ma- ris à l'endroict de leurs femmes, et au réciproque, des femmes envers leurs maris ; les entreprises qui se font par unes et autres dames 'au pardessus de leurs puissances et dignitez, et, à peu dire, toutes telles matières qui regardent tant la police que le criminel. En quoi nous enjoignons et très expressément commandons à toutes dames, damoiselles et bourgeoises, de quelque état et condition qu'elles soient, vuider sommairement et de plein telles matières, sans aucun respect ou acception de personnes. »

Le Satirique Th. de Courval-Lounet fait, en 1622, allusion, dans une pièce dirigée contre le mariage, au luxe déployé par les femmes en cette circonstance :

Les toilettes de nuict et les coiffes de couche, Brassières de satin, quand Madame est en couche, Sans oublier encor les coiffes de velours, La robbe de damas avec tous ses atours.

Enfin un anonyme du XVIIe siècle a composé, sous le titre de Re- cueil général des caquets de V accouchée, une satire sur cette coutume, sacrée pour les femmes, d'aller bavarder autour du lit des accouchées :

« L'auteur », dit Leroux de Lincy, « suppose que, relevé naguère d'une grande maladie, il va consulter deux médecins différents d'âge et d'humeur, afin de savoir quel régime il doit suivre pour retrouver toute sa santé. Le plus jeune lui donne le conseil de s'en aller souvent à sa maison des champs, de s'y livrer au jardinage, de boire un peu de vin clairet, puis de remonter sur sa mule et de s'en revenir sou- per à Paris. Le plus vieux l'engage à se rendre souvent à la comédie ou bien, s'il le préfère, à chercher une parente, une amie ou une voi- sine récemment accouchée, à lui demander la permission de se glisser dans la ruelle de son lit, afin d'y écouter tous les propos tenus par les commères réunies autour de l'accouchée. Ce dernier conseil est

MOEURS ET COUTUMES 501

celui qui sourit le plus à notre auteur. Dès le lendemain, il s'empresse de le mettre à exécution. Il s'en va donc rue Quincampoix, autrement dit rue des Mauvaises Paroles, chez une de ses cousines, il esl bien- tôt installé sur une chaise tapissée, caché sous les rideaux de la ruelle. Incontinent après, à une heure attendant deux, arrivèrent de toutes parts toutes sortes de belles dames, damoiselles, jeunes, vieilles, riches, médiocres, de toutes façons, qui, après avoir fait le salut ordi- naire, prirent place, chacune selon son rang et dignité, puis commen- cèrent à caqueter comme il le rapporte par la suite. »

Le bain de l'accouchée au XVIe siècle. Il existait une singulière coutume dans certaines parties de la France, au XVIe siècle. Un bourgeois de Douai, Jacque Le Saige [i)3 nous rapporte ce qu'il vit, étant en voyage, dans une hôtellerie de la Tour-du-Pin, non sans que sa pudeur en fût très fortement offensée : « Et ainssy que en- tray en la cuisine, pour scavoir se nostre disner estoit prest, trouvay l'hostesse que se baignoit dedans une cuve baignoire engourdinée(2), et y avoit tout plain de houpeaux autour d'elle. Je fus tout esbahis. Car on la veoit nue sans nul affuloir jusqu'au ventre, et avoit devant elle une petite table, elle sortissoit ses plats pour ses hostes. Il nous fut dit que, durant la gésine d'une femme, on les veoit tous les jours baignant nue, et les voisins viennent souvent faire le banquet de près ladite gizante. J'en fus tout honteux et vuiday soubit de ladite cuisine et m'en allay disner. Je le comptay à mes compagnons : ils l'avoient vue une heure devant. »

De même dans le Morbihan, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, les fem- mes, aussitôt après leur couches, venaient se baigner dans une vaste cuve de pierre placée aux pieds de la statue de la Vénus de Quinipily, pour la remercier de leur heureuse délivrance et les préparer à une nouvelle grossesse.

Coutumes au XVIIe siècle. Une gravure d'Abraham Boss, que nous avons reproduite, figure 230, nous fait assister à un accou- chement au XVIIe siècle. Une autre gravure du même artiste (fig. 105) représente la façon dont on emmaillotait, ou plutôt dont on ligotait, les enfants à la même époque.

Ajoutons qu'on donnait alors le surnom temporaire de Godard ou

(1) Voyage de Jacques Lesaige, de Douai à Ihnni. Xotre-Damc de Lorettc, Ve- nise, Jérusalem et autres saints lieux, L520.

(2) Encourtiuée, entourée de courtines ou rideaux.

502 HISTOIRK DES ACCOUCHEMENTS

Godart,, aux maris, pendant les couches de leurs femmes. C'est sans doute pour celte raison que l'auteur de Y Embarras de Godard, pièce du XVIIIe siècle, dont nous avons parlé (1), désigne par le môme nom son personnage principal. Quant à la cause de cette appellation, nous l'ignorons complètement; nous savons seulement que Godard était le nom familier du cygne, mais il nous est difficile de distinguer le rapport qui pouvait exister entre l'oiseau dont Jupiter prit la forme pour séduire Léda et le mari d'une femme en gésine.

Il nous sera tout aussi difficile d'établir pourquoi, après l'accouche- ment, les femmes observent habituellement un repos de neuf jours et non pas un autre nombre de jours. Peut-être est-ce par analogie avec les neuf mois de la grossesse? Quant à l'époque remonte celte coutume, elle paraît appartenir au XVIIe siècle; du moins nous ne la trouvons signalée pour la première fois que clans les auteurs de cette époque : « Chez les dames du premier rang », dit Dionis, « personne n'entre dans leur chambre pendant les neuf premiers jours, pas même le jour, car toutes les fenêtres en sont fermées, et il n'y a qu'une bougie allumée jour et nuit ». Pour faire passer cette déplo- rable prose médicale, nous citerons les lignes suivantes de Mme de Sévigné; elle écrit à sa fille : « II- arrive tant d'accidents aux femmes en couches, et vous avez la langue si bien pendue, à ce que me dit M. de Grignan, qu'il me faut pour le moins neuf jours de bonne santé pour me faire partir joyeusement ».

L'accouchée au XVIIIe siècle. Le Tableau de Paris, par Sébastien Mercier, nous la représente comme suit :

« Etendue, à demi couchée sur une chaise longue, enveloppée dans le plus beau linge, elle se perd dans une infinité d'oreillers grands et petits. On ne voit que dentelles artislement plissées et de grosses touffes de rubans. Elle attend sur ce trône les visites de tout le monde; elle a tout préparé pour qu'on admire jusqu'à son couvre- pied.

« Une garde se tient assise près de la porte et flaire tous ceux qui arrivent. Elle répète incessamment: « N'avez-vous point d'odeurs?» Une femme de qualité s'écrie en passant : « Non, je dois sentir la graisse. » Elle entre; une atmosphère de parfums l'environne et rem- plit toute la chambre.

« Il est dit qu'on ne doit pas parler à l'accouchée; mais l'intérêt qu'on prend aux douleurs qu'elle a souffertes est si grand, qu'on ne

(1) V. page 201.

MOEURS ET COUTUMES 503

peut s'empêcher de lui dire qu'on n'en a pas dormi toute la nuit. Ce compliment est renouvelle par toutes les femmasqui arrivent. Après qu'on a loué le courage de l'accouchée, on fait l'éloge de ses dentelles, et de la façon dont elle est mise. On dit à chaque instant : « Parlons bas »; et celle qui vient de donner le conseil, est la première à élever la voix fort haut.

« Les hommes n'entroient pas autrefois; aujourd'hui ils sont du cercle; ce n'est pas dans ces circonstances que les hommes disent encore des douceurs. L'accouchée reçoit mille complimens sur son teint, dont les roses n'ont fait que pâlir. Sa langueur la rend plus belle; mais quand le mari vient à entrer, il sourit d'une façon si par- ticulière, il a un air toujours si étrange, que malgré toutes les mi- nauderies de l'accouchée, il ne sauroit soutenir les regards de l'assem- blée; et s'y dérobe promptement.

« Chaque fois que l'accouchée porte la main à son front, une femme décampe. Chacun défile pour attraper encore quelques fragmens de l'opéra, et l'on se plaint dehors d'être victime des bienséances.

« Il manque à l'accouchée de la capitale le charme le plus intéres- sant et qui donneroit à son état un air plus respectable : l'enfant dans son berceau et attendant du sein maternel sa première nourriture. Pendant un tems, les femmes ont nourri elles-mêmes, mais ce n'étoit qu'une mode, elle a passé. La vie de Paris sera toujours un obstacle à l'accomplissement de ce devoir sacré. J'ai remarqué que personne n'osoit parler du nouveau-né ni au père ni à la mère.

« Quand une femme se porteroit assez bien pour être relevée de cou- ches au bout du douzième jour, elleattendroit jusqu'au vingt-unième jour pour reparoître. Jusqu'alors elle doit, quand il entre quelqu'un, retomber sur sa chaise longue, jouer la langueur et l'abattement, rece- voir trente visites, au lieu de se promener dans un jardin, et d'y jouir des douces influences de l'air.

« Il est encore dit aujourd'hui, qu'une femme malade doit recevoir du monde jusqu'au moment elle expire. On ne laisse entrer, il est vrai, qu,e les amis de la malade; mais elle en a tant que l'apparte- ment est toujours plein.

« Le protocole d'un mourant est de n'être jamais seul; et c'est un devoir d'étiquette, que d'aller chez lui en foule.

« Il faut être entouré de parens et d'amis, clans toutes les crises d'une fièvre ; on vient jusques sous vos rideaux. Il faut que les têtes soient devenues beaucoup plus fortes, puisqu'autrefois nos pères, lorsqu'ils étoient malades, se trouvoient incommodés seulement par le mouvement indispensable du service.

504 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

« Ceux qui ne visitent pas, envoient deux fois par jour demander des nouvelles, et surtout le nom du médecin. Il devient un pronostic, et les gens du monde savent combien de jours une duchesse pourra ré- sister sous les ordonnances de tel docteur. Il est des maladies le médecin expédie son malade infailliblement, et le cocher lui-même sait qu'au bout de huit jours, il n'aura plus besoin d'arrêter les che- vaux à la porte de l'hôtel; aussi sïnforme-t-il du genre de la ma- ladie. Alors il secoue la tête et prédit l'événement ».

La comtesse de Genlis nous fournit un autre document sur les mœurs des accouchées vers la fin du dix-huitième siècle et au com- mencement du dix-neuvième. La vertueuse comtesse constate tout d'abord, non sans amertume, que nos grand'mères étaient accouchées par des sages-femmes, surtout par celles de l'IIôtel-Dieu, et que de son temps, même dans les villages, on préfère des chirurgiens ; puis elle ajoute: « Les femmes des particuliers après leurs couches, rece- voient leurs visites sur une chaise longue. Alors quoiqu'on fut habillée, sur une chaise longue on avait toujours un couvre-pieds. La décence l'exigeait ; car, ainsi couchée, le moindre mouvement peut découvrir les pieds et même les jambes. D'ailleurs, un beau couvre-pieds était une sorte de parure très élégante : on s'en passe communément au- jourd'hui, et rien n'a plus mauvaise grâce. » Une gravure de modes de l'époque (fig. 369), nous représente, en effet, une accouché étendue sur sa chaise longue, mais sans couvre-pieds et dans une posture quelque peu légère.

Nous reproduirons dans un autre volume (1), une suite d'estampes Moreau a peint, avec art et vérité, le foyer de la jeune mère ; ces différents sujets ont pour titres : La déclaration de la grossesse ; Les précautions; J'en accepte V heureux présage ; N'ayez pas peur ma bonne amie; C'est un fils/ monsieur. Les de Goncourt se sont ins- pirés de ces charmants « tableaux de la vie », dans la description qu'ils donnent des Mœurs de la femme au dix-huitième siècle et nous trouvons des détails qui nous intéressent :

« D'abord, écrivent-ils, ce sera la femme en toilette du matin sou- riant comme on sourit à un songe, aux paroles du docteur qui va prendre sa canne à bec à corbin, et lui annonce qu'elle est mère. Ici, la voilà dans son costume lâche et flottant, tout entourée et soutenue d'oreillers, à demi couchée sur le lit de repos dont le fond est une glace. Elle ne descend plus l'escalier qu'appuyée sur le bras de son mari ; elle ne va plus à l'église, aux Tuileries que portée doucement

(1) Anecdotes et curiosités sur les accouchement*.

MOEURS ET COUTUMES

505

dans sa chaise par deux grands valets picards. En dépit de Tronchin qui veut qu'elle marche et coure seule, qui la plaisante si par hasard il la rencontre, elle ne fait plus qu'une courte promenade où, pour un petit caillou qui lui roule sous le pied, son mari devient pâle. Nulle

Ssf^X

II

Fig.369. Une accouchée au XVIIIe siècle, d'après les Costumes et Mœurs de France, tome XXII.

de lalJibl. Nat.

privation ne coûte au mari ni à la femme pour faire venir au monde, en bonne santé, cet enfant auquel ils commencent à s'attacher par les sacrifices, et pour lequel la femme est heureuse de souffrir déjà.

506 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Parties charmantes de jeu, de veille, de courses, amusements, ré- créations, la femme quitte tout, elle renonce au monde pour se vouer à sa grossesse ; elle fait contraste avec ces femmes qui portent si im- patiemment cet état, et qui, avec tant d'ennui, tant de fatigue, tant de regret d'un plaisir dérangé, ou d'un souper abrégé, donnent le jour à un être « économisé dès sa conception » : elle est mère, du jour elle le devient. Bientôt la lingère apporte la layette dans un grand coffret de dentelles, et fait l'étalage de sa belle lingerie, de ses layettes en point d'Argentan. Après l'accouchement, la femme reste quatorze jours sur sa chaise longue, les pieds et les jambes couverts d'un de ces couvre-pieds qui sont la coquetterie des accouchées ; et le quatorzième jour, elle sort pour une visite à l'église et un remer- cîment à Dieu. »

C'est vers le milieu du XVIIIe siècle, qu'on commença à imprimer et à envoyer les billets de faire part de naissance ; avant cette époque, on annonçait une célébration nuptiale et aussi une naissance, par une visite ou une lettre manuscrite. Les auteurs que nous venons de citer possèdent un billet de la fin du siècle, sortant de chez Demaisons, peintre, rue Galande, et se voit entête, un enfant nu, un hochet à la main, dans une corbeille de fleurs ; la naissance de l'enfant est ainsi annoncée :

M.

J'ay Vhonnew de vous faire part de l'heureux accouchement de mon épouse,

Le [la date), la mère et V enfant se portent bien,

J'ay l'honneur d'être.

La formule a peu varié depuis, à part certains libellés fantaisistes dont on trouvera plusieurs spécimens dans notre troisième volume.

Les nourrices au XVIIIe siècle. Au temps de Louis XIV, les enfants mis en nourrice étaient mieux protégés que de nos jours, comme le prouvent les articles suivants, extraits des Déclarations du roi portant règlement pour les recommandaresses et les nourrices. Donnés à Versailles le 29 janvier 1743, le /er mars 1721, le 22 août 1761 et l'ordonnance de police de 1762 :

« ...Le bien de l'Etat étant toujours intéressé à la conservation et à l'éducation des enfants ; nous n'avons pas cru qu'il fût indigne de notre attention de pourvoir nous- même à une partie si importante de la

MOEURS ET COUTUMES 507

police... Ordonnons qu'au lieu de deux bureaux qui sont établis pour les recommandaresses, il y en ait quatre dorénavant.

« Qu'elles fassent bourse commune entre elles des droits qui leur seront payés, à raison de trente sous pour chaque nourrisson par les pères et mères. Défendons aux meneurs et meneuses de nourrices, d'emporter ou faire emporter des enfants, sans être accompagnés des nourrices qui les doivent allaiter. ...Ordonnons que les nourrices qui viendront à Paris chercher des nourrissons seront visitées par le médecin et le chirurgien que nous avons commis à cet effet. ...Ne pour- ront lesdites nourrices se charger d'aucun nourrisson que leur dernier enfant ne soit sevré, et âgé de sept mois, à moins qu'elles ne l'aient confié à une autre nourrice pour l'allaiter, ce qui sera attesté par le certificat du curé ; leur défendons de prendre un nourrisson deux ans après être accouchée, le tout à peine d'être privées de leurs salaires et de cinquante livres d'amende contre le mari.

« Faisons défense aux nourrices d'avoir en même temps deux nour- rissons (1), à peine de fouet contre la nourrice, et de 50 livres d'amende contre le mari, et d'être privées du salaire qui leur sera pour l'un et l'autre enfant.

« Faisons défense, sous peine de punition corporelle, à toutes nour- rices qui se trouveront grosses, de prendre des enfants pour les nourrir, et à peine de 50 livres d'amende pour les maris. ...Enjoignons aux nour- rices d'avoir soin des enfants qu'elles allaiteront; et en cas qu'il se trouvât qu'ils eussent péri par leur faute, voulons qu'elles soient punies suivant la rigueur de nos ordonnances. ...Afind'ovier à l'abus pratiqué par quelques nourrices, de mettre coucher leurs nourrissons dans leur lit, dont plusieurs se sont trouvés étouffés et estropiés, leur enjoignons d'avoir chez elles un berceau pour y mettre l'enfant, et d'en faire apparoir à leur curé ; défendons aux dites nourrices de mettre dorénavant leurs nourrissons à côté d'elles dans leur lit, ou de mettre plusieurs nourrissons ou autres enfants dans le même berceau, à peine de 50 livres d'amende, ou même de punition corporelle s'il y échoit. »

Vers la fin du XVIIIe siècle, nous trouvons, dans les Mémoires de Bachaumont, la preuve de la sollicitude qu'on avait alors pour les bonnes nourrices. Voici ce passage : « Le mercredi (26 janvier 1786), M. le lieutenant général de police s'est rendu au bureau des nourrices

(1) Une ordonnance du roi Jean, en date du 30 janvier 1350, la première qui con- cerne les nourrices, leur fait déjà la même défense, sous peine d'une amende de dix koIs et du pilori, pour la recommanderesse.

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et y a donné le prix à la nommée Anne Bouvet, femme d'IIildevert Diet, de la paroisse de Trilbardou, près Meaux, terre dont M. Le Noir a fait depuis peu l'acquisition. Ce prix, suivant l'intention du fonda- teur, consistait en une médaille d'or et un gobelet d'argent, sur lequel l'historique du prix avait été tracé. La médaille portait d'un côté le portrait de la reine et de l'autre ces mots : A la bonne nourrice. M. Le Noir, en couronnant cette femme comme bonne nourrice, lui a dit : « Il reste à vous récompenser comme bonne citoyenne et mère de famille; vous avez .donné sept enfants à l'Etat, ce prix me regarde et je m'en charge ». Cette cérémonie a fait spectacle et il a été récité des pièces de vers y relatives. »

Un accouchement sélect au XIXe siècle. C'est le magis- ter elegantiarum, le Figaro pour tout dire, qui nous renseignera sur ce sujet : « Il est d'usage, dit le moniteur de la haute société, que des espérances de quatre à cinq mois soient communiquées à la famille. Cela ne s'écrit que dans les cas exceptionnels. » Dans les cas excep- tionnels? Sans doute quand la jeune marquise annonce, contre toute attente, un héritier du nom au noble octogénaire qu'elle a pris pour époux? Cas exceptionnels ?... Nous nous perdons dans les hypothèses. Quoi qu'il en soit, Figaro prévient les parents et amis intimes qu'ils aient à verser dans les mains du domestique, porteur de la bonne nou- velle, un respectable pourboire. Dès lors, il est probable que MM. les gens de maison prennent, avant d'entrer au service d'un ménage high-life, de sérieuses informations sur ses chances de fécondité.

Continuons: « Dans le faubourg Saint-Germain, quand une jeune femme a l'heur de mettre au monde l'héritier du titre de la famille, un dauphin, elle reçoit du chef de la maison, son beau-père ou son mari, quelque cadeau remarquable, c'est un rubis, un saphir ou une fleur en diamants. Pour une fille ou un cadet, le mari seul offre un présent proportionné à ses moyens et à son contentement ». Proportionné à ses mogens, soit : le noble faubourg est pauvre, dit-on. Mais à son contentement ? Dame, s'il est mécontent, à qui la faute ? ou si la nais- sance d'une fille lui déplaît, que n'étudiait-il Y Art de procréer les sexes à volonté par Procope Copeau ?

La visite des parents et des intimes est admise au bout d'une dizaine de jours;, après trois semaines écoulées, tout Paris reçoit un petit bil- let l'avisant de la naissance de l'enfant : sommation à venir féliciter, de deux à cinq heures. Sur une chaise longue, s'étale la jeu»e accou- chée, couverte de satins, de dentelles, portant quelques diamants, et coiffée « d'un soupçon de bonnet qui friseen toquet, placé sur le côté de

MOEURS ET COUTUMES 509

la tête «.Tout comme au vieux temps, on mange et on bavarde; le lunch se compose de sandwichs et la conversation doit être « languissante ». Naturellement on exhibe le baby. « Une sonnette tinte souvent, sur la requête des visiteuses, et la garde, vêtue d'une superbe robe de soie qu'il est d'usage de lui donner pour l'occasion, apporte le baby. La nourrice emboîte le pas. Elle aussi porte la livrée de l'enfant. Pour un garçon on met tout en bleu, la toilette de la mère, le berceau de l'enfant, les rubans de la nourrice. Pour une fille tout en rose. Le baby lui-même est toujours vêtu de blanc. Ce n'est qu'après son bap- tême qu'apparaît une ceinture ou une pelisse bleue. »

Les neuf jours traditionnels de repos ne sont observés que dans la classe laborieuse ; mais dans la classe aisée, on reste volontiers jus- qu'à trois semaines au lit et la première sortie n'a lieu qu'au bout d'un mois. Les Anciens avaient, à ce sujet, des habitudes plus en rapport avec les fonctions utérines, en ne permettant pas à la femme de sortir avant le quarantième jour. En effet, la matrice ne reprend son volume primitif que six semaines environ après l'accouchement ; c'est aussi l'époque à laquelle apparaît la menstruation ou le retour des couches ; logiquement, la nouvelle accouchée ne devrait donc se livrer à ses occu- pations qu'au bout de ce temps.

Dès sa première sortie, la mère se rend à l'Eglise pour accomplir la cérémonie des relevailles ; elle s'agenouille devant l'autel, et le prêtre lui pose son étole sur la tête, en prononçant les paroles consacrées : elle offre, suivant sa fortune, une pièce d'or ou d'argent attachée au cierge qu'elle tient à la main ; dans les campagnes, on se contente d'envoyer au curé de la volaille ou des fruits.

A l'occasion des relevailles, les parents de la nouvelle accouchée se réunissent dans un repas. Autrefois, à la Cour, on donnait à ce sujet certaines réjouissances (1) ; c'est ainsi que Voltaire fut chargé d'im- proviser une pièce pour célébrer les relevailles de Madame la Dauphine.

Soins donnés à l'enfant au XIXe siècle. Maillot et berceaux. L'enfant vient d'être séparé de sa mère; il a été net- toyé; son cordon, enveloppé dans une compresse (fig. 370, 371), a été fixé à l'aide d'une bande de toile ou de flanelle (fig. 372) et cela du côté gauche, afin de ne pas comprimer le foie; il s'agit maintenant de l'emmailloter. En France, le maillot se compose ordinairement des pièces suivantes : trois petits bonnets ou béguins, le premier en toile, mousseline ou baptiste, le second en flanelle et l'autre en coton piqué

(1) Voir notre ouvrage sur Les Accouchements à la Cour

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

ou à dentelles, selon la fortune des parents : une chemisette en toile, une brassière en coton et souvent une seconde brassière en laine ;

Fig. 370. Compresse Fig. 371. Compresse Fig. 372. Ceinture en flanelle pour maintenir fendue. percée d'un trou central. la pansement du cordon.

une couche de toile, un lange de coton et un lange de laine. Dans un grand nombre de familles, on agit plus sagement en se contentant

Fig. 373. Le maillot modifié. (Figure tirée de la Vie du Dr Rengade).

Fig. 374. Epingle de nourrice.

£

Fig. 375. Epingle fermée.

d'un bonnet, d'une chemisette recouverte d'une seule brassière ; d'une couche de toile et d'un simple lange de coton ou de laine, suivant la saison fig. 373 . Vers le sixième mois, on emploie le maillot anglais dont nous parlerons bientùt. Pour assujettir les diverses pièces du

MOEURS ET COUTUMES

.11

maillot, on ne doit se servir que de rubans ou d'épingles à broches, dites épingles de nourrice (fig. 374, 375), afin d'éviter les piqûres si préjudiciables aux enfants. Le maillot modifié n'entrave pas. comme

Fig. 376. Petit matelas sur lequel les nourrices Vandales portaient l'enfant.

l'ancien, le développement des membres, et il permet de soutenir faci- lement l'enfant. En Provence, on porte l'enfant sur un petit matelas, ap- pelé la pièce piquée, ainsi que faisaient autrefois les nourrices du duché

Fig. 377. Enfant bien porté.

de Vandalie (fig. 376). Ce support change de nature et de nom suivant les régions : à Nîmes, il constitue le feutre; en Alsace, le portefeuille.

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HISTOIRE DES ACCOUCIIE.M ENTS

Quand l'enfant est asssez fort pour être porté à bras, il faut avoir soin de l'asseoir d'aplomb, comme sur une chaise (fîg. 377), et d'éviter

Fig. 378. Berceau rustique, en bois.

la compression des membres en contact avec le corps de la nourrice,

Fig. 379. Berceau d'osier.

pour ne pas nuire à la liberté de ses mouvements. On changera aussi

MOEURS ET COUTUMES

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fréquemment l'enfant de bras : « l'oubli de cette précaution impor- tante », dit justement le docteur Brochard, « est cause qu'un grand nombre d'enfants ont une jambe et une cuisse, quelquefois même la colonne vertébrale de travers. »

Les berceaux l'on couche l'enfant sont de différentes formes : dans les campagnes, on emploie souvent des lits en bois (fig. 378), véritables nids à punaises, ou des corbeilles d'osier incommodes

Fig. 380. Bercelonnette garnie.

(fig. 379), dont les secousses violentes ébranlent le cerveau délicat du nouveau-né et troublent sa digestion. Les oscillations de la ber- celonnette en fer (fig. 380) sont plus douces ; on a donc raison de la préférer dans les villes. Les familles aisées utilisent, le jour, des berceaux Moïses (fig. 381) que l'on peut facilement porter d'une pièce à une autre. Pour les enfants trop remuants, qui sont exposés à tom- ber de leur couchette, on a imaginé les berceaux parachutes (fig. 382) ou munis de filets; dans le midi, ils sont enveloppés d'une moustiquaire.

HISTOIRE DES ACCOU'JHI ME. M s.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Enfin on aie berceau pose-bébé (fig. 110, 383) pour se rendre compte

Fig. 381. Carcasse de berceau Moïse.

de la quantité de lait prise à chaque tetée et des variations journa- lières du poids de l'enfant.

Fig. 382. B rccau parachute fermé.

MOEURS ET COUTUMES

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Allaitement. Nourrices. Si la mère se décide à nourrir son enfant, elle commence à donner le sein quatre ou cinq heures après la délivrance ; mais trop souvent l'indifférence et l'égoïsme

Fig. 383. Berceau pèse-bébé du docteur Groussin.

l'emportent sur les raisons physiologiques et sociales qui comman- dent l'allaitement maternel ; les femmes préfèrent suivre les conseils de l'Armande des Femmes savantes, et

Laissant aux gens grossiers, aux personnes vulgaires, Les bas amusements de ces sortes d'affaires,

confient leurs enfants à des nourrices sur lieu, ou à des nourrices de campagne.

Comment les nourrices remplissent-elles leurs devoirs ? Avec des femmes à demeure, placées sous la surveillance directe des parents, il semblerait qu'on dût avoir toute garantie. Combien, cependant, au lieu de donner le sein à leurs nourrissons, trouvent moyen, presque sous les yeux de la mère, de les gorger d'aliments autres que leur lait ! Et quand la nourrice est au loin ! Le sein quelquefois, plus sou- vent le biberon. Et notez que de leur part, il n'y a pas inconscience ; ces petites bouteilles auxquelles les Robert et les Monchovet ont atta- ché leur nom, le bon sens campagnard les appelle la petite rente du médecin. Trop souvent, en effet, nous sommes appelés à constater des décès, résultant d'une biberonite, plus ou moins aiguë.

516 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Le 23 décembre 1874, fut promulguée la loi Roussel qui place les nourrices de profession sous la surveillance de médecins et de per- sonnes notables, chargés d'inspecter les enfants âgés de moins de deux ans ; en voici quelques dispositions :

« Le refus de recevoir la visite du médecin inspecteur, du maire de la commune, ou de toutes autres personnes déléguées ou auto- risées en vertu de la présente loi, est puni d'une amende de cinq à quinze francs. Un emprisonnement de un à cinq jours peut être prononcé, si le refus dont il s'agit est accompagné d'injures ou de violences. Toute personne qui veut se placer comme nourrice sur lieu, est tenue de se munir d'un certificat du maire de sa résidence, indiquant si son dernier enfant est vivant, et constatant qu'il est âgé de sept mois révolus, ou, s'il n'a pas atteint cet âge, qu'il est allaité par une autre femme. Si, par suite d'une négligence de la part d'une nourrice ou d'une gardeuse, il est résulté un dommage pour la santé d'un ou de plusieurs enfants, l'emprisonnement de un à cinq jours peut être prononcé. En cas de décès d'un enfant, l'application des peines portées à l'article 319 du Code pénal, peut être pro- noncée. »

Un règlement du 27 février 1877, complète les obligations imposées aux nourrices, en leur interdisant d'allaiter un autre enfant que leur nourrisson et en défendant aux sevreuses ou gardeuses de se charger de plus de deux enfants à la fois.

On doit remercier l'autorité de sa bonne volonté ; mais ces pré- cautions sont bien insuffisantes et ne donnent que de médiocres ré- sultats. Quoi qu'on fasse, il sera bien difficile de remédier à l'incurie des nourrices et aux vices de leur organisation. Ainsi pour avoir une nourrice sur lieu, on va la choisir dans des bureaux spéciaux. « Le choix d'une nourrice », dit Lorain, « est chose délicate et il n'existe pas de branche de l'industrie humaine la tromperie soit plus fré- quente. Les nourrices trompent sur leur âge, sur l'âge de leur lait, sur leur provenance; elles doivent être surveillées avec soin, et suivies, pour ainsi dire, pas à pas. L'institution des bureaux de nourrices ne protège pas suffisamment le public et les médecins contre certaines fraudes. Ainsi les nourrices à Paris font souvent usage de faux pa- piers ou de papiers empruntés qu'elle se prêtent les unes aux autres; elles arrivent de la sorte à réaliser l'idéal de toutes ces femmes, qui est de se donner pour des nourrices de Bourgogne, mariées, accouchées depuis trois ou quatre mois fréquemment elle produisent et montrent comme leur, un enfant de belle mine qui ne leur appartient pas. Elles font souvent venir à Paris leur mari comme ouvrier terrassier ou

MOEURS ET COUTUMES 517

homme de peine, et entretiennent en secret des relations avec lui, alors que la chasteté leur est imposée. »

Ces remarques sont fort justes; nous en avons trouvé la confir- mation dans une étude curieuse sur les bureaux de nourrices, qu'un rédacteur anonyme a écrite pour le journal le Temps. Nous donnons en entier ce document de moeurs, parfois amusant dans les détails, au fond navrant :

« Que de fois, allant guetter le retour d'un ami aux gares de Lyon ou d'Orléans, vous avez été témoins du spectacle suivant :

« A la queue des voyageurs, pressés de franchir le tourniquet et de sauter dans les fiacres, apparaissait, loin sur le quai de la voie, un bataillon de paysannes, coiffées du petit bonnet blanc des Morvan- diottes, conduites par un personnage très important, haute casquette et blouse neuve, ayant une chaîne d'or autour du cou et à la main un de ces bâtons ferrés du bout, à manche de cuir, que l'on voit au poi- gnet des maquignons dans les foires. Arrivé à la barrière, ce compa- gnon clignait familièrement de l'œil à l'employé. Lentement, de des- sous sa blouse, il tirait les billets enfouis dans sa sacoche ; puis, ayant compté son monde, il reprenait la tète de la caravane et traversait la gare avec l'air victorieux d'un pacha menant son sérail à la prome- nade. Les paysannes le suivaient à la queue leu leu ; d'étranges miau- lements de petits chats sortaient de dessous leurs capes jetées sur l'épaule. Enfin, au bas des marches, toute la troupe s'empilait dans une tapissière et s'éloignait, cahotée, au trot d'un bidet.

« Involontairement, vous avez souri et vous vous êtes souvenus d'une vieille lithographie en trois couleurs, qui s'étale à toutes les devantures de marchands d'estampes : la Voiture de nourrices, avec sa charretée de marmots pendus aux seins maternels et son meneur, assis sur le brancard, la pipe aux dents.

« Depuis l'invention des chemins de fer, les carrioles des meneurs se rouillent, les bras en l'air, sous d'antiques remises; mais le type pittoresque du conducteur de nourrices n'a guère varié. C'est un être tout à fait à part et fort complexe. Il joint à la rouerie finaude du marchand de bœufs, à son mépris du bétail, l'élégance spéciale du camelot enrichi. Enfin, il a je ne sais quelle vague ressemblance avec l'ancien racoleur de conscrits, ce terrible sergent à langue dorée, resté si vivant dans les complaintes paysannes. L'administration, qui exige aujourd'hui du meneur des certificats de bonne vie et mœurs, et une autorisation préfectorale, en a fait un personnageofficiel.il n'a jamais porté sa coiffure aussi haute ni son ventre aussi en avant. Celui qui m'a donné quelques renseignements sur la façon dont les meneurs re-

518 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

crutent leur personnel m'a dit : « J'opérions chacun dans not' dio- çaise ». Voulait-il vraiment dire dans le sien, comme Henri IV décla- rait sienne « sa bonne province de Normandie » ? Il est certain que le meneur est aussi connu que monseigneur dans les paroisses et qu'il surveille de très près son troupeau. Que les autres guettent la moisson qui germe, la vigne qui bourgeonne, lui, dans ses tournées de cam- pagne, surveille les couples qui s'égarent les soirs de vendange et, d'après ses observations, se livre à des calculs de probabilités tout à fait divertissants.

« J'ai eu entre les mains un carnet de meneur un vieux carnet relié en toile cirée, avec des taches de café répandu et de grosses mar- ques de pouce au bas des pages. Toutes les pages étaient à demi pleines. D'une part, les femmes qui s'étaient promises à date fixe. De l'autre, les filles, celles qui ne disaient rien encore, mais sur qui le meneur avait l'œil ouvert. Celles-ci étaient de beaucoup les plus nom- breuses. Et cela est logique. Dans un pays le commerce de la « nourriture » est devenu une industrie réglée, la source à peu près unique de la prospérité des ménages, les gars ne se soucient pas du tout d'épouser une femme stérile, et ils lui préfèrent beaucoup des filles qui « avions fait leurs preuves », comme disait mon meneur.

« Quand le meneur a formé sa troupe, ou, pour parler l'argot du métier, quand il « a noué sa botte » , il va prendre, à quelque station de grande ligne, le chemin de fer de Paris. Presque toutes les femmes emmènent leurs enfants avec elles. Et tout ce monde, été comme hiver, voyage en wagon de troisièmes, assis sur le bois, presque au lendemain des relevailles. Et il est bien entendu que le meneur ne se gêne point pour fumer sa pipe, pas plus que les camarades qui mon- tent en route. Pourtant les pauvres bébés sont encore moins à plain- dre à l'aller, serrés contre les seins maternels et bien protégés par la cape ou un vieux châle, qu'au retour, ils sont confiés « aux bons soins » du meneur.

« L'administration a fait pour eux ce qu'elle a pu. Elle a, par exemple, sévèrement défendu aux conducteurs de nourrices de ra- mener plus d'un enfant à la fois. On n'a plus le spectacle lamentable de ces maillots vagissants rapportés à la botte, trois, quatre, roulés dans une couverture, par un marchand de bœufs ou une vieille com- mère. Les conséquences de cette ancienne pratique, c'étaient :là mort en masse, les échanges d'enfants, une foule d'incidents tragiques qui nous semblent relever uniquement du mélodrame et que la loi de 1874 sur la protection de l'enfance a rendus infiniment rares. Mais a-t-elle pu remédier à tout, cette belle loi de pitié? Pourra-t-elle empêcher

MOEURS ET COUTUMES 519

le meneur de considérer le marmot qu'il rapporte comme un paquet incommode, adoucir sa main lourde et faire que ce mauvais lait de Paris, acheté au départ dans une crémerie, secoué dans la bouteille par le tressautement du chemin de fer, ne descende pas bien froid et presque empoisonné dans ce pauvre petit estomac qui crie famine? « Il est expressément défendu, dit une ordonnance du préfet de police (1er février 1878), aux meneurs ou meneuses et à toutes personnes s'oc- cupant dans le département de la Seine du placement d'enfants en nourrice, d'emporter des nouveau-nés, sans que ces enfants puissent être, pendant le transport, entourés de soins dont ils ont besoin, et de nature à rendre impossibles les substitutions d'enfants ».

« Voilà tout ce que la loi pouvait faire; quant à la pratique, la surveillance doit être bien malaisée, et l'ordonnance conclut par cet article instructif : « Dans le cas les enfants ainsi transportés vien- draient à mourir en route, il est enjoint aux meneurs d'en faire aus- sitôt que possible la déclaration devant un officier de l'état civil ».

« Mais pour le moment ils sont bien vivants, ces petits Morvan- diots, et ils emplissent du concert bruyant de leurs cris les voûtes sévères de la préfecture de police. »

Déclaration de naissance. La naissance de l'enfant, dit le Code civil, sera déclarée par le père ou, à son défaut, par les docteurs en médecine, sages-femmes, officiers de santé, ou autres personnes qui auront assisté à l'accouchement. L'acte de naissance sera rédigé de suite, en présence de deux témoins. A la campagne (fig. 384) et en province, la présentation de l'enfant devant l'officier de l'état civil a tou- jours été facultative; à Paris, elleétait obligatoire avant 1868 (fig. 385). Mais depuis cette époque, en raison des dangers que courait le nou- veau-né, exposé aux intempéries de l'air, la constatation des nais- sances se fait à domicile par un médecin de l'état civil. Cette visite ne dispense pas le père ou les autres personnes désignées ci-dessus, de la déclaration qui doit être faite dans les délais légaux, c'est-à-dire dans les trois jours de l'accouchement, non compris celui de la nais- sance, sous peine d'un emprisonnement de six jours à six mois et d'une amende de seize francs à trois cents francs. Le secret profes- sionnel autorise l'accoucheur à faire la déclaration de naissance sans indiquer les noms ni la demeure des parents.

Quand une femme accouche sur la voie publique, en voiture, en omnibus, voire même en ballon captif, comme le cas s'est présenté à l'Exposition de 1878, la déclaration de naissance doit avoir lieu à la mairie de l'arrondissement réside l'accouchée. Si l'accident arrive

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

en chemin de fer, la déclaration se fait à la mairie de l'endroit la femme a été transportée. Sur un vaisseau, la formalité est remplie au port d'attache du bâtiment.

D'après une récente ordonnance du préfet de la Seine (Fé- vrier 1882), on est tenu de déclarer à la mairie, aux fins d'enlève- ment, les embryons à partir de six semaines ; un employé des

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Fjg. 384. La déclaration de naissance à la campagne, d'après un almanach de la Ville de

Saint-Denis.

pompes funèbres passe les prendre sans frais au domicile de l'accou- chée. Cette sage mesure empêche de jeter dans les latrines ou sur les ordures des petits cadavres ayant déjà forme humaine.

L'avorteraient en France. La loi franque admettait le ivehrgeli ou rançon en argent pour l'avortement comme pour toute autre violence; la compensation était de cent sols (1) et de sept cents, si la femme succombait (2). Plus tard, sous le régime féodal, ce

(1) Monnaie d'or dont la valeur a beaucoup varié.

(2) Il en était de même chez tous les peuples de race germanique, Wisigoths, Bavarois, etc.

MOEURS ET COUTUMES

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fut le gibet ou la confiscation totale des biens qui punit les mauvais traitements ayant pour suite l'avortement ou la mort d'une femme enceinte. Les rois de France et leurs Parlements se montrèrent tou- jours impitoyables pour les crimes de ce genre; non seulement tout attentat à la vie de l'enfant, mais la simple célation de grossesse en- traînait le dernier supplice. On connaît là-dessus un édit porté par

Fig. 3S5. La déclaration de naissance dans une mairie de Paris, d'après le tableau de Blanchon, acheté par la Ville pour la mairie des Buttes-Chaumont, XIXe arrondissement.

Henri II en 1556 et confirmé par les ordonnances de Henri III, Louis XIV et Louis XV (1) ; il était ordonné aux curés d'en lire le texte aux prônes, et cela tous les trois mois. Un tel excès de rigueur amena les protestations des philosophes, de Voltaire, de Rousseau, de Beccaria, leur émule d'Italie, et la Révolution anéantit celte légis-

(1) L'ancienne législation lorraine était tont aussi monstrueuse; en 1711, fut publié, au bailliage du marquisat de Mogueville, un édit obligeant les femmes veuves et les filles enceintes à dire, sous la foi du serment, pendant les douleurs de l'enfantement, quel était l'auteur de leur grossesse.

522 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

lation féroce. Le code de 1791 ne prononçait plus que vingt ans de fers contre « quiconque serait reconnu coupable d'avoir par breu- vages, par violences ou par tous autres moyens provoqué l'avorte- ment d'une femme enceinte ». Aucune peine n'atteignait la femme qui avait consenti au crime. Cette anomalie a disparu dans le Gode pénal, dont l'article 317 frappe de la réclusion, non seulement celui qui pratique ou tente de pratiquer l'avortement, mais la femme qui s'y prête.

La statistique a établi que le nombre des avortements jugés en France était à peu près stationnaire. Faudrait-il en conclure que l'avortement ne fait aucun progrès chez nous? Malheureusement non : le nombre d'affaires laissées sans poursuite augmente effroya- blement, clans les grandes villes surtout et dans les agglomérations ouvrières. Les agents habituels du crime, ce sont, il faut bien le dire, les sages-femmes, celles surtout dont les réclames sont si tapageuses et les volets si bien clos. « Un des professeurs de notre Ecole, rap- porte le Dr Verrier (1), « a dit cette année (1886) en plein cours, qu'une sage-femme lui avait avoué faire en moyenne cent avortements par an.... A cent francs au minimum, on peut déjà se rendre compte du chiffre ! Certes, cette sage-femme, comme trop d'autres de ses col- lègues, gagne plus à tuer des enfants qu'elle ne gagnerait à les mettre au monde, si on peut appeler cela gagner. »

Nous finirons en faisant remarquer, avec les docteurs Galliot et Lacassagne, que l'avortement criminel se produit en général vers les quatrième et cinquième mois et qu'ils sont plus fréquents en octobre, novembre, décembre, époques correspondant aux conceptions des mois génésiques, mai, juin, juillet. Quant aux moyens employés pour procurer l'avortement, ils sont nombreux ; ce n'est pas le cas de les examiner ici ; on en trouvera rénumération détaillée dans notre Géné- ration humaine.

Maternités de Paris. Avant Louis XVI, les femmes en couches étaient reçues à l'Hôtel-Dieu, quand elles étaient parvenues au neuvième mois. Celles qui, avant ce terme, demandaient un refuge secret, étaient admises à la Salpêtrière ; aucun étranger ne pouvait pénétrer dans leur salle. Il y avait une autre salle secrète, pour les femmes qui voulaient allaiter leur enfant.

Mauriceau raconte que dès le début des douleurs, on envoyait la patiente dans la salle d'accouchements, appelée le Chau/foy, « auquel

(1) Loc. cit.

MOEURS ET COUTUMES

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lieu on les accouche toutes, sur un petit lit fort bas et fait exprès, on les met devant le feu ». Aussitôt l'accouchement terminé, les fem- mes, au grand détriment de leur santé, s'en allaient à pied rejoindre leur lit dans une pièce souvent fort éloignée.

Les conditions hygiéniqnes de l'ancien Hôtel-Dieu (fig. 386) étaient déplorables : pour le prouver, il nous suffira de citer quelques extraits du rapport de Bailly, Tenon, Lavoisier, sur l'état de cet hôpital en 1789.

Fig. 386. Une salle de l'Hôtel-Dieu de Paris. (Fac-similé d'une gravure sur bois du XVIe siècle.)

« Ils ont remarqué que la disposition générale de l'Hôtel-Dieu, disposition forcée par le défaut d'emplacement, est d'établir beaucoup de lits dans les salles, et d'y coucher 4, o et 9 malades dans un même lit. Us ont vu les morts mêlés avec les vivants ; des salles les pas- sages sont étroits, l'air croupit faute de pouvoir se renouveler, et la lumière ne pénètre que faiblement et chargée de vapeurs humides. Les commissaires ont encore vu les convalescents mêlés dans les mêmes salles avec les malades, les mourants et les morts, et forcés

524 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de sortir les jambes nues, été comme hiver, pour respirer l'air exté- rieur sur le pont Saint-Charles ; ils ont vu pour les convalescents, une salle au troisième étage, à laquelle on ne peut parvenir qu'en tra- versant la salle sont les petites véroles ; la salle des fous contiguu à celle des malheureux qui ont souffert les plus cruelles opérations, et qui ne peuvent espérer de repos dans le voisinage de ces insensés, dont les cris frénétiques se font entendre jour et nuit ; souvent, dans les mêmes salles, des maladies contagieuses avec celles qui ne le sont pas; les femmes attaquées de la petite vérole, mêlées avec des fébri- citantes. La salle des opérations l'on trépane, l'on taille, l'on ampute les membres, contient également et ceux que l'on opère et ceux qui doivent être opérés, et ceux qui le sont déjà. Les opérations s'y font au milieu de la salle même ; on y voit ces préparatifs de sup- plices, on y entend les cris du supplicié ; celui qui doit l'être le len- demain a devant lui le tableau de ses souffrances futures, et celui qui a passé par cette terrible épreuve, qu'on juge combien il doit être pro- fondément remué par ces cris de douleurs ! .Ces terreurs, ces émotions, il les reçoit au milieu des accidents de l'inflammation ou de la suppu- ration, au préjudice de son rétablissement et au hasard de sa vie. La salle Saint-Joseph est consacrée aux femmes enceintes. Légitimes ou de mauvaises mœurs, saines ou malades, elles y sont toutes ensemble. Trois ou quatre en cet état couchent dans le même lit, exposées à l'insomnie, à la contagion des voisines malsaines, et en danger de blesser leurs enfants. Les femmes accouchées sont aussi réu- nies quatre ou plus dans un lit, à diverses époques de leurs couches. Le cœur se soulève à la seule idée de cette situation, elles s'in- fectent mutuellement. La plupart périssent ou sortent languissantes. Mille causes particulières et accidentelles se joignent chaque jour aux causes générales et constantes de la corruption de l'air, et forcent de conclure que l'Hôtel-Dieu, est le plus insalubre et le plus incom- mode de tous les hôpitaux, et que sur neuf malades il en meurt deux. »

La Révolution modifia heureusement cet état de choses, et créa la Maternité dans l'ancienne abbaye de Port-Royal, elle existe encore. Plus tard, on consacra une partie de l'hôpital des Cliniques aux femmes en couches, et dans différents hôpitaux existaient des salles spéciales pour les accouchées.

On trouvera dans le tableau ci-contre, dressé par le Dr Nicaise, la liste des services d'accouchements, en 1878, le nombre de lits qu'ils renfermaient et le nombre d'accouchements faits à cette époque.

MOEURS ET COUTUMES

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TABLEAU DES SERVICES D'ACCOUCHEMENT (1878)

HOPITAUX

Maison d'Accouchement.

Clinique

Cochin

Lariboisière ,

Saint-Louis

Charité ,

Lourcine

Pitié

Beaujon ,

Saint- Antoine

Necker

Total des Maternités,

I. Maternités

1321 28 2.12 Chirurgien des hôpitaux. 627 21 3.34 Professeur. Chir. des hôp. 761 5 0.65 Chirurgien des hôpitaux.

190 154 2700 54 1.99

1 I I

II. Services annexés

28

2S

890

17

1.09

28

28

750

23

3.06

18

18

268

3

1.11

18

1S

72

»

»i

17

16

351

12

3.41

1C

16

' 254

20

7.87

6

6

95

3

3.15

6

6

53

7

13.20

137

136

2733

85

3.11

190

154

2709

54

»

327

290

5442

139

»

Médecin des hôpitaux.

Id.

Id.

» Chirurgien des hôpitaux.

3.41 .Médecin des hôpitaux.

Id.

Id.

Id.

En 1880, la Clinique qui existait place de l'Ecole-de-Médecine, a été reconstruite près du Luxembourg, dans de meilleures conditions hygiéniques ; seules les chambres d'isolement laissent encore à désirer ; elles ont l'inconvénient de communiquer de plain-pied avec les ser- vices des accouchées.

Depuis 1882, les services annexés ont été transformés : ceux de Saint-Louis, Lariboisière, la Charité, Beaujon, Tenon et la Pitié, ont été confiés à des accoucheurs des hôpitaux reçus au concours ; les salles d'accouchement de Saint-Antoine et Lourcine sont restées attachées temporairement à leurs anciens services de médecine ou de chirurgie ; de même les maternités de la Maison d'accouchement et de

526 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Cochin ont continué a être comprises dans le roulement des chirur- giens des hôpitaux.

Le personnel de chaque service spécial d'accouchementr comprend un accoucheur titulaire, un interne, deux externes et deux sages-fem- mes ; les services annexés n'ont qu'une sage-femme surveillante.

Les femmes assistées peuvent en outre accoucher à leur domicile ou chez des sages-femmes agréées, placées dans le voisinage des hôpitaux.

On sera peut-être curieux de connaître les émoluments attribués au personnel chargé des accouchements par l'Assistance publique. Voici quelques chiffres : L'accoucheur des hôpitaux reçoit, comme ses collègues les médecins et les chirurgiens, 1,500 fr. par an ; celui de Tenon, en raison de l'éloignement de cet hôpital, touche 3,000 fr.; les accoucheurs des hôpitaux ont en outre 5 francs par chaque femme placée chez les sages-femmes agréées, pour la double visite au moment de l'accouchement et à la sortie.

Les sages-femmes internes des hôpitaux gagnent 800 fr. la lro an- née ; 1,000 fr. la 2me et 1,200 fr. la 3me ; la sage-femme en chef de la Maternité touche 2,700 fr. et celle de la Clinique 2,400 fr. Les sages- femmes agréées.ont 10 fr. par accouchement et 6 fr. par chaque jour- née de présence de l'accouchée, la durée du traitement n'est pas moin- dre de dix jours ; moyennant ce prix modique, elles doivent fournir le linge et les médicaments, sauf les substances antiseptiques, le sulfate de quinine, le laudanum et le sirop de morphine. A domicile, les sa- ges-femmes touchent une indemnité de 15 fr.

Jusqu'à ces derniers temps, la mortalité des femmes en couches était très élevée dans les établissements hospitaliers. « En réunissant » dit le Dr Léon Lefort, « toutes les maternités, tous les hôpitaux sont reçues les accouchées, tant en France que clans le reste de l'Eu- rope, on arrive au résultat suivant : il meurt en moyenne 1 femme sur 29 dans les maternités et les hôpitaux; en ville, il n'en meurt que 1 sur 212 ». De l'indication de remplacer ces centres meurtriers par les accouchements à domicile. Ce desideratum est en partie acquis de nos jours. On réserve surtout les hôpitaux pour les cas graves et compliqués, les autres accouchements ont lieu chez les sages-femmes agréées ou à domicile. Ainsi, sur 20,000 accouchements d'indigentes, il s'en fait aujourd'hui 10,000 à domicile, 5,000 chez les sages-femmes agréées et 5,000 dans les hôpitaux. Ce dernier chiffre est encore trop élevé, mais les maternités ne présentent plus les mêmes dangers qu'autrefois ; la mortalité y a diminué dans de notables proportions : elle était de 10 0/0 en 1861, et elle est descendue en 1883 à 1 1/2 0/0;

MOEURS ET COUTUMES

527

à Cochin, pendant l'année 1878, service de M. Lucas-Championnière, il n'y a eu que cinq décès sur 761 accouchements.

Ces heureux résultats sont dûs aux mesures hygiéniques et pré- ventives prises pour éviter la contagion. Parmi ces précautions, la méthode antiseptique joue le principal rôle. Tous les pansements se font à l'acide phénique ou au sublimé ; aucun toucher ne doit être pra- tiqué sans que la main n'ait été préalablement plongée dans une solu- tion aseptique et que le doigt ne soit enduit de vaseline au sublimé. En outre, dès qu'une accouchée est prise d'accidents, on la trans-

Fig. 387. Pavillon Tarnier. Rez-de-chaussée.

porte immédiatement dans un service de médecine. Les chambres de travail sont grandes et aérées. Pour éviter les refroidissements, un lit roulant sert au transport des accouchées, comme à Lariboisière. Les salles sont vastes, les lits espacés, sauf à l'hôpital St-Louis ; à Cochin, il y a toujours une salle inoccupée pendant trois semaines ; à Tenon, le service d'accouchement est placé dans un bâtiment spécial, cons- truit sur le modèle du pavillon d'isolement que le professeur Tarnier

528

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

a fait établir à la Maternité, et dont le docteur Pinard a donné la des- cription détaillée dans les Annales de gynécologie (1) :

« Le nouveau pavillon d'accouchements est situé à l'extrémité des vastes jardins de la Maternité de Paris. Ce pavillon comprend un rez-

0 1 2 3 •f i 6 7 B.9 iÇMètres

Fig. 388. Premier étage.

de-chaussée et un premier étage. Il a la forme d'un parallélogramme rectangulaire et mesure 14m, 20 de longueur, 7m, 80 de largeur. Ses deux façades sont orientées au nord et au midi ; les deux pignons regardent le levant et le couchant. Deux murs de refend, allant du sol au comble et d'une façade à l'autre, séparent le bâtiment en trois par- ties : l'une médiane, les deux autres terminales. Chacune de celles-ci est divisée en deux moitiés par une cloison parallèle aux façades, de sorte que chaque étage se trouve divisé en cinq compartiments, l'un central et les autres dispersés au quatre coins du pavillon. Les qua- tre derniers compartiments sont destinés à être occupés par les fem- mes en couches. « Rez-de-chaussée. Au rez-de-chaussée, le compartiment placé

(1) Juin 1880, p. 144 et suivantes.

MOEURS ET COUTUMES 529

au centre du pavillon a été séparé en deux parties communiquant entre elles; l'une sert de vestibule, l'autre sert de chambre de surveil- lance et d'office. Dans le vestibule se trouve l'escalier conduisant au premier étage; on y voit, indépendamment de la porte principale, trois portes intérieures qui conduisent : la première à un cabinet d'aisan- ces, la deuxième à un vidoir, la troisième à l'office. Ce vestibule est éclairé par deux fenêtres donnant sur la façade exposée au nord. L'of- fice ou chambre de surveillance, habituellement occupé par le per- sonnel nécessaire au service, contient un fourneau, une baignoire mo- bile, une table, des chaises, des armoires. Elle est éclairée par deux fenêtres s'ouvrant sur la façade regardant au midi. A ses deux ex- trémités se trouve une porte qui conduit soit au vestibule, soit au de- hors. Les quatre chambres d'accouchement sont indépendantes l'une de l'autre; elles ne communiquent ni avec le vestibule, ni avec l'office. Chacune d'elles a une porte et une fenêtre. La porte s'ouvre sur l'une des façades, la fenêtre sur l'un des pignons. Cette fenêtre des- cend jusqu'au niveau du sol.

a Premier étage. Le premier étage offre les mêmes dispositions que le rez-de-chaussée ; mais les portes des chambres d'accouche- ment donnent sur un large balcon qui sert de voie de communica- tion. Les deux étages sont protégés, sur chaque façade, par une mar- quise vitrée qui met les gens de service à l'abri de la pluie. Cette marquise monte jusqu'à l'avant-toit, mais elle n'est pas appliquée di- rectement contre le mur, dont elle reste séparée par un intervalle, suf- fisant pour amener le renouvellement de l'air placé sous le vitrage de la marquise et chauffé par les rayons du soleil. Les chambres d'ac- couchement sont au nombre de huit, quatre par étage. Chacune d'elles mesure en hauteur 3 mètres ; en largeur 4m,30, en longueur 3m,50. Le cubage de l'air y est de 45m, 15. Aurez-de-chaussée, les quatre chambres ont leur sol recouvert d'asphalte. Au premier étage, deux chambres sont dallées en pierre, les deux autres en ardoises cou- pées en larges plaques. L'usage a montré que l'asphalte devait être rejeté. Dans les huit chambres, les murs, les cloisons et le plafond sont recouverts de stuc et peints à l'huile. On peut donc, avec une grande facilité, nettoyer et laver toutes les chambres à grande eau, car le pavage y est incliné vers un caniveau aboutissant à une ouver- ture qui conduit l'eau dans un tuyau relié à l'égout. Pour prévenir les amas de poussière ou l'infiltration de l'eau, tous les angles formés à la réunion des murs, des cloisons et du plafond sont à courbes ar- rondies. Dans chaque chambre se trouve une cheminée et une glace sans tain, enchâssée dans le mur de refend répondant à l'office. Cette

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS Si

530 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

glace permet aux personnes placées dans l'office de surveiller ce qui se passe dans les chambres, et, réciproquement, les femmes en cou- ches peuvent, de leur lit, voir ce qui se passe dans l'office et faire signe aux gens de service. De cette façon la surveillance est sauvegar- dée sans nuire au principe de l'isolement. L'éclairage se fait à l'aide du gaz dont les becs sont placés en dehors des chambres, au niveau des glaces sans tain.

« Le mobilier de chaque chambre se compose : d'un lit en fer ; d'un sommier fait uniquement de lames métalliques ; d'un oreil- ler, d'un traversin et d'un matelas remplis de balle d'avoine ; de couvertures de laine et de coton ; d'une table de nuit en fer ; d'un fauteuil en fer ; d'une chaise en fer ; d'un tabouret en fer ; d'une table ronde en fer ; 10° d'un berceau en fer avec la literie nécessaire pour le garnir.

« A chaque lit aboutit un cordon de sonnette,, dont le fil, après avoir passé sous la marquise, reste dans l'office. Cette sonnette permet aux femmes d'appeler les gens de service. Dans chaque chambre se trou- vent, au-dessus d'un lavabo, deux robinets, l'un d'eau froide, l'autre d'eau chaude; les robinets sont alimentés par des réservoirs placés sous les combles. L'eau chaude provient des fourneaux des offices. Le personnel attaché au service du pavillon est logé dans un bâtiment séparé. Chaque femme admise au pavillon accouche dans la chambre et dans le lit qui lui sont destinés pour tout le temps de ses couches. Quand elle est convalescente, elle peut se promener dans le jardin ré- servé qui entoure le pavillon. Dès qu'une chambre est vide, on la ventile et on la remet pour ainsi dire à neuf. Pour cela on la vide de tout son mobilier, et toutes les parois, sol, murs, cloisons et plafond, sont lavés à grande eau. Le mobilier, qui est tout en fer, subit un lavage analogue fait avec le plus grand soin. La balle d'avoine, qui remplissait les matelas, le traversin et l'oreiller de la mère et de l'en- fant, est brûlée. La literie et les couvertures sont lavées à la buan- derie. Rien ne doit échapper au lavage et au lessivage. Quand une femme accouchée devient malade, sa porte est rigoureusement inter- dite au personnel ordinairement chargé du service. Un médecin de l'hôpital du Midi soigne cette malade qui a, par exception, une garde spéciale, avec défense pour celle-ci de pénétrer dans les autres cham- bres.

« En résumé, ce pavillon est disposé de telle sorte que chaque fem- me a sa chambre et chaque chambre sa fenêtre et sa porte ouvrant directement au dehors, sans aucune communication avec les autres, même par un corridor, ce qui fait que le personnel pour y entrer est

MOEURS ET COUTUMES 531

obligé de passer sous la galerie extérieure et d'y prendre pour ainsi dire un bain d'air, suivant l'expression de M. Tarnier.»

Coutumes et croyances morvandelles. M. de Mari- court a communiqué à la Société d'anthropologie une série de cou- tumes et croyances observée aux environs d'Arleuf, canton de Châ- teau-Chinon : ces pratiques ont pour but de rendre le nouveau-né aussi heureux et aussi honnête homme que possible : « Quand les premières douleurs se font sentir, la femme, en attendant sa déli- vrance, doit boire un grand verre d'eau, afin que, sortant de la vie intra-utérine pour entrer dans le monde, l'enfant s'y présente bien nettoyé. Dans la suite, il sera toujours propre et soigneux. La femme, qu'elle en ait envie ou non, avalera une forte soupe au lait pour que l'enfant soit, à tout jamais, préservé de la gourmandise. Aussitôt après l'accouchement, la sage-femme pose sous la langue de l'enfant une pièce d'argent, ce qui fera de lui un bon avocat, soit un homme à l'élocution facile et assez avisé pour n'être jamais dupé. Sur la langue, mettez un petit morceau de pomme cuite; il aura la voix claire, sera capable de chanter au lutrin, avantage précieux, car :

Un enfant de chœur N'est jamais voleur.

« La sage-femme introduit et maintient dans la main de l'enfant, une pièce d'un centime (percée, si faire se peut). Il ne sera, plus tard, ni avare ni prodigue. Lorsque le morceau de cordon ombilical se déta- chera du ventre, la mère le recueillera et le mettra précieusement dans une boîte, pratique rappelant celle des musulmanes, qui con- servent le prépuce de leur enfant après la circoncision. Ce bout de cordon est destiné à plusieurs usages. Lorsque l'enfant commence à jouer avec un couteau ou des ciseaux, le premier objet qu'il coupera doit être ce même cordon ombilical. Je ne sais si c'est dans le but de le préserver des blessures à l'arme blanche. Il faut bien se garder de laisser taillader, en menues pièces, ce morceau de cordon. On ra- massera le bout respecté par les ciseaux ou le couteau, parce que : « lorsque, arrivé à l'âge d'homme, le jeune paysan ira tirer au sort, s'il ne porte pas ce talisman dans la poche de son gilet, il risquera fort d'amener un mauvais numéro. Si l'on taillait les ongles d'un en- fant avant l'année révolue, il aurait les doigts crochus, c'est-à-dire serait avare et voleur. »

532 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

La Gouvade (1). Aux Arianées, fêtes célébrées dans l'île de Naxos en l'honneur d'Ariane, que Thésée avait abandonnée près du terme de sa grossesse, on pratiquait la cérémonie suivante : un jeune homme, sur un lit, contrefaisait tous les efforts d'une femme en tra- vail. Serait-ce l'origine de la couvade, cette coutume bizarre qui a été observée chez quelques paysans de notre midi? Sacombe la décrit d'une façon assez exacte, sinon poétique :

Au pays Navarrois, lorsqu'une femme accouche,

L'épouse sort du lit et le mari se couche,

Et quoiqu'il soit très sain et d'esprit et de corps,

Contre un mal qu'il n'a point, l'art unit ses efforts;

On le met au régime, et notre faux malade,

Soigné par l'accouchée, en son lit fait couvade.

On ferme avec grand soin portes, volets, rideaux :

Immobile, on l'oblige à dormir sur le dos,

Pour étouffer son lait qui, gêné dans sa course,

Pourrait en l'étouffant remonter vers sa source.

Un mari dans sa couche, aux médecins soumis,

Reçoit, en cet état, parents, voisins, amis,

Qui viennent l'exhorter à prendre patience,

Et font des vœux au ciel pour sa convalescence.

Quelques auteurs anciens avaient déjà signalé chez certains peuples une coutume analogue. Strabon disait des femmes espagnoles : « Dès qu'elles sont délivrées des douleurs de l'accouchement, elles font mettre leur mari dans le lit, tandis qu'elles vaquent elles-mêmes aux affaires du dehors, et elles le servent comme s'il était l'accouchée (2) ». Diodore de Sicile attribue la même extravagance aux habitants de la Corse : « On ne prend, dit-il, aucun soin de la femme pendant sa

(1) Dans ce paragraphe, nous ferons voyager le lecteur; c'est que nous avons voulu réunir ensemble les détails 'concernant cette coutume singulière et quelque peu cosmopolite.

(2) Les Basques sont signalés comme ayant, plus que tous les autres, pratiqué la couvade; Cbabo, dans ses Histoires Basques, 1847, fait remonter l'origine de cette coutume à la légende d'Aïtor ; il raconte que, dans une circonstance solennelle, en 241 avant notre ère, le barde cantabre Lara déclama, comme étant de sa composi- tion, la légende d'Aïtor, père de la race basque, il est dit : « Quand les cris de notre nouveau-né égayèrent l'écho de ma caverne humide, la mère ne voulut point me permettre d'aller à la nourriture ; ce fut cette femme forte qui se chargea de pour- voir à notre subsistance, tandis que j'étais dans le lit de peaux, réchauffant, sur ma poitrine velue, le fruit de nos amours ». Ce conte n'a évidemment aucune va- leur scientifique; nous ajouterons même que, comme il paraît sorti de l'imagination de Cbaho, il n'a même pas d'intérêt légendaire.

MOEURS ET COUTUMES 533

couche, mais aussitôt qu'elle est accouchée, son mari la remplace au lit, il reste un certain nombre de jours, comme s'il était souffrant d'être accouché. » Apollonius de Rhodes et son imitateur Valérius Flaccus en disent autant de certains peuples de Pont-Euxin : « Dès que les femmes sont accouchées », écrit Apollonius, « leurs maris gé- missent en se couchant dans les lits, et en entourant leur tête, et celles-là leur donnent une bonne nourriture et leur préparent des bains qui conviennent aux accouchées. » « Chez les Cypriens », rap- porte de son côté Plutarque, « un homme se met au lit et imite les cris et les contorsions d'une femme en couches ». Pison, dans son Histoire naturelle du Brésil, dit que les indigènes de ce pays agis- saient de même, pour rétablir leurs forces épuisées, toutes les fois qu'ils devenaient pères. « Apparemment », objecte un auteur mo- derne, « les femmes trouvaient dans ces soins officieux, du plaisir à disposer leurs maris à le devenir encore » . Suivant le père Du Tertre, les Caraïbes, quand leurs femmes ont accouché, restent au lit un mois entier, sans manger ni boire pendant les dix premiers jours; « au bout du mois, les parents et amis de la famille viennent rendre visite au prétendu malade, lui font des incisions dans la peau et tirent du sang de toutes les parties de son corps, sans qu'il profère une seule plainte, pour ne pas être accusé de lâcheté (1) ». Cette cou- tume a été observée encore chez les Ghaktas de l'Amérique du Nord, chez les Arawaks du Surinam, chez les Abipones de l'Amérique du Sud, en Tartarie, dans les Indes, à Madras, au Malabar; de nos jours, elle existe au Congo, et le Dr Crevaux dit l'avoir retrouvée en Guyane. Chez les Chiriguanes, le mari se contente de se soumettre pendant trois ou quatre jours à un jeûne absolu.

Tels sont les renseignements fournis par les auteurs sur la cou- vade. Quant aux raisons invoquées pour expliquer cette singulière coutume, elles sont aussi nombreuses que variées : Boulanger, dans l'Antiquité dévoilée par ses usages, émet l'étrange idée que c'est la honte d'avoir donné le jour à un être de son espèce qui fait ainsi agir le chef de la famille ! L'abbé Rouboud n'a rien trouvé de mieux que de faire coucher le père pour réchauffer son enfant. L'abbé Raynal, dans ses Recherches philosophiques sur les Américains, suppose qu'en agissant ainsi les maris veulent prouver qu'ils ont eu autant de part à la génération que les femmes. Pour d'autres,

(1) Le P. Du Tertre ajoute que, pendant les six premiers mois, le père n'osait manger des oiseaux, ni des poissons, dans la crainte de communiquer à son enfant les défauts naturels de ces animaux.

534 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

c'est [en quelque sorte la cérémonie de l'adoption, la prise de pos- session de l'enfant par le père; Mùller n'y voit qu'une superstition ridicule; enfin, d'après le Dr Reclus, elle semble marquer la recon- naissance de l'enfant par le père, reconnaissance exprimée par la si- mulation naïve de l'accouchement et de l'allaitement. Peut-être se rattache-t-elle au préjugé que combat Primerose et qui veut que le mari ressente, pendant la grossesse de sa femme, les mêmes indispo- sitions qu'elle.

Quoi qu'il en soit de ces explications plus ou moins fantaisistes, l'existence de la coutume en elle-même ne saurait être niée; elle est attestée par des témoins dignes de foi.

Coutumes anglaises. Après les ignominies dénoncées par la Pall Mail Gazette, et qui montrent les mœurs de nos voisins sous leur vrai jour, on est étonné du luxe de précautions hypocrites qu'ils affectent dans la vie privée pour sauvegarder les lois de la pu- deur.

Nous avons déjà indiqué la position bizarre que la trop pudique Albion prend pour accoucher. John Burns (1) recommande au méde- cin qui pratique le toucher de faire une obscurité complète dans la chambre, de fermer les rideaux du lit et d'introduire l'index avec promptitude. En outre, il est interdit au mari d'entrer dans la cham- bre de sa femme pendant toute la durée de l'accouchement; mais en revanche, la pudibonde anglaise n'hésite pas à recevoir un accou- cheur de préférence à une sage-femme. En cela, on reconnaît le côté pratique de nos voisines d'outre-Manche : leur sécurité avant la pu- deur. Puis après l'accouchement, tout danger ayant disparu, elles se confient à une personne de leur sexe; la monthy nurse « la nourrice au mois ». Ces sortes de gardes-malades sont retenues longtemps à l'avance, quelquefois six mois avant le terme. Dans la bourgeoisie, elles touchent en moyenne 200 francs par mois ; de plus, elles sont logées et nourries, en échange des soins qu'elles donnent à la mère et à l'enfant. La classe ouvrière a aussi recours aux monthy nurse quand une parente ne peut remplir leur office; mais elles ne restent qu'une huitaine auprès de l'accouchée et à des prix plus modérés.

Les médecins qui se conforment à la tradition, font prendre à leurs clientes une potion de spermaceti ou blanc de baleine, « remède sou- verain » dit Shakespeare (2) « pour les blessures intérieures » ; c'est

(1) Principles of Midnifery .

(2) Henri IV, acte I, scène III.

MOEURS ET COUTUMES

535

une précaution très prisée des commères et qui met le praticien en grande estime dans leur esprit.

A peine né, l'enfant est plongé dans l'eau froide, à la façon d'Achille, trempé dans l'eau du Styx pour le rendre invulnérable. Puis on panse le cordon avec un chiffon perforé et fortement roussi que l'on main-

Fig. 389. Triangle de flanelle.

FiG. 390. Corset anglais, vu de dos

tient avec une bande de flanelle. On procède ensuite à son habillement qui se compose d'une chemisette, d'une couche de flanelle triangu- gulaire (fig. 389) destinée à recevoir les excréments et d'une longue robe en flanelle, qui remplace la brassière et le lange du maillot fran- çais. Le torse est soutenu par un corset (fig. 390) ; les pieds sont pro- tégés par des chaussons tricotés, et la tête est nue ou recouverte d'un léger bonnet. Ce vêtement favorise, il est vrai, le développement de l'enfant, en n'apportant aucune entrave au libre exercice des mou- vements ; il permet, en outre, de changer l'enfant aussitôt qu'il se salit, mais il a le grave inconvénient de ne pas suffisamment protéger le corps contre les influences atmosphériques et d'exposer aux affections des voies respiratoires qui font de si nombreuses victimes en Angleterre.

Quand la mère n'allaite pas, elle a recours ordinairement au bibe- ron ; et si une nourrice est jugée indispensable, comme il n'en existe pas en Angleterre, on la fait venir de France.

Une tradition intéressante à signaler, veut que la Reine donne aux parents nécessiteux, sur recommandation d'un curé, une livre par tête de nouveau-né, lorsque leur nombre dépasse la paire dans une même couche. Ainsi au mois d'août 1884, la femme d'un ouvrier at- taché à l'usine à gaz de Carlisle est accouchée de quatre enfants du sexe féminin ; elle a reçu de la reine quatre livres sterling.

Dans le Yorkshire, au nord de l'Angleterre, nous trouvons une

536 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

singulière coutume obstétricale: la patiente accouche revêtue de tous ses vêtements, et si le travail la surprend pendant son sommeil, le premier soin de ses parents est de la faire habiller complètement; elle ne retire ses vêtements qu'après la délivrance. Question de pudeur sans doute.

L'avorteraient en Angleterre. Les indiscrétions, désor- mais fameuses, de la Pall Mail Gazette, et les révélations scandaleuses des procès Crawford et Campbell, ont fortement noirci la robe d'in- nocence dont vertueusement s'enveloppait la pudique Albion. D'ail- leurs, depuis longtemps, les naïfs seuls s'y laissaient prendre. Per- sonne n'ignore que nos maisons d'accouchement comptent, dans leur clientèle, un nombre considérable d'Anglaises ; faut-il en conclure que, sur les bords même de la Tamise, les blondes misses, ayant flirté de trop près avec de respectables gentlemen, ne sauraient trouver remède à leur embarras ? Taylor (1) convient, d'un ton maussade et embar- rassé, que nombre de sages-femmes tirent de l'avortement leurs moyens d'existence.

Et à qui fera-t-on croire que les cerlificatrices et les raccommo- deuses de virginité, dont la Pall Mail Gazette nous a révélé le honteux métier (2), n'ont pas dans quelque armoire de ces pilules ou gouttes pour les femmes, de cette essence persane de roses dont parle Taylor ? Que, sur une demande, appuyée de quelques schellings, ces habiles manieuses d'aiguilles hésiteraient à pratiquer une ponction ?

Quant aux pénalités dont la loi anglaise frappe Tavortement, Taylor nous les indique ainsi : « Dans le statut pour la consolidation de la loi criminelle (24 et 25 de Victoria, ch. G., paragraphes 58 et 59), la nature du crime et les preuves médicales exigées pour l'établir ont été fixées plus explicitement; il est ordonné que toute femme enceinte qui, dans l'intention de se procurer à elle-même une fausse couche, s'administrera illicitement un poison ou une autre substance nuisible, ou qui emploiera un instrument ou un moyen quelconque dans ce même but, et quiconque, dans l'intention de procurer la fausse cou- che d'une femme, enceinte ou non, administrera illicitement, etc., sera coupable de crime...

(1) Médecine légale, trad. Coutagne.

(2) Ce journal parle d'une maison « tenue en apparence par une sage-femme très respectable, et les entremetteuses conduisaient les enfants pour faire constater leur virginité avant le viol, et où, après le viol, on les ramenait pour être raccom- modées (patchcd up) et où, au besoin, on pouvait se faire avorter. L'existence de cette maison n'était pas un secret. Elle était bien connue dans le métier ».

MOEURS ET COUTUMES 537

« Le nouveau Code criminel proposé contient des dispositions sem- blables, mais il assigne pour punition la servitude pénale perpétuelle à toute femme coupable d'avoir employé des moyens pour se faire avorter, et, en outre, cinq ans de servitude pénale à quiconque fournit ou procure illicitement un poison, une chose nuisible ou un instru- ment ou un objet quelconque qu'il sait qu'on peut employer dans l'in- tention de produire la fausse couche d'une femme, qu'elle soit enceinte ou non, qu'elle soit ou non avertie d'une intention semblable. »

Maternités de Londres. Il n'y a pas à proprement parler de Maternités à Londres; les accouchements des indigentes se font à leur domicile, sous la surveillance du professeur de gynécologie de l'hôpital le plus voisin, qui conduit ses élèves, par séries, auprès delà patiente. Cependant une heureuse innovation a été faite en 1886 à l'hôpital de Queen Charlotte ; le prince et la princesse de Galles ont inauguré une annexe de cet hôpital réservé exclusivement aux femmes en couches, et qui peut, à juste titre, être considéré comme un modèle du genre. « Quatre chambres spacieuses »,dit la Semaine médicale, «destinées aux femmes en travail, contiennent chacune un grand lit qu'on roule dans la salle adjacente, une fois l'accouchement terminé. Les égouts de ces quatre chambres sont complètement indépendants de ceux des autres salles ; les médecins, étudiants et infirmières doivent tous se laver les mains avec de l'acide phénique à 5 0/0 en en- trant dans la chambre. Pendant la seconde période de l'accouche- ment, et après l'expulsion du placenta, on administre à la femme une douche vaginale au sublimé (1/2,000), et lorsque l'enfant est mort ou qu'on a se servir d'instruments, on pousse l'injection jusque dans la cavité utérine ; les tubes vaginaux, en verre, sont conservés dans une solution faible d'acide sulfureux. Le linge sali pendant l'accou- chement est immédiatement transporté dans un petit bâtiment séparé, on le place d'abord dans un bassin d'eau courante contenant un sac de sel ; on le comprime ensuite à la machine et on l'envoie à la buanderie il est soumis aux vapeurs d'eau surchauffée ; on se sert pour la désinfection des objets de literie d'un fourneau système Ran- som.

« Toutes les salles de l'hôpital sontmunies de fenêtres qui s'ouvrent en se renversant sur un axe horizontal. Les water-closets sont placés dans une tour adjacente aux salles et le soubassement contient deux salles pour les cas à isoler. On se sert après l'accouchement, non pas de linges ordinaires, mais de coussinets antiseptiques qu'on brûle à mesure, deux, fois par jour, dans des brasiers spéciaux. Enfin, une

538 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

salle de l'hôpital est réservée aux étudiants qui sont appelés à tour de rôle dans les salles d'accouchement. »

Il existe, en outre, plusieurs asiles qui ne reçoivent que des femmes mariées, et sur recommandation. Quelques-uns, les Workhouse in- firmanj, acceptent des filles-mères ayant une bonne conduite ; mais elles ne sont pas admises en cas de récidive. « Pour donner à cette exclusion regrettable des filles-mères sa juste valeur, » dit le Dr Léon Lefort (1), « il faut tenir compte de ce fait que les naissances illégi- times sont beaucoup moins nombreuses à Londres qu'à Paris. Elles sont au moins de 25 0/0 du nombre des naissances pour Paris et seule- ment de 5 0/0 pour Londres. Môme en tenant compte de ce fait, qu'il suffit en Angleterre, pour faire inscrire l'enfant comme légitime, que la mère déclare sous serment qu'elle est légitimement mariée au père de l'enfant (ce qui doit amener un certain nombre de fausses dé- clarations), on peut affirmer que la différence, même en tenant compte des erreurs, est encore considérable. En effet, la loi anglaise, nous le savons, autorise la recherche de la paternité; le père, déclaré tel par l'accouchée, est tenu (s'il ne fait pas opposition, suivie alors d'une enquête) à faire à l'enfant une pension payée à la mère, et dans la gé- néralité des naissances illégitimes, la femme ne manque pas de se mettre, elle et son enfant, à l'abri de l'abandon. » Déjà au XVIIIe siècle, Picard signalait cet abus au sujet du serment de la fille en- ceinte (fig. 391) : « Si une fille se trouve enceinte, » écrit cet auteur, « et qu'elle désire se débarrasser du soin de nourrir l'enfant auquel elle doit donner le jour, elle jette les yeux sur quelque homme riche du voisinage et le désigne comme son complice. Souvent elle accuse une personne qu'elle n'a jamais vue; elle fait comparaître le prétendu coupable devant le juge de paix et jure sur la bible qu'il est réelle- ment le père de son enfant. Séance tenante, un jugement est rendu contre ce malheureux qui est déclaré le père authentique, malgré ses protestations, et est condamné au payement d'une somme d'argent destinée à l'entretien de l'enfant » (2).

Avortements en Allemagne. Naturellement, les Alle- mands élèvent leur moralité bien au-dessus de la nôtre ; cependant un des leurs, C. Hoberland, déclare que, dans certains pays bava- rois, la Basse-Franconie et le Palatinat, par exemple, les paysans à leur aise prennent soin de n'avoir qu'un, ou deux, ou trois enfants

(1) Les Maternités en Europe.

(2) D'après le D^ Galliot, op. cit.

MOEURS ET COUTUMES

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au plus. Y a-t-il, en ces contrées, moins d'avortements qu'en France? En réalité, nous pouvons dire avec le docteur Corre : « Dans la ver- tueuse Allemagne elle-même l'avortement est pratiqué sur la plus

Fig. 391. Le serment de la fille enceinte, d'après Picard.

large échelle (1), et les coupables échappent d'autant plus aisément aux rigueurs de la loi qu'une condamnation ne peut avoir lieu sans la production d'un corps de délit toujours facile à détruire à cacher. »

(1) C'est aussi l'avis de l'auteur anonyme des Bas-fonds de Berlin : « Les sages- femmes font paraître périodiquement des annonces qui indiquent <( Affections des femmes, soins et discrétion ». Les soins et la discrétion qu'elles offrent ont trait spécialement aux manœuvres abortives. On ne sait point assez combien ces ma- nœuvres sont en usage dans toutes les classes de la société, chez les jeunes filles et les femmes mariées. »

540 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Le code pénal de l'empire allemand punit de l'emprisonnement le crime d'avortement ; le code pénal spécial à la Prusse est plus sé- vère, il prononce de cinq à vingt ans de travaux forcés contre la femme qui se fait avorter volontairement et contre son complice; la peine des travaux forcés à perpétuité est appliquée, si les pratiques abor- tivesont eu pour conséquence la mort de la femme (1).

Etudes obstétricales et Maternités en Allemagne.

Un point par lequel les Allemands l'emportent incontestablement sur nous, ce sont les facilités données aux étudiants pour s'instruire dans l'obstétrique. Moyennant un droit semestriel de cinquante francs environ, chaque élève reçoit,- avec sa quittance, un numéro correspon- dant à celui de la place qui lui sera réservée à la salle des leçons cliniques. En outre, il trouve dans les maternités un confortable qui lui permet d'y passer une partie de la journée ou de la nuit sans fatigue : ainsi à la Maternité de Halle, plusieurs pièces sont réser- vées aux étudiants; ils ont des sophas moelleux pour se reposer, des bureaux munis de leurs accessoires et des bibliothèques pour travailler.

Ed. Von Siebold,dans ses Lettres obstétricales, raconte que c'est son père qui, le premier, en 1817, fonda à ses frais un hôpital d'accouche- ment. « Jusqu'à lui, l'Université de Berlin ne possédait pas d'établis- sement de ce genre à elle appartenant. Pour les études spéciales de cette nature, il fallait recourir à la division d'accouchements établie à la Charité. » Aujourd'hui, les maternités de Prusse sont nombreuses; toutes sont régies par le même règlement, nous relevons ces deux articles :

Art. 9. Chaque naissance est annoncée, par le "directeur et le curé de la localité se trouve l'établissement, au curé de la commune à laquelle appartient la femme.

Art. 11. Si la femme enceinte veut être admise sans dire son nom, le directeur doit, avant de l'admettre, demander des instructions au gouvernement.

Voici quelques extraits du règlement qui concerne la maternité de Munich, en Bavière :

Art. 9. La direction prévient la police ou le magistrat de chaque admission, en remettant un imprimé dont les formules ont été remplies.

(1) Galliot, loc. cit.

MOEURS ET COUTUMES 541

Quand il s'agit d'une femme payante, on se contente d'envoyer le numéro de son lit. Lorsque le secret paraît nécessaire, on peut, même à la police, annoncer l'admission d'une autre façon qu'à la manière ordinaire; mais on ne peut se dispenser tout à fait de faire connaître qu'une admission nouvelle a eu lieu.

Art. 11. S'il n'y a pas de motif contraire, l'accouchée est renvoyée le neuvième jour ainsi que son enfant.

Art. 18. Le directeur doit veiller à ce que la femme enceinte ne lise pas de livres immoraux, ne possède pas de gravures obscènes ; qu'elle ne se livre pas au jeu pour de l'argent; qu'elle fasse consciencieusement ses dévotions.

Les six premiers jours après l'accouchement, on doit donner le bassin aux femmes qui en ont besoin ; on peut, après cette époque, leur per- mettre l'usage de la chaise percée.

Art. 38. Si une femme enceinte ou accouchée, ou si ses parents désirent avoir l'avis d'un médecin étranger, on peut le permettre ; mais il faut en prévenir le directeur, et les honoraires de la consultation ne sont pas aux frais de la Maternité.

Entre autres instructions pour les infirmières, nous relevons la suivante :

« Elle doit être très consciencieuse ; car elle en sera récom- pensée dans le paradis. Ce que tu veux qu'on te fasse, fais-le à ceux qui souffrent, est le principe d'une infirmière. »

Avortements en Autriche. Une statistique de l'autrichien Hausner tendrait à établir que, dans son pays, il y a cinq fois moins d'avortements découverts qu'en Angleterre, trois fois moins qu'en Prusse et en France. Si les chiffres de Hausner étaient exacts, il fau- drait en conclure qu'en Autriche la police est bien mal faite. Et cependant, nulle part ailleurs les coupables n'ont moins d'intérêt à se cacher; le Code pénal autrichien revisé ne fixe une peine sévère que si le coupable a provoqué l'avortement, moyennant paiement, ou à l'insu, ou contre la volonté de la mère.

Maternités en Autriche. La Maternité de Vienne se compose de trois sections : l'une les femmes sont reçues en payant, les deux autres elles sont admises gratuitement, mais elles sont utilisées pour l'enseignement de l'obstétrique.

Dans la maternité payante, suivant la quotité du paiement, qui varie de 4 à 6 florins par jour, les femmes sont réparties en trois

542 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

classes. « Les femmes enceintes payantes, « dit le Dr Lefort (1), » peu- vent cacher leur nom et leur nationalité; elles doivent seulement écrire leur nom sur un billet cacheté qu'elles remettent à l'accou- cheur. Celui-ci écrit sur l'enveloppe le numéro de la chambre et du lit. En cas de décès, le billet est ouvert; dans le cas contraire, il est remis intact à la femme lors de sa sortie. La mère peut abandonner son enfant moyennant 120 florins si elle est viennoise et le double si elle n'habite pas la capitale.

« Les femmes, surtout celles de la première classe, peuvent être reçues masquées; elles peuvent se refuser à tout examen fait par le médecin et nul ne peut entrer chez elles sans leur autorisation.

« Les femmes de la deuxième et de la troisième classe ont un par- loir particulier, pour que nul ne puisse voir les femmes couchées dans les lits voisins, en venant visiter une accouchée dans la salle même. »

Les garanties d'hygiène et de discrétion offertes aux femmes payantes sont donc satisfaisantes, mais cette section est la moins nombreuse de beaucoup et il n'en est pas de même dans les sections gratuites, surtout en ce qui regarde les soins hygiéniques. Ainsi les mères n'ont pas de berceaux ; elles prennent leur enfant à côté d'elles ; il y a même des lits réunis deux à deux couchent trois femmes enceintes. D'après le Dr J. Rendu, si la femme veut faire adopter son enfant, il faut qu'elle aille donner son lait trois ou quatre mois à l'hôpital des Orphelins, après quoi son enfant est nourri au biberon et élevé jusqu'à l'âge de dix ans aux frais de l'Assistance. Une parti- cularité assez curieuse à noter, c'est qu'un fourneau brûle tous les placentas ; on en consume ainsi plus de neuf mille par an.

A Prague, le décret annonçant la création de la Malernité, ren- fermait une phrase qui mérite d'être citée. « D'une philanthropie éclairée, » observe le Dr Lefort, « sachant que ce n'est pas moraliser les femmes que de les pousser à l'infanticide et à l'avortement en les forçant, pour être secourues, à divulguer leur faute, Joseph II disait: « La maison d'accouchements offre aux femmes enceintes et malheureuses les secours nécessaires et prend l'enfant sous sa pro- tection. Désormais le manque d'asile et la peur de la honte ne servi- ront plus d'excuse aux mères pour tuer leur enfant. L'asile pour les femmes enceintes et malheureuses existe; elles sont invitées à y venir, et l'on ne s'inquiétera ni de leur religion, ni de leur position sociale, ni même de leur nationalité. » Toute femme paye 2 florins par jour et laisse 200 florins, avec un pli cacheté si elle le désire, en abandonnant

(1) Luc. cit.

MOEURS ET COUTUMES 543

son enfant. La maison a deux issues : la grande porte et la porte secrète.

Une coutume bien en rapport avec l'origine slave de ces popula- tions a frappé le Dr. J. Rendu, en visitant la Maternité de Prague. Le professeur Weber était à tout moment arrêté dans les corridors par les élèves sages-femmes qui lui prenaient la main pour la baiser, en signe de respectueuse soumission.

Coutumes italiennes. Avortement. Autrefois, en Italie, on offrait des présents aux femmes en couches sur des plateaux spé- ciaux. « Un de ces plateaux, dit l'auteur des Curiosités de V archéo- logie, conservé dans la galerie du chevalier Artaud de Montor, repré- sente sainte Elisabeth, au moment elle vient de mettre au jour saint Jean-Baptiste ; outre le grand nombre de personnes occupées à servir la mère, trois femmes s'occupent de l'enfant : une fait des signes pour apaiser ses cris, une autre pince d'une espèce de guitare. Au bas du tableau est la date 25 avril 1428. Derrière ce tableau est un enfant dans un bosquet d'orangers ; autour est écrit :

Faccia Iddio sana ogni dona, che figlia,

E padri loro... Sia senza noia o rischia.

Dieu fasse bien portante toute femme ou fille

Et ses parents... Qu'elle soit quitte de douleurs et de périls.

L"enfant tient à la main un jouet du temps. A droite et à gauche, les armoiries de deux familles distinguées de Florence. » Ces ana- chronismes sont constamment reproduits dans les œuvres d'art du moyen âge et servent de documents pour étudier les mœurs de l'époque. Ainsi la description que nous venons de donner peut être considérée comme la peinture d'une scène d'accouchement chez une riche florentine du quinzième siècle.

Le maillot, avec bandelettes emprisonnant tous les membres, que l'on voit figurer sur plusieurs monuments anciens (fîg. 102, 351, 392) est encore en usage en Italie, surtout dans le sud et dans les pays montagneux de la Péninsule.

A Florence, on employait un berceau appelé arcuccio qui empê- chait les enfants d'être étouffés et dont les nourrices étaient obligées de se servir, sous peine d'excommunication. « Cet instrument, » dit

544 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Sue, « est composé d'une pièce de bois demi-circulaire, ou d'un che- vet qui a un pied et un pouce de diamètre; à chaque côté est attachée une planche qui a trois pieds deux pouces et demi de longueur. Il y a à chacune de ces planches, vers l'extrémité supérieure, ou du côté du dossier, un trou pour recevoir le teton de la nourrice, et ces deux planches sont arrêtées, vers l'autre extrémité, par un arc demi-circu- laire de fer, du sommet du chevet, ou de la pièce de bois qui y est fixée, et sur laquelle la nourrice peut s'appuyer, lorsqu'elle donne à têter à l'enfant. On peut, pendant l'hiver, mettre en toute sûreté l'enfant sous les couvertures, sans craindre qu'il soit étouffé » (1).

En Italie, comme en Suède et en Norwège, la mère allaite habi- tuellement son enfant ; il n'y a que la classe aisée qui prenne des nourrices. Celles-ci offrent leurs services à des prix relativement mi- nimes ; ainsi à Turin, on leur donne 30 fr. par mois, tandis qu'en France, elles gagnent de 50 à 80 francs.

A la Maternité de Rome, la femme peut cacher son nom et même son visage. Elle est autorisée à conserver un masque d'étoffe sur la fi- gure, pendant toute la durée de son séjour. Ce masque n'est pas même enlevé du visage de la morte. Nous verrons qu'à Venise on était loin d'observer autrefois la même réserve.

Quant à l'avortement en Italie, si l'on en croit la Médecine légale de Ziino, ce crime serait assez commun dans la péninsule. Il existe- rait même, à Naples, des maisons spéciales l'on aurait trouvé ran- gées, dans d'élégantes vitrines, des séries de bocaux contenant des fœtus conservés dans l'alcool. Manie de collectionneuse ou réclame impudente.

Luxe des Vénitiennes. On sait combien jadis le commerce avait enrichi Venise ; cette aisance y avait introduit tous les raffine- ments de luxe ; nos plus nobles accouchées de France auraient rougi de dépit en voyant la pompe déployée par ces marchandes d'Italie. L'écrivain milanais Casola, conduit par le cavalier Zorzi chez la si- gnora Dolfin, nous a laissé ses impressions, reproduites dans la 17e privée à Venise, de Molmenti :

« La reine de France, ni autre seigneur de France, n'aurait eu en pareil cas tant de pompe. Et l'ambassadeur du duc dit la même chose en assurant que notre très illustre duchesse n'aurait pas eu à ce dé- gré tous ces ornements. Et le dit ambassadeur du duc me choisit pour entrer avec lui, par faveur (car l'endroit ne pouvait pas contenir plu-

(1) Ces détails sont tirés des Transactions philosophiques.

MOEURS ET COUTUMES

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(1) Cette gravure répond au proverbe suivant :

Altro non trovo in vero che sia mio, Se non qvello clïio godo, o do per Dio.

Je ne trouve rien qui m'appartienne vraiment, Sinon ce dont je jouis, ou ce que je donne pour Dieu.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

546 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

sieurs personnes) afin que je visse et que je puisse ailleurs raconter. Et étant dans cet endroit, souvent il me demandait ce qu'il me sem- blait tantôt d'une chose, tantôt d'une autre. Je ne sus jamais lui ré- pondre autrement qu'en serrant les épaules [stringendo le spalle)} car on estimait que la chambre nous étions, et était l'accouchée, je parle de la construction qui ne peut s'enlever, avait coûté 2,000 du- cats et plus. Et cependant le lieu ne dépassait pas en longueur douze bras. Il y avait une cheminée tout en marbre de Carrare luisant com- me l'or, avec ses figures et ses feuillages, si finement travaillée que Praxitèle ni Phidias n'y pourraient ajouter. Et le ciel de la chambre d'or et de bleu d'outremer, et les murs étaient d'un si beau travail que je ne puis le redire.

« Une boiserie de lit estimée seule 500 ducats, immobile et fixe à la vénitienne ; tant de belles figures et si naturelles, et tant d'or partout que je ne sais pas si, au temps de Salomon, qui fut roi des Juifs, au- quel temps l'argent était réputé chose vile, il s'en soit jamais vu l'a- bondance qu'on en voyait là. Pour les ornements du lit et de la fem- me, c'est-à-dire les couvertures et les oreillers qui étaient six, et autres draperies, j'ai pensé de les taire plutôt que de les dire d'autant qu'on les croie. C'était en vérité admirable. Je veux dire une autre chose, qui est vraie et que peut-être on ne croira pas, mais l'ambas- sadeur ducal ne me laisserait pas accuser de mensonge. II y avait dans la dite chambre XXV damoiselles vénitiennes, et l'une plus jo- lie que l'autre, qui étaient venues visiter l'accouchée. Leur vêtement très honnête, comme je l'ai dit plus haut, à la vénitienne : elles ne montraient que quatre ou six doigts de nu sous les épaules par de- vant et par derrière. Elles avaient, ces damoiselles, tant de joyaux sur la tête, sur le cou et dans la main, c'est-à-dire de l'or, des pierres précieuses et des perles, que c'était l'opinion de ceux qui étaient qu'il y avait la valeur de 100 mille ducats. Leurs visages étaient fort bien peints (molto bene dépend), et aussi le reste du nu qu'on voyait. »

Les baptêmes étaient une autre occasion de dépenses tout aussi rui- neuses : dentelles, langes frangés d'or et d'argent, rafraîchissements coûteux, et trente parrains ! Le Sénat, s'en émut; en 1537, défense fut faite aux patriciennes et aux bourgeoises de recevoir des visites pendant leurs couches, les parents exceptés, sous peine d'une amende de 30 ducats. En 1634, les magistrats de la Sérénissime République renouvelaient cette défense; de plus, l'édit limitait le nombre des par- rains à douze dont chacun ne pouvait envoyer en présent que quatre pains de sucre; pour les baptêmes, il interdisait, en outre, l'apparatdans

MOEURS ET COUTUMES 547

l'Eglise, la musique, les dais, toutes les inventions d'une sotte vanité. Le même auteur que nous venons de citer raconte qu'à Venise, une amende de dix ducats était infligée aux sages-femmes qui n'a- vaient pas, dans le terme de trois jours, notifié au bureau des Pompe le nom elle domicile du mari. « Pour s'assurer de l'exécution de la loi, dit-il, le notaire ordonnait au capitaine et aux valets des Pompe de visiter les maisons, dans lesquelles ils avaient le droit de pénétrer partout et nommément dans la chambre de l'accouchée. Ceux qui s'y opposaient, nobles ou bourgeois, étaient condamnés à une amende de dix ducats. Quant aux plébéiens, ils encouraient la peine de la prison, du bannissement ou des galères. »

Règlements de l'ancien royaume de Sicile. Sous le règne de Charles IV, de Sicile, de nombreux règlements, concernant la naissance des enfants et des femmes en couches, furent élaborés sous l'inspiration du Dr Onufre Melazzo, « conseiller du roi en ce qui concerne la santé, et premier médecin général du royaume de Sicile et des îles adjacentes ». Nous donnerons, à titre de curiosité, le plus important : Pragmatique touchant l'opération césarienne et les avor- tements (1).

Charles, Par la grâce de Dieu, roi des Deux-Siciles et de Jérusa- lem, etc., Infant d'Espagne, Duc de Parme, de Plaisance, etc.

Le Vice-Roi et Gouverneur Général dans ce Roiiaume de Sicile, aux Vénérables Archevêques, Evêques, Abbés, Prieurs, Curés ; aux Prési- dents des Tribunaux Roiiaux, etc.; aux Princes, Ducs, Marquis, Comtes; aux Commissaires Généraux dans tous le Roiiaume de la Sicile, et à tous ceux qui verront ces présentes lettres : Salut.

Il a régné jusqu'à présent dans plusieurs Villes et Terres de ce Roiiaume une négligence au sujet des accouchemens, qui fait horreur : plusieurs femmes enceintes y sont mortes, sans qu'on ait pris le moindre soin du fœtus qu'elles avoient dans leur sein, et qui ordinairement survit à la mère, comme il est démontré par une infinité d'expériences ; ne faisant pas attention qu'il est facile de tirer l'enfant du sein de la mère par Fopération césarienne, ordonnée même par les Loix civiles, et qu'on peut par ce moiien le sauver d'une mort prématurée, ou du moins lui donner le baptême, et le mettre par-là en état d'entrer dans la vie éter- nelle. Cependant il est arrivé plus d'une fois qu'on a enterré inhumaine- ment la mère avec l'enfant qu'elle avoit conçu, mais auquel on ne faisoit aucune attention.

Pressés donc par plusieurs personnes zélées, qui Nous ont représenté ce désordre, Nous crûmes devoir commettre l'examen de cette impor-

(1) Extrait de V Embryologie sacrée de l'abbé Dinouart.

548 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

tante affaire à l'Assemblée des Présidens et du Consulteur, qui, après y avoir réfléchi avec toute l'attention qu'elle mérite, Nous a fait son rapport par écrit, portant qu'il falloit nécessairement établir une Prag- matique perpétuelle, et y prescrire la forme qui doit être observée en pareil cas. En conséquence de ce rapport, Nous adressâmes, par la voie de la Secrétairerie Roiiale, un Billet au Sacré Conseil, pour que ce qui Nous avoit été proposé par ladite Assemblée fût mis en exécution. Pour se conformer à la teneur de notre Billet, le même Sacré Conseil aiiant fait aussi de sérieuses réflexions sur le projet dont il s'agit, a trouvé qu'il étoit juste que l'Autorité publique remédiât à de pareils désor- dres ; c'est pourquoi s'agissant d'une affaire si considérable et si pres- sante, qui intéresse la gloire de Dieu, le service de Sa Majesté et le bien public, il a jugé à propos d'établir et de faire publier la présente Prag- matique.

Nous exhortons donc, en vertu de cette Pragmatique, les Révéren- dissimes et Vénérables Archevêques, Evêques, Abbés, Prieurs, Vicai- res, les Curés, Bénéûciers, Chapelains, et autres Ecclésiastiques consti- tués ou non constitués en dignité, ou dans l'exercice de quelque Emploi, ou Jurisdiction Ecclésiastique propre ou déléguée, ou dans un état privé, de contribuer tous de leur côté à l'exécution des Règlements qui y sont prescrits. Nous ordonnons également à tous les Officiers Laïcs, Majeurs ou Mineurs, tant à ceux qui sont sujets à la Juridiction Roiiale ordinaire qu'à ceux qui jouissent de quelque privilège que ce soit, d'exécuter, chacun dans la partie qui le regardera, la même Pragmati- que exactement, et sous les peines qui sont marquées ci-après.

I. Dès qu'une femme, de quelque grade et de quelque condition qu'elle soit, sera expirée, le mari, les parens ou les domestiques, s'ils la croient probablement enceinte, seront tous et chacun d'eux obligés, après s'être assurés qu'elle est véritablement morte, de lui faire faire l'opération césarienne, pouf en extraire l'enfant qu'elle a dans son sein et lui donner le baptême. Il faut pour cela qu'on avertisse auparavant le Chirurgien ou quelqu'autre Expert, comme on expliquera ci-après, qui doit faire l'incision, afin qu'il se tienne prêt avec tout ce qui est nécessaire pour cette opération. Et si par hasard on ne pouvoit pas avoir dans le moment ledit Expert, ils auront soin, en attendant qu'il vienne, d'entretenir chaudement le ventre de la défunte avec des linges qu'on aura présentés au feu.

II. Nous voulons que l'opération césarienne se fasse principalement par les Chirurgiens ; à leur défaut, nous en chargeons les Sages- Fem- mes ou les Barbiers; et si ceux-ci n'étoient pas en état, ce seront les Médecins Physiciens, ou autres qu'on jugera plus à propos d'emploiier qui la feront. Nous ordonnons en conséquence à tous ceux qu'il appar- tient, de n'approuver à l'avenir pour l'office de Barbier ou de Sage- Femme que des personnes qui soient instruites, et qui aient été aupara- vant examinées sur la manière très facile de faire en cas de besoin

MOEURS ET COUTUMES 549

l'opération césarienne sur les femmes mortes. Nous ordonnons pour cela au premier Médecin du Roi de prescrire brièvement et clairement, et de faire publier dans toutes les Villes et dans tous les endroits du Roiiaume la méthode de procéder à ladite opération ; à laquelle mé- thode nous voulons que tous les Opérateurs se conforment, en obser- vant en même temps les autres règles et avertissemens nécessaires qu'on donnera à cet égard pour l'instruction de ceux qui ne sont pas bien au fait, et pour que les enfants qui ne sont pas encore nés soient secourus à propos.

III. Les Chirurgiens ou autres chargés de faire l'opération césarienne ne pourront exiger aucune rétribution, lorsque le mari ou les parens, en cas qu'ils doivent faire les frais, ou la défunte elle-même, seront pauvres ; et quand même ils seroient en état de faire quelque gratifica- tion, les Chirurgiens, etc., ne pourront demander que ce qui est taxé par les ordonnances du premier Médecin, et il ne sera jamais permis d'en traiter ni d'en parler qu'après l'opération. En sorte que si lesdits Chirurgiens, Médecins, Barbiers, et les Sages-Femmes, ou autres qui, à leur défaut, seront emploiiés par les Officiers de Justice, faisoient diffi- culté d'obéir pour quelque raison que ce soit à cette loi, et qu'en conséquence ils retardassent tant soit peu l'opération, les Officiers de Justice du lieu leur intimeront la peine qiie nous leur imposons de deux ans de prison, outre les autres peines qu'il plaira à Nous et à nos Successeurs de leur faire subir. Les Officiers de Justice seront pareille- ment chargés d'engager les parens de la défunte ou les héritiers à satisfaire, sans aucune formalité de jugement, mais directement et le plus tôt qu'il sera possible, celui qui aura fait l'opération.

IV. Si une femme qui est morte enceinte n'avoit ni mari, ni parens, ni domestiques, les voisins et autres qui sauront qu'elle est grosse, surtout s'il s'agit d'une grossesse illégitime, seront obligés sur cette prévention d'en avertir les Officiers de Justice, afin qu'ils aient soin, en vertu de leur office, de faire faire au plus tôt l'incision césarienne, ou qu'ils en chargent l'Hospitalier, s'il y a un Hôpital dans le lieu, ou qu'ils prennent tel autre expédient qu'ils jugeront à propos pour que l'opération ne souffre aucun retardement : et également si la femme enceinte avoit son mari, ou des parens ou des domestiques, et que ceux-ci négligeassent de faire exécuter l'opération, surtout quand la grossesse est illégitime, les mêmes voisins seront tenus de s'adresser aux Officiers de Justice afin qu'ils y pourvoient.

V. Les Recteurs de tous les Hôpitaux de ce Roiiaume seront aussi chargés de faire faire l'opération césarienne sur les femmes enceintes qui mourront dans leurs Hôpitaux.

VI. Lorsqu'on n'a pas de preuves certaines (étant très difficile d'en avoir) que le fœtus enfermé dans le sein de la défunte est mort, on doit toujours présumer qu'il est vivant, et par conséquent, celui qui est chargé de faire faire l'opération césarienne ne doit rien négliger pour

550 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

qu'elle soit observée, quand même il se seroit déjà écoulé un temps considérable depuis la mort de la mère : puisqu'il est certain, comme on l'a remarqué dans plusieurs occasions, que l'enfant survit quelque- fois à la mère, plus d'un jour.

VII. Nous défendons au mari et aux parens d'une femme qui meurt enceinte, et à toute autre personne sans exception, de jamais empêcher qu'on lui fasse l'opération ; et, en cas de résistance de leur part, les Officiers locaux seront obligés, en vertu de la Pragmatique perpétuelle, d'y mettre ordre, de manière que ladite opération se fasse sans perdre de temps. Quant à ceux qui y mettent obstacle, ils seront soumis aux peines qu'on marquera ci-après. Les Officiers qui, dès qu'ils ont eu connoissance, quoique privée et extrajudiciaire, n'y auront point porté les secours nécessaires, comme ils y étoient obligés en vertu de cette Pragmatique, seront censés avoir encouru la peine des Arrêts pendant trois ans dans un Fort, s'ils sont nobles, et celle de trois ans de prison, s'ils sont roturiers, outre les autres peines réservées par Nous et nos Successeurs.

VIII. Comme il peut arriver qu'une femme morte soit grosse d'une manière illégitime, sur laquelle cependant, en vertu de la présente Pragmatique qui n'admet exception de personne, il faudra faire la sec- tion sous les peines exprimées ci-dessus et qu'on dira ci-après, et qu'il est à craindre que les parens, pour éviter le deshonneur qu'ils croiroient leur arriver à l'occasion de l'opération césarienne, ne voulussent cacher la grossesse et empêcher l'opération, Nous ordonnons à tous et à chacun des Officiers de Justice, et à tous ceux à qui il appartiendra d'avoir quelque part à l'opération qui se doit faire aussi sur les femmes illégiti- mement grosses, de l'effectuer malgré la répugnance et la contrainte des parens ; mais cependant avec tant de prudence, de précaution et de secret, que ceux qui ne doivent point s'ingérer dans l'opération ne puis- sent en avoir aucune connoissance. Nous les prévenons que, si par malice ou par négligence, ils ne se comportoient pas comme il faut et de la manière que nous venons de marquer dans une affaire de cette nature, nous les punirons de leur désobéissance et de leur lâcheté, et ceux qui voudroient empêcher l'opération demeureront soumis aux peines portées contre les transgresseurs, et qui sont marquées à la fin de la présente Pragmatique.

IX. Nous exhortons tous les Curés de ce Roiiaume de ne jamais per- mettre qu'on enterre les femmes qui meurent enceintes, avant qu'on leur ait fait l'opération césarienne; ils ne souffriront point à cet effet qu'on les porte à la sépulture, ni qu'on leur jette de l'eau bénite; ils emploi- ront eux-mêmes, en cas de résistance de la part des parens, le secours des Officiers locaux qui en sont responsables, comme on a dit ci-dessus. Nous exhortons également tous les Révérendissimes Archevêques, Evêques et Abbés, qui exercent quelque Juridiction Ecclésiastique en ce Roiiaume, de faire en sorte que les Curés qui leur sont soumis s'ac-

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quittent de leur devoir au sujet de ce qui vient d'être statué, sous telles peines qu'ils jugeront à propos de décerner dans leurs Mandemens et dans les Synodes de leurs Diocèses contre les Curés et autres personnes Ecclésiastiques, suivant l'importance et la gravité de la matière.

X. Nous défendons encore, sous les formes les plus rigoureuses et sous les peines qu'on dira ci-après, non-seulement à toutes les femmes enceintes de s'exciter de quelque manière que ce soit à l'avortement, mais aussi à toute autre personne d'y coopérer, ni donner le moindre secours ni aucun conseil à cet égard sous les mêmes peines. Il est également défendu aux Médecins, aux Chirurgiens, aux Sages-Femmes, aux Barbiers et à qui que ce soit de prescrire, donner, faire et vendre des médecines ou d'autres remèdes propres à produire un si pernicieux effet. Nous leur ordonnons en conséquence de se tenir sur leur garde, et d'agir avec précaution, lorsqu'ils soupçonneront que des femmes enceintes ou d'autres personnes ne demandent de ces sortes de drogues ou remèdes que dans le mauvais dessein de s'en servir pour faire avor- ter; car, en pareil cas, les Médecins, Chirurgiens, etc., ne doivent point en préparer ni en donner. Lorsque les Médecins traiteront des femmes enceintes et malades, ils seront obligés de prendre toutes les précau- tions que la loi de la charité prescrit pour que les remèdes qu'ils don- neront ne contiennent rien qui puisse nuire au fœtus, et le mettre en danger de mort ou d'avortement. Nous exhortons pour la même raison tous ceux qui sauroient qu'on veut procurer quelque avortement, et qui ne pourroient l'empêcher, d'en donner secrettement avis au Capitaine ou à quelqu'autre Officier de Justice, afin qu'ils emploient les moiiens propres pour en arrêter le danger.

XI. Dans les grossesses illégitimes, les Chefs de la Justice et les autres Officiers qui en seront instruits et auront lieu de craindre quelque avortement violent, seront tenus de veiller sur l'accouchement, et de prendre, en secret et avec précaution, toutes les mesures nécessaires pour que la femme et les parens soient obligés de répondre de l'enfant quand il sera temps. Si la femme est pauvre, les Officiers de Justice lui assigneront une Sage-Femme ou quelque autre personne pour en avoir soin ; ce qu'on fera avec le secret, la circonspection, la charité et le zèle qu'exigent des affaires de cette espèce.

XII. Nous voulons et, en vertu de la présente Pragmatique, ordonnons que lorsqu'il arrivera quelque fausse couche, les parens, les domesti- ques et autres qui se trouveront présens aient la précaution de ne pas jetter inconsidérément le fœtus ni de le laisser à l'abandon, mais d'examiner avec toute l'attention possible s'il est vivant, afin qu'on puisse d'abord délibérer sur ce qu'il y aura à faire par rapport au baptême.

XIII. Nous voulons pareillement que dans les fausses couches, de même que dans les accouchements naturels, il ne soit permis à personne de détruire le fœtus quelque difforme qu'il soit, comme on a eu la cruauté

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de faire plus d'une fois ; mais si c'est véritablement un monstre, on appellera, le Curé afin qu'il décide suivant les loix de l'Eglise insérées dans le Rituel, s'il faut lui donner ou lui refuser le baptême, et, si la chose l'exige et que le temps le permette, il consultera l'Evêque ou quelques autres personnes expertes.

XIV. Nous ordonnons enfin que quiconque transgressera la présente Pragmatique qui doit être perpétuelle, soit mari, parent ou parente de la femme enceinte, ou tout autre qui par fraude ou par négligence, ou par quelqu'autre empêchement de sa part sera cause que l'opération césarienne ne soit effectuée, ou qu'elle soit retardée au préjudice du fœtus, ou qui par malice occasionnera quelque avortement violent, soit censé avoir commis le crime d'homicide. Nous chargeons les Officiers de Justice de prendre dans la forme la plus rigoureuse des informations contre ces criminels, de les faire arrêter, et de procéder contre eux en la manière accoutumée, et suivant les Usages et les Loix du Roiiaume, pour être ensuite condamnés par qui de droit à subir les peines dont on punit le crime d'homicide, à proportion tant de la qualité du délit et de ses circonstances, que de la fraude et de la négligence des coupables. Le cas venant à écheoir, les susdits Officiers de Justice nous en donne- ront avis, comme ils sont obligés à l'égard de tout autre délit, par la voie du Tribunal de la Grande Cour Roiiale Criminelle, que nous char- geons de procéder contre lesdits transgresseurs privativement, lorsque les Officiers locaux ne jouissent pas de l'exercice de pur et mixte em- pire, n'admettant point pour ces sortes de délits aucun bénéfice de For même très privilégié dont les coupables se trouveroient munis, parce que nous voulons qu'en pareils cas ils soient soumis uniquement et priva- tivement à la Juridiction ordinaire de Sa Majesté, et que le Fisc Roiial puisse, au défaut de partie accusante, se porter accusateur, pour qu'on fasse le procès aux coupables et qu'ils soient punis. Nous voulons enfin que la présente Pragmatique soit exécutée dans toutes ses parties et suivant sa teneur, comme loi inviolable et perpétuelle de ce Roiiaume. C'est pourquoi, afin que chacun en ait connoissance, nous ordonnons qu'elle soit publiée dans les formes accoutumées et qu'elle soit enregis- trée par qui de droit, et il convient et non autrement. Donné à Palerme le 9 Août 1748.

Le duc de la Viefville.

Nous terminerons ces pratiques obstétricales de Sicile par la Lettre circulaire que le même Onufre Melazzo adresse à tous les substituts du Royaume, au sujet de la taxe pour l'opération césarienne :

Monsieur,

Comme il arrive souvent des disputes au sujet de l'honoraire que l'on doit donner au Chirurgien pour avoir fait l'opération césarienne sur

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une femme morte enceinte, et considérant que cette opération est facile par elle-même et triviale, et que si l'honoraire était un peu haut, plu- sieurs s'abstiendroient d'appeler les Chirurgiens au préjudice irrépa- rable de la vie temporelle et éternelle des petits enfans ; considérant encore que ces enfans, de l'intérêt desquels il s'agit, méritent, dans cet état, nos soins et notre compassion, quand même ils auroient des parens riches, j'estime que la taxe de l'opération césarienne doit être modérée de manière que le Chirurgien soit attiré par une honnête récompense, mais elle ne doit pas être si forte qu'elle rende difficile une affaire de si grande conséquence pour l'Eglise et pour l'Etat. Je vous préviens donc, Monsieur, que quand il s'agira de taxe pour l'opération césarienne qu'on aura exécutée sur une femme morte, vous fassiez paiier au Chirurgien, à raison de la section, douze tarins (1) ; et si, au défaut de Chirurgien c'est un Médecin qui opère, vous lui ferez donner la même paie ; mais si c'est un Barbier ou une Sage-Femme, vous leur ferez;donner six tarins. Et comme il faut quelquefois outre l'opération avoir égard à la peine extraordinaire que prend le Chirurgien quand il assiste la malade, on doit alors augmenter l'honoraire de cette sorte : s'il a assisté depuis le matin jusqu'au soir, ou depuis le soir jusqu'au matin, on lui donnera douze autres tarins ; s'il a été appelle le soir avant minuit, ou le jour à une heure incongrue entre midi et le soir, il aura trois autres tarins. On en agira de mêmeà l'égard du Médecin, et, proportion gardée comme ci-dessus, à l'égard du Barbier et de la Sage-Femme. Dans les autres cas, ils se contenteront de la paie qu'on donne'pour la section.

S'il arrivoit qu'à cause de l'impossibilité seroit une femme d'ac- coucher, d'où suit ordinairement la mort de la mère et du fœtus, qu'on dût pour la délivrer de la mort lui faire l'opération césarienne, suivant que l'art le prescrit, et comme il est marqué dans l'Edit perpétueHn vim Pragmatica, dans ce cas la paie du Chirurgien pour la section sera deux onces, outre ce qui lui sera à raison des visites qu'il aura faites pour la cure. Dans les cas néanmoins la femme et son mari seroient véri- tablement pauvres, tant les Chirurgiens que les autres, en vertu du devoir inné de la charité et du serment qu'ils ont fait de servir gratis les pauvres, se tiendront pour très satisfaits de la souveraine récom- pense que Dieu a préparée dans le Ciel à la véritable charité.

A Palerme, ce 30 Septembre 1761.

Monsieur, Votre très affectionné Serviteur, Melazzo, Premier Médecin du Eoiiaume.

Coutumes Hollandaises. En Hollande, comme ailleurs, les

(1) L'once de Sicile vaut douze livres seize sols sis deniers, monnaie de France. L'once vaut trente tarins de Sicile.

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amis des deux sexes viennent rendre visite à l'accouchée ; comme ail- leurs, on bavarde, mais plus qu'ailleurs on boit : chacun présente à la mère, ainsi qu'au nouveau-né, un gobelet de vin du Rhin avec beaucoup de sucre et un bâton de cannelle. Cette cérémonie se renou- velle autant de fois que la malade reçoit de visites : elle s'appelle van-behre, c'est-à-dire le gobelet de l'accouchement.

Les visites à l'accouchée étaient sans doute nombreuses, car il était d'usage, dans les Pays-Bas, d'entourer d'un linge blanc le marteau de la porte, afin de ne pas réveiller par le bruit l'enfant endormi.

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Fig. 393. Claie hollandaise.

La figure 393 nous montre la claie sur laquelle était assise la mère pour procéder à la toilette de l'enfant ; nous retrouverons le même siège employé dans les Flandres (fig. 394).

Coutumes belges. Les visites à l'accouchée, en Belgique, donnaient lieu aussi à de fréquentes libations, ainsi que l'indique une scène d'un vieux tableau flamand, tiré de la collection de M. Léon Dewez (fig. 394).

Le Dr Didot, de Liège, a préconisé une « berceuse » de son inven- tion (fig. 395) qui a été adoptée dans quelques familles belges. C'est une espèce de berceau d'osier muni d'un tablier à charnière et dans lequel l'enfant est enfermé. Deux anses, disposées en arrière, reçoi- vent le bras droit de la nourrice, tandis que la main gauche tient une anse antérieure.

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Le docteur Henriette, de Bruxelles, jaloux des lauriers de.son con- frère de Liège, a imaginé le cadre-hamac (fig. 396), pour donner de l'exercice à l'enfant ; cet appareil se compose d'un bâti de fer muni de deux paires de montants d'inégale hauteur et sur lequel est lacée une petite toile de hamac. Une simple couverture pliée et étendue sur le sol peut remplir le même but et à moins de frais.

A la Maternité de Bruxelles, nous signalerons une coutume fort charitable que nous voudrions bien voir suivie chez nous; au con-

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Fig. 394. L'accouchée.

traire de l'usage adopté à Paris, l'administration ne craint pas d'ex- poser publiquement, sur la pancarte fixée à la tête du lit, l'état-civil des femmes en couches, les pensionnaires de l'hôpital belge, comme, du reste, en Italie et en Russie, ont le droit de cacher leur nom et

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leur qualité, sauf toutefois au directeur, lequel est tenu au secret. Quant aux avortements, ils sont aussi nombreux dans la catho- lique Belgique que partout ailleurs, et ils semblent être, comme dans

Fig. 395. Promeneuse d'osier du Dr Didot.

les autres pays, l'apanage des sages-femmes. La femme Rodelet, ac- coucheuse à Bruxelles, mérite une mention spéciale pour la manière originale dont elle se débarrassait des clientes qui avaient succombé

Fig. 396. Cadre-hamac.

chez elle à la suite de ses manœuvres maladroites; elle les coupaient en morceaux, à la façon de Billoir, et les expédiait en chemin de fer comme un simple colis.

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Coutumes, préjugés et pratiques superstitieuses par- ticulières à l'empire russe. Les renseignements nous man- quent sur la fréquence des avortements dans l'empire russe; nous remarquerons seulement qu'en Russie, plus qu'ailleurs, ce crime se- rait injustifiable. Nulle part, en effet, on n'observe une telle discrétion vis-à-vis des femmes enceintes, et le pays de l'absolutisme pourrait, sur ce point, servir de modèle à l'Europe libérale. L'entrée de la Ma- ternité est gratuite à celles qui veulent y venir accoucher secrète- ment. Elles peuvent taire leur nom, entrer voilées ou masquées et conserver leur voile ou leur masque pendant toute la durée de leur séjour. On donne à chacune une chambre particulière et la sage- femme seule est autorisée à y pénétrer. L'empereur Nicolas qui visi- tait souvent les hôpitaux, respecta toujours cette consigne.

A Kazan et dans plusieurs villes importantes de la Russie d'Eu- rope, quand le travail est trop laborieux, on a recours à la pratique du pot. Voici, d'après le Dr Alex. Salowieff, en quoi elle consiste : Dans une grande jatte en grès, ayant une capacité de deux à trois li- tres, on jette un peu d'étoupe enflammée et on applique l'ouverture du vase sur le ventre de la femme. Cette ventouse d'un nouveau genre détermine souvent des brûlures très profondes.

En Sibérie, suivant Malthus, quand le travail se ralentit, un cer- tain nombre d'hommes, postés autour de la demeure de la femme, font, à un signal convenu, une décharge d'armes à feu qui effraye beaucoup la parturiente et passe pour activer les douleurs.

Le comte F. de Gramont rapporte qu'en venant visiter une accou- chée, en Russie, on doit lui glisser dans la main une pièce de monnaie qui varie suivant la position de fortune des visiteurs. Les gens aisés ne peuvent donner moins d'un ducat. Les personnes mariées sont seules assujetties à cet usage. Il paraît qu'à Saint-Pétersbourg cet impôt est aboli, mais qu'il est toujours prélevé à Moscou et dans les provinces.

Dans les chaumières des mougicks, les berceaux sont fixés au bout d'une longue perche, de façon qu'on berce les enfants de haut en bas. En Finlande, le berceau est composé d'une petite caisse en bois, suspendue au plafond et disposée à une distance du sol telle que la mère puisse donner le sein sans déranger l'enfant (fig. 397).

Chez les peuples de l'Esthonie, quand un jeune homme a obtenu la main d'une fille, et qu'il se rend à l'église pour célébrer son union, il se garderait bien de monter une jument : sa femme ne donnerait naissance qu'à des filles. Dès que le fiancé arrive, on relâche la sangle du cheval de sa femme, pour qu'elle ait des couches faciles.

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Les femmes enceintes de cette tribu changent de chaussures toutes les semaines, pour dérouter le diable qui est censé les poursuivre, avec l'espoir de s'emparer de l'enfant à sa naissance.

Fig. 397. Berceau finlandais, d'après un dessin de M. Charles Giraud, attaché à la dernière expédition de la Recherche.

Dans la tribu des Samoyèdes, les femmes n'accusent aucune plainte en accouchant. « Quand le contraire arrive », raconte Sue, « leurs maris les soupçonnent d'infidélité avec quelque étranger; ils les bat- tent pour leur faire avouer leur faute : si la femme se reconnaît cou-

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pable, ils la renvoient sur le champ à ses parents, après avoir repris tout ce qu'ils avaient donné. Cette conduite est cependant opposée à ce que dit Buffon, qui assure que ces peuples, non seulement ne con- naissent pas la jalousie, mais même offrent leurs femmes et leurs filles au premier venu ». Nous avons déjà signalé une coutume analogue, observée dans d'autres tribus du nord de la Russie : pour faciliter le travail, le mari et la femme confessent à la sage-femme leurs méfaits conjugaux et, s'il survient un accident ou si l'accouche- ment tarde trop à se terminer, ils en concluent que l'un des époux a fait de fausses déclarations.

En Laponie, aussitôt après l'accouchement, on fait boire à la femme de l'huile de baleine. On plonge d'abord l'enfant dans la neige, puis dans l'eau chaude. Comme les Lapons ne connaissent pas l'usage du

Fig. 3ô8. Lapone et son enfant (Figure extraite du Costume historique, de Racinet).

linge, ils n'emmaillottent pas leurs enfants ; ils les enfouissent, sans langes, dans un berceau en forme de sabot, appelé Katkem, rempli de mousse et de duvet. Cette sorte de nid est coquettement orné de four- rures aux nuances variées et de chaînettes de laiton terminées par des anneaux ou des plaquettes de même métal. Quand la mère sort elle emporte avec elle, accroché sur son dos, ce précieux fardeau (fig. 398) et fait résonner à chaque pas les ornements métalliques qui

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l'entourent. Sous Ja tente, le berceau est attaché à une traverse et on y suspend, si c'est un garçon, un petit arc et des flèches de chas- seur, des rames et des filets de pêcheur; si c'est une fille, on y fixe des ustensiles de ménage et les ailes blanches du lagopède, symbole de la diligence et de la pureté.

D'après M. de Saint-Blaize, quand une Lapone accouche en voyage, son mari improvise un berceau, en creusant un morceau de sapin ou de bouleau, auquel il adapte un grillage en fer pour protéger l'enfant contre les bêtes féroces. La mère continue sa marche en portant cette bûche sur son dos, à l'aide de courroies, et, dès qu'elle s'arrête, elle l'accroche aux branches d'un arbre (fîg. 399).

Chez les Tartares Nogaïs, répandus au sud de l'Empire russe, à chaque naissance, les parents et les amis viennent à la porte du père frapper sur des chaudrons et des marmites ; ils veulent ainsi effrayer et mettre en fuite le diable, pour qu'il n'ait aucun pouvoir sur l'esprit de l'enfant.

Doutchenko, dans le Monde inconnu, prétend que, chez les Juifs du Caucase, quand les couches sont difficiles, on délaie dans de l'eau quelque peu de terre tirée d'une fosse récente ; on ingurgite ce breu- vage à la patiente et, si les douleurs ne cessent pas, on recommence, mais avec de la terre prise plus profondément.

Suivant Landowski, certains Kalmoucks, ainsi que les Bourouts, riverains du lac Baïkal, adressent, au moment de l'accouchement, des prières à leurs divinités de cuivre; si elles sont exaucées, les dieux sont récompensés : on leur barbouille la bouche avec du lait ou du beurre ; si l'opération n'a pas marché à souhait, on les fustige et on les met à la porte, ils attendent dans la neige tant qu'ils n'ont pas accordé ce qu'on leur a demandé.

Le voyageur Gmelin attribue aux Yakouts une coutume dégoû- tante : aussitôt après l'accouchement, le père prend le placenta, le fait cuire et s'en régale avec ses parents et ses amis.

Au Kamtschatka, suivant C. Hoberland cité parle Dr Galliot, « les femmes cherchent souvent par des conjurations et des herbes ma- giques à prévenir la conception : lorsqu'elles sont enceintes, plutôt que de supporter les incommodités de la grossesse et les douleurs de l'enfantement, elles se livrent aux mains de grossières sages-femmes qui les soumettent aux traitements les plus effrayants : elles pétris- sent le globe utérin avec leurs poings pour briser les membres du fœtus et en provoquer l'expulsion. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que de pareilles tortures sont souvent suivies de la mort de la mère. » Au même pays, dès qu'une femme est en travail, tous les habitants

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du village, prévenus par le mari, accourent pour assister à l'accou- chement. La femme se délivre elle-même, coupe le cordon avec un caillou tranchant, le lie avec un fil d'ortie et jette le placenta aux chiens... à moins, sans doute, qu'elle n'ait pour hôte quelque Yakout. Dès que l'enfant est né, on se le passe de main en main pour l'exa- miner et le caresser, et chacun adresse ses félicitations au père et à la mère. Les femmes Kamtschadales accouchent avec la plus grande aisance, sans autre aide que celle de leurs mères ou de quelques pro- ches parentes. « On en voit», dit le comte F. de Gramont, « qui, pen- dant le temps qu'elles sont en travail, vaquent encore aux soins de

Fio. 399. Berceau lapon.

leur ménage, et qui, un quart d'heure après leur délivrance, sortent avec leur enfant dans les bras, sans en être le moins du monde incom- modées ». Autrefois, il était de règle dans le pays que, quand une femme mettait au monde deux jumeaux, l'un des deux devait périr ; il en était de même d'un enfant pendant un orage. L'influence russe a fait disparaître ces coutumes barbares.

Après leurs couches, les femmes Ostraks vivent complètement iso- lées pendant près de cinq semaines. Au bout de ce temps, on allume un grand feu ; elles se purifient en sautant par dessus; après quoi elles vont présenter le nouveau-né à son père.

Depuis les récentes conquêtes de la Russie, on peut ranger les

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Tadjiks (1) parmi les sujets du tsar. Ujt'alvy raconte que ce peuple, pourtant assez civilisé, a coutume de tenir allumée, pendant quarante nuits, au-dessus du berceau du nouveau-né, une chandelle qui doit brûler jusqu'à l'aube pour écarter les esprits malins.

Usages au Monténégro. Les Monténégrines accouchent elles se trouvent, dans les champs, dans les bois, seules, sans se- cours, sans proférer la plus légère plainte, sans faire entendre le moindre murmure. Quand elles ont repris leurs sens, elles envelop- pent l'enfant dans un tablier, et vont, suivant un ancien usage de leur pays, le laver à la fontaine la plus proche^; après quoi elles re- tournent vaquer à leurs travaux.

« Quand la naissance d'un enfant est connue » dit F. de Grammont, « les parents et les amis de la famille s'empressent d'apporter en présent à l'accouchée toutes sortes de gâteaux, dont celle-ci compose un repas qu'on appelle babineh, et qui est toujours des plus agréables par la quantité, la qualité et la variété des mets. La proposition de tenir un enfant sur les fonts du baptême est regardée comme un grand honneur, et la refuser serait faire aux parents une injure grave. Dans ce pays, on donne à l'enfant deux parrains, l'Eglise grecque n'admettant pas le concours d'un homme et d'une femme au sacre- ment du baptême. On l'administre, du reste, comme dans l'église romaine, excepté que les prières sont d'une longueur excessive, et qu'on inonde le nouveau-né sous l'abondance et la multiplicité des aspersions.

« Au retour de l'église, quand on remet l'enfant dans son berceau, on place à côté de lui les attributs de son sexe qui sont, pour les gar- çons, le fusil, les pistolets et le ganzard (coutelas). Le père, avant de déposer ses armes, les baise, et les donne à baiser aux assistants, et même au nouveau-né ; tout cela avec un sérieux et une gravité qui attestent l'importance attachée par ce peuple à de pareilles cérémo- nies, où, pour notre part, nous ne trouvons rien de puéril.

« Pendant ce temps, on entend au dehors le bruit des cloches, les détonations des boîtes d'artifices et le feu de la mousqueterie. Un repas, plus ou moins splendide, termine la journée. Dans ce repas, on forme à l'envi des vœux pour le nouveau-né. Voici ceux qui sont le plus en usage; ils font à la fois l'éloge et la peinture du caractère monténégrin :

(1) Ceux de Boukharie du moins ; il y a des Tadjiks dans la Perse et dans le Kaboul.

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« Que la sagesse soit son héritage ! Qu'il brille comme l'étoile du matin ! Que son âme soit douce comme la clarté de la lune ! Que le miel coule de son cœur! Qu'il soit toujours sain comme le plus beau chêne de nos forêts ! Qu'il soit à jamais irréconciliable avec les Turcs ! Qu'il se batte comme moi ! Qu'il reste toujours libre, et qu'il meure hors de son lit ! »

En Turquie. Turpin, dans Histoire de VAlcoran, signale une coutume turque que nos collégiens verraient sans peine s'établir chez nous : « L'époux et ses amis se rendent, lorsqu'une femme est en tra- vail, dans les écoles publiques et font un présent au maître pour l'en- gager à donner congé à ses disciples, ou pour en obtenir la grâce de celui qui est tombé dans quelque faute... C'est par ce même motif, que les pères achètent des oiseaux pour leur donner la liberté, persuadés que cette liberté rendue est un gage que leurs femmes seront bientôt affranchies des maux qu'elles souffrent dans l'enfan- tement. »

Comme nous le verrons plus loin, la femme turque n'accepte l'in- tervention d'un accoucheur que lorsque sa vie est réellement en danger; dans ce cas, le praticien peut découvrir la partie géni- tale et manœuvrer à son aise, mais, avant son entrée dans la cham- bre de la patiente, celle-ci a eu le soin de se couvrir entièrement la tête, at telle façon qu'il n'est même pas possible de voir ses che- veux (1).

Pour tout accouchement, principalement en province, les familles musulmanes ont donc recours à une sage-femme (2). Celle-ci se place à genoux devant la patiente qui est assise sur le fauteuil dont nous avons déjà parlé (fig. 257). D'ailleurs, le rôle de la ma- trone, en raison de son ignorance, est essentiellement passif; il

(1) La pudeur de la femme turque, on le sait, ne concerne guère que le visage. Et encore, si l'on en croyait les voyageurs qui ont passé par certaines maisons de Péra !... Quoi qu'il en soit, le docteur Zambaco, à qui nous devons nombre de ren- seignements utilisés dans cet ouvrage, nous a raconté à ce propos uu incident assez amusant. Un de ses amis passe en barque à quelque distance de plusieurs femmes en train de se baigner. Grand émoi. Se cacher la tête ? Mais trouver un voile ? La plonger sous l'eau ? Mais le giaour est loin de se presser, bien au contraire. Le parti fut vite pris ; les naïades de la Corne d'or se couvrirent pudiquement la figure avec les mains, tournant vers l'étranger, accidentellement indiscret, la région méconnaissable de leur individu.

(2) Tous les détails concernant l'accouchement en Orient et les soins donnés ù la mère et à l'enfant, sont empruntés à la communication intéressante faite par le docteur Zambaco au cougrèsde Copenhague.

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se borne à attendre l'expulsion naturelle de l'enfant, puis à cou- per le cordon et à attendre encore que le délivre veuille bien se présenter de lui-même. Toute présentation vicieuse, si le méde- cin n'intervient pas, coûte la vie fatalement à la mère et à l'en- fant.

« Dans bien des villages, la femme travaille aux champs jusqu'au dernier moment. Surprise par le travail de l'accouchement, elle rentre chez elle, si elle en a le temps. De toute façon le lendemain elle reprendra son ouvrage comme d'habitude. Dans d'autres endroits la femme accouche volontiers dans le bain.

« Chez le peuple, on ne lave point la nouvelle accouchée, et ce n'est que le 40e jour qu'elle ira au hamam. Couchée dans son lit, elle y restera de 9 à 12 jours.

« La mère ne doit boire que de l'eau de riz pendant trois jours ; puis on lui accorde des graines de riz et des compotes étendues de pruneaux ou d'abricots. Elle ne prend des potages au bouillon de viande qu'a- près le quatrième ou le cinquième jour ; sa boisson habituelle sera de la décoction de capillaire.

« Les croisées, qui pouvaient être ouvertes pendant l'accouchement, sont fermées aussitôt après, et restent cleses pendant au moins huit jours, quelle que soit la saison. 11 en est de même de la porte, de sorte que l'accouchée reste dans une atmosphère infecte. Le linge, imprégné de tous les liquides de l'accouchement et des lochies, doit rester dans la chambre de l'accouchée pendant trois jours au moins. Les Djinns ou mauvais esprits, nous le savons, joueraient de mauvais tours à la femme, si l'on agissait autrement. Dans la même crainte des esprits, l'accouchée n'est jamais seule, et on n'ouvre plus la porte de la maison dans les villages, à partir du coucher du soleil jusqu'à l'aube; si l'on déroge à cette habitude pour un cas exceptionnel, on fumige la personne, quand même ce serait le maître de la maison, avec de l'encens.

« Les hémorrhagies, pendant ou après la couche, sont combattues avec des cataplasmes de tranches de citron ou de pommes de terre, ou même avec du kaviar appliqué sur la vulve. Dans certaines pro- vinces, après l'accouchement, pour prévenir l'hémorrhagie et fa- voriser l'expulsion du placenta, on applique sur le ventre le trognon d'un vieux balai et on le bande. La femme conserve ce bandage, même après avoir quitté le lit. Cette pratique s'observe encore à Stanza, ville située sur la mer Noire, à huit heures de distance de Constantinople.

a Les relations conjugales ne recommencent, en général, qu'après le

MOEURS ET COUTUMES 565

quarantième jour, au retour du hamam (1) et après purification par les prières de l'imam ou la bénédiction du prêtre.

«En Orient, l'enfant n'est lavé, comme la mère, que le quarantième jour. A sa naissance, il est essuyé simplement avec un linge sec, puis on saupoudre tout son corps avec du sel fin, pour l'empêcher de sentir mauvais. Avant d'emmailloter l'enfant, la sage-femme ou le bar- bier pratique avec un rasoir, le long de son dos et aux mollets, de nombreuses scarifications, pour tirer « le mauvais sang » et le préser- ver des maladies ; on recommence cette opération quinze ou vingt jours après la naissance. Ces incisions, longues de 2 à 5 centimè- tres, sont superficielles, il est vrai, mais elles n'en laissent pas moins des traces indélébiles, très visibles sur le dos des femmes décolletées.

« Les musulmans ont l'habitude de fagoter les enfants d'une manière fort curieuse. La tête est couverte par un morceau de flanelle, de coton cardé ou de linge, selon la saison, par-dessus lequel on met un bonnet en coton ou en laine avec une mentonnière. On roule autour du bon- net deux fois un mouchoir plié en bande large, de quatre traveisde doigt environ, et dont les chefs sont attachés en avant; un autre mou- choir carré et plié en triangle est appliqué par sa base sur le frcnt ; les angles latéraux sont croisés en arrière et ramenés en avant pour être attachés. Un troisième mouchoir, plié encore en triangle, est placé sur la tête et ses chefs, croisés sous le menton et fortement serrés, se nouent sur le sinciput, de manière à fixer la mâchoire in- férieure sur la supérieure.

« Pour préserver les enfants turcs des esprits malins, on pend à la partie supérieure du front un petit paquet composé d'une gousse d'ail, d'une pierre bleue, de quelques perles enfilées et d'une pièce d'or sur laquelle est écrit : Ma cha Allah (ce que veut Dieu). Puis, suivant la pratique jadis répandue dans toute l'Europe, on enveloppe fortement l'enfant, depuis les pieds jusqu'au cou, les bras appliqués le long du corps, avec un bandage, appelé fasskia, long de deux à trois mètres. On en fait ainsi une sorte de momie que l'on dé-

(1 ) « D'ailleurs le bain est de rigueur après chaque période menstruelle chez les musulmanes et les israélites et même chez les chrétiennes qui habitent les centres turcs les habitudes musulmanes ont prévalu. Il y a même plus, le lendemain des relations, les époux doivent aller au bain. Aussi le vendredi, voit-on tous les ménages accourir au hamam, car le jeudi soir est consacré à l'accomplissement des devoirs conjugaux. Les chrétiens s'y rendent le dimanche. Cette purification par le hamam le lendemain du coït est si générale que la périphrase dont on se sert d'ha- bitude pour conseiller la continence est la suivante : il ne faut pas aller au bain, ou bien rarement» (Zambaco).

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

bande deux ou trois fois par jour. Les Orientaux compriment de cette façon barbare leurs enfants, pour qu'ils deviennent « tout droits, com- me des bougies. » Mais ils obtiennent, le plus souvent, un résultat in- verse, à en juger par le nombre considérable d'enfants cagneux que l'on rencontre dans les rues.

« Chez les riches, les préparatifs pour l'enfant à naître sont aussi importants que ceux que l'on ferait « pour un général revenant vic- torieux de quelque expédition ». Les amis, les voisins se pressent pour venir admirer les petits linges de l'enfant et leurs rubans multi- colores, visiter les berceaux et les mille bagatelles destinées au futur

Fig. 400. Berceau turc.

fils de Mahomet. A peine est-il né, on l'emmaillote et on l'expose sur le sofa de la chambre au regard des curieux.

« Non content de comprimer ces pauvres petits êtres avec des bandes serrées, on les maintient, en outre, dans leur berceau avec une sorte de bandage de corps qui les empêche même de remuer. Dans la classe ouvrière, le berceau est souvent remplacé par un simple matelas étendu à terre ; dans la classe aisée, on se sert de berceaux en forme d'auges ou semblables à ceux dont on trouve encore quelques spécimens dans nos campagnes : les deux pieds recourbés placés sur le sol, permet- tent de balancer facilement les enfants. Pendant que la mère est au lit, elle se passe au poignet le bout d'une ficelle attachée à l'un des coins pour bercer l'enfant, dès qu'il crie. On chante toujours en ber- çant l'enfant, surtout chez les sujets turcs de race grecque, des mélo-

MOEURS ET COUTUMES 5G7

pées plaintives, si monotones qu'elles finissent par endormir celles- mêmes qui les chantonnent.

« Les berceaux sont plus ou moins ornés, suivant la position de for- tune des parents ; il en est qui sont artistement sculptés ; les couver- tures sont souvent brodées d'or, de perles et même de pierres fines. Tous sont percés d'un trou s'adapte un vase dans lequel tombent les déjections (fig. 400).

« Au-dessus de la tête de l'enfant, on pend une amulette composée d'une pièce en os ou en bois sous forme de fourche, accompagnée de ces mêmes talismans que nous avons déjà vu placer sous la calotte du nouveau-né. »

Les tribus nomades de la Turquie d'Asie ;se servent d'un berceau beaucoup plus primitif. Dans l'hiver de 1856, le D1' Eram, traversant une plaine déserte de cette région, vit un tableau tout différent de ce- lui que nous venons d'esquisser. Une femme nomade accoucha le long d'un cours d'eau ; aussitôt après s'être délivrée, elle plongea le nou- veau-né dans l'eau froide pour qu'il devint robuste, puis le transporta dans une grotte elle avait, au préalable, creusé une fossette couverte de terre fine et assez large pour pouvoir l'y coucher. L'enfant fut placé dans ce berceau économique et recouvert de terre surtout le corps, sauf la tête. La terre était renouvelée chaque jour, et la fos- sette s'agrandissait à mesure que l'enfant croissait.

Virey pense que les femmes de l'Orient accouchent facilement à cause de leur habitude de s'asseoir les jambes croisées et les cuisses écartées, ce qui tend à élargir leur bassin. Les femmes destinées aux sérails auraient, au contraire, des couches laborieuses, parce que, paraît-il, ceux qui en trafiquent prennent soin, dès leur jeune âge, de leur comprimer les hanches pour rétrécir les organes sexuels.

Les mœurs obstétricales de l'Albanaise diffèrent notablement de celles de la femme turque. « L'Albanaise, » dit le Dr Zambaco, « ré- putée et par le fait très courageuse, ne doit pas crier en accouchant ; c'est lâche » dit-elle, « que de ne savoir supporter sa douleur ». Elle fait ses couches en cachette, peut-être pour ne pas faire entendre les cris qui lui échapperont malgré elle. Toujours est-il que l'enfant arrive au monde à l'insudu mari, qui n'apprend l'événement qu'après. C'est la mère de la femme et, à son défaut, la plus âgée de la famille qui fait fonction de sage-femme.

« 11 y a beaucoup de réserve en Albanie (1). Ainsi il est honteux de

(1) « Dans tout l'Orient, au contraire, la femme est considérée, à cause du flux pé- riodique auquel elle est soumise, comme un être impur. En Mésopotamie, si l'on

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parler de grossesse. La femme la dissimule autant qne possible. Une femme enceinte a toujours sur elle un canif pour couper le cordon au besoin.

« Le nouveau-né est lavé tous les jours; sa tête reste découverte, ses membres ne sont pas condamnés à l'immobilité par des maillots trop serrés, ils sont libres; l'enfant pousse à l'aise. Aussi les Albanais ont-ils les jambes droites et non cagneuses comme la plupart des Os- manlis ».

En Orient, la femme du peuple allaite ses enfants ou donne le bi- beron ; dans la classe aisée, on a recours aux nourrices. Pour éviter les tracas et ennuis de ces tyrans domestiques, dans les maisons tur- ques, on achète souvent une esclave enceinte, avant les couches de la maîtresse, afin de l'avoir en réserve au moment opportun. L'allaitement dure pendant deux (1) et même trois ans ; il n'est pas rare de voir des enfants, âgés de quatre ans, teter leur mère en rentrant de l'école. Le Dr Zambaco a vu, chez le prince Halim, une femme de soixante- cinq ans qui donnait le sein à une enfant de trois ans et demi, la fille de son fils Ibrahim bey. La grand'mère pour l'endormir avait l'habitude de lui donner ses seins, dépourvus de lait ; mais à la suite des succions répétées de l'enfant, la sécrétion lactée finit par s'établir régulièrement.

A Chio, la mère ne consent jamais à laisser prendre le sein d'une étrangère à son enfant ; elle le nourrit elle-même, et si le lait fait défaut, l'enfant sera allaité par une parente.

Arabes asiatiques et. algériens. Egypte. Maroc.

Si l'on en croyait certains auteurs, les anciens Arabes auraient eu une coutume assez singulière : le jour même du couronnement du nou- veau roi, on aurait dressé une liste de toutes les femmes enceintes de huit ou neuf mois ; elles étaient enfermées dans un palais et soigneusement traitées ; l'enfant de celle qui accouchait la première, si c'était un garçon, était dès lors désigné comme héritier présomp-

prononce le mot femme, on s'empresse d'ajouter « que Dieu vous préserve de cette impureté ». Pour le Druse aussi c'est une inconvenance de dire femme. Aussi en parlant de son épouse, il dira ma maison. Le Syrien chrétien en désignant sa femme dira la fille de mon oncle, et le Syrien musulman dira Vhabitant (le la maison. Les Turcs disent les enfants lorsqu'il s'agit de leurs femmes. Jamais on ne peut question- ner un musulman sur l'état de santé de Madame, c'est commettre une inconvenance insigne. »

(1) Le Coran dit à ce sujet : « Femmes, la loi de Dieu vous conseille d'allaiter vos enfants pendant deux ansentiers. Si vous vous dispensez d'allaiter, Dieu n'en sera point offensé, pourvu que vous soyez exactes à payer à la nourrice son juste salaire.»

MOEURS ET COUTUMES 569

tif. La royauté, disait-on, ne doit pas être dévolue à une seule famille ; elle appartient à toute la nation. 11 nous faudrait de sérieuses autorités pour nous faire accepter le fait.

En Asie, les femmes Arabes, suivant le docteur Godard, useraient d'une pratique bizarre pour ne pas avoir d'enfants ; elles passent un chiffon sur la sole du four comme pour la nettoyer. Elles expri- ment alors le chiffon et boivent l'eau qui s'en écoule. Elles n'ont plus ensuite ni règles ni enfants. Nous conseillerions de ne pas trop s'y fier. Nous n'aurions pas plus de confiance dans le talisman, le hajeb, que la femme arabe porte constamment sur la tête pour ne pas avoir d'enfants. Plus pratique est le procédé de la femme turque qui, pour prévenir toute conception, s'introduit dans le vagin des mèches imbibées de teinture de safran, de rue, d'aloès, ou d'une solution concentrée d'alun. Ces corps étrangers agissent à la façon des petites éponges de nos coquettes parisiennes, mais elles donnent lieu, en raison de l'obstruction incomplète du conduit vaginal, à de fréquentes déceptions.

Nous sommes encore chez les Arabes asiatiques. « La naissance d'un enfant arabe d'une certaine classe,» dit F. de Grammont, « est fêtée avec beaucoup de solennité. Les réjouissances se prolongent pendant sept jours, avec plus ou moins d'éclat, suivant le sexe de l'enfant. Nous n'avons pas besoin d'expliquer que le plus est tou- jours pour le sexe masculin. De tous les peuples barbares, les Géor- giens et les Circassiens sont les seuls qui ne regardent pas la venue d'une fille comme une affliction, parce que c'est pour eux une denrée, et, comme on sait, fort lucrative.

« Quand l'enfant arabe a été placé dans son berceau, on met sous sa tête du sel mêlé avec de la graisse de fenouil. C'est un préser- vatif contre les maléfices qui sont, en toute circonstance, la grande préoccupation des musulmans. Une femme répand ensuite ce mélange sur le sol, en prononçant diverses imprécations contre le méchant et l'infidèle, et souhaitant que ce sel puisse les aveugler; à quoi l'assislance répond : « Que Dieu et son prophète Mahomet soient avec nous ! »

« C'est trois ou quatre jours après sa naissance que l'enfant est pro- clamé dans le harem, en présence de la famille et des femmes amies de la mère. Des jeunes filles portent sur un plateau des bougies de couleurs diverses et maintenues par des morceaux de pâte de henné. On sert aux personnes présentes des gâteaux de miel et d'épices, des noisettes et des amandes grillées et d'autres friandises de ce genre. On fait ensuite circuler un plateau, dans lequel chacune des

570 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

femmes de l'assemblée dépose successivement son offrande, consis- tant d'ordinaire en un mouchoir brodé, avec une pièce d'or nouée à l'un des coins. C'est, comme en Russie, à charge de revanche. La remise de ce présent est accompagnée de souhaits de bonheur, à l'adresse de l'enfant et de sa mère, invariable- ment précédés et suivis de la formule religieuse : « 0 Dieu ! protège notre seigneur Mahomet! » On place les mouchoirs sur le berceau du nouveau-né. Les pièces d'or sont destinées à orner sa coiffure pendant ces premières années. Il est d'usage aussi que chaque per- sonne fasse un cadeau à la sage-femme qui a présidé à l'accouche- ment. Pendant que ces formalités s'accomplissent à l'intérieur, des danseurs ou des danseuses exécutent des pas dans la cour de la maison. Le sixième jour, on place près de la tête de l'enfant, pendant qu'il est endormi dans son berceau, une carafe remplie d'eau, et dont l'ouverture est recouverte d'un mouchoir brodé. La sage-femme offre un verre de cette eau à chacune des femmes qui viennent visiter l'ac- couchée, et reçoit en retour quelques pièces de monnaie.

« Ainsi que chez les sauvages, la femme est regardée comme impure pendant les quarante jours qui suivent son accouchement. Après ce temps légal, qui est appelé nifa par les Arabes, elle se rend au bain, d'où elle revient purifiée. »

Le docteur Goguel fut un jour appelé à donner ses soins à la femme d'un cheik d'une tribu nomade, sur les confins de la Tunisie ; il remarqua autour de la tente de la patiente toutes les femmes du douar qui poussaient de profonds gémissements à chaque douleur de la parturiente.

Chez les indigènes de l'Algérie, comme d'ailleurs dans tout l'Orient, quand le fœtus a franchi la vulve, on déchire le cordon assez près de l'insertion ombilicale. D'après le capitaine Villot, une des accou- cheuses dispose sur ses genoux six ou huit pièces d'étoffe, elle étend le nouveau-né sur cette layette et procède au lavage, qui se fait avec de l'huile ou du beurre fondu mêlé de henné; puis elle emmaillote l'enfant et le coud dans son maillot. La femme se couvre l'abdomen avec des chiffons de laine ; dans quelques tribus, avec une peau de mouton. On ne s'occupe pas le moins du monde de la sortie du délivre ; elle est toujours abandonnée à la nature.

Après avoir emmailloté l'enfant, la matrone le prend par les pieds et le tient un moment suspendu la tête en bas. « Les uns, » ajoute Villot, « prétendent que cette opération a pour effet d'accélérer le vomissement des matières que contient l'estomac de l'enfant, les autres assurent que ce procédé est employé à l'effet d'obtenir une

MOEURS ET COUTUMES 571

croissance rapide. Ensuite la matrone enduit le palais d'une couche légère de henné, pour empêcher, dit-on, la perforation de la voûte palatine. Elle lave une seconde fois la tête avec de l'huile ou du beurre fondu mêlé de henné ; elle lui malaxe la tête et lui pince le nez pour lui donner une forme aquiline. »

Le sein est présenté à l'enfant arabe aussitôt après sa naissance. Les femmes arabes nourrissent elles-mêmes leurs enfants ; mais, les fatigues et les travaux domestiques les empêchant souvent de les alimenter d'une manière régulière, elle chargent tempo- rairement de ce soin une voisine ou une amie; l'enfant ayant ainsi sucé le lait de plusieurs femmes du douar, n'en appartient que plus complètement à sa tribu (1). « La durée de deux ans et deux ou trois mois est le temps pendant lequel l'enfant se nourrit d'abord exclusivement de lait ; à cette limite, il ne peut pas encore s'en passer entièrement (2). » Le Docteur E. Ber- therand pense que la misère et les privations qui pèsent si lour- dement sur la population arabe, expliquent la longue durée de l'allaitement. Généralement, pendant le jour, les petits enfants sont portés au dos de leurs mères, enveloppés dans de grandes pièces d'étoffes. Ils n'ont point de berceaux analogues aux nôtres. Dans les maisons Kabyles ou Zibaniennes, une sorte de boîte en bois est suspendue au plafond parades cordes végétales ; chez les Nomades, on les couche simplement dans un haïk dont les extrémités sont atta- chées aux bâtons de la tente. D'ailleurs, les femmes arabes bercent très peu leurs nourrissons.

La naissance d'un enfant mâle est un jour de fête pour la famille, chez les Arabes, et pour toute la tribu, chez les Kabyles. La venue d'une fille semble à peine remarquée. Autrefois, on enterrait vivantes les enfants du sexe féminin ; c'est Mahomet qui abolit ce cruel usage ainsi que celui de sacrifier des enfants aux idoles. « Nous vous avons délivrés, dit le Koran, de la famille de Pharaon, qui vous infligeait de cruels supplices ; on immolait vos enfants et l'on n'épargnait que vos filles... » Si l'on se rappelle, ajoute M. Kasimirski dans la traduction du Koran, « que les Arabes idolâtres regardaient comme une calamité

(l)Une coutume analogue s'observait autrefois sur les bords de la mer Caspienne: quand le prince des Cbaitakis noirs, appelé Usmei a un fils, dit Sue, «on l'envoie dans tous les villages pour teter cbaque femme qui allaite en ce moment et on continue ainsi jusqu'à son sevrage. Par les habitants se croient obligés de le défendre jusqu'à la dernière goutte de leur sang, puisqu'ils ont eu le même sein que leurs princes ».

(2) Sidi KMlil, III, 10.

572 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

la naissance d'une fille, on avouera qu'on ne pouvait jeter plus de défaveur sur un prince idolâtre et impie (dont Pharaon est le type) qu'en insistant sur cette espèce de préférence donnée aux filles sur les garçons ».

Les mœurs obstétricales de nos Arabes d'Algérie ont été curieuse- ment observées et décrites par le Dr E. Bertherand. Dans le Sud et à Biskra, on lui a assuré le fait, les matrones brûlent sous le nez des femmes en couches des poils pris à la région occipitale du lion : « L'odeur de cette substance est tellement infecte que les nausées surviennent aussitôt avec une violence qui favorise la sortie du fœtus. Des marabouts profitent largement des vertus infaillibles de ce re- mède, et parcourent les tribus avec de jeunes lions au moyen des- quels ils exploitent, avantageusement pour eux, la confiance et la crédulité publiques. » Dans certaines tribus, raconte le même auteur, on provoque le vomissement en présentant brusquement à la partu- riente des matières fécales et des substances en putréfaction. Si ces procédés sont inefficaces, on jette du fumier de vache sur des char- bons ardents et on expose les parties génitales au-dessus des vapeurs qui s'en dégagent. La femme d'ailleurs peut, par certaines précau- tions antérieures, faciliter ses couches, quand, instruite par le passé, elle pense devoir accoucher avec peine. Elle doit, trois jours avant l'époque de la parturition, porter dans les plis de son haik un mé- lange d'huile et de cendres de glands, ou bien s'attacher sur l'une des cuisses une pierre à fusil, enveloppée dans un chiffon, soit encore sur la cuisse droite son propre peigne sur lequel on aura écrit ces mots : « Celui dont le nom est véritable, a parlé en faveur de celui qui est dans ton ventre, et tout sera promptement fini. Salut sur... (ici le nom de la mère). » Quand on suppose que l'enfant est mortj on fera boire à la mère un mélange de miel et de lait de vache bien chaud, dans lequel on aura pulvérisé du vitriol ; ou bien, pendant dix jours entiers et cinq fois par jour, un mélange de lait et de sel. Si l'enfant n'est pas descendu au bout de dix jours, que la femme boive du lait aigre et du lait doux de deux vaches mêlés avec du vinaigre. Le fœtus persiste-t-il à séjourner dans la matrice ? Rien n'est encore déses- péré. On a le lait aigre de chienne dans lequel on a pilé de la pulpe de coing, et l'on fait prendre à la mère, pendant trois jours, une dé- coction de racines d'asperges et de racines de garance; on peut rem- placer la garance par de la farine mouillée dans l'eau, faire cuire et manger pendant trois jours cette galette à la racine d'asperges, tout en l'arrosant d'une eau dans laquelle on aura dissous les mots sui- vants écrits au fond d'un plat, d'une assiette : « Par Dieu, Djbrahil

MOEURS ET COUTUMES 573

(nom d'un ange) ! par Dieu, mon ange (ici le nom de l'ange de la femme) I par Dieu, Srafd (nom d'un ange) ! par Dieu, Azratl (nom d'un ange)! par Dieu, Mohammed (le Prophète)! salut sur lui, deux fois salut! c'est lui qui ressuscite, qui par sa puissance rappelle en- core de la mort. Il a dit : il vivra, celui qu'elle a conçu la première fois, il l'a dit, si elle boit pendant trois jours la couleur mise dans l'assiette. » Enfin la femme pourra demander au taleb d'écrire au fond d'une tasse deux mots du Koran, puis piler elle-même dans la tasse un mélange d'eau, d'huile, de cumin, de rue puante et de raifort, et avaler le tout trois jours durant. Alors nécessairement, le fœtus se décidera, s'il n'est pas complètement mort, à sortir sans retard; s'il est mort, il sera expulsé; s'il ne tombe pas, c'est que la femme n'est pas enceinte.

La jurisprudence mahométane applique la physiognomonie à la recherche de la paternité :

« Si la femme d'un individu et l'esclave d'un autre, ou la femme et l'esclave du même individu accouchent ensemble et que les deux enfants se trouvent ensuite confondus, on s'en rapporte aux physionomistes [ka~ feh\ pluriel de kai'f) pour déterminer la filiation ; car la physiognomonie est une science vraie et positive. On s'en rapporte donc au jugement des physionomistes sur la ressemblance de l'enfant avec le père, si le père n'est pas enterré, ou si, étant inhumé, il était parfaitement connu d'eux. Le jugement d'un seul physionomiste suffit, car il pro- nonce sur une similitude, c'est-à-dire sur un fait saisissable pour tous. Si l'enfant est mort-né, il n'y a plus lieu à la consultation physiogno- monique; la science ne peut rien prononcer sur un mort qui n'a pas vécu de la vie ordinaire. Si deux propriétaires ont copule avec leur esclave communale pendant la même période de pureté mens- truelle, et si cette esclave a accouché ensuite à un intervalle d'au moins six mois à partir de la dernière des deux copulations et que chacun des deux associés prétende être le père de l'enfant, on a re- cours aux physionomistes, lesquels prononcent alors du droit de pa- ternité en faveur de tel des deux prétendants. Un des deux meurt-il avant que l'on ait consulté les physionomistes, et a-t-il été parfaite- ment connu d'eux, la déclaration de ceux-ci a la même valeur que s'il était vivant. »

Au contraire de notre théologie, la loi musulmane défend absolu- ment d'ouvrir une femme enceinte qui vient de mourir, lors même, dit le moudaoueneh, que l'enfant s'agiterait encore dans le sein de sa mère; seulement, on n'enterrera pas la mère avant que le fœtus ne soit mort. Toutefois il y a désaccord entre les légistes; il en est qui

57'i HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

permettent de pratiquer l'ouverture au niveau des hanches, sur le côté gauche, si l'enfant est du sexe féminin et, sur le côté droit, si l'enfant est mâle. Les légistes en turban se chargent-ils de déterminer le sexe?

Dans le sud algérien, chez les M'zabites, l'application du principe romain : Is pater est quem nuptiœ démonstratif-, a lieu même pour des naissances survenues quinze, dix-huit mois, et même davantage après le départ du mari; « en effet, » dit C. Amat, « il est admis que l'enfant peut s'endormir dans le sein de sa mère pour ne se réveiller qu'au bout d'un temps plus ou moins long ».

En Egypte, dans la classe riche, l'accouchée est mise au lit après sa délivrance et y reste généralement de trois à six jours; les femmes du peuple se contentent d'un jour ou deux. Quarante-huit heures après la naissance, la sage-femme, pour fortifier le nouveau-né et lui enlever le mauvais sang, s'arme d'un rasoir, comme en Turquie, et pratique sur le corps du petit malheureux une série d'entailles en forme de croissant. On allaite les enfants mâles pendant deux ans ; pour les filles, toujours sacrifiées, un an suffit; beaucoup de mères vont jusqu'à trois ans pour les garçons, deux ans pour les filles. Quelques enfants tètent plus longtemps encore; il y en a qui mar- chent et qui ne sont pas encore sevrés.

On emploie deux préparations pour narcotiser les enfants trop criards. Ce sont le talhyzé, composé de beurre et de têtes de pavots, et le chamerch, formé de bulbes desséchées de colchique, de têtes de pavot et de beurre. La mère prend un peu de ces préparations sur l'index, et le passe dans la bouche de l'enfant.

En Egypte et en Arabie, dans la société musulmane, on circon- cit les jeunes filles, vers l'âge de sept ans, en excisant le clitoris (1) avec des ciseaux ou en l'écrasant avec des pinces, comme à Mossoul. Quand la femme, par sa situation officielle, a été obligée de se sou- mettre aux habitudes européennes qui repoussent celte opération, le mari profite du premier accouchement pour charger la sage-femme d'exciser le clitoris, aussitôt après l'expulsion du fœtus.

Au Maroc, nous pouvons signaler un usage bizarre : « On va cher- cher à l'école, » dit Gorre, « cinq petits garçons, qu'on envoie courir par les rues en chantant des prières, tenant un drap aux coins du quel

(1) Les jeunes filles réclament elles-mêmes cette opération barbare, parce que les hommes pensent qu'épouser une femme qui a son clitoris, c'est comme si l'on se mariait à un homme. Le clitoris excisé est séché avec soin et réduit en poudre, il jouit chez le peuple de la réputation de guérir certaines ophthalmies I (Dr Zambaco.)

MOEURS ET COUTUMES 575

sont attachés quatreœufs et sur lequel les grandes personnes crachent et jettent des bouteilles d'eau au milieu du drap ». Les cérémonies qui, dans ce pays, accompagnent les circoncisions des enfants mâles ne sont pas moins curieuses. Ces opérations s'accomplissent de pré- férence le Anouloud (naissance du prophète) ; chaque néophyte se rend à la mosquée en revient avec un cortège des plus pittoresques : « L'enfant, dit un des correspondants du Temps, dont l'âge varie entre deux et cinq ans, traverse la ville juché sur un cheval ou une mule, harnaché aussi richement que possible; les membres de la fa- mille l'entourent et le soutiennent tout en l'éventant avec des foulards de soie : en avant marchent des porte-bannières et l'inévitable mu- sique arabe qui, quel que soit le nombre des exécutants, se compose invariablement d'une sorte d'alto-clarinette et de tambours. La marche est ouverte par des hommes armés de fusils, qui, de temps à autre, s'arrêtent et se livrent à une sorte de danse guerrière qui ne manque pas de caractère et qui se termine par une décharge géné- rale, après laquelle le cortège reprend sa marche pour faire une nouvelle halte un peu plus loin. »

Les avortements en Orient. En règle générale, la femme musulmane n'aime pas à avoir d'enfants, et cela pour plusieurs mo- tifs : la crainte d'être délaissée pour une rivale pendant la grossesse et les suites de couches ; celle des souffrances de l'accouchement et sur- tout celle de la déformation de sa taille et de la perte de ses attraits. Pour toutes ces raisons, elle cherche à éviter la conception par l'in- troduction de la mèche et par les autres procédés dont nous avons parlé, et si ces moyens échouent, elle n'hésite pas à se faire avorter^ souvent au péril de sa vie. Aussi est-il rare de voir une femme mé- riter la pension accordée par le gouvernement à toute musulmane qui accouche de trois enfants, lors même qu'ils ne vivraient pas.

La loi religieuse, il est vrai, défend l'avortement, mais il est avec Mahomet des accommodements et, comme la jurisprudence musul- mane reste muette pour ce genre de crime, il s'exerce sur une grande échelle. En Turquie, à Constantinople surtout, la sensualité dans es hautes classes, dans les basses classes la misère, tout y pousse

« Il ne se passe pas de semaines, » dit le Dr Zambaco, « sans qu'une dame turque, accompagnée de quelque parente à elle ou de son mari, vienne me demander, sans périphrase aucune, un moyen pour avorter ; parfois la demande est faite devant le mari ou par lui-même, allé- guant que la conception est de quelques semaines seulement et que l'enfant n'étant pas suffisamment développé, il n'y a aucun inconvé-

576 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

nienl. Le préambule est parfois curieux: « Je me suis faite avorter déjà, docteur, trois ou cinq fois, mais c'était par des sages-femmes ignorantes qui m'ont fait courir des dangers ; si vous vouliez le faire scientifiquement il n'y en aura aucun. »

« Autre trait de mœurs sur le même sujet : Un musulman répu- die sa femme pour une raison futile. Le père, la mère et la jeune femme viennent me consulter pour leur fille désolée de ce divorce. Elle était enceinte de trois mois et avait un enfant de trois ans. La mère console sa fille devant moi en lui disant : « Je te remarierai; » celle-ci répète : « Mais je suis enceinte « Ce n'est pas cela qui m'embarrasse, » répond la mère, « c'est l'enfant de trois ans dont je ne pourrai me défaire, c'est l'obstacle ».

Le cynisme est si grand que, suivant le docteur Pardo, on voyait encore, il y a quelques années, dans une pharmacie de Stamboul, un fœtus dans un bocal qui servait d'enseigne à l'industrie qu'on y pratiquait. D'ailleurs l'exemple vient de haut. Jusqu'au règne du sul- tan Medjid, aucun prince n'a eu d'enfant mâle. « Encore en décem- bre 1875, » dit Ploss, « la mère du sultan Abdul-Asis, donna une ordonnance dans laquelle elle rappela, à tous les habitants du palais du grand Prince, une loi qui, dans les derniers temps, semblait avoir été oubliée ; chaque fois qu'une femme du palais est grosse, on doit prendre le soin de la faire avorter. Si l'opé- ration ne réussit pas, il est défendu, à la naissance de l'enfant, de lier le cordon ombilical : quant aux enfants qui étaient déjà au palais, ils ne pouvaient pas se faire voir. Pour l'exécution de cette barbarie, il existe une classe de mégères connues sous le nom de Kanlii ebe « sages-femmes sanglantes », qui font leur métier dans les palais des riches ».

En Turquie, les moyens employés pour provoquer l'avortement sont nombreux. D'abord, on se sert des breuvages préparés avec la rue et le safran. Sj le but n'est pas atteint, on a recours aux aiguilles à tricoter, à de petites branches de lierre que l'on introduit dans l'o- rifice du col, à des rameaux de balais imprégnés de l'huile empyreu- matique qui tapisse les pipes à tabac, et enfin au seigle ergoté. Les matrones réussissent après quelques tâtonnements à crever l'œuf par l'introduction d'une pointe jusque dans l'utérus. Les femmes le font elles-mêmes aussi, lorsqu'elles en ont acquis l'expérience. Il est vrai que ces manœuvres occasionnent des inflammations dangereuses et souvent mori elles. Mais, chose curieuse, les femmes mêmes dont la vie a couru les plus grands dangers n'hésitent pas à recommencer à la première occasion.

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« J'ai vu, » ajoute le Dr Zambaco, « des femmes qui dégringolent à dessein les escaliers ; d'autres qui se serrent l'abdomen avec de larges plastrons en cuir dur qui, comprimant fortement les organes, amène l'expulsion du fœtus. »

Une autre cause fréquente d'avortements, c'est l'habitude qu'ont les femmes turques de s'introduire l'index jusqu'au col pour faire leur toilette intime, au moment des ablutions religieuses précédant la prière qui se répète cinq fois par vingt-quatre heures ; ces attouchements répétés du col provoquent souvent les contractions utérines et, par suite, l'expulsion du produit de la conception.

Nos algériennes ne sont ni plus scrupuleuses, ni plus prudentes. Leur position sociale les rendrait peut-être excusables. « En effet, » dit le docteur Bertherand, « si, d'un côté, elles tardent à manifester l'aptitude à concevoir, elles ont la répudiation en perspective. Si, d'autre part, elles deviennent enceintes, elles se voient spectatrices obligées, pendant de longs mois, des caresses conjugales adressées de préférence à une de leurs rivales ; entre ces deux situations elles ne trouvent qu'une planche de salut, l'avortement. »

Les moyens employés sont bizarres : le docteur Pengrueber si- gnale l'inoculation variolique, mais le procédé est rare ; le plus sou- vent, ce sont des breuvages ; suivant Kocher, le verdetou legarouont la préférence. Si elles en réchappent et si l'avortement n'a pas eu lieu, on se sert du moulin portatif en pierre (fig. 260) que, d'après le capitaine Devaux, on tourne sur le ventre de la patiente jusqu'à ce que les ébranlements aient déterminé le résultat attendu. « Un autre procédé plus efficace, » dit le docteur H. Galliot, « consiste à intro- duire dans la matrice une tige de bois degarou ou de queue de feuille de mauve. »

En Egypte, les temps ont changé depuis l'époque où, suivant Dio- dorede Sicile, on attachait les coupables d'infanticide, pendant trois jours et trois nuits, au corps de leur victime ; aujourd'hui, là, comme dans les autres pays musulmans, l'avortement est fort en usage et ne semble pas y constituer un crime.

Coutumes persanes. L'accouchement d'une Persane est loin de.se passer dans la plus stricte intimité. Cette scène a pour témoins un nombreux personnel féminin s'occupant à lire le Coran et à brandir des sabres pour éloigner le Div qui porterait malheur.

L'avortement est fréquemment pratiqué en Perse par les sages- femmes ; elles opèrent la rupture des membranes avec un crochet. « Les femmes mariées,» raconte le Dr Polak, « ne le font guère que

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 37

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poussées par la jalousie, car leur religion leur défend toute cohabi- tation avec leur mari pendant la gestation. Quant aux grossesses illégitimes, elles se terminent presque toujours par l'avortement, ce qui s'explique, si l'on considère que les accouchements en dehors du mariage sont punis de mort. »

L'avortement aux Indes. Dans les Indes, c'est aussi la rigueur des lois contre l'adultère et contre les grossesses illégitimes qui a rendu communes les pratiques abortives. Ajoutez à cette cause le célibat forcé que le bouddhisme impose à bon nombre de jeunes veuves, dont quelques-unes, étant données les coutumes locales, sont vierges encore. Les peines les plus sévères attendent celles qui transgressent les lois de la chasteté à laquelle on les force ; elles ont dès lors recours aux mainates ou femmes de blanchisseurs ; celles-ci provoquent l'expulsion du fœtus, soit à l'aide du cumin noir, comme à Karikal, soit par d'autres procédés plus redoutables, en introdui- sant, par exemple, dans l'utérus un jonc taillé en pointe. La tige de lall-chitra, enduite ou non de substances irritantes, paraît être le moyen abortif le plus habituellement employé aux Indes anglaises. Les matrones se contentent de procurer cette tige à la femme qui pratique sur elle-même l'opération, ou se confie aux soins de ses amies ou de son amant; "souvent la mort arrive par perforation du péritoine. A ces différentes manœuvres, joignez les sortilèges et autres moyens ridicules par lesquels les femmes cherchent à prévenir la conception, en portant certains anneaux, en avalant de l'urine de bélier, du sang de lièvre, etc. Suivant C. Hoberland, les Mundas, dans l'Inde orientale, seraient moins naïfs; ils chercheraient à pré- venir la conception par des déplacements et des pressions de la matrice, bien qu'ils disent que le ventre maternel de Singbongas, leur principal dieu, est le symbole de la fécondité et de la culture, et qu'on ne doive pas déranger son œuvre.

A l'éloge des lois de Manou, nous devons reconnaître qu'elles condamnent formellement toutes ces abominables pratiques; elles retirent aux femmes coupables d'avortement l'ablution d'eau, lors de leur enterrement ; elles défendent d'accepter de la nourriture d'un homme qui a causé la mort d'un fœtus, de manger d'un mets souillé par son regard ; ce serait partager son crime. Si les parents sont de la caste sacerdotale, l'expiation pour le coupable est la même que s'il avait tué un brahme.

Signalons une pratique brutale et inutile, généralement adoptée par les sages-femmes hindoues pour faciliter l'accouchement ; elles intro-

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duisent les deux poings fermés dans l'orifice vulvaire et les maintien- nent ainsi jusqu'à l'expulsion du fœtus.

Un peuple philosophe. Si l'on en croit Barchou de Penhoën (1), les Ghauts, tribu de l'Inde, donneraient à leurs nou- veau-nés une véritable leçon de philosophie pratique. A peine nés,

Fig 401. Présentation du sein au nouveau -né, chez les Banians, d'après Picard.

leurs enfants sont habitués à la dure vie qu'ils doivent mener. Dès le lendemain de leurs couches, obligées de se mettre à la recherche

(1) Histoire de la fondation de Venipire anglais dam Vlndc.

580 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de leur nourriture, les femmes, avant de s'éloigner de leurs nou- veau-nés, commencent par les allaiter : elles creusent ensuite en terre un trou qu'elles garnissent de feuilles de teck, feuilles si rudes, si revêtues d'aspérités, qu'elles enlèvent 1 epiderme et font couler le sang pour peu qu'on les manie sans précaution. Or, c'est sur cette couche que, jusqu'au retour de la mère, c'est-à-dire jusqu'au soir, est déposé le petit être humain qui vient de naître à la vie et à la douleur. Dès le cinquième ou le sixième jour de sa naissance, on l'ha- bitue à prendre des aliments solides, à se laisser laver tous les malins dans la rosée glacée qui baigne les plantes. Il est ainsi abandonné tous les jours, seul et nu, exposé au soleil, au vent et à la pluie, jus- qu'à ce qu'il soit en état de marcher.

Mœurs des Banians. Parmi les Hindous, les Banians ou Vaïcias forment, nous le savons, une caste de marchands et de culti- vateurs. Chez eux, à la naissance d'un enfant, la mère présente le sein au nouveau-né (fig. 401); s'il refuse de le prendre, il est exposé, et, si ce refus persiste pendant trois jours, il est jeté dans le Gange. Notez que ces pieux personnages se feraient scrupule de manger un poulet.

Les Banians imposent le nom à leurs enfants dix jou»s après la naissance. Un de leurs brahmes étale sur une nappe une certaine quantité de riz; sur ce riz, on met le nouveau-né. Une douzaine d'au- tres enfants prennent chacun un bout de cette nappe, la secouent de toutes leurs forces, et font sauter en même temps l'enfant et le riz sur lequel il est couché. Après cette cérémonie ridicule, la sœur du nou- veau-né, s'il en a une, lui donne le nom qu'elle juge à propos de choi- sir (fig. 402).

Chez les adorateurs du feu. On sait que, dans la Perse et dans l'Hindoustan, les Guèbres ou Parsis, sectateurs de Zoroastre, ont gardé précieusement ses livres : ils observent encore pour les accouchements les prescriptions contenues dans le Boundehec : c'est ainsi qu'on appelle la deuxième partie du Zend-Avesta, rédigée en pehlvi.

Lorsqu'une femme doit accoucher, elle est placée sur un lit de fer ; parce que les métaux souillés se lavent et qu'un lit de bois ne pourrait plus servir. Il doit y avoir dix femmes ou au moins cinq dans sa cham- bre. Leur office, selon le recueil pehlvi, est de préparer ce qui est néces- saire pour l'enfant, de secourir la mère et de faire les fonctions de sage- femme.

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Pendant trois jours et trois nuits, on allume dans cette chambre un ^rand feu pour éloigner les démons corrupteurs ; on doit aussi en inter-

dire l'approche aux pêcheurs. Quand le travail commence, le prêtre ou mobed récite des prières pour la femme ; une fois que celle-ci est déli- vrée, elle se lave et lorsqu'elle ne se ressent plus de ses couches, elle

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s'acquilte de trente ablutions prescrites par la loi. Elle passe ainsi quarante jours séparée du commerce des hommes, et son mari ne peut la voir qu'au bout de ce temps.

Nous avons déjà exposé les obligations imposées aux femmes en couches par le Sad-der. Voici, d'après Anquetil Duperron, les usages suivis par les Parsis à l'égard des femmes qui se blessent : « Lors- qu'une femme est grosse de quatre mois dix jours, son mari ne doit plus la voir. C'est alors que l'enfant est formé, et que l'âme est unie au corps; et si en la voyant il blesse l'enfant, c'est un crime qui mérite la mort. Celle qui est accouchée d'un enfant mort, ne peut prendre jusqu'au quatrième jour ni eau ni sel; elle mange seulement des fruits secs, du pain fait sans eau et de la viande cuite sans sel que lui pré- sentent deux personnes unies l'une à l'autre par le kosti. Le quatrième du jour, on lui donne de l'urine avec laquelle elle lave son corps et ses vêtements, ensuite deux mobeds unis comme par le baraschnom (le baraschnom est la purification la plus efficace des Parses) lui présen- tent du nereng, mêlé de cendre; elle le boit et prononce ensuite les prières ordonnées. Cette femme passe de cette manière quarante et un jours, séparée du monde. Ce terme expiré, si son état le lui per- met, elle se lave trois fois avec du nereng, fait ensuite le baraschnom no schalé, et met un vêtement propre : mais elle ne rentre dans la société que lorsqu'elle est entièrement délivrée des suites de ses cou- ches. » Suivant les lois de Manou, une femme qui a fait une fausse couche était purifiée en autant de nuits qu'il s'était écoulés de mois depuis la conception.

Chez les Parsis, la femme qui meurt pendant sa grossesse est portée par quatre hommes, au lieu de deux qui conduisent ordinairement les autres personnes à leur dernière demeure; c'est qu'ils considèrent une femme enceinte comme un être double.

L'abbé J.-A. Dubois nous donne d'intéressants détails sur les céré- monies qui suivent l'accouchement des femmes chez les peuples de l'Inde. « Lorsqu'une brahmady ressent les douleurs de l'enfantement, son mari doit se trouver auprès d'elle et être attentif à noter le quan- tième du mois, le jour, l'étoile du jour, le youga, le carna, l'heure et le moment l'enfant vient au monde ; et pour ne rien oublier de tout cela, il le met par écrit.

« La maison accouche une femme et tous ceux qui l'habitent sont souillés pour dix jours : avant ce terme, ils ne peuvent communiquer avec personne. Le onzième jour, on donne au blanchisseur tous les linges et vêtements qui ont servi, durant cette période, et la maison est purifiée par des femmes qui y emploient deux choses principales,

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la fiente de vache et l'herbe darba. Avec la première, délayée dans l'eau, elles composent un enduit dont elles appliquent avec la main une couche sur le parquet, en décrivant avec leurs doigts des zig- zags ou d'autres figures ; elles tracent par-dessus de larges zones blanches et rouges alternativement ; elles y répandent ensuite de l'herbe darba ; cela fait, le sol se trouve parfaitement pur.

« On fait ensuite venir un brahmepourohita(l). L'accouchée, tenant son enfant dans les bras et ayant à côté d'elle son mari, va s'asseoir sur une espèce d'estrade en terre, dressée au milieu de la maison, et couverte d'une toile. Le pourohita s'approche d'eux, fait le san- calpa (2), offre le poudja (3) au dieu Vignessaoura, et fait lepounia- avatchana ou la consécration d'eau lustrale. Il verse un peu- de cette eau dans le creux de la main du père et de la mère de l'enfant, qui en boivent une partie et répandent l'autre sur leur tête. 11 asperge avec cette même eau la maison et tous ceux qui l'habitent, puis va jeter dans le puits ce qui en reste. Enfin on donne au pourohita du bétel et quelque présent, et il se retire.

« Par cette cérémonie, qui se nomme djatta-carma, toute trace de souillure disparaît : mais l'accouchée ne recouvre son état parfait de pureté qu'au bout du mois ; jusque-là elle doit vivre dans un lieu isolé et n'avoir de communication avec personne (4). »

Voyage en Chine. La Chinoise en quête de progéniture s'a- dresse à la déesse Tse-souen-niang-niang (fig. 403). Elle vient, ra- conte Fellmann, déposer à ses pieds une petite poupée en carton, représentant un enfant nouveau-né, du sexe masculin ou féminin, suivant qu'elle désire un garçon ou une fille. A la droite de la déesse, se tient son serviteur Song-tchen-lang-chun, tout courbé sous le poids de ces petites poupées de carton. Une fois ses vœux exaucés, l'accou- chée se rend à la pagode faire les sacrifices d'usage à la déesse, sans oublier, naturellement, les aumônes aux bonzes.

Pendant sa grossesse, la Chinoise se préoccupe, en outre, de s'as-

(1) Prêtres officiant dans les cérémonies publiques ou particulières. D.

(2) Sorte de préparation mentale qui doit précéder tous les actes religieux des brahmes. D.

(3) Différentes offrandes faites à la divinité, suivant l'importance du sacrifice. D. (•1) Cet usage a beaucoup de ressemblance avec celui des femmes juives dans les

mêmes circonstances (Léo. c. 12); cependant les Hindous ne font pas attention, ainsi que le voulaient les Israélites, à la différence du sexe, par rapport au temps de la souillure de la mère ;' la durée en est la même, qu'elle accouche d'un garçon ou d'une fille. D.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

surer de la protection des Ancêtres; aussi leur prodigue- t-elle l'invo-

Fig. 103. La déesse Tse-souen-niang-niang, d'après Felhuann.

cation suivante : « Une telle doit accoucher bientôt; elle vient vous en

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rendre compte. 0 nobles esprits, nous vous prions de l'aider et de lui donner un heureux accouchement! » Mais qu'elle s'abstienne de man- ger des tourterelles ou du canard; malgré toute la bonne volonté des Ancêtres, l'enfant serait muet; qu'elle s'abstienne de lapin, il aurait un bec-de-lièvre!

Au moment du travail, tout homme, même le mari, est exclu de la chambre, comme en Angleterre. On fait des inhalations de vapeur afin d'empêcher le refroidissement de l'accouchée; car c'est là, pour la médecine de l'extrême Orient, la cause de toutes les maladies à la suite de couches : survienne une péritonite, et elle vous affirmera gravement que la femme n'a pas été assez cuite. Voici, d'après Hu- reau de Villeneuve, la manière de pratiquer ces fumigations. Sur une brique chauffée dans .un foyer voisin, on verse de l'eau pure ou chargée d'essences aromatiques et l'on forme ainsi, autour de la femme, une atmosphère de vapeur que plusieurs feux allumés entre-

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Fie. 404. Aiguille et maillet servant à l'acupuncture, d'après Dujardin.

tiennent chaude. Le costume se composant d'une sorte de camisole et d'une jupe fendue par devant, permet à la parturiente de rester pres- que complètement vêtue. Dabry raconte de plus que, pour activer le travail, on lui fait boire une décoction de cheveux d'homme., préala- blement torréfiés et pulvérisés; la délivrance se faisant encore at- tendre, on administre un peu de vin et de l'urine d'enfant. En déses- poir de cause, la sage-femme extrait l'enfant, Fo sait en quel état, avec un crochet de fer à deux branches. La section du cordon se fait par les mains de l'accoucheuse qui lie cet organe avec un fort fil en coton. « Quand la délivrance est difficile, » dit le Tat-Shang-Pin, « il faut attacher au cordon un fil de chanvre auquel on suspend un poids pour l'empêcher de remonter, et, au bout de trois à cinq jours, le placenta se ratatine. » C'est un peu trop prendre à la lettre le pré- cepte de Pajot pour la délivrance, tendre et attendre. Une autre par- ticularité des pratiques obstétricales chinoises, c'est le cong-fou. On appelle ainsi une sorte d'hypnotisme obtenu par des attouchements

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légers sur les parties dont on veut obtenir l'insensibilité; la patiente doit être immobile, le regard fixé sur un objet déterminé. « Les sages- femmes, » dit Hureau de Villeneuve, « ne se contentent donc pas, comme chez nous, de frictionner l'abdomen avec la main, elles tou- chent aussi les aines, les lombes, les hypochondres et la région dia- phragmatique. Grâce à ces attouchements, tantôt réguliers, tantôt inattendus, accompagnés de respirations faites par la patiente au commandement et en mesure, on prétend que les femmes chinoises n'éprouvent que très peu de douleurs en accouchant » (1).

L'accouchement a lieu sur un baquet retourné; le Tat-Shang-Pin conseille à la femme de se mettre sur le ventre, mais seulement au moment la tête apparaît; l'enfant ayant alors effectué sa culbute, il n'y a plus crainte de présentation vicieuse.

Après la délivrance, la femme est mise au lit, la tête appuyée sur une planche, le bassin élevé, les jambes fléchies; elle ne doit ni se mettre sur le côté ni dormir. Pour faciliter la sortie des lochies, on lui fait avaler plusieurs tasses d'un grog odieux, composé de chao- tsiou, eau-de-vie de sorgho, mélangé avec de l'urine d'enfant. Puis on brûle du vinaigre dans la chambre et, en cas de défaillance, on en fait respirer à la nouvelle accouchée.

Celle-ci doit rester trois jours au lit et, pendant ce temps, pour ne pas se fatiguer l'estomac, elle ne prend que du millet et du bouillon de poulet; les œufs et la viande de porc « pouvant occasionner une obstruction de vaisseaux » sont interdits pendant un mois. Les Chi- nois ont une supériorité sur certains occidentaux : au lieu de ces vi- sites interminables, de ces caquetages sans fin, ils recommandent le plus grand calme à la jeune mère ; on peut venir la visiter, mais il faut s'abstenir de tout bruit; la politesse défend, en outre, de se grat- ter la langue et de demander si l'enfant est un garçon ou une fille. Injonction expresse est faite à l'accouchée de ne faire aucuns frais de toilette pour ses visiteurs : pendant douze jours, elle ne doit se pei- gner ni se laver.

L'allaitement commence trois ou quatre jours après l'enfantement, dès que la mère se lève. Sa première sortie ne peut avoir lieu qu'au bout de deux mois ; elle se rend tout d'abord à la pagode des Ancê- tres, pour leur présenter son enfant et les remercier de leur protection

(1) Dans les indispositions des femmes enceintes, médecins et sages-femmes usent volontiers de l'acupuncture. Ils enfoncent leurs aiguilles, appelées tchang- tchin (fig. 404), longues de 0,22 cent, à pointe très acérée, dans la partie doulou- reuse, même dans l'utérus, et lorsque le fœtus est trop agité, ils le calment avec quelques piqûres.

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pendant ses couches. L'enfant est ordinairement porté sur le dos de sa mère (fîg. 405). Son habillement est des plus simples : l'été, le petit Chinois est presque nu; l'hiver, il est enveloppé dans une couverture ouatée. Quant aux soins de propreté, ils sont presque nuls, au grand préjudice de la santé de l'enfant.

En Chine, on ne connaît ni les nourrices, ni les biberons; l'allaite-

y

Fie 405. Chinoise portant son enfant.

ment maternel est seul pratiqué, mais il dure trop longtemps, et l'en- fant n'en retire que peu de bénéfice.

Après le sevrage, surtout dans la bourgeoisie, on comprime les pieds des petites filles avec des bandelettes huilées, pour les réduire à l'état de moignons informes qui rendent plus tard la marche extrê- mement difficile ; elles s'avancent en sautillant et étendent les bras en guise de balanciers. C'est, paraît-il, une garantie de fidélité pour les fils du ciel, dont la jalousie est proverbiale ; ils empêchent ainsi leur femme de « courir ».

Par contre, cette vie sédendaire pousse les Chinoises aux plaisirs solitaires; elles s'y livrent avec fureur. Pour satisfaire leur passion, elles emploient le harikala, instrument qui rappelle le classique olis-

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bos des Milésiennes. C'est un phallus en cuir doux ou en corne mince, rempli de coton, auquel les dames à petits pieds donnent amicale- ment le surnom de ta-siang-koeng (grand seigneur). Quelques-unes, plus raffinées, ont recours à Y ikiridama rinnotama, autrement dit au hérisson. Sans insister sur ces détails scabreux, nous remarque- rons que ces détestables pratiques produisent nécessairement de fréquentes fausses couches chez les femmes enceintes.

Quant aux avortements volontaires, il ne faudrait rien exagérer : « A Pékin », dit Morache (1), « ils se font sur une vaste échelle; les substances abortives en vogue sont publiquement affichées, à côté des aphrodisiaques, sous le nom de remèdes pour faire dégager le ventre, rendre la virginité. L'avortement est surtout pratiqué pour cacher des liaisons adultères, incestueuses ou irrégulières ; il est commun parmi les veuves, que la loi oblige à une éternelle chasteté. » Suivant le docteur Ernest Martin (2), dans la capitale de la Chine et dans les autres grandes villes, les murailles seraient couvertes de pe- tites annonces indiquant des drogues infaillibles pour provoquer l'is- sue difficile du sang menstruel; en réalité, ces prétendus emména- gogues ne sont que des abortifs. De tels placards s'étalent en toute liberté, et si les mandarins se livrent à quelque enquête, ils la font porter moins sur le crime d'avortement en lui-même, que sur le fait de relations illicites.

Le Si-Yen-lu, étudié par le Dr Ernest Martin, renferme cependant un certain nombre de procédés pour reconnaître ravortement. Sans avoir rien de scientifique, ils n'en sont pas moins curieux : « Pour voir si, dans une autopsie de femme ayant succombé à un avorte- ment, un breuvage en a été la cause, on introduit dans les voies géni- tales une certaine quantité de mercure ; si cette substance se ternit, il faut penser à des manœuvres abortives. Quand les magistrats qui ont des soupçons, pensent qu'il s'agit bien d'un avortement, la sage- femme est appelée, elle s'informe avec soin de l'époque à laquelle remonte la grossesse. Elle voit si la forme est celle d'un fœtus ou bien d'un caillot de sang ; ce dernier se décompose et, après un cer- tain temps, il devient une masse qui exhale une mauvaise odeur; dans ce cas, on a affaire à un avortement criminel (3). Si l'entrée

(1) Pékin et ses habitants.

(2) Exposé des principaux passages contenus dans le Si-yen-lu.

(3) On examine la forme du fœtus en le comparant aux états suivants Après un mois, le fœtus ressemble à une goutte d'eau.

2* Après le 2e mois, il est comparable à une fleur de pêcher. Après le 3e mois, le sexe peut être discerné.

MOEURS ET COUTUMES 589

des parties est obstruée par un amas de sang qui donne une mau- vaise odeur, on voit si la mort de la femme vient de la non-expulsion du fœtus, ou si elle est causée par une drogue abortive. Le magistrat commis à cette enquête devra noter avec soin toutes les circonstances relatives au fait. Il existe une méthode d'investigation qui consiste à se servir d'une aiguillle d'argent servant à la coiffure des femmes ; on l'introduit dans les parties ; si elle se ternit, on présumera qu'il a été fait usage de drogues abortives; cependant, il ne faut pas su- bordonner cette conséquence à la méthode ; souvent l'avortement peut entraîner la mort par lui-même, par une grande secousse ; il faut donc procéder avec prudence et faire un examen appro- fondi. »

En réalité, les avortements semblent être rares dans les ménages légitimes ; le Chinois a un si grand désir de laisser une postérité que, quand sa femme est stérile, il l'engage à simuler une grossesse et s'en va acheter un enfant qu'il fait passer pour sien. Que croire, dès lors, de cette mystification des petits Chinois jetés en pâture à ces cochons violets qui ont valu tant d'injures à Francisque Sarcey? Ce n'est rien autre chose qu'un piège tendu à l'argent naïf. Le témoi- gnage récent du comte d'Hérisson (1) est formel à cet égard : « Une erreur grossière, qui a généralement cours dans notre pays, nous a fait admettre que les Chinois se débarrassent volontiers de leurs enfants vivants, soit en les jetant dans des puits, soit même en les donnant à manger aux pourceaux. C'est absolument faux. Il y a, sans doute, en Chine des infanticides, comme il y en a en France ; mais il faut bien peu connaître le culte que le Chinois, lorsqu'il est honnête, voue à la vie de famille, pour supposer une pareille hor- reur. Et quand le Chinois n'est pas retenu par ce sentiment élevé, la cupidité l'empêcherait encore de tuer ses enfants, puisqu'il peut les vendre et en obtenir un prix rémunérateur. » On ne saurait tirer un argument d'une vieille coutume signalée chez les habitants de For- mose ; ceux-ci ne sont pas Chinois et se rapprocheraient plutôt de

Après le 4e mois, il a une forme humaine.

Après le 5e mois, les os et les jointures se distinguent aisément.

A la fin du mois, les cheveux ont acquis un certain développement.

Après le 7e mois, la main droite remue à gauche du sein maternel, quand c'est

un garçon. Après le 8e mois, la main gauche remue à droite, si c'est une fille. A la fin du mois, quand on palpe le ventre, on voit qu'il s'est produit trois

changements dans la position du fœtus. 10° Au commencement du 10' mois, l'enfant est complètement développé. (1) Journal d'un interprète en Chine.

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certains Polynésiens. Dans cette île, il était défendu aux femmes d'ac- coucher avant trente-cinq ans ; on craignait, sans doute, que la popula- tion ne fût trop considérable pour les ressources de l'île. Les femmes, cependant, étaient libres de se marier à tout âge. Un voyageur hol- landais Rechteren, cité par Buffon, parle aussi de cette coutume : « D'abord que les femmes sont mariées, elles ne mettent point d'en- fants au monde : il faut au moins pour cela qu'elles aient trente-cinq ou trente-sept ans. Quand elles sont grosses avant ce temps, leurs Prê- tresses vont leur fouler le ventre avec les pieds, s'il le faut, et les font avorter avec autant ou plus de douleurs qu'elles n'en souffriraient en accouchant. Ce serait non seulement une honte, mais même un gros péché, de laisser venir un enfant avant l'âge prescrit. J'en ai vu qui avaient déjà fait périr quinze ou seize fois leur fruit, et qui étaient grosses pour la dix-septième fois, lorsqu'il leur était permis de mettre un enfant au monde. » Les Chinois, tout en ayant conquis Formose, sont toujours restés étrangers à de telles horreurs.

Coutumes japonaises. Aimé Humbert, dans le Japon il- lustré, nous donne les détails suivants sur l'obstétrique japonaise : « Aussitôt que l'épouse a l'espoir de devenir mère, le ban et l'arrière- ban de la parente se réunissent à son domicile, et la proclamation de l'heureuse nouvelle est saluée par un concert de félicitations bour- rues, de questions indiscrètes et de confidences hygiéniques, absolu- ment intraduisibles dans nos idiomes de l'occident, à moins que l'on ne veuille recourir au latin. La jeune femme, à dater de ce moment, passe sous la direction d'une matrone expérimentée, Vobassan ou la samba-san, vrai personnage de comédie, dont toute la science con- siste à se rendre indispensable pour le reste de ses jours dans la mai- son où elle a su faire agréer ses services. Le troisième mois atteint, nouvelle solennité, non moins difficile à décrire que la précédente. L'obassan en fait, les honneurs ; elle déploie avec dignité, étale aux yeux des témoins, décrit en long et en large, et finalement applique à sa protégée la ceinture traditionnelle de crêpe rouge, qui ne sera plus déposée qu'après l'accouchement. » Cette ceinture mesure trente centimètres de large sur deux mètres de long; elle doit empêcher l'enfant de prendre un trop grand développement, pour que l'accou- chement soit plus facile. Mais comme la légende ne perd jamais ses droits, on fait remonter cette coutume à l'époque l'impératrice Djin-go-Kôgu, à la tôle de son armée, partit en guerre contre la Co- rée. Etant enceinte et sa cotte de maille ne pouvant se fermer, elle fut obligée de l'ajuster avec une ceinture de soie. Elle parvint ainsi, sans

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accident, au terme de sa grossesse et, après la conquête de la Corée, elle mit au monde un fils, au milieu de l'allégresse générale. Depuis, les femmes enceintes, pour perpétuer cet heureux événement, firent usage de la ceinture ventrale. Kangawa conteste cette origine et fait remonter l'usage de ce bandage au moyen âge, lorsque la femme de Youtomo fut enceinte et s'appliqua la ceinture ventrale avec des cérémonies, encore observées aujourd'hui dans le palais du Shio- Gumet du Daimios, et qui varient suivant les temps et les lieux.

Kangawa s'élève avec raison contre l'application de cette constric- tion du ventre durant la grossesse ; elle peut empêcher, suivant lui, le développement du fœtus. « Si l'on plaçait », dit-il assez majestueuse- ment, « une pierre sur la. racine d'un chou, ce chou ne pourrait se

Fig, 4)6. Massage pratiqué par un médecin japonais.

développer même si la racine persistait dix mille ans. Enlevez la pierre, et aussitôt la force vitale de la racine se développe. » Cet auteur blâme encore une vieille coutume obligeant la femme enceinte à se tenir couchée, lesjambes croisées et maintenues, même pendant

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le sommeil, par une bande appliquée autour des genoux et des fesses. Et pourquoi cette pratique? On craignait que l'enfant ne pût engager ses propres jambes dans celles de sa mère, en les y enfournant comme dans une culotte!

L'examen du pouls joue un grand rôle dans l'établissement du dia- gnostic et du pronostic de la parturition; quant à l'accouchement lui- même, il est le plus souvent abandonné aux seules forces de la na- ture. On se contente de certains massages assez bizarres; ainsi, d'après le New-York médical Record, les praticiens japonais, pour corriger la mauvaise position dans laquelle l'enfant pourrait se pré- senter, font tenir la femme debout, les bras passés autour de leur cou; ils lui pressent ensuite la poitrine contre la leur et compriment fortement les genoux entre les siens, de façon à la bien soutenir. Dans cette position (fig. 406), ils opèrent un massage énergique avec les paumes des mains, en les dirigeant d'arrière en avant sur les han- ches. Ce mouvement est répété une soixantaine de fois chaque matin, à partir du sixième mois de la grossesse. Joignez à ces manœuvres quelques médicaments sans valeur et certains moyens magiques. « On achète dans les temples », dit le Dr Millier (1), « des Sitzu- Bun, c'est-à-dire des papiers sur lesquels sont deux signes cabalis- tiques empruntés à l'écriture chinoise. Une fois que l'argent néces- saire a été jeté clans le tronc du temple, on voit aussitôt les papiers voltiger en l'air, maintenus perpétuellement par un prêtre, à l'aide d'un éventail. C'est une véritable chasse aux papillons; quand on en tient un, on sépare les deux signes l'un de l'autre et on coupe le se- cond en tout petits morceaux qu'on avale aussitôt : cela hâte l'accou- chement. »

Arrivons aux soins à donner durant le travail. « Les anciens», dit Kangawa, « voulaient que la chambre d'une accouchée fût absolu- ment à l'abri du froid et du vent; aussi toutes les portes étaient-elles fermées et toutes les ouvertures bouchées et obturées, et comme en plus on chauffait la chambre avec le Hi-batzi (bassin à charbon), il en résultait que la chaleur mettait la femme dans un état de conges- tion violent et dangereux. Il faut éviter cette méthode ; l'accouchée n'a pas besoin de précautions particulières en ce qui concerne son habitation et sa nourriture. Il faut seulement ne pas découvrir la moitié inférieure du corps. La femme doit rester simplement sur son lit avec des coussins élevés et se coucher du côté droit. » C'est assez.

(1) Traduction du Dr Charpentier, dans les Archives de Tocologie et son Traité (V accouchement.

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sage, mais malheureusement les Japonais ont conservé la coutume d'accueillir, au moment de l'accouchement, tout un cercle de parents et d'amis dont les conseils officieux, joints à ceux de l'obassan, mettent à la torture la malheureuse patiente. « L'événement même, » dit Aimé Humbert, « ne fait que redoubler leurs obsessions. Un incon- cevable préjugé refuse à la femme-mère le repos réparateur que tout son être sollicite ; elle ne le trouve que lorsque son enfant, après avoir reçu les premiers soins nécessaires, est enfin déposé dans ses bras. » Nous avons déjà dit que la femme reste appuyée, pendant les trois

Fig. 407. Sage-femme portant le délivre enfermé dans un vase.

premiers jours qui suivent la délivrance, à la pile de coussins placés derrière elle; puis on retire chaque jour un coussin jusqu'à ce que la tête repose sur le dernier; le corps est alors dans la position horizon- tale. Le délivre se met dans un vase spécial (fig. 407) et le tout est enterré par la sage-femme.

L'arsenal obstétrical des sages-femmes et des accoucheurs japo- nais ne se composait jadis que de deux crochets, l'un aigu, l'autre mousse. L'aigu, beaucoup plus petit, était particulièrement barbare et pouvait causer des dégâts considérables ; on l'implantait dans la partie qui se présentait, et il servait alors d'instrument de traction.

Gomme son emploi détermine toujours une blessure du cuir che- velu, et qu'on ne devait, dans aucun cas, produire une semblable lésion sur l'enfant de l'empereur, Mitzu Sada Kangawa, accoucheur

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de la cour, inventa, en 1812, les instruments suivants : Une longue

Fk;. 408-415. Instruments japonais, PI. I.

anse de baleine mince, de 4 pieds de long et large de une ligne 1/2

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(voy. PI. I, fig. 1) ; Une lame de baleine plate (Pi. I, fig. 2), longue

Fig. 416-420. Inslrumen's japonais, PI. II.

de 11 pouces, large de 1 pouce plus 1 ligne 1/2 à son extrémité, de 10

59G HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

lignes à son milieu, dont la partie supérieure, repliée sur le plat, est percée de deux trous ; Une poignée en bois (PI. I, fig. 3Ï, longue de 3 pouces, épaisse de 9 lignes, percée de plusieurs trous.

Ces instruments, moins barbares, firent abandonner le double cro- chet. Voici la manière de les employer :

« On trempe d'abord l'anse de baleine (fîg. 1) dans de l'eau chaude pour la ramollir et la rendre flexible, puis on la graisse avec de l'huile. On la conduit alors progressivement dans le vagin et on l'in- troduit, suivant les cas, jusqu'au-dessus du menton ou de l'occiput. A ce moment, ayant fait passer les deux extrémités de l'anse à tra- vers les deux trous de la baleine plate (fîg. 2), on tire à soi l'anse jus- qu'à ce qu'elle prenne un point d'appui solide, sur le menton ou l'oc- ciput (PI. II, fîg. 3). Alors on enlève la baleine plate et on introduit les deux extrémités de l'anse dans les deux trous internes de la poignée (PI. I, fîg. 2), puis on les fait repasser par en haut par les deux trous externes. Le médecin saisit alors la poignée de la main droite, de fa- çon à maintenir solidement les extrémités de l'anse doublement re- pliées, et, pendant que de la main droite il exerce une forte traction, il comprime doucement avec la main gauche l'anse de baleine, de façon que la direction de la traction s'accommode à la courbure du vagin, car sans cela la direction delà traction serait perpendiculaire au vagin.

« Cette découverte a comblé les lacunes essentielles que comportait l'emploi exclusif du crochet. Mais l'anse de baleine laissait sur le menton et la nuque des traces sanglantes. Pour éviter cela, Mitzu Sada Kangava imagina un autre procédé qu'il employa lors de l'ac- couchement d'un prince impérial, eu mars 1832.

« Ce procédé exige les instruments suivants : Deux iielites tiges de baleine (PI. I, fig. 4) de 1 pied 1 pouce 3 lignes de long. Leur extré- mité porte un bouton, car la tige est mince et va en grossissant jus- qu'à l'extrémité inférieure quia 4 lignes d'épaisseur; Une fine ser- viette de soie, large de six pouces, longue de 3 pieds. Ordinairement la serviette n'est pas fixée après les tiges, comme le montre la figure 4 ; on l'y attache au moment de s'en servir ; Une spatule de fer (PI. I, fig. 8) qui, à son extrémité, est percée d'un trou quadrangulaire. A ses deux extrémités elle est large de 10 lignes, au milieu de 6 lignes, elle est légèrement courbe.

« Lorsqu'on veut procédera l'opération, on commence par ramollir les tiges de baleine, on les graisse bien avec de l'huile, et on les réu- nit à la serviette de soie comme le montre la Fig. 4, mais de telle fa- çon que la moitié de la serviette soit roulée autour de chaque tige. Le médecin alors introduit tout l'appareil dans le vagin, en longeant,

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suivant les cas, la paroi antérieure ou postérieure du vagin jusqu'à ce que l'extrémité de l'appareil soit parvenue à la hauteur du menton. Alors le médecin déroule les deux tiges en sens inverse, de telle façon que la serviette enveloppe toute la tête. Il laisse alors libre le reste des deux bouts de la serviette et les dégage des tiges de baleine. Il les fait alors passera travers le trou de la spatule de fer (Fig. 8), et en même temps qu'il pousse celle-ci en avant, il tord les deux bouts de la serviette (PI. II, fig. 2). Il retire alors la spatule, saisit la serviette solidement de la main droite et extrait la tête, comme d'habitude, en suivant la direction du vagin » (1).

Enfin, en février 1869, Mizu Nori Kangawa a inventé un procédé,

Fig. 421. Une couche au Japon. Délivrance avec le treuil.

le plus récent de tous, mais qui n'a guère été employé jusqu'ici ; il est applicable à la version dans les présentations transversales.

« Les instruments nécessaires sont : « Deux petites tiges de ba- leine (PL I, fig. S), longues de I pied 3 pouces 1/2 ; elles sont percées d'un trou à leur sommet; Un fort filet de soielong de 4 pieds ; Une petite lige de fer (PL I, fig. 6) de même longueur que les tiges de baleine. Elle doit être en fer mou et flexible. L'extrémité supérieure est coudée à angle droit et percée d'un trou ; Une lame de baleine ploie (PL I, fig. 7). Elle est longue de 10 pouces, large dans son mi- lieu de 10 lignes. L'extrémité inférieure est large de 1 pouce 1 ligne. L'extrémité supérieure, excavée en demi-lune, est large de 1 pouce 1/2.

« Lorsqu'on veut remédier à une présentation transversale, on ra- mollit les deux petites tiges et on y enfile le lacs de soie. On pousse alors les deux petites tiges dans le vagin et on se sert de la petite

(1) D' Charpentier, ïoc. cit.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

tige de fer pour tendre le lacs et le conduire autour du corps de l'en- fant (PI. II, fig. 5). Lorsqu'on y a réussi, on retire les petites tiges de baleine, et, pendant que l'on tire sur les deux extrémités du lacs, on refoule avecla'Jame plate (n° 7) le creux axillaire de l'enfant (PL II, fig. 4), jusqu'à ce que la version soit opérée. Une fois celle-ci faite, on tire sur le lacs seul et on extrait l'enfant » (1) . Les médecins japonais connaissent aussi l'usage du forceps (fig. 422); mais ils l'appliquent d'une façon toute spéciale, comme le montre la Fig. 421.

Il y a dans toutes ces inventions une ingéniosité compliquée qui est bien de la race ; il est juste cepen- dant de remarquer que, même avant d'avoir brusque- ment transporté l'Europe dans l'extrême Orient, les praticiens japonais s'étaient déjà dégagés des préjugés vulgaires : plus d'un devait rire en entendant les bon- nes gens assurer qu'au moment de la naissance, le garçon se place sur le ventre et la fille sur le dos, sans doute pour rappeler la position de l'un et l'autre sexe dans l'acte copulatif, ou bien serait-ce un sentiment de pudeur précoce qui porte le garçon à prendre une attitude qui lui cache les organes maternels?

Quand on éprouve quelque difficulté à extraire le placenta, on attache le cordon à la jambe de la femme, ou, comme en Chine, on y suspend quelque objet un peu lourd pour l'empêcher de remonter. Kangawa con- damne cettedernièrepratiqueet défend aussi de masser le ventre pour aider à l'expulsion du délivre. On ne doit, suivant lui, agir que sur la région lombaire : « Car, » dit-il, « si on massait le ventre, le placenta se contracterait avec tant de violence qu'il se dé- chirerait et que le bout de la rupture pourrait rentrer dans le ventre. » Kangawa avait tort de défendre l'expression utérine, elle rend sou- vent de réels services quand elle est indiquée et bien appliquée.

La délivrance donne lieu chez les Japonais à quelques coutumes curieuses : ainsi le bassin est reçu le délivre d'un garçon contient un bâton d'encre de Chine et un pinceau pour écrire ; celui qui reçoit le délivre d'une fille est vide, sa naissance, comme dans toutes les autres nations, étant vue d'un mauvais œil. On conserve précieuse- ment le cordon enveloppé dans du papier blanc se trouvent ins- crits les noms des père et mère, et, ainsi desséché, il est porté par

Fig. 422. Forceps japonais.

(1) D' Charpentier, loe. cit.

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celui à qui il appartient jusqu'à sa mort et on l'enterre avec lui.

Pour couper le cordon, les Japonais se servent de couteaux en os et non en acier, parce qu'ils attribuent une influence pernicieuse aux sections pratiquées avec les instruments tranchants.

Une ancienne coutume voulait qu'au Japon la femme prît un bain chaud le sixième jour après l'accouchement et se fît transpirer, au sortir du bain, en s'enveloppant de couvertures chaudes. Kangawa conseille de ne pas donner de bains avant le quinzième jour. « Au bout

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Fig. 423. Japonaise à la promenade, portant un enfant sur son dos.

Fig. 424. Autro manière de porter les enfants au Japon.

de huit jours, » dit-il, « il faut, avec une serviette trempée dans l'eau, enlever toutes les souillures aussi bien de la partie inférieure'du corps, qui est restée couverte, que de la partie supérieure». Si le lait ne monte pas aussitôt après l'accouchement, on attendra pendant trente jours, jusqu'à ce que le sang ancien et altéré soit remplacé par le nouveau. Un préjugé encore vivace défend aux Japonaises de manger des

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prunes blanches et des haricots noirs : les premières par leur acidité troubleraient les lochies, et les seconds empêcheraient l'action des mé- dicaments qui pourraient être ordonnés.

Les Japonaises, comme les Chinoises, allaitent deux ou trois ans ; il n'est pas rare de voir des enfants venir teter debout après avoir joué. Pendant ce temps, les règles de la civilité obligent de combler de largesses les enfants de ses amies. Et, « par un échange de courtoisie, les grandes filles du voisinage se disputeront la faveur de porter le nouveau-né à la promenade (fig. 423, 424), non point dans une pensée de puérile ostentation, mais afin de s'exercer plus sérieuse- ment qu'on ne peut le dire, à le combler, entre leurs bras et sur leur poitrine, de tous les soins, réels ou simulés, qui concernent l'appren- tissage de leur future profession (1) ».

Gorre raconte, d'après Nieuhof, qu'au Japon, il est permis aux fem- mes enceintes de se faire avorter, pour éviter les charges d'une trop nombreuse famille, quand elles ne se croient pas en état d'y satis- faire. Assurément au Japon, la liberté des mœurs est très grande ; mais, tout au moins dans les hautes classes, l'avortement provoqué est regardé comme un déshonneur (2). Les femmes du bas-peuple s'adressent quelquefois, dans ce but, aux sages-femmes qui leur in- troduisent, en se servant des doigts comme guides, de longues racines d'achyrantes aspera, entre la paroi utérine et les membranes de l'œuf. Ces racines, préalablement enduites de musc, sont laissées environ deux jours en place, ce qui amène infailliblement l'avortement. D'au- tres introduisent dans le col des mèches de soie, imprégnées de musc, ou, ce qui est plus dangereux, des tiges de bambou aiguisées, de grosses épines, etc.

Signalons, en terminant, une coutume japonaise qui n'a, il est vrai, qu'un rapport assez éloigné avec notre sujet. Nous voulons parler de la manière de placer les morts dans le cercueil. Après avoir lavé et rasé le défunt, vêtu de blanc, les croque-morts le font entrer, ou, pour mieux dire, l'accroupissent dans une étroite caisse carrée, les jambes repliées sous le corps et les bras croisés sur la poitrine, attitude semblable à celle de l'enfant dans le sein maternel : symbole d'une vie future.

Pratiques et usages annamites. Dès que la femme an- namite sent son enfant remuer, elle s'empresse de l'annoncer, avec la plus vive satisfaction, à toutes ses voisines, en disant à chaque mou-

(1) Aimé Humbert, op. cit.

(2) Stricker et Dr Galliot, op. cit.

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vement du fœtus : Cô, côt « il va s'amusant ou plus exactement, il s'amuse en se balançant (1) ». Elle cherche aussitôt à connaître le sexe de l'enfant qu'elle porte dans son sein. « Elle y parvient, » raconte Paul Lefebvre (2), « au moyen de baguettes cueillies sur un jeune bambousier, auxquelles on adapte les pattes d'un coq ou d'une poule offertes en sacrifice. Ces baguettes se fixent aux murs de la maison, et, à certains signes caractéristiques, l'enfant se trouve être mâle ou femelle ».

L'Annam est riche en superstitions obstétricales. Ainsi la femme enceinte doit éviter, dansla conversation, toute allusion ayant rapport à une fausse couche ou à l'accouchement d'un enfant mort-né; pen- dant la durée de sa grossesse, il lui est interdit d'approcher de la demeure d'une femme en travail et d'assister aux cérémonies des demandes en mariage; sa présence, dans ces circonstances, porterait malheur.

L'Indo-Chine a, pour les accouchements, tout un olympe spé- cial dont les divinités sont fort respectées. A partir du mo- ment où sa grossesse est certaine, la femme invoque l'esprit des accouchements, Thap ni nuong, pour la conduire à son terme et lui donner des couches heureuses. Dès les premières douleurs, elle se met sous la protection des déesses accou- cheuses, qui sont les douze heures du jour et de la nuit pendant les- quelles l'enfantement est possible. Il arrive souvent que la sage- femme, abandonnant l'accouchement à la nature, se contente durant le travail d'unir ses prières à celles de la patiente : que nul accident survienne, elle ne manquera pas de vanter l'excellence de ses oraisons. Enfin, après la délivrance, on rend grâce au dieu de la médecine en brûlant à son intention des baguettes odoriférantes.

L'extrême Orient (3) a de plus imaginé une Mère des morts pré- maturées, quelque chose comme la Lilith des Hébreux. C'était, suivant la légende, une femme de haut rang qui, ayant perdu successivement six enfants, mourut en couches du septième. « Elle est représentée, » dit Paul Lefebvre (4), « vêtue de longs vêtements de deuil, et cachant ses enfants dans les plis de son manteau. Les endroits retirés et les campagnes solitaires sont les lieux qu'elle habite de préférence. Mal- heur à la jeune fille, malheur à la femme mariée qui fait la rencontre de ce lugubre fantôme au coin d'un bois, au détour du chemin, à cer-

(1) Dr Mondière.

(2) Souvenirs de l'Indo- Chine.

(3) Cette croyance semble répandue dans toute l'Asie orientale. [1) Loc. cit.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

taines époques de l'année! » Une autre superstition se rattache à cette croyance. Si une femme vient à accoucher d'un enfant mort-né, c'est la preuve que le mauvais esprit s'attache à elle et à sa descendance.

Fig. 425. Massage du ventre avec les pieds, d'après un croquis communiqué par le Dr Mondière.

Dans ce cas, on coupe l'enfant en plusieurs morceaux que l'on enterre séparément pour dérouter le génie de la mort. Les Annamites jettent les vêtements de la mère sur la voie publique, afin de les faire porter par une mendiante qui sera hantée par le mauvais esprit.

La femme annamite ne peut accoucher dans sa maison. Les gens

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aisés font construire dans leur cour, à proximité du logis prin- cipal, une petite maisonnette en bambous percée d'une porte et d'une fenêtre fort étroites ; quant aux femmes d'artisans, aux servantes, elles accouchent dans un appentis à ordures plus ou moins balayé. « J'ai vu, » dit le docteur Mondière, à qui nous empruntons ces ren- seignements, «j'ai vu de malheureuses filles couchant pour ainsi dire à la corde, et à qui, le moment de leurs couches venu, l'on faisait au milieu de la rue, avec cinq nattes trouées et huit vieux bambous, un

Fig. 426.

Annamite sur le brasier. Fac-similé d'une aquarelle faite par le peintre de la cour de Hué et communiquée par le Dr Mondière.

abri sous lequel elles enfantaient pour ainsi dire coram populo. » D'ailleurs l'installation ne peut être que sommaire, car la case, s'il y en aune, le sommier et les piquets de bambous doivent être détruits. Nous avons déjà donné les détails relatifs à la position que la femme annamite prend pour accoucher et au rôle que joue la ba-mu ou sage-femme dans cette circonstance (1).

(1)V. page 401, fig. 27G.

604 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Une fois le fœtus expulsé, on le laisse tranquillement sur la natte, tenant toujours au placenta par son cordon. « La ba-mu alors se lève s'accroche parles mains à une traverse du toit (fig. 425), pose un pied au niveau de l'ombilic et pèse de toute sa force de manière à aplatir la matrice et à la vider du placenta et des caillots ; la ma- nœuvre se répète de proche en proche jusqu'au niveau de la symphyse le pied agit avec la dernière violence, au point de disparaître en entier dans la cavité que lui fait sa pression.

« La ba-mu se baisse alors, relire avec les mains tout ce qui a pu rester engagé dans la partie antérieure du vagin, en tirant sur le tout, mais sans faire de recherches minutieuses. Elle répète encore une fois ou deux, si elle les juge utiles, ces pressions avec le pied pour chasser le reste des caillots, et puis laisse la mère pour s'occuper de l'enfant. Elle essuie celui-ci avec un chiffon sec, ensuite elle saisit le cordon à 1 centimètre de l'anneau et, par des pressions répétées, refoule son contenu, sang et gélatine de Wharton, sur une longueur de 15 centimètres environ du côté du placenta. Quand le dégagement du cordon lui semble suffisant, elle le coupe à petits coups et en sciant, avec sa lame de bambou, voire même à la rigueur avec un tesson de porcelaine. Elle pose alors vers la moitié de la longueur de la partie restante, c'est-à-dire à 6 ou 7 centimètres du nombril, une ligature de fil non ciré, entortille tout le cordon, 12 à 15 centimètres, dans un morceau de papier chinois, ciré ou verni, passe autour des reins de l'enfant une petite bande d'étoffe qui se noue par devant pour assujettir le tout. »

L'enfant, roulé dans un vieux chiffon (1), est quitte pour l'ins- tant des attouchements de la ba-mu. C'est le tour de la mère. La sage-femme se suspend encore à la traverse et piétine à nou- veau le ventre de la malheureuse pour en chasser les caillots. L'accouchée se retourne ensuite, et la même opération est pratiquée sur les épaules jusqu'au niveau des vertèbres lombaires. Enfin, pour remettre l'accouchée de toutes ces pénibles manœuvres, on lui fait boire un grand bol d'urine toute chaude, fournie par son mari ou, s'il est absent, par un jeune garçon, puis elle est essuyée tant bien que mal avec un linge trempé dans l'eau à la température ambiante ; elle se replace sur le dos, et on coupe de la natte et du vêtement tout ce qui a été taché de sang ou mouillé. Pendant et après le travail, des

(1) On a eu soin de mettre de côté les hardes les plus usées et les plus mal- propres pour envelopper l'enfant ; les Annamites prétendent que, sans cela, l'enfant serait malheureux dans l'avenir.

MOEURS ET COUTUMES 605

fourneaux pleins de charbon ou de bois sont restés allumés au-dessous de la claie (fig. 426) qui sert de lit à l'accouchée, assez ardents pour causer parfois aux fesses des brûlures du premier et même du second degré. Ce feu doit empêcher le refroidissement que l'on considère comme funeste aux femmes en couches. Nous avons déjà parlé de ce préjugé en Chine; mais, chez les Annamites, il est tellement enraciné que, quand une de ces malheureuses accouche dans la rue, la charité publique entretient du feu sous les quelques lattes qui lui ont servi de lit. Au-dessus de ces brasiers, sur cette claie, dans cette hutte, la femme restera vingt, trentejourssans rien manger que du riz à l'eau for- tement salé, sans selaver qu'un peu l'extérieur des parties génitales (1).

La sage-femme, ayant terminé, fait du placenta et des caillots san- guins un paquet qu'elle enveloppe dans les lambeaux des vêtements et de la natte coupés, parce qu'ils étaient tachés de sang. Elle place le tout, caché sous un peu de sable, près du fourneau, au pied du lit de la mère. Le soir, à la nuit faite, elle viendra prendre ce paquet et ira l'enterrer dans un endroit qu'elle seule doit connaître, sous peine de grands accidents pour la femme.

Elle revient alors à l'enfant : après lui avoir passé le doigt clans la bouche pour la débarrasser du sang et des mucosités qu'elle pourrait contenir, elle lui frotte le corps avec de l'eau-de-vie de riz, puis lui passe une petite veste de soie ou de coton et le couche sur le gril à côté de sa mère.

Ce n'est pas le lait de sa mère qu'il prend dans les deux premiers jours ; les voisines viennent deux ou trois fois par jour exprimer de leur lait dans une petite tasse; sinon, on envoie une femme étrangère à la famille quémander çà et du lait de femme, sous prétexte de lotionner les yeux d'un malade. Quant à donner le sein au nouveau-né, aucune étrangère n'y consentira si, au préalable, l'enfant n'a déjà teté sa mère. Ce serait s'exposer à une foule de maladies. « Je n'ai jamais pu, » ajoute le docteur Mondière, « avoir la raison de cette croyance qui, du reste, n'empêche pas les femmes annamites d'élever volontiers au même sein que leur enfant un petit cochon treizième d'une portée ». Vers la fin du deuxième ou du troisième jour, la mère commence à allaiter son enfant. En même temps, elle lui frotte le ventre avec du fiel de porc [mât heo), pour le préserver des coliques.

« Lachutedu cordonalieu, comme partout ailleurs, vers le cinquième

(l) Rien d'étonnant si, comme le constate le docteur Mondière, le nombre des décès est effrayant.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

jour. La sage-femme met sur la petite plaie qui résulte de cette chute du poivre en poudre fine, et, s'il se développe un peu d'inflammation, elle recouvre la partie avec une pommade formée de bile de porc et d'eau-de-vie de riz.

« Si l'enfant est robuste, on lui donne à manger vers le vingtième jour après sa naissance ; si, au contraire, il est chétif, on attend un mois ou six semaines. Cette première nourriture se compose d'eau

Fig, 427. Femme annamito portant son enfant Fig. 428. Cambodgienne portant son enfant sur la hanche. sur le bras gauche.

de riz épaisse et quelquefois même de riz cuit, avec un peu de poisson fumé, le tout mâché préalablement par la mère. Dans le peuple, l'enfant tette et mange ainsi tout ensemble pendant deux ans, en moyenne, à moins qu'il ne survienne une nouvelle grossesse chez la mère, ce qui est rare avant la fin de la seconde année (1). » Naturel- lement, dans la classe mandarine, il y a des nourrices mercenaires ; alors l'enfant tette à la fois sa mère et l'une des nourrices qui, souvent, donne en même temps le sein à un de ses frères plus âgé. Le docteur Mondière raconte avoir vu chez lui un garçon de huit ans,

(1) Dr Mondière, h c, cit.

MOEURS ET COUTUMES

607

parent du roi, qui, debout, s'en allait ouvrir la robe de sa mère et était obligé de se baisser pour atteindre le sein auquel il restait fixé pendant quelques minutes. Les enfants des Annamites ont la tête

Fig. 429. Domestique à Panama portant un enfant.

rasée ; ils sont complètement nus et portés à cheval sur la hanche de la mère ou de la nourrice (fig. 427), comme à Panama (fig. 429). Au Cambodge, les femmes portent les enfants sur le bras gauche (fig. 428). Nous avons vu qu'en Chine, comme au Japon, les enfants étaient ordinairement placés sur le dos de leur mère (fig. 405, 423). « La loi annamite ne semble pas reconnaître l'avortement simple

608 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

et, en tous cas, s'il est pratiqué avant la fin du troisième mois de la grossesse, tfest un simple accident. Elle ne s'en occupe que dans deux cas : quand une femme adultère, se trouvant enceinte à la suite de sa faute, et redoutant que son mari s'en aperçoive, se fait avorter au moyen de drogues, le marchand de drogues et la femme sont punis de cent coups et de l'exil à 2.000 lis ; si la femme s'est faitavorter seule, lapeine est,d'unemanière générale, de quatre-vingts coups et de deux ans de fers. Puis, vient une cause étrangère, c'est- à-dire en dehors de la volonté de la femme. Quand, par la suite d'un coup ou d'une blessure, quelqu'un détermine l'avortement d'une femme, le fait est considéré comme blessure ordinaire si la grossesse ne remonte pas à trois mois » (1).

Birmanie, Siam, Laos, Cambodge et Tonquin. L'u- sage d'exposer les nouvelles accouchées à un foyer plus ou moins ardent se retrouve dans presque toute l'Inde transgangétique, au Cambodge, en Birmanie, dans le royaume de Siam. Le procédé des Birmans diffère un peu de celui dont usent les Annamites ; ils allu- ment un feu qui répand une si grande chaleur que peu de gens bien portants pourraient la supporter. La malheureuse accouchée est étendue à côté de ce brasier ardent, nuitet jour, pendantune quinzaine.

En Birmanie, les femmes enceintes, vers les deux ou trois derniers mois de leur grossesse, se sanglent fortement la taille pour s'opposer au développement de l'utérus en hauteur; elles pensent ainsi abréger d'autant le chemin que doit parcourir l'enfant au moment de la nais- sance. Un usage ancien veut que le premier de l'an soit célébré par de grandes réjouissances publiques ; or, entre autres manifestations de la joie, on est autorisé à jeter de l'eau à tous les passants que l'on rencontre; les femmes enceintes sont seules respectées, et celles dont la grossesse n'est pas encore très visible n'ont qu'à faire un signe pour être obéies.

Après l'accouchement, la Siamoise se couche sur le côté, le ventre tourné vers un grand feu de bois (fig. 430). A quiconque la demande, on répond : « Elle est au feu.'y> De plus, pendant trois jours, elle ne se soutient qu'avec des épices excitantes^ elle ne peut sortir que le trentième jour. C'est encore le décubitus latéral qu'elle prend de pré- férence pour donner le sein (fig. 431).

Les femmes du Laos restent, elles aussi, exposées pendant un mois à une chaleur intense. Les Laotiens sont très superstitieux; pouréloi-

(1) Dr Mondière, loo. cit.

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gner les mauvais esprits et les maléfices des sorciers, on s'assemble dans la maison de l'accouchée, et, pendant un mois, on s'y divertit en y menant grand bruit. Cari Bock nous donne d'autres détails assez curieux :

« A la naissance d'un enfant, comme ils croient qu'il peut être le fils d'un esprit, ou bien celui de son père, la plus vieille femme de la famille porte le nouveau-né sous la vérandah de la maison, appelle l'esprit et secoue l'enfant, frappe le plancher... Si l'enfant reste coi, c'est l'enfant d'un esprit; si, au contraire, il crie, ce qui est la règle,

*• A.v. E . S IN « e ft . Korp e /> c.

Fig. 430. Siamoise après l'accouchement (Ploss).

il est bien le fils de son père. Pour éloigner aussi les mauvais génies, on donne à l'enfant un nom de chose malpropre ou désagréable... Si une femme meurt en couches ou pendant le mois qui les suit, son ca- davre ne doit pas sortir par la porte de la maison, mais par une ou- verture pratiquée dans le plancher et elle ne reçoit pas les honneurs de la crémation, même si elle était de famille royale. »

Dans le pays de Gia-Dinh, au Cambodge (1), dès que la femme est accouchée, on plante devant la. maison une longue perche à l'extré- mité de laquelle est attaché un bambou allumé. Si le côlé enflammé

(1) Aubaret, Description du pays de Gia-Dinh, et Paul Lefebvre, Faces jaunes.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 39

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

regarde la maison, il indique la naissance d'un garçon, s'il est tourné vers l'extérieur, ce qui est le cas le plus fréquent (1), il annonce une fille (2). Ce signe indique, en outre, l'entrée de la maison à toute femme qui a eu un accouchement laborieux ou qui est atteinte d'affections utérines, contractées à la suite des couches.

« Quand plusieurs bâtons parfumés, » dit Lefebvre, « se dressent

Fig. 431.

Siamoise allaitant son enfant.

ainsi devant la porte des maisons, se consumant tous à la fois, avec un mince filet de fumée odorante, ces plantations bizarres ont pour but de conjurer le sort et de chasser le mauvais esprit ».

La nouvelle accouchée ne peut reprendre ses occupations qu'à la fin de la quatrième semaine; jusque c'est le mari qui se livre exclu-

ci) En extrême Orient, contrairement à ce qu'on observe en Europe, il naît plus de filles que de garçons.

(2) La condition inférieure de la femme est consacrée mieux encore par la maxime suivante, du livre de la Sagesse (C/u-ku/i/) :

« Il naît un fils : II eBt posé sur [un lit, et enveloppé d'étoffes brillantes. On lui donne un demi-sceptre. On revêt d'étoffes rouges les parties inférieures de son corps. Le maître, le cbef, le souverain est né, on lui doit l'empire.

« Il naît une fille : On la pose à terre, on l'enveloppe de langes communs : on met auprès d'elle une toile (emblème du tissage de la toile, principale occupation des femmes). Il n'y a en elle ni bien ni mal. Qu'elle apprenne comment se prépare le vin, se cuisent les aliments : voilà ce qu'elle doit savoir. Surtout, il faut qu'elle s'efforce de n'être pas à cbarge à ses parents. »

MOEURS ET COUTUMES 611

sivement aux soins du ménage. A sa sortie, la première visite de la femme est pour la pagode elle va rendre grâce à la divinité des accouchements ; avant son départ, son mari a la précaution de la peindre des pieds à la tête avec du safran afin de la préserver des refroidissements.

Au Tonkin, d'après Pinabel, chez quelques peuplades sauvages, à la naissance de l'enfant, on lui met plusieurs grains de riz dans la bouche en disant : « Si tu viens du diable, que le diable t'enlève, si tu viens du ciel, que le ciel te protège ! » Ils étendent un filet près de la mère et de son enfant dans la crainte que le diable ne vienne en- lever le nouveau-né. La mère ne reste que cinq ou six jours exposée à la chaleur du foyer; après quoi, elle va se baigner à la rivière voi- sine.

Pratiques et coutumes africaines. Au Sénégal, après l'accouchement, les femmes restent sept jours à la case; mais quel- ques heures après la délivrance, elles reprennent leurs occupations journalières (1). L'habitude qu'elles ont de porter leurs enfants sur le dos (fig. 432) est facilitée par la saillie des fesses qui leur sert de point d'appui. Béranger-Féraud rapporte que, chez les diverses peuplades de cette région, le mari reste séparé de sa femme pendant toute la durée de la grossesse et ne peut remplir ses devoirs conjugaux qu'a- près le sevrage de l'enfant ; il est vrai que, durant cette période qui se prolonge quelquefois deux ou trois années, la femme l'autorise à patienter avec une concubine; mais elle la lui choisit elle-même, et il est probable que, pour ne rien perdre à la comparaison, elle se donne bien garde de prendre le dessus du panier. C'est du reste une coutume générale chez les sauvages, de voir les deux époux séparés l'un de l'autre jusqu'à l'époque du sevrage; c'est aussi ce qui explique l'universalité de la polygamie chez les peuples primitifs.

Dans la race ouolove, d'après 0. Rochebrune, on recueille avec soin le bout de cordon à sa chute, on le laisse dessécher et on le coud dans un morceau quadrangulaire d'étoffe, entre deux plaques de cuir plus ou moins ornementées, puis on le suspend au cou de l'enfant, comme gri-gri (dombo-boum), afin de le préserver des maladies. C'est une bulle romaine, mais assez malpropre. Nous avons signalé une coutume analogue dans la race jaune. Le même auteur ra-

(1) Cette coutume s'observait autrefois en Suisse, si l'on en croit Montaigne, qui, en parlant des femmes de ce pays, dit : « Vous leur veoyez aujourd'huy porter au col l'enfant qu'elles avoient hier au ventre. »

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

conte que lorsque les femmes ouoloves sont enceintes, elles se li- vrent avec frénésie à certaines danses tournantes, pour se faire avorter. Au Gabon, rapporte le Dr Huard, les matrones ont une manière assez singulière de remplacer la ligature du. cordon; après avoir coupé le cordon du nou- veau-né, elles saisissent entre deux doigts l'extrémité des vaisseaux, et refoulent l'enve- loppe membraneuse vers l'ombilic, elle forme une sorte de bourrelet qui comprime ceux-ci et rend inutile toute ligature.

Chez lesM'Bengas du Gabon, quand il naît deux enfants le même jour dans la tribu, on plante deux arbres de même âge et de même essence; si l'un ou l'autre de ces arbres vient à mourir ou à être brisé par le vent, c'est un signe qui annonce la mort prochaine de l'en- fant pour lequel l'arbre détru it a été planté (1) . Les femmes de la Côte d'Or (2), dès les pre- miers temps de la grossesse, sont conduites sur le bord de la mer des enfants les cou- vrent d'ordures; après quoi elles se baignent et se lavent avec soin. Les indigènes sont per- suadés qu'il arriverait malheur à quelqu'un de la famille si cette précaution n'était pas prise. L'accouchement a lieu devant un grand nombre de curieux des deux sexes ; la pa- tiente se garde bien de proférer aucune plainte de peur d'être tournée en ridicule par la trop nombreuse assistance qui l'entoure. Celle-ci ne se retire de la case qu'après la délivrance de la femme, pour lui per- mettre de dormir trois ou quatre heures, après lesquelles elle se lève et reprend ses occupations ordinaires. Le Konfor ou prêtre vient attacher sur différentes parties du corps de l'enfant des petits paquets d'écorce de l'arbre fétiche, qui passe pour un préservatif contre toutes sortes de maladies et de fâcheux accidents.

A la Côte des Esclaves, suivant Féris, les accouchements gémel- laires sont fréquents; si l'un des jumeaux meurt, le survivant con- serve une poupée en bois qui représente son frère ; le plus souvent,

Fig. 432. Sénégalaise portant un enfant.

(1) Duloup, Revue d? ethnographie, 1883. {!) Histoire générale des voyages, t. XV.

MOEURS ET COUTUMES

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il la porte attachée derrière le dos. En revanche, on tue tout enfant venant au monde avec des dents.

Au Bénin, nous l'avons dit, la naissance des jumeaux est célébrée par des réjouissances publiques, et le roi fournit à l'un des enfants

Fig. 433. Bain après l'accouchement, en Guinée, d'après Picard.

une nourrice ; c'est ordinairement une femme qui vient de perdre son enfant. Dans la ville d'Arebo, dépendant du même royaume, les mères qui mettent au monde des jumeaux sont, au contraire, sacri- fiées avec leurs enfants. Le mari, il est vrai, est libre de racheter sa femme, en offrant une esclave à sa place; mais les enfants sont lou-

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

jours égorgés sans pitié; un grand nombre de femmes, par crainte de cette loi barbare, vont accoucher dans les pays voisins. Artus nous

Fig. 434. Accouchement en Guinée, d'après Picard.

apprend (I) qu'au Bénin, on pratique, sur le corps du' nouveau-né, trois grandes incisions, depuis les épaules jusqu'au nombril; c'est sans doute une marque distinclive comme à Biafra, l'on a cou- tume de brûler le front avec un fer rouge, pour faire une cicatrice qui

(1) Daniell, Desc. qt Guinea.

MOEURS ET COUTUMES 615

permet aux guerriers de se reconnaître dans les combats. Les habi- tants du Bénin pensent que sept jours après l'accouchement, tout danger a disparu pour la mère et l'enfant, aussi le père manifeste-t-il sa joie par une petite fête de famille et, dans l'espoir de bien disposer les esprits à l'égard des siens, il expose sur les chemins qui avoisinent sa case, quantité de liqueurs et d'aliments à leur intention.

En Guinée, comme d'ailleurs dans la plupart des peuplades sau- vages, aussitôt après la délivrance, la femme va laver son enfant dans la rivière (fig. 433). De retour à sa case, elle reçoit la visite des habitants de la tribu (fig. 434) qui, en signe de joie, entonnent un chant monotone accompagné de claquements de main cadencés, et s'enivrent abominablement.

Au Loango (1), lorsque le mari a quelque raison de soupçonner la fidélité de sa femme devenue enceinte, on fait subir à un esclave l'épreuve du poison. S'il meurt, la femme est brûlée vive, et son amant prétendu est enterré vif. Ces deux malheureux, comme on le voit, sont à la merci des prêtres qui préparent la boisson d'é- preuve.

Heureux les Ouatatourous, s'ils connaissent leur bonheur ! M. Du- trieux nous apprend que, dans cette tribu fortunée, une belle-mère ne se permettrait pas de parler à son gendre ni même de le regarder. Si elle désire lui faire une communication quelconque, elle lui tourne le dos et s'adresse à lui par l'intermédiaire d'un tiers. « Les peuples sauvages,» fait observer à ce sujet le Dr Cyrnos, « ont trouvé un moyen assez curieux d'assurer leur tranquillité domestique. Que d'es- prits mal faits, dans nos pays civilisés, seraient tentés de faire à cet égard l'essai loyal des mœurs africaines ! »

Les guerriers Zoulous, au dire de Hoberland, doivent rester céli- bataires, et il leur est enjoint d'extraire du sein de leur mère les en- fants qu'ils pourraient avoir. Les nègres de l'intérieur de l'Afrique ont aussi l'habitude de faire avorter, par des coups de poing sur l'ab- domen, la femme qui devient enceinte pendant qu'elle allaite encore.

Quand une Hottentote est sur le point d'accoucher, le mari se retire et va prévenir la sage-femme, que chaque kraal doit entretenir à ses frais. Si le travail se ralentit, on donne à la femme une décoction de tabac dans du lait. L'accouchement se fait sur un krais ou mante qui sert aux femmes pour cet office et que l'on enterre aussitôt après la délivrance, dans la crainte de quelque sortilège. Dès que l'enfant est venu au monde, on commence par le coucher à terre sur la peau de

(1) Histoire générale des Voyages,X.YI.

616 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

quelque animal, après avoir lié le cordon avec une artère de mouton; on lui frotte ensuite tout le corps avec de la fiente de vache, et on l'expose ainsi dans la campagne aux injures de l'air.

Le soleil dessèche peu à peu les ordures dont l'enfant est couvert, et les convertit en une croûte difficile à enlever. Les femmes lavent alors le corps du nouveau-né avec le jus de certaines feuilles, broyées entre deux pierres. Après quoi, elles l'enduisent de graisse de brebis ou d'agneau, et le saupoudrent de bukku. Les parents lui donnent ensuite le nom de quelque animal, âne, bœuf, cheval, etc., dont les qualités sont louables aux yeux des Hottentots. Si une femme accouche d'un enfant mort, le mari est forcé de se purifier avant d'être admis de nouveau dans la société des hommes. Nous avons déjà parlé du sort des jumeaux, nous n'y reviendrons que pour décrire, d'après Corre, la bizarre méthode employée par les Hottentots pour faire la castration d'un testicule sur les garçons, vers l'âge de neuf à dix ans, opération qu'ils pratiquent dans la crainte ils sont de pro- créer des jumeaux, s'ils ont deux testicules :

« Le jeune homme, après avoir été frotté de graisse fraîche de mouton, est étendue terre, sur le dos, les pieds et les mains liés; ses amis se couchent sur lui pour le rendre immobile. Dans cette situa- tion, l'opérateur lui fait, avec un couteau, une ouverture au scrotum, d'un pouce et demi de largeur. Il fait sortir le testicule et met à la place une petite boule de la même grosseur, composée de graisse de mouton et d'un mélange d'herbe pulvérisée; ensuite il recoud la bles- sure avec un petit os d'oiseau aussi pointu qu'une alêne ; une artère de mouton sert de fil. Cette opération se fait avec une adresse qui surprendrait nos plus habiles anatomistes, et jamais elle n'a eu de suites fâcheuses. Lorsqu'elle est achevée, l'opérateur recommence les onctions avec de la graisse de mouton qu'on a tué pour la fête. Il tourne le patient sur le dos, sur le ventre, comme un cochon de lait qu'on disposerait à rôtir : enfin il urine sur toutes les parties du corps et le frotte soigneusement de son urine. Après cette monstrueuse cérémonie, le jeune homme se traîne dans une petite hutte bâtie exprès pour cet usage; il y passe deux ou trois jours, au bout des- quels il sort parfaitement rétabli » (1).

Chacun sait que la Vénus Holtentote a les seins très développés: « Rien n'est plus commun, dit Topinard au sujet des Hottentotes, que la description, par les voyageurs, de négresses rejetant leurs seins

(1) Verrier, De V accouchement comparé dans les races humaines.

MOEURS ET COUTUMES

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sur leurs épaules, pour allaiter un enfant suspendu sur leur dos (1) ;

Fig. 435. Femme boschimane allaitant son enfant.

une femme boschimane (fig. 435), examinée par Flower et Murrie, les faisait rejoindre en arrière au-dessus delà région fessière. »

(i) Les Boschiruanes se distinguent encore des autres négresses par la longueur de leurs petites lèvres qui atteignent 15 à 18 centimètres de long et prennent le nom de Tablier des Hottentotes, L'allongement de ces replis muqueux est d'ailleurs la règle dans la race nègre et est considéré comme un agrément. « On dit, » raconte le Dr Corre, « que la reine de Madagascar est très fière de la longueur de ses nym- phes, et que, dans ses moments de repos, elle entretient de jeunes esclaves chargées de la singulière mission de les tiraillerafin de leur donner encore plus de longueur. »

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Une femme cafre qui oserait crier en accouchant serait déshonorée, répudiée par son mari, reniée de sa famille. On prétend d'ailleurs qu'en ce pays l'enfant vient au monde sans pousser de cri; serait-ce en raison de la faible différence entre la température de la mère et celle de l'air extérieur? Aussitôt après la naissance, on procède

Fig. 436. Purification et exposition des enfants, chez les Cafres, d'après Picard.

à une sorte de purification (fig. 436) ; s'ils remarquent quelque défaut sur le corps de l'enfant, ils l'exposent, comme autrefois à Rome.

Les Nubiennes, une fois l'accouchement terminé, sont lavées trois ou quatre fois par jour avec une décoction amère de graines de garad ; elles se reposent sept jours.

A la naissance de chaque enfant mâle, chez les Chaykyes, on

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mange en famille un mouton tout entier, dont on conserve les os dans un sac pendu au plancher. Cailliaud (1) a vu jusqu'à cinq de ces sacs suspendus dans la même habitation, qui attestaient que la maîtresse de la maison avait donné le jour à cinq garçons.

« Les nègres du Soudan occidental et du centre de l'Afrique se sont toujours opposés », raconte le Dr Verrier d'après Archibald Hervan, « à ce que leurs femmes et leurs filles missent des robes qui leur cachassent le sein, dont la turgescence et la coloration du mamelon leur permettent de se rendre compte, par la vue, du commencement d'une grossesse ». Dans la région soudanienne que Felkin (2) appelle le district du mahdi, « aussitôt qu'une femme sent qu'elle est près d'accoucher, elle s'abstient de viandes et se met à manger beaucoup de légumes ; elle nettoyé sa hutte, confie les enfants à des voisines,

&- o.^'^:

Fig. 437. Accouchement en musique chez les Nyam-Nyam.

puis quand le travail commence, elle marche des heures entières. Chez les Nyam-Nyam, les femmes sont autant que possible délivrées auprès d'une eau courante. Accompagnée de ses amies, la patiente se met à la recherche d'un endroit retiré et s'installe sur un tronc d'arbre, pendant que tout son entourage joue du tambour ou sonne avec une espèce de cornet (fig. 437). Aussitôt après la naissance, l'enfant, dont le cordon est coupé immédiatement, est plongé dans l'eau ».

(1) Voyage à Méroé.

(2) D'après sa communication faite à YEdimb. mcd. Journ. (avril 1884) et traduite dans la France médicale par le Dr Bouclier.

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Au pays de Bongo, c'est un usage de conduire au bain la mère et l'enfant aussitôt après la délivrance. Une bande d'amis poussant des cris joyeux les accompagne, et une femme qui danse en tête, après avoir détaché le placenta, le jette dans le courant du fleuve, aussi loin que possible.

Chez les Wanickas et dans d'autres tribus du centre, on pratique la section du cordon avec des couteaux de silex emmanchés sur des cornes de vache d'une forme originale. Ces cornes ont un autre usage, elles servent encore de verre à ventouse que l'on applique sur diffé- rentes parties du corps de l'accouchée, préalablement scarifiées à l'aide du même couteau en silex, pour en retirer le mauvais sang.

En général, dans l'Afrique centrale, les hommes n'assistent pas aux accouchements. « Chose singulière », ajoute Felkin, « moins la tribu est vêtue, plus la conduite est décente en cette circonstance. Ainsi, dans l'Uganda, la loi punit de mort tout adulte qui se pro-

Fig. 438.— Mamelons d'une négresse de Loango.

mènerait nu. Quand la femme est en travail, ses amies chantent un air lent et plaintif, encourageant la patiente de toutes les façons pos- sibles. Le cordon est coupé à 4 pouces du corps de l'enfant avec un couteau de pierre, quelquefois aussi il est rompu par traction. Vient- il à saigner, une femme le saisit dans sa bouche et le mordille jusqu'à ce que l'hémorrhagie se soit arrêtée. Dans aucun cas, je n'ai vu pra- tiquer la ligature. Le placenta est brûlé en dehors de la hutte de côtés différents, suivant qu'il s'agit d'un garçon ou d'une fille.

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« Quand la délivrance a eu lieu, l'accouchée, conduite auprès d'un grand feu, est étendue sur des fourrures, et le vernis caséeux est enlevé avec beaucoup de précautions du corps de l'enfant, qui est ensuite frictionné avec de l'huile et enveloppé dans une peau moel- leuse, avant d'être présenté à son père et aux amis de la famille. Une heure environ après la naissance, on lui donne le sein, et, pour faci- liter l'allaitement, les femmes de presque toutes les tribus d'Afrique ont coutume, pendant les quelques jours qui précèdent l'accouche- ment, d'exercer des tractions et des tiraillements sur le mamelon (fig. 438). Puis trois ou quatre jours se passent et la mère reprend ses occupations habituelles, non sans être restée un certain temps à la porte de sa hutte pour recevoir les félicitations de toutes ses com- pagnes. Pendant une semaine et plus, elle est obligée de vivre seule- ment de légumes et elle doit rester six mois sans avoir de rapports avec son mari. L'enfant est nourri au sein pendant deux ans. »

Fig. 439. Une opération césarienne à Kahura.

Ce même pays de l'Uganda est le seul de toute l'Afrique centrale l'on pratique l'incision abdominale, dans l'espoir de sauver à la fois la mère et l'enfant. « Exécutée,» continue Felkin, «par des hommes de la tribu, cette opération est quelquefois suivie de succès, et j'eus l'occasion d'en constater un en 1879 à Kahura. L'instrument employé est représenté figure 440. Il s'agissait d'une femme très jolie pour une négresse, et en parfait état de santé, âgée d'environ vingt ans^ pri- mipare. J'arrivais tout justement dans la hutte au commencement de l'opération et l'on ne me permit pas de l'examiner. A côté de la patiente, déjà à moitié ivre et entièrement nue, était une cer- taine quantité de vin de bananes ; une bande de mbugu, étoffe

622

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

résistante faite avec l'écorce des arbres, lui fixait le thorax sur sa couche, un autre lui maintenait les cuisses et un assistant immobi- lisait les pieds, tandis qu'à droite un aide tendait la peau de l'abdo- men. L'opérateur, le couteau levé, placé à gauche du lit, marmotta d'abord une invocation. Cette cérémonie préliminaire accomplie, il arrosa abondamment le ventre de la femme et ses mains, avec du vin de bananes et de l'eau; puis ayant poussé un cri perçant, répété par la foule qui se tenait en dehors de la hutte, il fit une

Fig. 440. Couteau d'un magicien pour faire l'opération césarienne.

Fig. 441. Suture de la paroi abdo- minale après l'opération césarienne.

rapide incision étendue du pubis au niveau de l'ombilic et un peu au-dessous. Les parois de l'abdomen et de l'utérus ayant été traver- sées, le liquide amniotique s'écoula en dehors et, quelques vaisseaux donnant du sang, un des assistants arrêta l'hémorrhagie avec un fer rouge. L'opérateur finit ensuite de sectionner l'utérus, pendant qu'un aide écartait les bords de la plaie avec les doigts recourbés en cro- chets. L'enfant fut enlevé, donné à des personnes de l'assistance après que le cordon eut été coupé, et l'accoucheur, laissant tomber son couteau, empoigna l'utérus à deux mains, en le serrant à plu- sieurs reprises de toutes ses forces. Alors, enfonçant le bras droit dans la cavité du corps par l'ouverture, il alla avec deux ou trois

MOEURS ET COUTUMES 623

doigts dilater le col, ramenant des caillots et le placenta, pendant que les aides essayaient d'empêcher la masse intestinale de faire hernie à travers la blessure. Un fer rouge fut appliqué pour ar- rêter toute hémorrhagie, mais très rapidement, pendant que le chirurgien en chef exerçait sur l'utérus une compression qu'il con- tinuait jusqu'à contraction parfaite. Aucune suture ne fut faite à ce moment, et l'aide qui avait tendu la peau au commencement de l'opé- ration, plaça ses mains aux extrémités de la plaie sur laquelle on étendait un carré d'herbes tressées. Les bandes d'étoffe qui rete- naient la femme furent coupées, on la porta vers le haut du lit, puis, les assistants, la prenant dans leurs bras, la retournèrent de façon à faire écouler tout le liquide que pouvait contenir la cavité abdomi- nale. Elle fut ensuite replacée dans la première position et le carré d'herbes tressées ayant été enlevé, les bords de la plaie, la peau et le péritoine furent soigneusement adossés au moyen de sept pointes bien polies, comme des épingles à acupressure et réunies ensuite par une ficelle (fig. 441). Une pâte composée de deux racines différentes, préparée par la mastication et recueillie ensuite dans un vase, fut appliquée en guise d'emplâtre sur la blessure, par dessus une feuille de bananier préalablement chauffée, et enfin une bande solide de mbugu.

« Jusqu'au moment les pointes furent enfoncées, la patiente ne poussa pas le moindre cri, et une heure après l'opération, elle sem- blait tout à fait à l'aise. Sa température ne s'éleva jamais au-dessus de 99°, 6 Farenheit (37°,5), excepté la nuit qui suivit l'opération elle fut à 101° F., son pouls étant 108.

« L'enfant fut mis au sein deux heures après l'opération, mais au bout d'une dizaine de jours, le lait manquant, il fut nourri par une autre femme de la tribu. La plaie fut pansée le matin du troisième jour et une des pointes enlevée. Le cinquième jour, trois autres pointes furent retirées et le reste le sixième. A chaque pansement, de la pulpe fraîche était appliquée et, avec un petit tampon de la même pulpe, le pus essuyé, puis un bandage très solide était toujours remis par dessus le tout. Neuf jours après l'opération, la blessure était cicatrisée et la femme paraissait entièrement rétablie. L'écoulement vaginal était normal; quant à l'enfant, il avait reçu une très légère blessure sur l'épaule droite, elle fut pansée avec la pulpe et guérit en quatre jours. »

Colons et indigènes d'Amérique. Buffon raconte que les femmes des Esquimaux, tout comme les Hottentotes, donnaient

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

le sein par dessus les épaules, coutume qui serait peu pratique en des climats aussi froids. Ce qui a pu causer l'erreur, c'est que l'enfant demeure enfermé deux ou trois ans derrière le dos de sa mère, dans une espèce de capuchon fort ample, qui permet à la mère de faire passer l'enfant par dessous les bras jusque sur la poitrine et de lui donner le sein, sans le tirer de son sac (fig. 442). Les femmes des Chipiouyans allaitent aussi leurs enfants de la

Fig. 442. Esquimaux de la péninsule Melville.

môme façon et portent, à cet effet, des camisoles très amples par le haut. Elles ont, comme dans beaucoup d'autres peuplades, l'étrange coutume, à la naissance de leur enfant, de couper un morceau du cordon, et de le porter attaché à leur cou dans un sachet qu'elles ornent de piquants de porc-épic et de grains de verroterie.

Au Canada, les courses sont longues; obligées de porter leurs enfants, les femmes canadiennes les emmaillotent dans un petit berceau ils ne peuvent remuer ni bras ni jambes; ce berceau est

MOEURS ET COUTUMES

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ensuite emboîté dans une sorte de hotte élevée (fîg. 443), dont elles se passent les courroies autour des épaules ; ainsi chargées, elles cheminent lestement. Le dos du nourrisson est appuyé contre la' mère; sa figure est au grand air. La hotte est détachée aux stations et posée contre un arbre, contre une pierre, ou accrochée à une branche. Les mères mettent la plus grande coquetterie à bien décorer leur panier à poupon : il est artistement tressé et les courroies en sont soigneusement travaillées.

La fécondité des Canadiennes est proverbiale dans le Nouveau-

Fig. 443. Berceaux canadiens.

Monde. D'après une vieille coutume, le vingt-sixième de toute ré- colte appartient au prêtre canadien. Le vingt-sixième enfant de chaque famille appartient donc au prêtre qui le prend dès sa naissance et l'élève à ses frais. Il n'est pas dans tout le Bas-Canada un seul vil- lage dont le curé n'ait, de la sorte, trois ou quatre enfants chez lui. Celte fécondité n'étonnera personne quand on saura que les Acadiens réfugiés il y a deux siècles dans l'île d'Anticosti, ils fondèrent 400 foyers, représentent actuellement une population de 125,000 âmes. Suivant le docteur Coates, de Puebla, quand le placenta tarde trop

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

1)

G 26

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à sortir, les Espagnoles du bas-peuple mexicain avalent un verre de savon, qui produit des vomissements toujours suivis de l'expulsion de l'arrière-faix. Chez les Indiens de l'Est, si le travail est trop labo- rieux, la sage-femme souffle une préparation spéciale dans la bouche de la patiente pour la faire vomir (fig. 444). Les Gros-Ventres activent l'accouchement, en faisant éternuer la patiente avec une poudre spé- ciale, et, si l'effet se fait attendre, ils administrent un vomitif. Certaines tribus indiennes, dans les cas de délivrance tardive, provoquent le

*ïx.

Fig. 444. Sage-femme kiowa soufflant une poudre émélique dans la bouche de la patiente.

vomissement avec le doigt ; d'autres font avaler à la patiente une grande quantité de fèves sèches qui, sous l'influence des sucs de l'estomac, augmentent considérablement de volume et exercent une compression interne sur le fond de l'utérus. Ces moyens ne sont em- ployés que lorsque le massage abdominal, comme on l'observe chez les Penimonees (fig. 445), n'a pas donné de résultats. On remarquera que la méthode par expression de Kristeller (fig. 446), est en tout semblable à celle qui est mise en pratique par ces primitifs.

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Dans son Voyage en Amérique, Chateaubriand décrit ainsi les cou- tumes des Peaux-Rouges : « Vers la fin du neuvième mois de sa

F:g.445. Massage employé par les Penimonees pour la délivrance (Engelmann).

grossesse, la femme se retire à la hutte des purifications elle est

Fig. 44G. Méthode par expression de Kristeller.

assistée par les matrones. Les hommes, sans en excepter le mari, ne

628 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

peuvent entrer dans cette hutte. La femme y demeure trente ou qua- rante jours après ses couches, selon qu'elle a mis au monde une fille ou un garçon.

« Lorsque le père a reçu la nouvelle de la naissance de son enfant, il prend un calumet de prix, dont il entoure le tuyau avec des pampres de vigne vierge, et court annoncer l'heureuse nouvelle à tous les membres delà famille. Il se rend d'abord chez les parents maternels, parce que l'enfant appartient exclusivement à la mère. S'approchant du sachem le plus âgé, après avoir fumé vers les quatre points car- dinaux, il lui présente la pipe en disant : « Ma femme est mère. » Le sachem prend la pipe, .fume à son tour et dit, en ôtant le calumet de sa bouche : « Est-ce un guerrier ? » Si la réponse est affirmative, le sachem fume trois fois vers le soleil ; si la réponse est négative, le sachem ne fume qu'une fois. Le père est reconduit en cérémonie plus ou moins loin, selon le sexe de l'enfant. Un sauvage devenu père prend une tout autre autorité dans la nation; sa dignité d'homme commence avec sa paternité.

« Après les trente ou quarante jours de purification, l'accouchée se dispose à revenir à sa cabane : les parents s'y rassemblent pour imposer un nom à l'enfant. On éteint le feu ; on jette au vent les anciennes cendres du foyer ; on prépare un bûcher composé de bois odorants. Le prêtre ou jongleur, une mèche à la main se tient prêt à allumer le feu nouveau. On purifie les lieux d'alentour en les asper- geant avec de l'eau de fontaine. Bientôt s'avance la jeune mère; elle vient seule, vêtue d'une robe nouvelle ; elle ne doit rien porter de ce qui lui a servi autrefois. Sa mamelle gauche est découverte; elle y suspend l'enfant complètement nu ; elle pose le pied sur le seuil de la porte. Le prêtre met le feu au bûcher; le mari s'avance, et reçoit son enfant des mains de sa femme. Il le reconnaît d'abord et l'avoue à haute voix. Chez quelques tribus, les parents du même sexe que l'enfant assistent seuls aux relevailles. Après avoir baisé les lèvres de son enfant, le père le remet au plus vieux sachem; le nouveau-né passe ainsi entre les bras de toute la famille : il reçoit la bénédiction du prêtre et les vœux des matrones.

« On procède ensuite au choix d'un nom : la mère reste toujours sur le seuil de la cabane. Chaque famille a ordinairement trois ou quatre noms qui reviennent tour à tour ; mais jamais il n'est question que de ceux du côté maternel. Selon l'opinion des sauvages, c'est le père qui crée l'âme de l'enfant, la mère n'en engendre que le corps : on trouve juste que le corps ait un nom qui vienne de la mère. Quand on veut faire un grand honneur à l'enfant, on lui confère le nom le plus ancien

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dans sa famille : celui de son aïeule, par exemple. Dès ce moment, l'enfant occupe la place de la femme dont il a recueilli le nom ; on lui donne, en lui parlant, le degré de parenté que son nom fait revivre : ainsi un oncle peut saluer un neveu du titre de grand"1 mère.

« Après l'imposition du nom, la mère entre dans la cabane ; on lui rend son enfant qui n'appartient plus qu'à elle. Elle le met dans un berceau. Ce berceau est une petite planche du bois le plus léger qui porte un lit de mousse ou de coton sauvage : l'enfant est déposé tout nu sur cette couche; deux bandes d'une peau moelleuse l'y retiennent et préviennent sa chute, sans lui ôter le mouvement. Au-dessus de la tête du nouveau-né est un cerceau sur lequel on étend un voile pour éloigner les insectes et pour donner de la fraîcheur et de l'ombre à la petite créature. » Tout cela est superbement dit ; malheureusement, avec Chateaubriand ilfaut toujours faireuneforte part à l'imagination.

Ce qui est certain c'est que, tout au contraire des Asiatiques, chez qui on peut observer une répugnance marquée de la part de l'époux à secourir sa moitié, les Peaux-Rouges aident leurs femmes en travail avec la plus grande sollicitude. Ils offrent cependant un trait de res- semblance avec les indigènes de nos colonies asiatiques ; si l'on en juge par les Peaux-Rouges que nous avons vus au Jardin d'acclima- tation, ils enterrent le placenta à l'endroit même l'accouchement a eu lieu. La coutume suivante semble aussi importée d'Asie. Le docteur Reeve, dans les Comptes rendus de la Société gynécologique d'Amérique de 1881, raconte que, chez les aborigènes de l'Ohio, aussitôt que l'enfant est né, le père urine dans un vase et lui fait prendre quelques gorgées de ce liquide.

Chez les Comanches, d'après la relation du Dr Forwood, rapportée par Engelmann (1), pendant qu'une femme accouche, le sorcier de la tribu chasse les esprits malfaisants par des cris sauvages, des danses autour d'un foyer ardent et des jongleries avec des couteaux; quand l'enfant vient au monde, il semble tirer quelque chose de son estomac en faisant des mouvements de déglutition, puis il lui souffle dans la bouche, avec force, comme s'il faisait pénétrer ce quelque chose dans le corps du nouveau-né. Si le travail est laborieux, la patiente est conduite en plaine : un guerrier enfourche un cheval fougueux et se dirige à toute vitesse sur la parturiente, mais, arrivé auprès d'elle, il tourne la bride de côté et l'évite (fig. 447). Cette pratique bizarre, par la peur qu'elle provoque serait souveraine pour déterminer l'expul- sion rapide du fœtus.

(1) Loc. cit.

630

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Une coutume analogue a été observée par le P. Charlevoix : il dit, dans son Histoire de la Nouvelle France, que quand une Indienne de l'Amérique du Nord a un accouchement difficile, on réunit en silence

les jeunes gens autour de la case de la patiente, puis, à un signal donné, et, sans que la femme s'en doute, ils poussent des cris effroya- bles ; souvent la peur termine l'accouchement. Cette pratique rappelle la fusillade faite à la porte de l'accouchée, en Sibérie.

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Il est du reste fréquent chez les peuples primitifs, de les entendre faire un bruit infernal autour de l'accouchée, comme nous l'avons vu dans le centre de l'Afrique, pour en chasser les mauvais esprits. C'est en particulier ce qui se passe, d'après Orélie-Antoine Ier, chez les Araucaniens, les indigènes se tiennent autour de la case de la patiente et font entendre un concert assourdissant de cymbales. Une coutume analogue s'observe dans la tribu des Umpguas. Le Dr Vol-

Fig. 448. Le percement de l'oreille des enfants chez les Patagons.

lum, appelé pour délivrer la femme d'un chef de cette tribu, assista à la scène survante dont il communiqua le récit à Engelmann (1). « La patiente était dans une case grossièrement construite de fatras et de bois amenés par les eaux. Cette case était remplie d'hommes et de femmes qui s'étouffaient. L'odeur repoussante de la sueur, de la fumée, et l'odeur infecte de l'huile de baleine, rendaient cette case inhabitable au bout de quelques minutes. La femme en couches, au milieu de cette cohue, était toute nue, à l'exception d'une mauvaise couverture jetée sur ses hanches. Une vieille femme lui soutenait la

(1) Loc. cit.

632 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

tête et les épaules sur ses genoux, tandis qu'une autre femme, de cha- que côté, lui maintenait fortement les cuisses contre le bassin, tout en manipulant l'utérus par en bas d'une manière brutale avec les poings fermés. Une autre femme, assise entre les genoux, les mains sous la couverture, attendait l'arrivée de l'enfant.

« La foule dans la case, pendant ce temps-là, faisait un tapage in- fernal en criant, hurlant, tapant sur des casseroles de fer-blanc et frappant au plafond avec des perches. De temps en temps une des femmes assistant la patiente lui faisait des passes magnétiques et l'aspergeait de gouttes d'eau, comme les blanchisseuses chinoises le font pour le linge. »

Les Patagons ont aussi l'habitude de faire le même charivari au- près des femmes en travail. Ils ont, de plus, la coutume singulière de perforer le lobule de l'oreille à leurs enfants, en les couchant sur un cheval renversé par le chef de la famille (fîg. 448). Cette opération est une véritable solennité analogue à celle du baptême ; elle s'effectue au moment du sevrage de l'enfant, c'est-à-dire vers sa quatrième année.

Chez les Cheyennes, les Araphahoes, les Apaches de l'Est et chez beaucoup d'autres tribus indiennes, la femme, près de son terme, se cache dans les bois. Un Anglais, rapporte le D1* Legros, d'après les Voyages de Long, demanda était la femme d'un Indien : « Elle est allée sans doute dans le bois tendre un piège à une perdrix, » lui répon- dit-on. Un instant après, la femme revient avec un nouveau-né qu'elle présente à l'Anglais en lui disant : « Monsieur, voici un jeune guerrier. »

A Haïti, d'après le Dr Muller, pendant la grossesse, on maintient le ventre et la taille fortement bandés avec une serviette très ten- due, pour empêcher l'enfant de remonter et de manger les aliments contenus dans l'estomac de la mère. Au moment de l'accouche- ment, on relâche peu à peu la serviette par en bas pour faciliter sa sortie.

Wafer raconte, dans son Voyage à l'isthme, que les Indiennes du pays, aussitôt après la délivrance, sont portées à la rivière sur le dos d'une autre femme, et qu'après quelques ablutions elles retournent à leurs travaux. Le cordon est coupé avec une sorte de couteau en bam- bou. Durant les premiers mois, ajoute-t-il, l'enfant est attaché sur une planche, ou plutôt sur une pièce de bois refendu, et on l'emmail- lote avec ce bois, sur lequel il a le dos appuyé.

Les femmes des Chimehwhuebes, à défaut de linge, enveloppent leurs nourrissons jusqu'à un certain âge, dans des bandes d'écorce, et les portent ainsi partout avec elles.

MOEURS ET COUTUMES 633

Au temps Cbamplain vint en Amérique, les indigènes liaient déjà leurs enfants sur une planche bien unie et les enveloppaient dans une simple fourrure en castor ou les emmaillotaient avec de larges lanières de peau. Pour les préserver du contact de leurs excréments, on pla- çait entre leurs cuisses une feuille de blé d'Inde ou une gouttière d'écorce de bouleau.

Les Moxos, dans les Andes de Bolivie, ont des coutumes assez barbares : si la femme vient à avorter, le mari la tue ; si elle meurt en couches, cet étonnant père de famille enterre le nouveau-né; enfin, si elle enfante deux jumeaux, elle enterre, elle-même, l'un d'eux, al- léguant pour raison que deux enfants ne peuvent être nourris par la même femme.

Autrefois, chez les indigènes brésiliens, le père coupait le cordon avec ses dents, lavait l'enfant et le peignait de rouge et de noir. Raynal prétend même que les Topinambous et les Tapuyas d'Amé- rique, après la délivrance, se régalent avec les enveloppes fœtales et le cordon ombilical.

M. le Dr Boussenard a communiqué à la Revue scientifique des dé- tails bien curieux sur la parturition des femmes Galibis qui habitent dans les Guyanes française et hollandaise, sur les rives du Maroni. « Quand la femme ressenties premières douleurs, elle quitte sa hutte, se traîne vers la crique la plus rapprochée, s'accroupit sur le sol et attend, sans pousser une plainte, l'instant de la délivrance.

« Les douleurs paraissent être fort vives, mais leur durée dépasse rarement deux heures. Aussitôt que l'enfant a poussé son premier vagissement, la mère, qui dans ce douloureux moment n'a eu per- sonne pour l'assister, se plonge dans les eaux glacées de la crique, se baigne largement, baigne son nouveau-né et reprend le chemin de sa primitive demeure.

« Cependant, les commères se pressent tumultueusement autour de la maison de laquelle s'échappent d'effroyables vociférations. Le mé- decin indigène frappe à tour de bras sur un tambour pour chasser le malin esprit. Nul ne semble faire attention à l'accouchée qui, à peine rentrée dans son humble réduit, couche l'enfant dans son hamac de coton et se met en devoir de prodiguer des soins à un autre person- nage qui hurle et se démène dans un autre hamac. Ce personnage n'est autre que le mari !... Elle lui prépare un breuvage réconfortant appelé maléte\ remplaçant probablement « la rôtie au vin de l'ac- couchée » que prescrivent nos Lucines campagnardes (1). Le Peau-

(1) V. page 532, ce que nous avons déjà dit de la eouvade.

634 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Rouge absorbe sa drogue, pousse de nouveaux gémissements, et s'endort au milieu d'une fumée épaisse produite par la combustion d'herbes odorantes, répandues à profusion par la femme sur le sol de la hutte. Puis elle vaque, comme par le passé, aux soins du mé- nage et accomplit, sans la moindre défaillance, les rudes corvées imposées par sa condition. Pendant dix jours consécutifs, le mari se fait ainsi dorloter sans quitter un moment sa couche, se lamente, répond d'une voix entrecoupée aux doléances des visiteurs et affecte toutes les minauderies d'une petite maîtresse.

« J'ai été personnellement témoin de ce fait à deux reprises diffé- rentes chez les Trouagues et les Galibis. Le Dr Leblond, Schombùrck, le commandant Vidal et le regretté Crevaux l'avaient également cons- taté chez les Emerillons, les Pioucouyènes et les Oyampis.

« Il ne paraît pas d'ailleurs que cette singulière infraction aux règles les plus élémentaires de l'hygiène ait la moindre influence sur la mère et l'enfant. Au bout de dix jours, le mari quitte sa couche, et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes équatoriaux. Quant au nouveau-né, je n'ai pas remarqué la moindre exiguïté dans sa conformation. Il m'a semblé absolument proportionné aux dimen- sions de ses parents. »

D'après le Dr Hahn, chez les Fuégiens du Sud, il n'y a que deux ou trois femmes qui assistent la patiente. Le mari est présent ; mais tous les autres hommes doivent se retirer. « Après l'accouchement, le nouveau-né est immédiatement nettoyé avec des copeaux de menu bois. Le cordon est coupé entre deux ligatures faites avec des tendons de baleine ou avec un petit jonc (mappi). Le premier instrument venu sert à faire la section, couteau, coquille de moule, etc. Le délivre, aussitôt après son extraction, est porté hors de la case et enterré sous un amas de coquilles ou de détritus. Peu après sa naissance, l'en- fant est plongé clans l'eau de mer ou dans l'eau douce. Ce lavage par immersion se répète jusqu'à deux fois par jour, pendant un ou deux mois, dans le but de donner des forces à la petite créature. Après l'accouchement (qui n'est suivi d'aucune cérémonie), la mère est con- sidérée comme impure : elle entre dans la période de gimbana, qui dure de cinq à six mois, et pendant laquelle elle est soumise à un ré- gime particulier et demeure privée de relations avec son mari ; elle reste dans une hutte avec d'autres femmes. Si elle est bien consi- dérée, on lui épargne pendant quelque temps tout travail; dans le cas contraire, elle reprend le jour môme ses occupations habituelles. Le mari est aussi considéré comme impur, mais à un degré moindre que sa femme. Les enfants sont allaités jusqu'à l'âge de deux ans.

MOEURS ET COUTUMES G35

Souvent les Fuégiennes élèvent des nourrissons qui sont regardés comme à elles et leur devront l'obéissance et le respect de vrais fils » (1).

L'avortement est souvent mis en pratique en Amérique. Les femmes Guyacurus, du Brésil, si l'on en croit Hoberland, provoquent l'ex- pulsion du fœtus dans toutes les grossesses survenues avant trente ans et cela dans le but de plaire à leurs maris. Au Paraguay, d'après le récit de Azara, rapporté par le Dr Galliot, la malheureuse femme en- ceinte se couche sur le dos, et les matrones lui piétinent le ventre avec leurs poings et leurs pieds jusqu'à ce qu'il s'écoule du sang du vagin. Les Payaguas de la Plata font avorter leurs femmes, par le même moyen, dès qu'elle leur ont donné deux garçons.

Aux Etats-Unis, les avortements se pratiquent sur une large échelle. « J'ai en ce moment sous les yeux, » dit Gaillard-Thomas, « l'un des journaux les plus populaires et les mieux rédigés de New- York, qui se lit dans les plus hautes classes de la société et qu'on voit entre les mains des jeunes filles et des dames de tout le pays. Dans ses colonnes, se trouve une série d'annonces bien connues comme étant celles d'individus qui font métier de provoquer l'avorte- ment. Il se peut que la police, il se peut que les éditeurs, qui ont la réputation d'honnêtes gens, ignorent ces faits; mais il est difficile de le croire, lorsque tant d'avis annoncent clairement les chambres les malades peuvent être logées et une seule entrevue suffit pour obtenir le résultat désiré, sans danger pour la vie ni pour la santé ! »

Coutumes océaniennes. Les Indiens des îles de la Sonde croient que les femmes, en accouchant, mettent souvent au monde un petit crocodile, jumeau deleur enfant. «Ils imaginent, »ditF.deGram- mont, « que la sage-femme reçoit cet animal avec beaucoup de soin, et le porte sur-le-champ à la rivière voisine, elle le met à l'eau. La famille, dans laquelle on suppose que cette naissance merveilleuse est arrivée, porte constamment des aliments à la rivière pour ces parents amphibies; le jumeau surtout y va à certaines époques, pendant tout le cours de sa vie, accomplir ce devoir fraternel : on est unanime- ment persuadé que s'il y manquait, il en serait puni par la mort ou la maladie. Cette croyance semble avoir pris naissance dans les îles de Célèbes et de Bouton, plusieurs des habitants nourrissent des crocodiles dans leurs familles, et elle s'est répandue de jusqu'à Ti- mor et Geram, et, à l'ouest, jusqu'à Java et Sumatra, jamais ce-

(1) Bulletin de lu Société d'anthropologie.

G36 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

pendant on n'a entretenu de ces crocodiles domestiques. Ces étranges jumeaux ont reçu le nom de sudaras ».

Chez les Nœfoures de la Nouvelle-Guinée, une croyance populaire donne au regard une puissance génératrice capable d'opérer la fécon- dation, par foudroiement, à distance. Voici dans quelle circonstance M. Van Hasselt a fait cette remarque : Un jour qu'il instruisait de jeunes indigènes, un des garçons se jeta tout à coup sous la table, il resta sans mouvement. Effrayé, ne sachant que penser, le maître se précipite vers l'enfant. Mais les camarades le retiennent : Ce n'est rien, c' est seulement la future belle-mère de son frère qui passe. Quoi ! la belle-mère de son frère ! Eh bien ! qu'est-ce que cela lui fait? Ça lui fait, expliquent les bambins, que, s'il regardait seule- ment la belle-mère de son frère, sa fiancée ferait un enfant avant qu'ils soient mariés.

En Nouvelle-Guinée, comme dans l'Australie et la terre de Diémen, d'après Virey, la section du cordon se fait avec le feu, ce qui dis- pense aussi de la ligature.

Nous avons raconté, d'après Sue, la singulière opinion qu'ont les Molucquois au sujet des femmes qui meurent en couches, dont ils font de véritables loups-garous ; ils sont en outre persuadés que si une femme enceinte mange un fruit double, comme deux cerises accolées, elle accouchera infailliblement de deux enfants.

Aux îles Carolines, les maris ont les plus grandes attentions pour leurs femmes, pendant la grossesse; ils leur épargnent les travaux pénibles et se livrent même aux soins du ménage, tandis que leurs épouses restent une grande partie de la journée étendues sur des nattes. Au moment de l'accouchement, les femmes qui entourent la patiente poussent des cris assourdissants pour que le mari n'entende pas les plaintes de sa femme. « Deux jours après la naissance de l'en- fant, elle va se baigner dans l'eau douce. Ces endroits les femmes se baignent sont sacrés, les hommes ne peuvent s'en approcher et surtout s'y désaltérer; s'ils le faisaient, leur religion leur dit qu'ils ne pourraient jamais plus prendre de poissons dans la mer » (1). C'est d'ailleurs une coutume générale chez les femmes des peuples primitifs, de prendre un bain dans le cours d'eau le plus voisin, aussi- tôt après l'accouchement, et de vaquer à leurs occupations dès le len- demain des couches. Cependant aux Carolines, la femme, paraît-il, ne reprend ses travaux que six à dix mois après la délivrance.

Quand les tranchées qui suivent l'accouchement sont trop vives, la

(1) Revue scientifique.

MOEURS ET COUTUMES 637

Néo-Calédonienne prend des fumigations prolongées, en se plaçant sur une pierre chauffée, couverte de plantes aromatiques et de troncs de bananiers dont les sucs abondants sont vaporisés par la cha- leur.

L'avortement et l'infanticide se pratiquent enOcéaniesur une vaste échelle. Cependant ces crimes sont à peu près inconnus aux Mar- quises. L'infanticide est très commun dans les îles de la Société, au point qu'il était légal autrefois. En Australie, les nouveau-nés sont souvent sacrifiés et servent d'aliments à leurs parents ; si une femme accouche de deux enfants, le plus faible est écrasé sous des pierres ; on agit de même pour les enfants qui perdent leur mère en couches. «Quand la mère est jeune», dit Elie Reclus (1),« on ne tient pas à con- server son fruit, qui passe pour manquer de consistance et de vigueur. Quant aux enfants décidément malingres et chétifs, ils viennent à maie heure. Ceux qui naissent avant que leur aîné puisse marcher, sont le plus souvent étranglés en un tour de main (2). La règle est d'ex- pédier tous ceux qu'on ne pense pas mener à bien, et, dans les pays fa- méliques, une deuxième fille passe pour difficile à nourrir ; pour une troisième, il n'est même pas discuté.

« De l'enfant tué il y a piété à se nourrir. Comme les Chavantes de l'Uruguay et tant d'autres primitifs, ils sont persuadés que l'àme en- fantine réintègre alors le corps de ses parents. La mère pense récu- pérer ainsi la force et la vigueur que la grossesse lui aurait coûtées. Et si un garçon ne profite pas, il gaillardira si on lui donne son ca- det à dévorer.

« On se débarrasse du nouveau-né qui a coûté de trop grandes dou- leurs à l'accouchée, car il importe de ne pas mal commencer l'exis- tence. On expédie aussi le mioche qui vagit longtemps ou bruyamment parait protester. Tu ne veux pas de la vie ? Tu rechignes à ses tra- vaux et fatigues, à ses peines et amertumes ? Comme tu voudras. Paf! D'après les antiques prescriptions, la tête va au père et à la mère, le corps aux frères et aux sœurs, dans l'organisme desquels il est censé revivre. De la sorte rien ne se perd et tout reste dans la famille.

« À côté de cela, grande est leur tendresse pour la petite ou le petit échappé aux terribles risques de la première heure ; qu'un marmot se fasse mal ou se réveille la nuit, sa mère crie avec lui et plus fort que

(1) Contribution à la sociologie des Australie:

(2) D'après M. Howitt, les Australiens ne tuent pas leurs enfants ; mais, quand ils en ont un nombre un peu considérable, à leur naissance ils « les laissent derrière », autrement dit ils les abandonnent aux bêtes dans le camp qu'ils viennent de quitter.

638 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

lui. Qu'il soit indisposé, elle souffre plus que le malade; qu'il vienne à mourir, sa perte est suivie de vifs regrets. »

Le même auteur raconte que les femmes Nœfoures, à la quatrième grossesse, sinon plus tôt, se mettent en devoir de provoquer un avor- tement par des breuvages ou par un moyen dangereux autant que brutal; elles serrent leur corps dans une cuirasse de roseaux et sefon piétiner jusqu'à l'expulsion violente du produit.

D'après Williams, ce il n'y aurait pas à Viti une seule femme%'qui n'ait débuté par l'avortement ou par l'infanticide». Les naturelles de cette île, comme du reste celles de la Nouvelle-Calédonie, agissent ainsi, par pure coquetterie, pour conserver leurs formes et plaire à. leurs maris. Dans les Nouvelles-Hébrides, on n'élève que deux ou trois en- fants, les autres sont tués à leur naissance ; de même à Taïti, on fait périr les trois premiers et on ne conserve que les deux ou trois qui suivent ; à Hawaï, il est défendu d'élever plus de trois enfants, et une loi qui oblige les filles enceintes de travailler aux routes, augmente encore le nombre des avortements.

En Océanie, l'avortement se pratique, le plus souvent, par des vio- lences extérieures ou par l'introduction dans les voies génitales d'un morceau de bois pointu qui doit produire de graves accidents.

Les Dayaks de Bornéo provoquent l'avortement en cherchant à augmenter chez leurs épouses la sensation voluptueuse, par un moyen digne de figurer au premier rang des raffinements erotiques, imagi- nés par les peuples civilisés. Ils se perforent le pénis d'une ou de plu- sieurs tiges de métal, dont les extrémités libres sont destinées à ex- citer vivement les parois vaginales, mais elles agissent en même temps sur le col de la matrice et provoquent souvent l'expulsion du produit de la conception. Les femmes de ces sauvages se montrent, paraît-il, fort satisfaites de cette étrange coutume, et elles disent que cet instrument est au coït ce que le sel est à la viande. Cette pratique rappelle celle du hérisson, employée dans les ménages chinois.

Bien que les Néo-Calédoniens cherchent fréquemment, par des manœuvres abortives, à éluder les charges de la paternité, il en est qui s'adressent au sorcier pour obtenir de la progéniture. « Celui-ci,» raconte Patouillet (1), « leur vend une informe poupée qu'il leur con- seille de mettre coucher avec eux, roulée dans leur natte. Le moyen, dit on, réussit souvent. Le bon sens indique que le contact de ce corps embarassant et aux dures arêtes doit procurer aux deux époux une insomnie de toute la nuit, et alors,

(1) Trois ans en Nouvelle-Calédonie.

MOEURS ET COUTUMES G39

Que faire dans un lit, à moins que l'on n'y cause ?

« Si le vœu est exaucé, la femme attache cette poupée, comme un ex voto dans l'intérieur de sa case ou à l'avant de sa pirogue.

« Le sorcier, du reste, se vante de produire à volonté des mâles ou des femelles. Un naturel qui voit sa femme enceinte et qui veut avoir un garçon va trouver le devin avec sa femme, une monnaie à la main, et plutôt deux qu'une, car là, comme partout, point d'argent, point d'oracles. Celui-ci va, de ce pas, sacrifier dans le cimetière, puis fait prendre à la femme une boisson, de l'eau claire, sans doute. De plus, il lui défend de se livrer, tout le temps de la gestation, à aucun des travaux de femmes ; il lui conseille de porter une sagaie, et de ne jamais manquer à la moindre de ses indications.

« Chose bizarre! la femme accouche souvent d'une fille. Chez nous, on lui dirait infailliblement : C'est que la foi lui a manqué. Mais le sorcier n'est pas en peine de lui prouver que, dans les neuf mois, elle a commis quelque infraction à son ordonnance.

« Quand une femme voit ses flancs s'arrondir, comme elle ignore, ainsique toutes les autres, la durée et le terme de la gestation, elle va s'adresser à la matrone la plus experte de l'endroit, qui, dès lors, et bien entendu après avoir empoché le prix de ses bons offices, ne la quittera plus d'un instant. Dès que les premières douleurs se font sentir, elle emmène la patiente dans une case l'on a eu le soin d'allu- mer un grand feu, et se réunissent un grand nombre de femmes. Les hommes, sans exception, sont sévèrement éloignés de cette case, à moins qu'il ne s'agisse de l'accouchement d'une femme de chef. Dans ce cas, le plus proche parent reste dans l'intérieur de la case, s'appliquant à chanter assez haut pour couvrir les cris de la mère. La raison de cette exception a sans doute été primitivement de rendre impossible les substitutions d'enfants.

« Pendant les manœuvres obstétricales, qui se réduisent à un mas- sage prolongé, la femme se tient à quatre pattes. Si l'accouchement est pénible, les matrones vont acheter à grands frais des sortilèges aux sorciers voisins, et en couvrent la patiente. Le fait est rare, du reste, et fort heureusement, car chez ces peuplades d'une ignorance primitive, personne ne connaît les moyens de venir à bout des diffi- cultés d'une parturition laborieuse.

« Une des plus grandes tribulations de la femme qui accouche péni- blement, c'est d'être mise à la question par les commères qui l'en- tourent, et qui, voulant expliquer par l'adultère les longueurs de

G40 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

l'opération, tourmentent la patiente, la torturent, pour ainsi dire, afin de la forcer à leur déclarer le nom du vrai père de l'enfant. Menacée de cruelles souffrances si elle s'obstine à ne pas avouer, la femme fait quelquefois de plaisantes révélations. J'ai entendu parler d'une, entre autres, qui, poussée à bout par les questions et les sommations de tant de commères, répondit : Timeto meto ; en français : « Ma foi! je ne sais pas. » Fort heureusement, celle-ci n'était pas mariée; c'était une de ces impures qu'entretient chaque tribu, qui vont errant de case en case et de village en village, égayant les populations et sachant leur rendre une foule de petits services. Aussi, comme les bayadères de l'Inde, elles trouvent partout faveur et protection. Elles sont invitées à toutes les fêtes, et leurs enfants, adoptés par les chefs, deviennent les fils de la Iribu.

« Lorsque l'enfant est venu, le cordon est coupé avec une coquille d'huître perlière (pintadine) ou une éclisse de bambou, puis noué sur lui-même et longuement mâché. La mère se lève presque immédiate- ment, lave le nouveau-né et va se baigner dans la rivière voisine. Dès le lendemain, elle a repris tous ses travaux habituels, sans que jamais, à ma connaissance, aucun accident ait suivi un accouchement de Canaque.

« Les naissances gémellaires sont inconnues dans ce pays.

« La mère allaite son enfant pendant un an, le portant partout avec elle, abrité d'un simple lambeau d'étoffe indigène. Aussi la peau du petit, qui n'est d'abord que légèrement cuivrée, se bronze-t-elle en très peu de temps. Point de langes, point d'entraves aux premiers pas de la faible créature ; aussi, les difformités sont-elles rares parmi les Canaques. »

Le docteur Clavel, qui a fait un séjour de plusieurs mois aux Mar- quises, en 1882, nous fournit, dans son intéressante étude des habi- tants de ces îles, quelques détails relatifs à notre sujet. Aussitôt qu'une femme est enceinte, des parents ou des amis adoptent à l'avance son enfant et en prennent soin à sa naissance ; c'est une coutume qui unit dans une étroite solidarité les membres de la tribu, elle en fait ainsi une seule et même famille.

«Lorsque les premières douleurs se fontsentir,lesparentsetquelques voisins complaisants se réunissent pour assister la patiente. Celle-ci, quand l'accouchement est imminent, s'assied à terre ou sur une natte, le dos appuyé contre un objet dur ou soutenu par une personne accroupie derrière elle. Une femme, qui est ordinairement la mère ou une parente, se tient en face, prête à intervenir. Cette aide, dès que la tête du fœtus apparaît à la vulve, s'assied entre les jambes de la

MOEURS ET COUTUMES 641

patiente, entoure son gros orteil droit d'un morceau de tapa, et l'ap- plique fortement sur le périnée de celle-ci, manœuvre ayant pour but de prévenir la rupture de cette région au moment du dégagement de la tête. Si l'aide est la mère ou une proche parente, elle déchire le cordon ombilical avec ses dents ; dans le cas contraire, elle le lie solidement avec de la tapa, et le sectionne ensuite avec un instrument tranchant quelconque.

« M.Radiguet a recueilli les renseignements suivants: si la patiente est une atapéia (1), une matrone sépare, d'un coup de dent, les liens du nouveau-né; les assistants reçoivent sur la tête le sang qui en sort et qui ne doit toucher qu'un objet sacré. On court ensuite enterrer le placenta au milieu d'un passage fréquenté qui, suivant les croyances du pays, dès lors, acquiert la vertu de disposer à la fécondité les femmes qui le traversent.

« Les choses ont lieu comme je l'ai indiqué quand l'accouchement est naturel. Mais il n'en est pas toujours ainsi, les cas de dystocie étant assez fréquents aux Marquises.

« Quand l'accouchement tarde à se faire, au bout de deux ou trois jours de souffrances, par exemple, la famille se désole et ses lamen- tations, jointes aux cris de la patiente, ameutent les voisins autour de la case. Dans cette circonstance, un chef avait autrefois le triste privilège d'ordonner des sacrifices humains pour aider à la délivrance de sa femme. C'est ainsi que cinq Canaques, d'après M. Eyriaud des Vergnes, furent mis à mort à l'occasion des couches de la mère de Témoana, le dernier roi de Nuka-Hiva.

« De nos jours, les choses se passent d'une façon moins tragique. Le mari confectionne un bouquet avec des fleurs et des feuilles spéciales, et se rend, muni de cadeaux, auprès d'une matrone ou sorcière répu- tée experte en l'art des accouchements. Celle-ci examine avec atten- tion le bouquet, interrogeant surtout les fleurs. Elle reconnaît à la disposition des corolles si l'accouchement doit avoir une issue funeste ou heureuse. Dans le premier cas, elle congédie sans pitié le mari désolé, tout en acceptant le cadeau (2) ; dans le second, elle se rend, sans mot dire et en affectant des airs importants, auprès de la patiente qu'elle assiste, en opérant une sorte de massage sur la région abdomi- nale, massage accompagné de tours de passe-passe variés, de paroles plus ou moins cabalistiques et d'onctions avec le suc du mahi ou

(1) Femme de haut rang.

(2) Il est probable que la détermination prise par la sorcière dépend de l'impor- tance du cadeau.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 41

642 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

cresson commun. Malgré l'intervention de la sorcière, les insuccès sont fréquents, mais elle trouve toujours une explication assez valable pour ne pas perdre de son prestige.

« Immédiatement après l'accouchement, la mère va prendre un bain général dans un ruisseau voisin. Elle y lave à grande eau son enfant, puis le barbouille des pieds à la tête avec le noir de fumée, provenant de la combustion de la noix du bancoulier. Elle le frictionne ensuite avec le suc du paku, herbe spéciale râpée sur un caillou rugueux. Cet enduit, sorte de savon dirigé contre le smegma fœtal, est maintenu pendant quelques heures sur la surface cutanée de l'enfant qui est alors reconduit à la rivière et nettoyé.

« L'alimentation du nouveau-né consiste tout d'abord en eau de coco et en jus de canne à sucre ; le sein n'est donné qu'un jour ou deux après la naissance. Au troisième jour de l'allaitement maternel, un breuvage purgatif est administré au nourrisson ; ce breuvage est un mélange d'eau de coco et d'un liquide provenant de l'expression de divers crustacés préalablement cuits : crabes, tourlourous, camarons et langoustes.

« La durée de l'allaitement est on ne peut plus variable et dépend d'un grand nombre de circonstances. A propos de la constitution de la famille, nous verrons que les vrais père et mère ne gardent jamais leur enfant, mais qu'ils le donnent ou l'échangent contre un autre. Il est facile de comprendre l'influence que peut avoir cette bizarre façon de procéder sur la durée de l'allaitement du nouveau-né. Pour le remettre de bonne heure à l'adoptant, la mère ne s'empresse pas pré- cisément de sevrer son nourrisson, mais, quelques jours après la naissance et tout en lui donnant le sein, elle le gorge de popoï et de poisson cru qu'elle mâche au préalable. On saisit les inconvénients de ce mode d'alimentation mixte, à une époque les organes digestifs du nouveau-né ne sont pas encore aptes à s'accommoder d'un pareil régime. Aussi les affections intestinales ne sont rien moins que rares chez les jeunes Canaques et ne contribuent pas peu à produire la grande mortalité que je signalerai chez les enfants en bas-âge. Il arrive cependant que la femme de l'adoptant se trouve quelquefois dans les mêmes conditions que la mère de l'adopté; de sorte que s'il y a eu échange d'enfants, ces derniers bénéficient de cette heureuse circonstance : ils ne font que changer de nourrice. C'est ce qui expli- que l'allaitement prolongé de certains enfants et les réponses contra- dictoires que les voyageurs recueillent à ce sujet lorsqu'ils ne font que passer aux Marquises.

« A la naissance et jusqu'au moment lejeune Canaque essaye ses

MOEURS ET COUTUMES 643

premiers pas, la mère a soin, par un massage bien ménagé, de favo- riser le développement de certaines régions. Elle porte surtout son attention du côté des masses deltoïdienne, brachiale antérieure, fes- sière et jambière postérieure qu'elle cherche à arrondir de son mieux, après immersion de son enfant dans une eau fraîche et courante. Ce massage et ces bains sont renouvelés deux ou trois fois dans la même journée. Habitué d'aussi bonne heure à de semblables manœuvres, l'enfant s'y prête avec la meilleure grâce du monde. Il paraît heureux lorsque sa mère, après lui avoir obturé la bouche, les yeux et les narines avec une main, pour éviter l'introduction de l'eau dans ces orifices, le soumet à un plongeon de courte durée.

« Les Marquisiens considèrent les bains de sable comme un excellent moyen de favoriser le développement du système musculaire de l'en- fant. Vers trois heures du soir, alors que la plage a été fortement échauffée par les rayons du soleil, un trou est pratiqué dans le sable et le jeune Canaque y est enfoui jusqu'au niveau des aisselles. L'agi- tation de ses petits bras et les efforts qu'il fait pour sortir de ce trou déterminent un certain déploiement de forces : c'est, en somme, une gymnastique à la fois commode et utile.

« Aux approches de la nuit, on songe à protéger l'enfant contre les agressions incessantes des nonos et des moustiques; La racine de l'éka fournit un suc aromatique avec lequel la mère frictionne son nourrisson des pieds à la tête ; il paraît que c'est la façon de procéder la plus sûre pour éviter les piqûres de ces terribles insectes. » Ils couvrent en outre la tête de l'enfant avec une étoffe quelconque, pendant son sommeil, pour obéir à une idée superstitieuse qui veut qu'un esprit malfaisant et toujours aux aguets le prendrait à la ligne, en introduisant un hameçon dans sa bouche.

On voit que l'enfant est l'objet de soins continuels et attentifs. Nous avons déjà signalé les manœuvres exercées sur la tête du nouveau- né, pour donner à son crâne la forme en pain de sucre, et celles que subit son nez dont ils s'appliquent à corriger l'aplatissement de la race et qu'ils façonnent à l'image de l'appendice nasal d'un parent affectionné.

Rappelons enfin une coutume assez étrange qui concerne les Mar- quisiennes : quelques heures après la délivrance, le mari doit accom- plir ses devoirs conjugaux pour aider la nouvelle accouchée à se réta- blir promptement.

Dans la plupart des îles de l'Océanie et principalement aux îles Sandwich et à Taïti, d'après M. E. Lesson, quand on coupe le cor- don, on a la précaution de le laisser toujours très long comme présage

644 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

d'une longue existence; nous avons déjà dit que les circulaires autour du cou du nouveau-né étaient du meilleur augure et que les débris du cordon sont conservés avec soin comme un précieux porte-bonheur que l'on jette à la mer en cas de guerre, pour rendre favorable le sort des armes.

« Aux îles Sandwich, les enfants indigènes naissent avec facilité ; mais lorsque le bébé résiste et fait des histoires pour sortir, alors la mère sait que son enfant sera un métis, cette dernière espèce de fœtus ayant le crâne plus développé que le noir pur sang. Il est bien malin l'enfant qui connaît son père dans ce pays-là. Ce fait est si bien connu des insulaires qu'on ne demande jamais à un enfant : quel est ton père ? mais seulement : quelle est ta mère ? lorsqu'on désire quelque renseignement sur sa généalogie » (1).

A Honolulu, quand la délivrance tarde trop à se faire, l'accoucheur saisit la langue de la patiente et la tire jusqu'à ce qu'il ait provoqué des vomissements dont les efforts passent pour faciliter l'expulsion du placenta. Aux Philippines, on active le travail ou la délivrance en massant le ventre avec un instrument spécial en brique (fig. 449), dont on peut voir un spécimen au Musée d'ethnographie du Troca- déro. Pour empêcher l'air de pénétrer dans le corps de l'accouchée, la sage-femme enfonce le pied sur le bas-ventre, et si la patiente éprouve une syncope ou une hémorrhagie, on la traîne par les che- veux ou on les attache à une table, traitement barbare dont Mallat (2) a constaté l'efficacité : on place ensuite le biguis ou tampon qui com- prime fortement la vulve.

Après l'accouchement, on donne à la femme un verre d'eau fraîche et on lui fait manger du basa basa ou riz sucré.

Chez les Montescas et les Négritas, l'enfant est reçu dans la cendre chaude ou la mère se couche à côté de lui ; elle coupe le cordon à l'aide d'un bambou affilé ou d'une coquille d'huître, et va prendre un bain avec son enfant, puis elle revient se coucher en se couvrant de feuilles.

Terminons par les pratiques bizarres observées à Taïti, et dont le Journal de Médecine de Paris a donné la description, d'après des notes communiquées par M. E. Lesson à M.f.Rodet : « Une fois la ligature du cordon faite, on lave l'enfant dans le suc qu'on obtient en grattant le cœur du bananier. Après avoir été ainsi lavé, on le couche sur des nattes. Puis on môle du jus de canne à sucre avec celui qu'on relire de

(1) British rneâi cal journal, trad. J. Viard.

(2) Les Philippines, 1846.

MOEURS ET COUTUMES 645

l'intérieur du coco râpé, et on donne ce liguide comme nourriture à l'enfant, jusqu'à ce que la sécrétion lactée de la mère soit établie. Puis, dès le lendemain de la naissance, on le laisse tout nu.

« Il existe cependant encore aujourd'hui une coutume particulière. Tout en pratiquant un lavage général du nouveau-né, on respecte l'en- duit sébacé qui se trouve aux oreilles et aux narines, car il ne doit être enlevé qu'en suçant fortement ces parties. Et même il y a des hommes et des femmes qui se sont fait une spécialité de cette prati- que, exerçant ainsi la profession original'e de «suceurs d'oreilles et de narines » à l'usage des nouveau-nés.

« Quand une femme est stérile, elle va consulter le prêtre, qui ne

Fig. 449. Instrument qui sert à masser le ventre des femmes en couches.

trouve rien de mieux que de pratiquer la cérémonie bizarre suivante, appelée te uruuruavaou e maro piipii. Pendant la nuit, accompagnée du prêtre, la femme se rend devant le marae, tenant à la main un maïra (gaule pour pêcher) auquel est attachée une ligne d'environ deux mètres, à l'extrémité de laquelle pendent des plumes rouges en guise d'hameçon. C'est à cet appas que doit venir se prendre rame, l'esprit qui doit amener l'enfant, dont elle espère être enceinte. Aussi elle agite la gaule, comme lorsqu'on pêche à la ligne, et ne cesse que lorsqu'elle croit avoir réussi. En même temps, elle récite une prière.

« Quand, au contraire, une femme a une famille nombreuse qu'elle désirerait ne plus voir s'accroître, c'est encore aux oromalua qu'elle s'adresse. Cela s'appelle le faaore raa et te puno no ete. Elle com- mence par prendre le crâne de son grand-père (car les crânes de toute la famille sont conservés avec soin) et se rend auprès du marae. Là, elle s'assied sur le crâne de son aïeul et adresse aux dieux la prière suivante : « Que ce crâne serre à jamais mon sein de façon à l'empê- cher de concevoir. »

6Î6 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

III. SAGES-FEMMES ET ACCOUCHEURS

Les sages-femmes dans l'antiquité. De nombreux pas- sages de l'Écriture, déjà cités, prouvent que les Hébreux avaient re- cours aux sages -femmes pour la pratique des accouchements. L'Exode (1) donne même le nom de deux accoucheuses israélites, Sciphra et Puha, sans doute les plus renommées de l'époque, qui ne craignirent pas d'enfreindre les ordres de Pharaon.

Nulle part dans la Bible, il n'est fait mention de la pré- sence d'accoucheurs, même pour les cas les plus graves. Cepen- dant, le rôle des sages-femmes que l'on désignait sous le nom de mejalledeth ou meialdoth, était essentiellement passif. « Au lieu de porter secours, » ditOsiander, « elles prodiguaient leurs consolations aux parturientes jusqu'à ce que mort s'ensuivit». En effet, la ma- trone qui assista Rachel se contenta de l'encourager, en lui annon- çant qu'elle accoucherait d'un garçon, et ne put l'empêcher de suc- comber entre ses mains.

Les Egyptiens appelaient aussi des sages-femmes auprès de leurs femmes en couches, mais il est probable que, comme plus tard chez les Arabes, dans les cas difficiles, des spécialistes intervenaient pour sacrifier l'enfant et l'extraire à l'aide d'instruments que nous retrou- verons dans notre Arsenal obstétrical.

Chez les Grecs, les sages-femmes étaient appelées [juxTai, grand? ma- mans ou o[j.9aÀoio[jLO'., coupeuses de cordon (2) ; les anciens médecins nous sont garants que les accouchements ordinaires leur étaient confiés: «Ceux qui n'en ont pas l'expérience,» dit Hippocrate, « s'éton- nent qu'un enfant, au terme de sept mois, vive : je l'ai vu plusieurs fois. Si l'on veut s'en assurer, on le peut facilement, en s'en informant auprès des accoucheuses». D'autre part, Soranus d'Ephèse, le plus ancien accoucheur connu, dit: « Appelé pour un accouchement diffi- cile, le médecin devra interroger la sage-femme, sur la nature de la

(1) 1. 15.

(2) Ou o[i.-ùOi\r\zo[j.o<.. Quelques lexiques donnent le composé iaTpou.a-.ai ; il ne de- vait pas être d'un usage bien fréquent, car V Onomasticon de Pollux ne le cite pas. Quant au mot poétique «xscruptç il ne signifie pas sage-femme ; c'est tout simplement le féminin de âx^OTcop, guérisseur.

MOEURS ET COUTUMES 647

résistance. » Ce passage indique bien que la matrone était appelée tout d'abord, et que, dans les cas difficiles, on recourait à l'assistance des médecins.

Il paraît, d'après le témoignage peu récusable de Platon (1), que les sages-femmes n'exerçaient que parvenues à un âge assez avancé : « Rappelle-toi bien, » dit Socrate à Théétète, « tout ce qui concerne les sages-femmes. Tu vois qu'aucune d'elles ne se mêle d'accoucher les autres femmes tant qu'elle peut elle-même avoir des enfants et qu'elles ne font ce métier que lorsqu'elles ne sont plus capables de concevoir. » Et plus loin : « On attribue cet usage à Artémis ; c'est du moins ce que l'on dit, parce que, sans enfanter elle-même, elle pré- side aux accouchements. Elle n'a pas pu confier cet emploi aux femmes stériles, la nature humaine étant trop faible pour pratiquer un art dont elle n'aurait aucune expérience, mais la déesse a confié ce soin à celles qui, par leur âge, ne sont plus en état de concevoir, honorant en elles cette ressemblance avec elle-même. »

Moschion est exigeant dans les qualités qu'il demande à la sage- femme : « Qu'elle est la sage-femme la plus capable que l'on puisse sou- haiter? — Celle qui a fait des études littéraires, qui a de l'intelligence et une mémoire assez fidèle; elle doit être studieuse, active, forte, ne présenter aucune infirmité, aucune maladie, ne pas être colère, ni tracassière. Il faut qu'elle soit, en outre, compatissante, sobre, pu- dique, pénétrante, tranquille, prudente et non avare. » Enfin, elle ne songera pas à la coquetterie : Moschion la veut « troussée comme un homme». Y avait-il en Grèce beaucoup de coupeuses de cordon ré- pondant à un tel idéal? Reconnaissons que Platon, dans le dialogue dont nous avons déjà cité un passage, ^semble reconnaître leur hon- nêteté et leur répugnance à se mêler de transactions un peu lou- ches :

Socrate. N'as-tu pas aussi entendu dire qu'elles sont de très habiles négociatrices en affaires de mariages, parce qu'elles savent parfaitement distinguer quel homme et quelle femme il convient d'unir ensemble pour avoir les enfants les plus accomplis.

Théétète. Non, je ne le savais pas encore.

Socrate. Eh bien, sois persuadé qu'elles sont plus fières de ce talent, que même de leur adresse à couper le cordon ombilical... Mais à cause des unions illégitimes et mal assorties dont se chargent des entremetteurs corrompus, les sages-femmes, par respect pour elles

(1) Dans le dialogue intitulé Théétète.

648 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

mêmes, ne veulent point se mêler des mariages, dans la crainte qu'on ne les soupçonne aussi de faire un métier déshonnêtc.

Cet éloge, il est vrai, est mis par le philosophe dans la bouche du fils de Phénarète, « sage-femme habile et renommée» ; il peut donc être déclaré suspect.

D'ailleurs, dans un autre passage, Platon fait allusion aux pra- tiques abortives qui, en réalité, semblent avoir été la principale préoc- cupation des matrones grecques. C'est par des recettes abortives que nous sont parvenus les noms de la Thébaine Olympias, d'Aspasie (1), dont quelques fragments ont été conservés dans le Tétrabiblos d'Aétius, le médecin sage-femme. On peut aussi ranger dans la cor- poration la fameuse pornographe Eléphantis, dont les ouvrages fai- saient les délices de Tibère à Caprée ; elle avait écrit sur les abortifs.

Enfin, les sages-femmes devaient, pour la clientèle, avoir quelques connaissances pharmaceutiques et magiques, et pouvoir, soit par des remèdes, soit par des enchantements, hâter la délivrance et adoucir les douleurs.

La sage-femme continuait ses soins à l'enfant et à la nouvelle ac- couchée jusqu'au cinquième jour; elle recevait alors ses gages, aux- quels on ajoutait un présent qui, du moins à Athènes, était assez maigre; il consistait en un pain tout sec.

Chez les Romains, comme chez les Crées, les médecins n'interve- naient que dans les opérations difficiles; c'est ainsi que, d'après Suétone, le fameux Antonius Musa fut appelé auprès de Livie. Le premier auteur latin qui fasse mention des sages-femmes est Plaute, dans le Soldai fanfaron, le héros Pyrgopolinice dit : « La sage- femme se plaignit de n'avoir pas été suffisamment payée. » UAn- drienne de Térence nous prouve que les sages-femmes romaines ne jouissaient pas d'une réputation excellente : Glycérie est prise des douleurs de l'enfantement; Archyllis, une vieille esclave, donne à la camériste Mysis l'ordre d'aller quérir une sage-femme du nom de Lesbie : « Oui, dit Mysis, j'amènerai cette Lesbie, mais à coup sûr c'est une ivrognesse, une tête sans cervelle qui ne mérite pas qu'on lui confie une femme à sa première grossesse. » Et Mysis s'éloigne maugréant à la fois contre Archyllis et Lesbie : « Voyez l'entêtement de cette vieille, c'est que Lesbie se grise avec elle. Dieux, accordez à

(1) Est-ce la célèbre Aspasie, femme de Pénclès? C'est peu vraisemblable. .

MOEURS ET COUTUMES 649

ma maîtresse une heureuse délivrance, et que la sage-femme aille faire aileurs ses maladresses. »

Nous voudrions ici chercher une petite querelle à un de nos con- frères, le Dr Rouyer : « En arrivant à une époque plus rapprochée de nous, » dit cet auteur, dans ses intéressantes études médicales sur l'ancienne Rome, « on trouve des détails plus complets sur les sages- femmes. Il existait à Rome des obstelrices (1), ou accoucheuses, des adstelrices, mot qui semble désigner les aides des sages-femmes ; nous trouvons enfin un autre ordre de femmes intervenant dans la pratique de la médecine : ce sont les sagœ, et c'est ici que nous trou- vons l'étymologie du mot sage-îemme indiquée d'une manière claire, et sans qu'on soit obligé de recourir aux subtilités de la philologie fantaisiste. Les fonctions de la saga étaient assez mal définies. Fastus nous apprend que les prêtresses chargées des expiations, piatrices (expiatrices) étaient aussi désignées par quelques auteurs sous le nom de sagœ; mais ce mot avait d'autres significations, et était em- ployé également pour désigner les magiciennes, les entremetteuses et les sag es- femmes ; mais cette expression n'est jamais prise qu'en mauvaise part a.

Nous ne sommes d'accord avec notre confrère, ni sur l'interprétation de saga, ni sur l'étymologie de sage-femme. Saga n'a jamais signifié en latin que devineresse, magicienne, et postérieurement entremetteuse. M. Rouyer ajoute sage-femme : dans quel texte, dans quel grammai- rien a-t-il trouvé cette signification? Ni dans Cicéron qui emploie ce terme à plusieurs reprises dans le traité de la Divination, ni dans Nonius, ni dans Festus qu'il cite. Que ces magiciennes, ces entre- metteuses fussent en même temps des avorteuses, nous le croyons volontiers. Mais cette induction n'a aucune valeur pour établir le sens du vocable. Quant à l'étymologie de sage-femme (sapiens femina) elle est analogue à celle de prud'homme [prudens homo). Si sage n'é- tait pas l'adjectif bien connu, comment expliquer l'addition de femme? Dites, confrère, si nous laissions la philologie aux robes jaunes de la Sorbonne ?

(1) De ob, devant et ut air, Be tenir, ou opstatrices, ainsi que l'indiquent plusieurs inscriptions sépulchrales, telle que la suivante :

SALLVSTIA. Q.L. IMEEITA OPSTETRIX.

Q. SALLUSTIUS. Q.L.

ARTEMIDORUS

ARESCUSA FECIT.

On sait que dans la phonétique latine, le p est l'équivalent du b.

650 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Les sages-femmes romaines, comme leurs collègues de Grèce, res- taient pendant cinq jours dans la maison de l'accouchée à veiller sur la mère et le nouveau-né. On les payait alors, on leur faisait un ca- deau ; puis, après s'être solennellement lavé les mains, elles remet- taient l'enfant à la nourrice.

Lorsqu'il y avait doute sur l'existence d'une grossesse, on les réunissait en consultation au nombre de cinq, ainsi que l'indique le passage d'une lettre d'Aicanus à Paul : Quolies de mulieris prœgna- tione dubitatur, quinque obstetrices, id est medicœ, ventrem jubentur inspicere (1) .

Aucun auteur ancien n'a parlé des enseignes de sages-femmes, et cependant à Rome toutes les professions s'annonçaient par une en- seigne. René Ménard (2) reproduit des sculptures antiques du musée du Vatican, qui représentent des petits nids d'enfants placés sur des branches d'un arbre (fig. 450, 451), et il se demande si ces nids n'au- raient pas eu une signification analogue à celle que l'on accorde, de nos jours, aux enseignes représentant des choux sur lesquels poussent les enfants. « C'est, » dit-il, « la seule explication qui me paraisse plausible pour ce curieux monument. Et voyez comme cet usage facilitait la réponse à certaines questions embarrassantes que les enfants font quelque fois. Rien de plus simple avec les nids d'enfants : on invoque Junon, la déesse des mariages, on va dans le bois sacré, dont les arbres ne sont jamais coupés, et portent des petits nids pleins d'enfants; c'est ainsi que le gamin, dont la curiosité s'est éveillée, trouve tout naturel que ses parents lui aient apporté un petit frère ou une petite sœur ». L'explication est ingénieuse, mais bien qu'elle vienne d'un maître en archéologie, le silence des anciens nous oblige à ne l'accepter qu'avec la plus grande réserve,

Les Sages-Femmes en France jusqu'en 1789. Avant la création de la Faculté de médecine, qui remonte à l'an 1200, la pratique médicale était aux mains des ecclésiastiques ; c'est dire que les accouchements appartenaient exclusivement aux matrones. Dans les cas graves, mais seulement après l'établissement de la Faculté, on appelait auprès des femmes en gésine les cirurgiens; les mires ou physiciens ne s'occupaient que des soins médicaux relatifs à la grossesse et aux suites de couches. Mais, au moyen âge, même

(1) Peyrilhe, dans son Histoire de la cltirurr/ie, cite le même passage comme un extrait du Code publié par Alaric II, roi des Visigoths.

(2) La famille dam l'antiquité.

MOEURS ET COUTUMES

651

pour les cas ordinaires, les femmes préféraient s'adresser aux personnes de leur sexe qui exerçaient alors la médecine, voire même la chirurgie. Ainsi la physicienne Hersend partit avec les

FlG. 450.

Fig. 451.

croisés en Terre sainte, pour donner ses soins aux femmes qui suivaient les armées et à la reine elle-même, qui accompagnait le roi. Le livre delà Taille de 1292, relève dans Paris huit miresses (1)]; si nous consultons les taxes dont elles sont frappées, l'art semble

(1) En 1601, le rôle qui était entre les mains du plus ancien des chirurgiens jurés, indique que les sages-femmes de Paris, faisant partie de la confrérie de Saint- Côme, étaient au nombre de 59, pour une population d'environ 150,000 habitants De nos jours, en 1886, sur 2,344,550 habitants, on compte environ 750 sages- femmes et 2750 médecins pouvant se livrer à la pratique des accouchements.

652 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

avoir été peu lucratif pour elles ; par exemple, dame Améline la miresse ne doit au fisc que 8 deniers, un tiers en moins que maître Joce, le pauvre praticien de la rue au Fuarre. Les sages-femmes ou ventrières étaient peu nombreuses : le livre de la Taille dont nous venons de parler n'en cite que deux seulement, ce qui indique bien que les miresses, cirurgiennes ou saineresses devaient intervenir habituellement dans les opérations obstétricales.

Les ventrières étaient chargées au Châtelet de Paris de toutes les questions médico-légales ayant rapport aux avortements ; elles faisaient aussi les enquêtes sur les virginités douteuses (1), ce sont elles qui constatèrent la virginité de Jeanne Darc. Elles assistaient les médecins dans l'épreuve du congrès, ainsi que le constate le curieux plaidoyer d'Anne Robert, célèbre avocat au Parlement de Paris, à la fin du seizième siècle, contre la « Visitation et congrès » (2) : « Pardonnez-moi, chastes oreilles, si, en une chose honteuse, mes paroles ressentent je ne sais quoi de peu chaste et de honteux. On fait coucher une jeune fille tout de son long, étendue sur le dos, les cuisses équarquillées, l'une deçà, l'autre delà : on voit clairement les parties honteuses, lesquelles la nature a voulu cacher pour le plaisir et contentement des hommes. Les matrones qui sont sages-femmes et vieilles, et les médecins, les regardent attentive- ment, les manient, les ouvrent. Le juge qui est présent fait bonne mine et s'empêche de rire. Les matrones qui assistent se ressou- viennent de leurs anciennes chaleurs qui sont dès longtemps refroi- dies. Les médecins, selon leur âge, se ressouviennent de leurs premières forces. Les autres, faisant des empêchés, se repaissent

(1) Nous trouvons un curieux pastiche de ces rapports dans une pièce comique, publiée en 1G16 sous le titre de : Le Réveil dît chat qui dort, par la cognoissance de la perte du pucellage de la plus part des chambrières de Paris, etc.

ce Nous, Marie Teste, Jane de Meaux, Jane de la Guignans et Magdelaine la Lippue, matrones jurées de la ville de Paris, certifions à tous qu'il appartiendra, que le quatorzième jour de juin dernier, par ordonnance de ladicte ville, nous nous sommes transportées en la rue Frepaul, pend pour enseigne la Pantoufle avons vu et visité Henriette Pellicière, jeune fille, aagée de dix-huict ou environ, sur la plaincte par elle faite à justice contre Simon le Bragard, duquel elle dict avoir été forcée et déflorée, et, le tout veu et visité au doigt et à l'œil, avons trouvé que la babole estoit abatue, l'arrière -fosse ouverte, l'entre-fesson ridé, le guillevart eslargi, le braquemard escrouté, la badaude relancée, le ponnant débiffé, le halleron démis, le quilbuquet fendu, le lipion recoquillé, la dame du milieu retirée, les toutons desvoyez, le lipondis pilé, les barres froissées, l'enchenart retourné ; bref, pour le faire court, qu'il y avait trace de viol ; d'où vieut que la cure que nous y avons pu apporter, et nonobstant la peine que nous y ayons prise à recoudre son canipani brodimaujoin, elle est demeurée despucellée. »

(2) Renom judicatarum libri quatuor, 1596.

MOEURS ET COUTUMES 653

d'un vain et inutile spectacle. Le chirurgien, ou bien tenant un instrument fait tout exprès, qu'ils appellent le spéculum ou miroir de la matrice, ou avec un membre viril fait de cire ou d'autre matière, sonde le gué de l'entrée de l'antre vénérien; il fait l'ouver- ture, dilate, étend et élargit les lieux. La fille couchée tout de son long, sent la partie qui la démange tellement, qu'encore qu'elle se soit fait visiter étant vierge, elle ne sort point toutefois de qu'elle ne soit corrompue et gâtée. C'est honte d'en dire davantage. »

On ne connaît aucun statut, concernant les sages-femmes, anté- rieur à 1560; cette pièce est pour ainsi dire la charte constitution- nelle qui régira la profession. Ces dispositions furent reproduites, avec quelques additions, en 1587; voici le texte publié alors :

Statuts et reiglemens ordonnez pour toutes les Matronnes, ou Saiges- Femmes de la Ville, Faulxbourgs, Prévostez, et Vicomte de Paris, accoustumez de tout temps, estre gardez et jurez par les dictes Matronnes, avant d'estre admises a l'exercice de leur estât, par devant M. le Prévost de Paris, ou Monsieur le lieutenant criminel, sur ce au préalable en le consentement de Monsieur le Procureur du Roy, au Chastellet de Paris. Ce 26 avril 1587 :

Comme ainsi soit qu'avant tout œuvre, chacun des chrestiens ou chrestiennes soyent obligez avoir pour but Fhonneur de Dieu et de ses Saints : Seront à ceste occasion premièrement admonestées toutes les matronnes ou saiges-femmes, de la ville, faulxbourg et des envi- rons d'icelles, visiter tous les ans une fois, sans empeschement de maladie, de prison ou de travail pressé, l'église parrochiale des véné- rables martyrs, Saint-Cosme et Saint-Damian, soit de ceste dite ville de Paris, rue de la Harpe, ou de la ville de Luzarches, la vigile ou jour de la solennité des dicts martyrs, qui eschet toujours le 27 sep- tembre, et supplier la bonté de nostre Sauveur, par l'intercession desdicts Martyrs, de leur donner grâce de bien fidellement et charita- blement exercer leur vocation de matronne, ou saige-femme, à l'en- droit de toutes femmes, soyent pauvres, médiocres ou riches.

Secondement pour l'entretien du saint sacrifice qui se célèbre en ladite paroisse, s'acquitteront de la redevance et rente qu'elles doivent, soit le jour de la solennité d'iceux martyrs, ou tous les premiers lundys de chaque moys non festé, auxquels tous les maistres chirur- giens jurez à Paris, s'assemblent, pour après ledit sainct sacrifice célé- bré, visiter, et conseiller, sans salaire, tous les pauvres malades qui s'y trouvent, suivant l'ancienne institution de la Confrairie fondée, esdictes églises par les Très-Chrestiens Roys de France, qui ont voulu estre escrits au nombre et Catalogue des Confrères d'icelle.

654 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

comme est contenu es Chartres de leurs Majestez, confirmées de Roy en Roy, et vérifiées par ce Très-Auguste Sénat de Messieurs de la Cour de Parlement, de ceste fameuse ville de Paris, registrées au registre des Bannières du dict Chastellet.

Que lors qu'il y aura une femme ou fille qui désirera estre reçeue saige femme en ceste dicte ville, faulxbourgs d'icelle, ou ailleurs, autant que ce faire feront paroistre de leur demeure, de leur vie, conservation vertueuse, et soubs qu'elles maistresses, ou mères, elles auront appris Testât de matronne, ou saige-femme, et ce par escrit, ou verbalement, ou par personnes et femmes d'honneur. Et la mort advenant de l'une des deux jurées du dict Chastellet, ne pourront le médecin, ny les deux chirurgiens jurez du Roy en présenter, qui n'ayent esté de long tems reçeue, et preste le serment, ainsi que sera dit, et que on a coustume de faire.

Qu'elles seront tenues se faire interroger par le médecin, et les deux chirurgiens jurez du Roy au Chastellet de Paris, et les deux matronnes jurées du Chastellet (1) seulement, mandées par iceux médecin, et deux chirurgiens jurez du Roy au dict Chastellet.

Qu'estant examinées elles seront tenues faire porter leur rapport, à fin de prester serment devant Monsieur le Prévost de Paris, ou Monsieur le Lieutenant criminel, ouy sur ce Monsieur le Procureur du Roy audict Chastellet, suivant la coustume.

Seront tenues retirer lettre du dit sieur Prévost de Paris, huict jours après le serment preste du greffe criminel, et la faire après signer du greffe du dit Chastellet et y faire apposer le sceau de la dite pre- vosté.

Que lors qu'elles auront fait et preste le dict serment au rapport des dicts médecin, et de deux chirurgiens jurez par le Roy au dict Chastellet de Paris ; qu'elles pourront mettre et apposer au devant de leurs maisous, enseignes de saiges-femmes, comme ont les autres, qui sont une femme portant un enfant, et un petit garçon portant un cierge, ou un berceau, avec une fleur de lys, suivant bon leur semble.

Que s'il y a quelque femme garde d'accouchées, ou autre qui soit descouverte, exercer le dict estât de matronne et saige-femme en ceste ville ou faulxbourgs de Paris, et qui n'aura suby le dict examen, et preste le dict serment comme elles, incontinent en donneront advis auxdicts médecins et deux chirurgiens du Roy, jurez au dict Chastellet, ou l'un d'eux.

Que lors qu'elles seront appelées à la délivrance et travail, soit de

(l) Dans son livre sur La naissance des enfants de France, la célèbre Loyse Bour- geois raconte que le 12 novembre 1598, époque de sa réception, les deux matrones qui firent partie de son jury d'examen furent Marguerite Thomas, dite du Puy, et Péronne Bayadan, reçues en 1576.

MOEURS ET COUTUMES 655

royne, princesses, dames, demoyselles, bourgeoyses, ou pauvres femmes, elles s'y comporteront sagement, honnestement, et vertueusement, et n'useront de paroles n'y gestes dissolus, et qu'au préalable elles n'ayent aussi osté leurs bagues de leurs doigts, si elles en ont, et lavé leurs mains.

Qu'elles seront aussi diligentes à secourir les pauvres que les riches, à fin que Dieu par ceste charité aye agréable leur travail.

Que si elles cognoissent que l'enfant se présente autrement que le chef devant, qui est l'accouchement naturel, ou par les pieds, qui est un autre accouchement, le premier après le naturel ; qu'avant qu'une femme soit en extrémité, elles seront tenues appeler conseil, soit de médecins, ou maistres chirurgiens jurez au Chastellet de Paris, ou des anciennes maîtresses et matronnes jurées au dict Paris, et non d'igno- rans en ce fait.

Qu'elles n'ordonneront, n'y donneront aucun breuvage, n'y autre sorte de médicament à femme, soit mariée, ou non mariée, pour provoquer l'avortement de leur fruict, à peine de la vie.

Qu'elles ne délivreront aucunes femmes, qu'elles ne les advertissent du devoir de chrestien, et aussi de la nécessité à toutes créatures rai- sonnables, du sacrement de baptême, qui se doit conférer à l'enfant nouveau nay.

Qu'elles n'oublieront à undoyer les enfans, si elles cognoissent qu'ils ne puissent parvenir au dict Saint-Sacrement de baptême, et qu'elles ne s'ingéreront trop tost de ce faire, si elles n'y cognoissent une grande nécessité.

Que s'il y a un homme, et notamment un homme d'église, au logis ou adviendra la dicte nécessité de undoyer, qu'elles lui défèrent cet honneur, si c'est après l'enfantement, et non autrement.

Que sur toutes choses elles vivent en femmes de bien, et d'honneur, ainsi que le nom de matronne et saige-femme honorable les y con- vie.

Que si elles cognoissent quelques unes de celles qui ont ja esté exa- minées, et preste le serment comme dit est pardevant le dict sieur Prévost, de Paris, tenir mauvais train, soit pour recevoir, enseigner, ou livrer mauvaises et dissolues compagnes, elles seront tenues les déclarer au dict médecin, aux dicts deux chirurgiens jurez du Roy, ou matronnes jurées, pour et afin qu'ils y façent donner ordre, et les façent priver de l'exercice de cet estât de matronnes, et saiges-femmes jurées, par jugement de Monsieur le Prévost de Paris, ou Messieurs les Lieu- tenans.

Qu'elles ne recevront enfans de femmes desbauchées, qu'aussi tost elles ne soyent soigneuses les faire baptiser; mesmes qu'elles en adver- tiront le commissaire du quartier s'il en est besoin.

Que tous les ans se fera par l'un des dicts deux jurez du Roy au dit Chastellet, anatomie de femme, pour l'instruction de ce qui est de la

65G HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

practique desdites saiges-femmes, elles seront adverties se trouver, si elles en ont commodité.

Que s'il advient qu'aux cimetières des saints innocens, es rues, ou en Chastellet, il ait esté exposé quelque enfant vif ou mort, qu'estant mandées par ledict sieur lieutenant, ou commissaires du quartier, ou l'un des dicts médecins ou chirurgiens, ou matronnes, elles seront tenues le venir trouver, pour voir si elles le recognoistront, pour en faire leur rapport à justice.

Que toutes les dites matronnes et maîtresses jurées seront tenues se trouver au mandement des dicts médecin, ou de deux chirurgiens jurez pour sa majesté, lors qu'il se présentera occasion de ce faire, sur peine de l'amende, ou envoyer excuse légitime, qui est de maladie, prison, ou travail pressé.

Qu'elles ne mesdiront les unes des autres, et ne se provoqueront d'injures, ny de paroles, ains se comporteront saigement et comme prudentes femmes.

Que les dictes matronnes ou saiges-femmes jurées, ne feront estant seules, rapport de la pudicité, corruption, ou grossesse de filles, ou femmes, sans le médecin, les deux chirurgiens jurez du Roy au dict Chastellet, ou l'un d'eux, à l'occasion des maladies qui souvent accom- pagnent leur grossesse, n'y estant instruites ; joint qu'est besoin escrire et signer les dicts rapports, et peu d'icelles sçavent escrire.

Que les dicts matronnes seront registrées au catalogue et roolle des saiges-femmes, qui est par devers l'ancien des deux chirurgiens jurez de Sa Majesté au dict Chastellet, avec les présens statuts et règlemens, desquels chaque saige-femme sera tenue avoir coppie imprimée.

Qu'elles jureront garder et observer tout ce que dessus, à peine d'un escu d'amende, ou plus grande, qui sera taxée par mon dit sieur le lieutenant criminel, en cas de grande contravention, ainsi qu'il jugera estre raisonnable.

Ce statut nous apprend qu'à Paris le serment professionnel était prêté par les sages-femmes, entre les mains du prévôt de Paris ou du lieutenant criminel. Dans beaucoup de villes, c'était, comme à Paris, le magistrat qui recevait ces promesses solennelles de la future ma- trone. Certaines formules sont assez curieuses. Nous avons relevé la suivante dans un livre fort rare (1), imprimé à Metz en 1583, et

(1) Manualc curatorum civitatis et diœcesis Metensium quo qvAsqw curam an!- inarum habens : que circa sacramentorum adminixtrationcm agenda xuntjacile eom- periet ; pluribus hattd in connu «dix additionibus (aliis agendis minime appositis) adauctum.Venundantur que in palatio ipsius civitatis per Joannem PelutiJ nnium . Impressum in clarissima civitate Metensi, solerti cura venerahilis domina lluaonis Nicolai al's des Tauars, catwnicl Metensis. Anno Domini millésime quingentisximo quadragesimo tertio die vero XV Julii, in-4 goth.

MOEURS ET COUTUMES 657

contenant le serment que devait prêter les sages-femmes de cette ville :

Juramentum quod prestare tenentur obstetrices in earum elec* tione.

Primo vous iures sur les sainctes evangilles que exerceres vostre of- fice le plus fidellinentet loyalrnent que poures sans faire tort ne force à la mère ne a lenffant.

Item que ne prendrez cherge de mettre main a femme si ne penses en venir au bout. Et si voyez qu'il y a dangier ny mettrez la main sinon par le conseil d'autre saige-femme à ce experte.

Semblablement que ne baptiseres enfant s'il ny a vie apparente. Et pourtant que plusieurs fois ce commettent beaucoup dabus des enfans mornes qui se portent aucune fois à Nostre Dame ou à aultre sainct. Vous iures que ny commettereznuly abus et que ne ferez chose enlen- tour desdis enffanspar quoy sembleroit y avoir vie et elle ny seroit. Ne baptiserez lesdis enffans ne parmettrez baptiser si donc ne voit apparen- tement qu'il aye vie .

Item quant aux enfans qui viennent souvent effois au monde lung le bras devant, l'autre la iambe, l'autre vient tout courbe à la porte, ou comme il plaist à Dieu : tournerez le dict enffant en façon que la mère et lenffant seront saulvez de péril. Semblablement que en recuyllant les- dis enffans ny userez de superstition quelconque ne daultre abus en aucune manière.

Item que ne mettrez la main à femme contre laquelle antiens couroux, bagne, ou rancune, si donc nestez appelée de ladicte femme. Et en tel cas ne userez de vindication assçavoir les tenir en peines (et travailles plus longuement) mais y besongnerez le plus expediemment qu'il vous sera possible.

Voici, d'autre part, un serment plus récent prêté par les sages- femmes de Saint-Quentin :

Art. 1er Vous jurez de vous bien et fidèlement comporter dans l'exercice et fonctions de sage-femme en cette ville, faubourgs et ban- lieues.— A. 2. De ne pas toucher, ni délivrer aulcune femme, que jugerez être gastée et entachée de mal vénérien sans avoir auparavant pris les précautions nécessaires tant devant qu'après la délivrance et l'accou- chement. — A. 3. Que vous advertirez les maris ou parents de celles que vous délivrez, si vous jugez qu'il y ayt péril ou danger de vie, afin de se pourvoir de secours et d'ayde, tant pour le salut du corps que de l'âme. A. 4. Que vous ondoyerez l'enfant et lui conférerez le baptême, au cas que vous jugerez qu'il soit en péril de la vie et qu'il ne puisse être porté en l'église. A. 5. Que vous ne recevrez chez vous aucune fille ou

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 42

C58 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

femme enceinte, sans la permission de la Chambre ou de M. le Mayeur. A. G. Qu'aussitôt que vous aurez délivré quelques filles ou femmes étran- gères en tel endroit de la ville, faubourg et banlieue que ce soit, vous en avertirez messieurs de la ville ou leur lieutenant. A. 7. Que quand vous délivrerez quelques filles ou femmes veuves, qui se seront laisse surprendre, vous les exhorterez, pendant les maux de l'accouchement, de vous dire et déclarer le véritable auteur de leur grossese et vous nommer le père de l'enfant pour en faire votre rapport en justice.

Dans quelques villes et dans les campagnes, c'était l'autorité ecclé- siastique, le curé d'ordinaire, qui recevait le serment; l'abbé Dinouart en a inséré plusieurs formules dans son Embryologie sacrée ; toutes sont à peu près copiées sur le même modèle. Nous reproduisons le serment du Rituel de Rouen :

Forma juramenti.

Je (Nomeri), promets à Dieu, le Créateur tout-puissant, et à vous Monsieur (qui êtes mon Pasteur) de vivre et mourir en la Foi Catholique, Apostolique & Romaine ; & que je m'acquitterai avec le plus de fidélité et de diligence qu'il me sera possible de la charge que j'entreprends, d'assister de nuit et de jour dans les couches les femmes pauvres & riches, que j'apporterai tous mes soins pour empêcher qu'il n'arrive aucun acci- dent à la mère ni à l'enfant : et que si je vois quelque danger, j'appelle- rai des Médecins ou des Chirurgiens, ou des femmes expérimentées en cette fonction, pour ne rien faire que par leur avis & avec leur secours. Je promets que je ne révélerai point les secrets des familles, ni des per- sonnes que j'assisterai ; que je n'userai point de superstition ni d'aucun moiien illicite, soit par paroles, soit par signes, ni de quelqu'autre manière que ce soit ; que j'empêcherai de tout mon pouvoir qu'on en use, et que je ne ferai rien par vengeance ou par mauvaise affection ; que je ne con- sentirai jamais à ce qui pourrait faire périr le fruit ou avancer l'accou- chement par des voies extraordinaires et contre nature; mais que, comme une femme de bien, vrai Chrétienne et Catholique, je procurerai en tout et par-tout le salut corporel et spirituel tant de la mère que de l'enfant ; ainsi Dieu me soit en aide .

Subjunget Parochus :

Vous le jurez et promettez ainsi ?

Respondebit Obstetrix :

Oui, Monsieur, je le jure et le promets.

Deinde Evaiigelium dextrâ tanget & osculabitur. Tum nomen Obs- tetricis, diemque prœstiti ab eà. juramenti describet Paslor in Regis- tris Deliberationum Fabricœ ; ipsique à Pastore dabuntur, si voluerit, litterae juramenti ab jirxstiti.

MOEURS ET COUTUMES 659

La prestation du serment et la réception de la postulante étaient officiellement constatés par une pièce. Nos archives départementales en contiennent plusieurs. M. Albert Babeau (1) nous a donné le texte suivant : « Le 7 décembre 1722, après que Jeanne Menneret, femme de Jean Michaux, a prêté le serment ordinaire sur les saints évangiles, du consentement des femmes de cette paroisse, nous l'avons admise à la fonction de sage-femme poui' cette paroisse, et pour celle de Macey en cas de besoin ; et a ladite Jeanne Menneret promis de s'acquitter fidèlement de cette charge. On est convenu que chaque femme lui don- nerait 25 sols pour ses couches. Elle a déclaré ne pas savoir signer. Signé Bidelet, curé de Montgueux de Macey. »

Dans un autre ouvrage (2), le même auteur nous apprend que la taxe des honoraires des sages-femmes était faite par les officiers mu- nicipaux, et, qu'à titre d'encouragement, ceux-ci accordaient des indem- nités, il est vrai peu considérables : par exemple, Sisteron donnait 10 livres, Boulogne 18, Brioude 30. On attirait encore les sages- femmes par des privilèges ; ainsi une sage-dame vient s'établir à Roubaix, à condition que son mari serait exempt des charges de pau- vriseur (3) et de marguillier.

Le 28 février 1680, une déclaration de Louis XIV portait défense à ceux de la religion réformée de faire fonctions d'accoucheurs et de sages-femmes :

LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : à tous ceux qui ces présentes Lettres verront, Salut. Nous avons été infor- més qu'il se commet beaucoup d'abus par ceux de la Religion prétendue Réformée de l'un et de l'autre sexe, qui se mêlent d'accoucher et faire les fonctions de Maîtresses Sages-Femmes dans l'étendue de notre Roiiau- me, en ce que, suivant les principes de leur Religion, ne croiiant pas le baptême absolument nécessaire, et ne pouvant pas d'ailleurs ondoiier les enfans, parcequ'il n'est libre qu'aux Ministres de baptiser, et même dans les Temples, quand il arrive que des enfans sont en péril de la vie, l'ab- sence desdits Ministres, oul'éloignement des Temples cause souvent leur mort sans qu'ils aient reçu le baptême ; qu'il arrive encore que lorsque lesdits de la Religion prétendue Réformée sont emploiiés à l'accou- chement des femmes Catholiques, quand ils connoissent qu'elles sont

(1) Le Village sous l'ancien régi me.

(2) La Ville sous V ancien régi me .

(3) Très probablement pour proviseurs, par fausse analogie. On appelait ainsi, sui- vant la Somme rurale de Bouteiller, citée par Littré d'après Lacurne de Sainte-Palaye, a ceux commis à garder et à recevoir les biens aux pauvres publics, et à administrer les aumosnes qui leur sont données ou délaissées o.

660 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

en danger de la vie, comme ils n'ont point de croiiance aux Sacre- mens, ils ne les avertissent pas de l'état elles se trouvent, en sorte qu'elles meurent sans que lesdits Sacrements leur aient été admi- nistrés. A quoi voulant pourvoir, et empêcher en même temps que les enfans illégitimes dont on cache la naissance, et dont l'éducation est ordinairement confiée à ceux qui accouchent les mères, s'ils font profession de la Religion prétendue Réformée, ne les instruisent dans ladite Religion, bien que les pères et mères fassent profession de Religion Catholique, Apostolique et Romaine. A ces causes et autres à ce Nous mouvant, de l'avis de notre Conseil et de notre certaine science pleine puissance et autorité Roiiale, avons dit et déclaré, disons et déclarons par ces présentes signées de notre main, voulons et Nous plaît ; qu'au- cunes personnes, de quelque sexe que ce soit, faisant profession de Religion prétendue Réformée ne puissent dorénavant se mêler d'ac- coucher dans notre Roiiaume, Pays et Terres de notre obéissance, des femmes, tant de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, que de la Religion prétendue Réformée, leur faisant très expresses inhibi- tions et défenses de s'y immiscer, à peine de trois mille livres d'amende, et d'être procédé extraordinairement contre les contrevenans ; et ce faisant, avons dérogé et dérogeons à l'Article XXX de notre Déclaration du premier jour de Février 1669, par laquelle Nous avons ordonné que nos sujets de la Religion prétendue Réformée seront admis et reçus à tous les Arts et Métiers, dans les formes ordinaires des apprentissages et chefs-d'ouvres dans les lieux il y a Maîtrise. Si donnons en mande- ment à nos amés et féaux Conseillers, les Gens tenans notre Cour de Parlement à Paris, Baillifs, Sénéchaux ; et à tous autres nos Officiers et Justiciers qu'il appartiendra, que ces Présentes ils aient à faire lire, publier et registrer purement et simplement, et le contenu forme et teneur, nonobstant tous Edits, Déclarations, Arrêts et Règlemens à ce contraires. Enjoignons à notre Procureur Général et à ses Substituts de faire, pour l'accomplissement de notre intention, toutes les poursuites et réquisitions nécessaires, et à tous nos Sujets de donner avis aux Juges des lieux des contraventions qui pourront être faites à cesdites Présentes : car tel est notre plaisir. Donné à Saint-Germain-en-Laye, le vingtième jour de Février, l'an de grâce mil six cent quatre-vingt, et de notre Règne le trente-septième. Signé : LOUIS ; et sur le repli, Par le Roi, Colbert ; et scellé du grand Sceau de cire jaune.

Registre à Paris en Parlement, le vingt-quatre mars mil six cent quatre-vingt. Signé : Jacques.

Nous serions volontiers disposé à croire que nombre de femmes s'ingéraient de pratiquer des accouchements, sans avoir subi l'examen et prêté le serment. Ces infractions aux règlements avaient lieu tout au moins à Paris. Nous n'en voulons pour preuve que la pièce sui- vante :

MOEURS ET COUTUMES 661

SENTENCE

RENDUE

PAR MONSIEUR LE LIEUTENANT CRIMINEL AU CHATELET DE PARIS

QUI ORDONNE L 'EXÉCUTION DES ARRÊTS DU PARLEMENT DES 12 DÉCEMBRE

1726 ET 3 NOVEMBRE 1728 ET DES SENTENCES DES 7 MARS, 5 AVRIL, 12 MAI 1742, ET 22 SEPTEMBRE

1745

En conséquence, fait défense à toutes femmes et filles de s'immiscer dans la fonction de Matrone et Sage-Femme, dans la Ville, Faux- bourgs et Banlieue de Paris, et de prendre Enseigne, sans avoir été examinées es Ecoles de Saint-Côme, et avoir prêté le serment par- devant Monsieur le Lieutenant-Criminel.

Extrait des Minutes du Greffe Criminel du Châtelet de Paris.

Vu le Réquisitoire à nous présenté par le Procureur du Roi, expositif, que par Arrêts du Parlement des 12 Décembre 1726, et 3 Septembre 1728, il avoit été ordonné que, lorsque les Sages-Femmes auroient obtenu, du premier Chirurgien du Roi, des Lettres de capacité à maîtrise, elles prêteroient serment par-devant Nous ; et par plusieurs Sentences rendues sur ledit Réquisitoire dudit Procureur du Roi, notamment par celles des 7 Mars, 5 Avril, 12 Mai 1742, et 22 Septembre 1745, il avoit été fait défenses à toutes femmes et filles de s'immiscer dans la fonction de Matrone et Sage-Femme, en cette Ville, Fauxbourgs et Banlieue de Paris, de prendre Enseigne, sans avoir été examinées es Ecoles de Saint-Côme, par les Chirurgiens à ce commis, avoir prêté serment par- devant Nous, en la manière accoutumée, information préalablement faite, à la requête dudit Procureur du Roi, de leurs vie et mœurs, Reli- gion Catholique, Apostolique et Romaine, à peine de trois cens livres d'amende, pour la première fois. Comme ledit Procureur du Roi étoit informé, qu'au préjudice de la disposition précise desdits Arrêts et Sen- tences, la plupart des femmes et filles qui, depuis plusieurs années, s'étoient ingérées dans l'exercice de la profession de Sages-Femmes, et annoncées dans le Public, Maîtresses dudit art, en faisant pendre des Enseignes aux maisons qu'elles occupoient dans la Ville et Fauxbourgs

662 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

de Paris, n'avoient point préalablement subi les examens ordinaires, es Ecoles de Saint-Côme, et ne s'étoient point présentées pour prêter le serment par-devant Nous, en tel cas requis ; ce qui étoit un abus con- traire au bien de la justice, à l'ordre public et à la sûreté des familles ; et qu'il étoit du devoir et du ministère dudit Procureur du Roi, d'en arrêter le cours, en prévenant tout ce qui pourroit y donner lieu ; et de veiller et tenir la main à l'exécution desdits Arrêts, Sentences et Régie, mens. A ces causes, requéroit le Procureur du Roi, que les Arrêts du Parlement des 12 Décembre 1726, et 3 Novembre 1728, et les Sentences des 7 Mars, 5 Avril, 12 Mai 1742, et 22 Septembre 1745, fussent exécutés selon leur forme et teneur; en conséquence, que défense seroient faites à toutes femmes et filles de s'immiscer dans la fonction de Matrone et Sage-Femme, en cette Ville, Fauxbourgs et Banlieue de Paris ; de prendre Enseigne, sans avoir été examinées es Ecoles de Saint-Côme, par les Chirurgiens à ce commis, avoir prêté le serment par-devant Nous, en la manière ordinaire et accoutumée; information préalable- ment faite, à la requête dudit Procureur du Roi, de leurs vie et mœurs, Religion Catholique, Apostolique et Romaine, à peine de trois cens livres d'amende, pour la première fois ; et qu'il fût ordonné, que celles qui en avoient fait la fonction jusqu'à présent, sans avoir été ainsi examinées et reçues, seroient assignées par-devant Nous, à la requête dudit Procureur du Roi, pour se voir condamner en telle amende qu'il appartiendroit, et qu'il fût enjoint à tous les Commissaires du Châtelet, de se transporter chacun dans leur quartier, es lieux il y auroit des Enseignes de Sages-Femmes attachées, pour se faire représenter, par celles qui les auroient fait attacher, leurs Sentences de réception au Châtelet; et faute de les représenter, qu'elles seroient assignées par- devant Nous, pour répondre sur leur rapport, dont ils dresseroient leurs Procès-verbaux, et en donneroient avis au Procureur du Roi, pour, sur ses conclusions, être ordonné ce que de raison : et que la Sentence qui interviendroit sur son dit Réquisitoire, seroit, à la diligence du Procureur du Roi, imprimée, lue, publiée, et affichée dans tous les lieux et carre- fours accoutumés de la Ville, Fauxbourgs et Banlieue de Paris, et par- tout où besoin seroit.

Nous, faisant droit, sur le réquisitoire du Procureur du Roi, disons que les Arrêts du Parlement des 12 Décembre 1726, et 3 Novembre 1728, et les Sentences des 7 Mars, 5 Avril, 12 Mai 1742, et 22 Septembre 1745, seront exécutés selon leur forme et teneur : en conséquence, faisons défenses à toutes femmes et filles, de s'immiscer dans la fonction de Matrone et Sage-Femme, en cette Ville, Fauxbourgs et Banlieue de Paris, et de prendre Enseigne, sans avoir été examinées es Ecoles de Saint-Côme, par les Chirurgiens à ce commis ; avoir prêté serment, par-devant Nous, en la manière ordinaire et accoutumée, information préalablement faite, à la requête du Procureur du Roi, de leurs vie, mœurs et Religion Catholique, Apostolique et Romaine, à peine de trois

MOEURS ET COUTUMES 663

cens livres d'amende, pour la première fois. Ordonnons que celles qui en ont fait la fonction jusqu'à présent, sans avoir ainsi été examinées et reçues, seront assignées par-devant Nous, à la requête du Procureur du Roi, pour se voir condamner en telle amende qu'il appartiendra.

Mandons à tous les Commissaires du Châtelet, de se transporter chacun dans leur quartier, es lieux il y aura des Enseignes de Sages- Femmes attachées, pour se faire représenter, par celles qui les auront fait attacher, leur Sentence de réception au Châtelet ; et faute de les représenter, qu'elles seront assignées par-devant Nous, pour répondre, sur leur rapport, dont ils dresseront leurs Procès-verbaux, et en donne- ront avis au Procureur du Roi, pour, sur ses conclusions, être ordonné ce que de raison.

Disons en outre, que notre présente Sentence sera, à la diligence dudit Procureur du Roi, imprimée, lue, publiée et affichée, dans tous les lieux et carrefours accoutumés de la Ville, Fauxbourgs et Banlieue de Paris, et par-tout besoin sera.

Ce fut fait et donné par Nous, Charles-Simon BACHOIS DE VILLE- FORT, Chevalier, Conseiller du Roi en ses Conseils, Lieutenant-Cri- minel de la Ville, Prévôté et Vicomte de Paris, le 3 Août mil sept cent soixante-dix-neuf.

BACHOIS. , MOREAU.

CARRE.

Charles-Simon Bachois de Villefort avait raison; mais en réalité quelles garanties de savoir offraient, même dans la capitale, les ma- trones associées à la confrérie de Saint-Côme? Tous les ans, un des deux chirurgiens jurés du Châtelet était tenu de leur démontrer l'anatomie sur un cadavre de femme. Dès 1664, il y a progrès : une déclaration du mois de septembre de cette année et des arrêts de la Cour du 19 août 1666 et 29 mars 1732 « défendent à la communauté des chirurgiens de Paris et aux démonstrateurs anatomiques de faire aucune dissection des corps de femmes, sans y avoir appelle les sages- femmes par des billets de convocation ». Seulement ces spectacles, auxquels Thomas Diafoirus invitait Angélique, n'avaient guère lieu qu'à Paris. Mais en province, mais dans les campagnes surtout?

Dans les campagnes, si nous en croyons M. Babeau, l'ignorance des sages-femmes était incroyable. L'acte de réception de Jeanne Menneret contient cette clause : du consentement des femmes de cette paroisse; c'est qu'en effet, la nomination des sages-femmes était une des singularités de la vie rurale à cette époque. Toutes les femmes s'assemblaient chez le curé pour la choisir; assez souvent même la promotion se faisait en chaire; celle qui avait été honorée de ce choix, n'avait, peut-être jamais, été témoin d'un accouchement. Au fond, cet

664 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

usage avait été motivé par le désir d'empêcher les enfants de mourir sans baptême. On essaya de remédier aux accidents causés par ces sages-femmes improvisées, en créant des écoles d'accouchement dans les chefs-lieux d'élection, à Moulins par exemple, à Rouen, à Alen- çon. D'ordinaire, les cours duraient deux mois, et, pendant ce temps, les pensionnaires, le plus souvent désignées parle suffrage universel, recevaient huit sous par jour. Mais, malgré les certificats qu'on leur délivrait et les exemptions de corvée royale qu'on accordait à leurs maris, beaucoup de jeunes femmes refusaient de s'y rendre parce qu'elles ne pouvaient ni ne voulaient quitter leur ménage.

La valeur scientifique des anciennes matrones nous paraît donc fort contestable. Quelle était leur valeur morale, tout au moins à Paris? Les anecdotiers des siècles passés nous ont laissé le récit de quelques aventures compromettantes pour leur réputation. Sans parler de la Voisin, célèbre empoisonneuse, qui jeta un fâcheux reflet sur la corporation des sages-femmes du XVIIe siècle, dont elle faisait partie. Nous savons que, déjà au siècle précédent, elles prêtaient vo- lontiers leur ministère à des accouchements clandestins. Nous en avons une preuve dans ce passage d'Henry Estienne : « La manière est aujourd'huy d'aller quérir les sages-femmes en leurs maisons, et après leur avoir bandé les yeux, les mener au logis est la femme qui en a besoin, et est alors masquée ou autrement bouchée, de peur d'estre cognuë par elles, ausquelles il est force de desbander alors les yeux. Quant à moy j'ay oiiy parler d'une qui racontoit, ne luy avoir été faict ce tour seulement (qui est aujourd'huy assez commun, si on vouloit faire la recherche), mais aussi l'enfant avoir été mis à mort en sa présence, incontinent après être sorti du ventre maternel. Et qu'elle n'eut pas plustost ouvert la bouche pour remonstrer l'énormité de l'acte qu'on vouloit commettre, qu'elle fut en danger de sentir sa part de la cruauté des personnes qui commettoient ce meurtre, et de celles aussi quiy consentoient.Et entr'autres choses ajoustoitquela chambre en laquelle ceci se faisoit, estoit toute tapissée de draps blancs, pour oster mieux tout moyen de remarquer rien. Elle fut puis ramenée jusques au lieu on l'avait prise, ayant les yeux bandez comme au paravanl. Par ceci pouvons-nous conjecturer quels courages ont au- cunes femmes. Il est bien vray qu'aujourd'huy maintes dames n'ont besoin d'en venir jusques-là, par le moyen de plusieurs préservatifs qui les gardent de devenir grosses. »

En 1660, l'avortement volontaire de Mlle deGuerchy, opération à la- quelle succomba cette malheureuse fille d'honneur de Marie-Thérèse d'Autriche, mena au gibet, dressé à la Groix-du-Trahoir, la Cons-

MOEURS ET COUTUMES 665

tantin, matrone qui l'aida à commettre son crime et la blessa mor- tellement ; et à ce propos, si l'on en croit les Mémoires d'Amelot de la Houssaye, le comte de Grammont disait à Louis XIV, lui deman- dant ce qu'il avait appris de nouveau à Paris : « Pas autre chose, Sire, sinon que j'ai vu pendre la sage-femme des filles d'honneur de la reine » (1).

(1) MUe de Guerchy était la maîtresse du duc de Vitry; elle eut recours à la Constantin parce que sa grossesse, qu'elle tenait secrète, l'empêchait d'accompagner la reine en voyage. Son amant la voyant perdue, la fit confesser, pms, pour abréger son agonie douloureuse, lui fracassa la tête d'un coup de pistolet et s'enfuit en Ba- vière. Dans une lettre du 22 juin 1660, Guy Patin dit : « On fait ici grand bruit de la mort de MUe de Guerchy. . . Le curé de Saint- Eustache a refusé la sépulture au corps de cette dame ; on dit qu'on l'a porté dans l'hôtel de Condé, et qu'il y a été mis dans la chaux afin de le consumer plus tôt, et qu'on n'y puisse rien reconnaître si on venait à la visiter. »

C'est cette aventure qui donna lieu au fameux sonnet de l'Avorton; l'auteur J. Hesnault, fait ainsi parler la mère :

Toi qui meurs avant que de naître, Assemblage confus de l'être et du néant, Triste avorton, informe enfant, Rebut du néant et de l'être.

Toi que l'amour fit par un crime, Et que l'honneur défait par un crime à son tour, Funeste ouvrage de l'amour, De l'honneur funeste victime.

Donne fin au remords par qui tu t'es vengé, Et du fond du néant je t'ai replongé N'entretiens point l'horreur dont ma faute est suivie.

Deux tyrans opposés ont décidé ton sort : L'amour, malgré l'honneur, t'a fait donner la vie, L'honneur, malgré l'amour, te fait donner la mort.

En réplique, on fit la Réponse de V Avorton :

Mère, qui veux cesser de l'être, Qui défais ton ouvrage après l'avoir formé, Et fais un sépulcre animé De ce sein je devais naître !

Toi qui, dan3 tes propres entrailles, Attaques la nature ; et, par un coup fatal, Fais précéder mon jour natal, Par celui de mes funérailles!

Laisse-moi le loisir de déplorer mon sort. L'hoimeur pour se venger a conspiré ma mort : Dans ton sein malgré lui, je m'ouvris le passage.

Cet honneur offensé m'en punit en ce jour; Il me rend maintenant outrage pour outrage, Et lui, que j'ai détruit, me détruit a son tour I

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Dans son Tableau de Paris, publié à la veille de la Révolution, l'observateur Mercier nous peint comme suit les sages-femmes de son temps : « Quand une fille est devenue mère, elle n'avertit personne malgré l'édit de Henri II. Elle dit qu'elle va à la campagne ; mais elle n'a pas besoin de sortir de la ville, même du quartier pour se cacher et faire ses couches. Chaque rue offre une sage-femme qui reçoit les filles grosses. Un même appartement est divisé en quatre chambres égales au moyen de cloisons, et chacune habite sa cellule et n'est point vue de sa voisine. L'appartement est distribué de manière qu'elles demeurent inconnues l'une à l'autre pendant deux ou trois mois ; elles se parlent sans se voir.

« On ne peut forcer la porte d'une sage-femme que par des ordres supérieurs. La fille attend le moment de sa délivrance; un mois ou six semaines, selon qu'elle a bien ou mal calculé.

« Elle sort après la quinzaine et rentre dans sa famille et dans la so- ciété. Elle a pu accoucher dans une rue voisine, voyant de sa fenêtre celles de son père, sans que celui-ci s'en doute; et voilà ce que la pro- vince ne sauroit concevoir.

« La sage-femme se charge de tout, présente l'enfant au baptême, le met en nourrice, ou aux Enfants-Trouvés, selon la fortune du père ou les craintes de la mère. Combien ces réduits secrets ont-ils vu de malheureuses et tendres amantes, quelquefois trahies, abandonnées, et mouillant de leurs larmes tardives leur couche solitaire ! Quelle situation affreuse que celle de la jeune beauté qui, pressée entre le remords, le désespoir et la honte, paie avec usure un moment de fai- blesse! Elle ne peut nommer ni son amant ni son fils en les chéris- sant tous deux ; fugitive de la maison paternelle, elle se trouve isolée dans cette immense ville, et obligée de vendre des petits bijoux

Citons enfin YEpitaplie faite sur MllQ de Guerchy :

Passant, sur ce tombeau daigne arrêter tes pas.

Tu sauras la triste aventure D'une rare beauté qui, devant son trépas, Se faisait admirer de toute la nature.

Dès qu'elle parut à la Cour,

Elle sut donner de l'amour,

Et cette belle en prit de même. Mais son cœur en prit tant, qu'à son amour extrême Elle sacrifia jusques à son bonneur. Mais l'honneur à son tour voulant un sacrifice ; La belle Iris, pour fuir le déshonneur,

Immola le fruit de son vice. Et pour le faire avec plus de splendeur, Ce n'était pas assez de l'Avorton d'un crime, Elle-même en fut la victime.

MOEURS ET COUTUMES G67

pour obtenir le lit elle déposera le fruit de ses amours. On la cher- che de tous côtés ; elle ne sortira de cette prison clandestine que quand elle pourra reparaître. La faute sera oubliée et même pardonnée, pourvu qu'il n'y ait point de publicité.

« Ces sages-femmes tirent le plus d'argent qu'elles peuvent des infortunées qui viennent chercher leur secours ; ils ne sont pas désintéressés ; il n'en coûte guère moins de douze livres (1) par jour.

« On a vu plusieurs filles assez habiles pour cacher leur grossesse jusqu'au dernier instant, assez heureuses pour accoucher prompte- ment, assez intrépides pour revenir dans leur foyer domestique sans éveiller les soupçons de leurs père, mère, frère et sœur. Quel inconce- vable chef-d'œuvre d'habileté, de présence d'esprit et de courage ! Ainsi les sages-femmes sauvent la réputation des amantes infortunées, elles sont vouées à la discrétion; le plus souvent, il est vrai, elles ne connoissent pas les personnes qu'elles accouchent. L'enseigne d'une sage-femme est parlante ; elle offre une femme portant un nouveau-né. Sans décrier une maison, cette enseigne empêche que des demoiselles bien nées y viennent demeurer, parce que ce voisinage paroîtroit trop commode aux yeux de la malignité. La fille prend la peine, quand l'accident lui arrive, de traverser la rue, et alors tout est dans l'ordre.

« Le prêtre qui baptise est accoutumé avoir arriver la sage-femme, et il distingue ainsi du premier coup d'œil l'enfant de l'amour de l'en- fant de l'hymen. Les droits du prêtre ayant été fraudés, il punit le fils de l'infracteur dans l'extrait baptistaire, et le déclare enfant natu- rel, c'est-à-dire, bâtard. Qui voudra écrire des anecdotes singu- lières, intéressantes, piquantes, savoir et le bien et le mal que l'amour fait dans ce monde, toutes les ruses qu'il invente, toute la force et tout le courage dont il est susceptible, qu'il fasse la connaissance de quatre ou cinq sages-femmes; il apprendra des aven- tures uniques presque incroyables, et, les noms des personnages y manquant, le lecteur sera intéressé, sans que les acteurs soient trahis. Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est de voir quelquefois la fille d'une sage-femme servir sa mère dans des fonctions qui réveillent certaines idées, et, au milieu de tant d'exemples de faiblesse, conserver

(1) Douze livres tournois représentent environ 11 francs 8o centimes. De nos jours, la sage-femme est moins exigeante, et, comme nous l'apprend une enseigne reproduite plus loin, se contente de 60 francs pour neuf jours. Il est vrai d'ajouter que la matrone qui nous a autorisé à reproduire son enseigne, nous a prévenu que ses prix étaient augmentés.

668 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

sa chasteté intacte. Si elle tombe dans le piège, ce ne sera pas faute d'avoir eu sous les yeux des motifs propres à la retenir sur le bord du précipice.

« Plusieurs filles qui ont visité une ou deux fois l'appartement obscur et impénétrable de la sage-femme, n'en trouvent pas moins un époux, en jouant le rôle d'Agnès, rôle que presque toutes les filles et même les plus sottes possèdent par instinct. Puis dans cette ville immense qui peut conter l'histoire de tel ou tel individu ? Le changement de quartier suffit pour dérouter le plus habile, le plus curieux investiga- teur.

« Les filles pauvres et sans ressources vont faire leurs couches à l'Hôtel-Dieu; on les y reçoit dès le sixième mois. Cette partie de l'ad- ministration est très bien soignée; rien ne manque à ces femmes de ce qu'exige leur état. Les maîtres de l'art y inspectent journellement la manière dont elles sont traitées jusqu'à leur parfait rétablisse- ment. La chose vue en grand me paraît exempte de reproches.

« Ces sages-femmes qui reçoivent toutes celles qui se présentent, sans s'enquérir de leur nom et qualité, etl'hôpital des Enfants-Trouvés font que l'infanticide est un crime inouï dans la capitale. Ce forfait n'était pas rare avant ce sage établissement, et voyez s'il n'est pas plus commun en Suisse que dans toute la France.

« L'édit de Henri II est tombé en désuétude ; et sur cent filles qui accouchent clandestinement, à peine il y en a-t-il une seule qui sache qu'une vieille loi la condamne à la mort pour n'avoir pas révélé sa grossesse.

« On compte à Paris deux cents maîtresses sages-femmes ; il y naît environ vingt mille enfants : divisez. »

La sage-femme au XIXe siècle. En France, d'après la loi du 19 ventôse an XI, toute élève sage-femme doit être âgée de 18 ans au moins et de 35 ans au plus. Il y a deux classes de sages- femmes dont les épreuves diffèrent peu ; la principale distinction existe dans les droits à payer : ils sont de 130 francs pour la sage-femme de lro classe et seulement de 25 francs pour la sage-femme de 2e classe. De plus, leur diplôme donne droit, à la première, d'exercer sur tout le territoire français, tandis que la seconde ne peut s'éloigner de la cir- conscription où elle a été reçue. Ainsi, une femme, précédemment ac- couchée en Seine-et-Oise par une matrone de 2e classe, et qui vient ensuite demeurer dans un département limitrophe, ne peut réclamer les soins de la même sage- femme; celle-ci en est reconnue inca- pable de par la loi. Bizarre jurisprudence que celle qui fait dépendre

MOEURS ET COUTUMES

669

l'instruction et l'habileté professionnelles d'une question de topo- graphie.

A Paris, nos aspirantes sages-femmes sont instruites dans deux écoles ; les unes restent internées à la Maternité, un an ou deux ans à leur gré: les autres sont libres et suivent un cours théorique à la

Fig. 452.— Fac-similé d'une vignette de H. Dauraier, tirée de la Némisis médicale.

Clinique des accouchements ; elles passent, en outre, un jour et une nuit par semaine dans les salles de cet hôpital, pendant six mois seu- lement. Il va sans dire que les premières, en raison de la direction de leurs études et surtout du vaste champ d'expériences qu'elles ont à leur portée, offrent des garanties de capacité beaucoup plus grandes -que toutes leurs autres collègues.

Dans les départements, les élèves sages-femmes suivent un cours

670 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

annuel qui leur est spécialement destiné dans l'hospice principal ou dans une faculté. Mais leurs études, comme celles des élèves de la Clinique de Paris, laissent trop à désirer.

Le niveau intellectuel des sages-femmes, exerçant actuellement dans les villes, est certainement plus élevé que celui de leurs sœurs en obstétrique du siècle précédent ; cependant, sans trop ravaler leur mérite, il est permis de reconnaître que si elles sont parfois habiles, elles sont rarement instruites (1). Faut-il parler des campagnes ? Là, dit le Dr Montagnet, leur niveau scientifique est, le plus souvent, tellement bas, qu'il est presque nul ; le plus grand mérite de ces fem- mes est de savoir bien emmailloter un enfant.

Dans sa Némésis médicale, François Fabre, qui n'est pas des plus aimables pour les accoucheurs femelles de notre époque, dépeint leurs travers, non sans quelque vérité :

LES SAGES-FEMMES

De l'accoucheur, que font le sexe et l'âge ?

L'âge et le sexe ont, à mérite égal,

Un égal titre au beau surnom de sage.

Du même fief, châtelain féodal.

Tout esprit docte à son gré se l'arrogé;

Soit qu'à longs plis descendent sur sa toge,

Incessamment par l'amour caressés,

D'épais cheveux artistement tressés ;

Que sur sa bouche erre au milieu des charmes

Le doux souris qui va sécher les larmes ;

Soit qu'aux ennuis son front s'est moulé,

Encor flétri de morgue scholastique,

L'œil mâle et fier, ou sévère, ou caustique,

Dans le travail sa foi d'homme ait doublé ;

La foule accourt et ma voix la rallie ;

Non cette foule domine la lie

A nos besoins insuffisant fretin,

Faible soutien d'une école affaiblie,

s'étendront Moreau, Dubois, Hatin,

(1) Voici, comme échantillon du savoir de quelques sages-femmes, une lettre publiée dans la Gazette des Hôpitaux, du 13 février 1836 : « Ma bonne peutite, ci vous nave pas de parti prémédite pour ce coire, je vous zin vite à veu nire in ci que made- moiselle X... bonne man et cen pleman promené cure leu boulevare. »

MOEURS ET COUTUMES 671

D'autres encor que ma mémoire oublie ; Mais bien la foule d'un meilleur renom Vivent Dugès, Gardien, Capuron, Et Villeneuve, espoir de Massillie ; Et mille, mille à qui manque un essor, Dont l'aile bat, quoique sur terre encor, Qu'un souffle d'air, une brise qui passe Au moindre choc lancerait dans l'espace. Mais, dira-t-on, laissez vos ventriers, Gent secourable aux secrètes faiblesses, Accoucheurs-nés de reines, de princesses, Se disputer ou chardons ou lauriers ; Chardons, lauriers ont des branches rameuses ; A vous des mets faciles à broyer, De la science à docile espalier, A vous, enfin, à vous les accoucheuses.

Oh ! comme ici, sous mon vers indiscret

Dans son éclat FEcole reparaît ;

De quels chefs-d'œuvre elle se pare et brille ;

Quel linge sale à laver en famille ;

Et pour blanchir de jaunissants fleurons

Quelle lessive à chauffer aux chaudrons' !

Non que soudain de mes justes critiques,

Prompt à jeter d'inopportuns éclats,

J'aie à flétrir cet hôtel des cliniques

Bâti naguère avec tant de fracas,

Où, resserrés comme aux étroites stalles,

On ose encor du nom pompeux de salles

Y décorer d'étouffants galetas ;

Que coup sur coup d'une haleine ennemie

A quatre fois souillé l'épidémie ;

Et que la fièvre aux retours malfaisants

A quatre fois fait fermer en trois ans.

Qu'on ose encor l'ouvrir, et de ma bouche

S'échappera l'irrévocable arrêt;

Ma voix est forte et l'anathème est prêt :

Malheur à ceux que la mitraille touche

Quand la justice amorce les canons !

En mille éclats elle brise leurs noms ;

Un mot suffit : de hideux cabanons

Heurtent les yeux de leurs femmes en couche.

Ecartons-nous de ce double charnier.

Loin du cloaque la mort a son trône,

Sur un coteau que plus d'air environne,

672 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Et qu'Arago nous rendit familier, Est un palais qu'une piété divine Au siècle d'or a bâti pour Lucine ; Penser d'amour, œuvre de charité, A juste droit nommé Maternité. C'est un refuge à des larmes amères ; Aux orphelins on y garde des mères, Et tout écho qui réfléchit des sons Des Baudelocque y redit les leçons. Naguère encore Boivin et Lachapelle Ont illustré la Salerne nouvelle, Et maintes fois sur le divin trépied, Ange de paix, aux douleurs qu'elle veille, De Trotula l'ombre fraîche et vermeille Près d'un chevet, souriante s'assied, Belle d'attraits, de vertu, de science, Belle surtout de son expérience. Telle, échappant à d'injustes mépris, D'un culte saint, consolante prêtresse, Dans l'art si cher aux dames de la Grèce, Malgré les lois, Agnodice eut le prix. Telle Perrette, hélas ! mélancolique, En robe simple, en simple capuchon, Calme, subit sur la place publique L'auto-da-fé d'une sentence inique, Et dont un roi la releva, dit-on.

Qu'ai-je entendu ? Perrette ventrière,

Qu'un parlement transformait en sorcière;

Ah! qu'elle garde un insultant pardon;

Fi de son aide et même de son nom !

Fi des talents, des vertus de bricole !

Quel Orfila de sa puissante main

A déposé la griffe d'une école

Au sceau menteur de leur faux parchemin?

Est-ce au sortir d'examens de parade

Qu'on leur transmit la sagesse et le grade,

Fruits sans saveur qui vont sécher demain?

Ah ! dans ce siècle, est-il rien que l'on n'ose?

La convoitise y gâte toute chose ;

En cette école aux fréquentes rumeurs,

Plus d'un élu que le pouvoir révère

Met, en dépit de son maintien sévère,

Sous ses deux pieds la justice et les mœurs.

Pourquoi baisser votre paupière humide?

MOEURS ET COUTUMES 673

De vos regards, je suis fier et jaloux ; Levez ces yeux dont l'éclat est si doux; Est-ce bien vous que ma robe intimide? Ah! croyez-moi, que vous disiez ou non De vos auteurs la matière et le nom, N'eussiez-vous fait qu'une croix pour paraphe, La langue admet parfois certain écart, Montesquieu même en a commis sa part : Honte aux pédants qui savent Forthographe ! L'écho redit ce propos engageant De halle en halle aux provinces voisines; Vingt Jeannetons à l'œil encourageant L'ont entendu jusque dans leurs cuisines; L'impur graillon en tout sens le transmet, Mais au dehors cette odeur ne se borne, L'Ecole en hume un odorant fumet ; Et, sous la toque, à plus d'un nez gourmet Monte un parfum de quelque maritorne.

A qui la faute et le mal tout entier?... A vous, régents des classiques royaumes Qui trafiquez de vos honteux diplômes Comme on ferait d'un impôt maltôtier. Sous vos jurys la récolte est facile, Mais sans soleil avortent les moissons, Et du scrutin au flanc large et docile Un cuivre impur dénature les sons. Pédants titrés, prodigues de couronnes, Dont les lauriers sont à peine tressés, De source impure, à flots longs et pressés Sortent encor mille et mille matrones ; Mais s'il en est qui, de toute hauteur, Fermes d'esprit, fortes de conscience, Osent briguer un brevet de science, Et marchent droit au bonnet de docteur, De vos moulins remettant l'aile en panne, Au candidat vous jetez le harpon, Emerveillés que le public profane, Qui rit parfois des docteurs en soutane, Ne siffle pas un docteur en jupon.

Qui donc siffler? répondez, est-ce Stone, Ou Saint-André qu'elle grime en Scapin, Et voue aux ris dont la plèbe bretonne Suit Godalmine accouchant d'un lapin? Est-ce Nihell dont la main impolie

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 43

674 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

D'un coup de fouet désarçonna Smellie ? O sacrilège ! à l'élève ébahi L'habileté du docteur diplomate Développait un informe automate; Il lui faisait un ventre en cuir bouilli ; Une vessie y singeait la matrice, Chaste utérus dans la bière glisse Une poupée à cire molle et lisse ; Et le bouchon tamponnant l'orifice Sous la ficelle obéissait au doigt ; L'eau jaillissait du factice détroit, Mais Nihell rit d'un rire de mégère; Rire fatal qui, malgré le bouchon, A fait jaillir un dernier flot de bière, Et dont l'éclat a brisé le cruchon.

Quel sel mordant, quelle épigramme fine, Pourrait atteindre en ces indignes jets Ou Lachapelle, ou Legrand, ou Dugès, Docteurs de fait sous le seing de Lucine ! Et Siéboldt, double greffe germain, Boivin encor, lustre de sa patrie, Et Wittembach, d'un sang français nourrie, Toutes docteurs par droit de parchemin!... Et maintenant, comme un fer qui se rouille, Renverrez-vous la femme à sa quenouille, Et d'une trame aux dévorants ennuis Enchevêtrant et ses jours et ses nuits, Aigres de ton et de voix bien amère, La livrez-vous aux seuls devoirs de mère? Mais sa santé lui défend tous les mois A jours égaux, dites-vous, les émois; Neuf mois durant, une ardeur imprudente Nuit aux progrès d'une grossesse lente ; L'insouciance au fruit qu'elle a porté Eût mis obstacle à sa fécondité, Et dans le sein d'une docte nourrice Un rien suffît pour que le lait tarisse. Travaux de nuit sont alors sans attraits; Comment se plaire encore aux œuvres rudes, Interrompant de douces habitudes ? Comment offrir à des esprits distraits D'après labeurs, de sévères études? Coupez donc court à tout nouvel effort ; Plus de docteur à titre hermaphrodite ;

MOEURS ET COUTUMES 675

Du Grec jaloux pour la race maudite Renouvelez l'ostracisme et la mort... Sinon, cessez d'injurieuses plaintes, Et des pleurs feints, et des alarmes feintes ; On peut se faire à des profits moins grands ; Pour qu'un étal prospère et s'achalande Ne faut-il pas qu'au public qui marchande Chaque commère offre ses prix courants?

Quittez l'air sombre et le regard farouche;

Que la colère, amoindrissant vos cils,

Ne fronce pas de sévères sourcils ;

Laissez le rire errer sur votre bouche;

Dût une enseigne, à chaque carrefour,

Intercepter la lumière du jour,

Ah! qu'à son gré, saigne, vaccine, accouche

Toute matrone... Au fœtus arrêté,

Que toute voie à main harde pétrie

D'un vin bien chaud soit promptement flétrie;

Partout déjà l'utérus contracté,

Hâtive proie à la douleur hâtive,

Comme accusé de faiblesse rétive,

Convulsé et meurt, grâce au seigle ergoté. '

Toute pitié serait et vaine et folle ;

N'a-t-on pas vu certain pédant d'école

D'un fer rapide au tranchant inhumain,

Sans cesse armer son homicide main?

Prompt à creuser tous les jours une tombe,

Il recommence encor le lendemain :

La vanité, du crime est sœur jumelle !

Et quand, hélas ! sans méthode et sans frein,

L'insanité succède à Dupuytren,

Qu'attendra-t-on d'un Sangrado femelle ?

Le temps n'est plus des charitables soins; Les hôpitaux manquent à nos besoins; Et de nos jours, d'une intendance avide, Mieux que le fer du stylet assassin Qui du fœtus a labouré le sein, L'esprit étroit pousse à l'infanticide. Des innocents le meurtre est ordonné : Les voyez-vous ces mères à l'œil morne!.. Ah! révoquez un flrman erroné. Ou voulez-vous, par l'honneur condamné, Qu'en nos cités, au pied de chaque borne, Gise sanglant et meure un nouveau-né ?

676 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Et vous, régents d'études imparfaites, Dont les leçons sont un constant larcin, Des nourrissons qu'aux deux sexes vous faites, L'un est manœuvre et n'est pas médecin, L'autre docteur, mais en pratique ignare ; Pour lui du temple on a fermé le seuil, Et de tous deux quand l'orgueil les égare, Du vrai savoir dont vous fûtes avare L'humanité porte seule le deuil.

Si, comme certains de nos confrères, nous savions tendre entre les branches du forceps les cordes de la lyre, peut être exprimerions-nous aussi notre opinion personnelle : le poète, dit Horace, peut tout oser. L'alexandrin ou le décassyllabique nous serait commode pour chanter, sur le ton élégiaque, certains malheurs causés par la présomption et l'ignorance; puis, passant au ton didactique, nous montrerions à nos praticiennes qu'elles en feraient assez si elles voulaient se contenter d'un rôle purement passif. Il nous suffira de rappeler, en prose, que les sages-femmes ont tort de traiter les maladies de leur sexe, et, sans diplôme, de donner des consultations. ont-elles fait les études que demandent ces cas toujours délicats? Comment, sans crainte de l'amende et de la prison, osent-elles annoncer nettement, par leurs enseignes, cette infraction à la loi, opérer et médicamenter au hasard les personnes naïves ou trop pudiques qui se confient à elles ?

Le Dr Barry explique, avec esprit, celte tendance de la sage- femme à se substituer, en toute occasion, au médecin : « Créée pour assister à la sortie des mortels qui font leur entrée sur cette vallée de larmes, son rôle devait se borner là. Mais que nenni ! de déduc- tions en déductions, la Lutine moderne s'est dit : ayant des droits sur le contenu, je puis, je dois en avoir sur le contenant : la matrice; j'en ai donc sur le porteur du contenant : la femme. Et toujours par déduction, eu égard sans doute à la relation lointaine, immédiate ou médiate qui existe entre ce contenu et l'auteur de ce contenu, elle s'est arrogé le droit de médeciner l'auteur du contenu : l'homme. De à traiter n'importe quoi : rhumes, coliques, rhumatismes de la plus belle et de la plus laide moitié du genre humain, il n'y avait qu'un pas ; ce pas a été franchi. Voilà comme : Madame Placenta, sage-femme jurée, traite les maladies des femmes, des hommes, des enfants, etc., etc. D'où je conclus que : sage-femme et femme sage ne sont point deux termes synonymes. »

Les sages-femmes du temps de Proudhon possédaient déjà cet esprit d'imitation et d'accaparement qui les ont toujours portées à

MOEURS ET COUTUMES 677

étendre le domaine de leurs attributions : « J'ai connu, » dit le pen- seur Jurassien, « un entrepreneur de remplacements militaires, à l'époque les remplacements militaires étaient objet de commerce, dont la femme, en l'absence de son mari, faisait la visite corporelle des sujets. Elle auscultait, palpait sa marchandise, la faisait mar- cher. Toussez! leur disait-elle... Du reste, une très brave femme, que jamais on ne soupçonna de galanterie. Elle exerçait son métier phi- losophiquement, les remplaçants à ses yeux n'étaient pas des hommes : c'était de la chair à canon ».

Rendons cependant justice à nos honorables matrones, et recon- naisons que si, de nos jours, leur rôle doit se borner à celui de gardes- malades prudentes et dévouées, avant l'organisation de l'enseigne- ment pratique des accouchements par Paul Dubois, en 183o, quel- ques-unes rendaient de réels services dans les grands centres, en utilisant leur clientèle pour l'instruction des étudiants, comme le prouve cette enseigne de sage-femme, relevée par Siebold lors de son voyage à Paris, en 1831 :

« MADAME DUTILLEUX, maîtresse sage-femme jurée, reçue par la Faculté de médecine de Paris, enseignant, avec autorisation, depuis nombre d'années, la chirurgie des accouchements pour mes- sieurs les élèves en médecine, tant nationaux qu'étrangers, continue ses cours journaliers de théorie et de pratique pendant toute l'année scolaire. Madame Dutilleux continue aussi de recevoir comme pen- sionnaires les dames enceintes à toutes les époques de la grossesse. Elle est visible tous les jours dans son cabinet, rue du Paon, 2, depuis dix heures du matin jusqu'à une heure. »

Enseignes et prospectus des sages-femmes. Pour servir d'indication au public intéressé et souvent pris au dépourvu, la corporation des sages-femmes a, depuis longtemps, adopté des em- blèmes extérieurs qui jouent le rôle indicateur de la carotte du mar- chand de tabac et de la lanterne rouge du commissaire de police. Ainsi les statuts de 1587 nous apprennent qu'à cette époque, le ta- bleau de la sage-femme représentait soit une femme portant un nouveau-né et un petit garçon ayant un cierge à la main, soit un ber- ceau orné d'une fleur de lys. Nous savons, par Mercier, qu'au dix- huitième siècle, l'enseigne habituelle était une toile ou un panneau en bois représentant une femme avec un enfant dans les bras; on trouve encore de ces enseignes, surtout en province. Aujourd'hui, la sage-femme arbore fièrement l'écusson en tôle vernie; pour la nuit, elle allume une lanterne peinte, phare des jeunes filles en détresse.

678

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

De même que beaucoup de médecins ont supprimé la plaque indiquant leur profession, les sages-femmes huppées ont fait disparaître l'en- seigne traditionnelle; rien, sinon cette mention aristocratique, et souvent suspecte : Maison d'accouchement.

Toutefois, les armes parlantes n'ont pas été abandonnées; particu- lièrement dans les quartiers populaires, on retrouve le ponctif bien connu (fig. 453) se profile une sage-femme tenant, d'un air recueilli,

TRAITEMENT SPECIAL DES MALADIES DES DAMES V CONSULTATIONS TOUS LES JOURS DE ^

Fig. 453.

un poupon dans ses bras, et l'on aperçoit le clocher d'une église lointaine.

On trouve aussi le chou tantôt simple, tantôt donnant passage à un nouveau-né. Le chou étant vulgaire, il arrive parfois que l'enfant sort d'une rose (fig. 454) ou d'un rosier (fig. 455). Cet emblème a, sans doute, pour origine la vague ressemblance qui existe entre l'aspect extérieur des organes de la mère et les replis multiples des feuilles du chou ou des pétales de la rose. Quoi qu'il en soit, un vieux dicton

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veut que les garçons naissent sous les choux, les filles sous les roses, comme le rappellent les couplets du Grand-Mogol, que l'on trouvera, paroles et musique, dans notre Luciniana.

Une enseigne du faubourg Montmartre raffine sur l'idée : Une jeune personne, fort agréable d'aspect, tire d'une rose des amours qu'elle lance dans l'espace; devise : J'ouvre, mais ne ferme jamais (fig. 456).

Balzac, dans le Dictionnaire des enseignes de Paris, qu'il composa

Fig. 454.

et imprima lui-même sous le pseudonyme d'un « Batteur de pavés », décrit quelques enseignes originales de son temps. Il est d'abord question de l'enseigne ordinaire de l'époque : « Les sages-femmes bornent leurs annonces extérieures à un tableau sur lequel elles sont dessinées, soit au chevet du lit de la malade qui paraît constamment jouir de la meilleure santé, soit l'enfant sous le bras, comme le diri- geant vers une maison de dépôt le nouveau-né ignorera le nom de sa mère.

« Comme de nos jours tout semble se perfectionner, les dames accou cheuses s'offrent toujours aux regards du public, en toilette et cons- tamment jolies, constamment fraîches, aussi avenantes enfin que si elles avaient besoin de plaire. »

GSO

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Puis il signale celles qui se distinguent par leur originalité : « Rue J.-J. Rousseau, 23 : une belle accouchée de bonne mine, elle n'a pas encore la fièvre de lait; un papa bien réjoui, il a vu éclore sa progéniture; un petit frère caressant le nouveau venu, il ignore

Fig. 455.

qu'un jour il partagera son patrimoine; une sage-femme élégante et jeune, elles le sont toutes, formant un groupe très attendrissant; mais ce qu'il y a de plus sublime encore, ce sont les deux vers suivants qui se trouvent en tête du tableau :

Grâce à l'art, ô mon fils, enfin tu vois le jour, Nos vœux sont exaucés; je dois bénir l'amour!

« C'est donc un enfant de l'amour que le petit poupon ? Non cer- tainement, non, nous a-t-on répondu, bien que la scène se passe rue J.-J.-Rousseau. Mais voyez la maladresse du copiste que j'avais chargé de recueillir ces deux vers, il les avait écrits ainsi : Grasse à

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lard (1). Le culte que nous vouons à la vérité nous a fait les rétablir tels qu'ils se trouvent sur le tableau de Madame l'accoucheuse. »

Fig. 456.

Une autre, celle de Madame Vachée (2), rue de Bussy, 2 : « Parmi toutes les dames qui ouvrent les portes de la vie à l'honnêteté, il n'en est pas qui offrent aux regards ébahis une enseigne aussi remarquable

(1) On cite dans les Ana certaines enseignes remarquables par leurs fautes d'or- thographe. Une garde alsacienne avait fait écrire à sa porte : « Madame X... Carde les femmes en couches. » Mais rien ne vaut l'annonce, bien connue d'ail- leurs, d'une maîtresse d'école qui venait de déménager ; par le genre de l'équivoque, elle se rapporte à notre sujet. Dans la rue Chartière, près du Collège de France, les passants se seraient ébaudis, paraît-il, de ce renseignement mirifique : « Made- moiselle Prudent est maintenant enceinte du Panthéon)) ; justement le contraire de la Montagne enceinte de la souris.

(2) Le nom peu poétique de Madame Vachée nous rappelle une anecdote dont le sel est un peu gros, mais tant pis 1 On a pu lire longtemps, rue Monsieur-le-Prince, presqu'au coin du boulevard Saint-Michel, l'enseigne suivante :

Mesdames MITTELLAUSSER et TUVACHE Sages- Femmes de lre classe Une petite dame du quartier latin, ayant eu une distraction malheureuse, encore

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

que celle de Madame Vachée. Cette dame voit s'échapper d'une machine qu'on ne peut mieux comparer qu'à un four, une nuée d'enfants habillés des costumes des états différents, et elle leur adresse ces vers :

Sortez, mes chers enfants, et d'une ardeur commune, Par des chemins divers courez à la Fortune.

« Dans le lointain, la déesse elle-même, un pied sur une roue, emblème de sa mobilité, semble inviter à la suivre la foule des

J'OUVRE LA PORTE ATOUT LE MONDE

Fig, 457. Figure tirée des Enseignes de Paris d'Edouard-Foumier (1).

jeunes mortels auxquels Madame Vachée vient de donner la lumière. Mais des juifs, des usuriers, des nymphes folâtres les séparent :

grossie par le temps, voulut consulter une sage-femme. Elle se rendit donc à la maison indiquée plus haut et sonna :

C'est ici, dit-elle à la bonne qui vint lui ouvrir, que demeure Madame Mittellausser ?

Et Tuvache, ajouta la servante

La petite dame court encore. La malheureuse n'avait pas lu le nom en entier et avait pris pour une injure l'addition faite par la bonne. (1) E. Dentu, éditeur.

MOEURS ET COUTUMES

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atteindront-ils la volage déité? Madame Vachée le souhaite, que peut-elle de mieux ! »

Nous rappellerons encore qu'il y a une vingtaine d'années, les enseignes figuraient assez souvent la sage-femme saignant au bras une cliente alitée; c'était, en effet, une coutume très répandue. On

M" POMAREDE If EPOUGNAND

5AGEKHNEDE UWSL

LES <) .JOURS

\Traite les maladies des femmes

Fig. 458.

s'imaginait que le sang menstruel, qui pendant neuf mois cessait de s'écouler, devait s'accumuler dans l'économie et déterminer des congestions. On a renoncé à ces saignées depuis qu'il est démontré que le sang, durant la grossesse, était plus pauvre en globules rouges qu'à l'état normal. Par suite, les enseignes de ce genre ont disparu. En dehors des poncifs, les sages-femmes ont quelquefois accroché à leur étage des enseignes facétieuses, parfois même équivoques . C'était une manière d'annoncer : la maison n'est pas au coin du

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HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

quai. Justement quai Saint-Paul, on a pu voir une enseigne re- présentant une sphère, sur laquelle grimpaient des personnes de toutes qualités; ce monde sortait d'une ouverture munie d'une porte que la sage-femme tenait ouverte : J'ouvre la porte à tout le monde (fig. 457). De nos jours, une matrone de la rue des Petits-

■!::

Fig. 459.

Carreaux fait sortir les enfants d'une corne d'abondance dorée (fig. 458). Si les clientes comprenaient l'allusion, plus d'une dévisa- gerait la facétieuse Madame Pomarède; née Pougnand.

Une autre, plus lettrée, mais non moins facétieuse, fait sortir un amour d'un ovale significatif; en exergue, un vers de Musset bien connu complète cette polissonnerie spirituelle. Remarquez le cordon,

MOEURS ET COUTUMES

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sorte d'armes parlantes, mis en évidence à cette porte enseigne ; il n'y manque que le traditionnel : Poussez S. V. P.

Enfin, les progrès de la physiologie aidant, certaines n'ont pas craint de rompre avec les anciennes traditions et de se rapprocher, tout au moins sur leur enseigne, de la vérité scientifique. Ainsi plusieurs praticiennes ont indiqué leur profession par la copie de la

Fig. 460.

gravure qui figure sur le titre de notre Génération humaine (fig. 460). C'est la reproduction d'une statuette exposée par Boisseau au salon de 1880 : un enfant sortant d'un œuf et, sur le socle, l'apho- risme d'Harvey : « Omne vivum ex ovo ! »

La sage-femme use aussi du prospectus. Nous rappellerons d'abord cette étonnante conception d'une accoucheuse offrant ses ser- vices à 45 francs pour une seule opération, à 35 francs par abonne- ment ! Donnait-t-elle des cachets comme les établissement de bains ou certains restaurants que nous connûmes en notre jeunesse ?

Il y a mieux; lisez l'extrait suivant des Causeries du docteur Joulin :

686 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

« On reçoit des cartes bien singulières ; mais je doute, chers lec- teurs, qu'aucun de vous en possède une aussi curieuse que celle que je vais vous lire, et que je copie avec une scrupuleuse exactitude sans y changer une simple virgule. Seulement, pour des motifs que vous comprendrez facilement, le numéro et le nom seront supprimés. Je dois avouer, du reste, que si j'ai reçu cette carte, elle ne m'était point destinée. La voici :

MAISON IDE CONFIANCE RUE ST"HONORÉ N°. . .

entre l'Assomption et la Rue St-Florentin

S'adresser directement au 3a c'est indiqué. ®iv u,e aie ttouve que etoes uioi

Mme , MAITRESSE SAGE-FEMME, reçue à la Maternité, Membre de plusieurs

sociétés savantes, la Maternité du Dispensaire, et les Dames réunies, Saigne, Vaccine et reçoit des Pensionnaires, reconnais la grossesse à six semaines ou deux mois. Consulta- tions Gratuites et Payantes tous les jours, pour les maladies de Y Utérins, Antéversion, Rétroversion, Engorgement linfatique, indication pour ramener le Flux et le Reflux sanguin, et pour toutes les maladies des Dames.

LISEZ L'AUTRE COTÉ DE LA CARTE.

« Vous pensez que c'est tout ! Erreur, comme dit cette bonne dame, liées l'autre face; cette carte a été plongée dans un charlata- nisme si épais, qu'elle en est couverte des deux côtés.

AVIS

Important et Indispensable

Montez au 3e sans parler à personne, n'écoutant pas si l'on indique ailleurs , ce ne serait que pour vous tromper, savoir ou mentir, je suis presque toujours chez moi excepté le Ven- dredi, personne n'est en relation avec moi, la discrétion étant nécessaire. Lisez les Plaques dans l'allée, pour la nuit et même le jour, lirez l'anneau en fer plusieurs fois ou frappez trois coups, quand on ne Sonne qu'une fois je regarde par la Fenêtre du 3e, si l'on vous indiquait mal je vous prierais de m'en avertir.

Jl<x ptoteô6K>M/ càt ivu)iauée< ôu/fc ta pofcte, ïoutviez le uoutou,

Rue st n°.. entre FA. . . et la Rue St. . .

-o PARIS o-

MOEURS ET COUTUMES 687

« Cette carte est estampillée par le timbre qui lui sert de passe-port pour circuler sur la voie publique, elle a le même droit que l'animal dangereux qui porte sa muselière, conformément aux ordonnances de police, seulement elle n'en a pas, elle, de muselière, qui l'empêche de contaminer les gens. Elle peut s'introduire dans la main de la jeune fille innocente qui ne connaît pas encore toutes les infamies qu'on rencontre dans les égoûts de la civilisation ; malgré son inno- cence, elle est femme, elle questionne, et sait enfin que péché caché est à moitié pardonné, et qu'on peut se faire assurer contre les résul- tats trop visibles de l'amour.

« Elle se glisse aussi dans la main de celle qui n'a plus rien à per- dre que la crainte des héritiers. Celle-là comprend de suite l'invita- tion qu'on lui adresse.

« Il faut vraiment examiner à la loupe ce petit chef-d'œuvre d'impu- deur, pour en bien apprécier toutes beautés. Je le comparerais volon- tiers à ces vins vieillis derrière les fagots, dont il faut analyser tous les parfums, toutes les saveurs pour bien en juger le mérite. L'ignoble a ses nuances et son fumet ; analysons-le donc, malgré la révolte de nos sens, ce que contient cette carte, c'est une œuvre de chimiste et non pas de gourmet, mais je l'ai dit ailleurs, les sens du médecin ne sont point ceux d'une petite-maîtresse. D'abord, remarquons cette observation : On ne me trouve que chez moi. Une sage-femme qui n'exerce qu'à domicile, cela me fait l'effet d'un paveur qui ne voudrait travailler qu'en chambre. Je laisse deviner ce qu'une matrone mem- bresse de plusieurs Sociétés savantes qui ne va pas en ville peut faire chez elle.

« Notez qu'elle reconnais la grossesse à six semaines ou deux mois. Mais je suis persuadé que c'est uniquement aux consultations payan- tes, et que ses consultations gratuites, comme la caisse de Robert- Macaire, ouvrent à trois heures juste, et ferment à trois heures très- précises.

« Elle traite et naturellement guérit toutes les maladies de Yutérius (en vertu de quel droit ? Cela ne vous regarde pas) ; mais elle n'explique point si elle considère la grossesse comme une maladie de Yutérius. J'avoue que j'aurais voulu lui voir couronner son chef- d'œuvre par une explication sur ce point : quant à moi, je suis con- vaincu qu'elle considère la grossesse comme une maladie des plus graves ; comme celle qui se traite avec le plus grand succès dans sa maison de confiance, et surtout comme celle qui rapporte le plus d'argent.

« Je ne dirai rien de sa prétention de ramener le flux sanguin, je

688 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

comprends que lorsqu'une femme est en retard de quatre mois, plus ou moins, elle possède les petits moyens pour faire passer cela ; même probablement quand l'affection s'accompagne d'une certaine enflure de l'abdomen. Quant au reflux, je suis un peu embarrassé, je ne connais en fait de reflux que celui de l'Océan, et à moins d'ad- mettre que cette femme, si savante, n'ait inventé une pommade ou un onguent dont la puissance merveilleuse et universelle se fait sen- tir jusque dans les vagues de l'Océan, j'avoue que je ne trouve point d'explication vraisemblable.

« Passons à l'autre côté, et ne négligeons pas cet avis important et indispensable : ne parlez à personne, n'écoutez pas ; est-ce que par hasard on entendrait autour de cette honnête maison, comme dans le conte de Y Oiseau bleu, les voix menaçantes d'ombres et de fantômes qui crient aux malheureuses pratiques : Fuyez ! fuyez ! imprudentes, si vous tenez à la vie, n'approchez pas de cette maison, n'imitez pas nos coupables folies, si vous voulez éviter notre sort. Je ne voudrais pas l'interroger sur ce point, car elle le dit, la discré- tion lui est très nécessaire. Je suis du reste complètement de son avis à ce sujet ; si elle allait raconter toutes ses petites affaires au premier venu, cela pourrait avoir de grands inconvénients pour elle.

« Je me permettrai cependant d'émettre un léger doute, quand elle affirme que personne n'est en relation avec elle. Alors, que devient- elle le vendredi ? Moi, je suppose qu'elle est en relation directe avec le club des sorcières, et que c'est le vendredi qu'elle enfourche le manche à balai du Sabbat. Car, enfin, comment, malgré toute sa science, pourrait-elle diagnostiquer la grossesse à six semaines, quand les médecins ne le peuvent faire que vers quatre mois ? Evi- demment, sa science lui vient d'une source qui ne coule pas rue de l'Ecole-de-Médecine.

« Maintenant, passons au post-scriplum, car on dit que c'est qu'il faut toujours chercher le point important d'une lettre. Il n'y en a pas à cette carte, mais c'est pure politesse pour le lecteur, on compte sur son intelligence ; ceux qui auront besoin du post-scriptum sauront bien le deviner.

« Ce qui est sur la carte n'est que le boniment du paillasse qui ras- semble la foule autour de lui ; il compte des histoires bêtes, reçoit avec philosophie les coups et les injures du patron, puis, quand le cercle est compacte, il exhibe son post-scriptum, sa chose importante, qui est une pommade remplie de vertus, ou simplement du poil à gratter.

« Je ne pense pas, cependant, qu'il s'agisse ici d'une invention

MOEURS ET COUTUMES G89

pleine de vertus, mais je voudrais bien connaître le post-scriptum, l'industrie qui se commet dans cette maison de confiance.

« Est-ce une fabrication de philtres pour rendre amoureux ?

« Pratique-t-on le nœud de l'aiguillette? Est-ce pour les amours un refuge hospitalier (qui n'a rien de commun avec celui des monta- gnards écossais)? Explique-t-on les mystères du grand et du petit Albert, ou simplement de Charles Albert ? Fait-on le grand jeu, les cartes, les tarots, la consultation somnambulique ou homœopathique ? Fait-on bouillir des herbes propres à réparer les défaillances de la vieil- lesse épuisée ? A-t-on le secret de faire procréer des sexes à volonté ?

« Mon esprit hésite à se prononcer pour l'une ou l'autre de ces mer- veilles.

« Ah ! si je pouvais interroger la chauve-souris qui applique son œil glauque à la vitre fêlée de ce troisième étage, peut-être me racon- terait-elle d'étranges choses ; peut-être a-t-elle vu quelques-uns de ces drames, auprès desquels la scène des sorcières de Macbeth n'est qu'un jeu innocent.

« 0 Paris ! comme on te calomnie ! on dit que tu laisses parfois mou- rir de faim tes enfants ; quand de pareilles industries peuvent s'étaler impunément à ton soleil, il faut être furieusement honnête, ou bien dépourvu d'Imaginative, pour ne pas trouver dans tes boues, ô Paris ! une ceinture dorée, sinon une bonne renommée.

« Nota. L'adresse est tenue à la disposition des confrères dans l'embarras qui voudraient avoir recours aux lumières de cette pra- ticienne. »

Accoucheurs en France. Jusqu'à la fin du XVIe siècle, les sages-femmes étaient seules appelées auprès des femmes en cou- ches. A partir de cette époque seulement, celles-ci commencèrent, même dans les cas ordinaires, à recourir aux chirurgiens. La mort qui suivit la délivrance de Madame, Marie de Bourbon-Montpen- sier, et dont Loyse Bourgeois fut accusée à tort, contribua pour beau- coup à faire naître cette révolution dans les mœurs.

Le premier chirurgien qui sut inspirer assez de confiance aux da- mes pour les assister en ces circonstances délicates, fut cet Honoré qu'Henri IV, non sans ironie, appelait « l'homme de Paris qui déli- vre les femmes ». Mais tandis que déjà les accoucheurs étaient récla- més par la bourgeoisie, ils restaient encore à la porte des augustes parturientes, au Louvre et autres palais royaux. Ainsi, dans un des accouchements de Marie de Médicis, la présentation ayant eu lieu par le siège, on envoya bien chercher Honoré, mais ce fut cependant

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 44

690 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Loyse Bourgeois qui, seule, se chargea des manœuvres nécessaires.

L'astre de la grande accoucheuse pâlissait ; Jacques Guillemeau, qui ne fut pas étranger à son discrédit, eut une réputation plus grande qu'Honoré lui-même, et son gendre, Marchand, partagea sa vogue. Toutefois, ce ne fut que bien plus tard que la cour se décida à imiter les simples bourgeoises : aux couches de Marie-Thérèse, le chirur- gien François Bouchet est présent, mais il reste dans l'antichambre ; on n'aura recours à lui qu'en cas d'extrême nécessité. Julien Clément, le premier, eut l'honneur d'être appelé auprès des princesses du sang ; il assista à toutes les couches de la dauphine Anne-Marie-Victoire de Bavière, belle-fille de Louis XIV ; il fut aussi l'accoucheur de la reine d'Espagne et de presque toutes les princesses et grandes dames de l'époque. Il accoucha aussi La Montespan, auprès de laquelle il fut conduit les yeux bandés. Astruc prétend que Clément avait au- paravant assisté La Vallière, et il cite cette circonstance comme le premier exemple de l'intervention d'un accoucheur dans un cas ordi- naire : double erreur, puisque, d'une part, des accoucheurs étaient en réputation un demi-siècle avant Clément et que, d'autre part, ce chirurgien n'avait pas plus de quinze ans, quand, le 27 décembre 1663, La Vallière mit au monde Louis de Bourbon. D'ailleurs, Bussy Rabu- tin, fort au courant des scandales de la cour, fait assister La Vallière, comme nous le verrons plus tard, par une sage-femme. Mlle de Mont- pensier, dans ses Mémoires, nous donne son nom : c'était Marguerite Boucher, sage- femme de la reine Marie-Thérèse d'Autriche (1).

Les matrones étaient dès lors en décadence ; cependant leur influence ne fut pas aussilôt ruinée. Les chirurgiens avaient beau laisser croître leur barbe pour s'enlaidir, alors que la mode voulait qu'on fût rasé et poudré, la garantie semblait encore insuffisante à la pruderie de certaines femmes et peut-être de certains maris.

De nos jours, dans toutes les classes, le préjugé contre les accou- cheurs a disparu ; déjà du temps de Mercier, il n'existait plus, et les

(1) Saconibe, comme du reste la plupart des auteurs, a naturellement accueilli cette erreur ; ce rimailleur profite de la circonstance pour verser une panerée d'in- jures sur la tête du malheureux Louis XIV :

Un despote, un tyran, petit-fils d'Henri quatre. Qui triompha saus gloire et vainquit sans combattre, Qui, sans talents, des arts devint le protecteur, Qui du sang de son peuple abreuva tout flatteur, Qui de l'Europe enfin prépara la ruine, Le premier en Europe a fait rougir Lucine, Et, changeant en vertu son impudique ardeur, Au rang des préjugés a placé la pudeur.

MOEURS ET COUTUMES 691

femmes, six semaines après leurs couches dînaient gaiement avec leur médecin accoucheur, assis à côté du mari, sans qu'elles songeassent à rougir de sa présence. Mais si la sécurité des femmes a gagné à ce changement, si l'on a moins à redouter l'ignorance et l'excès de complaisance de certaines sages-femmes, la dignité professionnelle du médecin n'a-t-elle reçu aucune atteinte?

En 1804, Girouard, dans le Défenseur des accoucheurs, a tracé un portrait du praticien en vogue. Plus d'un contemporain pourrait s'y reconnaître : « L'accoucheur en vogue est mandé avec empressement, se fait attendre, arrive avec fracas, et est reçu avec la confiance aveugle et fervente que tout danger pressant inspire. Il adresse d'abord à la femme en travail quelques propos cavaliers ou grivois selon qu'il est en belle humeur (propos qu'il estime être des moyens d'encouragement et de consolation et qui ne sont dans le vrai qu'un prélude de familiarité aussi indécent que hors de propos). Immédiate- ment et ex abrupto, il passe à l'examen de l'état du travail. Cet examen se fait ordinairement sous les yeux de l'époux et des assis- tants. Mais l'accouchement n'est pas près de se terminer; alors, monsieur l'accoucheur se jette sur un lit, ou s'enfonce dans un fau- teuil : il nombre et dit avec emphase les nuits qu'il vient de passer sans dormir, les accouchements qu'il a faits chez les femmes du plus haut parage. Notez bien que ce sont presque tous accouchements il a été obligé d'employer les ferrements, et par conséquent laborieux.

« A ce récit, tout l'auditoire s'ébahit, en s'écriant : quel talent ! quelle peine ! quelles obligations on doit vous avoir, pour vous sacrifier ainsi au soulagement de l'humanité souffrante ! Monsieur, voudriez-vous accepter un consommé ? Volontiers. Le pauvre homme le prend, puis s'endort, après avoir prescrit à la patiente de se promener en long et en large. Elle souffre, elle crie, elle invoque son aide, le tout en vain.

« Nous allons bientôt voir qu'il agirait contre ses intérêts, s'il s'avi- sait d'être compatissant : d'ailleurs, il n'a point encore assez dormi. Cependant les douleurs deviennent conquassantes. On l'éveille. Alors il retrousse ses manches jusqu'aux épaules, et offre aux spectateurs et à l'Iphigénie, le simulacre d'un boucher; mais il sait bien ce que la terreur qu'il inspire lui vaudra d'opinion et d'argent. Ainsi donc, pour donner de l'importance à une opération qu'il sait bien n'en point avoir par elle-même, et se trouver plus vite en état de voler chez une autre femme, qui n'accoucherait plutôt pas, si ce n'était par ses mains, il jette en avant la nécessité il va être de se servir des ferrements. Si l'accouchement tarde encore un peu, ce qui a toujours

G92 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

lieu au gré des assistants, et surtout de celle qui souffre, il parle plus sérieusement du grand moyen. En ce moment, son ton prend plus d'importance, et ses expressions plus de dureté ; il devient enfin impératif. Bon, la terreur redouble, le forceps paraît, il est appliqué, et aussitôt l'enfant est arraché du sein de sa mère, aux dépens de qui il appartiendra. Mais voilà encore un accouchement laborieux de fait, dont il s'applaudit beaucoup, dont on le congratule, quoi qu'il ne lui ait pas plus coûté de peine et d'art, que l'extraction d'une dent ; et que l'époux, par tendresse pour sa chère moitié, croit ne pouvoir trop payer. Alors commence le concert des commères, qui entonnent des hymnes à sa louange. Quelle prestesse, dit l'une! quel talent, dit l'autre! En vérité, conclut une troisième, c'est un homme divin, il ne nous donne pas le temps de souffrir, et toutes, en chœur : si nous faisons des enfants, il nous accouchera.

« Mais on le vient chercher; il disparaît comme l'éclair, en cares- sant de l'œil le conciliabule femelle qui va porter ses faits et gestes aux extrémités du monde. .. »

Il y a malheureusement quelque chose de trop vrai dans ce char- latanisme, dans cette avidité du gain. Nos confrères ne feraient-ils pas mieux de conseiller à leurs clientes la présence d'une sage-femme capable, qui les préviendrait au moment opportun ou seulement en cas de complications ? N'est-il pas pénible de voir des hommes de valeur perdre leur temps et leur considération en se ravalant au métier de tireurs de cordon? Qu'ils interviennent seulement dans les cas ils sont réellement nécessaires, c'est-à-dire une fois sur cent, tout au plus (1); on verra moins d'accouchements se terminer par le forceps, qui double les honoraires en faisant gagner quelques heures, et l'on ne verra plus des médecins en renom s'exposer à des mésaventures comme celle que nous allons raconter et dont nous garantissons l'au- thenticité. La comtesse de M..., étant un beau soir surprise par des douleurs qu'elle attendait seulement quelques jours plus tard, fit mander en toute hâte le docteur X..., son accoucheur ordinaire. M. X... était absent ; on promit qu'aussitôt rentré il irait auprès de la noble parturiente. Cependant, comme il est impossible de transiger avec la nature, on prie M. Y..., un autre accoucheur illustre, de

(1) D'après Velpeau, sur 20,357 accouchements faits à la Maternité depuis l'année 1707 jusqu'à la fin de 1811, la nature en a terminé seule 20,183. Mais il est si peu d'accoucheurs qui savent se résigner à mettre en pratique la maxime d'Hippocrate : « C'est souvent faire beaucoup que de ne rien faire ! » En est-il beaucoup qui pour- raient dire comme Pajot : « Je suis resté jusqu'à soixante-douze heures auprès d'une femme en travail, sans retirer mes bottes, et cependant il m'était facile de la délivrer en cinq minutes ! »

MOEURS ET COUTUMES 693

vouloir bien se rendre dans l'aristocratique demeure. Bonne aubaine pour le Dr Y... Entre tocologues,on s'arrache volontiers la cliente. Et puisce confrère X.. . qui menace de tout envahir ! Le Dr Y. . . ne s'amuse pas en chemin. . . Tout va bien : Madame en est à son second enfant, le passage a été frayé, pas de défilé trop étroit à redouter, un col com- plaisant, une présentation normale. Que peut-on souhaiter de mieux ?

Ces réflexions faites, l'accoucheur songe qu'il est minuit, que la dilatation ne fait que commencer, et qu'une nuit entière, même passée au chevet d'une riche comtesse, pourrait bien faire jaunir un tantinet le teint rosé de sa coquette personne ; en conséquence, il déclare que rien ne presse, mais comme il ne veut pas laisser la place libre, il se couchera pendant quelques heures dans la pièce voisine.

Un lit est dressé au docteur, et le docteur s'endort rêvant de fabu- leux honoraires.

Sur ces entrefaites, vers deux heures du matin, le confrère X... arrive tout essoufflé, il se précipite en toute hâte dans la chambre de la comtesse, s'excuse et s'empresse de constater en est le travail.

C'est bien, Madame, je suis arrivé juste à temps; encore quel- ques secondes de courage et vous allez être délivrée... Là, ne poussez plus maintenant... la tête a passé. Là!... c'est fini... Vous avez un gros garçon.

Quelques minutes après, le cordon était lié, la mère mise en place, l'enfant entre les mains de la garde, et le docteur X... prenait congé de sa cliente et du comte de M... en promettant de revenir dans la matinée. Au moment il ouvrait la porte, un ronflement formidable s'échappe d'une chambre voisine.

Sapristi ! s'écrie le comte, et le Dr Y. . . que nous avons oublié. Et il explique l'affaire à son confrère X... qui en rit encore. On laissa le Dr Y... achever tranquillement sa nuit ; à son réveil, on lui offrit une tasse de chocolat qu'il se hâta de refuser.

Depuis ce temps, le Dr Y... a bien juré de ne plus s'endormir chez ses clientes.

Un ridicule nouveau s'est introduit dans la pratique actuelle de l'obs- tétrique. Les microbes sont à la mode : chassons le microbe, tuons, exterminons le microbe! Assurément, les mesures d'hygiène sont bonnes, excellentes. Mais est-il bien nécessaire de multiplier les injec- tions au sublimé, de ruiner la cliente en poudre parasiticide, de se grais- ser le doigt, à chaque exploration, avec de la pommade antiseptique et, pour essuyer ce doigt, de réclamer chaque fois, au grand profit du blanchisseur, une serviette nouvelle? Et ce n'est pas tout; le praticien microbiomane surveille et compte les coups de balai et de plumeau

G94 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

avec une indiscrétion affectée, il fait irruption dans les pièces voisines de la chambre gît la patiente ; il ouvre, il force armoires et pla- cards : » Ciel, une vieille robe, de vieilles bottines, du linge sale ! Vite au grenier tous ces nids à microbe ! »

Ce sont les accoucheurs aux précautions charlatanesques qui, au moment critique, se prêtent complaisamment à tous les caprices de la cliente, qui lui soulèvent les reins au grand dommage des leurs, qui l'invitent à se cramponner à leur bras, qui môme se laissent pren- dre par les cheveux, s'ils en ont encore. Et voyez-les, entendez-les après la délivrance ! C'est la garde qui ne sait pas nettoyer l'enfant, la nourrice qui ne sait pas l'emmailloter ; le voilà qui met la main à la pâte, qui lave, qui saupoudre, qui habille. Et la garde reste bouche bée, la nourrice admire, la mère le suit avec attendrissement, et le brave homme de père s'écrie : « Il n'y a que lui ! il n'y a que lui ! »

Tu verras le tarif de tous ces empressements, ô bourgeois naïf, et peut-être penseras-tu alors que, pour celui que tu vantes à tes amis et à les voisins, la plus belle image de la grossesse est dans la cir- conférence d'une pièce de cent sous.

Quelques particularités concernant les sages-femmes et les accoucheurs dans les autres parties de l'Europe.

Les mœurs anglaises, nous l'avons dit, ne brillent point parla logique ; John Bull rumine la Bible et viole les petites filbs ; milady, par horreur de Yimproper, tourne le dos à l'accoucheur et ne songe pas à demander une sage-femme ; si elle en appelle une, c'est pour lui servir d'aide, de garde. Il n'y a même pas économie à la préférer au médecin, car la concurrence entre les praticiens anglais portant sur- tout sur les accouchements qui donnent par la suite accès dans les familles, les honoraires demandés pour les opérations de ce genre sont assez modestes, une guinée (1) d'ordinaire; les ouvriers obtien- nent un rabais des jeunes docteurs. En conséquence de son rôle su- balterne et peu lucratif, la sage-femme anglaise a pris, dans les gran- des villes surtout, des spécialités inavouables, l'avortement, par exem- ple, et la constatation des virginités douteuses, parfois leur répara- tion, Toutefois, dans les campagnes et en Irlande, les matrones de ce genre sont rares ; les sages-femmes exercent plus honorablement leur métier. L'Angleterre a des sages-femmes militaires, nous vou- lons dire attachées à l'armée pour accoucher les femmes des soldats mariés ; le chirurgien-major n'est appelé que dans les cas compli-

(1) Monnaie d'or valant 25 fr. 21.

MOEURS ET COUTUMES 695

qués. Aucune législation ne régit les sages-femmes en Grande- Bretagne ; un projet de loi fut proposé en 1813 au Parlement par la corporation of apotJiecaries, mais la commission, chargée de l'exami- ner, le rejeta par pruderie, alléguant qu'il ne pouvait être fait men- tion des sages-femmes dans les textes de loi ; on ne saurait être plus ridicule. La Société obstétricale de Londres se substitua au gouver- nement et délivra des diplômes aux sages-femmes qui voulurent bien se soumettre au programme de ses examens. Ce diplôme n'a rien d'officiel, mais il est une garantie de capacité pour le public.

Les sages-femmes anglaises et américaines ont pour toute enseigne une plaque de cuivre sur laquelle sont inscrits son nom, ses heures de consultations et son titre de Midivife, dont l'étymologie est le saxon mit-weibe, la bonne femme qui aide.

Que penser de la sage-femme allemande : de la Frau hebamme? La docte Allemagne semble n'avoir que des matrones assez ignoran- tes; en quatre ou cinq mois, elles peuvent obtenir leur brevet, après avoir assisté à deux accouchements et en avoir pratiqué quatre. Dans ses Lettres obstétricales, Siebold fait de ses élèves sages-femmes un portrait peu flatteur : « Souvent » ,dit cet éminent accoucheur, « des fem- mes de la plus basse classe, manquant de l'éducation la plus simple, sachant à peine lire, se présentent pour occuper des emplois vacants : la rémunération est trop modique pour tenter des sujets plus capa- bles. Et que peut-on attendre de pareilles femmes? Il est facile de dire: Ne les acceptez pas pour vos élèves. Les communes les ont choisies, la femme du pasteur s'y intéresse, le médecin de l'endroit leur a dé- livré une bonne attestation; on n'en trouve pas d'autres ».

En Prusse, en Bavière, dans plusieurs États allemands, la sage- femme prête, une fois reçue, le serment suivant :

Moi, N... N..., je jure par Dieu tout-puissant et prête le vrai ser- ment sans aucune arrière-pensée, de faire mes devoirs de sage-femme en chrétienne consciencieuse. Je ne ferai volontairement de mal à per- sonne; je fais au contraire le vœu de donner tous les secours possibles aux femmes accouchées, de leur donner des soins, ainsi qu'à leurs enfants, tant que cela sera nécessaire ; de n'épargner ni fatigue ni peine pour conserver la vie de la mère et de l'enfant ; de me rendre aussitôt à l'appel des pauvres comme à celui des riches ; de ne jamais abandon- ner ou négliger une femme entravait ; de me soumettre aux règlements des sages-femmes tels qu'ils sont prescrits par Sa Majesté Prussienne, mon roi et maître, comme il convient à une sage-femme fidèle et cons- ciencieuse.

696 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Aussi vrai que Dieu m'aide, par Jésus-Christ et son saint Evangile. Amen. (Règlement du 1er décembre 1825.)

En Hanovre, le serment est ainsi conçu :

Je jure et promets devant Dieu, et par sa sainte parole, d'exécuter exactement et consciencieusement les instructions qui m'ont été lues et transmises, et que j'ai bien comprises. Je jure aussi de me compor- ter partout, dans l'exercice de ma profession, comme il convient à une sage-femme consciencieuse. Que Dieu et sa sainte parole me soient en aide.

Dans presque tous les pays d'Allemagne, une taxe officielle règle, en cas de contestations, tout ce qui touche à la pratique médicale. Voici, quant à ce qui se rapporte aux accouchements, la taxe officielle :

1. Pour un accouchement naturel et prompt de 7.50 à 18.75

2. Pour un accouchement de jumeaux 11.25 30.00

3. Pour un accouchement naturel, mais lent, et ayant

exigé un jour et une nuit 15.00 37.50

4. Pour un accouchement par les pieds 15.00 37.50

5. Pour une version avec ou sans application du forceps. 15.00 45.00

6. Pour un accouchement par le forceps 15.00 37.50

7. Pour un accouchement après perforation 15.00 37.50

8. Pour une opération césarienne sur une femme vivante,

que l'enfant soit mort ou vivant 37.50 75.00

9. Pour la même opération après la mort 15.00 30.00

10. Pour extraction du délivre quelques heures après l'ac-

couchement 7.50 22.50

11. Pour l'extraction d'un môle 3.75 11.25

12. Pour l'examen d'une femme enceinte 1.45 7.50

13. Pour rédaction d'un rapport demandé 1.45 3.75

II est bon de noter que ce tarif n'est applicable qu'aux services du Hebarzt, de l'accoucheur ; les honoraires de la sage-femme ne sont en général que le quart de ceux que touche l'opérateur à barbe. En revanche, d'après un décret de 1817, la sage-femme est libre de tout impôt ; dans l'arrondissement elle exerce, elle perçoit sa taxe, quand bien-même on aurait appelé une sage-femme étrangère. Enfin, dans les pays catholiques, elle recevait, et sans doute reçoit encore, à l'oc- casion de chaque mariage ou baptême, un guten groschen, quelque- fois un et demi, quelquefois trois. Mais toute sage-femme, sortant d'une école avec son diplôme, doit exercer cinq ans au moins dans la commune qui l'y a envoyée.

MOEURS ET COUTUMES

G97

C'est en Allemagne que le préjugé contre les accoucheurs fut le plus tenace. Au XVIIe siècle, le médecin allemand qui intervenait

Fig. 461. L'n accouchement en Hollande au XVII» siècle.

dans un accouchement ordinaire commettait un crime capital. Ainsi, en 1522, le docteur Wertt, fut brûlé vif à Hambourg pour avoir corn-

G98 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

mis ce forfait : il avait assisté à un accouchement sous les habits d'une sage-femme. Cependant, d'après le Dr Garl Schrôder, le duc Ludwig de Wurtemberg, en l'année 1580, interdit, par un décret particulier, aux bergers de faire des accouchements ; cette interdiction semblerait indiquer que l'intervention des hommes avait été tolérée, au moins pendant un certain temps; d1ailleurs, les coutumes pou- vaient varier suivant les pays. Quoi qu'il en soit, les femmes alle- mandes se faisaient les complices des magistrats pour écarter les mé- decins de leur lit de misère; suivant Welsch, elles auraient mieux aimé mourir que d'accepter les soins d'un chirurgien ou d'un barbier. Or, si l'on juge des anciennes matrones d'Allemagne par celles de Leip- zig, qui étaient reçues par la femme du bourgmestre, on peut con- clure que cette sotte résistance devait causer un perpétuel massacre des innocents. Peu à peu cependant, on admit les médecins dans les cas graves, mais avec les plus grandes précautions.

Il en était de même en Hollande. Dans un écrit publié en 1681 par un accoucheur de ce pays, Samuel Janson, nous trouvons un dessin qui représente un praticien et une patiente assis l'un en facede l'autre (fig. 461), entre eux se trouve un drap de lit lié au cou de l'opérateur et à la taille de la femme ; c'est sous ce voile protecteur, soulevé de chaque côté par deux aides, tenant les jambes de la patiente, que l'opération était pratiquée.

En Autriche, quand les sages-femmes ont reçu leur diplôme, elles s'engagent, par serment, à ne rien négliger de ce qui est néces- saire au bien éternel (1) ou temporel, de la femme accouchée. Elles sont tenues, pour le temporel, à garder le secret aux femmes mariées ou non, mais à témoigner fidèlement devant l'autorité com- pétente, en cas de procès criminel. Si un accoucheur ou une sage- femme est appelé à donner un lavement pour calmer des douleurs ou du météorisme chez une femme, il doit examiner s'il n'y a pas gros- sesse, et l'annoncer, dans le cas d'affirmative, à la femme et à ses pa- rents. Si une femme leur propose l'avortement, il leur est enjoint de la dénoncera la police, mais le secret est de rigueur envers les autres personnes. Le médecin accoucheur et la sage-femme sont obligés d'instruire consciencieusement le curé de la paroisse de tout ce qu'ils savent de la mère : son nom et son état civil. S'ils cachent la moindre chose, ils peuvent être punis par la loi et perdre le droit d'exercer

(1) Au point de vue du bien éternel, une ordonnance du 14 décembre 1769, établit, l>our le baptême des enfants en danger de mourir, une réglementation qui semble extraite de n'importe quel traité d'embryologie sacrée.

MOEURS ET COUTUMES 699

leur art. (1). Il est défendu à une sage-femme de couper le filet à un enfant sous peine d'emprisonnement; elle doit faire appeler le chirur- gien. La sage-femme a droit, comme dans toute l'Allemagne, au titre de Frau (Madame) ; il lui est ordonné de mettre une enseigne, afin d'indiquer son domicile. Elle obtient l'autorisation d'exercer après avoir suivi un cours de quatre mois et fait seulement trois ou quatre accouchements; c'est dire qu'elle ne sait pas grand'chose et ne peut acquérir quelque expérience qu'aux dépens de ses clientes.

En Suisse, l'instruction des sages-femmes laisse aussi beaucoup à désirer; on leur délivre leur diplôme après avoir suivi un cours de six mois et fait cinq accouchements.

Les Italiens donnaient jadis à leurs sages-femmes le nom de comare, commère; une autre désignation familière, buona donna, est encore usitée; ostelrice est savant, mais prétentieux; levatrice, dont le sens correspond à celui de l'allemand hebamme est d'un emploi plus ordinaire. On appelle encore l'accoucheur et l'accou- cheuse raccoglitore et raccoglitrice, c'est-à-dire recueilleur et recueil- leuse; sous-entendez del parto , recueilleur, recueilleuse d'enfant. C'est en Italie que, pour la première fois, on admit les accoucheurs dans les cas ordinaires ; la France ne suivit que plus tard cet exemple salutaire, et après la France, vinrent l'Espagne, l'Angleterre, puis l'Allemagne.

Les Espagnols se servaient exclusivement de sages-femmes jus- qu'au jour Clément fît trois fois le voyage de Madrid, en 1713, en 1726 et en 1770, pour aider la reine d'Espagne, sœur de la Dau- phine de France, dans son travail. Depuis cette époque, les accou- cheurs sont admis à faire les accouchements naturels, mais cette coutume n'est pas encore aussi répandue qu'en France. Les Espa- gnols, comme du temps de Mercier, « moins philosophes que les maris françois, plus jaloux ou moins attachés à leurs femmes, conservent encore pour les accoucheurs une répugnance invincible. L'idée de li- vrer aux attouchements d'un autre homme des charmes, des formes qu'eux seuls veulent voir et palper, est pour eux l'idée la plus désespérante. Ils ne réfléchissent pas que quelque séduisantes que soient la pâleur, la langueur d'une femme en couches, quelque atten- drissants que soient ses cris, ces formes toutes défigurées alors ont perdu tout leur charme. »

En Portugal, les élèves sages-femmes suivent un cours de deux

(1) Dr L. Le Fort. Les Mate mités en Europe,

700 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

années, avant de passer leur examen ; à en juger par la durée de leur instruction, elles peuvent faire de sérieuses études et doivent être assez capables.

Les sages-femmes danoises reçoivent aussi un enseignement suf- fisant à la Maternité de Copenhague, bien qu'elles n'y demeurent que pendant neuf mois.

Mais c'est en Russie que l'instruction donnée aux élèves sages- femmes est la plus complète. Celles-ci ne sont admises dans les Ma- ternités que de dix-huit à trente ans et elles doivent y suivre les cours pendant au moins trois années. A l'Académie médico-chirur- gicale de St-Pétersbourg, le nombre des élèves est considérable. On y a même cherché un moyen de faire assister toutes ces élèves aux accouchements, sans que leur présence soit, pour la femme, une cause d'émotion pénible. « Le lit de travail, » dit le Dr Léon Lefort, « est placé au milieu de l'amphithéâtre ; il est fortement éclairé au moyen de becs de gaz, disposés de manière à concentrer leur lumière sur la partie moyenne du lit. La femme qui doit accoucher est amenée dans l'amphithéâtre ; elle n'a alors auprès d'elle que deux ou trois per- sonnes. Lorsque le travail de l'accouchement est commencé, on admi- nistre le chloroforme ; et lorsque la patiente est plongée dans le som- meil anesthésique, les élèves, qui attendaient dans une salle voisine, viennent s'asseoir sur les gradins de l'amphithéâtre, assistent à toutes les périodes de l'accouchement, et se retirent avant le réveil de l'accouchée. »

D'après le plus célèbre des romanciers russes contemporains, le comte Léon Tolstoï, les sages-femmes de son pays seraient encore de nos jours singulièrement ignorantes : « Trouves-tu indifférent, dit un personnage à' Anna Karénine, que de grossières sages-femmes fassent périr les nouveau-nés? »

Il nous est vraiment difficile, surtout connaissant l'aptitude de la femme russe aux travaux scientifiques, d'accepLer, tel quel, le juge- ment de Tolstoï. L'instruction très perfectionnée que les sages-femmes reçoivent vient le contredire : même chez les Kirghiz qui vaquent dans les steppes orientaux de l'empire, les sages-femmes font un stage de trois années dans les écoles spéciales de la Russie; attachées à une tribu errant le plus souvent dans des lieux éloignés des villes, elles doivent, ainsi privées de tout secours, recevoir une instruc- tion suffisante pour faire toutes les opérations obstétricales et même un peu de médecine. Aussi, chez les Kirghiz, pas une femme ne permettrait à un médecin de lui donner ses soins, encore moins de l'accoucher.

MOEURS ET COUTUMES 701

Les sages-femmes en Turquie eten Egypte. Les femmes, en Orient, ont une extrême répugnance pour le médecin accoucheur; d'ailleurs, un homme quel qu'il soit, nous le savons, ne doit jamais regarder ni toucher les 'organes génitaux de la femme. Quand une difficulté se présente pendant le travail, la sage-femme va consulter le médecin de la famille, généralement aussi incapable que la matrone. « C'est un spectacle des plus bizarres, » dit le Dr Eram (1), « que l'entretien de ces deux ignorants sur l'état de la femme en travail: le médecin demande comment était la matrice, la femme lui répond qu'elle était énorme ; le médecin lui demande encore si elle a touché la femme, elle répond qu'elle a palpé le ventre et qu'elle l'a trouvé très dur. Enfin le médecin lui explique qu'il fallait toucher la femme afin de savoir si le col était dilaté, chose que la sage-femme n'avait jamais pensé à faire. Là-dessus elle se met en route pour aller toucher la femme, et, arrivant en toute hâte auprès d'elle, elle introduit brus- quement son doigt dans le vagin.

« Si les assistants lui demandent ce que le médecin dit, que voulez- vous qu'elle puisse répondre? Ce qu'il y a' de mieux à faire, c'est de ne rien dire et de se sauver immédiatement pour retrouver son méde- cin, et lui expliquer l'état du col de la matrice en le comparant à une infinité de choses ; car enfin c'est difficile de décrire un organe par le langage vulgaire. Or, il est impossible que le médecin comprenne exactement la grandeur de l'orifice du col par tout ce que la femme lui raconte. Alors le médecin se rappelle qu'il devait y avoir une poche des eaux, qu'il avait oublié de recommander à la sage-femme. Voilà donc une autre course que la bonne femme est obligée de faire pour aller chercher la poche; cette fois-ci, elle est beaucoup plus fa- tiguée que la précédente. Après s'être reposée un instant, elle intro- duit de nouveau son doigt, et elle trouve en effet la poche des eaux; ne la trouvât-elle pas, elle croit tout de même l'avoir trouvée, puisque le médecin lui avait dit qu'il devait y en avoir une; elle court donc informer le médecin de l'existence de la poche. Enfin, pendant le temps que la sage-femme est en train de courir la poste, d'aller et de venir pour informer le médecin de l'état de la malade, le travail, de son côté, fait des progrès, et l'accouchement se termine au moment même la sage-femme emploie tous ses efforts pour bien expliquer au confrère son col et sa poche.

« D'autres fois, si le cas est plus sérieux, le médecin ne tarde pas à arriver à la maison de la malade; mais il se met dans une chambre

(1) Quelques considérations pratiques sur les accouchements en Orient.

702 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

à côté, et la sage-femme a, par conséquent, double avantage, celui de ne pas se fatiguer à courir après lui et ensuite celui de se trouver au moins auprès de la femme, au moment de l'expulsion de l'en- fant; aussi, dans le troisième et le quatrième temps du travail, elle ne quitte plus la femme pour aller parler au médecin, mais elle crie à haute voix pour que le médecin l'entende et réponde à tra- vers la muraille de la chambre. Ce fait paraît avoir une analogie avec celui du célèbre Guy de Ghauliac qui, dans le treizième siècle, exerçait la pratique des accouchements sans ôter ses gants, et donnait des ordres à la sage-femme; mais au moins il avait une sage-femme beaucoup plus intelligente et restait à côté de sa ma- lade.

« En Orient, en effet, à part le très petit nombre de sages-femmes qui ont reçu leur instruction à la Faculté de Médecine de Constan- tinople et qui ont une certaine capacité, le plus grand nombre n'a aucune instruction; ce sont d'anciennes prostituées que l'on appelle ébé-caden, et qui pullulent dans tous les pays de l'Orient. Un proverbe turc dit d'ailleurs que « toute femme qui a commencé par la prostitution, finit par se faire sage-femme ». Malheureuse- ment la grande majorité des femmes sont à leur merci; elles se figu- rent que leur présence seule suffit pour conjurer tout danger. La plupart sont Turques, Grecques ou Arméniennes; chaque femme recherche surtout une matrone de sa nationalité, c'est qu'elles sont intimement liées avec la famille et aident les jeunes filles à trouver des maris, ce qui est fort difficile avec la vie murée des femmes en Orient; la sage-femme est donc surtout un agent matri- monial.

« Elles sont en général d'un âge mûr ; leur costume simple ne manque ni de caractère ni de gravité; elles sont vêtues de noir et portent une longue canne d'ébène à pomme d'argent, dont le volume donne la mesure de la richesse, et par conséquent de l'importance de celle qui la porte. Ce bâton n'est point seulement un moyen d'appui, c'est surtout le signe distinctif de leur profession; en somme, tout leur aspect est convenable et pourrait en imposer. Elles jouent admi- rablement la modestie, la décence et la dignité. Malheureusement, fronti nulla fides, l'enquête la moins minutieuse sur leurs antécédents et sur leur vie actuelle lèverait bien vite le masque et dissiperait l'illusion. Malgré cela, on peut dire que l'opinion publique leur est favorable, et que le vulgaire les entoure d'une espèce de vénéra- tion.

« Quand elle arrive auprès d'une femme en couches, il se passe une

MOEURS ET COUTUMES 703

scènequi seraitd'unhautcomiquesimalheureusementelle ne froissait pas les sentiments les plus légitimes. Loin de s'inquiéter de la patiente, elle dépose d'abord sa canne, s'installe commodément dans un fauteuil, demande la tasse de café habituelle et entame la conversa- tion, elle vante sa nombreuse clientèle, se lamente sur la brièveté du temps, qui l'empêche de prodiguer ses soins à tous ceux qui l'ambi- tionnent, et finit par raconter quelle a abandonné une cliente pour voler au secours de l'accouchée chez qui elle se trouve et à qui elle porte un intérêt tout spécial. Cette fable et une foule de contes analogues produisent toujours leur effet, et se traduisent par une exagération de salaire.

« La grande question qu'on lui adresse tout d'abord sera relative au sexe de l'enfant qui va naître. Il s'agit en effet de lui choisir un nom. La demande serait fort embarrassante, ainsi qu'on le conçoit, pour un accoucheur qui ne serait que savant; il serait même forcé d'avouer que c'est un problème qui est et demeurera insoluble. Mais notre matrone ne s'embarrasse pas pour si peu; elle se lève, s'ap- proche de la femme et l'examine de près: celle-ci a-t-elle la face turgescente, les joues colorées, les yeux brillants, le nouveau-né sera un mâle; si la femme est pâle, si les yeux sont ternes, si la physionomie est triste, l'enfant ne sera qu'une femelle. Ce grand problème résolu, la matrone s'essuie le front et se rassied. La partie la plus ardue de sa tâche est accomplie. »

En Egypte, ou tout au moins au Caire, la valeur professionnelle des sages-femmes semble plus grande. Vers 1860, Ernest Godard écrivait ce qui suit : « Il y a une école pour les sages-femmes au Caire. Cette année, elles sont au nombre de quatre, elles étaient dix il y a quelques mois et dix-sept il y a deux ans. On les reçoit à l'école à l'âge de douze ou quinze ans, on ne leur demande aucune instruc- tion. La durée des études est de douze années. Les élèves appren- nent la lecture, l'écriture, les accouchements, un peu de petite chi- rurgie, quelques notions sur les maladies des femmes et un peu d'ophtalmologie. Site Tamerahan ou madame Tamerahan est pro- fesseur d'accouchement. Un vieux cheik, choisi vieux à dessein, en- seigne à lire et à écrire. MadameTamerahan reçoit dix-huit bourses par an, soit 2,000 fr. environ. Elle fait une leçon par semaine. Les élèves sont renfermées comme dans un harem; jamais elles ne sortent; et chaque mois, la sage-femme en chef les visite, afin de bien constater qu'elles sont toujours vierges (1). Elles sont payées

(1) Cet examen de la virginité doit faire partie, depuis longtemps, des attributions

704 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

et reçoivent de GO à 115 piastres par mois. O.n les marie à leur sortie de l'école.

« Les femmes enceintes accouchent au rez-de-chaussée, dans une salle voisine de la classe, puis on les remonte au premier. Je pénètre un jour dans la salle des cours, au moment de la leçon; aussitôt la maîtresse et les élèves se lèvent pour nous faire honneur, mais sans nous saluer; elles se couvrent la face et ne montrent que l'œil droit.

« En général, les accoucheuses succèdent à leur mère. Pour prix de ses soins, la sage-femme reçoit, des personnes peu aisées, un tabaris; des personnes riches, un habillement complet qui varie quant à la richesse, et de plus, une ou deux guinées ; cela peut aller jusqu'à dix. L'accoucheuse doit assister la malade pendant qua- rante jours. En général, les médecins ne voient pas les femmes malades; les accoucheuses seules sont chargées de ce soin » (1).

Sages-femmes algériennes. D'habitude, les Arabes ont recours à la sage-femme, kabela; le médecin ou toubibe n'intervient qu'après l'impuissance constatée de la matrone et sur la demande du mari. Ces matrones sont de vieilles malheureuses, fort pauvres, faisant de l'empirisme le plus aveugle, sous prétexte que le grand nombre d'enfants qu'elles ont mis au monde pour leur propre compte a leur concéder une dose suffisante d'expérience, concernant la patho- logie du sexe féminin.

Leurs prétentions varient suivant la fortune des clients : pour les accouchements, elles demandent aux riches 20 à 23 francs, aux gens peu aisés de 2 à 6 francs, aux pauvres de l'orge.

Les sages-femmes en Chine, au Japon et dans l'An- nam. Chez les peuples de la race jaune, la pratique des accouche- ments est exclusivement réservée aux sages-femmes que l'on appelle les receveuses de naissance. Le médecin, dont l'ignorance est du moins égale à celle de la matrone, n'est appelé que dans les cas graves.

des sages-femmes en Orient, si l'on s'en rapporte au fait apocryphe que Suidas raconte au sujet de Marie « que la synagogue fit visiter, quinze ou seize ans après la naissance de Jésus, par d'honnêtes matrones et qui fut trouvée vierge ».I1 est bien probable que l'auteur de ce récit, comme le fait remarquer Peyrilhe, a supposé qu'on faisait autrefois en Judée ce qui se passait à Constantinople de son temps, c'est-à-dire dix siècles après. (1) Egypte et Palestine.

SŒURS ET COUTUMES 705

« Il n'y a à ma connaissance », dit le Dr Hureau de Villeneuve, « ni en Chine, ni au Japon, ni dans l'Indo-Chine, d'école destinée à l'ins- truction des sages-femmes. Chaque accoucheuse est suivie d'une aide qui lui fait cortège, et porte ses aiguilles à acupuncture et les drogues destinées à soulager et à réconforter la patiente. Au bout d'un certain temps de noviciat, ou bien l'aide se charge à son tour d'une clientèle particulière, ou elle reste attachée à une praticienne célèbre qui lui fait obtenir des bénéfices plus considérables que ceux qu'elle pour- rait gagner par elle-même.

« Le salaire des sages-femmes est relativement assez élevé ; elles reçoivent une somme variable qui correspond à 4 ou 6 francs de notre monnaie. Ces honoraires semblent, au premier abord, d'une mesqui- nerie ridicule, mais il faut comprendre que, dans l'extrême-Orient, le rapport de l'argent aux salaires est bien différent de celui qui existe chez nous. En effet, un ouvrier manœuvre qui, dans notre pays, ga- gnerait environ 3 francs, reçoit, dans la Chine et l'Indo-Chine, 30 cen- times environ; avec cette somme, il peut suffire à tous ses besoins et nourrir sa femme et ses enfants. Le médecin touche 60 centimes par visite chez les gens de fortune médiocre, et 1 franc chez les gens aisés ; les praticiens en renom prennent seuls 2 francs par visite. On comprendra donc que 6 francs d'honoraires représentent une somme assez forte et qui peut quelquefois mettre une famille dans la gêne, puisqu'elle représente vingt journées d'ouvrier. »

L'instruction des sages-femmes chinoises ou van-pous laisse donc beaucoup à désirer. Leurs livres ne sont que des recueils de sottises grossières. Nous relevons, cependant, un précepte obstétrical fort sensé dans l'un d'eux, le Sse-Tsaï-San-Chou .■

-fcfo wang, considère. ivèn, écoute.

Fn^ loen' interroge. iTl thsieï, touche.

Tout est loin d'être aussi sage. Ainsi dans le Tal-Shang-Pin, l'ou vrage classique par excellence, nous trouvons le moyen de pronosti-" quer, par l'inspection du visage, le résultat probable de l'accouche- ment. « Si le visage de la mère est rouge et la langue verte (1), l'en-

(1) il y a vert, Hureau de Villeneuve dit pourpre,

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS. 45

706 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

fant mourra et la mère sera sauvée; si la face est verte et la langue rouge, la mère mourra et l'enfant naîtra vivant; si les deux sont vertes, tous deux périront ». Pour indiquer la marche du travail, le Tat-Shang-Pin recommande l'inspection du pouls, et, si l'accouche- ment ne peut se terminer, déclare qu'on en doit accuser le mauvais vouloir de l'enfant : « Les anciens », dit ce docte traité, « rapportent des cas la naissance fut retardée de trois ou quatre ans, parce que l'enfant ne voulait pas sortir; s'il ne veut pas sortir, qui peut l'y for- cer? et, s'il le veut, qui peut l'en empêcher? » Le raisonnement est commode.

Pour parfaire leur instruction, les sages-femmes ont entre les mains un autre volume intitulé :

n

êL i

Pao-Tsan-Ta-Seng-Pien, c'est-à-dire : Lelivre qui enseigne à protéger la sortie du produit vivant (1). Il porte pour épigraphe : L'ignorance des sages-femmes peut causer la mort de leurs clientes. Et l'ignorance des sages-femmes est le résultat de l'ignorance de leurs maîtres. Le Pao-Tsan-Ta-Seng-Pien contient des figures d'anatomie très fantai- siste. La loi interdisant l'ouverture des cadavres en Orient, les au- teurs de livres d'anatomie en sont réduits à recourir à leur imagina- tion. Manquant de fonds, ils se rattrappent sur la forme, et comparent poétiquement l'utérus « au bouton d'une fleur de nénuphar placé sur sa tige » ; quant aux trompes et aux ovaires, il n'y est même pas fait une allusion discrète. La physiologie est aussi obscure que l'anato- mie; elle ne repose que sur des hypothèses : l'embryon au premier mois ressemble « à une goutte d'eau » et au second « à un bouton de rose » ; toujours la poésie !

Au Japon, l'instruction semble plus pratique, les sages-femmes ont aussi le monopole des accouchements. Les médecins n'intervien- nent guère que pour certaines manœuvres spéciales dont nous avons déjà parlé.

Les femmes Annamites s'adressent aussi de préférence aux sages- femmes, aux ba-mu. Comme ignorance, elles ne le cèdent à per- sonne ; de plus, leur aspect est assez repoussant, si l'on en croit le docteur Mondière : « Vieille, maigre, les cheveux gris ou blancs, souvent coupés ras, quand elle a retroussé les jambes de son pan- talon et relevé les manches de sa houppelande, on croirait, quand elle est dans l'exercice de ses fonctions, avoir devant les yeux une

(1) Littéralement : Protéger, produit, sortie, vivant, livre.

MOEURS ET COUTUMES 707

des sorcières de Macbeth. Tel est du moins l'aspect extérieur des trois plus célèbres de l'empire d'Annam. Dès qu'elle est prévenue que c'est à elle d'accoucher telle femme, elle vient d'abord la voir tous les deux ou trois jours, puis, dans les derniers temps, tous les jours. Elle lui ordonne souvent telle ou telle espèce d'aliments et surtout des tisanes dont la feuille du caidu du (papayer, carica papaya) et une sorte de menthe, très voisine de la menthe crépue, font la base. Mais elle ne touche pas la femme ; à peine palpe-t-elle le ventre, si la femme croit à quelque phénomène extraordinaire pouvant com- pliquer la sortie de l'enfant.

« Dès que les premières douleurs se font sentir, on court prévenir la ba-mu. Elle saisit sa trousse, laquelle consiste uniquement en un mor- ceau de bambou raclé en forme de couteau et destiné à sectionner le cordon, et puis, sans se presser, se rend chez sa cliente qui lui four- nira des fils de soie, d'aloès, voire même du fil à coudre anglais ou fran- çais pour faire la ligature, et de l'huile pour le pansement consécutif.»

Le salaire de la sage-femme, dans l'Indo-Chine, varie suivant les pays et la fortune des gens qui réclament ses services. « Les pauvres, » dit Lefebvre, « lui donnent du riz, des poulets, à moins qu'ils ne préfèrent la payer en argent. L'accouchement d'un garçon ne dépasse pas une piastre (quatre francs soixante-dix centimes environ de notre monnaie), celui d'une fille soixante cents, c'est-à-dire trois francs. Les offrandes des sacrifices peuvent également servir à sa rémunération. Une Annamite, après ses couches, tient à honneur de faire couler beaucoup de vin, de sacrifier beaucoup de victimes, et doit avoir les mains pleines de présents : rendre de nombreux hommages aux douze déesses prouve sa reconnaissance pour les bienfaits reçus et lui fait espérer d'en obtenir d'autres pour l'avenir. »

Les aides des peuples primitifs. Le plus souvent, dans les peuplades sauvages, la parturiente se passe d'aide ou réclame les soins d'une femme âgée de la tribu, qui a eu beaucoup d'enfants et passe pour habile ou se croit telle ; malheureusement, la haute opinion que la vieille a de son expérience, la pousse très fréquemment à pratiquer des manipulations intempestives dont les résultats peuvent être dé- plorables. Dans certaines tribus sauvages, les hommes exercent le métier d'accoucheur ; Felkin en a vu des exemples en Afrique, et, si l'on en croit le British Médical Journal, les sages-femmes, aux îles Sandwich, sont des hommes très vieux (1).

(1) Le fait reste-t-il toujours vrai, maintenant que les îles Sandwich se sont civi- lisées ?

708 HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS

Souvent, dans les cas embarrassants, les peuplades sauvages ont recours aux sorciers, mais ceux-ci se contentent de marmotter certai- nes incantations mystérieuses qu'ils accompagnent de coups de tam- tam ; c'est un moyen d'agir sur l'imagination de la femme. Ils ven- dent, en outre, le plus cher possible, des sortilèges dont on couvre la patiente. C'est surtout dans les cas de stérilité que les Néo-Calédo- niennes s'adressent au sorcier ; nous avons indiqué quelques-unes des pratiques bizarres usitées chez ces lointaines sujettes de notre pays.

Aux Philippines, les sages-femmes cherchent à mériter le litre de mabutin gilot, bonne accoucheuse, en annonçant le sexe dès les pre- mières semaines de la grossesse.

Quand les Indiens ont recours à un médecin, lors des cas graves, ils n'oublient jamais de le payer, dans la crainte qu'il ne jette un sort à la parturiente ; mais les honoraires ne sont pas des plus brillants. Engelmann nous apprend qu'au Nord de Mexico, le médecin reçoit, comme la sage-femme Annamite, un lapin ou une paire de poulets. « L'on voit d'ici, » observe Verrier, « la figure que feraient nos grands accoucheurs parisiens dans ce pays». Les Comanches ont une singu- lière façon de s'acquitter envers leur médecin. Le Dr Forwood fut ap- pelé auprès d'une femme Comanche en 1869, et l'opération faite : « On me conduisit, » dit-il (1), « à la tente du chef après beaucoup de formalités, on me fit choisir un poney ; mais comme on craignait que le pauvre animal ne fût bien triste loin de ses compagnons, on me pria de le laisser rejoindre la troupe des autres chevaux et de le considérer comme mien; il ne quitta pas, bien entendu, ses compa- gnons ».

Dans l'île de Wallis, au nord-ouest des Navigateurs, les naturels n'ont coutume de payer les médecins indigènes ou autres qu'en cas de guérison. Cependant, le DPA. Briquelot, après avoir fait une appli- cation de forceps à une femme qui succomba avec son enfant, fut fort étonné de voir arriver chez lui, quelques jours après, le mari lui appor- tant une pièce d'étoffe de pays, de 70 pieds de long. Après avoir remis son cadeau, il se retira aussitôt en serrant affectueusement la main du docteur et sans prononcer une parole. La délicatesse et la recon- naissance de ce sauvage pourraient servir de leçon à bien des gens civilisés de notre connaissance.

(1) Engelmann, loe, cit.

IMPRIMERIE LEMALE ET Cia, HAVRE

TABLE ALPHABETIQUE

Abipones. 533.

Ablutions, 473.

Accouchements. Extraordinaires, 245.

Simulés, 259. Voies anormales, 265.

Post mortem, 279. Accoucheurs, 176, 689, 694, 097, 698. Acupuncture, 585. Adam, 54. Adonis, 21. Aération, 216. Aétite, 200. Afrique, 191, 402. Agnus Dei, 121. Ainos Karafutos, 243. Albanie, 228, 567. Alcinène, 18. Alémona, 46. Algérie, 568, 577, 704. Allaitement, 221, 223, 462, 515, 568, 587,

599, 605. Allemagne, 366, 373, 538, 540, C95, 697. Amérique, 413, 419, 623. Amniomancie, 196. Amulettes, 475. Andamans,437. Anencéphales, 290. Angleterre, 365, 534, 536, 537, 694. Animation du fœtus, 134, 135. Animaux. Mis au monde par des femmes,

24.",. Donnant le jour à des créatures

humaines, 250. Annam, 155, 399, 402, 600, 704. Anneau de la Vierge, 123. Anouké, 33 . Antilaiteux, 222. Antilles, 419.

Apaches, 194, 421,427, 430, 632. Apollon, 15. Arabie, 164, 167, 168, 190,228, 385, 3S9,

406, 452, 568, 574, 704. Arapahoes, 632. Araucanie, 681.

Arawaks, 533.

Ardra, 238.

Arébo, 613.

Ares, 9.

Arménie, 236.

Artémis, 15, 39.

Asclépios, 21.

Assyrs, 452.

Astarté, 6.

Astrakhan, 38 i.

Athéna, 8.

Australie, 437, 637.

Autriche, 541, 698.

Avortement, 134, 262, 464, 466, 478, 520,

536, 538, 541, 543, 575, 577, 578, 600,

607, 635, 638. Aymaras, 228. Aztèques, 190.

r.

Bacchus. Voir Dionysos.

Banians, 580.

Baptême, 136.

Bari, 403.

Basques, 532.

Bastit, 33.

Béchuanas, 238, 241.

Belgique, 380, 554.

Bénin, 23S, 613.

Berceaux, 462, 472, 486, 509, 557, 558,

559, 566, 625. Bermudes, 433. Birmanie, 193, 608. Blanche Dumas, 329. Bois de vie, 81. Boissons alcooliques, 194. Bolivie, 633. Bougo, 406, 620. Bornéo, 638. Boschimanes, 617. Botokudos, 439. Bbouddisme, 1.

HISTOIRE DES ACCOUCHEMENTS.

710

TABLE ALPHABETIQUE

Bourouts, 560.

Bouton, G35.

Brahma, 2, 23.

Brahmanisme, 1.

Brésil, 419, 439, 533, 633, 635.

Bretagne, 47, 196, 240, 243, 501.

C

Cadre-bamac, 556.

Cafrerie, 618.

Calabar (Vieux-), 406.

Calédonie (Nouvelle-), 193,437,637,

640, 703. Californie, 430. Cambodge, G07, 608. Canada, 415, 624. Canaries, 411. Candelifern, 46. Caraïbes, 228, 533. Carmentes, 46. Carolines, 190, 636. Castor, 17. Caucase, 560. Ceinture de la Vierge, 125. Célèbes, 635. Centaures, 2S2. Céram, 436, 635. Chaises obstétricales, 351, 355, 368,

370, 371, 372, 382, 383, 3S4, 408. Chaitakis, 571. Chaktas, 533. Chang-Eng, 300, 318. Chavantes, 037. Chaykyes, 618. Chemise de la Vierge, 123. Cheyennes, 632. Chimehwhuebes, 632. Chine, 155, 169, 193, 207, 240, 393,

701. Chinooks, 228. Chipiouyans, 624. Chippeways, 425. Chirigans, 244, 533. Chiron, 23. Chrysaor, 10. Chypre, 351.

Circoncision, 451, 452, 574. Cloche, 130. Coiffe, 196.

Comanches, 238, 427, 430, 629, 708. Conception pendant les règles, 163, Congo, 412, 533.

Constantinople, 576. Voir Turquie. Constriction du ventre, 217. Convulsions, 240.

6.38,

369,

Cordon de St-Josepb, 117. Cordon ombilical, 61, 208. Cornes, 236. Corse, 532. Cosaques, 242. Côte des Esclaves, 612. Côte d'Or, 612. Couvade, 218, 532. Couveuse, 186. Coyoteros, 194, 421. Creeks, 433. Cronos, 6. Cunina, 49. Cyclopes, 282, 286. Cynocéphale, 280. Cypriens, 533.

D

Danemark, 161, 700. Darfour, 404, 409. Dayaks, 638. Décima, 46.

Déclaration de naissance, 519. Délivrance, 207, 459. Deus Vagitanus, 49. Deverra, 47. Diane Lucnfera, 48. Dictame, 200. Diémen, 636. Dionysos, 10.

Divinités invoquées dans les accouche- ments, 30.

E

Eau do lis, 201.

Eau de tête de cerf, 202.

Echidna, 23.

Ecosse, 162.

Ectromèle, 333.

Educa, 50.

Egérie, 47.

Egypte, 5, 240, 343, 389, 439, 568, 574,

577, 701. Embryologie sacrée, 133. Emeraude, 201. Emerillons, 034.

Enseignes des sages-femmes, 650, 677. .Envies, 170. Erichtonios, 22. Esaii, 69.

Esculape. Voir Asclépios. Espagne, 237, 532, 699. Esquimaux, 238, C23. Esthonie, 557.

TABLE ALPHABETIQUE

711

Ethiopie, 439.

Eve, 55, 59.

Exorcisme, 131.

Exposition des enfants, 478, 48?, 483.

Ex voto, 407.

F

Fabulinus, 50.

Farinus, 50.

Faunus, 49.

Februa, 47.

Fées, 485.

Femmes à barbe, 1*1

Fidjiens, 210.

Fiel d'anguille, 201.

Fièvre de lait, 224.

Finlande, 557.

Finnois, 207, 3S3.

Fluonia, 46.

France, 354, 357, 361, 362, 485, 490, 501,

502, 508, 520, 650, 689. Francs, 134. Fuégiens, 421,634.

Gabon, 612.

Galibis, 633.

Gaulois, 31, 240.

Géants, 310.

Genita Mana, 47.

Géryon, 23.

Ghauts, 579.

Graisse de vipère, 201.

Grèce, 6, 37, 155, 163, 165, 1S9, 192, 194, 199, 207, 211, 221, 226, 228, 232, 346, 351, 38i, 452, 459, 460, 464, 646.

Groenlandais, 243.

Gros-Ventres, 421, 626.

Grossesse. Simulée, 259. Illusoire, 263.

Guinée, 238, 615.

Guyacurus, 635.

Guy ânes, 238, 533, 633.

II

Haïti, 23, 31, 632.

Hanovre, 696.

Harœri, 5.

Hat-Hor, 33.

Hawaï, 63S.

Hébreux, 54, 71, 77, 163, 191, 341, 412.

Hercule. Voir Héraclès.

Hélène et Judith, 300, 316, 336.

Héra, 9, 39, 259.

Héraclès, 18. Hermaphrodites, 23, 311. Hollande, 380, 553, 097. Homme-chien, 281. Homme-tronc, 329. Honolulu, C44. Horoscopes, 198. Horus, G.

Hottentots, 1G0, 239, 411, 615. Hydrocéphalie, 338.

Ilithyia, 37.

Inclusion fœtale, 303, 306.

Inde, 23, 30, 51, 343, 393, 578, 579, 580,

583. Iutercidona, 47. Iphiclès, 18. Irlande, 161. Iroquois, 419. Isis, 5, 34.

Italie, 188, 374, 543, 544, 547, 699. Ixora, 23.

Jaooh, 09.

Janiceps, 289.

Japon, 23, 158, 207, 243, 394, 590, 701.

Java, 435, 635.

Jésus- Christ, 94.

Jocabel, 71.

Judas Iscariote, 96.

Julia Kostroma, 281.

Jumeaux, 70, 237, 238.

Junon Lucine, 41. Voir liera.

Jupiter. Voir Zeus.

Juventas, 50

K

Kabylie, 388, 452, 571. Kahoura, 621. Kaïomorts, 4. Kalmoucks, 210, 391. Kamtschatka, 207, 384, 500. Kazan, 557. Kerrie, 405. Kiowas, 432, 626. Kirghiz, 700. Klamaths, 193. Kootenais, 191, 430, 433. Krao, 283.

L

Laguna Pueblo, 421.

712

TABLE ALriIABETIOUE

Lait répandu, 2^3.

Langue de caméléon, 202.

Laoïsme, i.

Laos, COS.

Lao-Tsen, 4,

Lapons, 169, 559.

Latone. Voir Leto.

Léda, 17.

Leto, 14.

Levana, 49.

Lit de misère, 362, 3C3.

Lilith, 81.

Lit génital, 353.

Livonie, 242.

Loango, 238, 413, 615.

Lochies, 220.

Locutius, 50.

Longo, 406.

Lucine, 41.

M

Madagascar, 190, 617.

Madi, 404.

Madras, 533.

Magisme, 4.

Maïas, 31.

Maillot, 228, 471, 486, 509, 534.

Maison de Notre-Dame, à Nazareth,

122. Majeronas, 232. Malabar, 533. Malaisie, 435.

Mamelles supplémentaires, 287. Manteau de Saint-Martin, 115. Maroc, 568, 574. Marquises (Iles), 227, 452, 640. Massage, 194, 591, 602, 626. Maternités, 522, 537, 540, 541, 557. Matuta, 49. Mena, 46. Mésopotamie, 567. Mexique, 160, 425, 708. Mexique (Nouveau-), 421, 423. Micronésie, 437. Millie- Christine, 300, 324, 337. Minotaure, 23, 25. Missouris, 415. Modocs, 429. Moluques, 190, 436, 630. Mongols, 391. Monocoles, 282. Monstres, 23, 245, 335, 338. Monténégro, 562. Montescas, 435, 614. Moru, i06.

Morvan, 531.

Moscou, 557.

Mossoul, 384.

Mout-em-ouat, 33.

Moxos, 633.

Musulmans, 168, 170, 180, 207, 384, 152,

568, 575. Myrrha, 21. M'zabites, 574.

N

Nains, 310.

Naissances. Tardives, 178. Précoces, 185.

Multiples, 256. Natis, 47. Nefté, 6.

Négritas, 435, 644. Neith, 33. Nekhab, 33. Nez-Percés, 421. Nixi Dii, 47. Nœfoures, 636, 638. Nogaïs, 560.

Nombril d'Adam et d'Eve, 58. Nona, 46. Nornes, 47.

Notre-Dames. Voir Sainte*. Nourrices, 71, 222, 243, 463, 476, 506,

515. Nouveau-nés, 225, 226, 232, 239, 252

27 i. Nouvelle-Grenade, 439. Nouvelle-Guinée, 636. Nouvelles-Hébrides, 638. Nubie, 389, 618. Nuka-Hiva, 641. Numeria, 47. Nundina, 50. NyamsNyams, 295, 619.

O

Obstétrique. Mythologique, 1. Biblique,

54. Catholique, 81. Océanie, 210, 434, 635. Œufs pondus par des femmes, 250. Ohio, 629.

Ompbalomancie, 208. Onitcha, 412. Opération césarienne, 11, 21, 148, 270,

275, 622. Opigena, 46. Opis, 49. Orénoque, 432. Orion, 21.

TABLE ALPHABETIQUE

713

Osiris, 5. Ossipaga, 46. Ostraks, 561. Ottawas, 425. Ouatatourous, 615. Ounyoro, 407. Ouranos, 6. Oyatupis, 634.

Faillites, 155.

Panama. 607.

Papagos, 193.

Paraguay, 635.

Parque?, 47.

Parsis, 580.

Partula, 46.

Patagons, 632.

Pawnees, 424.

Payaguas, 635.

Peaux-Rouges, 425, 629, 634.

Pégase, 10.

Peigne de la Vierge, 130.

Pékin, 588.

Penimonees. 433, 626.

Pensylvanie, 415, 419.

Pérou. 418,432.

Perse, 390, 444, 577, 580.

Pesées des nouveautés, 235.

Phénicie, 6.

Philippines (Iles', i34, 435, 644, 708.

Phinéès, 71.

Phocomèle, 334.

Pierre d*aigle. Voir Aêtite.

Pierre d'aimant, 201.

Pilummis, 47.

Plume d'aigle, 201.

Pollux, 17.

Polynésie, 437.

Polyphème, 26.

Pont-Kuxin, 533.

Portugal, 699.

Portuta, 47.

Postures prises pendant l'accouchement,

343. Postverta, 47. Potina, 50.

Poudre de la reirie, \îo 1 . Préjugés, 154, 176, 178, 221, 225. Prépuce de Jésus-Christ, 450. Prières. Voir Saints et Saintes. Promeneuse, 556. Prorsa, 47. Puebla, 625.

Quanwon, 23. Quenevadi, 23.

B

Raohel, 70.

Rébecca, 69.

Régime alimentaire, 214.

Rele vailles, 132.

Reliques, 121.

Rhéa, G, 7.

Rhinocéphales, 290.

Rio-Nunez, 452.

Rita-Christina, 300, 322.

Rome, 40, 159, 180, 196, 221, 222, 240,

241, 270, 352, 452, 466, 64S. Roucouyens, 433, 634. Humilia. 49. Russie, 193, 207, 224, 234, 557, 700.

S

Safran, 201.

Sages-femmes, 71, 177, 188, 199, 593, 603, 646,648,650,694^695,698,699,700,701, 704.

Saignée, 205.

Saintes.Anne, 81. Marie, 89. Elizabeth, 89. Félicité. 97. Marguerite, 98. Notre- Dame de Mont-Serrat, 107. Notre- Dame de l'Habit, 109. Notre-Dame île Chartres, 109. Notre-Dame de Liesse, 109. Notre-Dame de Lorette. 111. Notre-Dame des Victoires, 112. Bri- gide. 112. Honorine, 112. Livrade, 112. Marie d'Oignies, 113.

Saint-Louis-de-Potosi, 425.

Saint-Pétersbourg, 557.

Saints. Nicolas, 96. Christophe, 97, 114. Dominique, 97. Drausin, 97. François- d'Assise, 97. 115. Oyan. 113. Hyacinthe,

114. Greluchon, 114. Guignolet, 114. Prix, 114. René, 114. Gilles, 114. Arnault, 114. Urbic, 115. Renaud, 115. Barthélémy, 115. Nerlin, 115. Martin.

115. Bernard, 115. Ignace, 115. Thomas d'Orvieto, 116. Raymond de Penafort, 116. Dominique d'Osuia. 116. Bouaventure, 116. Robert, 116. Udault,

116. André, 116. Joseph, 117. Charles Borromée, 118. François de Sales, 118, Etienne, 122.

Samoyèdes, 558.

Sandwich (Iles), 437, 643, 707.

714

TABLE ALPHABETIQUE

Sara, 77:

Satyres, 27, 282.

Scandinavie, 31, 47.

Schulis, 408.

Sciapodes, 282.

Seins, 224.

Sémélé, 11.

Sénégal, 411, 611.

Sentinus, 46.

Sepher Tora, 80.

Serpents. 202, 224.

Sexe de l'enfant, 163, 165.

Siam, 194, 399, 608.

Sibérie, 557.

Sicile, 207, 212, 547.

Simulation, 259.

Sintoïsme, 4.

Sioux, 191, 419, 421.430.

Sirènes, 27, 282.

Siva, 3.

Solvizona, 41.

Somalis, 409.

Sommeil, 213.

Sonde (Iles de la), 635.

Sorcières, 160.

Sotoktais, 5.

Soudan, 389, 619.

Soven, 33.

Statanus, 50.

Succussion hippocratique, 347.

Suède, 161, 173.

Suisse, 699.

Sumatra, 635.

Superfétation, 18

Surinam, 533.

Sylvain, 47.

Syrie, 389, 568.

Tadjiks, 562.

Tahi tiens, 208, 210, 437, 644.

Tartares, 391, 533.

Têtes-Plates, 228.

Thamar, 72.

Timor, 635.

Tocci, 328.

Tonkawas 421.

Tonquin, 608.

Tranchées, 218, 225.

Travail, 190, 199.

Trouangues, 634.

Tunisie, 570.

Turquie, 216, 240, 384, 563, 575, 70 i

Typhon, 6.

U

Uganda, 210, 410, 620. Umpquas, 421, 631. Unitah Valley, 428, 135. Uranus. Voir Ouranos. Uruguay, 637. Uterina, 47.

Vandales, 511. Vénétie, 544. Venus Genitrix, 46S. Vermont, 415. Vichnou, 2. Visigoths, 131. Viti, 638. Vitumnus, 46. Volas, 31.

W

Wakambas, 109. Wallis, 437, 7U8. Wanikas, 410, 620.

Yakouts, 560. Yorkshire, 535.

Zemez, 31. Zeus, 8, 9. Zoroastre, 4. Zoulous, 615.

ERRATA :

Tage 111, ligne 8, au lieu de ; 1C67, lisez 1687. Page 384, ligne 3, au lieu de ; Astrakan, lisez Astrakhan. Page 433, ligne 7, au lieu de : Kootewais, lisez Kootenai?. Page 632; ligne 18. au lieu de: Araphahoes, lisez Arapahoes,

HISTOIRE

DES

ACCOUCHEMENTS

CHEZ TOUS LES PEUPLES

APPENDICE

L'ARSENAL OBSTETRICAL

IMPRIMEEIE LEMALE ET Cie, HAVRE

HISTOIRE

DES

ACCOUCHEMENTS

CHEZ TOUS LES PEUPLES

APPENDICE

L'ARSENAL OBSTÉTRICAL

G.-J. WITKOWSKI

DOCTEUR EN MÉDECINE DE LA FACULTÉ DE PARIS OFFICIER D'ACADÉMIE

PARIS G. STEINHEIL, ÉDITEUR

2, ECE CASIMIK-DELAYIG^E, 2

L'ARSENAL OBSTÉTRICAL

(i)

Les instruments employés en obstétrique sont innombrables ; chaque jour on en invente de nouveaux, utiles quelquefois, le plus souvent superflus. « Jadis, dit Pajot, le médecin allait à un accou- chement portant une trousse ; maintenant c'est une boîte ; bientôt, si cela continue, il faudra une armoire (2). » L'armoire serait peut-

Fig. 1. Trousse obstétricale du professeur Pajot.

(1) Nous reproduisons en entier YArmamcntarium LueintB novvm de H. Kilian; nous adressons tous nos remerciements à la famille de cet éminent praticien, qui a bien voulu nous y autoriser. Nous remercions aussi le professeur Wasseige, de Liège, qui nous a permis de faire de nombreux emprunts à son ouvrage sur les

Opérations obstétricales, Decq et Lecrosnier, éditeurs .

(2) Le professeur Pajot, prêcbant d'exemple, a fait construire par M. Cb. Dubois, une trousse obstétricale (fig. 1) qui contient, sous le plus petit volume, tous les instru- ments d'urgence : forceps, crochet, perce-crâne, trocart, embryotome, tube laryngien, sonde uréthrale, serres-fines, porte-cordon en caoutchouc durci, moulin à ergot, une paire de ciseaux ; seul, le céphalotribe nécessite une gaine spéciale, mais le cons-

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 2, 3. Trousse obstétricale de Galante.

tructeur ne désespère pas de le faire tenir dans la trousse, en coupant en deux chaque branche, comme M. Pajot l'a fait pour le forceps. La trousse obstétricale du professeur Pajot est beaucoup plus portative que toutes les autres (fig. 2, 3).

CLASSIFICATION

être nécessaire; aussi ne pouvons-nous songer à sortir tout cet atti- rail pour le faire passer sous les yeux de nos lecteurs. Nous ne leur exhiberons que les pièces principales ; la quantité en est encore si respectable qu'il faudra nous borner à les reproduire sans en donner la description.

Nous avons divisé en trois classes tous les appareils et les instru- ments utilisés en obstétrique :

I. AVANT L'ACCOUCHEMENT

Hygiène et pathologie de la grossesse : Corsets et Ceintures.

Exploration : Stéthoscopes, Spéculums, Mannequins, Pelvi- ■rnètres, Cliséomètres, Pelvigraphes.

Accouchement prématuré artificiel et avortement provoqué : Trocarts, Excitateurs utérins, Dilatateurs, Pinces à faux germe.

IL PENDANT L'ACCOUCHEMENT

Pour la mère : Chaises obstétricales, Appareils anesthésiques, Métrotomes.

Pour le fœtus : (Avant l'extraction), Perce-membranes, Porte-cordons, Porte-lacs, Appareils pour administrer le baptême intra-utérin; (Pour l'extraction par les voies naturelles, sans mutilation) : Crochets mousses, Frondes, Filets, Sericeps, Ventouses, Leviers, Forceps ; (Pour l'extraction par les voies naturelles, avec mutilations), Crochets pointus ou tranchants, Perforateurs, Tire-têtes, Crâniotomes, Céphalotribes, Pinces à os, Crânioclastes, Embryolomes ;

8 ARSENAL OBSTÉTRICAL

(Pour l'extraction par les voies artificielles), Instruments servant à V opération césarienne et à la symphyséotomie.

III. APRES L'ACCOUCHEMENT

Pour la mère : Serres-fines, Aiguilles à sutures, Appareils contre les hémorrhagies, Transfuseurs, Sondes pour injections intra-utérines.

Pour les nouveau-nés : Tubes laryngiens, Instruments pour le filet, Couveuses, Tubes à gavage, Pesons et Balances pèse- bébés.

I. INSTRUMENTS UTILISES AVANT L'ACCOUCHEMENT

HYGIÈNE ET PATHOLOGIE DE LA GROSSESSE

Corsets et ceintures.

Fig. 4. Cor?et de grossesse.

Fie. h. Ceinture de grossesse.

Fig. 6. Ceinture contre l'éc'artement de la ligne blanche.

Fig. 7. Ceinture pour remédier au relâchement des symphyses.

10

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 8.— Ceinture contre l'éventration complète.

F

Fig. 6, 10. Ceinture contre l'antéversion de l'utérus, pendant la grossesse.

CORSETS ET CEINTURES

11

e,|\D0UREAU

Fio. 11. Ceinture eutocique du Dr Pinard. Elle a pour but de maintenir le fœtus dans une présentation normale, après avoir ramené la tête au niveau de l'aire du détroit supérieur, par des manœuvres externes.

Fio. 12, 13. Ceinture eutocique de Pinard, appliqué

12

ARSENAL OBSTETRICAL

EXPLORATION

Stéthoscopes. Métroscopes.

Fio. 14.— Stéthoscope de Depaul. Fig. 15. Stéthoscope de Pajot (1). Fig. 16. Stéthoscope de Pinard.

o

Fig. 17. Vaginoscope de Routh.

Fig. 18. Métroscope de Nauche destiné à ausculter la portion vaginale de l'utérus.

(1) Stéthoscope pour l'enseignement obstétrical. Plus il est court, moins il bascule. Pour le médecin exercé le choix de l'instrument est insignifiant. (Pr. Pajot.)

SPECULUMS

13

Spéculums.

Fio. 19, 20, 21. Spéculums trouvés dans les ruines de Pompéi (1).

c:

m

0

Fis. 22. Spéculum d'Albueasi?, ayant la forme de la presse qui sert aux relieurs, d'après le dessin informe des copistes arabes.

Fig. 23. Le môme spéculum, tel qu'il devait être.

(1) Le» anciens utilisaient souvent les spéculums dans les accouchements, surtout pour l'extrac- tion des débris du fœtus.

14

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 24. Autre spéculum d'Albucasis, d'après les copistes arabes.

Vig. 25. Le même spéculum tel qu'il devait être (1).

Fig. 26. Autre modèle de spéculum d'Albucasis.

Fig. 27. Spéculum matricis de Rueff.

Fig. 28. Apertorium de Rueff.

(1) Figures 23 et 25 tirées de La Chirurgie d'Albucasis, traduction du Dr L. Leclerc, chez J.-B. Baillière et fils.

SPECULUMS

Fig. 29-32.— Spéculums ouverts et fermés employés du temps d'A. Paré (1).

Fiq. 33-35. Dilatatoires à deux et à trois branches employés du temps de Mauriceau.

Fig. 36. Spéculum en buis de Récamier, ser- vant à protéger les parois du vagin pendant la décollation à la ficelle ou à la chaîne (2).

(1) Franco a représenté dans son édition de 1561 un spéculum analogue et dont il recommande l'uBage pour l'extraction de l'arrière-faix.

(2) Tous les autres spéculums peuvent être employés soit pour s'assurer, dans les cas douteux, que la poche des eaux est rompue, soit pour diriger les instruments dans l'accouchement prématuré.

16

ARSENAL OBSTETRICAL

Mannequins et bassins artificiels

Fig. 37. Bassin artificiel de Fabri, de Bologne, modifié par Joulin, pour simuler les rétrécissements

du détroit supérieur.

Fig. 38. Bassin artificiel en fonte avec plaque du sacrum_mobile, de Tarnier. Modèle Mathieu.

MANNEQUINS ET BASSINS ARTIFICIELS

17

Fig. 39. Mannequin obst.Hrical de Budin et Pinard.

Fie. 40-42. Différentes pièces du mannequin précédent.

H1ST. DES ACC.; ARSENAL OBSTÉTRICAL.

18

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 43. Nouveau mannequin obstétrical de Budin et Pinard.

Pelvimètres. Cliséomètres. Pelvigraphes.

ô

Fig. 44-51. Telvimèlres. 1, 2, 3, 4, 5, Slein. C. Coutouly. 7. Compas d'épaisseur de Baudelocque. 8, a, b, c. Koppe.

Fig. 62.— Pel- Timètre d'Ait- kcn.

PELVIMÈTRES

19

FlG. 53-60. Pelvimètres. - 1. Jumelin. - 2. Aitken. —3. Stark. - 4. Kurzwich. 5. Crevé. 6. Pelvimètre digital d'Asdrubali. 7. Siméon.

l^J

Fig. 61. Pelvi- mètre externe ou compas d'épaisseur de Chaussier.

Fig. 62-70. - Pelvimètres. - 1, a, b, c. Wigand. - 2, a, b. Salomon. - 3, a, b. Desberger, 4, a, b, c, d. Kluge.

20

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 71-77. Pelvimètres. 1. Pclvigraphe Martin. 2, 3. Ritgen. 4. îlmc Boivin. 5. a, b, r. WellenbergL

Fie. 78. Pelvim'ètre universel de Van Iluevel.

PELVIMETRES

21

Fig. 79-83. l'elvimètres. 1, 2. Van Huevel modifié. 3. Beck. 4. Osiander-Kilian. 5. Kiwisch.

Fiq. 84-87. Pelvimètre interne Fig. S8. Pelvimètre de Ritgen. articulé de E. Hubert

de Louvain.

Fig. 89. Compas d'Amand (l).

(1) Wasseige, loe. cit.

22

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 90, 91. Pelvimètre de Wasseige.

F'.o. 92.— Pelvimètre de Rizzoli (1). Fig . 93.— Pelvimètre de Fergusson (1). Fig. 94. Pelvimètre de Lumley Earle (1).

(1) Catalogue and report of obstétrical and other instruments exhibited at the conversazione of the obstétrical society of London.

PELVIMETRES

23

[nliillm^SiiJnilmllIll

Fio. 95, 96. Pel 'imètro de Schultze.

FlO. 98. Pelvimctro de Lazarewitch.

(1) V. note page 22.

g. 97. Polvîmètre de Grcenhalgh (1).

Fig. 99. Pelvimètrel'de Howitz, do Copenhague.

24

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 100. Compas pelvimètre de Charrière.

Fig. 101. Autre compas de Charrière.

Fio. 102. Pelvimètre Depaul, modèle Mathieu. Fig. 103. Pelvimètre Depaul, modèle Aubry.

PELVIMETRES

25

Fie 104. Pelvimètre interne de Collin.

Fig. 105. Pelvimètre Fig. 106. Pelvimètre Fio. 107. Compas do externe de Collin. interne et externe de Stanesco.

Collin, dernier modèle.

Fig. 108. Compas crâniomètre et pelvimètre de Budin.

26

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 109. Pelvimètre de Kustner.

Fig. 110. Pelvimètre de Crouzat, 1881.

PELVIMETRES

27

i»i

/;

\ \

Fïg. 112. Cliséomètre da M. Dumas, destiné à la mesure de l'inclinaison du détroit supérieur (1).

Fig. 113, 114. Cliséomètres. 1. Stein. 2. Osiander.

(I) Wasseige, loc. cit.

28

ARSENAL OBSTETRICAL

Fie 115. Goniomètre de Verrier pour mesurer l'inclinaison des plans du bassin.

Fie 11G. Pelvigraplie de Guillery (1).

Fig. 117. Appareil de Polaillon pour étudier les contractions utérines pendant l'accouchement.

(I) "Wasseige, loc. cit.

TROCARTS ET POMPES ASPIRATRICES

29

ACCOUCHEMENT PRÉMATURÉ ARTIFICIEL ET AVORTEMENT PROVOQUÉ

Trocarts et pompes aspiratrices.

Fig. 118-122. 3. Trocart de Wenzel ou de Messner. A. Trocart et sonde aspiratrice de Ritgen. 5. Pompe aspiratrice de Kluge. 6, 7. Trocart de Kilian.

Q^-^-ct;^i.i«...J)>U»j-tTTTt(~

=^>

Fig. 123-124.— Long trocart et canule de Radford.

30

ARSENAL OBSTETRICAL

Excitateurs utérins.

Fig. 125. Excitateur utérin de Hyernaux (1).

=SflWODREWl=

Fig. 126. Grand irrigateur Eguisier pour douches utérines.

Fig. 127. Appareil à douches utérines d'eau chaude, de Kiwisch. (1) Wasseige, loc. cit.

DILATATEURS

31

Dilatateurs.

Fig. 128. Tige de laminaria.

Fig. 129. Cône d'épongé préparée, pour dilater le col.

Fig. 130. Porte-éponge de Maw,

Hp-. -~^#^

Fig. 131. Porte-éponge de Barne?

32

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 132. Sonde de Van Huevel pour dé- coller les membranes par l'eau (1).

FiG. 133. Dilatateur de Devilliers, 1S47. Sonde à double courant recou- verte d'un petit sac de baudruche (1).

Fig. 134, 135. —Dilatateur en forme de sablier de Barnes Robert (2).

Fig. 136.— Colpeu- rynter de Braun.

Fig. 137-140. Dilatateur intra-utérin de Tarnier. A. Conducteur. B. Tube en caoutchouc. C. Douille à robinet destinée à recevoir la canule d'une seringue à injections. A. A. Ressorts servant à arrêter le fil f. B. Extrémité dilatable du tube en caoutchouc. f. Fil destiné à fixer le tubo sur le conducteur.

(1) Wasseige, loc. cit.

(2) Journal médical d'Edimbourg, juillet 1862.

DILATATEURS

33

Fig. 141-143. Dilatateur de Tarnior. premier essai.

Fig. 144, 145. Instrument de Tarnier, modifié par Mathieu.

HIST. DES ACC.; ARSENAL OBSTÉTRICAL.

34

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 146. Pelote dilatatrice de Mathieu, avec soupape automatique remplaçait ie robinet.

y

Fig. 147, 148. Instrument de Pajot pour la provocation de l'accouche- ment. Tube de caoutchouc ayant Bon extrémité supérieure dilatable et s'adaptant à une canule conduc- trice en métal (1).

Fig. 149. Double ballon dilatateur de Chassagny, 1876.

(1) M. Pajot 'se sert aujourd'hui d'une simple sonde en caoutchouc [qui agit comme corps étranger de l'utérus et en provoque les contractions.

PINCES A FAUX-GERME

35

Fig. 150. Appareil de Poullet pour l'accouchement prématuré, fermé prêt à être introduit.

Fig. 151. Même appareil ouvert, fixé dans le col.

Pinces à faux-germe.

Fig. 152-155. Pinces à faux-germe, 6. Levret. 7. Boer. 8. Forceps do Kilian pour l'extraction des foetus^ avant terme. 9. Pince à faux-germe de Luer.

Fig. 156. - Pince Levret, à pivot.

Fig. 157. Pince Levret, à point d'arrêt.

36

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 168. Pince Fig. 159. Pince à cré-

de Simpson. maillère de Charrière.

Fig. lfiO, 161.— Pince rotation, de Ward.

Fig. 162. Pince de Radford.

Fig. 163. Pince à fauï-germe, à branches croisées et contre-croisées, do Pinard.

CHAISES OBSTETRICALES

37

Fig. l#i, 165. Pinces de Mathieu.

L.q.

Fio. 166. Curette articulée de Pajot.

II. INSTRUMENTS UTILISES PENDANT L'ACCOUCHEMENT lo POUR LA MÈRE

Chaises obstétricales.

■S

Fi», 167. Chaise de Roeslin (Eucharius Rhodion), 1532. Fio. 168. Autre modèle du môme auteur.

38

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 169. Chaise avec draperie de Rueff, de Zurich, 1554.

Fig. 170. Tabouret de Savonarole, employé autrefois en Grèce et en Italie.

Fie. 171. Appareil en bois en usage autrefois au Japon pour soutenir les femmes en couches.

Fig. 172. Siège employé autrefois à Chypre.

Fig. 173. —Chaise de Deventer, 1701.

CHAISES OBSTETRICALES

39

Fig. 174. Lit de camp pour accoucher les femmes de Jacques M<)= ,ard, 1753.

Fjg. 175. Chaise de Hcister, 1770

40

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 176. Autre chaise de Heister.

Fie. 178. Chaise de Stark, 1791.

CHAISES OBSTÉTRICALES

41

Fig. 179. Chaise de Steia, 1805

Fie. 180. Chaise-lit de Stein.

42

ARSENAL OBSTETRICAL

-'-Wk-^

Fig. 181. Chaise utilisée en Syrie.

^ ■■■•: +rpi<^

Fig. 182.— Chaise à charnières, en usage à Constantinople, 1887.

Fig. 183. Même chaise fermée pour la J rendre plus portative.

CHAISES OBSTETRICALES

43

Fig. 184. Lit obstétrical contrôleur de Chassagny (1).

(1) La malade repose sur un appareil PP composé de divers plans inclinés sur lesquels elle est placée dans la position obstétricale. Cet appareil ne repose que sur deux axes AA' fixés dans les pieds antérieurs du lit, axes sur lesquels il pivote comme le tiéau d'une balance. Ces axes sont placés de telle manière que la ligne fictive qui les réunit traverse le bassin dans sa partie centrale. Cette ligne est représentée par la ligne pointée AA', de telle manière que la malade pivote en réalité comme si ces axes étaient plantés dans la partie moyenne de ses os iliaques. Pour com- penser l'inégalité des poids des parties qui sont à droite et à gauche des axes AA', l'extrémité P de l'appareil fait mouvoir, en s'élevant et en s'abaist-ant, le levier LL'. Sur ce levier court une caisse C, renfermant des poids. On fixe cette caisse au point elle maintient le levier dans la position horizontale LL', de telle façon que lorsque le point P s'abaissera, il fera lever le levier et lui donnera la position L" ; en s'élevant, elle l'abaissera et le mettra dans la position L'". Deux tiges TT s'abaissent pendant l'application du forceps et se relèvent pendant la traction pour s'appuyer contre la traverse antérieure du lit et fournir un point d'appui au tracteur T'. Ce lit est un instrument de contrôle par ce fait que la malade reste immobile tant que les tractions sont exercées dans l'axe du bassin et que les oscillations qu'elle subit, par suite de l'excentricité de la traction, sont enregistrées et mesurées par le dynamomètre D.

44

ARSENAL OBSTETRICAL

Appareils anesthésiques.

Fia. 185-187. Appareil du Dr Budin, pour l'administration du chloroforme.

Fig. 188. Anneau de Guyon pour tenir la compresse.

Fig. 189. Inhalateur à chloroforme pour accouchements, de Sansom.

Fig. 190. Appareil de Skinner.

APPAREILS ANESTHÉSIQUES

45

Hystérotomes.

Fie 191. Utéro-stoma- tome de Coutouly.

Fig. 192. Ciseaux Fig. 193. Ciseaux de Pajot hystérotomes de pourle débridement du col.

Sims.

Fig. 104. Ciseaux de Kuchenmeisler.

u

Fio. 195. Ilystérotorae d'Aveling.

Fig. 196, 197. Métrotome de Barnes.

46

ARSENAL OBSTETRICAL

"A./:

Fig. 198. Hystérotome de Simpson.

Fig. 199-200. Mélrotome de Greenhalgh.

Fig. 201. Bislouri articulé Simpson.

Fig. 202. Ciseaux hystérotomes s'inclinanl à tous les degrés, de Smith.

HYSTEROTOMES

47

pour le fœtus [Avant l'extraction) Perce-membranes.

Fig. 203-216. Perce-membranes. 1. Justine Siegemundin. 2. Fried. 3. Fried-Rôderer. Fig. 217. Ongle

4. Osiander. 5. Aitken. 6. Lôffler. 7. Stein. 8. Osiander-Steir. 9. Osian- chirurgical du

der. 10. Carus. 11. Siebold. 12. Busch. 13. Niemeyer 14. Kiliar.. Dr Motais.

Appareils pour administrer le baptême intra-utérin.

Fil. 218. = Seringue à baptême de Mauriceau.

c'io. 219. Instrument de Verrier.

48

ARSENAL OBSTETRICAL

Fio. 220. Le manche du levier d'Herbiniaux (fig. III), forme !e canon d'une seringue, muni de son piston (fig. V), et sur lequel se visse une canule (fig. IV) pour donner le baptême.

Porte-cordons et porte-lacs pour la version.

Fig. 221. Impelleus ou repoussoir d'Albucasis.

ft ,/. I V <

J

Fio. 222. Re- Fig. 223-235. Porto-cordons et porte-lacs. 1. Justine Siegemundin. 2, 3, a, b. Pugh.

poussoir de J. 4. Walbaum. 5, a, Fried. 6, b. Schinge. 6. Stein. 7, a. b. Nevermann.

Maygrier. 8, a, b, e. Gerner.

PORTE-CORDONS ET PORTE-LACS

49

Fia. 236-239. 1, 2, 3. Pince porte-lacs de Tréfurt. Fus. 240. Porte- Fig. 241. Porte- Fio. 242. Four

4. Porte-cordon de Braun. cordon de Guillon. cordonde Ducamp. chette de Fave-

reau (1).

Fig. 243. Omphalosoter da Fig. 244, 245. Omphalosoter do Fig. 246,247. Repoussoir de Hyernaux (1).

Schœller, ouvert et fermé. Schoeller modifié par Tarnicr.

(1) Wasseige, loc. cit.

HIST. DES ACC.; ARSENAL OBSTÉTRICAL.

50

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 248. Porte-cordon ou repositor de Braun.

Fig. 249. Sonde en gomme Dudan (1).

Fig. 250. Sonde et mandrin de Champion (1).

Fig. 251.— Sonde et Fig. 252. Instrument Fig. 253. Sonde avec Fig. 254. Sonde et Fig. 255.— Porte- mandrin do Mi- de Braun modifié par son mandrin, faisant mandrin do Rober- cordon de Hu- chaelis. Scanzoni (1). office de porte-cordon ton. bert père (1).

(Lusk).

0) Wasseige, loc. cit.

PORTE-CORDONS ET PORTE-LACS

51

Fig. 256. Tube protecteur du cordon contre la compression, de Poullet, de Lyon.

Fig. 257-259. Porte-lacs Fig. 260. Porte- Fig. 261. Porte- Fie. 262,263.— Pince porte-lacs de de Lazarewich (1). cordon de Murphy. cordon en caout- Van lluevel, 1857 (1).

chouc durci, de Pajot.

(1) Wasseige, loc. cit.

52

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 264. Pince porte-lacs de Wasseige, 1857 (1).

Fig. 265,266. Pinee porte-lac? de Hyeruaux, 1857 (1).

Fig. 267. Porte-lacs de Bousquet.

Fig. 268,269. Porte- lacs do Lambert (l).

(1) Wasseige, loc. cit.

Fig. 270,271. Anneaux porte-lacs de José A. Morales Alpaca (1).

CROCHETS MOUSSES PINCES PODALIQUES

53

EXTRACTION DU FŒTUS PAR LES VOIES NATURELLES, SANS MUTILATIONS

A. Présentation du siège. Crochets mousses. Pinces podaliques.

Fio. 272-279. Crochets mousses pour accrocher les aines. Forceps pour saisir le siège et Fig. 280. Pince

pinces podaliques. 1. Crochet mousse d'Osiander. 2. Crochet mousse par une extré- podalique de Van

mité et tranchant par l'autre de J. Clarke. 3. Double crochet mousse de Boër. 4t Huevel 1845.

5. Crochets mousses de Kilian. 6. Forceps pour le siège de Steidele. 7. Forceps pour le siège de Gergens. 8. Pince podalique de Wegelin.

Fig. 281. —Crochet articulé duD>-\Vas- seige, modèle de l'année 1864.

Fig. 282. Crochet pour l'aino t_ de Lazarewitch.

54

ARSENAL OBSTETRICAL

A

a

Fig. 283, 284. Crochet flexible de Delore.

Fig. 285. Instrument à ressort Fig. 286. Crochet

deWecbecker-Sternfeld pour porte-lacs d'Olivier,

l'application d'un lacs dans le pli de l'aine.

Fia. 287. Fince podalique d'Auvard.

FILETS FRONDES SÉRICEPS VENTOUSES

B. Présentation de la tête. Filets. Frondes. Sériceps. Ventouses.

55

Fig. 288. Filet d'Amand.

Fia. 289, 290. Manière d'appliquer le filet d'Amand.

56

A.RSENAL OBSTETRICAL

Fig. 291. Filet monté sur uue tiga de baleine, de Smellie.

Fig. 292. Fronde de Peau.

Fig. 293. Filet de Wilmot.

FILETS FRONDES SERICEPS VENTOUSES

Di

Fig. 294-302. Filets et frondes employés au Japon (1).

(1) Voir Histoire des Accouchements, page 594.

58

ARSENAL OBSTETRICAL

Fie. 303. Sériceps de Poullet dont les cordons sont relâchés. On voit dans les gaines les tiges propres à élever l'appareil entre la tête et l'utérus.

Fig. 304. Extraction de la tôle fœtale avec le sériceps do Poullet.

FILETS

FRONDES SERICEPS VENTOUSES

59

Fig. 305. Nouveau sériceps de Poullet, ou forceps souple.

Fig. 306. Traotor de Simpson. Ventouse en caoutchouc s'appli- quant sur la tcte et munie d'un corps de pompe servant à faire le vide et à exercer des tractions. (Dessin fait d'après le modèle do l'instrument offert par l'inven- teur au professeur Pajot.)

Fig. 307-30». Appareil du D' Soubliy Saloh pouvant servir de forceps ou de céphalotribe, après avoir ouvert le crâne avec un perforateur que l'on trouvera plus loin. La ventouse on caoutchouc, d vant s'appliquer sur la tète, est munie de petites poches destinéos à recevoir les doigts de l'accou- cheur. Le vide se fait par un ballon adapté à un robinet inférieur ; la bande transversale qui termine l'instrument sert à opérer les tractions.

60

ARSENAL OBSTETRICAL

Leviers.

Fig. 310. Levier de Fig. 311-317. Leviers. 2. Reehbcrger. 3. Camper. 4. Titsing. 5. Bruas.

Roonhuysen.

6, 7. Altken. 8. Slark.

Fig. 318. Levier de Herbiniaux, avec deux spatules de différentes courbures.

Fig. 319. Application du levier de Herbiniaux.

LEVIERS

61

Fig. 320-323. Leviers. 1. Simon Zeller. 2. Bland. 3. Wiedmann. 4. Osiander.

Fig. 324,325. Le- viers de Péan.

Fig. 826. Levier de Baudelocque.

Fia. 327.— Levier Fig. 328. Fleu- Fig. 329,330.— Vaa Fig. 331,332.— Rigau- Boom. rant, Wy (1). deaux.

Fig. 333,334.— J. de Bree.

(1) Le levier de Morand présente les mêmes courbures mais les extrémités sont simples.

62

ARSENAL OBSTÉTRICAL

">

Fia. 336-345.— Leviers. 4, 5. B. Sieurs. 6, 7. Lowder. 8, 9. Sims. —10, 11, 12. Lowdor. 13, 14. Dennison.

Fig. 346,347. Levier articulé à trac- tion, de Verardini de Bologne.

Fio. 348,349.— Levier de Uvedale West.

Fig. 350. Levier d'Ogden.

Fio. 351,352. Levier de Boddaert, avec les trous ajoutés par Hubert fils pour le passage des lacs.

(1) Wasseige, loc. cit.

LEVIERS

63

Fig. 353. Levier flamand plein, de Hubert.

Fig. 354. Levier de ïïubort fils (1).

Fig. 355. Levier tubulé de Martin D.laplagne.

(1) Wasseige, loe. cit.

64

ARSENAL OBSTETRICAL

Forceps (1)

u

Fig. 356-358 (2).

Fig. 359, 360 (2).

F:c. 361-363 (2).

Fig. 364, 365 (2).

(1) Ce mot signifie en latin tenailles. L'étymologie en est fort incertaiue. Festus propose /or nuis, chaud, et capere, prendre, et cite le passage de Virgile :

... Versantgue tcnaci forcipe /errum ; d'autres, moins vraisemblablement encore, dérivent forceps de /ortitcr capere. C'est de la fan- taisie philologique.

(2) Instruments trouvés à Woodham, Mortimar-Hall, près de Maldon, comté d'Essex, en 1818, et

FORCEPS

65

Fig. 366-370.

Fig. 371-376. 1, 2, 3, 4. Forceps da Chamberlen, 5. Levior Je Chamberlen. 6. Forceps de Giffard.

ayant appartenu aux Chamberlen vers 1683. Fig. 356-35S. Grand forceps étroit à cuillers fenêtrées. Fig. 359, 360. Forceps plus court —Fig. 361-363. Forceps à grande courbure. Fig. 364, 365 Une des branches d'un forceps qui n'a jamais été complété ; la poignée se termine par un crochet aigu. Fig. 366-370. Essai d'un nouveau mode de réunion des branches : « le pourtour de la fenêtre de l'une des cuillers a un de ses côtés détaché de l'entablure, laissant libre un espace destiné à recevoir l'entablure de l'autre branche. Ces deux branches sont maintenues par un pivot à pas de vis ; sur la branche ni&le se trouve un petit cylindre en os, percé d'un trou dans lequel passe plusieurs fois un fil qui le fixe à la branche, au niveau de l'entablure, et dont il est difficile d'indiquer l'usage. » Archives de Tocologie, 1876.

HIST. DES ACC.; ARSENAL OISTlTHtCAL.

66

ARSENAL OBSTETRICAL

Fia. 377-380. 4, 5, 6, 7. Forceps ou maint de Palfyn, 1731.

Fio, 381. Forceps de basée, 1733.

Fio. 38Î-387. Forcepi. 1. Chapman. 2, 3. Freke. i. Mesnard, 1741. 5. Grégoire, 1746.

6. Rathlaw.

FORCEPS

67

Fie. 388-393. Forceps. 1, 2. Bing, 1750. 3. Schlichting. ~ 4, 5. Burton, 1761. 6. Wind.

Fie. 391-400. Forceps.— 1. Pugh, 1754. 2. Levret aie ambulant), 1747 ; premier modèle de forceps courbé sur les bords. 3. Levret aie tournant). 4. Smellie, 1752. 5. Johnson, 1769. 6, 7. Fried.

68

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 401. Application du forceps de Smellie Fio. 402, 403. Forceps d'Arnold Fig. 404,405. Forceps

dans la présentation du siège. Van de Laar. brisé de Coutouly.

Fig. 406-411. 1,2. Forceps à trois branches de Leake, 1774. 3. Forceps de J.-L. Petit, 1774, muni d'une cré- maillère pour préserver la tête d'une constriction trop forte. 4. Arnold Van do Laar. Les cuillers présentent des fontes pour recevoir des lacs, 1777. 5. Coutouly, 1777.— 6. Péan-Baudelocque, 1781.

FORCEPS

69

Pis. 412-416. Forceps. 1. Sieurs, 1783.— 2. Orme. 3. Lowder. 4. Young. 5. Evans.

Fig. 423-428.— Forceps. 1. Court forceps de Denman. 2. Thynne. 3. A. Dubois, 1791. 4, Santarelli, 1794. 5. Busch, 1798. 6. Weisse.

70

ARSENAL OBSTETRICAL

Fio. 429-433. Forceps. —1. AYrisberg.— 2. J. Mulder. 3. Eckardt, 1800. —4, 5. Aitken, 1784.

Fia. 434. - Forceps de Aitken.

Fig. 435-440. Forceps, 1. Aitken. 2. Mayer. 3. Wegelin. 4, £, 6. Mathias Saxtorph, 1791.

FORCEPS

71

Fig. 441-446. Forceps. 1. Boër. 2, 3. Osiander, 1799. 4. Brûnninghausen, 1802. 5. Forceo» à branches juxtaposées ou parallèles de Thénance, 1801. Siebold.

Fig. 447-453. Forceps. 1, 2. Mursinna, 1800. 3. Froriep. 4, 5. Fries. G, 7. Delpech-Lacroii, forceps non croisé, 1805 ; ce forceps est muni d'une vis centrale pour préserver la tête d'une constric- tion trop forte.

Fig. 454. Forceps croisé de Lauverjat.

72

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 455-460. Forcops. 1, 2. Jorg. 3. Wigand, 1812, 4, 5. Veit Kar], 1812. 6. Muller

7. Assalini.

4- Ci*<rai

Fig. 461. Forceps de Brulatour, de Bordeaux, 1817. A. Cuillers. B. Union de la cuiller avec le manche par une queue d'aronde. Cette disposition permet d'adapter des cuillers différentes soit à crochet soit creusées à leur face interne de sillons transversaux. C. Entablement. D. Lacs traversant les branches, pour faciliter les tractions. E. Vis de pression. F. Echelle de proportion déployée, destinée à apprécier le degré de rappro- chement des cuillers.

FiG. 462-468. Forceps.— 1, 2. Uhthoff. 3, 4. Flamant. 6. Carus. 6, 7. Bitgor,.

FORCEPS

73

Fig. 469-476. 1, 2. Forceps Conquest, non courbé sur. les bords avec augmentation des dimensions des fenttrtt. 3. Forceps de Weissbrod à cuillers pleines. 4, S. Maygrier. 6, 7. G. Salomon.— 8. Guillon, 1826.

Fig. 477-484.— Forceps. I, 2. Horn. 3. Mende. 4. Busch, 1798. 5. Nœgele, 1863. 6. Kilia».

7, 8. Huter.

74

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 485-493. Forceps. 1, 2, 3, 4, 5, 6. Forceps asymétrique de Davis avec augmentation des dimensions des g^ fenêtres. 7, 8, 9. Forceps de Th. Hermann, de Berne, 1840, avec une couibure périnéale concave en arrière, pour ne pas léser la fourchette dans les applications au détroit supérieur. Un manche supplémentaire ou trac- £.teur, qui pouvait être fixé eoit au-dessus soit en dessous de l'instrument, permettait d'effectuer les tractions sui- vant l'axe des cuillers.

Fia. 494-499. Forceps de Dugès, à cuillers pivotantes.

Fig. 500, 501. Forceps assemblé de Bernard d'Apt, 1836 ; les deux branches s'introduisent superposées et se développent dans l'utérus.

FORCEPS

75

w

Fig. 502, 503. Forceps aide- mémoire ou indicateur d'Au- dibert, de Vins, 1833 (1).

Fig. 504. Forceps de Thureaux de la Nouvelle-Orléans, 1843, à branches hermaphrodites.

Fig. 505. Articulation du forceps de Thureaux permettant d'articu- ler dessus ou dessous.

Fig. 506,507. Forceps à double pivot de Tarsitani, de Naples, 1843, permettant d'éviterMe décroisement.

(1) Cet instrument est ainsi nommé parce que son inventeur y a fait graver un résumé des diffi- cultés de l'accouchement, la représentation des détroits, les dimensions des diamètres du bassin, de la tête fœtale, etc.

76

ARSENAL OBSTETRICAL

Fio. 508-515. Forceps. 1, 2. Kilian, 1856. 3, 4. P. Dubois ou Levret modifié, à mortaise latérale. 5, 6. BaudclocqiTC. 7, 8. Sclioller.

Fio. 516. Forceps Dubois. Les poignées sont dévissées pour montrer le crochet et le perce- crâne qu'elles renferment (1).

Fig. 517.— Forcopi japonais.

(1) « Souvenez-vous, Messieurs, disait le professeur Ptijot à ses cours, en montrant le crochet aigu et le perforateur annexés aux manches du forceps de Levret, modifié par Duhois, que ce cro- chet ot ce perforateur ont été mis pour vous rappeler que vous ne devez jamais vous en servir ! ))

FORCEPS

77

Fig. 51S. Forceps élasl;que de Trélat.

Fig. 519. Forceps Dubois à cré- maillère, de Cliarrière.

Fig. 520. Fou-eps de Pajot à clou latéral, pour le détroit inférieur.

78

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. £21, 522. Forcepj démontant de Pajot.

Fig. 523-525. Nouveau modèle du forceps brisé de Pajot. A l'extrémité de la branche gauche, disposés en crochet mousse, on peut visser un perce-crâne ou un trocart ; l'extrémité droito reçoit la baleine porte-fouet, munie d'une olive conductrice pour î'embrvotomie.

Fig. 626-5Î9. Forceps articulé Charrière avee perce-crâne et «a gaine.

FORCEPS

79

Fig. 6Z0. Manche à charnière, de Charrière.

FiG. 631,532. Forceps démontant de Mathieu.

Fig. 533. - Forceps de Depaul à articulation supérieure ou inférieure.

80

ARSENAL OBSTETRICAL

FiG. 534, 535. Petit forceps Fig. 536.— Petit forceps Fig. 537. Long for- Fig. 638. Forceps de Zeigler, d'Ecosse. do Simpson. ceps de Simpson. de Barnes.

Fig. 539. Fon eps Fia. 540. Forceps courbe

de F. Bird. de Greenhalgh.

Fia. 54 L. Forceps de P. Harpor.

Fig. 542. Forceps de Waller.

FORCEPS

81

Fig. 543. Forceps Fig. 544.— Forceps FiG. 545.— Forceps de Rigby. de Pagan. de Hewitt.

Fig. 546, 547. Forceps de Vacher.

Fig. 548.— Forceps Fig. 549. Forceps d'Inglis. de Maddcn.

Fig. 550, 551. Forceps de Braithwaite.

Fig. 552. Forceps de Blundell.

HIST. DES ACC.; ARSENAL OBSTÉTRICAL.

82

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 553.— Forceps Fig. 554. Forceps Fig. 555. Forceps Fig. 556. Forceps Fig. 557. Forceps de Murphy. de Galabin. de Clarke. de Clarke. de Beatty.

FiG. 558. Foro.eps do Ramshotham.

Fio. 559. Forcera de Lever.

Fig. 560. Forceps de Churchill.

Fig. 561. Forceps de Draper.

FORCEPS

83

Fig. 502. Forceps à branches étroites de Taylor, pour les applications au début du travail.

Fig. 563. Forceps de HoJge.

Fig. 564. Forceps de Fia. 565. Forceps articulé Fig. 566. Forceps

Beluzzi, de Bologne, dont de Hamoa. de Levy, de Copen-

le manche constitue un hague. céphalotnbe.

8 4

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 567. Forceps articulé de Stolz,

Fig. 668. Forceps à branches parallèles de Valette, de Lyon, 1857.

Fig. 569, 570.— Forceps droit à branches parallèles de La- zarewich, 1866.

FiG. 571,572. Forceps de poche à branches rotatives de Chassagny.

FORCEPS

85

Fia. 573. Forceps de Trélat. Fig. 574. Léniceps de Matteï,

appliqué, 1853.

Fig. 675 . Branche» du léniceps.

Fig. 676.— RétrocepsMe Hamon, 1867.

Fig. 577. Branches du rétroceps (1).

Fig. 678. Rétroceps appliqué.

(1) Il existe aussi un rétroceps de Hamou, à branches pliantes, fabriqué par Gueride.

86

ARSENAL OBSTETRICAL

FiG. 579. ï'orceps de Mo: dotte.

Fig. 580. Forceps à branches parallèles de Pros, de la Ro- chelle, avec courbure pelvienne légère.

Fig. 581. Autre forceps de Pros, dont on peut augmen- ter à volonté la courbure pelvienne.

Fig. 582. Forceps asymétrique de Uyttcrhoven, 1805.

FiG. 683. Forceps asymétrique de Baumeri de Lyon, 1849.

FORCEPS

87

Fig. 584. Grand forceps asymétrique de Matteï, 1855.

Fig. 585, 586. Forceps s'allongeant de Campbell, do Paris, pouvant se raccourcir, s'allonger ou devenir asymétrique.

Fig. 687. Forceps droit asymétrique de Radfort ; la cuiller plate s'applique sur la face.

88

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 688-590. Forceps de Carof, de Brest.

Fig. 591, 592. Môme forceps.

Fig. 593. Forceps à branches parallèles, pour traction soutenue, de Chassagny.

FORCEPS

89

Fig. 591. Autre forceps de Chassagny.

Fig. 595. Forceps de Chassagny, modèle 1S87 (1).

(I) Double articulation aux extrémités d'une traverse de 15 cent, de Ion?, d'où résultent des pressions perpendiculaires à la tête. Tandis que le forceps croisé forme un V ouvert aux extrémi- tés, ce nouvel instrument forme un V ouvert à l'extrémité manuelle ; la tête trouve la place nécessaire pour s'allonger, les extrémités arrivant les premières au contact, une pression énergique de la main fait plier les branches : les pressions s'exercent ainsi sur de grandes surfaces etrprinci- palement sur le point culminant du diamètre embrassé; d'où solidité et innocuité absolue de la prise. (Les chiffres indiquent les dimensions, largeur, épaisseur, etc., aux points correspondants.)

90

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 596. Forceps asymétrique de Roger, du Havre, 1875.

Fig. 596 bis. Forceps à bran- ches parallèles de Poulbt, avec manche tracteur.

J?i4\r

Fig. 597, 598. Forceps angulaire de Poulie», 1887.

FORCEPS

01

Fig. 699. Forceps général de Poullet.

FiG. 600.— Forceps à trois courbures de José Morales Alpaea, ou forceps Hatin modifié, 1868.

F,G 601. Forceps à courbure pénnéale de

Hubert fils, 1877.

Fig. 602. Forceps à courbure périnéale et a traction dans l'aie des cuillers, de Mathieu.

r, 603, 604. - Premier el deuxième modèle du forceps deL.-J. Hubert père, de Lou.ai», a.ec ru*, bus, ou*. manche supplémentaire.

92

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 605. Forceps de Hartmann, avec manche supplémentaire, 1870,

Fig. 606. Forceps de Barnes avec tracteur de With Morgans.

Fia. 607. Forceps Tarnier, modèle 1877. I. Tiges de traction, S. Branches de préhension. 0, O. Oreilles abaissées. P. Poignée.— Vis de pression.

FORCEPS

93

Fig. 608. Forceps Tarnier, à branches parallèles.

Fig. 609. Forceps Tarnier, à poignées mobiles et & doubles fenêtres pour le passage de lacs.

Fio. 610. Branche mâle du forceps à poignées mobiles ; chaque poignée est terminée par un bouton sur lequel

on peut fixer un tracteur.

94

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fis. 11. Forceps Tarnier dont les branches de préhension et les tiges de traction sont parallèles comme dans le forceps de Thenance. SS. Branches de préhension. III. Tiges de traction. AB. Ligne de traction. A. Centre de la cuiller. C. Coupe de la poignée transversale dans laquelle s'implantent les tiges de traction. D. Extrémité des tiges de traction débordant en bas de la poignée. E. Espace de 1 centimètre environ séparant les tiges de traction des branches do préhension. 0. Oreille pouvant s'abaisser et se relever à volonté. P. Crochet destiné à recevoir la vis de pression. R. Articulation des deux branches de préhension. Z. Arti- culation de la tige de traction avec la branche de préhension.

Fio. 612. Forceps Tarnier, à branches croisées et à manches immobiles. Une barre transversale traverse les manches et sert à faire les tractions. Une vis assure le rapprochement des branches et la pression des cuillers sur la tête fœtale.

Fio. 613. Forceps Tarnier, à branches parallèles. Ces branches se prolongent au delà de l'articulation et se terminent au niveau do la ligne de traction par ua anneau destiné à recevoir une barre T, qui sert à faire les tractions.

FORCEPS

95

Fio. 614. Forceps ordinaire sur lequel Tarnier a ajusté une tige de traction et un tracteur. AB. Axe du bassin. AF. Direction des tractions faites sur les manches de l'instrument. C. Tige de traction. D. Articulation d'un tracteur avec la tige de traction. 00. Oreilles faisant suite à la tige de traction et suivant la direction de l'axe du bassin. L. Manche du tracteur. L'. Manche du tracteur dans une autre situation. T. Tige du tracteur lorsque les tractions sont dirigées suivant l'axe du bassin. T'. Tige du tracteur sortant des oreilles 0 quand les tractions sont mal dirigées.

Fio. 616. Forceps Tarnier, modèle 1881.

96

ARSENAL OBSTETRICAL

Fie 616. Forceps à tractions normales de Tarnier.

Fie. 617. Le même avec les branches de traction montées sur la roignée mobile.

Fig. 618. Branche de trastion démoulée à moitié.

FORCEPS

97

Fig. 619-622. Forceps de Tarnier avec aiguilles de Mathieu.

FiG. 623. Forceps de Tarnier modifié par Lusk.

Fig. 624. Forceps de Mathieu avec vis d'arrêt ou de pression et ouvertures spéciales pour fiser les lacs de traction.

HIST. DES ACC.; ARSENAL OBSTETRICAL.

\)6

ARSENAL OBSTETRICAL

FlG. 625. Forceras à branche de tra" tion mobile, de lJarmentier.

FlG. 626. Forceps axis- traction. FlG. 627. Forceps da

d'Alex. IUissel Simpson, 1880. Breus, 1882.

Fig. 628. Forceps de Vcdder.

Fie. 629. Forceps de Sanger.

FORCEPS

99

Fig. 630, 631. Forceps à poignée rigide cl à attaches souples de Poullet.

Fig. 632. Cordons de traction, de Laroycnne, de Lyon, passés au centre des cuillers d'un forcops ordinaire, 1875.

100

ARSENAL OBSTETRICAL

Appareils pour tractions soutenues.

FiG. C33. Tracteur de Cliassagny, premier modèle.

APPAREILS POUR TRACTIONS SOUTENUES

101

Fig. 634. Autre modèle du tracteur de Chassagny.

Fig. 635.— Tracteur de Chassagny, modèle 1887 (1).

(1) Points d'appui pris sur deux plaques PP', appliquées sur les racines des cuisses ; une four- che F, articulée sur ces plaques aux points AA', tourne sur ces articulations pour se placer tou- jours dans la direction des axes du bassin, suivant les différentes phases de l'accouchement; les tiges d'appui et les cordons de traction sont toujours parallèles ; deux tiges TT continuent la fourche; la traction se fait de très loin et laisse ainsi à la tête la plus grande liberté pour exécuter les mouvements par lesquels elle s'accommode à la filière. Lorsque le périnée commence à bom- ber, on place au devant de lui un mouchoir de poche, sur lequel on lace, au moyen des boutons BBBB, un fort cordon de caoutchouc qui, dépassant le rebord du périnée, l'exonère de toute distension et le soutient de la manière la plus efficace contre toute déchirure.

102

ARSENAL OBSTETRICAL

,

Fig. C36. Tracteur de Matteï.

Fig. 637. Disposition du lacs de traction dans l'aide-forceps de Joulin, 1867.

Fig. 638. Aide-forceps de Joulin appliqué (l).

(1) Wasseige, loc. cit.

APPAREILS POUR TRACTIONS SOUTENUES

103

104

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 640. Tracteur aide-forceps^du D'' Roussel, de Genève.

Fia. 641. Tracteur de Pros, de la Rochelle, 1874.

APPAREILS POUR TRACTIONS SOUTENUES

105

Fia. 642, 643. Pièces du tracteur de Pros.

FlG. 844. Tracteur employé au Japon.

106

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Ji 1*

Fia. 645. Branches symétriques du Dr Hamon munies de leurs cordons de tirage.

Fio. 646. Aide-forceps du Dr Hamon, nouveau modèle.

Fia. 646 bis. Tracteur du Dr Hamon, sans dynamomètre.

APPAREILS POUR TRACTIONS SOUTENUES

101

*•/ /7<-

/ fi •' /■'

108

ARSENAL OBSTETRICAL

EXTRACTION DU FŒTUS PAR LES VOIES NATURELLES, AVEC MUTILATIONS (1).

Crochets aigus ou tranchants.

FlG. 648-651. Crochets employés par les anciens Arabes, d'après Albucasis.

Fig. 652, 653. Crochets trouvés dans les ruines de Pompei.

(1) Les anciens, comme on sait, croyaient que l'enfant était l'agent actif de l'accouchement : s'il ne sortait pas, c'est qu'il était mort. Et ils se donnaient raison, en achevant de le tuer, au cas il aurait été encore vivant. A cet usage, les Grecs, race ingénieuse, avaient imaginé une collection variée : iAxuanfp et iu,6puouÀx<Jç> crochets mousses ; p.avaipiov, crochet courbe à pointe tranchante, destiné à ouvrir le crâne ; !u,6puoTOfJidç, scalpel servant au même objet; a/oXo-op-a^ai'piov, autre scalpel dont un côté était mousse et l'autre tranchant ; 7tuaxoov, instrument pour broyer le fœtus dans la matrice ; ôruaypa, pince pour enlever les éclats d'os, etc.

Les crochets n'étaient pas seulement funestes à l'enfant, mais ils faisaient aussi courir les plus grand s dangers à la mère ; c'est à propos des résultats meurtriers de ces crochets que Hugh Cham- berlen, l'inventeur du forceps, rappelait l'axiome suivant : Sur un individu qui vient au monde, il y en a un ou deux qui meurent nécessairement .

CROCHETS AIGUS OU TRANCHANTS

109

Fia. 654-656. Crochets employés du temps d'Ambroise Paré.

Fig. 657. Autre cro- chet d'A. Paré (1).

Fia. 658. Double crochet'à chaîne des anciens, d'après André De La Croix.

FlG. 659, 660. Pieds de griffon d'A. Paré.

FlG. 661. Autres pieds de griffon d'A. Paré « pour extraire la mole ».

(1) « Petit cousteau courbé à fendre le ventre et la teste d'un enfant mort dedans la matrice, afin que les excrementz se puissent évacuer. »

110

ARSENAL OBSTETRICAL

1

I

Fia. 662-667. Crochets aigus et leviers terminés par des crochets, trouvés dans la propriété ayaut appartenu aux Chamberlen, de 16S3 à 1715 (1).

Fia. 6C8. ": Crochets courbes Ae Jacqncs Mesnard.

Fia. 6G9, 670. Crochet de Levret. 7- Sans sa gaine.

Fia. 671. Crochets paral- lèles de Levret.

(1)'_ Figures tirées des Archives de Tocologic, 1876.

CROCHETS AIGUS OU TRANCHANTS

11

Fia. 672. Forceps à dents de Coutouly pour l'extraction de l'enfant mort. »

Fig. 673. Crochets à dent» de Coutoulv.

3

!<s

Fig. 674-681. 1. Crochet de Mauriceau. 2. Perforateur de Mauriceau. 3. Crochet simple de Smellie. 4. Peu. 5. Peterrnann. 6. Saxtorph. 7. Crochet double de Smellie. 8. Gaine en cuir qui s'adapte à l'une des branches de 7.

112

ARSENAL OBSTETRICAL

Fia. 682. Branche du crochet de Smellie opérant l'extraction de la tète laissée dans la matrice.

Fig. 683, 684. 1. Crochets de Peu. 2. Crochet de Fried.

Fig. 685, 686. 2. Crochet- forceps de Dawis. 3. Bran- che du crochet vue de face.

Fig. 687. Levier-forceps à crochets de Herbiniaux, avec lacs.

PERFORATEURS ET TIRE-TÈTES

113

Fig. 688. Crochets-forceps de Brulatour, avec lacs, 1817.

Fia. 689.'— "Crochet à pointe cachée de Bessard.

Perforateurs et tire-têtes.

Fig. 690-693.— Tire-tête et perce-crâne de Mauriceau.

HIST. DES ACC. ; AnSENAL OBSTÉTRICAL.

114

ARSENAL OBSTETRICAL

Fia. 694-698. Tire-têtes. 3, 4. Grégoire charnière et à ressort). 5. Levret bascule). 6,7. Levret

trois branches).

h

\^->

Fig. 699-706. Perforateurs et tire-têtes. 1. Petit trois branches). 2. Fried. 3, 4. Burton. 5, 6. Grau. 7. Tire-tête à double croix do Baquier. 8. Tire-tête à bascule d'Assalini.

Fig. 707. Perce-crâne de Coutouly.

PERFORATEURS ET TIRE-TETES

115

A

FlG. 708,709. Tire-tête de J. May- grier, pour introduire dans le trou occipital, après la détroncation.

Fia. 710-712. Perce-crânes. 5. Fried. 6, 7. Ould.

Fia. 713-719. Perce-crânes. 1, 2. Rœdcrer-Ould. 3. Smellie. 4. Levret. 5. Burtou. G._Ornie.

7. Steidele.

116

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 720-726. Perce-crânes. 1. Walbaum. 2. Siebold. 3. Wigand. 4, 5. Brûnninghausen.

G. Melzer. 7. Klees.

Fia. 727-734. _Perce-crânes. 1. Nœgele. 2, Assalini. 3, 4. Jorg. 5, 6. Kilian. 7. Mende.— 8. Davis.

JU-

Fia. 73*^736.— Tire-tête perforateur de Bellini, 1828 (1).

(1) Wasseige, loc. cit.

PERFORATEURS ET TIRE-TETES

117

FlG. 737. Tire-tête perfo- rateur de Rizzoli.

r\

^ssssssxs

•i*)

{J

r^

Fia. 738. Tire-tête de Hubert père (1).

FlG. 739. Perfora- teur Benman.

FlG. 740. Perfora- teur Simpson.

FlG. 741. Perfora- teur Rigby.

FlG. 742. Perfora- FlG. 743.— Perfora-

teur Ould. teur de Weiss.

(1) Wasseige, loe. cit.

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 744. Perforateur de Fiq. 745. Perforateur de

Greenhalgh. Durroch.

Fig.',746, 747. Perforateur de Clément Godson, modèle Krohne et Sesemann.

Fig. 748. Perce-crâne de Blot.

"JEIIllIlf1

o

Fig. 749. Perforateur de Nyrop, de Copenhague.

PERFORATEURS ET TIRE-TÈTES

119

FlG. 750-752.— Diatrypteur de Didot, de Liège.

FlG. 753» Doigtier articulé en acier, du même auteur, pour l'extraction des maxillaires supérieurs, après leur désar- ticulation à l'aide du diatrypteur (1).

Fia. 754.— Perce-crâne de Pinard, modèle Mathieu.

FlG 756-762.- Perce-crânes. - 1. Terebellum deDugès. - 2. Perforateur de Weiss. - 3, 4, 5. Perforateur et sa gaine de Chailly-Honorô. 6, 7. Perforateur trépan de Kiwisch. 8. Trépan de Ritgen.

(1) Wasseige, loc. cit.

120

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 763-768. Perforateurs. 1,2. Cederschjold. 3, 4. Trépan de Fia. 769. TréparTperfora-

■\YiIde. 5, 6. Trépan de Cari Braun. teur de Martin.

FlG. 770. Autre modèle de FIG. 771. Perforateur perforateur trépan de Lies- trépan de Luer.

nig, modifié par Braun.

* Ml

Fia. 772, 773. Perforateur trépan de Witkowski, 1868.

PERFORATEURS ET TIRE-TETES

121

Fia. 774-777. Instruments de Guyon pour la trépanation de la base du crâne du foetus : tire-fond, couronnes de trépan, forceps céphalotribe à crémaillère.

<E1

Fig. 778, 779. Perforateur trépan de Soubhy Saleh, s'adaptant à son appareil à ventouse, 1887 (1). (1) Voir page 59.

122

ARSENAL OBSTETRICAL

<^\

Fifl. 780-783. Instruments de Matteï pour la perforation du crâne, ]864 : Endotome pour détruire la base du crâne, crochet mousse, léniceps modifié, perce-crâne.

FlG. 784. Transforateur ou terebdellum à cuiller fenêtrée, de Hubert père, 1860.

Fio. 785-790. Perforateurs de L. Hamon. 2. Tarrière pour évider la base du crâne. 3. Porte-lacs. 4. Per- \ forateur revêtu de sa gaine protectrice. 5, 6, 7. Tire-têtes sphénoïdiens, munis d'une ouverture destinée au passage de lacs.

GEPHALOTRIBES

123

Fia. 791. Perforateur aie- Fig. 7-92. Cranio-tripso-tome

soir de Tarnier, à lames de Chassagny, 1878.

tranchantes d'un seul côté.

Fig. 793. Autre modèle.

Céphalotribes.

Fig. 794. Céplialotribe Baudelocque, 1829.

124

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 795. Céphalotribe Baudelocque, 1832.

Fio. 796-800.- Céphalotribes.- 1. Baudelocque, 1836.- 2. Baudelocque-Kilian.- 3. Dubois-Depaul.- i. Kiwisch.

5. Braun.

Fig. 801. Céphalotribe de Braun.

CEPHALOTRIBES

125

E

u

FlG. 802, 803. Céphalotribe de Kilian et son système d'arrêt disposé sur la face postérieure de la branche droite.

FlG. 804, S05. Céphalotribe de Busch avec.les contours des manches sinueux. II. Courbure pelvienne.

Fia. 806, 807. —Céphalotribe

Cazeaux. II. Cuillers écartées parallèlement au moyen de la vis. Le pivot a été attiré d'un bout do la rainure à l'autre.

126

ARSENAL OBSTETRICAL

yo\

j - (g \ o \\ i

o ''

Fia. 808, 809.— Céphalotribe de Ritgen. II. Compresseur.

Fia. 810. Céphalotribe de Schoeller.

Fia. 811-815. Céphalotribe de Langheinrich. I. Céphalotribe dégarni du compresseur. "II. Compresseur avec sa botte métallique. III. Compresseur adapté au céphalotribe. lV.^Compresseur vu par'devaut. V. Compresseur vu par derrière.

CEPHALOTRIBES

127

Fia. 816-818. Céphalotribe de Valette. II. Branche droite vue par sa face interne. III. Compresseur. Le perforateur qui peut s'adapter à cet instrument se retrouvera plus_loin .

Fia. 819, 820. Céphalotribe de Martin. II. Branche droite.

FlG. 821, 822. Céphalotribo do Dubois modifié par Locarelli.

128

ARSENAL OBSTETRICAL

#

FlG. 823, 824. Forceps-tenaille de Cliet. II. Branche gauche.

FlG. 825. Forceps cépha- lotribe d'Assalini.

FlG. 826. Autre modela du forceps d'Assalini.

FlG. 827-830. Céphalotribe de Breit. I. Instrument fermé vu par devant. II. Instrument fermé vu par der- rière. — III, IV. Branches mâle et femelle.

CEPHALOTRIBES

129

FlG. S3I, 832. Céphalotribe do Kiwisch. II. Système de compression.

Fig. 833-835. Céphalotribe de Trefurt. II. Système de compression. III. Instrument disposé pour l'extraction.

Fig. 83G. Céphalotribe de Iliiter.

Fig. 837. Céphalotribe de Scanzoni.

H1ST. DES ACC.: ARSENAL OBSTLTRICAt..

130

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 838. Céphalotribe fermé de Chailly.

Ftg. 830. Extrémité du cépha- lotribe de Chailly.

Fig. 840. Extrémité du FIG. 841. Extrémité du céphalotribo

céphalotribe de Depaul. de Blot.

Fig. 842.— Céphalotribe brisé de Charrière.

CÉPHALOTRIBES

131

FIG. 843, 844. Céphalotribe de Fig. 845.— Céphalotribe de Lue: .

Lazarewitch.

Fie 846. Céphalotribe de Lusk.

Fia. 847. Céphalotribe de Etlinger et Hugenberger.

132

ARSENAL OBSTETRICAL

Fia. 848.— Céphalotribe de FiG. 849. Céphalotribe de Fia. 850.— Céphalotribe FiG. 851. Céphalo- \'au Aubel (1). Ilennig, 1865. de C. Nyrop, 1866. tribe de Breisky.

Fig. 852, 853.— Céphalotribe droit et courbe de Kidd.

FIG. 854. 855. Lamineur de A. Wasseig

(1; Wasseige, loc. cit.

CÉPHALOTRIBES

133

FIG. 856.— Céphalotribe de Migon à vis de levier central.

Fig. 857.— Céphalotribe de Braiton Hicks.

Fig. 858. Céphalotribe avec tracteur de Hamon, de Fresuay.

13i

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 859. Céphalotribe de Tarnier, à fenêtres ovales destinées à empêcher les cuillers du céphalotribe de glisser sur la tête, pendant les tractions.

t=3

Fig. 860.— Céphalotribe de Tarnier, avec courbure périnéale.

Fia. 861 Céphalotribe fenêtre de Bailly.

FiG. 862. Céphalotribe à courbure périnéale do Bailly.

CÉPHALOTRIBES

135

FiG. 863, 864. Céphalotribe de Pajot, 1886.

Fig. 865. Céphalotribe perforateur de Valette, modèle Mathieu.

136

ARSENAL OBSTETRICAL

FIG- 86C-868. Forceps de Valette sur lequel on a adapté un perforateur. II. Perforateur vu de côté (la lame crénelée rentrée dans sa gaine .— III. La lame dégagée de la gaine.

Fia. 869. Céphalotribe de Finizio. I. Vu de profil.— II. Perce-crâne changé en tire-téte.

Fia. 870. Céphalo-trépano-thlaste de Hiiter fils.

CEPHALOTRIBES

137

là.

ganasaaagffi

Fia.87i. Labitome de Ritgen. FiG-872. Céphalotribe-perforateur FiG. 873. Céphalotribe-perforateur

Une des branches dont la face de Lollini, de Bologne, 1867. de Cohen.

interne est armée d'un couteau.

F:g. 874-876. Môme céphalotribe. II. Branche gauche. III. Branche droite.

138

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 877-881. Basiotribe de Tarnicr,

Fia. 882-885. Basiotribe Tarnier, nouveau modèle.

PINCES A OS ET CRANIOCLASTES

139

Fia. 886.— Céphalotribe-scie de Tarnier.

Op

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«3. D

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1

M

F, E

. 887. Cépha

otribe-

scie de Péan

Pinces à os et cranioclastes.

*?

/Ai un h nu u u mm

l/ji " "" " nnn n n n'n n n n

FiG. 888, 889. 1. Michdakh pour briser la tête du fœtus. 2. Pince pour broyer et extraire les débris du foetus;

d'après Albucasis.

140

ARSENAL OBSTETRICAL

Fio. 890. Rostrum anatis de Rueff, 1554.

FlG. 891. Forceps longa et tersa de Rueff.

Fig. 892, 893. Tenailles et pinces d'A. Paré, pour coupor les os du fœtus, 1564.

Fio. 894. Autre pinoe d'A. Paré.

FIG. 895. Pince à os ou i tenette à conducteur » de Jules Mesnard, 1753.

Fig. 896, 897. Pince à aordache de Lovret.

Fig. 898-901. Pinces à os. 3. Mesnard-Stein. S. Boër, 1793. 6. Davis.

4. Davis-Churchill.

Fig. 902. Pince à os de Davis.

Fig. 903. Pince à os de David Davis, mo- dèle Mathieu, 1825.

FlG. 904.— Pince à os de Churchill.

Fie. 905. Pince à os de Godsou, modèle Arnold et Sons.

Fig. 906.— Pince à mordache de Van Huevel, 1843.

142

ARSENAL OBSTÉTRICAL

;; V,

FlG. 907, 908. Pinces de Meigs, de Philadelphie, à mors droits ou recourbés, -modifiées par Taylor, 1856.

Fia. 909, Pince à os de Van Huevel modifiées par Pajot.

Fia. 910. Cranioclaste de J.-Y. Simpson, 1800.

CRANIOCLASTES

143

Fig. 911. Cranioclaste de C. Braun, 1862.

FiG. 912. Cranioclaste Fia. 913. Autre modèle du

deRobertBarnes, 1868. cranioclaste de Barnes.

FiG. 914-916. Cranioclaste de Hall Davis.

144

ARSENAL OBSTETRICAL

1

~C~"T

Fiq. 917, 918. Cranioclaste de Radford.

Fia. 919. Cranioclaste Fia. 920.— Cranioclaste

de Holmes. de Ramsbotham.

Fia. 921.— Cranioclaste FlG- 922.— Cranioclaste

de Murphy. de Prestley.

Fig. 923. Cranioclaste Fia. 924. Cranioclaste do Waller. de M. Duncan.

Fig. 925. Cranioclaste de Lever.

Fig. 926. Cranioclaste de Lee.

CRANIOCLASTES

145

Fig. 927. Pince tire-tête de Rizzoli, 1869.

Fig. 028. Cranioclaste de Hamon, de Fresnay.

HIST. DES ACC.; ARSENAL OB5TÉTIUCAL.

Fig. 929. Petit cranioclaste do Auvard.

10

M 6

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fia. 930-932. Cranioclaste de Auvard.

Forceps-scie.

Fig. 933-937. Forceps-scie de Van-Huevel.

FORCEPS-SCIE

147

FIG. 938. Forceps-scie de Uilli.

Fia. 939-941. Forceps-scie avec conducteurs flexibles et à simple scie, de Mathieu.

Fia. 912-914. Forceps à double scio à chaîne de Tarnier, modèle Mathieu.

148

ARSENAL OBSTETRICAL

1

FlG. 915-948. Forceps à deux scies de Tarnier, les deux sections se réunissent pour détacher une fraction de la

tête du fœtus, modèle Collin.

Embryotomes.

D

Fie. 919-953.— Différents instruments des anciens pour inciser le fœtus, d'après Albucasis.

EMBRYOTOMES

149

FlG. 954-956. Embryotome guillotine de Bau- delocque.

Fig. 957.— Crochets à décapita- FlG. 958.— Bistouri tion de Hubert fils (1). de doigt de Rœderer.

Fig. 959. Ciseaux courbes boutonnés, de Dubois, modifiés par Pinard, pour la détroncation.

Fig. 960-9G2. Crochets tranchants, l'un mo' sse, l'autre aigu, et leur gaine à extrémité articulée, de Jacquemier.

(1) Wasseige, loc. cit.

150

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fia. 963-965. - Crochet à scie Fia. 966, 967. - Embryotome

pour la décapUaUon de Van caché de Jacquemier.

der Ecken (l).

FlG. 971, 972. Diviseur cépha- liquô de Joulin.

(t) Wasseige, loc. cit.

EMBRYOTOMES

151

Fia. 973. Porte-lacs à ressort de Tarnier pour entraîner une scie à chaîne.

Fia. 974-977. Embryotome avec scie à chaîne, de Tarnier.

Fio. 978. Crochet décollateur de G. Chiarleoni.

152

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 979-984. Embryotome de Pierre Thomas.

Fia. 985.— Embryotome do Pierre Thomas appliqué autour du cou du fœtu

EMBRYOTOMES

153

Fig. 986-988. Crochet embryotome de Pierre Thomas pour la décapitation, 1879.

Fig. 989. Embryotomie à l'aide de la ficelle-scie de Barnes.

15 i

ARSENAL OBSTETRICAL

Fia. 990. Crochet articulé de Hyernaux, 1875 (1).

Fig. 991. Crochet FlG. 992. _ Porte-lacs de Paiot.

décollateur de Ve- rardini (1).

Fio. 993. Instrument de Pajot pour la décollationau moyen du fouet.

Fia. 994.— Crochet de Stanesco, 1866.

(1) Wasseige, loc. cit.

EMBRYOTOMES

155

Fia. 995-997. Embryotome>veo conducteur en baleine de Mathieu.

FlG. 998, 999. Crochet mousse articulé de Wasseige recevant un ressort d'acier à l'extrémité duquel on fixe une ficelle ou la chaîne de l'écraseur.

156

ARSENAL OBSTETRICAL

Fia. 1000-1004. Porte-lacs de Auvard, l'instrument appliqué puis enlevé.

Fia. 1005. Perforateur de la colonne vertébrale, de Lucas-Championnière.

Fia. 1006. Embryotome en patte de homard, de Lazarewich.

EMBRYOTOMES

157

Fia. 1007. Embryotome Tarnier, premier essai.

Fia. 1008. - Embryotome Tarnier, nouveau modèle.

Fis. 1009

.1014.— Crochet porte-lacs de A. Ribemont-Dessaignes, 1881.

!..S

ARSENAL OBSTÉTRICAL

^"^^^ -dè!f de 188J- - >* "15. Croehot métallo

les organes maternels contre ration oS L - Z \Z T h" r"^1 ?** * * pr°té"er en Pa''- protecteur des organes maternels et s'articulan îaveM,^' , , '"^ d°Stiné à C0'»Pl«er l'appareil

E,A(fig. 1009-1014), portant à l'une de ,™ ,7 J e crochet.— Fis. 1017. Crochet muni d'un ressort d'acier présentant a l'autre uLna u mé^llt "oïl f ^nTînfï l**?* ?B ^"^ Ia **«£- Instrument opérant la décollation. Q- 1018- Introductl™ «u tube protecteur. _ ri G. 1019.

INSTRUMENTS POUR L OPERATION CESARIENNE

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Instruments pour l'opération césarienne et la symphyséotomie.

Fia. 1020-1040. Instruments servant à l'opération césarienne au XVIII» siècle, d'après J. Mesnard. A. Bistouri. B. Scalpel. C. Sonde crénelée. D. Ciseaux à bouton. E. Trois aiguilles courbes. F. Deux chevilles pour soutenir la suture. G. Trois plumasseaux de charpie pour la plaie. H. Deux compresses longues devant recouvrir les deux côtés de la suture. I. Pot contenant du baume d'arcceus. L. Fiole contenant du baume du Pérou. M. Compresse carrée pour recouvrir la plaie. N. Bandage de corps. 0. Scapulaire pour soutenir le bandage de corps. P. Plaie recousue. Q. Chevilles qui soutiennent la suture. R. Trois points de suture. S. Bistouri courbe, boutonné pour agrandir l'orifice de la matrice.

160

ARSENAL OBSTETRICAL

FlG. 1041.— Bistouri boutonné pour la symphyséotomie.

Fig. 1042. Bistouri conyeie de Levret pour l'opération césarienne.

Fia. 1043-1047.— 1, 2. Couteau de Stein. 3, 4, 5. Aiguilles de Graefe pour l'opération césarienne.

FlG. 1048. Constricteur do Wasseige pour l'opération de Forro (1).

Fig. 1049, 1050. Appareil de M. de Saint- Germain pour fairJ l'opération césarienne avec le caustique do Vienne.

(1) Wasseige, loc . cit. L'opération de Porro ne différant de l'opération césarienne que par l'amputation utéro-ovarienne, les instruments spéciaux qui sont mis eu usage en ce casne sont autres que ceux qui servent en gynécologie pour l'hystérotoniie.

SERRES-FINES AIGUILLE A SUTURES

161

Fig. 1051. Ceinture applicable à la suite de l'opération césarienne.

III. INSTRUMENTS UTILISES APRES l' ACCOUCHEMENT

POUR LA MÈRE

Serres-fines. Aiguille à sutures.

Fig. 1052, 1053.— Serres-fines à pointes de Creqny, pour la déchirure du périnée.

BIST. DES ACC.; ARSENAL OBSTÉTRICAL.

Fig. 1054. Aiguille à manche de Hemette et de Péan pour sutures périnéales.

162

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Appareils contre les hémorragies.

Fia. 1055. Moulin à ergot de seigle.

Fia. 1056. Ergotribe de Douda.

Fig. 1057. Elytro-ptérygoïde de Chassagny, contre les hémorragies de la délivrance.

ÉLYTRO-PTERYGOIDK

163

FlG. 1038. Elytro-ptérygoïde de Cliassagny, modèlo 1SS7 (1).

(1) SS'. Spéculum en buis. VVVV. Vessie fixée sur le spéculum par des fils placés dans les rai- nures R' R". R est une troisième ligature qui divise la vessie en deux compartiments représentés par les lignes ponctuées. Le compartiment inférieur distend la partie moyenne du vagin au-dessus du sphincter et s'oppose à l'issue du compartiment supérieur qui finit de dilater le vagin et pénètre dans l'orifice utérin 0.

LL représentent des attaches fixées à l'extrémité manuelle du spéculum et reliées à des pattes P attachées à la chemise de la malade. G représente un réservoir gradué, en verre, placé à 70 cen- timètres ou 1 mètre au-dessus de la malade et conduisant le liquide dans les deux compartiments par les tubes T et T\

Indications : Hémostase, dilatation du col, placenta prie via, éclampsie, rétention du placenta, diagnostic de tumeur intra-utérine, régression de myômes, compression du col engorgé, etc.

16 4

ARSENAL OBSTETRICAL

EU

Transfuseurs (1).

'^ J2LE-' - >__

FIG. 1059.— Transfu- seur Pajot, 1860.

Fig. 1060. Transfusion du sang, après la délivrance, avec l'appareil d'Avelling

Fig. 1061. Tiansfusjur de Roussel, de Genève.

{]) La reproduction de tous les transfuseurs nous entraînerait trop loin, nous ne signalons que ceux qui ont été spécialement destinés aux femmes en couches.

SONDES ET IRRIGATEURS

165

Sondes et Irrigateurs.

Fig. 1062-1064. Sonde uréthrale de Tarnier. Sonde plate à parois mobiles permettant le nettoyage.

Fia. 1065. Sonde uréthrale de Pajot.

Fig. 1066-1068. Sonde intra-utérine de Pajot.

166

ARSENAL OBSTETRICAL

Fig. 1069. Sonde utérine FiG. 1070, 1071.— Sonde en 1er

en S, en argent, de rinard, à cheval a double courant, de

pour irrigations continues Budin. de la cavité utérine.

Fig. 1072, 1073. Sonde à double courant et dilatatrice, en argent, de Doléris.

Fia. 1074, 1075. Sonde intra-utérine de Doiéris, modiliée par Gudendag.

IRRIGATEURS

167

C A

Fig. 1076. Appareil à irrigation continue de Morosoff.

Fig. 1077. Canule en argent de Hayes, criblée de petits trous qui permettent de lancer dans la cavité utérine une solution aseptique, sous forme de pulvérisation.

Fig. 1078. Sonde intra-utérine de Delore, modifiée par Porak.

Fig. 1079. Bock injecteur en verre avec canule vaginale en verre, de P.nard.

Fig. 108% Bassin avec tube évacuateur pour irrigations continues, de Pinard.

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ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 1081. Bassin pour lotions après l'accouchement.

POUR LES NOUVEAU-NÉ

NES

Insufflateurs.

^ierTo^velTe latérat ^ ^ ^T' 1087- Tube ,aryng*'en de Ribe- FlQ- 1088- amateur do s er à ouverture latérale. A, B. mont, avec sa poire insufflatrice. Maréchal

Même tube se démontant pour la warecnai.

trousse. D. Tube de Depaul à ou- verture terminale.

INSUFFLATEURS

!G9

FiG. 1089, 1090.— Aérophore de Gairal, Fia. 1091 Insufflateur de Pros.

avec sa poire en caoutchouc.

FIG. 1092. Spirophora de Woillez.

Instruments pour la section du cordon ou du filet (1)

Fig. 1093. Ciseaux à tranchants concaves de Levret, pour couper le cordon.

(1) Autrefois les barbiers se servaient de la lancette pour couper le filet ; les sages-femmes, du temps de Fabrice Aquapendente, « tiennent toujours un de leurs ongles prest et pointu pour couper à tous les enfants qui naissent le ligament qu'ils ont sous la langue, croyant que si elles y man- quoient, les enfants ne pourroient jamais parler. Comme si la nature avait besoin du secours d'une chétive femme pour faire parler l'homme à qui la parole est essentielle . »

170

ARSENAL OBSTÉTRICAL

*ÏG. 1094, 1095, 1C96. - Fourchettes employées autr fois pour la section du filet.

Kig. 1097. Sonde cannelée de trousse utilisée de nos jours pour le filet.

Fro. 1098,. 1099.- Instrument à ressort de Peut, avant et après la section du HIl'I par le bistouri à ressort.

Ho. 1100, 1101. - Bistouri fixe et courbe de Pcan pour la section du filet. Ciseaux à gaine Cl à ressort de Petit pour le même usage

COUVEUSES

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Couveuses et appareils à gavage.

'Double couvercle mohlt:

Fig. 1102. Couveuse de la Maternité construite, d'après les indications de Tarnier, par M. Odile Martin. Les parois épaisses sont remplies de sciure de bois, pour les rendre isolantes.

Fig. 1103. Coupe de la couveuse de Tarnier.

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ARSENAL OBSTETRICAL

Fia. 1104. Couveuse fermée.

Fig. 1105. Boule d'eau chaude en grès ou moine, servant à chauffer la couveuse.

Fio. 1106. Coupe do l'appareil de TVinckel pour bain1; permanents ou prolongés, destinés aux entants nés avant terme ou présentant des troubles respiratoires.

APPAREILS A GAVAGE

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Fig. 1107. Baignoire de Winckel, munie de ton couvercle, vue par sa partie supérieure.

FiG. 1108. Appareil de Tarnier, dit en bout de sein, pour le gavage des nouveau-nés.

Fig. 1109t Appareil de Tarnier, modèle Luer, pour le gavage des nouveau-nés.

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ARSENAL OBSTÉTRICAL

Appareils pour mesurer ou peser le nouveau-né.

Fio. 1110. Céphalomètre de Stein. Fig. 1111. Appareil de Nyrop pour mesurer les nouveau-nés.

Fia. 1112. Baramacomètre de Stein.

PESE-BÉBES

175

llllll,îlllll1,l'.,lflM' 'J

- ....tmijj. ^.ic.r^v-T' .;-..-... . . : S

C

Fig. 1113. Peson Odier et Blache.

Fig. 1114. Peson Odier et Blache, nouveau modèle,

Fig. 1115, 1116. Pèso-bébés du docteur Bouchut.

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ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fie. 1117. Pèse-bébés du docteu: Bouchut, disposé avec une bretelle.

PESE-BEBES

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Fig. 1118.— pèse -bébés du docteur Bouchut, disposé avec une nacelle-berceau pliant.

H1ST. DES ACC.; ARSEKAL OBSTÉTRICAL.

178

ARSENAL OBSTÉTRICAL

Fig. 1119. Berceau pèse-bébés de Groussin.

Fia. 1120. Berceau pèse-bébés, modèle Raynal.

PÈSE-BÉBES

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Fig. 1121. Balance pèse-bébés avec "Hamac,

modèle du docteur Pinard.

Fig. 1122. Pèse-bébés à règle métrique da Jeannai.

Fig. 1123. Pèse-bébés du docteur Coriveaud.

TABLE DES MATIERES

L'ARSENAL OBSTETRICAL

Pages

I. - INSTRUMENTS UTILISÉS AVANT LACCOUCHEME NT. . 9

Hygiène et pathologie de la grossesse 9

Corsets et ceintures 9

Exploration 12

Stéthoscopes. Métroscopes. Vaginoscopes 12

Spéculums 13

Mannequins et bassins artificiels 16

Pelvimètres. Cliséomètres. Pelvigraphes 18

Accouchement prématuré artificiel et avortement

provoqué 29

Trocarts et pompes aspiratrices 29

Excitateurs utérins 30

Dilatateurs 31

Pinces à faux germe 35

IL— INSTRUMENTS UTILISÉS PENDANT L'ACCOUCHE MENT 37

Pour la mère. Chaises obstétricales 37

Appareils anesthésiques 44

Hystérotomes 45

2J Pour le foetus (avant l'extraction). Perce-membranes. . . 47

Appareils pour administrer le baptême intra-utérin. . . . 47

Porte-cordons et porte-lacs pour la version 48

(Extraction du fœtus par les voies naturelles, sans muti- lations) 53

A. Présentation du siège 53

Crochets mousses. Pinces podaliques 53

B. Présentation de la tête 55

Filets. Frondes. Sériceps. Ventouses. . . 55

Leviers 60

Forceps 64

Appareils pour tractions continues 100

182 TABLE DES MATIÈRES

Pages

(Extraction du foetus par les voies naturelles, avec

mutilations) 108

Crochets aigus ou tranchants 108

Perforateurs et tire-têtes 113

Céphalotribes 123

Pinces à os et cranioclastes 139

Forceps-scie 14(3

Embryotomes 148

Instruments pour l'opération césarienne et la sym-

physéotomie 159

III. INSTRUMENTS UTILISÉS APRES L'ACCOUCHEMENT. 161

Pour la mère. Serres-fines. Aiguille à sutures. ... 161

Appareils contre les hémorrhagies. . . 162

Transfuseurs 164

Sondes et irrigateurs 165

Pour les nouveau-nés. Insufflateurs 168

Instruments pour la section du cordon ou du filet. . . . 169

Couveuses et appareils à gavage 171

Appareils pour mesurer ou peser le nouveau-né 174

IMPRIMERIE LEMALE ET C,e, HAVRE

Date Due

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Accession no. JF F

AuthorWitkowski: Histoire des accouete ments. 1887.

Call no.

RG511

887W