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Full text of "Histoire des accouchements chez tous les peuples"

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YALE 
MEDICAL  LIBRARY 


HISTORICAL 
LIBRARY 


EX  LIBRIS 
JOHN  FARQUHAR  FULTON 


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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

Open  Knowledge  Commons  and  Yale  University,  Cushing/Whitney  Médical  Library 


http://www.archive.org/details/histoiredesaccouOOunse 


HISTOIRE 

DES 

ACCOUCHEMENTS 

CHEZ  TOUS  LES  PEUPLES 


IMPRIMERIE    LEMALE     ET    Cie,     HAVRE 


HISTOIRE 


DES 


ACCOUCHEMENTS 

CHEZ  TOUS  LES  PEUPLES 


G.-J.   WITKOWSKI 

DOCTEUR   EX   MÉDECINE   DE   LA   FACULTÉ   DE   PARIS 
OFFICIER   D'ACADÉMIE 


Ouvrage  contenant  1584  Figures  intercalées  dans  le  texte 


PARIS 
Q.    STEINHEIL,    ÉDITEUR 

2,  EUE  CASIMIB-DELAVIGNE,  2 


887  w 


AVANT-PROPOS 


Nous  avons  essayé,  dans  un  précédent  ouvrage  (1),  une  étude 
complète  et  dogmatique  de  l'accouchement  ;  dans  celui-ci,  qui 
en  est  comme  le  corollaire,  nous  nous  proposons  de  faire  une 
Histoire  littéraire  et  anecdotique  des  accouchements,  depuis  V an- 
tiquité jusqu'à  nos  jours,  c'est-à-dire  d'offrir  au  public  une 
collection  telle  que  personne  n'a  encore  songé  à  la  réunir  :  do- 
cuments, notes,  extraits,  anecdotes,  avec  un  certain  nombre 
de  monographies  curieuses  et  d'opuscules  humoristiques  peu 
connus  ou  inédits,  que  nous  avons  analysés  ou  reproduits 
in  extenso.  On  ne  trouvera  donc  ici  rien  ou  presque  rien  de  C3 
qui  regarde  en  lui-même  l'art  obstétrical,  mais  un  ensemble 
très  complet,,  et  que  nous  nous  sommes  efforcé  de  rendre  en 
même  temps  curieux  et  instructif,  de  ce  que  la  mythologie  et 
l'histoire,  les  mœurs  et  les  croyances  populaires,  les  religions, 
les  superstitions,  les  préjugés  nous  offraient  de  tous  côtés  sur 
ce  sujet. 

Sue,  en  1779,  a  fait  une  tentative  analogue  à  la  nôtre,  et  ses 
Essais  historiques,  littéraires  et  critiques  nous  ont  été  des  plus 
utiles.  Venant  après  lui  et  profitant  de  ses  recherches,  nous 
sommes  naturellement  plus  complet. 

En  outre,  son  livre  manque  de  gravures  ;  nous  les  avons, 
au  contraire,  multipliées  ;  cette  partie  de  notre  tâche  n'a  pas 
été  la  moins  difficile,  mais  nous  espérons  avoir  ainsi  donné  un 
attrait  de  plus  à  notre  livre. 

Les  matériaux  rassemblés  par  nous  depuis  plusieurs  années 

(1)  La  Génération  humaine,  6e  édition,  ouvrage  contenant  2G0  gravures  sur  bois 
et  3  planches  en  chromolithographie  découpées  et  superposées. 


VI  AVANT-PROPOS 


sont  si  nombreux  et  si  divers,  qu'il  nous  a  fallu  les  diviser  en 
trois  séries  que  nous  publierons  séparément' et  qui,  néanmoins, 
se  complètent  les  unes  les  autres. 

Voici  le  sommaire  détaillé  de  nos  volumes  : 

I.  —  les  accouchements  ciiez  tous  les  peuples,  compre- 
nant :  L'obstétrique  et  le  culte.  —  Les  erreurs  et  préjugés 
populaires.  —  Les  accouchements  extraordinaires  et  les 
monstres.  — Les  postures,  les  mœurs  et  coutumes  obstétri- 
cales. —  L'arsenal  obstétrical. 

II.  —  les  naissances  a  la  coup,,  c'est-à-dire  :  Les  couches 
des  souveraines  et  des  maîtresses  royales  ou  impériales. 
-*■  Les  cérémonies,  les  réjouissances  publiques  et  les  par- 
ticularités curieuses  observées  à  la  naissance  des  monar- 
ques de  toutes  les  nations,  avec  un  appendice  concernant 
les  personnages  illustres.  On  trouvera  dans  ce  volume  les 
Six  couches  de  Marie  de  Médias,  par  Loyse  Bourgeois  et  les 
passages  les  plus  intéressants  du  manuscrit  de  Deneux  sur 
la  Naissance  des  enfants  de  France. 

III.  —  anecdotes  et  curiosités  sur  les  accouchements.  — 
Sous  cette  rubrique,  nous  avons  réuni  toutes  les  singu- 
larités historiques  ou  fantaisistes  qui  n'ont  pu  entrer  dans 
le  texte  des  ouvrages  précédents.  Une  place  importante  est 
réservée  aux  biographies  des  célébrités  obstétricales,  avec 
leurs  portraits.  Nous  étudions  aussi  les  accouchements  dans 
les  beaux-arts,  dans  la  littérature  et  au  théâtre;  enfin,  nous 
reproduisons  un  certain  nombre  de  satires  et  de  diatribes 
contre  les  sages-femmes  et  les  accoucheurs,  parmi  lesquelles 
nous  signalerons  :  La  requête  en  plainte  présentée  à  Nossei- 
gneurs des  Etals  de  Languedoc  parles  enfants  à  naître  contre 
les  prétendues  sages-femmes  et  le  libelle  d'IIecquct  :  De  Vindé- 
cence  aux  hommes  d'accoucher  les  femmes. 


AU  PROFESSEUR  PAJOT 


A  vous,  cher  maître,  nous  dédions  ces  ouvrages. 

Ils  forment,  vous  le  voyez,  l'histoire  anecdotique  de  l'art  obs- 
tétrical, art  dans  lequel  votre  brillant  et  solide  enseignement 
vous  a  placé,  sans  conteste,  au  premier  rang. 

Véritable  Trublet  médical,  nous  avons  feuilleté  les  auteurs 
spéciaux,  anciens  et  modernes  et,  avec  eux,  les  littérateurs,  les 
historiens  grecs,  latins,  français,  étrangers. 

Encourrons-nous  le  reproche  que  La  Bruyère  adresse  aux 
compilateurs?  Avons-nous  plutôt  recueilli  «  beaucoup  de  choses 
que  d'excellentes  ?  » 

Nous  voulons  espérer  que  la  quantité  ne  nuira  pas  à  la  qua- 
lité, d'autant  plus  que  nous  avons  eu  pour  collaborateur,  sans 
qu'il  le  sût,  un  homme  dont  la  science  éprouvée,  dont  l'esprit 
libéral  et  pratique  nous  a  constamment  inspiré. 

C'est  vous,  cher  maître. 

Comme  vous,  nous  pourchassons  les  préjugés;  et  vous  savez 
si  le  nombre  en  est  grand  :  si  grand  qu'il  donnerait  à  penser, 
avec  Benoît  de  Maillet,  que  le  genre  humain  descend  d'une 
huître. 

Comme  vous,  nous  nous  permettons  de  plaisanter  cette  rage 
d'inventer  un  instrument  nouveau,  souvent  pour  la  vaine  satis- 
faction d'y  attacher  son  nom  ;  nous  avons  pensé  que  devant  une 
telle  monomanie  instrumentale,  la  meilleure  critique  était  de 
reproduire  tous  ces  engins  dont  Torquemada  eût  été  jaloux. 

Enfin,  c'est  votre  méthode  que  nous  avons  suivie  dans  ces 
ouvrages,  comme  d'ailleurs  dans  tous  nos  livres  de  vulgarisa- 
tion :  instruire  en  amusant.  Il  y  a  là-dessus  un  vers  d'Horace 
dont  nous  vous  faisons  grâce. 


VIII  DEDICACE 


Ce  n'est  pas,  il  est  vrai,  le  chemin  qui  conduit  aux  Acadé- 
mies; vous  en  savez  quelque  chose,  cher  maître,  mais,  que 
voulez-vous?  il  n'est  pas  donné  à  tout  le  monde  d'être  pédant  et 
ennuyeux. 

Nous  serons  donc  heureux,  qu'en  accueillant  cette  dédicace, 
vous  consentiez  à  recevoir  le  témoignage  de  reconnaissance  et 
de  sympathie  que  vous  adresse  votre  ancien  élève. 

G.-J.  Witkowski. 

P. -S.  —  Au  moment  où  ces  lignes  s'en  vont  chez  l'impri- 
meur, nous  apprenons  que  M.  Pajot,  près  d'être  atteint  par  la 
limite  d'âge,  a  demandé  sa  mise  à  la  retraite. 

Cher  maître,  vous  ne  serez  oublié  par  aucun  de  ceux  qui 
pendant  quarante  ans  ont  suivi  vos  leçons  et  profité  de  vos  con- 
seils; tous  vous  garderont  une  admiration  et  une  affection  pro- 
fondes. Ceux  qui  siègent  à  l'Académie,  tandis  que  vous  n'en 
êtes  pas,  finiront  par  se  demander  pourquoi. 

Pourquoi  ?  Bah  1  qui  ne  le  sait  ? 

Quels  défauts,  cher  maître,  que  l'esprit  et  l'indépendance  de 
caractère! 

Non  seulement  on  n'entre  pas  à  l'Académie,  mais  on  reste 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur  pendant  27  ans.  Vous  auriez 
pu,  il  est  vrai,  vous  décorer  des  palmes  violettes  que  le  minis- 
tère de  l'instruction  publique  dispense  avec  une  si  étonnante 
libéralité.  Pourquoi  pas  du  mérite  agricole? 

Après  une  carrière  glorieuse  comme  la  vôtre,  que  peuvent  de 
telles  injustices  ?  Diminuer  ceux  qui  les  commettent  ou  les  lais- 
sent commettre,  grandir  celui  qui  en  est  l'objet. 


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TABLE  DES  MATIERES 

DU  TOME  PREMIER 


Pages 

Avant-propos v 

DÉDICACE IX 

CHAPITRE  PREMIER.  —  L'OBSTÉTRIQUE  ET  LE  CULTE 1 

I.  —  L'obstétrique  mythologique 1 

A.  —  Naissances  des  divinités  mythiques 1 

B.  —  Divinités  invoquées  par  les  anciens  dans  les  accou- 

chements    30 

C.  —  Pratiques  religieuses  concernant  les  accouchements 

chez  les  Indous 51 

II.  —  L'obstétrique  biblique 54 

A.  —  Sur  la  naissance  de  quelques  personnages  bibliques  54 

B.  —  Lois  et  coutumes  hébraïques 77 

III.  —  L'obstétrique  catholique 81 

A.  —  Sur  la  naissance  de  quelques  saints  personnages  .  .  81 

B.  —  Saintes  et  saints  invoqués  dans  les  accouchements  98 

C.  —  Reliques  et  pratiques  superstitieuses  relatives  aux 

accouchements 121 

D. — Embryologie  sacrée 133 

CHAPITRE  II.  —  Erreurs  et  préjugés  sur  la  grossesse  et 

l'accouchement 153 

I.  —  Préjugés  sur  la  grossesse 154 

II.  —  Sur  les  accoucheurs  et  les  sages-femmes 176 

III. — Sur  l'accouchement 178 

A.  —  Avant  le  travail 178 

B.  —  Pendant  le  travail 187 

C.  —  Après  le  travail 207 

CHAPITRE  III.— Accouchements  extraordinaires  et  monstres  245 

CHAPITRE  IV.  —  Moeurs  et  coutumes  obstétricales 342 


XII  TABLE    DES    MATIERES 

Pages 

I.  —  Postures  prises  pendant  l'accouchement 343 

A.  —Antiquité 343 

B.  —  Temps  modernes 354 

II.  —  Usages.  —  Opinioyis  singulières.  — Pratiques  supers- 

titieuses   439 

A.  —  Antiquité 439 

B.  —  Moyen  âge  et  temps  modernes 485 

III.  —  Sages-femmes  et  accoucheurs 646 


Les   figures   135.  145.   181,  200,  206    sont  tirées  du   Traité    d'accouchements  de 
Tabxieb  et  Bcdix. 


HISTOIRE 

DES   ACCOUCHEMENTS 

CHEZ  TOUS  LES  PEUPLES 

CHAPITRE  PREMIER 
L'OBSTÉTRIQUE   ET  LE  CULTE 


1.     —    L   OBSTETRIQUE     MYTHOLOGIQUE 

A.  —  naissances  des  divinités  mythiques 

Brahmanisme  et  Bouddhisme  —  L'antique  religion  des 
Brahines  n'ayant  été  que  peu  défigurée  par  l'anthropomorphisme, 
nous  y  trouverons  moins  de  contes  obstétricaux  que  dans  le  poly- 
théisme grec  qui  en  est  issu.  Là  aussi,  le  symbolisme  est  souvent 
ridicule  et  grossier;  mais  les  allégories  védiques  n'ont  jamais  cette 
apparence  d'humanité  que  l'on  remarque  dans  les  mythes  helléni- 
ques, même  à  l'époque  d'Homère.  C'est  ainsi  que.  suivant  les  Védas, 
le  monde  est  né  d'un  coït  immense  du  lingam  et  du  nahamam.  types 
des  organes  masculin  et  féminin,  e  coïtu  pénis  et  cunn>\  dirait  le  latin. 
Si  le  culte  vulgaire  ne  voyait  dans  le  lingam  et  le  nahamam  que  les 
appareils  ordinaires  de  l'union  des  sexes,  les  esprits  éclairés  en  fai- 
saient le  symbole  des  deux  principes  de  Brahma  :  la  puissance  créa- 

HISTlIUE    PES    AGCOCCHKMESTS.  1 


2 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


trice,  qui  ayant  divisé  son  corps  en  deux  parties  (fig.  1),  l'une  mâle, 
l'autre  femelle  (1),  s'est  trouvé  ainsi  réunir  la  double  qualité  de  père 
et  de  mère.  Le  germe  produit  par  l'union  du  lingam  et  du  nahamam 
devint  un  œuf  brillant  comme  l'or,  et  de  cet  œuf  naquit  Brahma,  la 
première  personne  de  la  trinité  indoue. 


Fiel. 


Brahm  se  révélant  pour   la  première  fois  sous  la  forme  d'un  personnage  qui  est  homme 
d'un  coté  et  femme  de  l'autre. 


Les  poètes  légendaires  ont  ajouté  des  détails  :  ainsi  Brahma  est  né 
avec  quatre  têtes  (fig.  2),  chacune  d'elles  ornée  de  lotus;  de  son  visage 
est  né  son  fils  Brahman,  père  et  éponyme  des  prêtres  et  des  savants  ; 
de  ses  épaules,  Kchatrya  ;  de  ses  cuisses,  Vaïcia  ;  de  ses  pieds,  Sou- 
dra,  de  qui  sont  issus  les  kchatryas  ou  guerriers,  les  vaïcias  ou 
marchands,  les  soudras  ou  artisans.  Onze  demi-dieux,  les  Roudras, 
sont  sortis  de  son  front  ;  Anghira,  de  son  nez. 

La  seconde  personne  de  la  trinité,  Vichnou,  naquit,  suivant  quel- 
ques-uns, d'un  œuf  que  sa  mère,  Diti,  avait  pondu  500  ans  avant  qu'il 
ne  vînt  à  éclore.  Dans  certaines  cosmogonies,  Vichnou  apparaît, 
avant  Brahma  lui-même,  sous  la  figure  d'un  beau  jeune  homme  porté 
sur  les  eaux  parle  serpent  Amenta,  et  ayant  à  ses  côtés  sa  femme,  la 


(1)  La  poésie  représentait  les  organes  de  la  génération  céleste  sous  les  traits  d'un 
beau  jeune  homme  et  d'une  belle  jeune  fille,  le  dieu  Nara  et  la  déesse  Nari. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


belle  Lakmi  (fîg.  2)  :  une  tige  de  lotus  sortit  de  son  nombril  et 
Brahma  naquit  dans  le  calice  de  cette  fleur.  Dans  d'autres  enfin,  la 
trinité  toute  entière,  Brahma,  Vichnou  et  Siva,  sortent  de  trois  œufs 
pondus  parBravani  ;  il  était  juste  qu'une  si  brave  pondeuse  présidât 
aux  accouchements. 

Que  citerons-nous  encore?  La  mère  de  Vichnou  qui,  sous  le  nom 
de  Devagi,  conçut  un  fils,  Balarama,  lequel  fut  transporté  de  son  sein 
dans  celui  de  Rogani,  sa  suivante?  La  belle  Andjani  qui  enfanta  par 
l'oreille  le  singe  miraculeux  Hanouman?  Nous  nous  arrêtons  :  aussi 
bien,  avouons-nous  ne  pas  être  trop  à  l'aise  dans  ce  panthéon  confus. 


Fig.  2.  —  Naissance  do  Brahma,  d'après  une  peinture  indienne. 


Le  bouddhisme  qui,  vers  le  VIP  siècle  avant  Jésus-Christ,  naquit 
dans  l'Inde,  en  face  du  brahmanisme,  ne  fut  d'abord  qu'un  ensemble 
fort  simple  de  règles  morales;  plus  tard,  vint  une  époque  pendant 
laquelle  il  se  surchargea  d'innombrables  fantaisies  théologiques.  C'est 
alors  que  Cakya-Mouni,  dit  le  Bouddha,  est  représenté  comme  nais- 
sant d'une  vierge  ;  quelques-uns,  voulant  rattacher  la  nouvelle  doc- 
trine à  l'antiquité  brahmanisme,  ajoutaient  que,  venu  au  monde  au 
pied  d'un  arbre,  il  avait  été  reçu  dans  une  coupe  d'or  par  Brahma. 
Une  telle  naissance  ne  pouvait  avoir  eu  lieu  sans  miracles  :  on  remar- 
qua, en  effet,  que,  dans  ce  jour  favorable,  toutes  les  femmes  enceintes 
étaient  accouchées  heureusement. 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


On  sait  que  le  Lamisme  est  une  forme  du  bouddhisme  que  l'on 
trouve  au  Thibet  et  chez  certains  Mongols.  Les  sectateurs  du  Lama 
croient  que  Tsédent,  père  de  Gné-Tséden,  mit  au  monde  son  fils  par 
suite  d'une  enflure  qu'il  eut  au  bras  droit  (1),  et  qu'à  son  tour,  Gné- 
Tséden  donna  le  jour  à  un  fils  sorti  de  l'une  de  ses  hanches. 

Le  Shaslcr,  livre  sacré  des  Banians,  secte  indoue  de  la  caste  des 
vaïcias  ou  marchands,  conlient  le  récit  d'un  accouchement  mythique 
assez  singulier  :  Dieu,  après  avoir  détruit  le  premier  monde  par  un 
déluge  universel,  chargea  Breman  de  repeupler  la  terre  et  voici  la 
façon  remarquable  dont  celui-ci  s'acquitta  de  sa  tâche.  Il  sentit  des 
douleurs  pareilles  à  celles  qu'éprouve  une  femme  en  travail  ;  son  corps 
s'enfla  extraordinairement,  et  s'ouvrit  en  deux  endroits,  au  côté  droit 
et  au  côté  gauche.  Il  en  sortit  deux  jumeaux,  l'un  mâle  et  l'autre 
femelle,  qui  vinrent  au  monde  dans  leur  grandeur  naturelle. 

Magisme.  —  Le  réformateur  du  mngisme,  Zoroastre,  serait, 
d'après  une  légende  rapportée  par  Pline,  le  seul  qui  ait  ri  le  jour  de 
sa  naissance.  Comme  présage  de  son  futur  savoir,  le  cerveau  lui  pal- 
pita jusqu'à  repousser  la  main  qui  le  touchait.  Ce  signe  n'indiquerait 
aujourd'hui  qu'un  rachitisme  des  plus  prononcés. 

Le  premier  homme,  Kaïomorts,  sortit  de  l'épaule  droite  du  taureau 
Aboudad  (fig.  3),  au  moment  où  celui-ci  expirait  sous  les  coups  du 
serpent  Ahriman. 

Laoïsme  et  Sintoïsme.  —  La  naissance  de  Lao-Tsen  qui, 
vers  l'an  600  avant  notre  ère,  fonda  une  religion  en  Chine,  nous  offre 
une  particularité  curieuse  :  une  jeune  et  belle  vierge  ayant  avalé  une 
bulle  composée  de  l'essence  du  soleil,  conçut  et  resta  enceinte  pen- 
dant quatre-vingt-un  ans.  Au  bout  de  ce  temps,  cette  vierge  mit  au 
monde,  par  le  côté  gauche,  un  enfant  à  la  tête  blanche;  il  naquit  sous 
un  arbre  nommé  Li  et  s'écria,  en  le  montrant  de  la  main  :  «  Voilà 
mon  nom  de  famille.  »  Cette  naissance  de  Lao-Tsen  est  un  exemple 
de  grossesse  extra-utérine  en  même  temps  que  de  précocité. 

Le  culte  japonais  est  celui  de  Sinto  ou  deSinsiou.  Nous  recueillons 
dans  cette  religion,  qui  tend,  d'ailleurs,  à  se  confondre  avec  le  boud- 
dhisme, les  deux  contes  suivants.  Bounsio  pondit  cinq  cents  œufs 
qu'elle  renferma  dans  un  coffret  sur  lequel  elle  avait  écrit  :  Fo-cia.' 
rou,  puis  elle  le  jeta  dans  le  fleuve   Rio-Sa-Gava.  Le  coffret  fut 


(1)  De  même  la  religion  Scandinave  nous  parle  d'une  race  de  géants,  issue  d'un 
homme  et  d'une  femme  sortis  du  bras  gauche  d'Iimer,  durant  son  sommeil. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


recueilli  par  un  pêcheur  qui  fît  éclore  les  œufs  dans  un  four;  chaque 
œuf  produisit  un  enfant. 

La  mère  de  Sotoktais  fut  prévenue  par  une  voix  divine  qu'elle  était 
enceinte.  Au  bout  de  huit  mois  elle  entendit  l'enfant  parler  dans  son 
sein  ;  quatre  mois  après,  elle  le  mit  au  monde. 


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Fig.  3.  —  Kaïomorts  ou  le  premier  homme  sortant  de  l'épaule  droite  du  taureau  primordial  AboudaJ. 
(Figure  tirée  de  la  Mythologie  de  J.  Odoland-Desnos.) 


Religions  égyptienne  et  phénicienne.  —  Nous  trouvons 
dans  la  religion  égyptienne  un  cas  extraordinaire  d'inclusion  fœtale. 
Osiris,  frère  et  époux  d'Isis,  s'était  uni  à  elle  dès  le  ventre  de  leur 
mère  ;  il  en  résulta  que,  même  avant  de  naître,  Isis  se  trouva  enceinte 
d'Harœri.  On  sait  qu'à  certaine  époque,  les  mythes  helléniques  se 
mélangèrent  avec  les  mythes  égyptiens  :  Rhéa  et  Cronos  se  confon- 
dirent avec  des  divinités  analogues,  originaires  des  bords  du  Nil,  et 
reçurent,  ornés  de  coiffures  invraisemblables,  les  adorations  des  fils 
de  Pharaon. 

Voici  une  fable  qu'auraient  imaginée  les  prêtres  égyptiens  pour 
faire  accepter  par  le  peuple  un  changement  dans  le  calendrier. 
Rhéa,  selon  cette  belle  histoire,  est  l'épouse  du  Soleil  :  épouse  légère, 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


elle  commit  une  faute  avec  Cronos  ;  cette  faute  eut  des  suites  visibles 
et  le  Soleil,  qui  probablement  était  en  droit  de  désavouer  toute 
paternité,  s'aperçut  de  l'ampleur  insolite  que  prenait  la  taille  de  sa 
femme.  Bien  que,  même  avant  Y  inconséquence  de  son  épouse,  le  dieu 
Soleil  portât  une  magnifique  paire  de  cornes  (1),  il  fut  sensible  à  l'ou- 
trage: il  maudit  la  pauvre  Rhéa  ei,  ce  qui  est  pis,  lui  déclara  qu'elle 
ne  pourrait  accoucher  dans  aucun  mois  de  l'année.  Jugez  de  l'em- 
barras: la  baleine  ne  garda  Jonas  que  trois  jours,  et  Rhéa  n'était 
pas  une  baleine!  Ici  apparaît  l'ingénieux  Hermès.  Amoureux  de  Rhéa 
il  obtient  ses  faveurs:  qu'avait  à  perdre  Rhéa?  La  seconde  faute 
répara  la  première.  Rhéa  confia  son  cas  au  nu- 
méro deux  ;  Hermès  la  tira  d'affaire.  Un  jour 
qu'il  jouait  aux  dés  avec  la  Lune,  il  lui  pro- 
posa comme  en  jeu  la  soixante-douzième  par- 
tie de  chaque  jour  de  l'année.  Toujours  Grec, 
quoique  naturalisé  Egyptien,  Hermès  gagna 
et,  profitant  de  son  gain,  il  en  composa  cinq 
jours  qu'il  ajouta  aux  douze  mois  de  l'année.  Ce 
fut  pendant  ces  cinq  jours  complémentaires  que 
Rhéa  se  délivra  de  cinq  enfants:  Isis,  Osiris, 
Horus,  Neflé  et  Typhon. 

La  plus  célèbre  des  divinités  phéniciennes, 
Astarté  (fig.  4.),  l'Astaroth  des  Juifs,  l'Aphro- 
dite des  Grecs,  était  née  d'un  œuf  tombé  du 
ciel  dans  la  mer;  les  poissons  le  portèrent  sur 
le  rivage  où  des  colombes  le  couvèrent.  Les 
Grecs  se  sont  appropriés  ce  mythe  et  chacun 
connaît: 


Fig.  4.  —  Astarté,  donl  le 
corps  est  couvert  do  ma- 
melles, d'après  une  sta- 
tuette en  bronze  du  mu- 
sée de  Cagliari. 


...  Vénus-Astarté,  fille  de  l'onde  amère. 


Polythéisme  grec  (2).  —  C'était  une  fa- 
mille singulière  que  celle  des   premiers  dieux 
helléniques:  l'aïeul,  Ouranos  (3),  enterrait  tout 
vivants  les  enfants  que  Gœa   lui  donnait  ;  Cronos,  fils  d'Ouranos, 


(1)  Amoun-Ra,  le  dieu  solaire  des  Egyptiens,  était  représenté  avec  des  cornes  de 
bélier. 

(2)  Nous  n'ignorons  pas  qu'on  a  expliqué  d'une  façon  fort  savante  et  môme  fort 
juste,  toutes  ces  générations  extraordinaires  de  dieux  et  de  déesses;  mais  il  faut 
convenir  que  l'anthropomorphisme  qui,  depuis  Homère,  ('(ait  le  fond  de  la  religion 
grecque,  avait  donné  à  tous  ces  mythes  une  couleur  humaine  assez  étrange. 

(3)  Toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  mythologie  grecque,  nous  désignons  les  dieux 
par  leur  nom   grec:   nous  ne   comprenons    pas  bien    la    supériorité  euphonique 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


commença  par  pratiquer  sur  son  père  l'opération  qu'à  la  requête 
des  concierges  pudibondes,  certains  industriels  pratiquent  sur  les 
matous  (1)  ;  puis,  aussi  bon  père  que  bon  fils,  mis  sans  doute  en  dé- 
fiance envers  ses  enfants  par  sa  propre  conduite  à  l'égard  de  l'auteur 
de  ses  jours,  il  engloutit  tous  les  nouveau-nés  de  Rhéa,  sa  femme. 
Dans  ce  tombeau  de  famille,  disparaissent  successivement  Poséidon, 
Hadès,  Héra,  Heslia,  Démêter. 

Rhéa,  fâchée  à  la  fin  de  voir  ses  enfants  passer  immédiatement  de 
ses  entrailles  dans  celles  de  Cronos-Ugolin,  imagina  de  substituer  à 


Fig.  5-  —  Rhéa  présentant  à  Cronos  une  pierre  emmaillottée  à  la  place  de  Zeus. 
(Figure  tirée  de  la  Mythologie  de  Odolant-Desnos.) 

Zeus,  son  dernier  né,  une  pierre  emmaillotée  (fig.  5)  ;  avec  une  indif- 
férence qui  fait  l'éloge  de  son  râtelier,  l'époux  dévora  ce  mets  de  for- 
mation calcaire. 


(VUranus  sur   Ouranos,  de  Saturne  sur  Cronos,  de  Tcllus  sur  Gœa,  etc.,  pourquoi 
parler  latin  en  grec  ? 

(1)  Ouranos  était  un  gaillard  :  Abélard  devenant  père  après  la  mauvaise  plaisan- 
terie de  Fulbert,  c'est  déjà  bizarre  ;  mais  la  dépouille  d'Abélard  engendrant  sans  le 
concours  du  restant  d'Abélard,  cela  dépasse  toutes  les  limites  de  la  vraisemblance. 
Tel  fut  pourtant  le  cas  d'Ouranos  :  «  Cependant,  dit  Hésiode,  ces  divins  débris  que 
le  tranebant  du  fer  avait  détachés,  étaient  tombés  dans  la  vaste  mer  ;  longtemps  ils 
flottèrent  à  la  surface  et,  tout  autour,  une  blanche  écume  s'éleva  où  naquit  une 
jeune  déesse,  Aphrodite . 


8 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Ce  mythe  profond  rappelle  le  pot-au-feu  dont  parle  nous  ne  savons 
quel  vaudeville  de  Duvert  et  Lausanne  :  une  brique  y  remplace  le 
traditionnel  morceau  déculotte. 

Diodore  de  Sicile,  homme  docte,  mais  parfois  trop  naïf,  raconte 
qu'aussitôt  après  la  naissance  de  Zeus,  quand  on  le  porta  sur  le  mont 
Ida,  le  cordon  ombilical  de  l'enfant  tomba  près  du  fleuve  Triton  : 
cette  partie  de  l'île  de  Crête  en  aurait  pris  le  nom  d'Omphalos,  mot 
grec  qui  signifie  nombril  (1).  Le  Dr  Sue  tire  de  celte  tradition  la 
preuve  que,  dans  les  temps  les  plus  reculés,  la  ligature  du  cordon 
était  inconnue.  La  conclusion  du  moderne  vaut  le  conte  de  l'ancien. 

Naissance    d'Athéna.   —  Au  dire  d'Hésiode,   Zeus  épousa 


&Jr3 


Fig.  6.  —  Naissance  d'Athéna,  d'après  un  vase  antique. 


Métis,  la  déesse  de  la  méditation  et  des  vomitifs   (2)  ;   mais  ayant 
appris  de  l'oracle  qu'elle  était  destinée  à  être  mère  d'un  fils  qui  de- 


(1)  Ce  mot  est  d'un  usage  habitue]  en  grec  pour  désigner  toute  position  centrale. 

(2)  Allusion  au  rôle  que  cette  déesse  joua  auprès  de  Cronos.  l'avaleur  de  cailloux  : 
elle  lui  fit  prendre  un  breuvage  dont  l'effet  fut  de  lui  faire  vomir  d'abord  la  pierre 
indigeste,  puis  tous  les  enfants  qu'il  avait  dévorés.  Quelques  étyruologistes  ont-ils 
songé  à  faire  venir  âmètiqve  de  métis  1  Ménage  n'eût  pas  reculé. 


l'obstétrique  et  le  culte  9 


viendrait  le  souverain  de  l'univers,  il  suivit  les  traditions  de  la  famille 
et  ne  fit  qu'une  bouchée  de  la  mère  et  de  l'enfant. 

Les  maux  de  tête  accompagnent  souvent  les  digestions  difficiles: 
ce  fut  le  cas.  Pour  se  débarrasser  de  cette  céphalalgie  importune, 
Zeus  s'adressa  à  son  fils  Héphsestos,  bon  forgeron,  mais  médecin 
un  peu  brutal.  Dans  sa  trousse,  Héphasstos  n'avait  qu'une  hache  ;  il 
en  fendit  la  tête  de  son  père.  Du  crâne  ouvert  de  Zeus  jaillit,  en  pré- 
sence de  tout  l'Olympe,  Athéna  armée  de  pied  en  cap  (fig.  6).  Ecou- 
tons Homère  :  «  Zeus,  aux  prudents  conseils,  enfanta  lui-même  de  sa 
tête  auguste  Alhéna,  toute  revêtue  d'armes  guerrières,  d'armes 
dorées  et  étincelantes.  A  cette  vue,  tous  les  immortels  sont  saisis 
d'étonnement  et  de  respect.  Devant  les  yeux  du  dieu  qui  tient  l'égide, 
soudain,  impétueusement  elle  s'élance  de  la  tête  immortelle,  bran- 
dissant une  javeline  acérée  ».  Moins  poétique,  le  facétieux  Demous- 
tier  fait,  à  ce  propos,  la  remarque  suivante  :  «  Aujourd'hui,  le  front 
des  hommes  n'accouche  plus  ;  mais  on  prétend  qu'il  indique  souvent, 
par  de  certains  signes,  que  leurs  femmes  sont  accouchées  »  . 

Héra,  jalouse  de  ce  qu'elle  était  étrangère  à  l'enfantement  d'Athéna, 
voulut  aussi  devenir  mère  sans  le  concours  de  son  mari  et  y  parvint 
en  touchant  une  fleur  qui  croissait  dans  les  champs  d'Olène.  De  ce 
simple  contact  naquit  Ares  qui  vint  au  monde  également  armé  de 
pied  en  en  p. 

L'irrévérencieux  Lucien  consacre  le  huitième  Dialogue  des  Dieux 
à  l'accouchement  de  Zeus  : 


Héphsestos.  —  Quelle  est  ma  besogne,  Zeus?  J'arrive,  sur  ton  ordre, 
armé  d'une  hache  bien  affilée  :  elle  pourrait,  au  besoin,  couper  une 
pierre  d'un  seul  coup. 

Zeus.  —  A  merveille,  Héphfestos;  fends-moi  la  tête  en  deux. 

Héphlestos.  —  Veux-tu  m'éprouver,  ou  bien  es-tu  fou?  Donne-moi 
un  ordre  sérieux  ;  dis  ce  que  tu  veux  que  je  fasse  ! 

Zeus.  —  Je  te  l'ai  dit  :  Fends-moi  la  tête.  Si  tu  désobéis,  tu  éprou- 
veras une  seconde  fois  ma  colère;  mais  il  faut  frapper  de  toutes  tes  forces 
et  sans  tarder  :  je  meurs  du  mal  qui  me  met  le  cerveau  sens  dessus 
dessous. 

Héphjestos.  —  Prends  garde,  Zeus,  que  nous  n'allions  faire  quelque 
.  sottise  ;  ma  hache  est  affilée  :  elle  te  fera  venir  du  sang  et  ne  t'accou- 
chera pas  à  la  façon  d'Ilithyie. 

Zeus. —  Frappe  toujours,  Héphœstos;  ne  crains  rien  :  je  sais  ce  qu'il 
me  faut. 

Héph.estos.  —  C'est  malgré  moi,  mais  je  vais  frapper  :  car  que  faire, 
quand  tu  l'ordonnes?...  Hein?  Quoi?  Une  jeune  fille  armée  de  pied  en 


10 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


cap!  Tu  avais  là,  Zeus,  un  furieux  mal  dans  la  tête!  Il  n'est  pas 
étonnant  que  tu  te  sois  montré  irascible,  quand  tu  portais  toute  vivante, 
sous  la  membrane  de  ton  cerveau,  une  jeune  fille  de  cette  taille,  et 
cela,  tout  armée  ;  nous  ne  savions  pas  que  tu  avais  un  camp  au  lieu  de 
tête.  Mais  vois  donc,  elle  saute,  danse  la  pyrrhique,  agite  son  bouclier, 
brandit  sa  lance,  se  remue  comme  une  possédée.  Ce  qui  est  plus  fort, 
c'est  qu'elle  est  devenue  tout  à  coup  fort  belle  et  fort  à  point  ;  il  est 
vrai  qu'elle  a  les  yeux  gris,  mais  son  casque  embellit  ce  défaut.  Ainsi, 
Zeus,  pour  prix  de  l'accouchement,  donne-la  moi  comme  femme. 

Zeus.  —  Tu  me  demandes  l'impossible,  Héphsestos  :  elle  veut  rester 
toujours  vierge;  moi,  cependant,  je  ne  m'oppose  pas  à  ce  que  tu 
désires. 

HkphjEstos.  —  C'est  tout  ce  que  je  demandais;  le  reste  est  mon 
affaire  :  je  vais  l'enlever. 

Zeus.  —  Fais-le,  si  tu  peux  ;  mais  je  sais  que  tu  veux  l'impossible. 

L'opération  césarienne  par  le  cerveau,  voilà  un  cas  assurément 
curieux  ;  l'inépuisable  mythologie  nous  offre  mieux  :  l'opération  par 
ablation  totale  du  chef.  Mr  de  Paris  faisant  concurrence  aux  ventriè- 
res de  la  capitale  !  Quand  Persée  eut  tranché  la  tête  de  la  Méduse, 


Fig.  7.  —  Pégase  et  Chrysaor  sortant  de  la  têto  de  Méduse  avec  l'aide  dîllithyie. 

Pégase,  le  cheval  ailé,  et  Chrysaor,  le  père  de  Géryon,  s'élancèrent 
du  tronc  mutilé  de  la  Gorgone.  Un  fragment  de  Métope  de  Sélinonte, 
et  une  terre  cuilc  de  Milo  reproduisent  cette  double  naissance 
(fig.  7). 


Naissance  de  Dionysos.   —  Zeus  était  un  époux  volage;  la 


l'obstétrique  et  le  culte 


11 


fille  de  Cadmos,  Sémélé,  fut  une  de  ses  favorites.  Les  assiduités  de 
Zeuseurentleurs  suites  ordinaires.  Or,  pendant  la  grossesse  de  Sémélé, 
Héra  aux  yeux  de  génisse,  déesse  que  chacun  sait  avoir  été  jalouse, 
prit  les  traits  de  Béroé,  nourrice  de  sa  rivale.  Héra  joua  son  rôle  en 
vraie  nourrice  de  comédie;  elle  insinua  à  la  pauvre  embesognée  que 
son  amant,  ce  prétendu  roi  du  ciel,  pourrait  bien  n'être  qu'un  mortel 
peu  délicat,  un  simple  farceur  en  un  mot  :  «  S'il  est  Dieu,  qu'il  se 
montre  en  Dieu;  vous  en  valez  bien  la  peine!  »  Sémélé  crut  la  perfide; 


Fig.  8.  —  Mort  do  Sémélé.  —  Premier  !  naissance  de  Dionysos,  d*aprés  une  peinture  antique. 


Zeus  obéissant,  descend  avec  sa  foudre  des  grands  jours;  le  feu  prend 
et  Sémélé  périt  dans  le  palais  embrasé  (fig.  8).  Aussitôt  Zeus  appelle 
Hermès;  celui-ci,  toujours  ingénieux,  pratique  une  opération  césa- 
rienne post  mortem  et  relire  du  sein  de  la  déesse  l'enfant  qu'elle  y 
portait. 

Zeus  l'enferma  et  le  fit  coudre  dans  sa  cuisse.  Au  bout  des  neuf 
mois  révolus,  de  la  cuisse  de  Zeus,  Dionysos  sortit  en  chantant  (fig.  9). 
Cette  double  naissance  était  exprimée  par  les  épithètes  de  Dimetor 
et  de  Dithyrambos  que  les  Grecs  appliquaient  au  dieu. 


12 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


Lucien,  dans  son  Panthéon  grotesque  (1),  ne  pouvait  manquer  de 
s'égayer  au  sujet  d'une  naissance  si  extraordinaire: 


Fig.  9.  —  Seconde  naissance  de  Dionysos,  d'après  un  bas-relief  du  musée  Pio  Clémentino. 


Poséidon.  --  Peut-on,  Hermès,  entrer  maintenant  chez  Zeus? 

Hermès.  —  Impossible,  Poséidon. 

Poséidon.  —  Annonce-moi  toujours. 

Hermès.  —  Ne  me  presse  pas  davantage,  te  dis-je:  le  moment  est 
mal  choisi,  et  tu  ne  le  peux  voir  en  cet  instant. 

Poséidon.  —  Est-ce  qu'il confère  avec  Héra? 

Hermès.  —  Non;  c'est  tout  autre  chose. 

Poséidon.  —  J'entends:  Ganymède  est  là. 

Hermès.  —  Ce  n'est  pas  cela;  Zeus  est  malade. 

Poséidon.  —  Malade,  et  d'où?  Singulière  nouvelle! 

Hermès.  —  J'ai  honte  de  te  le  dire,  mais  c'est  comme  cela. 

Poséidon.  —  Il  ne  faut  pas  te  gêner  avec  moi,  qui  suis  ton  oncle. 

Hermès.  —  Eh  bien!  Poséidon,  il  vient  d'accoucher. 

Poséidon.  —  D'accoucher?  Lui?  fi  donc!  Et  par  où?  Il  nous  a  donc 
caché  qu'il  fût  homme  et  femme;  mais  son  ventre  ne  nous  avait  jamais 
montré  la  moindre  enflure. 

Hermès.  —  Tu  as  raison;  aussi  n'était-ce  pas  là  qu'il  portait  son 
enfant. 

Poséidon.  —  Je  comprends:  il  sera  encore  accouché  par  la  tête, 
comme  pour  Athéna:  il  a  la  tête  féconde! 

(1)  Neuvième  Dialogue  des  Dieux. 


l'obstétrique  et  le  culte  13 

Hermès.  —  Pas  du  tout;  c'est  dans  la  cuisse  qu'il  portait  l'enfant 
qu'il  a  eu  de  Sémélé. 

Poséidon.  —  0  l'excellent  dieu  qui  porte  des  enfants  et  accouche  de 
tous  les  côtés!  Et  qu'est-ce  que  cette  Sémélé? 

Hermès.  —  Une  Thébaine,  une  des  filles  de  Cadmos  :  il  a  eu  commerce 
avec  elle  et  l'a  rendue  grosse. 

Poséidon.  —  Et  puis  après,  Hermès;  il  est  accouché  pour  elle? 

Hermès.  —  Justement,  tout  étrange  que  cela  te  paraisse.  Héra,  dont  tu 
sais  l'humeur  jalouse,  étant  descendue  chez  Sémélé,  lui  persuada  de  prier 
Zeus  de  la  venir  voir  avec  ses  tonnerres  et  ses  éclairs;  Zeus  consentit, 
arriva,  la  foudre  en  main,  mit  le  feu  au  toit,  et  Sémélé  périt  dans  l'in- 
cendie. Il  m'ordonna  alors  de  fendre  le  ventre  de  cette  femme  et  de  lui 
apporter  l'embryon  imparfait,  qui  n'avait  encore  que  sept  mois:  j'obéis, 
il  s'ouvrit  la  cuisse  et  y  déposa  l'enfant  jusqu'à  ce  qu'il  vînt  à  terme  ; 
aujourd'hui  que  le  troisième  mois  est  arrivé,  il  l'a  mis  au  monde,  et  les 
douleurs  de  l'accouchement  l'ont  rendu  malade. 

Poséidon.  —  Où  l'enfant  est-il  donc  à  présent? 

Hermès.  —  Je  l'ai  porté  à  Nysa,  et  donné  à  élever  aux  Nymphes, 
sous  le  nom  de  Dionysos. 

Poséidon.  —  Par  conséquent,  Zeus  est  tout  à  la  fois  le  père  et  la  mère 
de  ce  Dionysos? 

Hermès.  —  Naturellement.  Mais  je  m'en  vais  lui  porter  de  l'eau  pour 
laver  la  blessure,  et  lui  faire  tout  ce  qui  se  fait  en  pareil  cas  à  une  nou- 
velle accouchée. 

Sacombe,  dans  La  Luciniade,  rapporte  en  détail  les  divers  incidents 
de  la  naissance  de  Dionysos  ou  Bacchus(l). 

Ah  !  Muse,  pourras-tu  raconter  sans  frémir, 

Les  malheurs  dont  jadis  Caclmuseut  à  gémir, 

Quand  d'Agénor  Jupin  eut  enlevé  la  fille? 

Junon  à  sa  vengeance  immola  sa  famille. 

Ino,  qui  d'Athamas  craint  la  rage  et  les  cris, 

Dans  l'abîme  des  flots  se  plonge  avec  son  fils. 

Agave,  de  fureur  par  Bacchus  transportée, 

Fait  frémir  la  Nature  en  égorgeant  Panthée. 

Autonoé,  ton  fils,  en  cerf  d'abord  changé, 

Par  ses  chiens  est  ensuite  à  tes  yeux  égorgé. 

Sémélé  veut  de  près  voir  le  Dieu  de  la  foudre, 

Dans  son  Palais  en  flamme  elle  est  réduite  en  poudre. 


(11  L'auteur,  suivant  la  coutume  d'autrefois,  latinise  les  noms  des  divinités 
grecques.  Il  en  sera  plus  loin  de  même  ;  nous  en  constatons  le  fait  une  fois  pour 
toutes. 


I  i  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


Et  Bacchus,  heureux  fruit  d'un  objet  bien  aimé, 

Par  Jupin,  dans  sa  cuisse,  alors  fut  enfermé. 

Cependant,  mère  tendre  à  la  fois  et  bon  père, 

Jupiter  en  travail  crie  et  se  désespère  ; 

Il  ressent  au  fémur  d'effroyables  douleurs: 

Attirés  par  ses  cris,  ses  sanglots  et  ses  pleurs, 

Accourent  à  l'envi  les  Dieux  et  les  Déesses. 

L'une  soutient  ses  reins,  l'autre  écarte  ses  fesses, 

Et  chacun  tour  à  tour,  au  souverain  des  Dieux 

Prodigue  ses  conseils,  ses  soins  officieux. 

Junon  seule  à  ses  maux  feignant  detre  insensible, 

Mais  l'âme  à  la  pitié  toujours  inaccessible, 

<  Chaste  époux,»  lui  dit-elle,  «  il  te  souvient  du  jour 

«  Où  les  Dieux  assemblés  au  céleste  séjour 

«  Rirent  à  mes  dépens,  quand  par  son  imposture, 

«  Tirésias  osant  démentir  la  Nature, 

«  Prononça,  sans  raison,  au  gré  de  ton  désir, 

«  Que  la  femme  en  amour  ressent  plus  de  plaisir. 

«  Vois  quel  plaisir  éprouve  une  femme  féconde, 

«  Qui  souvent  tous  les  ans  met  un  enfant  au  monde  ; 

«  Un  enfant  qu'en  son  sein  elle  a  porté  neuf  mois, 

«  Au  milieu  des  dégoûts  et  meurtri  par  son  poids? 

»  Mais  ce  n'est  rien  encor.  Si  ton  âme  est  jalouse 

«  De  goûter  les  plaisirs  de  ton  heureuse  épouse, 

«  Souffre  que,  de  mon  art  employant  le  secours, 

«  Des  douceurs  du  travail  je  prolonge  le  cours, 

«  Pour  enivrer  tes  sens  de  la  volupté  pure, 

«  Dont  jouit  le  beau  sexe  au  bras  de  la  nature. 

«  Mais  quoit  tant  de  plaisir  a  pour  toi  peu  d'appas, 

«  Tu  souffres,  Jupiter!...  Que  ne  souffre-t-on  pas, 

«  Pour  sauver  le  doux  fruit  d'une  amante  adorée  ? 

«  Par  l'ardeur  de  tes  feux  malgré  toi  dévorée, 

«  D'amertume  toujours  le  plaisir  est  mêlé, 

«  Mais  tu  vas  embrasser  le  fils  de  Sémélé.  » 

A  ces  mots,  Jupiter  transporté  de  colère, 

Fait  pour  saisir  Junon  un  effort  salutaire, 

Et  tandis  que  des  yeux  il  la  menace  en  vain, 

De  la  cuisse,  en  chantant,  sort  Bacchus,  Dieu  du  vin. 

Accouchement  gémellaire  de  Léto.  —  L'infatigable  Zeus 
ayant  mis  à  mal  Léto,  fille  de  Kœos  et  de  Phœbé,  Léto  fut  bientôt, 
elle  aussi,  forcée  d'élargir  sa  ceinture.  Jalousie  et  colère  de  la  femme 
légitime,  Héra,  qui  fait  jurer  à  la  Terre  de  ne  donner  à  Léto  aucune 
retraite  pour  faire  ses  couches;  de  plus,  cette  jalouse,  par  trop  rancu* 


L'OBSTETRIQUE    ET    LE     CULTE 


15 


nière,  dépêche  aux  trousses  de  la  malheureuse  un  monstre  affreux, 
le  serpent  Python,  qui  doit  la  harceler  sans  merci. 

L'auteur  de  l'hymme  homérique  à  Apollon  Délien  énumère  longue- 
ment toutes  les  contrées  d'où  Léto,  sur  le  point  d'enfanter,  fut  sans 
cesse  chassée. 

Mais  enfin  Poséidon,  touché  de  compassion,  fait  émerger  l'île  de 
Délos,   l'une  des  Cyclades,  où  Léto  parvient  à  se  réfugier,  près  du 


Fig.  10.  —  Accouchement  de  Léto,  d'après  un  vase  antique. 

mont  de  Cynthos,  sur  les  rives  de  l'Inope,  et,  appuyée  contre  un  pal- 
mier (1)  (fig.  10),  selon  les  uns,  un  laurier  ou  un  olivier,  suivant 
d'autres,  elle  y  accouche  premièrement  d'Artémis,  qui,  en  sage- 
femme  précoce,  aide  elle-même  sa  mère  à  se  délivrer  d'Apol- 
lon (2). 
Telle  était  la  tradition  vulgaire.  La  tradition  ionienne,  rapportée 


(1)  «  Un  vieux  palmier  sur  lequel    s'appuya   Léto  pour  accoucher,  lui   servit  de 
sage-femme  »  dit  Nonnus  dans  ses  Dionysiaques. 

(2)  L'Ilithyie  égyptienne,  Bubastis,  rendit  le  même  service  à  sa  mère  Isis. 


16  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

par  l'hymne  homérique  que  nous  citons  plus  haut  et  suivie  par 
Callimaque  est  différente  :  «  Neuf  jours  et  neuf  nuits,  Léto  fut 
déchirée  de  douleurs  désespérées.  Les  déesses  les  plus  illustres, 
Dioné,  Rhéa,  Thémis,  Ichnaea  (1)  et  la  retentissante  Amphitrite, 
étaient  autour  d'elle,  toutes  hormis  Héra  aux  bras  blancs  ;  seule 
Ilithyie,  l'arbitre  des  douleurs,  n'avait  rien  appris.  Elle  était  assise 
sous  une  nuée  d'or  au  plus  haut  de  l'Olympe,  retenue  par  les  artifices 
et  la  jalousie  de  Héra.  Les  autres  déesses  envoyèrent,  de  l'île  riante, 
Iris,  afin  qu'elle  ramenât  Ilithyie,  promettant  à  celle-ci  un  grand 
collier  de  neuf  coudées,  noué  de  fil  d'or.  Elles  avaient  ordonné  à  Iris 
de  l'appeler  à  l'insu  de  Héra,  de  peur  qu'en  partant  elle  ne  fût 
détournée  par  ses  discours.  Lorsque  l'agile  déesse,  aux  pieds  légers 
comme  le  vent,  les  eut  entendues,  elle  s'élança  rapidement  ;  et 
bientôt  elle  eut  franchi  l'espace.  A  peine  arrivée  au  séjour  des  dieux, 
à  POlympe  escarpé,  elle  se  hâta  d'appeler  Ilithyie  à  la  porte  du 
palais  ;  et  lui  adressant  des  paroles  rapides,  elle  lui  dit  tout  ce  que 
lui  avaient  prescrit  les  déesses  habitantes  de  l'Olympe,  et  lui  touche 
le  cœur.  Elles  partent,  semblables  en  leur  marche  à  de  timides 
colombes.  Aussitôt  qu'Ilithyie,  arbitre  des  douleurs,  atteint  Délos, 
l'enfantement  saisit  Léto,  elle  se  sent  près  daccoucher,  elle  jette 
ses  deux  bras  autour  d'un  palmier,  et  appuie  ses  genoux  sur  le 
tendre  gazon  :  et  la  terre  au-dessous  d'elle  sourit  et  l'enfant  bondit  à 
la  lumière.  Or  toutes  les  déesses  jetèrent  un  cri  de  joie  (2).  Alors, 
ô  cher  Phœbos,  les  déesses  te  lavèrent  d'eau  limpide,  purement  et 
chastement,  et  elles  te  donnèrent  pour  langes  un  voile  blanc,  léger, 
frais  tissu,  et  elles  l'assujettirent  avec  une  ceinture  d'or.  La  mère 
n'allaita  pas  Apollon,  au  glaive  d'or  ;  mais,  de  ses  mains  immortelles, 
Thémis  lui  fit  goûter  le  nectar  et  l'aimable  ambroisie  et  Léto  se 
réjouit  d'avoir  donné  le  jour  à  un  fils,  puissant  archer  ». 

L'accouchement  de  Léto  fait  l'objet  du  dixième  Dialogue  marin  de 
Lucien  :  le  railleur  suit  la  tradition  courante  qui  fait  deux  jumeaux 
d'Apollon  et  d'Artemis  (3). 


(1)  Ce  surnom  de  la  déesse  de  la  justice  Bemble  signifier  :  Celle  qui  suit  à  la 
trace  le  crime. 

(2)  Comparer  Theognisia  Puissant  Phœbos,  quand  t'enfanta  une  vénérable  déesse, 
Léto,  quaml  embrassant  de  ses  mains  délicates  le  tronc  du  palmier,  près  du  marais 
arrondi,  elle  lit  naître  en  toi  le  plus  beau  des  immortels,  la  grande  Délos  se 
remplit  tout  eutière  d'une  odeur  divine,  la  terre  immense  sourit  ;  et  jusque  dans 
ses  abîmes  se  réjouit  la  mer  aux  vagues  blanchissantes  ». 

(3)  lîi'inarquons  qu'une  tradition  assez  répandue  faisait  naître  Apollon  et  sa 
sœur,  non  plus  a  Délos,  mais  près  d'Ephèse,  sur  les  bords  du  Cenchrios,  dans  le 
bois  sacré  d'Ortygia. 


l'obstétrique  et  le  culte  17 

Iris.  —  Poséidon,  cette  île  errante  (1),  qui,  détachée  de  la  Sicile,  nage 
encore  cachée  sous  les  eaux,  Zeus  ordonne  que  tu  la  fixes  sur  le  champ; 
il  veut  que  tu  la  fasses  monter  à  la  surface  des  flots,  qu'elle  apparaisse 
visible  au  milieu  de  la  mer  Egée  et  arrêtée  sur  une  base  inébranlable  : 
il  en  a  besoin. 

Poséidon.  —  Il  va  être  obéi,  mais  à  quoi  lui  servira-t-elle,  Iris,  quand 
devenue  visible,  elle  cessera  d'être  flottante  ? 

Ihis.  — Léto  doit  y  venir  accoucher  :  elle  commence  à  ressentir  avec 
force  les  douleurs  de  l'enfantement. 

Poséidon.  —  Eh  quoi  !  le  ciel  n'est -il  pas  un  bon  endroit  pour  accou- 
cher? ou  bien  à  défaut  du  ciel,  n'a-t-on  pas  toute  la  terre  pour  recevoir 
les  enfants  de  Léto  ? 

This  —  Non  vraiment,  Poséidon  ;  Héra,  par  un  serment  terrible,  a  fait 
promettre  à  la  Terre  de  ne  donner  aucun  asile  à  Léto  en  travail  :  mais 
cette  île  n'est  pas  comprise  dans  le  serment  puisqu'elle  n'a  pas  encore 
paru. 

Poséidon. —  J'entends.  Ile,  arrête-toi;  sors  une  seconde  fois  de 
l'abîme,  ne  sois  plus  emportée  par  les  vagues,  demeure  immobile,  et 
reçois,  île  bienheureuse,  les  deux  enfants  de  mon  frère,  les  plus  beaux 
des  dieux.  Et  vous,  Tritons,  transportez-y  Léto  :  que  le  calme  règne  de 
toutes  parts.  Quant  au  serpent  qui  la  poursuit  et  l'effraye,  les  petits 
enfants,  nés  à  peine,  l'attaqueront  et  vengeront  leur  mère.  Va,  Iris, 
annonce  à  Zeus  que.  tout  est  prêt  :  Delos  est  fixée  ;  que  Latone  y  vienne 
et  mette  au  jour  ses  enfants. 

Accouchement  de  Léda.  —  Tous  les  poissons  sont  ovipares 
à  l'exception  d'un  seul,  la  blennie  vivipare;  tous  les  mammifères  ont 
été  et  sont  vivipares,  à  l'exception  de  la  seule  Léda  ou  la  femme 
ovipare. 

Les  plus  anciens  textes  ignorent  cette  fable  étrange  des  œufs  de 
Léda.  Suivant  l'hymme  homérique  aux  Dioscures,  Castor  et  Pollux 
auraient  été  deux  fœtus  normaux,  résultat  d'un  commerce  charnel 
entre  Zeus  et  Léda.  Si  l'on  suit  Pindare,  l'accouchement  gémellaire 
de  Léda  aurait  présenté  un  cas  de  superfétalion  ;  celle-ci,  en  effet, 
ayant  reçu  dans  la  même  nuit,  les  embrassements  de  Tyndare,  son 
époux  légitime,  et  ceux  de  Zeus,  Castor  serait  né  du  mari,  Pollux  de 
l'amant  (2).  Plus  tard  on  transforma  l'amant  en  cygne,  lors  de  sa 
visite  à  Léda  ;  celte  imagination  mythologique  a  souvent  inspiré  les 
artistes,  qui  se  sont  plu  à  reproduire  l'oiseau  divin,  soulevant  à  demi 
les  ailes  et  allongeant  son  col,  pour  caresser  le  corps  de  son  amante. 


(1)  Délos 

(2)  Cf.  Hercule  et  Iphiclès. 

HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS. 


18  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Mais  alors  le  modus  coeundi  aurait  été  aussi  fantastique  que  dans 
l'union  fameuse  de  la  carpe  et  du  lapin.  Les  Grecs,  soucieux  de 
mettre  le  sens  commun  dans  l'absurde,  racontaient  tout  simplement 
que  Léda  avait  pris  la  forme  d'une  oie  (ordre  des  palmipèdes,  famille 
des  anatides  ou  lamellirostres)  pour  s'unir  à  son  cygne  (même  ordre, 
même  famille)  ;  on  voit  donc  que  le  naturaliste  Aristote  aurait  été 
en  droit  de  déclarer  que  les  Dioscures  étaient  des  métis  produits  par 
le  croisement  de  deux  espèces  du  genre  anas.  Bref,  Léda  mit  au 
monde  un  œuf  (fig.  11),  dont,  au  bout  de  neuf  mois,  la  coque  fut 
brisée  par  deux  jumeaux,  les  léporides  de  l'ornithologie  ;  suivant 
une  autre  version,  elle  enfanta  deux  œufs  :  de  l'un  sortit  Hélène,  de 
l'autre  les  Dioscures.  L'incubation  avait-elle  été  naturelle  ou  arti- 
ficielle? Les  mythographes  sont  muets  sur  la  question. 


Fie.  11.  —  Naissance  de  Castor  et  Pollux,  d'après  J.  Romain. 

Superfétation  et  accouchement  laborieux  d'Alcmène. 

—  Tout  le  monde  connaît  la  mésaventure  du  Thébain  Amphitryon; 
les  comiques  grecs  s'étaient  de  bonne  heure  jetés  sur  celle  grasse 
matière;  Plaute  imita  les  Grecs;  Molière  ayant  imité  Plaute,  nous 
n'insisterons  pas  sur  les  débuts  du  conte.  Donc  s  en  va-t-en  guerre 
le  sire  Amphitryon  ;  il  laissait  enceinte  Alcmène,  son  épouse  chaste  et 
fidèle.  Bientôt  arrive  à  Thèbes  Zens,  toujours  gaillard;  il  se  présente 
sous  les  espèces  d'Amphitryon,  et,  se  plaisant,  sans  doute  par  hasard, 
aux  chemins  frayés,  fête  Alcmène  d'olympienne  façon.  Du  jeu  avec 
l'époux  légitime  avait  été  déjà  conçu  Iphiclès;  le  jeu  avec  l'époux 
supposé  met  Iphiclès  à  l'étroit  en  lui  adjoignant  le  puissant  Héraclès, 
celui  que  nous  appelons  Hercule.  Naturellement,  fureur  de  Héra  : 
croire  à  l'innocence  d'une  rivale,  une  femme  ne  saurait.  Conclusion  :  de 
parla  volonté  de  liera,  Alcmène  ne  pourra  accoucher.  Après  sept  jours 
et  sept  nuits  de  souffrances,  Alcmène  invoque  Lucine;  celle-ci  vient, 
mais,  gagnée  par  Junon,  au  lieu  de  favoriser  l'accouchement  elle  s'y 
oppose  au  moyen  de  pratiques  singulières  que  nous  rapporte  Ovide  : 


L  OBSTETRIQUE   ET    LE    CULTE 


19 


Utque  meos  audit  gemitus,  subsedit  in  illa 
Ante  fores  ara,  dextroque  apoplite  lœvum 
Pressa  genu,  digitis  inter  se  pectine  junctis, 
Sustinuit  nixus;  tacita  quoque  carmi7ia  voce 
Dixit;  et  inceptos  tenuerunt  carmina  partus  (1). 

Dès  qu'elle  entendit  mes  plaintes,  elle  s'assit 
Près  de  l'autel,  devant  la  porte  et  sur  son  genou  gauche 
Croisant  sa  jambe  droite,  entrelaçant  strictement  ses  doigts, 
Paralysa  mes  efforts  ;  puis,  d'une  voix  sourde  elle  murmura 
Des  charmes  qui  suspendirenl  le  travail  commencé. 

Heureusement  une  des  servantes,  la  blonde  Galanthis,  se  douta  de 
quelque  chose  en  voyant  celte  inconnue  toujours  immobile  à  la  même 
place  (fig.  12).  Pour  la  décider  à  partir  elle  lui  dit  :  «  Qui  que  tu  sois 


L  Fio.  12.  —  Accouchement  d'Alemène,   (Figuru  tirée  des    Métamorphoses  d'Ovide,  de  RenouarJ.) 

rends  grâce  aux  dieux  ;  Alcmène  vient  d'accoucher  heureusement.  » 
Lucine  dans  sa  surprise,  se  lève  et  desserre  ses  doigts  entrelacés  : 


(1)  Ovide.  Métam.,  liv.  IX,  v.  297  et  suiv. 


21) 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


aussiiùl  Alcmène  est  délivrée.  La  déesse,  se  voyant  jouée,  punit 
Galanthis  de  son  mensonge  en  la  changeant  en  belette,  pour  qu'elle 
enfantât  par  la  bouche  d'où  était  sorti  le  mensonge  qui  l'avait 
abusée  (1). 

On   sait  comment  Hercule  se  vengea   d'IIéra  ;  encore  enfant,  le 


I'ig._13.  —  L'allaitement  d'Héraclès,  d'après  le  tableau  de  Tintoret". 

héros,  déjà  vorace,  la  surprit  pendant  son  sommeil  et  se  jeta  si  gou- 
lu ment  sur  ses  mamelles  que,  des  deux,  le  lait  jaillit  avec  force  et,  se 
répandant  à  travers  le  ciel,  forma  celte  traînée  lumineuse  qu'on 
appelle  la  voie  lactée  (fîg.  13). 


(1)  Les  Anciens  s'imaginaient  que  la  belette  faisait  ses  petits  par  la  bouche. 


l'obstétrique  et  le  culte  21 

Naissance  d'Asclépios(l).  —  Appollon  était  un  dieu  coureur 
et  jaloux. Parmi  les  belles  nymphes  dont  il  fut  l'amant,  les  Thessaliens 
citaient  Coronis,  fille  de  Phlégyas.  Coronis  portait  dans  ses  flancs  un 
fils  d'Apollon,  quand  elle  s'éprit  de  l'Arcadien  Ischys  et  se  livra  à 
lui.  Le  dieu  fut  informé  de  celte  infidélité  par  un  corbeau  qu'il  avait 
chargé  de  veiller  sur  la  vertu  de  sa  maîtresse  :  gardien  plus  incor- 
ruptible encore  que  le  plus  vigilant  des  eunuques  !  Le  dieu  irrité, 
ordonna  à  sa  sœur  Artémis  de  tuer  Coronis,  qui  tomba  percée  de 
flèches  dans  Lakéria  ;  suivant  d'autres,  il  dépêcha  lui-même  la  cou- 
pable et  son  complice.  Toutefois,  au  moment  où  le  cadavre  de  l'infi- 
dèle était  sur  le  bûcher,  Apollon  accourut  et  arracha  l'enfant  du  sein 
de  sa  mère  à  demi  consumée.  Cet  enfant  était  Asclépios,  éponyme 
des  Asclépiades,  notre  père  à  tous,  mes  chers  confrères!  Apollon, 
d'ailleurs,  regretta  bientôt  sa  vengeance,  et  pour  punir  le  corbeau 
délateur,  il  le  changea  de  blanc  en  noir.  Pussent  cet  exemple,  et  la 
crainte  d'une  métamorphose  en  nègre  hideux,  protéger  le  sérail  con- 
tre les  indiscrétions  des  eunuques  blancs  ! 

Naissance  d'Adonis.  —  Les  mythes  venus  d'Orient  nous  pré- 
sentent souvent  l'union  incestueuse  d'un  père  et  de  sa  fille.  La  légende 
d'Adonis,  sous  sA  forme  grecque,  dénote  par  plus  d'un  détail  son 
origine  asiatique  :  Myrrha  et  les  filles  de  Loth  sont  de  même  race. 
Quoi  qu'il  en  soit,  voici  la  tradition  hellénisée  :  «  On  racontait  que 
Myrrha,  fille  de  Cinyras,  roi  de  Chypre,  poursuivie  par  la  colère 
d'Aphrodite  qu'elle  avait  refusé  d'honorer,  était  tombée  amoureuse 
de  son  propre  père  et  s'était  unie  à  lui  sans  qu'il  pût  s'en  douter.  Ins- 
truit bientôt  de  sa  honte,  il  veut  châtier  sa  fille  et  la  poursuit,  Cépée 
nue,  mais  les  dieux  ont  piLié d'elle,  et  la  métamorphosent  en  l'arbuste 
qui  porte  la  myrrhe,  smyrna.  Au  bout  de  neuf  mois,  l'arbre  s'entrouvre 
(fig.  14)  et  donne  naissance  à  un  enfant  d'une  singulière  beauté  : 
c'était  Adonis  »  (2). 

Que  le  produit  de  la  conception  se  comporte  sous  l'écorce  d'un  bal- 
samodendron  comme  dans  la  matrice  de  la  mère,  c'est  un  fait  rare 
assurément  ;  n'oublions  pas,  toutefois,  que  les  crapauds  vivent  à 
l'aise  dans  les  pierres...  dit-on. 

Naissance  d'Orion  —  Une  fausse  étymologie  du  nom  de  ce 
géant  avait  été  l'origine  d'une  fable  assez  malpropre.  Cette  fable  plaçait 


(l)Esculape. 

(2)  Decharme.  Mythologie  de  la  Grèce  antique. 


00 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


la  naissance  d'Orion  en  Béolie,  à  Ilyria  (Ouria  suivant  le  dialecte  béo- 
tien). Le  héros  éponyme  de  cette  bourgade,  Hyrieus  ou  Ourieus  avait 
reçu,  un  jour,  magnifiquement,  dans  sa  maison  de  Tanagre,  Zeus, 
Poséidon  et  Hermès.  Reconnaissants,  les  trois  Olympiens  permirent 
à  leur  hôte  d'exprimer  un  souhait.  Il  demanda  un  fil?,  mais  sans  avoir 
l'ennui  d'avoir  une  femme.  Les  dieux  firent  apporter  la  peau  d'un 
bœuf  fraîchement  immolé  et,  tout  comme  l'Onan  biblique,  semenin 
iîlud  effuderunt,  â«6<ncép(i7iorav  eU  aùtr)v,  dit  Paléphate.  Cette  peau  fut 


lu..  ]  i.  —  Naissance  d'Adonis.  (Figure  tirée  des  Métamorphosa  d  Ovide,  de  Renouard.) 

ensuite  enfouie  dans  la  terre,  et  au  bout  de  dix  mois  il  en  sortit  un 
enfant  qui,  au  lieu  d'être  appelé  anépp.*,  semen,  reçut  le  nom  de  Oùptav, 
puis  celui  d'ûpttov,  dérivés  l'un  et  l'autre  d'oupov,  urine.  Orion  fut  placé 
plus  tard  parmi  les  constellations.  Il  est  inutile  d'ajouter  que  cette 
constellation  est  pluvieuse.  C'est  en  fécondant  Gœa  ou  la  Terre,  par 
le  même  procédé,  qu'Hcphœstos  engendra  Erichtonios  dont  le  corps 
finissait  en  serpent  (1). 


(1)  Hephœstos  lui-même  était  difforme  ;  cela  tenait,  disaient  les  niythographes,  à 
ce  qu'il  fut  conçu  pendant  qu'Héra,  sa  mère,  avait  ses  règles. 


l'obstétrique  et  le  culte 


23 


Autres  naissances  fabuleuses.  Monstres  mytholo- 
giques. —  Suivant  Pausanias,  Déméter  eut  de  son  frère  Poséidon, 
dans  la  même  couche,  une  fille,  dont  le  nom  n'était  connu  que  de  ceux 
qui  étaient  initiés  aux  mystères,  et  le  cheval  Arion.  C'est  sous  la 
forme  d'un  cheval,  que  le  même  Poséidon  viola  Méduse  ;  quand  Persée 
coupa  la  tête  de  Méduse,  nous  en  avons  vu  sortir  (Fig.  7)  un  cheval 
ailé,  Pégase,  et  Chrysaor,  père  lui-même  de  Géryon  (fig.  15),  le  géant 
tricéphale,  et  de  la  terrible  Echidna,  monstre  moitié  femme,  moitié 
serpent.  De  l'union  d'Echidna  avec  Typhaon  sont  sortis  la  Chimère, 


Fig.  15.  —  Geryon,  d'après  une  peinture  antique. 


le  dragon  de  Colchos,  l'hydre  de  Lerne,  etc.  Cronos  eut  delà  nymphe 
Philyre,  le  centaure  Chiron  (fig.  16).  Le  minotaure  (fig.  17),  monstre 
moitié  homme,  moitié  taureau,  est  issu  de  la  passion  de  Pasiphaé, 
femme  de  Minos,  pour  un  taureau  blanc;  Aphrodite  et  Hermès  don- 
nèrent naissance  à  Hermaphrodite  (fig.  18).  La  fable  est  peuplée  de 
géants  (fig,  19),  de  cyclopes  (fig.  20),  de  satyres  (fig.  21),  de  sirènes 
(fig.  22)  et  de  monstruosités  de  toute  sorte  telles  que:  les  quatre  têtes 
de  Brahma  (fig.  2)  ;  les  bras  multiples  deQuanwon,  divinité  japonaise 
(fig.  23),  ceux  de  l'Ixora  des  Indous  (fig.  24),  dont  le  fils,  Quene- 
vadi,  a  une  tête  d'éléphant  (fig.  25);  les  têtes  d'animaux  d'un  dieu  des 
anciens  Haïtiens  (fig.  26),  etc.  Enfin  diverses  naissances  mythiques 
ont  lieu  sans  fécondation,  par  la  métamorphose  d'animaux  ou  objets 
inanimés  :  Prométhée  forme  l'homme  du  limon  de  la  terre  ;  Deuealion 


21 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Ct  Pyrrha,  après  !e  déluge,   îepcuplent  le  monde  en  jelanl  derrière 


Ot.LANGLS.SiL, 


Fie.  1G.  —  Le  i  enlaure  Cliiron  faisant  lViluration  d'Achille,  d'après  le  tubli  n  i 
de  J.-B.  Renault. 


eux  des  pierres  qui  se  transforment  en  hommes  ou  en  femmes  ;  les 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


25 


dents  du  dragon,  semées  par  Cadmos,  deviennent  des  hommes  armés; 
les  Myrmidons  sortent  d'une  fourmilière  (1). 


Fig.  17.  —  Thésée  combattant  le  Minotaure,  d'après  un  médaillon  antique. 


Fig.  1S.  —  Hermaphrodite,  d'après  une  statue  antique  du  Musée  du  Louvre. 


Fig.  19.  —  Géant  mythique,  d'après  une  pierre  gravée  antique  du  Musée  du  Louvre. 


(1)  Les  divinités  romaines  proprement  dites,  qui  n'étaient  guère  que  des  abstrac- 
tions, ne  nous  offrent  rien  de  curieux  sur  le  sujet  qui  nous  occupe. 


95 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


27 


Fio.  21.  —  La  nymphe  et  les  satyres,  d'après  Fragonard. 


Fig.  22.  —  Sirène,  d'après  un  camée  antique. 


28 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


F.c.  23.  —  Quanwon,  divinité  japonais  . 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


29 


Fig.  24.  —  Ixora,  divinité  indoue. 


Fig.  25.  —  Quenevadi,  fils  d'Ixora. 


30 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


B.    —   DIVINITÉS   INVOQUÉES    PAR  LES    ANCIENS    DANS    LES 
ACCOUCHEMENTS 


De  tout  temps  les  femmes  enceintes  ou  en  travail  ont  supplié  cer- 
taines divinités  de  leur  venir  en  aide  et  d'abréger  leurs  souffrances. 
Dans  le  Rig-Veda,  recueil  d'hymmes  indous  qui  remonte  au  moins 


Fia,  26.  —  Divinité  adorcSe  autrefois  à  llaiti. 


à  1500  ans  avant  Jésus-Christ,  nous  trouvons  déjà  cette]  invoca- 
tion: «  Maître  des  bois  sacrés,  sors  de  ta  prison  comme  l'enfant  sort 
de  la  matrice  de  sa  mère.  0  Aswius,  écoutez  mon  invocation  et  déli- 
vrez Saptawadhri...  Porté  pendant  10  mois,  sors  du  sein  de  ta  mère 
enveloppé  par  les  membranes  internes.  Le  jeune  enfant  est  resté  dix 


L OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


31 


mois  dans  le  sein  de  sa  mère  ;  qu'il  en  sorte  vivant  et  fort,  que  le  fils 
et  la  mère  vivent  heureux  »  (1). 

En  Scandinavie,  on  croyait  autrefois  que  les  fées,  appelées  Volas 
ou  Valas,  et  les  Meyar  ou  Maïas,  nymphes  toujours  vierges,  assis- 
taient aux  accouchements  laborieux  et  aidaient,  par  leurs  incanta- 
tions (galdrar),  les  femmes  en  couches.  Les  Kymris  partageaient  la 
même  croyance. 

Gharlevoix,  dans  son  Histoire  de  Saint-Domingue,  dit  que  les  anciens 
naturels  de  cette  île  adoraient  plusieurs  pierres  en  forme  de  croix  qu'ils 
appelaient  Zemez.  Chacun  de  ces  fétiches  avait  des  attributions  diffé- 
rentes ;  l'un  d'eux  protégeait  les  femmes  enceintes  et  leur  assurait  un 
accouchement  heureux. 


Fig.  27.  —  Déesse  de  la  Maternité, 
chez  les  Gaulois  (■_>). 


Fig.  28.  —  Ex-voto  païen  eu 
terre  cuite  (2). 


Les  Gaulois  avaient  aussi  une  déesse  delà  Maternité  (fig.  27),  à 
laquelle  ils  offraient  des  ex-voto  (fig.  28). 


(1)  Dareruberg-.  Recherches  sur  l'état  de  la  médecine  durant  la  période  primitive 
de  l'histoire  des  Indous. 

(2)  Figures  tirées  de  Paris  à  travers  les  âges.  Diclot.  édit. 


32 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


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Quant  aux  divinités  obstétricales  des  Egyptiens,  des  Grecs  et  des 
Romains,  elles  vont  être  l'objet  d'une  étude  spéciale. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


33 


Divinités  égyptiennes.  -  «  LesHat-Hor,  dit  M.  Maspero  (1), 
comme  les  fées  du  moyen  âge,  se  pressaient  autour  du  lit  des  accou- 
chées et  attendaient  la  venue  de  l'enfant  pour  l'enrichir  ou  le 
ruiner  de  leurs  dons.  Les  bas-reliefs  du  temple  de  Louqsor  et  ceux 
d'un  temple  d'Esneh  nous  les  montrent  qui  jouent  le  rôle  de  sages- 
femmes  auprès  de  la  reine  Mout-em-ouat,  femme  de  Tahout-mès  IV 
(fig.  29),  et  auprès  de  la  fameuse  Cléopâtre.  Les  unes  soutiennent  la 


Fio.  30.  —  Neith  soutenant  Isis,  allaitant  Hoius. 
(Figure  tirée  des  Monuments  d'Egypte,  de  Champollion. 


jeune  mère  et  la  raniment  par  leurs  incantations  ;  les  autres  reçoivent 
le  nouveau-né,  se  le  passent  de  main  en  main,  lui  prodiguent  les  pre- 
miers soins  et  lui  présagent  à  l'envi  toutes  les  félicités.  »  D'autres 
déesses,  fort  nombreuses,  et  en  particulier  Neith  (fig.  30)  et  Anouké 
(fig.  31),  présidaient  aussi  aux  naissances.  Mais  la  véritable  déesse 
des  accouchements,  d'après  Maspero,  était  Nekiiab,  que  Champol- 
lion appelle  Soven.  Les  Egyptiennes  s'adressaient  encore  à  Bastit, 


(I)  Les  Contes  populaires  de  l'Egypte  ancienne,  1882. 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


3i 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


fille  d'Isis,  et  à  Isis  elle-même,  qu'invoquaient  les  Grecques  de  l'épo- 
que postérieure  (1).  Nekbab  était  représentée,  le  plus  souvent,  sous 
la  forme  d'un  vautour  ou  bien  avec  la  lele  de  cet  oiseau  recouverte  d'un 
diadème  ou  de  longues  bandelettes,  tenant  un  arc  et  des  flècbes  à  la 


Fig.  3],   —   La  déesse  Anouké  allaitant  Harnshabi.  (Teinture  d'un  temple  de  la  Nubie.) 


main.  Quant  à  Isis,  elle  était  figurée  sous  les  aspects  les  plus  varia- 
bles (fig.  32,  33,  34,  35,  36).  Les  Grecs  qui,  dès  l'époque  d'Hérodote, 
avaient  identifié  Isis  avec  leur  Io,  expliquaient  cette  forme  en  rappe- 
lant celle  qu'avait  prise  la  fille  d'Inachos,  poursuivie  par  Héra. 


(1)  Les  Romaines, en  gésine  adressaient  aussi  leurs  vaux  à  Isis.  Ovide  (Métam. 
lit».  l,fab.  V),  la  fait  apparaître  en  songe  à  Téléthuse  pour  lui  annoncer  un  heureux 
accouchement  et,  ailleurs  (Amor.  lib.  II,eleg.  XIII),  il  la  prie  de  protéger  la  gros- 
sesse de  Corinne,  sa  maîtresse. 


L  OBSTÉTRIQUE    ET  LE    CULTE 


35 


Fig.  32.  —  Isis,  déesse  de  la  Fécondité. 


Fie.  33.  —  Isis  allaitant  Horus. 


36 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Fie.  34.  —  Isis  allaitant  Ilorus. 


Fie.  35.  —  Isis  avec  une  tôle  de  lion. 


L  OBSTETRIQUE   ET   LE   CULTE 


37 


Divinités  Grecques.  —  Chez  les  Hellènes,  la  divinité  spéciale 
qui  préside  à  la  naissance  de  l'enfant,  c'est  Ilithyia.  Dans  Homère, 
tout  un  groupe  de  divinités  porte  ce  nom  ;  filles  d'Héra,  la  déesse 
protectrice  des  mariages  féconds,  elles  ne  personnifient  que  les  dou- 
leurs de  l'enfantement,  «  les  traits  aigus  qui  percent  et  déch/rent  le 


Fig,  30.  —  Isis  sous  la  forme  d'une  femme  ayant  une  tète  de  vache. 

corps  de  la  femme  en  travail  »  (1)  ;  elles  sont  fatales  plutôt  que  se- 
courantes. 

«  Après  Homère,  dit  M.  Decharme,  ce  groupe  de  divinités  se  sim- 
plifie :  il  se  réduit  à  une  seule  personne:  Ilithyia,  fille  d'Héra  et  de 


(1)  Iliade,  XI,  269. 


38 


HISTOIRE    DES  ACCOUCHEMENTS 


Zeus,  sœur  d'IIébé  et  d'Ares.  Cette  déesse  de  l'accouchement  était, 
suivant  Olen,  la  mère  d'Éros,  dont  on  aperçoit  sans  peine  le  rapport 
avec  elle.  Le  vieux  poète,  dans  l'hymne  qu'il  avait  composé  en  son 
honneur,  lui  appliquait  l'épithète  de  eulinos  (celle  qui  file  bien),  la 
confondant  ainsi,  comme  le  remarque  Pausanias,  avec  la  Parque  de 
la  vie;  il  ajoutait  qu'elle  est  plus  ancienne  que  Cronos,  voulant  si- 
gnifier par  là  que  l'œuvre  de  la  génération  remonte  aux  origines 
mêmes  des  choses.  A  Tégée,  elle  personnifiait  la  femme  qui  enfante  ; 
on  l'y  avait  surnommé  Auge  à  genoux,  parce  qu'Auge  (l'Aurore)  à 
qui  on  l'identifiait,  avait  mis  au  jour  Télèphe  en  s'agenouillant  :  pos- 
ture qui  était  supposée  faciliter  l'accouchement.  » 

A  ^Egion,  les  statues  d'Ilithyia  la  représentaient  dans  une  attitude 
expressive,  dont  les  monnaies  de  cette  ville  nous  ont  conservé  l'i- 
mage (fig.  37). 


Fia.  37.  —  Hithyia,  d'après  une  monnaie  d'^Egion. 


Les  femmes,  pendant  les  douleurs  de  l'enfantement,  lui  consacraient 
des  hastes  ou  javelots  et  lui  sacrifiaient  des  génisses  pour  obtenir 
une  heureuse  délivrance  ;  les  Argiennes,  d'après  Plutarque,  lui  of- 
fraient un  chien. 


L OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


39 


D'autres -divinités  usurpaient,  en  certains  pays  grecs,  les  fonctions 
d'Ilithyia  :  Héra  qui,  débarrassée  de  tous  les  défauts  humains  que 
lui  attribuait  la  fantaisie  des  poètes,  était  le  type  divin  de  l'épouse, 


Fie.  38.  —  Héra  allaitant  le  dieu  Mars  (Musée  Pio  Clémentine)). 

portait  en  Argolide  et  en  Attique  le  surnom  d'Ilithyia  ;  d'anciens  mo- 
numents la  figurent  les  ciseaux  à  la  main  et  avec  les  attributs  de 
la  sage-femme.  On  la  représentait  aussi  allaitant  le  dieu  Mars 
(fig.  38). 


Artémis  (fig.  39),  dont  une  tradition  nous  a  appris  les  précoces 
dispositions  pour  l'art  obstétrical,  puisqu'à  peine  née  elle  aidait  sa 
mère  à  mettre  au  monde  Apollon,  était  aussi,  en  quelques  lieux,  une 
divinité  secourable  pour  les  femmes  en  travail.  On  peut  s'étonner  de 
voir  cette  déesse  présider  aux  enfantements,  quand,  témoin  des  dou- 
leurs maternelles,  elle  conçut  une  telle  crainte  du  mariage,  qu'elle 
obtint  de  Zeus  la  grâce  de  garder  une  virginité  éternelle.  A  Ephèse, 
Artémis  n'est  plus  la  vierge  dorienne  ;  c'est  une  mère  nourricière 
dont  la  poitrine  est  couverte  de  mamelles  (fig.  39).  Sous  cette  forme, 
elle  peut  sans  rougir  se  donner  comme  une  déesse  delà  fécondité. 
Elle  est  coiffée  du  polos,  les  deux  mains  étendues,  et  son  corps  est 
enfermé  dans  une  gaine  sculptée  de  têtes  d'animaux. 


■10 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Divinités  Romaines.  —  La  religion  des  Romains  était,  comme 
on  le  sait,  un  mélange  assez  confus  d'emprunts  faits  à  la  mythologie 


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Fie.  39.  —  Artémis  d'Ephèse,  d'après  une  statue  en  albâtre  oriental    du  musée  de  Naples. 


hellénique  et  de  traditions  de  dogmes  indigènes  ;  eux-mêmes  assi- 
milaient volontiers  leurs  propres  dieux  à  ceux  qu'ils  avaient  reçus  de? 
Hellènes.  Aussi,  nul  doute  que  quelque  Romaine  n'ait  invoqué  II ï— 


l'obstétrique  et  le  culte  41 


Ihyia,  ou  fiera,  ou  Artémis,  au  moment  critique.  «  Elles  font  V amour 
en  grec  »,  disait  Juvénal  ;  elles  pouvaient  aussi  bien  accoucher  en 
grec.  Horace,  dans  son  Carmen  seculare,  nomme  Ilithyia  parmi  les 
déesses  tutélaires,  et  la  confond  d'ailleurs  avec  Lucine. 

Rite  maturos  aperire  partus, 
Lenis  Ilithyia,  tuere  matrcs, 
Sive  tu  Lucina  probas  vocari, 
S  eu  Genitalis. 

Toi  qui  ouvres  les  enfantements  mûrs, 
Douce  Ilithyia,  protège  les  mères, 
A  moins  que  tu  ne  préfères  être  appelée  Lucine, 
Ou  Genitalis. 

La  déesse  latine  officiellement  chargée  du  service  des  accouche- 
ments était  Junon,  celles  que  les  Romains  identifiaient  à  tort  avec 
Héra. 

Sous  le  nom  de  Junon  Lucina  (1),  cette  divinité  était  l'objet  d'un 
culte  superstitieux,  «  d'un  culte  de  femme  en  couches  »  dit  assez  spi- 
rituellement Preller.  Juno  Lucina  fer  opem,  serva  me,  obsecro, 
s'écrie  la  courtisane  Glycerium  en  travail  d'enfant  dans  Térence(2). 

Properce  exprime  non  moins  énergiquement  les  vœux  faits  à  Lucine 
par  une  femme  en  travail  : 

Idem,  ego  cum  Cinarœ  traheret  Lucina  dolores, 

Et  facerent  uteri  pondéra  lenta  moram: 
«  Junoni  votum  facite  impetrabile,  »  dut; 
Illaparit  (3). 

Moi-même,  comme  Lucine  prolongeait  les  douleurs  de  Cinara, 

Et  que  le  travail  de  l'utérus  subissait  un  retard  : 
«  Faites  à  Junon  un  vœu  qu'elle  exaucera,  »  m'écriai-je; 
Aussitôt  elle  accoucha. 


(1)  On  lui  donnait  encore  le  surnom  de  Solvizona,  ou  dénoueuse  de  ceintures, 
parce  que  dès  qu'une  femme  se  croyait  gros.-e,  elle  devait  déposer  sa  ceinture  dans 
le  temple  de  cette  déesse.  Catulle  fait  allusion  à  cet  usage  dans  ce  vers  : 

Çuod  zonam  solvit  d/'u  ligatam. 

Elle  a  dénoué  sa  ceinture  longtemps  attachée. 

Quelques  auteurs,  un  peu  tr6^)  ingénieux,  font  dériver  notre  mot  enceinte  de  cette 
coutume . 

(2)  Andr.  Act.  III,  Scène  I. 

(3)  Properce,  IV,  r. 


42  IIISTOIIlE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Tout  le  monde  connaît  l'invocation  à  Lucine  de  la  vie  Eglogue  de 
Virgile,  celle  où  l'on  a  cru  voir  un  pressentiment  de  la  naissance  de 
Jésus-Christ  : 

Tu  modo  nascenti  puero,  quo  ferrea  primum. 
Desinet,  ac  toto  surget  gens  aurea  rnundo, 
Casta,  fave,  Lucina  :  tuus  jam  régnât  Apollo. 

A  l'enfant  qui  vient  de  naître,  par  qui  l'âge  de  fer 
Va  cesser,  et  l'âge  d'or  surgir  pour  le  monde  entier, 
Souris,  chaste  Lucine:  déjà  règne  ton  Apollon. 

L'invocation  consistait  à  appeler  par  trois  fois  la  déesse  : 

Quœ  laborantes  utero  puellas 

Ter  vocata  audis,  adimis  que  letho  (1). 

Toi  qui,  appelée  trois  fois,  entends  les  femmes 
En  travail  d'enfant,  et  les  arraches  à  la  mort. 

La  pièce  suivante  de  Ronsard  mentionne  cette  coutume  : 

Toy,  déesse  Lucine, 

Requise  par  trois  fois, 

De  la  vierge  en  gésine 

Tu  exauces  la  voix, 

Et  desserres  la  porte 

Au  doux  fruict  qu'elle  porte. 

Tu  as  de  la  Nature 
La  clef  dedans  les  mains, 
Tu  donnes  l'ouverture 
De  la  vie  aux  humains  ; 
Et  des  siècles  avares 
Les  faultes  tu  répares. 

Dans  les  cas  laborieux,  la  parturiente  était  obligée  d'aller  jusqu'à 
sept  appellations.  Si  ses  vœux  étaient  exaucés,  elle  offrait  en  sacrifice, 
à  la  déesse  bienfaisante,  des  gâteaux,  de  l'argent,  une  jeune  brebis, 
ou,  d'après  Senèque,  dans  un  des  chœurs  de  sa  Méde'e,  une  génisse 
au  corps  blanc  comme  neige  : 

Lucinam   nivei   feminsLmcorporis 
Intenta  jugo  placct. 

(1)  Horace.  Odes,  III,  xxn. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


43 


La  victime  devait  être  une  truie,  si  le  sacrifice  tombait  le  premier 
jour  du  mois.  De  plus,  Servius  Tullius  avait  institué  l'usage  de  dépo- 
ser une  pièce  de  monnaie  dans  les  temples  de  Lucine  à  la  naissance 
de  tout  garçon.  C'était  le  denier  de  Lucine! 

On  représentait  Junon  Lucine  tantôt  en  costume  matronal,  tenant 
une  pique  de  la  main  gauche,  et,  de  la  main  droite,  une  patère  sup- 
portant un  enfant  (fîg.  40)  ;  tantôt  une  main  tendue,  comme  pour  rece- 
voir le  nouveau-né,  et  un  flambeau  à  l'autre  main  :  c'est  ainsi  que 
Rubens  la  représente  dans  son  tableau  de  la  Naissance  de  Marie  de 


Fia.  40.  —  Junon  Lucine, 


Médicis  (fîg.  41)  ;  tantôt  assise,  tenant  de  la  main  droite  une  fleur,  qui 
ressemblait  à  un  lis,  portant  un  enfant  emmailloté  sur  le  bras  gauche, 
et  couronnée  de  dictame  (fîg.  42),  plante  supposée  favorable  aux  accou- 
chements; tantôt  enfin,  elle  était  figurée  tenant  d'une  main  un  fouet  et 
de  l'autre  un  sceptre  (fîg.  44).  Ce  fouet  était  l'emblème  d'un  heureux 
accouchement  ;  il  rappelait  les  Lupercales,  pendant  lesquelles  des 
jeunes  gens  couraient,  à  travers  Rome,  avec  de  grands  fouets  dont  ils 


M 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


frappaient  le  ventre  des  femmes  enceintes  qui  désiraient  une  couche 
favorable.  L'instrument  avec  lequel  ils  donnaient  cette  espèce  de  dis- 


F.g.  41. —  La  naissance  de  la  Reine,  d'après  Rubeas. 


cipline  était  une  peau  de  chèvre,  qu'on  prétendait  avoir  servi  de  vête- 
ment à  Junon. 


L OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


45 


Demoustier  rappelle  cette  coutume  en  de  petits  vers  assez  ridi- 
cules : 

Alors  doux  ou  trois  cents  bandits, 
N'ayant  que  leur  peau  pour  habits, 
Couraient,  avec  des  cris  farouches, 
Chez  les  épouses  des  Romains, 
Leur  frappant  le  ventre  et  les  mains, 
Pour  empêcher  les  fausses  couches. 


Fig.  42.  —  Le  sacrifice  à  Junon  Luciae,   d'après  A.  F.  Callet,  1791. 


Dans  une  médaille  de  Faustine  la  Jeune,  on  représente  encore 


40 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


Lucine  debout,  avec  un  enfant  sur  le  bras  gauche  et  deux  autres  à 
ses  côtés  (fig.  44). 

Elle  avait  son  temple  près  des  Esquilies,  non  loin  des  Carènes  et 
deSuburre  ;  il  était  entouré  d'un  bois  sacré  dont  Ovide  fait  le  théâtre 
d'une  légende  assez  curieuse  :  les  Sabines,  enlevées  par  les  Romains, 
étant  restées  stériles,  les  couples  allèrent  en  pèlerinage  au  bois  de 
Junon  Lucina;  une  voix  retentit  au  haut  des  arbres,  indique  un  re- 
mède, et  les  Sabines  s'arrondissent.  C'est  absolument  le  bois  dont  parle 
la  chanson  :  On  y  va  deux,  on  en  revient  trois. 

Ilithyia  chez  les  Grecs  opérait  seule  :  la  Lucine  des  Romains  avait 
sous  ses  ordres  quantité  de  génies  femelles  qui,  au  fond,  réduisaient 
son  rôle  à  celui  d'une  simple  surveillante.  Supposons,  en  effet,  que 


Fig.  43.  ■ —   Junon  Lucine,  d'après 
une    médaille  antique. 


Fig.    Ai.  —  Junon    Lucine,    d'après 
une   médaille  de  Faustine. 


Mena,  la  préposée  aux  menstrues,  n'ait  plus,  pendant  neuf  mois,  qu'à 
se  croiser  les  bras,  Junon  Lucina  se  chargera  bien  elle-même,  sous 
le  nom  de  Fluonia,  d'empêcher  les  hémorrhagies  utérines  pendant 
la  grossesse  ;  sous  celui  d'OssiPAGA,  de  consolider  les  os  du  fœtus  ; 
sous  celui  d'OpiGENA,  de  favoriser  son  expulsion  :  mais  c'était 
Alemona  qui  nourrissait  l'embryon;  c'étaient  Nona  et  Décima  qui 
veillaient  aux  deux  derniers  mois  de  la  grossesse  ;  c'étaient  deux  divi- 
nités mâles,  Vitumnus  et  Sentinus,  qui  donnaient  à  l'enfant  la  faculté 
de  vivre  et  de  sentir.  Et  lors  de  l'accouchement  même,  la  fidèle  Par- 
tula  accompagnait  la  maîtresse-ventrière.  Et  pour  la  manœuvre,  que 
d'aides  de  toute  espèce  !  Candelifera  allume  les  cierges  ;  les  deux 
Carmentes  récitent  les  formules  magiques,  en  attendant  le  repas  que, 


l'obstétrique  et  le  culte  47 

pendant  les  couches,  on  lear  servira  dans  une  chambre  isolée  (1).  Si 
la  tête  de  l'enfant  se  présente  d'abord,  intervient  une  nommée  Prorsa  ; 
si  ce  sont  les  pieds,  c'est  Postverta.  La  nymphe  Egérie  ne  dédai- 
gnait pas  d'accourir,  et  avec  elle  Uterina  et  Portuta,  et  Numeria, 
et  même  une  vieille,  vieille  déesse,  Natis,  qui  péniblement  arrivait 
d'Ardée  en  Latium.  Enfin,  après  les  couches,  Februa  sera  là  pour 
délivrer  la  mère  de  l'arrière-faix  et  diriger  les  purgations. 

Le  dieu  Sylvain,  avait  la  réputation  d'aimer  à  persécuter  les 
femmes  en  couches.  Intercidona,  Pilumnus,  Deverra  préservaient 
la  jeune  mère  contre  les  insultes  de  cette  grossière  divinité  ;  l'un 
frappait  le  seuil  à  coups  de  hache,  l'autre  y  appliquait  des  coups  de 
pilon,  le  troisième  le  balayait,  afin  d'empêcher  Sylvain,  par  ces  trois 
opérations,  de  pénétrer  clans  le  logis.  Les  Parques  (2)  protégeaient 
aussi  la  nouvelle  accouchée  contre  les  attentats  de  Sylvain,  et  pour 
éloigner  ce  mauvais  génie,  on  pendait  une  tête  d'âne  couronnée  au 
lit  de  la  femme. 

Junon  Lucine  avait  une  rivale  dans  Génita  Mana  :  cette  dernière, 
dont  le  culte  est  assez  obscur,  semble,  en  effet,  avoir  exercé  une 
grande  influence  sur  les  enfantements.  On  lui  sacrifiait  un  jeune 
chien  à  la  mamelle,  mets  digne  des  dieux,  suivant  Pline,  et  on  lui 
adressait  cette  prière  :  Que  de  tout  ce  qui  naît  dans  la  maison,  rien 
ne  devienne  bon!  Cette  prière  s'entendait-elle  non  des  personnes,  mais 
des  chiens  qui,  pour  défendre  la  maison,  doivent  être  méchants?  Le 
mot  bon  aurait-il  signifié  les  morts,  et  aurait-on  ainsi  demandé  à  la 
déesse  que  rien  de  ce  qui  naissait  dans  la  maison  ne  vint  à  mourir  ? 

Junon  Lucine  avait  une  concurrence  plus  sérieuse  dans  trois  dieux 
accoucheurs  d'origine  grecque  ou  peut-être  syrienne,  les  Nixi  Du  (3). 
On  appelait  de  ce  nom  trois  statues  agenouillées  qu'on  voyait  au 
Capitule,  devant  la  nef  consacrée  à  Minerve,  elles  avaient  été  rap- 
portées de  Syrie  par  le  consul  Ocilius,  après  la  défaite  du  roi  An- 


(1)  Cette  coutume  existait  autrefois  chez  les  Bretons  :  ils  dressaient  une  table 
abondamment  servie,  avec  trois  couverts,  pour  engager  les  fées  à  être  favorables 
au  nouveau-né  et  à  le  douer  de  nombreuses  qualités. 

(2)  En  Scandinavie,  les  Parques  présidaient  aussi  aux  accouchements  ;  on  les 
appelaient  les  trois  Nomes,  et  au  lieu  de  LaeJicsis,  Clotho  et  Atropos,  on  leur  don- 
nait les  noms  de  Udr,  Verdandi  et  Skuld,  c'est-à-dire  le  Passé,  le  Présent  et  l'Avenir. 
«  Les  Nornes,  dit  A.  Maury,  assistent  dans  Bralundr,  aux  couches  de  Borghilda, 
reine  des  Danois,  et  annoncèrent  la  haute  fortune  que  le  sort  réservait  à  Helg 
l'Haddingicide  ». 

(3)  Cf.  Ovide,  au  livre  IX  des  Métamorphoses  : 

Zucinam  Nixosque  pari  clamore  vocaoam  : 
J'invoquais  d'un  même  cri  Lucine  et  les  Nixes. 


48  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


tiochus.  C'est  sans  doute  leur  atlitude  latonienne  qui  leur  a  donné 
la  confiance  des  femmes  enceintes  (1).  Avant  de  les  invoquer,  il  était 
nécessaire  de  se  laver  les  mains  et  de  se  découvrir  la  tête.  Voilà  des 
dieux  bien  exigeants  sur  l'étiquette  ! 

La  déesse  de  la  chasse  et  des  bois,  Diane,  vieille  divinité  italienne, 
qu'on  adora  plus  tard  à  côté  d'Apollon  comme  l'Artémis  des  Grecs, 
avait,  elle  aussi,  une  action  bienfaisante  sur  les  accouchements.  Au 
fameux  temple  d'Aricia,  sur  le  lac  de  Némi,  les  femmes  allaient 
demander  des  couches  heureuses,  et  apportaient,  en  signe  de  recon- 
naissance, des  bandelettes,  des  tableaux  votifs,  des  flambeaux,  des 
cierges  enflammés. 

Diane  Lucifera  (ûg.  45)  est  identifiée  avec  la  lune  et  serait,  pour 
cette  raison,  la  patronne  des  accouchées.  Mais  que  vient  faire  la  lune 
dans  les  accouchements?  Est-ce  en  raison  de  l'influence  illusoire  de 
cette  planète  sur  le  sexe  des  enfants  et  sur  les  fonctions  intimes  de  la 
femme  ?  Mauriceau  ne  parle-t-il  pas  même  d'un  caractère  lunatique  ? 
Est-ce  encore  parce  que  les  anciens  voyaient  une  certaine  analogie 
entre  les  phases  de  la  lune  et  le  développement  progressif  du  ventre 
dans  la  grossesse?  Ou  bien  n'y  a-t-il  là  qu'un  simple  rapprochement 
entre  la  fonction  d'éclairer  la  nuit  et  celle  de  faire  paraître  l'enfant  à 
la  clarté  du  jour?  Ou  bien  enfin,  les  actes  de  la  génération  n'ont-ils 
pas  l'astre  lunaire  pour  témoin?  Quoiqu'il  en  soit,  et  si  singulière 
que  paraisse  cette  attribution  d'accoucheuse  à  la  chaste  déesse,  le 
fait  n'en  est  pas  moins  vrai.  Les  mylhographes  l'expliquent  en  rappe- 
lant que  Latone  était  accouchée  d'elle  sans  douleur.  Martial  a  fait 
allusion  à  Diane-Lucine  dans  l'épigramme  XIII  du  livre  des  Spec- 
tacles, à  propos  d'une  truie  qui,  blessée  d'un  javelot,  au  cirque,  avait 
immédiatement  mis  bas  : 

Experta  est  numen  moriens  utriusque  Dianse. 
dit-il  ; 

Elle  éprouva  en  mourant  la  divinité  des  deux  Dianes. 
c'est-à-dire  de  la  Diane  chasseresse  et  de  la  Diane  accoucheuse. 


(1)  M.  A.  Dastre,  dans  une  étude  sur  les  Anesthésigucs  (Revue  des  Deux-Mondes, 
15  décembre  18S0),  donne  une  raison  assez  satisfaisante  de  cette  intervention  des 
DU  Nlxi  :  «  L'enfantement  exige  la  participation  active  de  la  femme  ;  ses  efforts 
volontaires  sont  nécessaires  pour  la  terminaison  du  travail.  C'est  là  ce  qu'entendaient 
les  Romains  lorsqu'ils  imaginaient  que  des  divinités  mâles,  les  Efforts,  DU  Niai, 
prêtaient  leur  active  assistance  à  l'enfantement,  sous  la  surveillance  de  Lucine  et 
des  femmes,  seules  admises  à  cette  mystérieuse  opération  ». 


L'OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


49 


Un  singulier  cumulétaitcelui  deMATUTA:  déesse  desports,  elle  s'oc- 
cupaitaussi  d'obstétrique.  Mon  Dieu  !  de  nos  jours,  plusd'unmédecinde 
marine  s'est  fait  une  réputation  d'accoucheur. N'est-ce  pas,M.Pénard? 


Fig.  45.  —  Diane  Lucifera. 


Fig.  46.  —  Hécate  (Musée  Pio  Clémentine-). 


Enfin  Faunus,  que  les  Romains  assimilaient  au  Pan  hellénique, 
était  encore  un  dieu  précieux  aux  dames  Romaines.  On  célébrait  en 
son  honneur  les  Lupercales,  dont  nous  avons  déjà  parlé. 

A  la  naissance  d'un  Romain  présidaient,  on  le  voit,  plus  de  fées  que 
Perrault  n'en  amène  autour  du  lit  où  la  reine  met  au  monde  la  Belle 
au  Bois  Dormant. 

Intervenait  ensuite  toute  une  nouvelle  série:  en  l'honneur  d'Opis, 
la  terre,  notre  mère  à  tous,  on  déposait  sur  le  sol  le  nouveau-né;  en 
le  relevant,  Levana  témoignait  de  sa  légitimité.  Puis  Deus  Vagi- 
tanus  ouvrait  la  bouche  à  l'enfant  pour  lui  faire  pousser  son  pre- 
mier vagissement.  Les  deux  déesses  Cunina  et  Rumina  ou  Rumilia  (1) , 

(1)  Son  nom  vient  de  Ttuma  qui  anciennement  voulait  dire  mamelle.  Il  n'entrait 
pas  de  vin  dans  ses  sacrifices,  les  libations  ne  s'y  faisaient  qu'avec  du  lait.  Plutarque 
dit,  dans  les  Questions  romaines,  que  cette  déesse  ne  voulait  pas  qu'on  lui  offrit  du 
vin  parce  qu'il  était  pernicieux  au  nouveau-né. 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


50 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


(fîg.  47]  protégeaient,  l'une  le  berceau,  l'autre  le  sein  de  la  mère  ou  de 
la  nourrice. 

La  déesse  Nundina  intervenait  le  neuvième  jour,  date  importante, 
où  l'enfant  recevait  son  nom,  sa  bulle  et  certains  talismans  contre 
les  sortilèges. 

Une  troisième  catégorie  de  dieux  et  de  déesses  veille  à  la  jeunesse 
délicate  de  l'enfant;  après  le  sevrage,  Potina  et  Educa  accoutument 
l'enfant  à  boire  et  à  manger  ;  Cuba  le  fait  passer  du  berceau  dans  un 


lit  ;  Statanus  lui  apprend  à  se  tenir  ;  Farinus  à  pousser  des  sons 
indistincts,  en  attendant  que  Fabulinus  lui  enseigne  la  parole  arti- 
culée et  Locutius  le  langage  parfait.  Enfin  d'autres  génies  ulriusquc 
sexus  éveillent  en  lui  les  facultés  de  l'âme,  l'accompagnent  à  l'école, 
jusqu'au  moment  où  Juventas  et  Fortuxa  s'emparent  de  sa  per- 
sonne. 


l'obstétrique  et  le  culte  51 


PRATIQUES  RELIGIEUSES    CONCERNANT    LES    ACCOUCHEMENTS    CHEZ 
LES  INDOUS. 


Les  lois  de  Manou,  le  législateur  mythique  de  l'Inde,  nous  donnent 
certaines  prescriptions  religieuses  concernant  la  grossesse  et  les 
accouchements.  Ainsi  une  femme  enceinte  de  deux  mois  ou  plus  avait 
le  privilège  de  ne  pas  payer  de  droit  pour  le  passage  d'une  rivière. 
Après  une  fausse  couche,  il  faut  à  la  femme  pour  être  purifiée  autant 
de  nuits  qu'il  s'est  écoulé  de  mois  depuis  la  conception.  Avant  la 
section  du  cordon  ombilical,  une  cérémonie  est  prescrite  à  la  nais- 
sance d'un  enfant  mâle  :  on  doit  lui  faire  goûter,  dans  une  cuiller  en 
or,  du  miel  et  du  beurre  clarifié,  en  récitant  certaines  paroles  sacrées. 
Dans  le  quatrième  mois,  il  faut  sortir  l'enfant  de  la  maison  où  il  est 
né  pour  lui  faire  voir  le  soleil  ;  vers  le  sixième  mois,  lui  donner  à 
manger  du  riz. 

Dans  la  Perse  et  dans  l'Hindoustan,  les  Guèbres  ou  Parsis  obser- 
vent encore  les  prescriptions  de  Zoroastre,  contenues  dans  le  Boun- 
dehec,  deuxième  partie  du  Zend-Avesta  rédigée  en  pehlvi  ;  le  Sad-der, 
division  du  Boundehec,  expose  ainsi  les  obligations  imposées  aux 
nouvelles  accouchées.  -Nous  donnons  la  traduction  d'Anquetil-Du- 
perron  : 

Porte  LXXV.  —  Si  une  femme,  récemment  accouchée,  jette  la  vue 
sur  du  feu,  elle  commettra  un  péché  évalué  quinze  direms.  Si  elle  en 
approche  de  quinze  pas,  il  ne  sera  que  de  douze  direms.  Si  elle  fait  trois 
pas  sur  la  cendre  embrasée,  son  péché  sera  de  douze  cents  direms.  Si 
elle  s'assied  sur  l'eau,  tu  dois  savoir  que  son  péché  sera  quinze  fois  plus 
grand  ;  ou  plutôt  il  le  surpassera  de  douze  cents  fois.  Elle  ne  doit  pas 
fixer  les  yeux  sur  le  soleil,  ni  s'entretenir  de  choses  déshonnêtes  avec 
les  hommes.  Deux  femmes  en  gésine  ne  doivent  pas  coucher  ensemble; 
sers-lui  à  manger  dans  des  plats  de  plomb.  Qu'elle  se  souvienne  de  ne 
pas  jeter  les  yeux  vers  le  ciel,  ni  marcher  pieds  nus  sur  la  terre.  Elle 
ne  doit  pas  toucher  des  mains  le  pain  qu'elle  mange,  ni  remplir  plus 
qu'à  demi  le  vase  qu'elle  emploie  pour  boire.  Qu'elle  tienne  pendant 
qu'elle  boit,  les  mains  toujours  renfermées  dans  ses  manches  ;  et  qu'elle 
les  enveloppe  d'un  morceau  de  drap,  afin  qu'elle  ne  s'expose  pas  à  verser 
de  l'eau  sur  sa  peau.  C'est  surtout  pendant  le  repas  qu'elle  doit  se  rappe- 
ler ce  précepte.  Une  femme  enceinte  ne  doit  pas  s'asseoir  au  soleil,  de 
crainte  que,  dans  l'été,  la  chaleur  de  cet  astre  ne  l'incommode.  Quand 


52  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


une  femme  sent  les  douleurs  de  l'enfantement,  quoiqu'elle  se  soit  puri- 
fiée ce  jour-là,  qu'elle  ne  se  lave  pas  la  tête  avant  trois  jours.  Qu'elle 
attende  môme  encore  après  être  délivrée  neuf  autres  jours,  jusqu'à  ce 
que  son  parfait  rétablissement,  ne  laissant  plus  rien  à  craindre  pour  sa 
vie,  elle  puisse  se  laver  la  tête  pour  purifier  son  âme.  Si  sa  convales- 
cence dure  vingt-neuf  jours,  elle  tiendra  la  même  conduite.  Qu'elle 
passe  trois  jours  entiers,  et  qu'elle  se  lave  ensuite  la  tête.  Si  l'on  doute 
si  elle  est  sur  le  point  d'accoucher  ou  non,  qu'elle  se  prépare  néan- 
moins une  robe,  qui  doit  avoir  certaines  conditions,  pour  remplir  les 
vœux  de  la  religion.  Si  elle  est  véritablement  dans  les  maux  qui  annon- 
cent l'accouchement,  que  cette  robe  soit  pure,  afin  que  la  malade  ne 
succombe  pas  à  sa  douleur.  Si  elle  a  un  fils  à  la  mamelle,  elle  doit 
aussi  faire  faire  une  robe  à  son  intention.  Lorsque  l'enfant  aura  reçu 
de  son  lait,  elle  doit  s'appliquer  à  lui  apprendre  à  obéir.  Qu'elle  lave 
sa  tête  avec  celle  de  son  enfant.  Une  femme  nouvellement  accouchée, 
souille,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  tout  ce  qui  s'offre  à  ses  yeux.  Si  elle 
regarde  un  plat  servi  sur  une  table,  il  doit  être  incontinent  purifié.  On 
doit  en  faire  autant  de  l'eau  qu'elle  aurait  fixée.  Si  elle  pose  les  mains 
sur  un  chardon,  on  le  verra  aussi  promptement  se  faner  et  se  sécher, 
que  s'il  eût  été  déraciné.  Si  son  regard  tombe  sur  une  pièce  d'indienne, 
elle  perdra  aussitôt  sa  couleur  et  sa  beauté.  Qu'elle  se  prépare  donc, 
surtout  pendant  les  trois  premiers  jours  qui  suivront  ses  couches,  de 
tout  péché  et  de  toute  imprudence. 

Porte  LXXVIII.  —  Peines  prononcées  contre  ceux  qui  touchent  à 
ce  qui  peut  appartenir  à  un  cadavre,  ou  a  une  femme  en  couches.  — 
N'approche  ni  de  la  bière  qui  contient  le  mort,  ni  de  celle  où  il  a  été 
lavé.  Tu  ne  dois  pas  moins  éviter  de  toucher  à  tout  bois  teint  du  flegme 
et  du  sang  que  répand  une  femme  en  couches,  ainsi  que  de  celui  où 
elle  aura  posé  le  pied  ;  car  tout  cela  peut  souiller  tes  habits.  Ne  brûle 
pas  même  ces  sortes  de  bois  ;  mais  transporte-les  au  loin;  car  personne 
ne  les  achètera  de  ta  main,  puisqu'ils  ne  peuvent  être  d'aucun  usage. 

Porte  LXXXVI.  —  Devoirs  imposés  aux  femmes  enceintes  et  nou- 
vellement accouchées.  —  La  loi  ordonne  à  la  femme  qui  vient  d'accou- 
cher, de  cesser  de  se  laver  la  tête,  pendant  vingt  et  un  jours.  Si,  après  ce 
terme,  elle  croit  n'avoir  rien  à  craindre,  qu'elle  se  lave  ;  elle  doit  éviter 
de  mettre  la  main  à  aucun  ouvrage,  pour  que  son  intelligence,  son 
esprit  et  sa  prudence,  ne  soient  pas  mis  en  défaut  ;  qu'elle  ne  pose  pas 
le  pied  sur  le  seuil  de  la  porte.  Que  pendant  quarante  jours  elle  ne 
touche  à  rien  de  bois  ou  de  terre.  Qu'elle  ne  s'occupe  pas  à  faire  bouillir 
sa  marmite.  Après  ces  quarante  jours,  qui  exigent  de  sa  part  la  plus 
grande  précaution,  qu'elle  se  purifie .  Qu'elle  ne  voie  aucune  autre  femme 
avant  l'expiration  de  ce  terme,  car  ce  serait  un  grand  péché.  Si  la 
femme  qu'elle  visite  est  enceinte,  il  est  certain  que  le  lait  de  la  nou- 


l'obstétrique  et  le  culte  53 


velle  accouchée  nuira  au  fœtus  que  celle-là  porte  dans  son  sein  ;  ce  qui 
rendrait  coupables  le  père  et  la  mère  de  l'enfant.  Ne  l'expose  donc  pas 
au  danger. 

Si  tu  es  dans  le  doute  si  ta  femme  est  enceinte,  tu  peux  facilement 
approfondir  ce  mystère.  Si,  depuis  le  moment  dont  tu  soupçonnes  sa 
grossesse  jusqu'au  quatrième  jour,  elle  a  eu  ses  indispositions  périodi- 
ques, dis  qu'elle  ne  l'est  pas,  puisqu'il  est  certain  qu'une  femme  en  cet 
état,  n'a  pas  ses  menstrues.  Ne  fais  aucune  violence  à  une  femme 
enceinte.  Examine  bien  sérieusement  si  elle  l'est,  afin  qu'elle  puisse 
prendre  les  précautions  convenables  à  son  état.  Une  femme  grosse  doit 
se  ménager,  et  fixer  son  séjour  dans  un  lieu  solitaire  et  retiré.  Apprends 
que  ces  devoirs  ne  sont  pas  d'une  médiocre  importance. 

Porte  LXXXVII.  —  Devoirs  imposés  à  une  femme  qui  s'est  blessée. 
—  Une  femme  qui  se  sera  blessée,  doit  être  transportée  auprès  du  feu 
sacré,  pour  la  purifier  pleinement,  par  les  cérémonies  de  la  religion,  des 
souillures  qu'elle  peut  avoir  contractées.  On  ne  doit  pas  lui  donner 
d'eau  à  boire,  pendant  trois  jours,  pour  ne  pas  l'exposer  à  mourir.  Au 
même  instant  que  cette  femme  a  été  délivrée,  tu  dois  commencer  à  prier 
pour  elle  dans  le  temple  :  ce  que  tu  continueras  pendant  trois  jours. 
Lorsque  l'enfant  sera  sorti  du  sein  de  sa  mère,  laisse  le  nu  pendant  plus 
d'une  heure,  donne  lui  ensuite  de  l'eau  à  boire,  car  peut-être  en  vou- 
dra-t-il  goûter.  Après  les  quarante  jours,  une  femme  ainsi  délivrée  doit 
se  laver  la  tête,  et  faire  pénitence.  Si  le  fœtus  n'a  pas  quatre  mois,  il  est 
sans  âme  ;  quand  on  le  trouve  glacé  dans  l'amnium,  avant  trois  mois, 
on  ne  doit  pas  manquer  de  le  montrer  à  un  chien.  Il  faut  ensuite  rem- 
plir un  bassin  d'eau  lustrale,  où  deux  personnes  le  laveront.  Si  l'embryon 
devient  blanc,  il  sera  placé  au  rang  des  cadavres,  et  sa  mère  tenue  de 
faire  pénitence.  S'il  est  rouge  ce  n'est  qu'une  masse  de  sang.  Mais 
quelle  est  alors  la  pénitence  que  la  mère  doit  faire?  Si  l'avortement 
arrive  trois  mois  après  la  conception,  apporte  toute  la  circonspection 
possible  à  ce  que  tu  dois  faire  à  ce  sujet.  Prends  bien  garde,  toi  qui 
es  versé  dans  nos  mystères,  de  t'exposer  à  quelque  danger  :  car  notre 
religion  nous  défend  de  ne  rien  faire  dont  la  fin  soit  équivoque.  Une 
femme  qui  éprouve  un  avortement,  se  lavât-elle  la  tête  dix  mille  fois 
d'eau  lustrale,  ne  sera  jamais  purifiée;  parce  que  ses  souillures  ne  sont 
pas  dans  l'extérieur  de  son  corps.  Elles  sont  dans  la  moelle  de  ses  os, 
dans  ses  veines  et  dans  ses  entrailles.  N'oublie  pas  cela,  situ  veux  être 
sage.  L'eau  peut,  à  la  vérité,  purifiera  l'extérieur;  mais  la  religion  peut 
seule  effacer  les  taches  de  lame.  Une  personne  qui  oublierait  ces 
maximes  importantes  ne  serait  certainement  pas  purifiée.  Tout  ce  qui 
tomberait  même  sous  ses  mains,  l'eau,  le  feu,  les  aliments,  tout  serait 
souillé.  Chaque  action  que  fera  une  femme  qui  se  serablessée,  ajoutera  au 
nombre  de  ces  prévarications.  C'est  une  vérité  que  tu  dois  sérieusement 
méditer.  Si  elle  touche  à  l'un  des  plats  du  festin,  tous  ceux  que  l'on  ser- 


;>1  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


vira  sur  la  table,  se  corrompront  aussitôt,  et  exhaleront  une  odeur  fétide 
et  empestée,  comme  si  quelque  mégère  les  eut  empoisonnés  de  son 
haleine  infernale.  Qu'elle  fasse  donc  incessamment  une  pénitence  publi- 
que, et  qu'elle  rachète  ses  péchés,  en  donnant  au  clergé  neuf  morceaux 
de  jayet.  Qu'elle  se  lave  aussi  trois  fois  la  tête,  d'eau  lustrale,  pendant 
trois  jours  ;  et  alors  elle  n'aura  plus  à  craindre  le  talent  funeste  qu'elle 
avait  de  tout  souiller  sous  ses  mains.  » 

Le  onzième  jour,  celui  des  relevailles,  «  on  donne  au  blanchisseur, 
dit  Dubois  (1),  tous  les  linges  et  vêtements  qui  ont  servi  durant  cette 
période,  et  la  maison  est.  purifiée...  On  fait  ensuite  venir  un  brahme  (2), 
pourohita.  L'accouchée,  tenant  son  enfant  dans  les  bras  et  ayant  à 
côté  d'elle  son  mari,  va  s'asseoir  sur  une  espèce  d'estrade  en  terre, 
dressée  au  milieu  de  la  maison  et  couverte  d'une  toile.  Le  pourohita 
s'approche  d'eux,  fait  le  sancalpa,  offre  le  poudja  au  dieu  Vignes- 
souara,  et  fait  le poum'a-ava-chana,  ou  la  consécration  de  l'eau  lus- 
trale. Il  verse  un  peu  de  celte  eau  dans  le  creux  de  la  main  du  père 
et  de  la  mère  de  l'enfant,  qui  en  boivent  une  partie  et  répandent 
l'autre  sur  leur  tête.  Il  asperge  avec  cette  même  eau  la  maison  et  tous 
ceux  qui  l'habitent,  puis  va  jeter  dans  le  puits  ce  qui  en  reste.  Enfin, 
on  donne  au  pourohita  du  bétel  et  quelque  présent,  et  il  se  retire... 
Par  cette  cérémonie,  qui  se  nomme  djatacarma,  toute  trace  de  souil- 
lure disparaît  ;  mais  l'accouchée  ne  recouvre  son  parfait  état  de  pureté 
qu'au  bout  d'un  mois;  jusque-là,  elle  doit  vivre  dans  un  lieu  isolé, 
et  n'avoir  de  communication  avec  personne  du  dehors  ». 


II.  ■ —  l'obstétrique  biblique 

A.    —    SUR  LA  NAISSANCE  DE  QUELQUES  PERSONNAGES  BIBLIQUES 


Naissance  d'Adam.  —  Dieu  créa  donc  l'homme  à  son  image;  il 
le  créa  à  l'image  de  Dieu,  et  il  les  créa  mâle  et  femelle  (3). 


(1)  Mœurs  et  institutions  des  peuples  de  l'Inde. 

(î)  Ce  nom  ne  B'applique  d'ordinaire  qu'aux  prêtres  de  Brahnia. 

(3)  Genèse,  I,  27.  Malgré  ce  passage  explicite,  Saint  Thomas  assure  que,  dans 
l'état  d'innocence,  les  hommes  se  reproduisaient  par  la  seule  intention  des  idées, 
spirituellement,  et  que  les  organes  de  la  génération  n'ont  paru  qu'après  le  péohé  > 
comme  des  marques  indélébiles  <_!< ■  la  désobéissance  du  premier  homme. 


l'obstétrique  et.  le  culte  55 

Se  fondant  sur  ce  passage  obscur  de  la  Genèse,  certains  auteurs 
croient  qu'Adam  était  hermaphrodite.  C'est  ainsi  qu'il  apparut  à  la 
sainte  veuve  Antoinette  Bourignon  et  à  son  confesseur,  Abbadie. 

Nous  aurions  voulu  donner  la  description  de  notre  premier  père, 
d'après  Antoinette  ou  Abbadie;  mais  ayant  constaté  que  l'une  avait 
écrit  dix-neuf,  l'autre  trente  volumes  de  folies,  nous  avons  reculé 
devant  les  recherches  (1).  D'ailleurs,  les  anciens  s'étaient  déjà  mis  en 
cervelle  une  bizarrerie  du  même  genre  :  Platon  vit,  dans  le  premier 
homme,  un  être  double,  comme  le  rappelle  l'auteur  de  laPucelle  : 

Ainsi  Platon,  le  confident  des  Dieux, 
A  prétendu  que  nos  premiers  aïeux, 
D'un  pur  limon  pétri  des' mains  divines, 
Nés  tous  parfaits  et  nommés  androgynes, 
Egalement  des  deux  sexes  pourvus, 
Se  suffisaient  par  leurs  propres  vertus. 

Le  philosophe  grec  a  tiré  de  cette  idée  une  ingénieuse  fiction,  pour 
expliquer  l'action  attractive  de  l'amour  sur  les  deux  sexes  :  il  sup- 
pose qu'après  avoir  créé  l'homme  double,  Dieu  le  dédoubla  ensuite 
et  que,  depuis  ce  temps,  les  deux  moitiés  tendent  sans  cesse  à  se  rap- 
procher. 

Naissance  d'Eve.  —  Le  Seigneur  Dieu  dit  aussi  :  Il  n'est  pas 
bon  que  l'homme  soit  seul,  faisons-lui  un  aide  semblable  à  lui  (2). 

Le  Seigneur  Dieu  envoya  donc  à  Adam  un  profond  sommeil  ;  et  lors- 
qu'il était  endormi,  il  tira  une  de  ses  côtes  et  mit  de  la  chair  à  la  place. 

Et  le  Seigneur  Dieu,  de  la  côte  qu'il  avait  tirée  d'Adam,  forma  la 
femme  et  l'amena  à  Adam. 

Alors  Adam  dit  :  Voilà  maintenant  l'os  de  mes  os,  et  la  chair  de  ma 
chair.  Celle-ci  s'appellera  d'un  nom  qui  marque  l'homme,  parce  qu'elle 
a  été  prise  de  l'homme  (3). 

Les  savants  qui  passent  leur  temps  à  contester  toutes  les  décou- 
vertes modernes  et  cherchent  à  prouver  que  rien  n'est  nouveau  sous 

(1)  Dans  la  Chandelle  à"  Arras,  poème  fameux  de  l'abbé  Dulaurens.  Adam,  parlant 
de  sa  naissance,  s'exprime  comme  suit  : 

Certain  Seigneur,  qui  fait  tout  avec  rien, 

Voulant  unir  le  mal  avec  le  bien, 

Fit  le  chiendent,  les  choux  et  la  lumière, 

Entre  ses  mains  pétrissant  la  matière, 

Il  fit  un  sot,  et  ce  sot  ce  fut  moi. 
(Y)  Genèse,  II,  18. 
(3)  M.  II,  21,  22,23. 


56 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


le  soleil,  ne  manqueront  pas  d'attribuer  l'origine  de  l'anesthésie  au 
Père  éternel  lui-même,  qui,  voulant  opérer  Adam  sans  douleur,  le 
plongea  préalablement  dans  un  profond  sommeil  ;  nous  leur  laissons 
le  soin  de  faire  cette  remarque  et  de  remonter  au  delà  du  déluge  si 
bon  leur  semble.  Notre  compétence  ne  s'étend  pas  jusque-là. 
Donc,  Dieu  tira  l'élément  constitutif  de  la  première  femme  de  l'un 


Fig.  48.  —  Naissance   d'Eve.    (Fac-similé  d'une  gravure  tirée   du  Chronicon  seu   historia   totius 
mundi  œtatum,  par  Hartmann  Schedel,  1493.) 

des  arcs  osseux  dont  l'assemblage  formait  les  parties  latérales  de  la 
poitrine  d'Adam  : 

Il  en  tire  une  coste,  et  va  d'elle  formant 
La  mère  des  humains,  gravant  si  dextrement, 
Tous  les  beaux  traits  d'Adam  en  la  coste  animée 
Qu'on  ne  peut  discerner  l'amant  d'avec  l'aimée  (1). 

(1)  Du  Bartas .  La  Sepmainc,  VIe  Jour. 


L OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


Notre  première  mère  fut  donc  une  côtelette.  Joli  motif  à  plaisan- 
terie pour  les  esprits  irrévérencieux  et  peu  galants  ;  ainsi,  Théophile 
Gautier,  dans  Pierrot  posthume  : 

Tout  irait  mieux,  si  Dieu  ne  l'avait  fait  d'un  geste 
Sortir  du  flanc  d'Adam,  côtelette  funeste  ! 

Un  autre  auteur  se  pose  cette  question  facétieuse  :  «  Est-ce  par  ce 
qu'elle  sort  de  la  côte  d'Adam,  mais  la  femme  est  comme  certaines 
côtelettes,  plus  on  la  bat,  plus  elle  est  tendre  ». 

Le  récit  biblique  est  l'origine  de  l'erreur  populaire  qui  attribue  à 
l'homme  une  côte  de  moins  qu'à  la  femme.  «  Celui  qui  a  pu  faire  une 
femme  avec  une  côte  »,  dit  Marchai,  de  Calvi,  «  a  bien  pu  remplacer 
une  côte  avec  n'importe  quoi  ;  outre  que,  à  supposer  que  la  côte  du 
premier  homme  n'eût  pas  été  remplacée,  cette  imperfection  a  dû  dis- 
paraître dès  la  première  génération;  on  ne  voit  pas,  en  effet,  que  les 
enfants  d'un  amputé  naissent  eux-mêmes  mutilés.  Ainsi,  il  faut  se 
rendre  à  cette  vérité  anatomique,  que  le  nombre  des  côtes  est  le 
même  chez  l'homme  et  chez  la  femme  ;  qui  en  ont  chacun  vingt- 
quatre,  douze  de  chaque  côté».  Puissamment  raisonné  et  judicieu- 
sement conclu  ! 

D'autres  versions  existent  sur  la  naissance  d'Eve  :  «  On  lit,  raconte 
de  Salgues,  clans  les  rêveries  de  nous  ne  savons  quel  rabbin,  sans 
doute  malheureux  en  ménage,  que  Dieu  ayant  enlevé  une  côte  à 
Adam,  pour  en  faire  une  femme,  et  l'ayant  posée  un  instant  près  de 
lui,  un  singe  adroit  et  malin  enleva  furtivement  la  côte,  et  se  mit  à 
fuir  à  toutes  jambes.  Un  ange  courut  après  lui  et  le  saisit  par  la 
queue;  mais  la  queue  lui  étant  restée  dans  la  main,  il  la  rapporta  au 
lieu  de  la  côte,  et,  par  suite  de  celte  méprise,  ce  fut  de  la  queue  du 
singe  que  la  femme  fut  formée.  De  là  vient  qu'elle  a  toujours  con- 
servé quelque  chose  de  sa  première  origine  ».  D'autres  citent  le 
même  conte,  en  remplaçant  le  singe  par  un  chat,  animal  égoïste, 
sournois,  fripon  et  toujours  prêt  à  jouer  de  la  griffe. 

Madagascar  a  aussi  sa  version  :  nous  nous  permettrons  ici,  en 
compagnie  d'Herbelot  (1),  une  petite  excursion  dans  le  pays  qui  nous 
envoyait  naguère  de  si  élonnants  ambassadeurs.  Voici  ce  que  racon- 
taient nos  bons  amis  les  Malgaches.  Le  premier  homme,  trompé  par 
le  mauvais  esprit,  but  et  mangea  ce  que  son  Créateur  lui  avait  dé- 
fendu; il   mastiqua,  avala,  digéra  ;  puis,  le  premier  des  chymes 

(1)  Bibliothèque  orientale . 


58  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

humains  étant  parvenu  à  la  partie  inférieure  de  l'intestin,  trouva  sans 
hésiter  la  porte  de  sortie.  Qui  fut  bien  étonné  ?  Ce  fut  notre  premier 
père.  Moins  avisé  qu'un  chat  délinquant,  il  ne  sut  cacher  sa  faute  et 
empuantit  le  céleste  séjour.  Plus  rouge  qu'une  portière,  dont  le  pail- 
lasson a  été  déshonoré  par  l'inconvenance  d'un  quadrupède,  Jehovah 
se  présente  devant  le  coupable  et,  au  lieu  de  lui  remettre  une  pelle  et 
de  la  cendre,  après  lui  avoir  préalablement  frotté  le  nez  dans  sa  faute, 
il  expulse  violemment  le  malheureux.  Peu  après,  le  premier  homme 
vit  à  l'un  de  ses  mollets  se  développer  une  tumeur  qui  augmenta 
sans  cesse  de  volume  et  s'ouvrit  au  bout  de  six  mois,  donnant  le 
jour  à  une  jeune  fille  qu'il  éleva,  puis  épousa,  sous  le  nom  de  Ra- 
honna  (1). 

Conséquences  obstétricales  de  la  faute  d'Adam.  —  Un 

accoucheur  célèbre  dans  son  temps,  Viardel,  prétend  gravement  que 
l'enfant  porte,  le  plus  souvent,  en  naissant  le  visage  tourné  vers  la 
terre,  parce  qu'il  se  sent  coupable  de  la  faute  d'Adam  et  que  son 
premier  cri  est  OA  qui  veut  dire  :  «  0  Adam  !  pourquoi  avez-vous 
péché?  »  Tandis  que  le  cri  de  la  mère  à  la  dernière  douleur  de  l'ac- 
couchement est  OE,  ce  qui  signifie  :  «  0  Eve  !  pourquoi  avez-vous 
induit  en  erreur  notre  premier  père?  »  Ingénieuse  ineptie,  rapportée 
déjà  par  Guillaume  Bouchet  dans  ses  Serées. 

Le  péché  de  nos  premiers  parents  eut,  pour  Eve  et  ses  filles,  une 
autre  conséquence  dont  nous  instruit  la  Genèse:  «  Je  multiplierai  tes 
misères  et  tes  conceptions,  tu  enfanteras  avec  douleur  ».  Et  que  la 
femme  n'essaie  pas  de  se  soustraire  à  cet  arrêt;  les  bons  chapelains, 
dont  la  Bible  est  le  Coran,  la  foudroieraient  de  leurs  malédictions. 
«  La  reine  d'Angleterre  »,  dit  V.  Hugo,  dans  les  les  Travailleurs  de 
la  mer,  «  a  été  blâmée  de  violer  la  Bible  en  accouchant  par  le  chloro- 
forme ».  Quelle  est  à  cet  égard  l'opinion  des  pieuses  clergywomen? 
Les  douleurs  de  l'accouchement  ne  sont  pas  le  propre  de  l'espèce 
humaine;  les  femelles  d'animaux  y  sont,  aussi  sujettes.  Est-ce  donc 
parce  que  jadis  une  coquette,  peu  vêtue,  a  marivaudé  avec  un  ophi- 
dien  astucieux,  que  nous  entendons,  en  ces  cas  critiques,  miauler  si 
désespérément  les  chattes  et  hurler  les  chiennes  ? 

Le  nombril  de  nos  premiers  parents.  —  On  sait  que  le 
nombril  est  la  cicatrice  formée  par  la  chute  du  cordon  ombilical,  cinq 


(1)  Lucien  parle  d'un  pays  imaginaire,  la  Gastrocnéniie,  où  les  enfants  étaient 
portés  dans  le  mollet,  et  n'en  sortaient  qu'à  l'aide  d'une  incision. 


l'obstétrique  et  le  culte  59 


ou  six  jours  après  la  naissance;  «  en  conséquence  »,  dit  Brown, 
dans  ses  Erreurs  populaires,  «  le  nombril  étant  une  partie  de  notre 
naissance,  on  ne  doit  pas  le  supposer  dans  Adam  qui  fut  formé  par 
le  Créateur,  ni  dans  Eve  qui  fut  formée  d'une  partie  d'Adam  ». 
Reinhardt,  mort  en  1790,  publia  une  dissertation  où  il  agitait  sérieu- 
sement cette  grave  question. 

Logiquement,  la  cicatrice  ombilicale  ne  devrait  pas  figurer  sur 
l'abdomen  de  nos  premiers  parents  et  cependant  les  plus  grands 
peintres,  Raphaël  et  Michel-Ange,  ont  commis  cette  faute  physiolo- 
gique. L'école  américaine  moderne,  à  l'exemple  de  J.-B.  Santerre,  ne 
l'a  point  commise.  En  effet,  nous  lisons  dans  la  Revue  politique  et 
littéraire  du  31  janvier  1885,  le  renseignement  suivant:  «  Le  chef- 
d'œuvre  de  l'école  yankee  se  trouve  dans  notre  hôtel  :  c'est  une  im- 
mense toile  qui  représente  nos  premiers  parents  dans  le  paradis  ter- 
restre. Adam  et  Eve,  grandeur  nature,  tiennent  chacun  une  moitié  de 
pomme  qu'un  serpent  à  tête  humaine  leur  conseille  de  manger;  quel- 
ques animaux,  groupés  autour  de  l'arbre  de  la  science,  commencent 
à  montrer  des  velléités  de  révolte;  l'aigle  jette  un  œil  perçant  sur  la 
timide  colombe;  le  lion  ouvre  une  gueule  énorme;  l'ours  grogne, 
c'est  certain  :  l'on  devine  qu'ils  ne  tarderont  pas  à  suivre  le  mauvais 
exemple  donné  par  la  femme.  Jusque-là  rien  de  bien  extraordinaire; 
mais  où  la  beauté  de  l'art  éclate,  c'est  dans  la  conformation  d'Adam 
et  d'Eve  :  ces  deux  ancêtres  de  l'humanité  étant  sortis  des  mains  de 
Dieu,  l'artiste  leur  a  suppriméie  nombrilet  mis  au-dessous  de  l'estomac 
une  surface  unie  comme  un  tambour.  C'est  d'un  grotesque  adorable.  » 

"Accouchement  d'Eve.   —   La  Genèse  est  d'une  sécheresse 
regrettable  au  sujet  des  accouchements  d'Eve  : 

Or  Adam  connut  Eve,  sa  femme,  et  elle  conçut  et  enfanta  Caïn,  et 
elle  dit  :  J'ai  acquis  un  homme  par  l'Eternel. 
Elle  enfanta  de  nouveau  et  mit  au  monde  Abel  frère  de  Caïn  (1). 

Sur  ce  texte  laconique,  les  anciens  rabbins  répandirent  le  flot  de  leurs 
commentaires  ;  c'est  à  eux  que  les  Mahométans  ont  emprunté  une 
tradition  qui  prêtait  à  Eve  deux  accouchements  gémellaires  successifs. 
C'était  bien  le  moins  :  la  terre  était  encore  si  peu  peuplée  !  Donc, 
ayant  mis  au  monde  Caïn  et  Aclima  sa  jumelle,  Eve,  posleriore  et 
uno  partu,  enfanta  Abel  et  Lébuda.  Adam  n'avait  pas  à  chercher 
loin  pour  établir  ses  filles  :  à  Lébuda  Caïn,  Abel  à  Aclima.  Or  Caïn 

(l)  Gen.,  IV.  1,  2. 


60 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


aimait  cette  dernière  ;  il  invoquait  les  droits  que  lui  créait  une  co- 
habitation antérieure  de  neuf  mois  ;  il  avait  durant  ce  temps  vécu 


Fig.  49.  —  La  première  naissance,  d'après  le  tableau  de  Vauchelct. 


d'accord  avec  elle  et,  par  conséquent,  leur  union  ne  pouvait  qu'être 


l'obstétrique  et  le  culte  61 


heureuse.  Pour  résoudre  le  différend,  Adam  proposa  un  sacrifice  et 
promit  Aclima  à  celui  dont  l'offrande  serait,  la  plus  agréable  au 
créateur  ;  l'épreuve  fut  favorable  à  Abel  qui  périt  victime  de  la  colère 
et  de  l'envie  de  son  frère. 

Les  rabbins  ne  sont  pas  les  seuls  qui  se  sont  avisés  de  suppléer, 
par  hypothèse,  à  l'insuffisance  de  la  Bible  ;  les  médecins  se  sont  mis 
de  la  partie.  L'accouchement  d'Eve  a  suggéré  quelques  réflexions 
médicales,  plus  ou  moins  intempestives,  de  la  part  de  certains 
savants  qui  avaient  sans  doute  du  temps  à  perdre  :  Jean-Henri 
Schultz,  professeur  à  Altorf,  a  fait,  en  latin,  une  Histoire  delà  médecine 
anté-diluvienne  (1);  sur  quels  documents  scientifiques,  nous  l'igno- 
rons. 

Ecoutons  le  docte  Schultz  :  «  Que  de  vérités  physiologiques  les 
premiers  époux  purent  apprendre,  en  s'examinant  mutuellement, 
en  s'embrassant,  en  faisant  l'amour  !  L'expérience  n'enseigna-t-elle 
pas  à  Eve  quels  sont  les  débuts,  les  progrès,  l'issue  de  la  grossesse? 
Il  est  vraisemblable  qu'Adam,  poussé  par  la  nécessité,  employa  ses 
mains,  en  vrai  accoucheur,  pour  soulager  son  amie  en  travail,  et  fit 
aussi  la  première  des  opérations  chirurgicales.  Peut-être  même  ces 
deux  premiers  êtres  virent-ils  le  premier  exemple  d'hémorrhagie  et 
s'en  étonnèrent  ;  assurément,  ils  virent  le  premier  cordon  ombilical, 
reconnurent  la  sécrétion  du  lait,  apprirent  son  usage  ;  ils  purent 
même,  s'ils  en  eurent  le  loisir,  s'élever  à  la  connaissance  du  méconium  ; 
nécessairement  ils  durent  observer  chez  leurs  enfants  les  phénomènes 
divers  de  la  croissance,  l'éruption  et  la  chute  des  premières  dents, 
l'apparition  des  dents  permanentes,  et  toutes  les  transformations 
successives  qui,  dans  les  deux  sexes,  ont  lieu  jusqu'au  moment  de  la 
puberté  :  changements  qui  ne  sont  pas  assez  insensibles  pour  ne 
pas  exciter  l'étonnement  et  ne  pas  tenir  l'esprit  suspendu  entre  l'espé- 
rance et  la  crainte.  Il  est  donc  évident  qu'après  la  physiologie,  nos 
premier  sparents  eurent  l'obligation  d'apprendre  la  pathologie  :  avec 
ces  deux  sciences  se  développa  peu  à  peu  l'hygiène  ». 

Adam  père  de  la  médecine  !  Qu'en  dis-tu,  ô  vieil  Hippocrate  de 
Cos? 

Adam   et   Eve   ont-ils  coupé    le  cordon  ?  —  D'autres 
érudits  ont  exercé   leur  sagacité  sur  une  question  des  plus  contro- 
versées :  Adam  et  Eve  ont-ils,  oui  ou  non,  coupé  le  cordon  ombilica 
de  leurs  enfants  ?  C'est  ce  que  nous  allons  examiner  avec  eux. 

(1)  Historia  medicinœ  a  rervm  initio  ad  annum  uriis  Honue,  DXXXV,  1728. 


62  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


En  1771,  J.  Astruc  a  étudié  consciencieusement  cette  question,  et 
il  en  a  donné  cinq  solutions  différentes,  sous  forme  de  réponse  à  une 
lettre  de  M.  D.  F.  B.  Sur  la  conduite  d'Adam  et  d'Eve  à  V égard  de  leurs 
premiers  enfants.  Nous  reproduisons  in  extenso  cette  dissertation 
curieuse,  encore  qu'un  peu  longue  ;  elle  montre  bien  à  quelles  futilités 
s'amusait  ce  qu'on  voulait  bien  alors  appeler  la  science  : 

Vous  voilà  donc  engagé,  Monsieur,  dans  une  dispute  avec  un  philo- 
sophe du  temps,  sur  la  manière  dont  Adam  et  Eve  se  sont  comportés  à 
l'égard  du  cordon  ombilical,  et  de  l'arrière-faix  de  leurs  premiers 
enfants.  L'ont-ils  lié  et  coupé,  comme  on  le  pratique  à  présent  ?  Mais, 
vous  a-t-on  objecté  «  comment  savaient-ils  cette  pratique  ?  Qui  la  leur 
«  avait  apprise  ?  Ils  avaient  été  créés  sans  nombril,  et  ils  n'avaient 
«  jamais  vu  naître  d'enfants  :  Ne  l'ont-ils  point  lié  et  coupé  ?  Leurs 
«  enfants  ont  donc  dû  expirer  tous.  C'est  une  vérité  reconnue  de 
«  tous  les  médecins,  et  voilà  le  genre  humain  perdu  ». 

Vous  me  marquez,  Monsieur,  que  cette  objection  vous  a  embarrassé, 
et  vous  me  priez  de  vous  indiquer  la  manière  d'y  répondre.  Mais  vous 
me  paraissez  fort  choqué  de  l'air  de  suffisance,  et  du  ton  railleur  avec 
lequel  on  vous  l'a  proposée.  Ne  savez-vous  pas  que  c'est  l'usage  de  ces 
Messieurs  ?  Pleins  de  la  sublimité  de  leurs  lumières,  ils  croyent  que  la 
plus  légère  difficulté,  qui  vient  d'eux,  doit  renverser  les  vérités  les  plus 
respectables.  Mais  ils  ne  jouissent  pas  longtemps  de  ce  vain  triomphe. 
On  leur  répond,  et  les  voilà  confondus. 

C'est  le  cas  de  celui  dont  Horace  (1)  parle  : 

Qui  fragili  quœrens  illidere  dentem, 
0 f'fendit  solido. . . 

C'est  en  particulier  le  cas  de  votre  philosophe.  Rien  de  plus  frivole 
que  son  objection.  Je  vous  envoie  trois  ou  quatre  réponses,  afin  de  lui 
en  donner  le  choix.  Elles  sont  toutes  plausibles,  je  pourrais  dire  qu'elles 
sont  toutes  solides. 

PREMIÈRE   SOLUTION 

Adam  dut  être  surpris,  à  la  naissance  de  Caïn,  de  voir  qu'une  masse 
informe,  connue  aujourd'hui  sous  le  nom  de  placenta,  lui  tenait  au 
nombril  par  un  long  cordon.  Il  est  apparent  qu'il  n'osa  pas  y  toucher, 
craignant  que  cette  masse  ne  fit  partie  du  corps  de  l'enfant. 

Dans  ce  pays-ci  un  pareil  placenta,  plein  de  sang,  à  cause  de  la  nour- 
riture plus  forte  ou  plus  abondante  des  femmes,  contracterait  bientôt 

(1)  Sat.  II. 


l'obstétrique  et  le  culte  63 


un  principe  de  putréfaction;  mais  il  y  a  lieu  de  croire  que,  dans  le  pays 
où  Adam  était,  plus  chaud  que  le  nôtre,  il  se  dessécha,  surtout  si  Ton 
fait  attention  qu'il  devait  être  moins  abreuvé  de  sang,  à  cause  de  la 
nourriture  frugale  d'Eve,  qui  se  nourrissait  de  fruits.  N'importe,  suppo- 
sons qu'il  tendit  bientôt  à  la  putréfaction,  comme  il  ferait  dans  ce 
pays-ci  ;  Adam  et  Eve  n'en  durent  pas  longtemps  être  incommodés,  car 
dès  le  cinquième  au  sixième  jour,  le  cordon  se  détacha,  et  l'enfant  fut 
débarrassé  de  ce  corps  étranger. 

Adam  profita  sans  doute  de  cette  observation.  Il  comprit  que  cette 
masse  n'appartenait  point  au  corps  de  l'enfant,  et  qu'elle  pouvait  et 
devait  en  être  détachée.  Ainsi,  profitant  de  ses  réflexions,  il  coupa  le 
cordon  à  Abel,  son  second  fils,  et  voyant  qu'il  coulait  du  cordon 
quelque  peu  de  sang,  il  le  lia.  Voilà  donc  la  ligature  et  le  retranche- 
ment du  cordon  connus  et  pratiqués  par  Adam  dès  la  naissance  de  son 
second  enfant,  et  voilà  par  conséquent  le  genre  humain  sauvé. 


SECONDE    SOLUTION 

Adam  connaissait  la  nature  des  animaux,  puisque,  dans  le  temps 
qu'il  était  au  paradis  terrestre,  il  leur  avait  imposé  des  noms  à  chacun, 
qui  exprimaient  leurs  qualités  (1).  Il  savait  donc,  pour  l'avoir  vu  plus 
d'une  fois,  que  les  petits  de  tous  les  quadrupèdes  naissaient  avec  une 
masse  informe,  qui  tenait  à  leur  nombril  par  le  cordon  ombilical.  Il 
savait  aussi  que  les  femelles  de  ces  animaux,  même  de  ceux  qui  ne  se 
nourrissaient  point  de  chair,  ajjrès  avoir  mis  bas  leurs  petits,  man- 
geaient cette  masse  ou  placenta,  coupaient  le  cordon  avec  leurs  dents, 
et  débarrassaient  ainsi  leurs  petits. 

Adam  a  pu  profiter  de  ces  exemples,  quand  sa'  femme,  chassée  avec 
lui  du  paradis  terrestre,  commença  à  lui  faire  des  enfants.  Je  ne 
prétends  pas  qu'Adam  ait  mangé  leur  arrière-faix,  mais  il  a  très  bien  pu 
couper  le  cordon  avec  ses  dents.  C'est  ainsi  que  les  sauvages  du  Brésil 
en  usaient,  quand  les  Français  y  abordèrent,  comme  le  témoigne  Jean 
Léry,  dans  Y  Histoire  de  sa  Navigation  au  Brésil,  chap.  XVI.  Du 
moins  Adam  a-t-il  pu  juger  que,  puisqu'on  pouvait,  sans  danger  pour 
l'enfant,  couper  le  cordon  avec  ses  dents,  on  pouvait  le  couper  de  même 
de  toute  autre  manière,  ce  qu'il  aura  fait.  Il  est  vrai  que  voyant  qu'il 
sortait  du  sang  du  bout  qui  tenait  à  l'enfant,  il  l'aura  lié.  Voilà  donc  la 
ligature  et  le  retranchement  du  cordon  établis,  et  voilà  le  genre  humain 
sauvé  de  même  dans  cette  seconde  supposition. 

(1)  Genèse,  II,  21. 


G  i  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


TROISIEME    SOLUTION 

Je  vais  plus  loin  encore,  et  je  suppose  qu'Adam,  à  qui  l'arrière-faix 
et  le  cordon  qui  pendaient  du  nombril  de  Gain,  déplaisaient,  les  arracha. 
Qu'en  sera-t-il  arrivé?  la  mort  certaine  de  Caïn,  vous  a  dit  votre  phi- 
losophe. Tel  est  le  sentiment  unanime  de  tous  les  médecins,  à  ce  qu'il 
a  prétendu,  mais  il  se  trompe.  On  arrache  l'un  et  l'autre  constamment 
à  tous  les  veaux  au  moment  de  leur  naissance,  sans  qu'il  s'ensuive  au- 
cune hémorrhagie.  On  les  arrache  de  même  aux  jeunes  cochons  sans 
aucun  danger.  On  l'a  arraché  plusieurs  fois  à  des  fœtus  humains  par 
imprudence,  sans  aucun  accident  funeste.  On  peut  consulter  les  deux 
dissertations  de  Jean  Henri  Schulz,  professeur  en  médecine  à  Hall, 
toutes  deux  dans  la  Collection  des  Thèses  anatomiques  de  M.  Haller, 
Tome  V,  l'une  :  De  vasis  umbilicalibus  nalorum  et  adultorum,  et  l'autre  : 
An  umbilici  deligatio  in  nuper  natis  absolutè  necessaria  fit  ?  où  il 
conclut  négativement,  et  celle  de  Jean  George  Rœderer,  professeur  à 
Gottingue,  et  célèbre  accoucheur,  imprimée  dans  la  seconde,  partie  de 
ses  Opuscula  medica,  et  intitulée  :  De  funiculi umbilicalis  deligatio7ie 
non  absolutè  necessaria.  Dans  ces  dissertations,  ces  médecins  citent 
plusieurs  auteurs,  qui  ont  pensé  comme  eux,  et  qui  ont  rapporté  plu- 
sieurs observations  d'enfants,  à  qui  on  n'a  point  fait  la  ligature,  et  qui 
n'en  ont  pas  moins  vécu. 

Il  est  vrai  qu'on  oppose  un  grand  nombre  d'observations  contraires, 
qui  pourraient  décider  que  la  ligature  du  cordon  a  toujours  été  néces- 
saire., si  c'était  sur  ce  qu'on  fait  aujourd'hui  à  cet  égard,  qu'il  fallut 
juger  de  ce  qu'on  faisait  au  commencement  du  monde.  Mais  il  faut  en 
juger  sur  un  principe  plus  sûr.  Dieu  a  pourvu  à  la  conservation  des 
petits  de  tous  les  quadrupèdes,,  qui  naissent  avec  un  arrière-faix,  comme 
les  enfants,  sans  qu'ils  aient  besoin  d'aucun  secours.  On  a  donc  raison 
de  conclure  qu'il  a  eu  pour  le  moins  autant  d'attention  pour  la  conser- 
vation des  enfants,  qui  sont  le  plus  noble  de  ses  ouvrages  ;  qu'il  a  par 
conséquent  établi  pour  eux  de  sages  règles  dans  l'ordre  de  la  nature, 
pour  opérer  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  leur  conservation;  et  qu'il 
n'a  pas  voulu  laisser  le  soin  aux  hommes  de  pourvoir,  par  leur  adresse, 
à  ce  qu'il  semblerait  avoir  négligé  de  faire  lui-même. 

Cette  conséquence  devient  presque  une  démonstration,  si  l'on  com- 
pare le  changement  qui  arrive  au  cordon,  avec  les  autres  changements 
qui  s'opèrent  dans  le  corps  des  enfants  à  leur  naissance.  Il  fallait  un 
canal  artériel,  et  un  trou  oval  pour  entretenir  la  circulation  du  sang,  tant 
que  l'enfant  devait  demeurer  dans  le  sein  de  sa  mère  sans  respirer; 
mais  ces  communications  deviennent  inutiles  dès  qu'il  commence  à  res- 
pirer, et  c'est  alors  qu'elles  se  ferment  d'elles-mêmes.  Les  vaisseaux  om- 
bilicaux sont  nécessaires  de  même  pour  la  nourriture  du  fœtus  avant 


L  OBSTETRIQUE  ET    LE    CULTE 


G5 


sa  naissance,  mais  ils  n'ont  plus  d'usage  dès  qu'il  est  né  :  ils  doivent 
donc  se  fermer  alors,  et  se  fermer  d'eux-mêmes,  car  il  n'est  pas  digne 
de  Dieu  de  penser  qu'il  ait  laissé  son  ouvrage  imparfait,  et  qu'il  l'ait 
abandonné  aux  soins  ou  à  l'adresse  des  hommes. 

On  peut  entrevoir  dans  la  conformation  du  corps  des  enfants  la  mé- 
canique destinée  à  opérer  ce  changement.  Le  cordon  est  formé,  comme 
on  sait,  d'une  veine  et  de  deux  artères  (flg.  50).  Pendant  le  séjour  de  l'en- 


Fig.  50. 


t:     r. 

A,  A.  Veine  ombilicale  entourée  dos  deux  artères  ombilicales,  B,  C. 


fant  dans  le  sein  de  sa  mère,  ces  vaisseaux,  nécessaires  pour  lui  porter 
la  nourriture,  sont  pleins  de  sang  ;  mais  comme  ils  n'ont  plus  d'usage 
quand  il  est  né,  ces  vaisseaux  changent  alors  d'état.  Rien  ne  coule  par 
la  veine,  elle  doit  se  resserrer  par  le  ressort  de  ses  tuniques.  Dans  les 
artères  ombilicales,  s'il  coule  encore  du  sang,  il  en  coule  bien  peu,  par 

le  changement  arrivé  dans  la  direction 
des  artères  iliaques,  d'où  elles  prennent 
naissance. 

Ces  artères  sont  coudées  pendant  la 
-grossesse,  parce  que  le  fœtus  étant 
ramassé  en  peloton  (flg.  51),  les  cuisses 
en  sontpliées  contre  le  ventre.  Dans  cette 
position,  le  tronc  de  ces  artères  qui  est 
au-dessous  de  ce  coude,  doit  recevoir 
peu  de  sang,  et  la  plus  grande  partie 
doit  alors  se  détourner  dans  les  artères 
ombilicales,  dont  l'origine  est  au-dessus 
du  coude  que  font  ces  artères.  Mais  tout 
change  dès  que  l'enfant  est  né  ;  on  allonge 
ses  jambes,  on  ouvre  au  sang  le  chemin 
direct  dans  les  iliaques,  il  n'en  passe  plus 
dans  les  artères  ombilicales,  ou  il  en 
passe  peu,  et  par  conséquent,  ces  artères 
vides,  ou  moins  pleines,  doivent,  de 
même  que  la  veine  ombilicale,  se  resserrer  par  le  ressort  de  leurs 
tuniques,  et  s'oblitérer. 

Ce  n'est  pas  encore  tout.  Le  ressort  du  cercle  tendineux,  qui  fait  le 
contour  de  l'ouverture  du  nombril,  était  contrebalancé  par  la  veine  et 
les  artères  ombilicales,  tant  que  ces  vaisseaux  étaient  pleins  de  sang  ; 


Fie.  51.  — Pelotonnement  du  fœtus. 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


66  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

mais  dès  que  ces  vaisseaux  sont  vides,  ou  moins  remplis,  ce  ressort  doit 
prendre  le  dessus,  et  en  se  resserrant,  doit  achever  de  resserrer  ces 
vaisseaux  jusqu'à  empêcher  tout  écoulement  de  sang,  ce  qui  donne  le 
moyen  d'arracher  le  cordon  dans  certains  cas.  ou  du  moins  de  négliger 
de  le  lier  sans  aucun  danger,  comme  on  l'a  observé  plusieurs  fois. 

Ces  avantages  devaient  être  fort  grands  dans  les  enfants  de  nos  pre- 
miers pères,  parce  qu'Eve  était  sobre  et  laborieuse,  fournissait  peu  de 
sang  à  ses  enfants,  et  que  leurs  vaisseaux  devaient  être  par  conséquent 
moins  dilatés.  D'ailleurs,  ces  enfants  étaient  plus  forts,  avaient  les  fibres 
plus  élastiques,  et  les  tuniques  de  leurs  vaisseaux  devaient  se  resserrer 
plus  vite  et  plus  fortement.  Ainsi  dans  les  enfants  d'Eve  le  cordon 
doit  se  resserrer  de  lui-même  sans  ligature.  Cet  avantage  subsiste  en- 
core dans  les  animaux,  parce  qu'ils  continuent  de  se  nourrir  comme  ils 
ont  toujours  fait.  Il  ne  subsiste  plus  en  nous,  ou  il  subsiste  bien  rare- 
ment parce  qu'on  s'est  écarté  du  régime  de  nos  premiers  parents.  I  s 
femmes  grosses  mangent  beaucoup  de  viande,  et  d'autres  aliments  suc- 
culents, font  par  conséquent  trop  de  sang,  et  en  fournissent  trop  à  leurs 
enfants,  ce  qui  rend  leurs  vaisseaux  ombilicaux  trop  gros.  D'un  autre 
•.  la  vie  molle  qu'elles  mènent,  fait  que  leurs  enfants  sont  faibles 
-  formés  de  fibres  lâches  et  peu  propres  à  resserrer  ces  gros  vais- 
seaux, c'est  pourquoi  l'on  est  obligé  de  lier  le  cordon  pour  suppléer  au 
défaut  de  ces  deux  causes. 

Je  finis.  Monsieur,  cette  digression,  et  je  conclus  de  ce  que  je  viens 
de  dire.  qu'Adam  a  pu  arracher  le  cordon  de  Caïn.  sans  aucun  da::_ 
de  lui  nuire  ;  ni  d e  faire  périr  le  genre  humain  ;  comme  votre  Philosophe 
a  voulu  vous  le  faire  craindre.  Il  est  vrai  que,  comme  il  aura  peut-être 
vu.   qu'en  arrachant  ainsi  le   cordon,  il  suintait  du  nombril  pendant 
quelque  temps  une  sérosité  sanguinolente,  il  aura  pu  prendre  le  r 
de  lier  le  cordon  de  ses  autres  enfants,  comme  on  le   pratique 
jourd'hui. 

Voilà.  Monsieur,  plusieurs  solutions  de  la  difficulté  de  votre  Philo- 
sophe :  vous  pouvez  lui  laisser  la  liberté  du  choix,  elles  suut  toutes 
plausibles  et  concluantes.  Pour  moi,  Monsieur,  je  n'en  adopte  aucune, 
et  vous  en  serez  surpris;  mais  je  crois  qu'on  peut  répondre  à  votre  Phi- 
losophe d'une  manière  plus  générale  et  plus  décisive,  que  je  vais  vous 
communiquer. 

QUATRIÈME    SOLUTION 

Je  crois,  Monsieur,  que  celui  qui  a  appris  aux  oiseaux  qu'il  avait 
et  qui  n'avaient  jamais  vu  de  nid,  d'en  construire  un  avec  un  art  mer- 
veilleux pour  y  pondre  ;  solidement  attachés  aux  branches  des  arbres, 
garnis  en  dedans  de  mousse,  de  laine,  de  plumes;  proportionnés  à  la 
grosseur  de  leurs  petits;  que  le  même  instruisit  Adam  et  Eve  de  la 
conduite  qu'ils  devaient  tenir  à  la  naissance  de  leurs  enfants  pour  les 


l'obstétrique  et  le  culte  67 

conserver,  supposé  que  leur  ministère  y  fut  nécessaire.  Ce  sera,  si 
vousle  voulez,  parun  instinct  qui  se  sera  dans  la  suite  affaibli  ou  effacé  (1), 
quand  on  a  commencé  d'agir  par  les  lumières  de  la  raison,  et  qu'on 
n'a  plus  eu  besoin  de  s'en  fier  à  l'instinct,  ou  ce  qui  me  paraît  plus 
plausible,  ce  sera  par  une  révélation  expresse  ;  mais  il  n'est  pas  appa- 
rent, que  Dieu,  qui  a  appris  à  tous  les  quadrupèdes  ce  qu'ils  devaient 
faire  pour  sauver  leurs  petits  à  leur  naissance,  ait  abandonné  l'homme 
qui  est  la  plus  parfaite  de  ses  créatures,  à  l'ignorance  dans  le  même 
cas. 

il  n'y  a  rien  de  surprenant,  que  Dieu  ait  instruit  Adam  de  ce  qu'il 
fallait  faire  pour  conserver  les  enfants  qui  lui  naîtraient.  Il  est  certain 
qu'il  a  daigné  donner  des  instructions  aux  hommes  dans  ce  commence- 
ment du  monde  sur  des  sujets  bien  moins  importants.  Adam,  étant 
encore  dans  le  Paradis  terrestre,  donna  à  toutes  les  espèces  d'animaux 
un  nom  qui  leur  était  propre  {2).  Il  avait  donc  une  langue,  et  une  langue 
qui  était  abondante,  dont  il  connaissait  la  valeur  de  tous  les  mots,  et 
comment  avait-il  pu  acquérir  naturellement,  et  acquérir  en  si  peu  de 
temps,  des  connaissances  qui  sont  le  fruit  d'un  long  usage  et  d'une  pro- 
fonde sagesse.  Caïn,  fils  aîné  d'Adam,  fut  laboureur,  et  il  offrit  à  Dieu 
les  fruits  de  la  terre;  qui  lui  avait  appris  à  cultiver  la  terre,  qui  lui 
avait  montré  les  instruments  nécessaires  pour  cela?  Enfin  Tubalcain, 
septième  descendant  d'Adam,  exerça  l'art  de  travailler  avec  le  marteau, 
et  fut  habile  en  toute  sorte  d'ouvrage  d'airain  et  de  fer  (3).  On  con- 
naissait donc  dès  ce  temps-là  le  fer  et  l'airain,  et  comment  pouvait-on 
les  connaître  ?  Ces  métaux  sont  cachés  dans  la  terre  sous  une  forme  qui 
les  rend  méconnaissables,  ce  n'est  que  par  des  opérations  répétées, 
qu'on  les  fait  paraître  sous  leur  forme  naturelle.  Du  temps  de  Tubalcain 
avait-on  pu  trouver  les  mines  qui  fournissent  lé  fer  et  l'airain,  et  avait- 
on  découvert  le  moyen  de  les  préparer  ?  Certainement  non.  Comment 
rendre  donc  raison  de  tous  ces  faits,  si  ce  n'est  en  reconnaissant  que 
c'était  Dieu  qui  avait  appris  à  Adam  la  langue  qu'il  parlait  ;  à  Caïn  l'art 
et  les  moyens  de  cultiver  la  terre  ;  à  Tubalcain  les  connaissances  néces- 
saires pour  trouver  les  métaux,  les  préparer  et  les  travailler?  et  dans 
de  pareilles  circonstances,  pourquoi  ne  dirions-nous  pas  de  même,  que 
Dieu  avait  appris  à  Adam  ce  qu'il  fallait  faire  pour  la  conservation  des 
enfants  qui  lui  naissaient,  supposez  qu'il  eut  laissé  quelque  chose  à  faire 
à  ses  soins  ? 


(1)  C'est  ainsi  que  les  pigeons  et  les  tourterelles  domestiques  ont  perdu  l'instinct 
défaire  des  nids,  depuis  qu'on  leur  en  fait,  au  lieu  que  les  pigeons  et  les  tourterelles 
sauvages  l'ont  conservé. 

(2)  Genèse,  II,  19. 

(3)  Gen.,  IV,  22. 


68  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


CINQUIEME    SOLUTION 


Jusqu'ici  je  n'ai  fait,  Monsieur,  que  vous  fournir  des  moyens  de  ré- 
pondre à  votre  Philosophe.  Il  est  temps  de  changer  de  rôle,  et,  en  lui 
rétorquant  son  argument,  de  l'obliger  à  répondre  lui-même.  Ces  Mes- 
sieurs se  croient  bien  forts  quand  ils  attaquent;  mais  ils  sont  bien  faibles 
quand  on  les  force  à  se  défendre.  Or  il  vous  est  facile  d'y  réduire  votre 
Philosophe. 

Le  genre  humain  existe;  il  faut  donc,  ou  qu'il  ait  commencé  d'être  par 
la  volonté  de  Dieu,  qui  l'a  créé,  ou  qu'il  existe  nécessairement  et  de 
toute  éternité. 

Si  votre  Philosophe  prend  le  premier  parti,  son  opinion  ne  différera 
de  la  croyance  de  l'Église,  qu'en  donnant  trop  d'ancienneté  au  monde, 
et  en  supposant  qu'il  y  a  cinquante,  cent  mille  ans,  qu'il  a  été  créé. 
Dans  cette  supposition,  vous  lui  ferez  sur  son  Adam  et  sur  son  Eve. 
c'est-à-dire  sur  le  premier  homme  et  la  première  femme  que  Dieu  créa, 
selon  lui,  il  y  a  cent  mille  ans,  l'objection  qu'il  vous  fait  sur  votre  Adam 
et  votre  Eve,  créés  il  y  a  environ  six  mille  ans,  et  vous  lui  déclarerez 
que  vous  vous  servirez  pour  lui  répondre,  de  ce  qu'il  adoptera  lui-même 
pour  se  tirer  d'embarras. 

Que  s'il  prend  l'autre  parti,  et  qu'il  ose  soutenir  que  le  genre  humain 
existe  nécessairement  et  de  toute  éternité,  il  faudra  qu'il  admette  une 
série  nécessaire  et  éternelle  d'individus,  tous  contingents,  ce  qui  est 
une  absurdité  palpable,  qui  renferme  une  contradiction  manifeste, 
série  nécessaire  d'individus  contingents.  N'importe,  Monsieur,  n'in- 
cidentez  pas.  Les  hommes  de  cette  série,  ou  auront  appris  par  des  ob- 
servations répétées  la  nécessité  de  lier  le  cordon  de  leurs  enfants,  et, 
dans  ce  cas,  avaut  qu'ils  ayent  acquis  cette  connaissance,  le  genre  humain 
aura  eu  tout  le  tems  de  périr,  ou  cette  connaissance  était  en  eux  néces- 
saire et  innée,  ce  qui  est  une  nouvelle  absurdité,  dont  il  ne  faut  pas  être 
surpris,  car  les  absurdités  s'appellent  les  unes  les  autres. 

Dans  ce  cas,  vous  lui  direz  que  vous  admettez  de  même  dans  les  pre- 
miers hommes  de  votre  série  créée,  la  même  connaissance  innée,  mais 
non  pas  nécessaire,  car  c'est  Dieu  qui  la  leur  aura  donnée,  c'est-à-dire 
que  vous  le  battrez  de  ses  propres  armes,  après  en  avoir  ôté  l'impiété 
qu'il  y  mettait. 

Montrez  cet  écrit,  Monsieur,  à  votre  Philosophe.  S'il  veut  bien  le  lire 
avec  attention,  j'espère  qu'il  rabattra  de  la  confiance  qu'il  a  dans  ses 
opinions  :  mais  je  souhaiterais  que  mes  réflexions  eussent  un  succès 
plus  heureux,  et  qu'elles  pussent  le  ramener  à  la  droite  raison  et  l'enga- 
ger à  avoir  plus  de  respect  pour  les  vérités  révélées. 

Je  suis,  etc. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


G9 


Naissance  d'Esau  et  de  Jacob.  —  Et\Isaac  pria  instamment 
l'Eternel  pour  sa  femme,  parce  qu'elle  était  stérile. 

Et  l'Eternel  fut  fléchi  par  ses  prières;  et  Rébecca,  sa  femme,  conçut. 

Mais  les  deux  enfants  s  entrepoussaient  dans  son  ventre:  et  elle  dit  : 
s'il  est  ainsi,  pourquoi  suis-je?  Et  elle  alla  consulter  l'Eternel. 

Et  l'Eternel  lui  dit  :  «  Deux  nations  sont  dans  ton  ventre  ;  et  deux 
«  peuples  sortiront  de  tes  entrailles  et  seront  divisés.  Un  de  ces  peuples 
«  sera  plus  fort  que  l'autre,  et  le  plus  grand  servira  au  moindre.  » 

Et  lorsque  le  temps  qu'elle  devait  accoucher  fut  arrivé,  voici,  il  y 
avait  deux  jumeaux  en  son  ventre. 

Celui  qui  sortit  le  premier  était  roux,  et  tout  velu  comme  un  manteau 
de  poil  ;  et  ils  l'appelèrent  Esaii  ;  et  après  sortit  son  frère,  tenant  de  sa 
maiu  le  talon  d'Esau  :  c'est  pourquoi  il  fut  appelé  Jacob  (1). 


Fig.  52.  —  La  naissance  d'Esau  et  de  Jacob,  d'après  une  peinture  de  Benozzo  Gozzoli.  Campo  Saute- 

de   Pise. 

Ce  qui,  traduit  de  style  divin  en  termes  obstétricaux,  signifie 
qu'Esaii  se  présenta  par  la  tête  et  Jacob,  très  vraisemblablement,  par 
la  même  extrémité,  mais  avec  une  procidence  du  bras.  La  naissance 
de  ce  dernier  a  pu  s'effectuer  spontanément,  en  raison  du  volume  des 


(1)  Genèse,  XXV,  21-2(J. 


70  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

jumeaux  qui  est  presque  toujours  au-dessous  de  la  moyenne.  Quant 
à  la  présence  du  talon  d'Esaii  dans  la  main  de  son  frère,  il  ne  faut 
voir  là  qu'une  exagération  de  langage  expliquant  la  rapidité  de  la 
naissance  du  second  enfant;  autrement  ce  passage,  pris  au  pied  de 
la  lettre,  indiquerait  que,  contrairement  à  la  règle,  les  deux  enfants 
avaient  une  seule  poche  amniotique,  ce  qui  semblerait  confirmer  l'opi- 
nion erronée  de  Viardel.  Cet  accoucheur,  ami  des  bonnes  mœurs,  pré- 
tend, en  effet,  que  les  jumeaux  du  même  sexe  sont  renfermés  dans 
une  poche  unique,  et  que  celle-ci  est  double  quand  les  fœtus  sont  de 
sexe  différent;  et  pourquoi?  «  afin  »,  dit-il,  «  d'inspirer  aux  hommes, 
dès  le  premier  moment  de  leur  formation,  des  lois  et  des  règles  pour 
la  chasteté  ».  C'est,  selon  lui,  dans  la  matrice  comme  à  l'église  du 
village  :  côté  des  filles,  côté  des  garçons.  Le  vertueux  Viardel  paraît 
ignorer  que  les  jumeaux,  même  quand  la  nature,  suivant  son  habitude 
commune,  les  a  faits  d'un  sexe  unique,  sont  le  plus  souvent  isolés 
chacun  dans  une  cavité  distincte.  La  providence  aurait-elle  voulu 
mettre  le  fœtus  en  garde  contre  les  aberrations  amoureuses  que  la 
tradition  reproche  à  Socrate  ou  à  Sapho?  Nous  autres,  gens  de 
morale  terre  à  terre,  nous  aimons  mieux  penser  qu'en  empêchant 
toute  promiscuité,  elle  voulait  éviter  des  enchevêtrements  de  mem- 
bres ou  de  cordons  qui  eussent  été  nuisibles  à  la  mère  et  aux  en- 
fants (1). 

Des  jumeaux  quel  est  l'aîné  ?  Scientifiquement,  et  tout  en  réservant 
la  question  encore  controversée  de  la  superfétation,  il  n'y  a  pas  lieu 
d'établir  une  différence  d'âge  entre  eux,  puisqu'ils  sont  conçus  au 
même  moment;  civilement,  il  est  pourtant  nécessaire  de  fixer  une 
règle  :  la  jurisprudence  hébraïque,  avec  laquelle  s'accorde  la  nôtre, 
considérait  comme  l'aîné  (de  ante  natus,  né  avant),  celui  qui  sortait  le 
premier  (2).  Chacun  sait  de  quel  farineux  indigeste  Jacob  paya  son 
droit  d'aînesse  à  Esaii. 

Accouchements  de  Rachel  et  de  la  femme  de  Phinéès. 

—  Et  Jacob  et  Rachel  partirent  de  Béthel,  et  il  y  avait  encore  quelque 
petit  espace  de  pays  pour  venir  à  Ephrata  lorsque  Rachel  enfanta. 
Et  elle  fut  dans  un  grand  travail  ;  et  comme  elle  avait  beaucoup  de 


(1)  Newman  a  publié  un  cas  de  grossesse  gémellaire,  où  les  fœtus  étaient  dans 
une  seule  poche.  Or  le  cordon  de  l'un  des  enfants  passait  à,  travers  un  nœud  du 
cordon  de  l'autre  et  l'étranglement  était  tel  que  le  premier  est  venu  mort  et  le  se- 
cond vivant. 

(2)  Pasquier  dit  que,  de  son  temps,  on  écrivait  ainsné,  c'est-à-dire  né  devant 
ains  signifiait  devant. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


peine  à  accoucher,  la  sage-femme  lui  dit:  Ne  crains  point;  car  tu  auras 
encore  un  fils. 

Et,  en  expirant,  car  elle  mourut,  elle  nomma  l'enfant  Bénoni,  c'est-à- 
dire  le  fils  de  ma  douleur;  mais  le  père  le  nomma  Benjamin,  c'est-à- 
dire  le  fils  delà  droite,  le  bien-aimé. 

C'est  ainsi  que  mourut  Rachel  (1). 

La  mort  de  Rachel  et  celle  de  la  bru  d'Héli,  dontnous-allons  parler, 
prouvent  qu'à  cette  époque  lointaine,  les  accouchements  n'étaient  pas 
exempts  de  danger,  et  que  la  parturition  difficile  n'est  pas,  comme 
l'a  avancé  Pouchet,  «un  phénomène  acquis  par  la  civilisation.  » 

Ce  passage  indique  aussi  qu'on  savait  déjà  que,  la  têle  d'un  enfant 
du  sexe  masculin  étant  plus  volumineuse,  un  accouchement  de  longue 
durée  présageait  ordinairement  la  naissance  d'un  mâle.  Il  démontre, 
en  outre,  comme  un  autre  passage  que  nous  citerons  bientôt,  que  l'in- 
dustrie des  sages-femmes  était  connue  des  Hébreux  ;  ils  donnaient  à 
ces  respectables  matrones  le  nom  de  Majalledeth.  Seulement  il  paraît 
probable  que  les  Juives  n'y  avaient  recours  que  dans  les  cas  présen- 
tant une  certaine  gravité,  et  que,  le  plus  souvent,  elles  accou- 
chaient seules.  Les  sages-femmes  juives  Sciphra  et  Puha,  à  qui 
le  Pharaon  d'Egypte  demande  pourquoi,  malgré  son  ordre,  elles  ont 
laissé  vivre  les  enfants  mâles  des  Hébreux,  répondent  en  ces  termes: 

C'est  que  les  femmes  des  Hébreux  ne  sont  point  comme  celles  d'E- 
gypte; car  elles  sont  vigoureuses,  elles  ont  accouché  avant  que  la  sage- 
femme  vienne  chez  elles  (2) . 

C'est  ainsi  qu'accoucha  Jocabel,  mère  de  Moïse  ;  elle  se  délivra  elle- 
même,  et  cacha  son  fils  pendant  trois  mois  avant  de  l'exposer  sur 
le  Nil  (3  . 

C'est  aussi  sans  assistance  de  matrones  que  la  femme  de  Phinéès, 
fils  du  grand  prêtre  Héli,  accoucha  avant  terme,  en  apprenant  la  mort 
de  son  mari  et  celle  de  son  beau-père;  il  est  vrai  que  la  façon  inatten- 
due dont  se  présenta  le  jeune  Ichabod  ne  permettait  guère  d'avoir 
recours  au  ministère  des  spécialistes. 


(1)  Gen.,  XXXV.  16-19. 

(2)  E.vodcA,  19. 

(3)  On  sait  que  sa  jeune  sœur  le  plaça  dans  une  corbeille,  l'abandonna  au  courant 
puis  veilla  sur  lui;  lorsque  la  fille  de  Pharaon  le  recueillit  en  se  baignant,  la  sœur 
proposa  alors  pour  nourrice  la  mère  de  Moïse  :  l'institution  des  nourrices  existait  donc 
déjà  chez  les  Hébreux. 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


La  belle-fille  d'Héli,  qui  était  grosse  et  près  d'accoucher,  ayant  appris 
la  nouvelle  que  l'arche  de  Dieu  était  prise,  et  que  son  beau-père  et  son 
mari  étaient  morts,  se  courba  et  enfanta;  car  les  douleurs  lui  sur- 
vinrent. 

Et  comme  elle  mourait,  celles  qui  étaient  près  d'elle  lui  dirent:  Ne 
crains  point,  car  tu  as  enfanté  un  fils.  Elle  ne  leur  répondit  rien,  et 
n'y  fit  aucune  attention  (1). 

Accouchement  de  Thamar.  —  Et  quelqu'un  fit  savoir  à 
Thamar  que  Juda  son  beau-père  montait  à  Thimnath  pour  tondre  ses 
brebis. 

Alors  elle  quitta  ses  habits  de  veuve  et  se  couvrit  d'un  voile  ;  et  s'en 
enveloppa,  et  s'assit  dans  un  carrefour  qui  était  sur  le  chemin  de  Thim- 
nath ;  parce  qu'elle  voyait  que  Scéla,  fils  de  Juda,  et  à  qui  elle  avait 
été  promise,  était  devenu  grand  et  qu'elle  ne  lui  avait  point  été  donnée 
pour  femme. 

Et  Juda  l'ayant  vue,  il  s'imagina  que  c'était  une  femme  de  mauvaise 
vie. 

Et  il  se  détourna  vers  elle  au  chemin  où  elle  était,  et  il  dit  :  Permets, 
je  te  .prie,  que  je  vienne  vers  toi;  car  il  ne  savait  pas  que  ce  fût  sa  belle- 
fille.  Elle  répondit:  que  me  donnes-tu  pour  que  tu  viennes  avec  moi? 

Et  il  dit  :  je  t'enverrai  un  chevreau  du  troupeau.  Et  elle  répondit:  ce 
sera  donc  à  cette  condition,  que  tu  me  donnes  des  gages,  jusqu'à  ce 
que  tu  m'envoies  ce  chevreau. 

Et  il  dit  :  Quel  gage  est-ce  que  je  te  donnerai?  Elle  répondit:  Ton 
cachet,  ton  bracelet  et  le  bâton  que  tu  tiens  à  la  main.  Et  il  les  lui 
donna;  et  il  vint  vers  elle;  et  elle  conçut  de  lui. 

Mais  trois  mois  après,  on  vint  dire  à  Juda  :  Thamar,  ta  belle-fille  est 
tombée  dans  la  paillardise,  et  voici,  elle  est  même  enceinte.  Et  Juda  dit  : 
Qu'on  la  produise  en  public,  afin  qu'elle  soit  brûlée. 

Et  comme  on  la  faisait  sortir,  elle  envoya  dire  à  son 'beau-père  :  J'ai 
conçu  de  celui  à  qui  sont  ces  choses.  Elle  dit  aussi:  Reconnais,  je  te 
prie,  à  qui  est  ce  cachet,  ce  bracelet  et  ce  bâton. 

Juda  les  ayant  reconnus,  dit:  Elle  est  plus  juste  que  moi;  c'est  parce 
que  je  ne  l'ai  point  donnée  à  Scéla,  mon  fils.  Et  il  ne  la  connut  plus. 

Et  comme  elle  était  sur  le  point  d'accoucher,  il  parut  qu'il  y  avait 
deux  jumeaux  dans  son  ventre,  et  dans  le  temps  qu'elle  enfantait,  l'un 
deux  donna  la  main,  et  la  sage- femme  la  prit,  et  y  lia  un  fil  d'écarlate, 
disant:  Celui-ci  sort  le  premier. 

Mais  cet  enfant  ayant  retiré  sa  main,  l'autre  sortit.  Et  elle  dit  :  Pour- 
quoi as-tu  rompu  la  membrane  ?  Rupture  soit  sur  toi.  Et  on  le  nomma 
Phares. 


(I)  Itois,  IV,  19,  20. 


l'obstétrique  et  le  culte  73 

Ensuite  son  frère  sortit,  qui  avait  sur  la  main  le  fil  d'écarlate,  et 
on  le  nomma  Zara  (1). 

Le  docteur  F.  Imbert  lut  à  l'Académie  de  médecine  de  Lyon,  dans 
la  séance  du  6  décembre  1845,  sur  cet  accouchement  de  Thamar,  une 
dissertation  intéressante,  dont  nous  reproduisons  les  passages  prin- 
cipaux. 

. . .  Cette  narration  commence  par  un  point  de  diagnostic  assez  diffi- 
cile. Dès  les  premières  douleurs,  l'accoucheuse  reconnaît  qu'il  y  a  deux 
enfants  dans  l'utérus.  On  donne  pour  signe  de  ces  grossesses  doubles  : 
le  volume  du  ventre,  sa  forme  bilobée.  Le  toucher  abdominal  peut 
faire  reconnaître  deux  fœtus  et  leur  situation.  Les  mouvements  sont 
forts  et  tumultueux.  Us  étaient  tels,  dans  la  grossesse  de  Rébecca,  que 
l'on  put  croire  que  les  deux  enfants  se  battaient  dans  le  sein  de  leur 
mère,  et  que  Ton  y  vitlo  présage  des  guerres  acharnées  que  se  feraient 
les  deux  nations  dont  ils  devaient  être  la  souche.  Le  ballottement  est 
plus  obscur  que  dans  une  grossesse  simple.  Malgré  ces  caractères, 
Désormeaux  s'y  est  trompé,  et  beaucoup  d'autres  praticiens  avec  lui. 
Cependant,  avec  de  l'expérience  et  de  l'attention,  on  peut  éviter  cette 
erreur.  C'est  ce  qui  arriva  pour  Thamar.  Peut-être,  dira-t-on,  quïl  n'y 
a  pas  eu  là  de  diagnostic,  que  c'est  l'événement  qui  a  montré  la  pré- 
sence de  deux  enfants.  Le  mot  apparuerunt  de  la  Vulgate  ne  signifie 
pas  qu'ils  furent  reconnus,  et  la  traduction  littérale  dit  :  erant.  Ecce 
gemini  erant  in  utero  ejus  (2).. Ces  mots  peuvent,  en  effet,  laisser 
quelques  doutes  sur  ce  point;  mais  la  suite  les  explique,  et  rend  le  sens 
parfaitement  clair.  La  sage-femme  avait  si  bien  reconnu  qu'il  y  avait 
deux  enfants,  que,  voyant  l'un  d'eux  présenter  le  bras,  elle  le  saisit,  y 
attacha  un  ruban  rouge,  et  dit  :  «  Voilà  l'aîné.  »  Ainsi,  le  diagnostic 
était  bien  établi  avant  l'accouchement,  on  savait  qu'il  y  avait  deux 
enfants  avant  qu'ils  fussent  sortis  du  sein  de  leur  mère.  C'est,  du  reste, 
ce  que  dit  formellement  la  Genèse:  Instante  autempartu,  apparuerunt 
gemini  in  utero  (3). 

Le  second  point  noté  par  l'auteur  sacré,  c'est  la  présentation.  Elle 
est,  en  effet,  remarquable  :  l'un  des  jumeaux  présente  un  bras.  Mais  il 
arrive  que  l'autre  descend  en  même  temps,  probablement  par  la  tête  ; 
le  bras  remonte  un  peu,  et  c'est  l'enfant  qui  a  paru  le  second  qui  sort 
le  premier.  Moïse  décrit  ici  les  phénomènes  naturels  de  l'accouchement. 
Tout  s'opère  par  les  seuls  efforts  de  la  nature,  la  sage-femme  ne  fait 
rien,  elle  se  borne  à  mettre  un  cordon  rouge  sur  la  main  qui  est  sortie. 


(1)  Gen.,  XXXVIII,  13-18,  2i-30. 

(2)  11  y  avait  deux  jumeaux  dans  son  ventre. 

(3)  L'accouchement  étant  imminent ,  il  parut  qu'il  y  avait  deux  jumeaux  dans  son 
ventre. 


t\  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Il  y  a  beaucoup  do  science  dans  cette  expectation;  en  effet,  la  sortie 
d'un  bras  peut  avoir  lieu  dans  deux  circonstances. tout  à  fait  différentes; 
ou  bien  l'enfant  est  placé  en  travers,  le  bras  qui  sort  fait  un  angle  droit 
avec  le  tronc  ;  ou  bien  l'enfant  présente  la  tète,  le  bras  est  relevé,  placé 
sur  ses  côtés  et  descend  avec  elle.  Dans  le  premier  cas,  l'accouchement 
est  impossible.  Le  foetus  dans  l'utérus  est  replié  sur  lui-même,  de 
manière  à  représenter  un  ovoïde  ;  il  ne  peut  en  sortir  qu'autant  qu'une 
des  extrémités  de  cet  ovoïde  s'engage  dans  le  canal  pelvien.  S'il  s'y 
présente  par  son  grand  diamètre,  tout  retard  est  inutile  ou  dangereux; 
il  faut  changer  cette  position  vicieuse,  il  faut  faire  la  version.  Dans  le 
second  cas,  la  sortie  du  bras  ne  change  rien  à  l'accouchement  ;  elle  le 
retarde  un  peu  chez  les  primipares,  mais  cette  circonstance  ne  l'empê- 
che pas  de  se  terminer  naturellement.  Il  est  donc  bien  important  de 
distinguer  ces  deux  états,  puisque  dans  l'un  il  n'y  a  rien  à  faire,  tandis 
que  dans  l'autre,  il  est  indispensable  de  pratiquer  une  opération  souvent 
difficile  et  dangereuse. 

La  sage-femme  ne  s'y  trompe  pas;  seulement,  il  paraît  qu'elle  ne  se 
doute  pas  que  le  bras  et  la  tête  n'appartenaient  pas  au  même  enfant; 
mais  cela  était  difficile  et  ne  changeait  rien  à  ce  qu'elle  avait  à  faire. 
En  raisonnant  d'après  les  probabilités,  elle  devait  croire  qu'il  n'en  était 
pas  ainsi,  car  le  plus  souvent  les  deux  enfants  ont  une  position  inverse, 
c'est-à-dire  que  la  tête  de  l'un  correspond  aux  pieds  de  l'autre.  C'est  ce 
qui  eut  lieu  dans  l'accouchement  de  Rébecca,  et  c'est  ce  que  la  Bible 
exprime  en  disant  que  Jacob  vint  au  monde  tenant  Esaû  par  le  talon. 

Mais  nous  avons  dit  que  l'accoucheuse  avait  placé  un  cordon  rouge 
sur  la  main  qui  s'était  présentée.  Dans  quel  but  attacha-t-elle  ce  cor- 
don? 11  semble  que  la  réponse  à  cette  question  est  facile.  Au  premier 
coup  d'oeil,  le  texte  ne  laisse  aucun  doute  à  ce  sujet;  elle  attache  le 
ruban  et  dit:  «  Voilà  celui  qui  sortira  le  premier  ».  Il  s'agissait  donc 
simplement  d'établir  l'ordre  de  la  naissance  et,  par  conséquent,  le  droit 
de  primogéniture. 

Ce  droit  était,  en  effet,  bien  reconnu  chez  les  Hébreux;  l'histoire  de 
Jacob  et  d'Esaù  en  fait  foi.  Il  y  avait  beaucoup  de  privilèges  accordés 
aux  aînés.  Les  dignités  de  chefs,  de  pontifes,  leur  étaient  réservées  (1). 
Les  jeunes  gens  que  Moïse  choisit  pour  offrir  des  victimes  étaient  tous 
les  fils  aînés  des  principaux  Israélites  (2).  Dans  les  successions,  l'aîné 
prenait  une  part  double,  et  il  avait  une  autorité  presque  paternelle  sur 
les  autres  enfants  (3).  Il  y  avait  de  plus,  dans  la  famille  d'Abraham,  une 
bénédiction  particulière  qu'on  croyait  appartenir  à  l'aîné  :  Dieu  avait 
promis   à  Abraham  que  le  Sauveur  naîtrait  de  lui  par  les. descendants 


(1)  L'exemple  d'Aaron  et  de  Moïse  est  une  exception  qui  n'empêche  paa  la  règle 
générale.  Genèse,  20,  4!). 

(2)  Exode,  XXTV,  5. 

(H)  Dcvtéronomc,  XXI,  1*7. 


l'obstétrique  et  le  culte  75 

d'Isaac,  et  l'on  était  persuadé  que  c'était  à  l'aîné  que  cet  honneur  était 
réservé.  Voilà  donc  des  raisons  bien  fortes  à  l'appui  de  l'interprétation 
donnée  à  la  manière  d'agir  de  la  sage-femme. 

Malgré  cela,  était-il  donc  nécessaire  de  se  hâter  ainsi  ?  Ne  pouvait- 
elle  pas  attendre  que  l'enfant  fût  sorti  pour  le  marquer.  Cette  précipita- 
tion l'exposait  à  se  tromper,  et  c'est,  en  effet,  ce  qui  arriva. 

Un  accoucheur  pourrait  donner  une  autre  explication  de  cette  liga- 
ture, et  la  voici  :  quand  un  bras  se  présente  dans  un  accouchement,  ou 
bien,  comme  je  l'ai  dit  tout  à  l'heure,  la  tête  descend  avec  lui,  ou  le 
fœtus  est  placé  en  travers.  Dans  le  premier  cas,  l'accouchement  est 
naturel  ;  dans  le  second,  il  faut  pratiquer  la  version.  Mais,  dans  l'un  et 
l'autre  cas,  on  doit  placer  un  lacs  sur  le  bras  qui  est  sorti.  Dans  les  pré- 
sentations céphaliques,  on  se  sert  de  ce  lacs  pour  tirer  sur  lui  au 
moment  de  la  douleur  et  aider  au  passage  de  la  tête,  rendu  plus  difficile 
par  la  présence  du  membre  supérieur.  Dans  les  présentations  de  l'épaule 
ce  lacs  est  bien  plus  nécessaire;  car,  après  la  version,  à  mesure  que  le 
tronc  descend,  les  bras  se  relèvent  sur  les  côtés  de  la  tête.  Il  faut  aller 
les  chercher,  les  faire  sortir  l'un  après  l'autre,  et  ce  n'est  pas  la  partie 
la  moins  délicate,  la  moins  douloureuse  de  l'opération.  Mais  si  on  a  pu 
appliquer  un  lacs  sur  le  poignet,  il  suffit  de  tirer  sur  lui  pour  faire  des- 
cendre le  bras,  et  on  a  Favautage  de  faciliter  la  sortie  du  second,  d'éviter 
les  accidents,  car  très  souvent  les  os  délicats  du  fœtus  se  brisent  dans 
les  efforts  qu'on  fait  pour  abaisser  l'humérus,  d'abréger  la  durée  de 
l'opération,  point  important  clans  cette  circonstance,  car  le  cordon  est 
comprimé  entre  le  corps  de  l'enfant  et  le  bassin  de  la  mère  et  si  les 
manœuvres  se  prolongent,  l'enfant  meurt  asphyxié. 

Ainsi,  si  un  cas  semblable  à  celui  de  Thamar  se  présentait,  il  faudrait 
faire  comme  la  sage-femme,  appliquer  un  lacs,  un  ruban  sur  le  poignet. 
Il  conviendrait  même  que  ce  ruban  fût  rouge  comme  celui  dont  elle  se 
servit,  coccinum,  pour  que  le  sang  qui  s'écoule  ne  paraisse  par  sur  lui 
et  n'affecte  pas  la  malade  et  les  assistants.  C'est  une  précaution 
qu'on  a,  ou  plutôt  qu'on  avait  dans  l'opération  de  la  saignée,  et  cet 
usage  mérite  d'être  conservé. 

Telle  est  l'interprétation  qu'on  peut  donner  à  la  conduite  de  la  sage- 
femme.  J'hésite  à  attribuer  à  une  époque  si  éloignée  de  nous,  des  con- 
naissances qu'on  est  accoutumé  à  regarder  comme  le  résultat  des  tra- 
vaux et  de  l'expérience  des  modernes.  Mais  la  manière  de  faire  est  la 
même.  Si  les  motifs  sont  différents,  on  m'accordera  qu'il  y  a  dans  les 
faits  une  singulière  coïncidence. 

On  sait  ce  qui  arriva.  L'enfant  qui  avait  présenté  le  bras  ne  sortit  pas 
le  premier,  comme  la  sage-femme  l'avait  pensé.  Les  phénomènes  de 
cette  parturition  sont  parfaitement  indiqués;  le  bras  qui  avait  paru 
remonte  un  peu,  et  le  second  enfant  s'échappe.  La  sage-femme,  piquée 
de  s'être  trompée,  interpelle  ce  premier-né,  et  lui  dit  :  «  Quare  divisa 
estpropter  te  maceria?  »  Ce  passage  a  été  diversement  traduit  etinter- 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


prêté.  Paguin  dit  simplement  :  Cur  divisisti  ?  Vatable  ajoute  pour 
paraphrase  :  Cur  menbranam  qua  operiebaris  rupisti  ?  Hoc  est,  cur, 
ruptis  secundinis,  prior  egressus  es  ?  et  les  traducteurs  français,  sui- 
vant le  sens  latin,  ont  dit  :  Quelle  ouverture  Ves-tu  faite  (1).  Quelle 
brèche  as-tu  faite  (2)?  Pourquoi  as-tu  divisé  ainsi  la  cloison  qui  vous 
séparait  (3)?  Toutes  ces  interprétations  sont  vagues  ou  fausses.  La 
sage-femme  ne  peut  pas  dire  à  l'enfant  :  Pourquoi  as-tu  rompu  la  poche 
des  eaux?  puisque  le  bras  de  son  frère  était  déjà  sorti,  il  fallait  bien  que 
la  poche  fût  rompue.  Et  le  contre- sens  est  bien  plus  frappant  encore, 
quand  Corneille  Lapierre  ajoute  qu'il  est  reconnu  en  anatomie  que  les 
jumeaux  du  même  sexe  n'ont  qu'une  seule  enveloppe.  Cette  opinion 
qu'on  trouve,  en  effet,  dans  Fernel,  dans  Roderic  de  Castro  (4),  est  une 
erreur  que  les  progrès  de  l'anatomie  ont  dissipée.  Les  sexes  n'ont  aucun 
rapport  avec  le  sac  amniotique,  et  ce  que  ces  auteurs  regardaient  comme 
la  règle  est  devenu  l'exception  ;  c'est-à-dire  que  quelquefois  on  trouve 
deux  enfants  renfermés  dans  les  mêmes  membranes,  mais  que,  le  plus 
souvent,  dans  les  grossesses  doubles,  chaque  foetus  a  son  placenta  et  sa 
poche  des  eaux.  C'est  ce  que  savait  la  sage-femme  de  Thamar,  et  pour 
cela  elle  n'avait  pas  besoin  de  ces  connaissances  anatomiques  qui  ne 
sont  ni  de  son  sexe  ni  de  son  temps,  il  lui  suffisait  d'avoir  pratiqué, 
d'avoir  vu  d'autres  accouchements  doubles,  ce  qui  ne  devait  pas  être 
rare  ;  car  quelques  rabbins,  pour  expliquer  la  multiplication  prodigieuse 
des  juifs,  sont  allésjusqu'à  dire  que  les  femmes  faisaient  ordinairement 
trois  ou  quatre  enfants  (5).  Elle  avait  pu  remarquer  aisément  alors, 
qu'après  la  sortie  des  eaux  et  du  premier  enfant,  une  nouvelle  poche  se 
rompait  et  donnait  issue  à  de  nouvelles  eaux.  C'est  ce  que  l'hébreu 
exprime  fort  bien  en  disant  :  Quare  rupisti  super  te  rupturam?  expres- 
sion que  ne  rend  pas  du  tout  la  Vulgate,  en  traduisant  :  Quare  divisa 
est  pr opter  te  maceria?  Cette  répétition,  ce  rapprochement  de  rupisti 
et  de  rupturam  sont,  selon  moi,  très  clairs.  L'accoucheuse  dit  à  l'enfant  : 
Pourquoi  as-tu  rompu,  quand  il  y  avait  déjà  une  rupture  ?  Pourquoi 
as-tu  ajouté  une  rupture  à  une  rupture  ?  Pourquoi  as-tu  rompu  les 
membranes  pour  sortir  le  premier,  quand  ton  frère  avait  déjà  déchiré 
les  siennes  ?  Et  elle  ajoute  :  Pour  cette  raison  tu  t'appelleras  Phares  ; 
expression  qui  entraîne  l'idée  de  division,  de  déchirement,  et  que  nous 
retrouvons  dans  ce  sens  dans  la  fameuse  inscription  du  festin  de  Bal- 
thazar  :  Manè,  Thécel,  Phares  :  Ton  empire  sera  saccagé  et  divisé  ; 
expression,  enfin,  qui  n'aurait  plus  de  sens,  si  la  sage-femme  avait  cru, 
comme  les  commentateurs,  que  les  deux  enfants  étaient  renfermés  dans 

(1)  Bible  de  Cologne. 

(2)  Bille  de  Bûle. 

(3)  Sacy.  —  Carriees. 

(4)  Et  dans  Viardel,  voir  page  70. 

(5)  Et  quelquefois  même  sept  suivant  Aben-Ezra.  —  Histoire  universelle,  traduite 
de  l'anglais,  tome  1],  page  186. 


l'obstétrique  et  le  culte  77 

les  mêmes  membranes,  puisqu'elles  étaient  rompues  déjà  par  le  bras 
qui  s'était  présenté. 

Son  frère  vint  ensuite,  portant  au  poignet  le  cordon  rouge  qui  y  avait 
été  attaché,  il  fut  nommé  Zara.  Phares  fut,  comme  on  sait,  un  des  ancê- 
tres du  Christ,  et  c'est  pour  cela,  disent  les  commentateurs,  que  Moïse 
entre  dans  des  détails  aussi  minutieux  sur  sa  naissance. 

On  a  l'habitude  de  citer  la  naissance  de  Zara  comme  le  premier 
exemple  de  version  spontanée. 

Grossesse  tardive  de  Sara.  —  Sara,  femme  d'Abraham, 
était  arrivée  jusqu'à  l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans  sans  avoir  eu  d'en- 
fant, lorsque  deux  anges,  sous  la  forme  d'hommes,  lui  apparurent  et 
lui  annoncèrent  que  malgré  son  grand  âge  elle  serait  mère. 

Or  Abraham  et  Sara  étaient  vieux  et  avancés  en  âge  ;  et  Sara  n'avait 
plus  ce  que  les  femmes  ont  coutume  d'avoir. 

Et  Sara  rit  en  soi-même  disant  :  Etant  vieille,  aurai-je  cette  satisfac- 
tion? Mon  Seigneur  étant  fort  âgé  !  (1). 

Sara  se  montrait  bonne  physiologiste  :  il  est,  en  effet,  impossible 
qu'une  femme  soit  fécondée  après  avoir  perdu  ses  règles.  Cependant 
la  promesse  des  anges  fut  tenue . 

Sara  donc  conçut  et  enfanta  un  fils  à  Abraham  en  sa  vieillesse  et  dans 
la  saison  que  Dieu  lui  avait  dit  (2). 
Ce  fils  était  Isaac. 


B.  —  lois  et  coutumes  hébraïques 

1°  Loi  contre  les  blessures  faites  aux  femmes  en- 
ceintes. —  Si  des  hommes  se  battent,  et  frappent  une  femme  enceinte 
et  qu'elle  en  accouche,  et  que  cependant  elle  ne  meure  pas  elle-même, 
celui  qui  l'a  frappée  sera  obligé  de  payer  ce  que  le  mari  de  la  femme 
voudra,  et  ce  qui  aura  été  ordonné  par  les  juges. 
Mais  si  la  femme  en  meurt,  tu  donneras  vie  pour  vie, 
Œil  pour  œil,  dent  pour  dent,  main  pour  main,  pied  pour  pied  (3). 


(1)  Genèse,  XVIII,  n,  12. 

(2)  Id.,  XXI,  2. 

(3j  Exode,  XXI,  22-24. 


78  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

La  femme  grosse,  comme  le  fait  observer  Mattei,  était  au  nombre 
des  personnes  qu'on  devait  respecter,  même  dans  les  combats,  et  l'on 
cite  comme  un  rare  exemple  celui  de  Menahiem,  usurpateur  du  trône 
d'Israël,  qui  ayant  vaincu  la  ville  de  Tiphsha,  tua  jusqu'aux  femmes  en- 
ceintes^;.De  nosjours  encore, dans  toutesles  nations, si  unecondamnée 
à  mort  est  enceinte,  on  attend  son  accouche  ment  pour  lui  faire  subir  sa 
peine.  En  1790,1e  maire  de  Paris  demanda  que  les  femmes  enceintes 
ne  fussent  pas  mises  au  carcan  (2).  La  loi  de  Moïse  s'appliquait  même 
aux  animaux  ;  on  ne  sacrifiait  pas  dans  les  temples  les  femelles  qui 
portaient.  Chez  les  Indous,  la  femme  en  état  de  grossesse  était  dis- 
pensée de  se  jeter  dans  le  bûcher,  à  la  mort  de  son  mari.  A  Rome, 
une  femme  ne  pouvait  subir  la  torture  que  quarante  jours  après 
l'accouchement. 

De  la  loi  hébraïque,  dont  nous  venons  de  parler,  nous  rapproche- 
rons l'article  du  code  annamite  qui  prévoit  les  blessures  portées  aux 
organes  génitaux  de  la  femme:  «  Si,  après  la  guérison,  dit  A.  Mon- 
dière  dans  sa  Monographie  de  la  femme  de  la  Cochinchine,  il  y  a 
inaptitude  reconnue  à  la  conception,  le  coupable  est  condamné  à  cent 
coups  de  bâtons,  à  l'exil,  à  2,000  lis  et,  en  outre,  à  donner  à  la  vic- 
time la  moitié  de  ses  biens  ».  C'est  parfait  ;  mais  si  la  femme,  de  son 
côté,  inflige  aux  organes  de  l'homme  une  de  ces  blessures  que  nos 
confrères  delà  marine  ont  trop  souvent  l'occasion  de  panser,  qu'a-t- 
elle  à  payer?  Rien,  pas  même  le  pharmacien. 


2°  Lois  pour  la  purification  des  nouvelles  accou- 
chées. —  L'Eternel  parla  encore  à  Moïse,  et  lui  dit  : 

Parle  aux  enfants  d'Israël  et  dis  leur  :  Si  une  femme,  ayant  conçu, 
enfante  un  mâle,  elle  sera  impure  pendant  sept  jours  ;  elle  sera  impure 
comme  au  temps  de  ses  mois. 

Et  le  huitième  jour,  on  circoncira  le  prépuce  de  l'enfant. 

Et  elle  demeurera  pendant  trente-trois  jours  pour  être  purifiée  de  son 
sang;  elle  ne  touchera  aucune  chose  sacrée  et  elle  n'entrera  point  dans 
le  sanctuaire,  jusqu'à  ce  que  les  jours  de  sa  purification  soient  accom- 
plis. 

Si  elle  enfante  une  fille,  elle  sera  impure  deux  semaines,   comme  au 


(1)  Rois,  liv.  II,  ch.  XV,  v.  16. 

(2)  La  Sainte  Inquisition  seule  ne  respectait  pas  cette  loi  humanitaire  :  en  1551,1e 
14  juin,  une  femme,  quoiqu'enceinte,  fut  condamnée  à  être  pendue  avec  Bon  mari, 
et  subit  la  sentence.  Deux  heures  après  l'exécution,  le  cadavre  de  la  mère  donna  le 
jour  à  deux  enfants  vivants.  (Eber,  in  suo  Calendario,  et  Horstius.) 


L'OBSTETRIQUE    ET    LE   CULTE 


70 


temps  de  ses  mois,  et  elle  demeurera  soixante  et   six  jours  pour  être 
purifiée  de  son  sang. 


Lorscpue  les  jours  de  sa  purification  auront  été  accomplis,  soit  pour  un 
fils,  soit  pour  une  fille,  elle  portera  au  sacrificateur  à  l'entrée  du  taber- 


80 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


nacle  du  témoignage,  un  agneau  d'un  an,  pour  être  offert  en  holocauste, 
et,  pour  le  péché,  un  pigeonneau  ou  une  tourterelle. 

Et  le  sacrificateur  offrira  cela  devant  l'Eternel  et  fera  propitiation 
pour  elle  ;  et  elle  sera  nettoyée  du  flux  de  son  sang.  Telle  est  la  loi  pour 
celle  qui  enfante  un  mâle  ou  une  fille. 

Si  elle  n'a  le  moyen  de  trouver  un  agneau,  elle  prendra  deux  tour- 
terelles ou  deux  pigeonneaux;  l'un  pour  l'holocauste,  et  l'autre  en  of- 
frande pour  le  péché  ;  et  le  sacrificateur  fera  propitiation  pour  elle,  et 
elle  sera  ainsi  purifiée  (1). 


Fig.  54. 


Sepher  Tora,  ou  rouleau  de  la  Loi 
ouvert. 


Fig.  55.  —  Rouleau  de  la  Loi 
fermé,  entouré  d'un  ruban. 


Ce  fut  le  cas  de  Marie,  lors  de  la  présentation  au  Temple  (fig.  53). 
Le  prêtre  immolait  l'un  de  ces  oiseaux  dans  un  vase  de  terre,  trem- 
pait l'autre  dans  le  sang  du  premier,  faisait  sept  aspersions  sur  la 
femme,  la  déclarait  pure  et  lâchait  l'oiseau. 


(1)  Lèvitique,  XII,  1-8. 


l'obstétrique  et  le  culte  81 


Bois  de  vie.  —  Les  Juifs  appellent  ainsi  les  deux  bâtons  qui 
tiennent  roulée  la  bande  sur  laquelle  est  écrit  le  livre  de  leur  Loi 
(ftg.  54,   55). 

Si  l'on  en  croit  Collin  de  Plancy,  ces  bâtons  seraient  à  la  fois 
bâtons  d'aveugle  et  bâtons  d'invalide  :  leur  simple  attouchement 
suffirait  pour  affermir  la  vue  et  rendre  la  santé.  Il  n'est  pas  permis 
aux  parlurientes  de  toucher  les  bois  de  vie  ;  mais  les  contempler, 
rend  l'accouchement  plus  facile.  Peut-être  aussi  le  spectacle  d'une 
noble  rigidité  offre-t-il  aux  maris  un  exemple  bon  à  suivre. 

D'ailleurs,  dans  les  textes  anciens,  il  n'est  fait  aucune  allusion  à 
celle  coutume,  pas  plus  qu'au  moyen  indiqué  par  un  mauvais  plai- 
sant, comme  le  plus  efficace  pour  activer  la  couche  laborieuse  d'une 
Juive  :  présenter  à  l'orifice  vulvaire  une  pièce  de  monnaie. 

Lilith.  —  Les  Romains  craignaient  Sylvain  ;  les  Juives  redou- 
taient Lililh,  prince  des  démons  succubes,  très  friand  du  sang  des 
nouveau-nés.  C'est  pourquoi,  au  dire  de  Don  Galmet  dans  sa  Disser- 
tation sur  les  apparitions,  les  Juifs,  pour  éloigner  ces  démons,  écri- 
vent aux  quatre  coins  de  la  chambre  d'une  nouvelle  accouchée  : 
Adam,  Havah,  Chulz,  Lililh,  c'est-à-dire  Adam,  Eve,  hors  d'ici 
Lililh;  en  dedans  de  la  porte,  on  inscrit  les  noms  de  trois  démons 
Senoi,  Sansenoi,  Samangeloph.  Celte  dernière  coutume,  pas  plus  que 
la  précédente,  ne  semble  avoir  été  de  l'époque  biblique.  Ajoutons 
aussi  que  l'intarissable  Dom  Calmet  passe  pour  avoir  été  un  peu  cré- 
dule. 


III.    —  l'obstétrique    catholique 


SUR  LA  NAISSANCE  DE  QUELQUES  SAINTS    PERSONNAGES 


Naissance  de  Sainte  Anne.  —  Ni  Mathieu,  ni  Marc,  ni  Luc, 
ni  Jean  n'ayant  eu  la  galanterie  de  nous  apprendre  quel  nom  portait  la 
mère  de  la  Vierge,  au  VI8  siècle  on  décréta  qu'elle  s'appelait  Anne  et 
son  époux  Joachim.  Va  donc  pour  Anne  et  Joachim. 

Une  légende  du  XIIIe  siècle,  signalée  dans  un  curieux  ouvrage  de 
Leroux  de  Lincy,  le  Livre  des  Légendes,  transporte,  mille  ans  après 
le  péché,  l'arbre  de  vie  dans  le  Jardin  d'Abraham.  La  fille  du  patriar- 

HlSTOiriE    DES    ACCOUCHEMENTS.  6 


82  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

che  respire  le  parfum  d'une  fleur  de  cet  arbre  et  se  trouve  enceinte  : 
elle  prouve  aux  Juifs  son  innocence  en  passant  sur  un  brasier  ardent, 
dont  les  tisons  se  changent  en  fleurs  sous  ses  pas.  Un  enfant  naquit, 
reçut  le  nom  de  Fanovel;  un  jour,  en  coupant  un  fruit  de  l'arbre  de 
vie  pour  guérir  un  malade,  il  essuya  sur  sa  cuisse  le  couteau  dont  il 
s'était  servi  et  s'inocula,  par  inadvertance,  un  suc  générateur  qui  fit 
enfler  la  cuisse  :  il  en  sortit,  au  bout  de  neuf  mois,  une  jeune  fille, 
Anne,  qu'il  donna  plus  tard  en  mariage  à  un  chevalier  du  nom  de 
Joachim  ;  Marie  naquit  de  cette  union. 

Une  autre  légende,  publiée  en  1501,  donne  Emérantiane  pour  mère 
à  Sainte  Anne.  Elle  avait  soixante  et  un  an  quand  elle  conçut  sa  fille, 
et  son  mari,  Stolano,  en  avait  soixante-dix.  A  la  naissance  de  l'en- 
fant, «  il  parut  »,  dit  la  légende,  «  sur  la  poitrine  dudit  enfant, 
quatre  lettres  d'or  faisant  nom  d'Anne.  Ce  nom  était  resplendissant 
comme  pierres  précieuses  ». 

Accouchement  de  Sainte  Anne.  —  Au  XIXe  siècle,  la  théo- 
logie a  posé  en  dogme  que  le  fruit  d'Anne  et  de  Joachim  avait  été  conçu 
sans  la  tache  du  péché  originel  (1).  Celle  question  qui,  au  moyen 
âge,  avait  soulevé  des  querelles  fameuses  entre  dominicains  et  fran- 
ciscains (2),  n'émeut  plus  guère  que  quelques  rares  dévols.  Gomme 
d'ailleurs  les  misérables  lumières  humaines  du  praticien  ne  lui  per- 
mettent pas  de  distinguer  si  l'enfant,  à  sa  naissance,  porte  ou  non 
trace  de  la  faute  originelle,  nous  avouerons  que  les  couches  de  Sainte 
Anne  manquent  ici  d'intérêt. 

Où  Sainte  Anne  accoucha-t-elle?  On  montrait,  et  peut-être  montre- 
t-on  encore  à  Jérusalem,  une  espèce  de  grotte  où  la  Vierge  aurait  vu 
le  jour  :  suivant  quelques  hagiographies,  nul  infidèle  n'aurait  pu  y 
mettre  le  pied  sans  être  frappé  de  mort. 

L'ignorance  complète  des  circonstances  qui  ont  environné  la  nais- 
sance de  la  Vierge,  a  laissé  un  libre  champ  aux  artistes  qui,  voulant 
les  retracer,  ont  pu  suivre  les  inspirations  de  leur  génie  ou  de  leur 
piété.  Ainsi,  ils  font  volontiers  naître  la  Vierge  dans  un  palais,  vou- 
lant peut-êlre  établir  un  contraste  entre  les  couches  de  la  mère  (fig.  56) 
et  celles  de  la  fille  qui  eurent  lieu  dans  une  étable  (fig.  62).  On  peut 

(1)  C'est  le  dogme  de  Y  Immaculée  Conception.  Un  ordre  religieux  en  l'honneur 
de  ce  dogme  a  été  fondé  en  Espagne,  l'an  1484,  par  Béatrix  da  Silva,  parente  d'Isa- 
belle de  Castille. 

(2)  Kobert  Gaguin,  docteur  en  Sorboune,  général  des  Mathurins,  composa  au 
XV*  siècle  un  poème  latin  sur  Y  Immaculée  Conception  ;  de  bonne  foi,  ce  religieux  a 
écrit,  sous  prétexte  de  piété,  un  ouvrage  assez  indécent. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


83 


même  trouver  dans  la  fresque  du  Ghirlandajo,  que  nous  reproduisons, 
une  richesse  d'ornements  peu  en  rapport  avec  la  fortune  que  la  tradi- 


tion prêle  à  la  famille  de  la  Sainte  Vierge.  La  composition  est  d'ail- 
leurs curieuse  :  sur  le  premier  plan,  trois  femmes  sont  occupées  à 
donner  les  premiers  soins  à  l'enfant  nouveau-né  ;  d'autres,  se  pré- 


81 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


FlG. 


PAGEMAKER-  FILS 
S.ZiBTBLUM  )o* 

-  Naissance  de  la  Vierge,  d'après  Zeitblom   (Peinture  à  l'huile  sur  panneau,  de  la   galerie 
de  Sigmaringen). 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


8; 


sentent  pour  offrir  leurs  hommages  à  la  future  mère  de  Dieu.  Anne 
est  à  demi  couchée,  au  second  plan  à  droite.  A  gauche,  sur  l'escalier, 
Joachim  reçoit  les  félicitations  d'usage. 


Fig.  58. —  La  Nativité  do  la  Vierge,  d'après  Albert  Durer.  % 


8  6 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


D'autres  peintres,  comme  Zeitblom  (fi r.  57),  Albert  Durer  (fig. 58), 


Fin.  5i). —    Naissance  do  la  Vierge,  d'après  Jean   do  Milan.  (Peinture  de   la   Chapelle  Renuccmi, 
l'église  Sainte -Croix  do  Florence.) 


Fig.  CO.  —  Naissance  de  la  Vierge,  d'après  Murillo. 

Jean  de  Milan  (fig.  59)  et  Murillo  (fig.  GO),  font  accoucher  la  mère  de 


l'obstétrique  et  le  culte  87 

Marie  dans  un  milieu  plus  modeste;  ils  empruntent  à  leur  époque  le 
costume  et  le  mobilier  et  représentent  en  quelque  sorte  une  scène 
d'accouchement  de  leur  temps  :  cet  anachronisme  peut  fournir  des 
renseignements  sur  les  mœurs  obstétricales  dans  les  pays  et  au  siècle 
où  ils  vivaient. 

Il  est  question  de  l'accouchement  d'Anne  dans  un  mystère  du 
moyen  âge  sur  La  conception  de  la  Vierge  et  la  nativité  d'icelle.  Voici 
l'analyse  de  cette  pièce,  d'après  J.  Gouriet  :  Les  deux  époux,  Anne 
et  Joachim,  implorent  l'assistance  de  Dieu,  un  ange  leur  apparaît  et 
leur  prédit  la  naissance  de  Marie  qui  sera  mère  de  Jésus.  Après  une 
si  longue  stérilité,  ils  ont  peine  à  le  croire  ;  mais  aussitôt,  Anne  sent 
des  douleurs  :  elle  se  couche,  tire  les  custodes  et  enfante  Marie. 
Tandis  qu'Anne  accouche,  la  chambrière  dit  à  Joachim  : 

Joués  de  retraicte, 

Monsieur,  s'il  vous  plaist,  car  madame 
D'elle-mesme  est  tendre  femme  ; 
Et  n'est  point  requis  qu'on  tempeste 
A  l'accouchée  ainsi  la  teste, 
Et  n'a  que  faire  de  blazon  (1). 

Aussitôt  accouchée,  Anne  s'adresse  ainsi  à  Marie  : 

Tu  estant  beLle, 

Jamais  de  telle 

Ne  fut  au  monde  ; 

Gente  pucelle 

De  Dieu  ancelle  (2) 

Très  pure  et  monde  ; 

Tu  es  féconde, 

Nulle  seconde 
Et  n'auras,  doulce  columbelle  : 
Car  la  grâce  de  Dieu  redonde 
Joue  aux  cieulx,  et  superabonde: 
Anges  chantent  de  la  nouvelle. 

Et  la  chambrière  reprend  : 


Ainsy  que  une  luysante  estoille, 
Sa  face  reluit,  ma  maîtresse  : 
Mais  donnez-lui  votre  mamelle. 


(1)  Bruit. 

(2)  Servante. 


88 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


Grossesse  de  la  Vierge.  —  La  grossesse  de  la  Vierge,  à  part 
son  origine  spirituelle,  ne  présente  rien  d'anormal.  Sa  durée,  d'après 


Fig.  61.  —  I-a  Visitation,  d'après  Raphaël. 


Saint  Augustin,'  fut  de  273  jours,  soit  trois  jours  de  plus  que  les  neuf 


l'obstétrique  et  le  culte  89 


mois  ordinaires.  Rien  donc  de  particulier  à  signaler  au  point  de  vue 
physiologique.  Nous  voudrions  seulement  présenter  une  critique,  non 
d'esthéticien,  Dieu  merci  !  mais  d'humble  gynécologue,  sur  la  ma- 
nière dont  les  peintres  ont  interprété  le  récitdeSaint  Luc,  au  sujet  de 
la  Visitation.  L'évangéliste  raconte  qu'après  avoir  reçu  le  message 
de  l'ange  lui  annonçant  qu'elle  mettrait  au  monde  le  fils  de  Dieu  : 

Marie  se  leva  et  s'en  alla  en  diligence  au  pays  des  montagnes  dans 
une  ville  de  la  tribu  de  Juda.  —  Et  étant  entrée  dans  la  maison  de 
Zacharie,  elle  salua  Elisabeth.  —  Et  aussitôt  qu'Elisabeth  eût  entendu 
la  salutation  de  Marie,  son  petit  enfant  tressaillit  dans  son  sein...  (1). 

Or,  l'ange  avait  annoncé  à  Marie  que  sa  cousine  Elisabeth  était 
enceinte  de  six  mois  (2)  ;  la  Vierge  au  contraire  n'était  qu'au  début 
de  sa  grossesse  miraculeuse  ;  celle-ci  devait  donc  n'être  pas  encore 
visible,  tandis  qu'Elisabeth  devait  déjà  avoir  un  abdomen  proéminent. 
Or,  tous  les  artistes  qui  ont.  traité  ce  sujet  de  la  Visitation,  et  ils  sont 
nombreux,  donnent  à  Marie  le  ventre  que  devrait  avoir  Elisabeth. 
Il  est  vrai  qu'ils  dissimulent,  autant  que  possible,  les  traces  de 
l'opération  du  Saint-Esprit,  en  drapant  les  vêtements,  comme  ont  fait 
Rubens,  André  Sabbatini,  Sébastien  del  Piombo,  ou  encore  par  la 
position  du  corps,  en  faisant  fléchir  une  cuisse,  le  pied  posé  sur  une 
marche  d'escalier,  ou  même  en  la  montrant  presque  de  dos  comme 
Federigo  Baroccio.  Seul  Raphaël  n'emploie  aucun  artifice  et  montre 
la  Vierge,  avec  le  développement  du  ventre  et  des  seins  d'une  femme 
à  terme  (fig.  61).  Quant  à  Elisabeth,  sa  tournure  ne  révèle  en  aucune 
façon  sa  position  (3). 

Accouchement  de  Marie.  —  Comme  on  le  sait,  Marie  accou- 
cha dans  une  étable  de  Bethléem  ;  le  berceau  de  l'enfant-Dieu  fut 
misérable  (4). 

(1)  I,  39-41.  Remarquons  en  passant  qu'Elisabeth  semble  avoir  senti  remuer 
son  enfant  pour  la  première  fois  à  l'arrivée  de  Marie,  c'est-à-dire  dans  son  sixième 
mois  de  grossesse  ;  or,  habituellement,  les  premiers  mouvements  foetaux  sont  perçus 
beaucoup  plus  tôt,  vers  quatre  mois  et  demi. 

(2)  I,  3G.  «  Et  voilà  Elisabeth,  ta  cousine,  qui  a  aussi  conçu  un  fils  en  sa  vieil- 
lesse ;  et  c'est  le  sixième  mois  de  la  grossesse  de  celle  qui  était  appelée  stérile  ». 

(3)  Certains  artistes,  pour  dépeindre  le  «  tressaillement  »  dont  parle  Saint  Luc, 
ont  poussé  le  réalisme  jusqu'à  représenter  le  petit  Saint  Jean  et  le  petit  Jésus  dans 
le  sein  ouvert  de  leurs  mères  ;  nous  en  reparlerons  en  étudiant  les  uicco  licitement  s 
dans  les  Beavx-Arts. 

(4)  A  Sainte-Marie-Majeure,  on  vénère  le  berceau  de  Jésus-Christ,  mais  les  magni- 
fiques plaques  d'argent  dont  il  est  orné  ne  ressemblent  en  rien  à  l'auge  tradition- 
nelle de  la  sainte  étable,  que  Bethléem  a  la  prétention  de  posséder  seule.  Les  langes 
où  Jésus-Christ  fut  emmailloté,  sont  encore  visibles  à  Rome,  dans  l'église  de  Saint- 


90  HISTOIRE  DES   ACCOUCHEMENTS 

L'absence  de  documents  sur  l'accouchement  de  Marie,  nous  oblige 
à  nous  en  tenir  aux  racontars  des  vieux  Noëls  et  des  anciens  cantiques 
du  moyen  âge.  La  Grande  Bible  de  Noëls  dit  qu'au  moment  où  Marie 
se  dispose  à  accoucher,  Joseph  veut  aller  quérir  une  sage-femme: 
Marie  s'y  oppose  en  ces  termes: 

Cher  Joseph,  reposez-vous, 
Et  nous  mettons  à  genoux. 

Ce  à  quoi  Joseph  répond  avec  surprise: 

Croyez-vous,  madame, 
Qu'ainsi  vous  accoucherez, 
Sans  aucune  femme, 
Et  que  vous  enfanterez 
En  demeurant  à  genoux? 
Comment  donc  l'entendez-vous? 

L'accouchement  de  la  Vierge  est  la  meilleure  réponse  aux  objec- 
tions de  son  époux.  Cette  tradition  d'un  accouchement  à  genoux 
semble  avoir  été  commun  jadis  ;  en  effet,  dans  les  Chansons  et  Noëls 
nouveaux,  par  Lucas  Le  Moigne,  curé  de  St-George-du-Puy,  nous 
trouvons  ce  qui  suit: 

Ainsi  la  Vierge  pucelle, 
Le  doux  sauveur  enfanta; 
Joseph  lui  tint  la  chandelle, 
Qui  tout  tremblant  regarda. 

Paul.  En  Lorraine,  on  honorait  le  saint  foin  qui  fut  mis  dans  la  crèche.  Enfin,  à 
Home,  on  adore  le  cordon  ombilical  de  Jésus-Christ,  divisé  en  deux  parties  ;  la 
plus  considérable  est  à  Saint-Jean  de  Latran,  l'autre  à  Sainte-Marie-du-Peuple. 
A  toutes  ces  précieuses  reliques,  nous  pouvons  ajouter  le  lait  de  la  Sainte  Vierge. 
«  11  n'y  a,  dit  Henri  Estienne,  si  petite  villette,  ni  si  méchant  couvent,  soit  de 
moines,  soit  de  nonnains,  où  l'on  montre  du  lait  de  la  Sainte  Vierge,  les  uns  plus, 
les  autres  moins.  Tant  y  a,  que  si  la  Sainte  Vierge  eût  été  une  vache,  ou  qu'elle  eût 
été  nourrice  toute  sa  vie,  à  grande  peine  en  eut-elle  pu  rendre  une  si  grande  quantité». 
Collin  de  Plancy  parle  de  la  Grotte  du  lait  de  la  Vierge,  près  de  Bethléem.  «  On 
raconte,  dit-il,  qu'en  attendant  son  époux,  Marie  donna  à  teter  à  l'enfant  Jésus,  et 
que  quelques  gouttes  de  son  lait  tombèrent,  sur  un  petit  rocher  qui  s'amollit.  Depuis 
ce  temps,  les  nourrices  qui  manquent  de  lait  vont  à  la  grotte,  raclent  un  peu  de 
poudre  du  rocher  qui  est  devenu  tout  blanc,  le  boivent  dans  du  vin  ou  dans  du  bouil- 
lon, et  sentent  aussitôt  leurs  mamelles  se  remplir.  Les  femmes  turques  mêmes 
recourent  à  ce  remède  miraculeux  ;  et  l'on  assure  que  si  un  homme  avait  l'impru- 
dence de  boire  quelque  peu  de  cette  poudre  du  rocher  de  la  Vierge,  il  lui  pousserait 
incontinent  des  tétons  pleins  de  lait.  Nous  rapportons  toutes  ces  choses  sur  le  témoi- 
gnage de  trois  moines:  Voyage  du  Père  Nau  en  Terre- Sainte,  liv.  IV,  chap.  XIV. — 
Voyage  du  Père  Goujon,  page  276.—  Voyage  d' un  franciscain.  Paris,  1760,  lr0  partie, 
chap.  33.  » 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    GUI-TE 


91 


Ces  quatre  vers    pourraient   servir   de  légende    au  tableau    de 

Zriililom    Rût.  (>2),  représentant  la  naissance  de  Jésus. 


EAGOTEFL  *4 


B.ZE.LTELCM  tC 


r.Miwcr  lAMUtsC 


Fie.  Ci.   —   Naissons    du  Clnist,  d'aurcs  Zcitbom,  peinture   à  l'huile  sur  panneau  de  la  galerie  de 

Sipmaringcn. 


92  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Donc  la  Vierge  aurait  accouché  à  genoux  (1),  tout  comme  Léto  à 
Délos.  Malheureusement  les  documents  manquent  d'autorité.  Quant 
à  l'absence  de  toute  sage-femme  aux  couches  de  la  Vierge,  on  y  pour- 
rait presque  trouver  de  la  couleur  locale.  Nous  avons  vu  déjà,  d'a- 
près la  réponse  de  Sciphra  et  Puha  au  Pharaon,  que  les  femmes 
des  Hébreux  savaient  se  passer  d'aide  dans  eetle  circonstance.  Un 
autre  cantique  du  recueil,  cité  en  dernier  lieu,  fait  allusion  à  ce  détail. 
Marie  dialogue  avec  une  commère  qui  lui  demande: 


Pour  accoucher,  madame, 

Fut-il  besoin 
De  quelque  sage-femme? 

N'en  vint-il  point? 
Sentîtes-vous  les  douleurs  et  tranchées 

Des  autres  accouchées 

Quand  ce  vint  à  ce  point? 


A  quoi  Marie  répond  : 


Ma  grossesse  était  sainte 

Et  sans  péché; 
Sans  douleur  et  sans  plainte, 

J'ai  accouché 
Contre  les  lois  de  toute  la  nature, 

D'une  manière  pure 

Mon  fils  s'est  détaché. 


Le  Koran  aussi  fait  accoucher  Marie  à  genoux,  comme  Léto,  et 
complète  la  ressemblance  avec  l'accouchement  de  cette  déesse,  en 
plaçant  la  Vierge  au  pied  d'un  palmier.  Voici  les  versets  du  Livre 
de  Mahomet  : 


Les  douleurs  de  l'enfantement  la  surprirent  auprès  d'un  tronc  de 
palmier.  Plût  à  Dieu,  s'écria-t-elle,  que  je  fusse  morte  avant  que  je  fusse 
oubliée  d'un  oubli  éternel  ! 

Quelqu'un  lui  cria  de  dessous  elle:  ne  t'afflige  point.  Ton  seigneur  a 
fait  couler  un  ruisseau  à  tes  pieds. 


(1)  Les  peintres  montrent  rarement  la  Vierge  dans  un  lit;  c'est  cependant  ainsi 
que  la  représente  Hippolyte  Flaudrin,  à  St-Gerrnain-dos-Frés  (fig.  63). 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


(J3 


Secoue  le  tronc  du  palmier,  des  dattes  mûres  tomberont  vers  toi. 
Mange  et  bois,  et  console-toi  (1). 

La  Vierge,  étant  exempte  du  péché  originel,  eut,  paraît-il,  le  privi- 
lège d'accoucher  sans  douleur  (2).  Le  cas  ne  présente  en  lui-même 
rien  de  merveilleux;  il  n'est  pas  rare  de  voir  desimpies  mortelles 
accoucher  dans  ces  conditions  exceptionnelles:  nous  en  avons  cité 


^v/Ct£KIA  IN  lxcelsis  QEJépç  Y 


Fig.  G3.  —  La  Naissance  du  Christ,  (Taprès  Hippolyte  Fiandrin. 

plusieurs  exemples  dans  notre  Génération  humaine;  il  en  est  même 
qui  éprouvent  un  certain  plaisir  (3). 

Ce  qui  est  véritablement  miraculeux,  et  ce  qui  distingue  Marie 
entre  toutes  les  primipares,  c'est  qu'après  l'accouchement  elle  est 


(1)  Koran,  XIX,  23-26. 

(2)  Ce  fait  avait  déjà  un  précédent:  Plaute,  dans  la  comédie  d'J.Mjp  h  itnjon,  fait 
accoucher  Alcmène  de  deux  jumeaux  sans  douleur  :  sine  dolorc  peperit. 

(3)  «  On  lit  dans  un  voyage  en  Sicile  et  à  Malte,  de  M.  Brydone,  publié  en  1775, 
que  l'accouchement  en  Sicile  est  regardé  comme  une  partie  de  plaisir.  »  Sue,  loc.  cit. 
Kilian  cite  un  ras  où  le  travail  de  l'accouchement  eut  lieu  dans  la  plus  ine/fabile 
voluttà.  G.  Millot.  De  l'obstétrique  en  Italie. 


'.Il  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


restée  toujours  vierge.  Avant  la  naissance  d'un  enfant,  il  n'est  pas 
rare  de  constater  les  apparences  de  la  virginité;  Pajot  a  été  appelé  à 
inciser  chez  la  même  femme,  trois  membranes  hymens  superposées 
qui  faisaient  obstacle  au  passage  de  l'enfant;  mais  conserver  l'hymen 
après  l'accouchement,  voilà  le  miracle  !  Il  est  vrai  qu'aucun  examen 
n'a  été  fait  ni  aucun  procès-verbal  dressé  par  les  matrones  de  l'é- 
poque (1),  comme  on  le  fit  pour  Jeanne  Daic,à  qui  l'on  peut  donner 
réellement  le  titre  de  Pucelle.  Etienne  Molinier,  dans  un  de  ses  ser- 
mons, explique  ce  prodige  en  comparant  la  naissance  de  Jésus 
à  la  lumière  du  soleil:  «elle  entre»,  dit-il  «par  les  fenêtres 
sans  percer  les  vitres,  les  pénètre  sans  les  rompre,  et  les  traverse  sans 
les  diviser  ». 

Les  couches  de  la  mère  de  Dieu  donnèrent  lieu  à  maintes  contro- 
verses au  moyen  âge  :  Avait-elle  souffert?  Avait-elle  été  assistée  par 
des  sages-femmes?  Des  matrones  avaient-elles  constaté  la  persis- 
tance de  sa  virginité,  de  visu  et  tactu,  après  la  naissance  de  Jésus? 
Ces  questions  se  débattaient  en  pleine  chaire.  De  nombreux  écrits 
parurent  aussi  où  de  singuliers  problèmes  étaient  agités.  On  se  de- 
mandait si  Marie  avait  réellement  conçu  par  l'oreille,  comme  Saint- 
Augustin  l'avance  «  imprœgnavit  in  aurem  »  ;  si  Jésus  restait 
assis  ou  couché  dans  le  sein  de  sa  mère,  quand  Marie  pendant  sa 
grossesse  s'asseyait  ou  se  couchait.  Samuel  Schoroer  alla  plus  loin  : 
en  1709,  il  fit  imprimer  une  Disserlatio  theologica  de  sanclificatione 
seminis  Mariœ  Virginia  in  actu  concept  ionis  Christi  (2).  Enfin,  Jac- 
ques Sannazar,  de  Naples,  au  seizième  siècle,  passe  vingt-deux  ans 
à  composer  un  poème  en  trois  livres  sur  l'Enfantement  de  la  Vierge. 

Prodiges  signalés  à  la  naissance  de   Jésus.   —   «  Le 

ciel  par  un  prodige  singulier,  »  dit- le  prédicateur  Bosquier,  «  fit  con- 
naître aux  Mages  la  naissance  du  Christ.  Dans  la  même  nuit  :  1°  Il 
naquit  un  enfant  au  roi  Ballhazar,  et  cet  enfant  fut  Saint  Barthé- 
lémy, lequel  enfant  se  levant  aussitôt  debout,  dit  ces  paroles  :  In 
hâc  nocte,  in  Judœâ,  natus  est  nobis  Salvator  mundi  ;  2°  En  entrant 
dans  un  des  jardins  de  son  palais,  le  roi  Melchior  entendit  une  voix  ; 
c'était  celle  d'une  belle  colombe  qui  disait  :  In  hâc  nocte  natus  es/, 
Salvator  generis  humani;  3°  Dans  le  même  moment  et  la  même  nuit, 

(1)  Suidas,  ilest  vrai,  rapporte  que  Marie  fut  visitée,  quinze  ou  seize  ans  après  la 
naissance  de  Jésus,  par  d'honnêtes  matrones  et  qu'elle  fut. encore  trouvée  vierge. 

(2)  Sanchez,  dans  le  Matrivionlo  est  allé  plus  loin  encore  ;  il  se  demande  vtrum 
sj)iritus  sanctus  in  eopulatione  cum  Virgine  Maria  semen  emiserit.  Voyez  Voltaire, 
passim. 


l'obstétrique  et  le  culte  95 

il  naquit  d'un  petit  oiseau  qui  avait  déposé  ses  œufs  dans  le  jardin 
du  roi  Gaspard,  un  lion  et  une  brebis,  le  ciel  voulant  faire  connaître 
par  cette  merveille  que  le  verbe  divin  s'était  fait  homme  et  avait  pris 
naissance...  » 

Le  bœuf  et  l'âne  qui  étaient  dans  1  etable,  et  dont  les  Evangiles 
canoniques  ne  font  aucune  mention,  s'agenouillèrent  et  adorèrent  le 
Sauveur.  La  Monnoye  a  rendu  ce  passage  d'une  manière  fort  plai- 
sante ;  il  dit  en  parlant  du  bœuf  et  de  l'âne  : 

On  di  que  ce  pôvrebéte 
N'ure  pas  vu  le  pôpon, 
Quelle  se  mire  ai  genon 
Humbleman  boissan  lai  tête. 
Que  d'âne  et  de  beu  je  sai, 
Qui  po  tô  se  fon  dé  fête, 
Que  d'âne  et  de  beu  je  sai, 
Qui  n'an  airein  pa  tan  fai. 

Ma  le  pu  bea  de  l'histoire, 
Ce  fut  que  l'âne  et  le  beu 
Ansin  passire  tô  deu 
Lai  neù  san  maingé  ni  boire. 
Que  d'âne  et  de  beu  je  sai, 
Couvar  de  pane  et  de  moire, 
Que  d'âne  et  de  beu  je  sai, 
Qui  n'an  airein  pa  tan  fai  (1). 

Un  de  ces  moines  bouffons,  comme  en  produisait  le  XVIe  siècle, 
raconte  la  nativité  de  Notre  Seigneur  de  la  manière  suivante  :  «  11 
dit  »,  raconte  Philomneste,  «  que  le  coq  fut  le  premier,  qui,  dès  le 
matin,  annonça  la  naissance  du  Rédempteur  enchantant  à  plusieurs 
reprises,  Christus  natus  est;  et  avec  ces  mots,  il  imita  le  chant  du 
coq.  Puis  conlinua-t-il,  le  bœuf  impatient  de  savoir  où  le  Christ  étail 
né,  se  mit  à  beugler  ubi,  ubi,  que  l'orateur  prononça  à  l'allemande, 
oubi,  oubi,  en  contrefaisant  le  bœuf;  à  quoi  la  brebis  répondit  in 
Beethléem,  in  Beethléem,  il  se  prit  à  bêler  ;  enfin,  l'âne  les  invita  à 

(1)  Comme  le  bourguignon  n'est  pas  familier  ù  tous,  nous  traduisons  :  On  dit 
que  ces  pauvres  bêtes  n'eurent  pas  (plus  tôt)  vu  le  poupon  qu'elles  se  mirent  à  <je- 
iwux,  humblement  baissant  la  tête.  Que  d'ânes  et  de  bœufs  je  sais  qui  n 'en  auraient 
pas  tant  fait.  —  Mais  le  plus  beau  de  l'histoire  ce  fut  que  l'âne  et  le  hceuf  ainsi  pas- 
sèrent tous  deux  la  nuit  sans  manger  ni  boire.  Que  d'ânes  et  de  bœufs  je  sais,  cou- 
verte de  panne  et  de  moire,  que  d'ânes  et  de  bœufs  je  sais  qui  n'en  auraient  pas  tant 
fait. 


96  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

s'y  rendre  en  brayant  camus,  eamus,  eaaamus,   et  c'est   dans  le 
braire  du  baudet,  dit-on,  que  le  prédicateur  se  surpassa  ». 

Naissance  de  Judas  Iscariote.  —  La  mère  de  Judas  eut  un 
songe  pendant  sa  grossesse;  elle  entendit  une  voix  qui  lui  dit  que 
son  enfant  serait  plein  de  méchanceté  et  le  destructeur  de  sa  famille. 
A  peine  né,  ses  parents  effrayés  voulurent  se  débarrasser  de  lui;  ils 
le  mirent  dans  une  corbeille  et  l'abandonnèrent  sur  la  mer;  les  flots 
le  poussèrent  à  la  ville  d'Iscarioth  dont  il  prit  le  nom. 

Naissance  de  Saint  Nicolas.  —  Ribadeneira  raconte  ainsi, 
clans  la  Fleur  des  vies  des  saints,  la  naissance  du  patron  des  écoliers  : 
«  Saint  Nicolas  naquit  à  Patare,  ville  de  Lycie,  qui  est  une  province 
de  l'Asie-Mineure.  Euphémie.  homme  riche,  mais  extrêmement 
pieux  et  charitable,  fut  son  père,  et  Anne,  sœur  de  Nicolas,  l'ancien 
archevêque  de  Myre,  fut  sa  mère. 

«  Il  ne  vint  au  monde  que  quelques  années  après  leur  mariage,  et 
lorsqu'ils  n'espéraient  plus  avoir  d'enfants.  Leur  miséricorde  envers 
les  pauvres  obtint  ce  que  la  nature  leur  refusait.  Un  messager  céleste 
leur  annonça  cette  heureuse  nouvelle,  et  en  leur  promettant  un  fils 
pour  le  soulagement  de  leur  vieillesse,  il  les  avertit  de  lui  donner  le 
nom  de  Nicolas,  qui  signifie  victoire  du  peuple,  et  qui  était  aussi  celui 
de  son  oncle.  Lorsqu'à  sa  naissance,  on  le  mil  dans  le  bassin  pour  le 
laver,  il  se  leva  de  lui-même  sur  ses  pieds,  et  se  tint  en  cet  état  pendant 
deux  heures,  les  mains  jointes  et  les  yeux  élevés  vers  le  ciel  ;  ce  qui 
fait  croire  à  Denis  le  Chartreux  qu'il  reçut  alors  l'usage  de  la  raison, 
et  à  Saint  Michel,  l'archimandrite,  qu'il  avait  été  sanctifié  avant  de 
naître.  Il  commença  à  jeûner  dès  le  berceau;  car,  au  lieu  de  teter 
ordinairement  plusieurs  fois  ie  jour,  le  mercredi  et  le  vendredi,  qui 
étaient  des  jours  d'abstinence  et  de  jeûne  dans  l'Eglise  orientale,  en 
l'honneur  de  la  passion  de  Notre  Seigneur,  il  ne  tétait  jamais  qu'une 
fois  vers  le  soir(l)  ;  et  l'on  dit  même  qu'il  ne  tétait  pas  la  mamelle 
droite,  dont  le  sang,  comme  plus  éloigné  du  cœur,  n'est  pas  estimé 
bon  que  celui  de  la  mamelle  gauche.  » 


(1)  Charles  Nisard,  dans  Y  Histoire  des  livres  populaires,  dit  que  Ton  rapporte  le 
même  trait  de  délicatesse  de  conscience  de  Jean  de  la  Mathé,  fondateur  de  l'ordre 
des  Trinitaires.  Saint  Roch  et  Saint  Etienne,  évoque  de  Die,  passent  aussi  pour  avoir 
donné  un  pareil  témoignage  de  mortification  précoce,  en  s  abstenant  de  teter  leur 
mère  les  jours  de  jeûne.  Saint  Robert  refusait  le  sein  d'une  nourrice  vivant  dans  le 
désordre  et  prenait  volontiers  celui  des  honnêtes  femmes . 


l'obstétrique  et  le  culte  97 

Naissance  de  Saint  Christophe  et  de  Saint  Dominique. 

—  Nous  détachons  de  YArétin  moderne,  un  des  nombreux  ouvrages 
anti-religieux  de  l'abbé  Dulaurens,  les  deux  passages  suivants  : 

Le  premier  concerne  Saint  Christophe  : 

«  Nous  savons  par  l'Ecriture  sainte  (1)  que  la  mère  de  Saint  Chris- 
tophe a  été  dix-huit  mois  à  le  faire  et  qu'il  a  occasionné  de  furieuses 
douleurs  et  de  terribles  coliques  à  madame  sa  mère,  en  le  mettant  au 
monde  (2).  Dame,  aussi  il  était  si  grand,  que  cela  faisait  trembler  (3)  ». 

Dans  le  second,  il  s'agit  de  Saint  Dominique  : 

«  Sa  mère  rêva,  dans  le  temps  de  sa  grossesse,  qu'elle  accouchait 
d'un  mâtin,  les  dévots  ont  assuré  que  ce  rêve  de  chien  annonçait  un 
grand  homme  et  que  l'enfant  serait  une  des  plus  belles  lumières  de 
l'église,  à  cause  qu'il  y  avait  beaucoup  de  relation  entre  un  dogue  et 
une  lumière.  L'événement  a  vérifié  le  songe,  Saint  Dominique  a 
beaucoup  aboyé,  son  éloquence  fanatique  a  fait  égorger  quarante 
mille  Albigeois  »  (4). 

Sainte  Félicité.  —  Saint  Drausin.  —  La  loi  ne  permettant 
pas  d'exécuter  les  femmes  grosses  avant  leur  terme,  Sainte  Félicité 
craignait  d'être  séparée  de  ses  compagnons  attendant  le  martyre.  Cha- 
cun pria  Dieu  pour  qu'il  avançât  le  terme  ;  c'était  trois  jours  avant 
celui  de  l'exécution,  aussitôt  FéliciLé  sentit  les  douleurs  de  l'enfante- 
ment et  accoucha  d'une  fille. 

Rachilde,  mère  de  Saint  Drausin, voulant  remercier  Dieu  de  lui  avoir 
donné  un  fils,  s'abstint  de  vin  le  reste  de  sa  vie.  Malgré  la  richesse 
de  la  rime  avec  raisin,  voilà  un  saint  que  n'honorera  jamais  la  Bour- 
gogne ni  le  Médoc. 

Naissance  de  Saint  François  d'Assise.  —  Saint  François 
d'Assise,  dit  le  Séraphique,  patriarche  des  franciscains  et  des  ordres 
qui  en  dérivent,  naquit  avec  une  croix  imprimée  sur  l'épaule  (5),  dans 

(1)  Par  l'Ecriture  sainte?  par  les  hagiographes,  voulez-vous  dire,  ô  abbé  impie  I 

(2)  Saint  Drogon,  venu  au  monde  par  l'opération  césarienne,  se  considéra  comme 
le  meurtrier  de  sa  mère  et  passa  ses  nuits  et  ses  jours  à  pleurer. 

(3)  Saint  Christophe  était  représenté  comme  un  colosse  gigantesque. 

(4;  De  môme,  Saint  Furcy  prêchait  avant  d'être  né  :  on  l'entendit  du  fond  des 
entrailles  de  sa  mère  reprendre  fortement  les  païens.  Le  cas  du  dominicain  Vincent 
Ferrier  est  aussi  extraordinaire  :  il  aboyait  dans  le  sein  de  sa  mère,  annonçant  à 
celle-ci  qu'elle  accoucherait  d'un  grand  prédicateur.  Saint  Bonnet  se  contenta  d'être 
sacré  évéque  avant  sa  naissance. 

(5)  St  Léon  IX,  pape,  vint  au  monde  la  peau  couverte  de  stigmates  représentant 
des  petites  croix  rouges,  par  suite  de  l'impression  que  la  pensée  fréquente  de  la 
croix  de  J.-C.  avait  faite  sur  l'esprit  de  sa  mère. 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


98  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

la  ville  d'Assise,  en  Ombrie.  Un  moine  de  l'ordre  qu'il  fonda  a  écrit 
un  livre  prodigieux,  le  Traité  des  conformités  de  Saint  François  avec 
Jésus- Christ  (1).  Pia,  sa  mère,  ne  pouvant  accoucher  de  lui,  un  pèlerin 
conseilla  de  la  conduire  dans  une  étableoù  elle  enfanta  aussitôt.  La 
Sainte  Vierge  avait  elle-même  prié  Dieu,  le  Père,  d'envoyer  Saint 
François  au  monde  pour  sauver  les  hommes  qui  s'allaient  damner. 
«  Le  jour  de  sa  nativité,  il  y  eut  une  telle  émotion  en  enfer  que  tous 
croyoient  que  le  jour  du  jugement  fustvenu.  Puis  voyans  que  le  dit 
jugement  ne  se  préparait  point,  ils  dirent  que  pour  certain  il  estoit 
nay  quelqu'un  qui  esmouveroit  enfer  et  le  destruiroit.  Puis  envoyez 
par  le  Prince  des  Ténèbres  par  toute  la  terre,  trouvèrent  que  c'estoit 
ce  Saint  François  qui  estoit  nay  à  ceste  heure  là,  tenans  pour  tout 
certain  que  ils  seroyent  destruits  par  lui  »  (2). 


B.   —  SAINTES  ET  SAINTS  INVOQUÉS  DANS  LES   ACCOUCHEMENTS. 


1°  Saintes  protectrices  des  femmes  en  couches.    — 

Sainte  Marguerite.  —  L'Ilithyia,  la  Lucine,  la  Diane  des  Catholiques, 
Apostoliques  et  Romains,  c'est  Sainte  Marguerite  (fig.  64).  Quelle 
est,  en  deux  mots,  l'histoire  de  cette  patronne  des  sages-femmes? 


(1)  L'extrait  que  nous  donnons  plus  bas  est  tiré  d'une  tradition  publiée  par  les 
buguenots,  sous  le  titre  Alcoran  dos  Cordeliers. 

(2)  Mettons  ici  en  note  quelques  détails  sur  le  fondateur  de  l'islamisme. 

Il  semble  avoir,  lui-même,  peu  aimé  les  miracles,  mais  les  auteurs  musulmans  qui 
sont  venus  ensuite,  en  ont  raconté  plus  d'un  et  sur  sa  vie  et  sur  sa  naissance.  Au 
même  instant  que  le  prophète  sortit  du.  sein  de  sa  mère,  disent-ils,  une'  lumière 
éclatante  brilla  dans  toute  la  Syrie,  et  pendant  plusieurs  nuits  elle  éclaira  les  villes, 
les  bourgs,  les  châteaux  et  les  campagnes  ;  tandis  que  le  feu  sacré  de  Zoroastre 
s'éteignit  chez  les  Persans,  après  avoir  brûlé  pendant  plus  de  mille  ans,  sans  inter- 
ruption ;  le  lac  Sava  se  dessécha  ;  le  palais  de  Kosroès,  alors  roi  de  Perse,  s'ébranla, 
et  quatorze  tours  fort  épaisses  s'écroulèrent.  Le  souverain  pontife  des  mages  eut, 
dans  la  même  nuit,  un  songe  qui  lui  représentait  un  chameau  vigoureux,  vaincu 
par  un  cheval  arabe  ;  on  vit  plusieurs  autres  prodiges  aussi  effrayants.  Cependant 
Mahomet,  ayant  à  peine  vu  le  jour,  s'échappa  des  mains  de  l'accoucheuse,  se  jeta 
à  genoux,  leva  les  yeux  au  ciel,  et  prononça  d"une  voix  mâle  et  distincte  ces  mots 
Bacrés  :  Dieu  est  grand;  il  n'y  a  qu'un  Dieu,  et  je  suis  son  prophète .  Les  assistants 
étonnés  prirent  l'enfant,  l'examinèrent  et  s'aperçurent,  avec  admiration,  qu'il  était 
né  circoncis  ! 

Mahomet  parla  une  seconde  fois  :  alors  les  démons,  les  mauvais  génieB,  les  esprits 
de  ténèbres  furent  précipités  des  étoiles,  des  planètes  et  des  signes  du  zodiaque,  où 
ils  demeuraient,  dans  les  abîmes  éternels  1 

Tous  ces  phénomènes  causèrent  une  si  grande  joie  à  la  famille  d'Abdalla,  qu'on 
donna  à  l'enfant  nouveau-né  le  nom  de  Mahomet,  c'est-à-dire  couvert  de  gloire. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


99 


Née  à  Antioche,  de  parents  païens  et  sans  délicatesse,  elle  fut  ce- 
pendant, on  ne  sait  trop  comment,  aimée  du  préfet  Olibrius,  autre 
païen  aussi  laid  que  méchant.  La  figure  d'Olibrius  déplut-elle  à  Mar- 
guerite, ou  son  caractère,  ou  son  idolâtrie  ?  Bref,  elle  repoussa  ses 
hommages.  Fureur  du  vilain  personnage  qui  commence  par  faire 
rouer  de  coups,  déchirer  de  verges  l'objet  de  sa  flamme  ;  poliment, 


1*"ig.  Gi.  —  Sainte  Marguerite,  d'après  une  statue  de  Xanteuil. 

il  renouvelle  ensuite  sa  demande.  La  jeune  fille  trouve  naturellement 
Olibrius  plus  repoussant  que  jamais.  Ce  préfet  à  poigne  l'envoie  aus- 
sitôt en  prison.  Le  lendemain,  gracieusetés  nouvelles,  refus  nouveau. 
Enfin  Marguerite  eut  la  tète  tranchée. 
Avant  d'être  exécutée,  elle  demande  à  Dieu,  entre  autres  grâces, 


ICO  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

d'avoir,  après  sa  mort,  le  privilège  de  protéger  les  femmes  en  mol 
d'enfant.  Ainsi  le  raconte  une  vieille  légende  du  XVe  siècle: 


«  Quant  aucune  grosse  sera 

D'enfant,  et  elle  m'apellera, 

Sire,  je  te  pry,  vueillez 

Que  l'enfant  ne  puisse  périllcr, 

De  ses  membres  parlait  s'en  viengne, 

Autre  ne  ne  li  aviegne 

Chose  qui  advenir  ne  doibt. 

Que  père  et  mère  en  ait  joye  ; 

Il  viengne  à  chrestienté. 

Boçu  ne  soit  n'en  orphenté  (1), 

Ne  contrefait,  mais  bel  et  droit, 

Et  ait  ce  que  avoir  doibt  de  droit. 

Hors  de  péril  metez  la  mère, 

Se  elle  fait  à  moy  prière; 

Sequure-la  en  toute  ensoigne  (2), 

Ne  sus  elle  n'ait  péril  n'enssongue  (3)  ; 

Et  la  veuilles  reconforter, 

Aider  à  sa  peine  porter; 

Saine  remangne  (4)  à  ton  église, 

Toy  mereyer  en  toute  guise.  » 


La  conduite  de  Sainte  Marguerite  témoigne  d'une  furieuse  antipa- 
thie pour  le  mariage.  Il  peut  donc  paraître  singulier  que  les  femmes 
enceintes  l'aient  choisie  pour  leur  patronne  et  aillent,  le  20  juillet, 
demander  dans  ses  chapelles  une  heureuse  délivrance.  Cette  contra- 
diction, que  nous  retrouvons  du  reste  chez  les  Anciens  à  l'égard  de 
Diane,  avait  déjà  frappé  le  théologien  Thiers  ;  dans  son  Traité  des 
superstitions,  il  fait  observer,  avec  justesse,  qu'il  serait  plus  rationnel 
et  plus  conforme  à  l'esprit  de  l'Eglise  de  s'adresser  à  la  Sainte  Vierge 
pour  obtenir  un  heureux  accouchement  ;  d'abord  parce  qu'elle  a 
prêché  d'exemple  en  mettant  un  enfant  au  monde,  et  de  plus  parce 
qu'à  la  purification  des  femmes  après  leurs  couches,  l'Eglise  recon- 
naît que  c'est  la  Sainte  Vierge  qui  a  changé  en  joie  les  douleurs  de 
l'enfantement  :  Per  beatœ  Mariœ  Virginis  parlum  fidelium  parien- 
tum  dolores  in  gaudium  convertisti. 

(1)  Abandon. 

(2)  Embarras. 

(3)  Souci. 

(4)  Retourne. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


101 


Il  serait  possible  cependant  de  trouver  l'origine  des  attributions 
dévolues  à  Sainte  Marguerite  dans  un  détail  de  sa  légende.  Tandis 
que,  par  ordre  de  l'affreux  Olibrius,  elle  gisait  plongée  dans  un  cachot 
hideux,  le  diable  lui  apparut  ;  il  avait  revêtu  la  forme  d'un  épouvan- 
table dragon  ;  ouvrant  une  gueule  immense,  il  avale  la  prisonnière, 
mais  avec  tant  de  ménagements,  avec  tant  de  gloutonnerie  peut-être, 
qu'au  moyen  d'un  simple  signe  de  croix,  la  sainte  est  expulsée  du 
ventre  de  la  bête  (fig.  65).  «  Puisse  mon  fruit,  pensaient  sans  doute  les 


- 


Fig.  Gô.  —  Sainte  Marguerite  et  le  Dragon,  d'après  uu  tableau  de  Dufresnay. 


bonnes  femmes,  sortir  de  mes  entrailles  avec  autant  d'aise  que  vous 
êtes  sortie  de  celles  du  dragon,  ô  grande  Sainte  Marguerite  !  Qui  peut 
le  plus  peut  le  moins  :  vous  n'avez  pas  été  arrêtée  par  les  dents  du 
diable,  et,  vous  le  savez,  l'innocent  pour  qui  je  vous  supplie  n'a  rien 
de  tel  à  franchir  ».  La  légende  ajoutait  qu'après  s'être  si  prestement 
échappée,  Sainte  Marguerite  sauta  sur  le  dos  du  monstre,  l'étrilla 
d'importance  et  le  renvoya  à  demi  assommé.  Les  bonnes  femmes 
n'allaient  sans  doute  pas  jusque-là  dans  la  comparaison  qu'elles  éta- 
blissaient entre  la  sainte  et  l'enfant  qu'elles  attendaient. 


102  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

Les  Jacobins  de  Poitiers  possédaient  une  de  ses  côtes,  qui  avait  la 
vertu  de  faciliter  les  accouchements.  On  la  vola  au  XVIe  siècle. 

La  ceinture  de  cette  sainte  avait  le  même  pouvoir;  elle  existait 
encore,  en  1789,  dans  l'Eglise  de  Saint-Germain-des-Prés  et  elle  y 
était  exposée  à  la  vénération  des  fidèles.  Moyennant  une  certaine 
redevance,  les  bénédictins  en  ceignaient  les  femmes  enceintes  et  leur 
promettaient  une  heureuse  délivrance. 

Les  reines  et  les  impératrices  de  France  avaient  une  pieuse 
croyance  au  privilège  attribué  à  Sainte  Marguerite,  et  ses  reliques 
jouaient  toujours,  un  rôle  important  à  la  naissance  des  princes  ou 
princesses  du  sang.  Marie  de  Médicis  eut  recours  à  ces  saintes  reli- 
ques ;  mais  elle  ne  paraît  pas  avoir  eu  beaucoup  à  s'en  louer,  si  l'on 
en  croit  Louise  Bourgeois  qui  l'accoucha  :  «  La  colique  travailloit 
plus  la  Reyne  que  le  mal  d'enfant,  et  mesme  l'empeschoit...  Les 
reliques  de  Madame  saincte  Marguerite  estoient  sur  une  table 
dans  la  chambre,  et  deux  religieux  de  Saint-Germain-des-Prez  qui 
prioyoient  Dieu  sans  cesser...  Le  mal  dura  vingt-deux  heures  ».  C'est- 
à-dire  le  double  d'une  couche  normale.  Ce  qui  n'empêcha  pas  la  Reine 
de  faire  don  à  l'église  de  l'abbaye,  en  action  de  grâce  d'avoir  mis 
heureusemenl  au  monde  Louis  XII [,  une  statue  d'argent  représen- 
tant Sainte  Marguerite.  «  L'image  de  saincte  Marguerite,  dit  le 
R.  P.  F.  Jacques  Du  Breul,  dans  son  Théâtre  des  Antiquitez  de  Paris, 
1639,  que  la  Reyne  de  France,  Marie  de  Médicis,  femme  du  Roy 
Henry  quatrième,  a  donnée  à  nostre  Eglise,  poise  en  argent  avec  son 
soubassement,  trente-sept  marcs  quatre  onces  et  demie.  Qui  a  cousté 
cinq  cents  escus.  Et  fut  achevée  le  10  janvier  1608.  Aux  pieds  d'icelle 
est  le  menton  de  ladite  vierge  et  martyre  ». 

Dom  Jacques  Bouillart,  clans  son  Histoire  de  V Abbaye  royale  de 
Saint  Germain  des  Prez,  1724,  rapporte  deux  faits  relatifs  aux  pre- 
mières grossesses  de  Marie-Thérèse  d'Autriche,  femme  de  Louis  XIV, 
et  de  Marie-Victoire  de  Bavière,  femme  du  Grand  Dauphin:  «Le 
vingtième  juillet  1661  est  remarquable  par  une  cérémonie  qui  se  fit 
dans  l'église  de  l'abbaye.  La  Reine,  qui  était  pour  lors  enceinte,  donna 
des  marques  de  sa  piété  et  de  sa  dévotion  envers  saincte  Marguerite 
par  l'offrande  qu'elle  fit  du  pain  bénit  le  jour  de  sa  fête.  Elle  ne  put  le 
présenter  elle-même,  parce  qu'elle  étoit  à  Fontainebleau  ;  mais  elle  y 
suppléa  par  trois  de  ses  aumôniers,  qui  vinrent  le  présenter  à  l'église 
au  son  des  trompettes  et  des  tambours  du  Roy.  Les  aumôniers  furent 
reçus  à  la  porte  de  l'église,  et  conduits  dans  le  sanctuaire,  où  ils  res- 
tèrent jusques  à  l'offertoire.  Ils  descendirent  pour  lors  au  bas  de  la 
nef,  où  l'on  avait  préparé  six  grands  pains  ornez  de  banderoles  de 


l'obstétrique  et  le  culte  103 

taffetas  rouge  aux  armes  du  Roy  et  de  la  Reine.  Lorsqu'il  fallut  aller 
à  l'offrande,  les  trois  aumôniers  précédez  de  quelques  suisses  mar- 
chèrent les  premiers  ;  puis  quatre  tambours  et  quatre  trompettes,  et 
en  dernier  lieu  douze  suisses  portant  six  brancards  sur  lesquels 
étoient  les  pains  bénits.  Le  premier  aumônier  présenta  le  cierge,  baisa 
la  paix  avant  les  autres,  et  la  bénédiction  des  pains  étant  finie,  ils  s'en 
retournèrent  avec  les  mêmes  cérémonies.  Le  seizième  octobre  suivant, 
le  P.  Prieur  de  St-Germain  eut  ordre  du  Roy  de  porter  à  Fontainebleau 
les  reliques  de  saincte  Marguerite  pour  satisfaire  à  la  dévotion  de  la 
Reine,  qui  les  demandoit  et  étoit  proche  de  son  terme.  Le  P.  Prieur 
obéit  aussi-tôt  :  mais,  avant  son  départ,  il  ordonna  par  un  mandement 
des  prières  publiques  pour  sa  Majesté,  avec  l'exposition  du  Saint 
Sacrement  dans  toutes  les  églises  du  fauxbourg;  ce  qui  dura  jusques 
au  premier  de  novembre,  que  la  Reine  mit  au  monde  un  Daufin,  qui 
fut  ondoyé  aussi-tôt.  La  nouvelle  n'en  fut  pas  plutôt  répandue  dans 
Paris,  que  chacun  fut  dans  des  transports  de  joye.  L'abbé  et  les  reli- 
gieux de  Saint-Germain  témoignèrent  la  part  qu'ils  y  prenoient  par 
une  procession  générale  en  action  de  grâces,  qu'ils  indiquèrent  pour  le 
dimanche  suivant,  à  laquelle  tout  le  clergé  séculier  et  régulier  assista» . 

Vers  le  milieu  de  juillet  1682,  «  Madame  la  Daufine  qui  étoit  en- 
ceinte et  prête  d'accoucher,  fît  écrire  au  Prieur  de  l'abbaye  qu'elle 
souhaitoit  avoir  auprès  d'elle  les  reliques  de  saincte  Marguerite,  pour 
obtenir  par  son  intercession  une  heureuse  délivrance.  Elle  rendit 
même  le  pain  bénit  par  un  de  ses  aumôniers,  le  vingtième  juillet,  fête 
de  la  sainte,  et  le  sixième  août,  elle  mit  au  monde  le  prince  Monsei- 
gneur Louis,  duc  de  Rourgogne.  Le  vingt-sixième  novembre  suivant, 
Madame  la  Daufine  vint  à  l'église  pour  faire  ses  dévotions  à  la  cha- 
pelle de  saincte  Marguerite.  Elle  fut  reçeû  à  la  porte  de  l'église  par 
toute  la  communauté  revêteù  en  chapes,  le  Père  général,  Dom  Renoît 
Rrachet  portant  la  parole  ;  et  après  lui  avoir  présenté  la  vraye  croix 
à  baiser  et  donné  de  l'eau  bénite,  les  religieux  chantèrent  un  répons 
pendant  lequel  elle  fut  conduite  sous  un  dais  dans  le  sanctuaire,  où 
la  châsse  de  saint  Germain  étoit  exposée.  Elle  se  mit  à  genoux  sur 
l'oratoire,  et  après  ses  prières  elle  alla  faire  ses  dévotions  à  la  cha- 
pelle de  saincte  Marguerite,  dont  elle  baisa  les  reliques  ;  puis  elle  re- 
monta en  carosse.  » 

L'impératrice  Eugénie  de  Montijo,  lors  de  la  naissance  du  Prince 
impérial,  eut  aussi  sous  la  main  les  reliques  de  notre  sainte  ;  mais 
la  vertu  de  ces  ossements  s'était-elle  affaiblie  avec  le  temps?  ou  bien, 
la  foi  de  la  parturiente  laissait-elle  à  désirer  ?Paul  Dubois  l'accoucheur 
dut  recourir  à  son  forceps. 


1CM  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Comme  il  n'est  pas  donné  à  tout  le  monde  d'avoir  à  sa  disposition 
les  reliques  de  la  Lucine  française  ;  il  suffit  d'une  simple  oraison  pour 
s'attirer  les  bonnes  grâces  de  la  sainte  matrone.  Il  existe  plusieurs 
spécimens  de  ces  prières.  L'oraison  suivante  se  trouve  dans  un  opus- 
cule du  XVIIe  siècle,  Dévotion  particulière  pour  les  femmes  enceintes, 
dédié  à  la  reine  et  publié  en  16G5  : 


ORAISON    A   SAINTE    MARGUERITE 

Vierge  et  Martyre 

Pour  les  femmes  qui  sont  dans  les  douleurs  de  l'enfantement. 

Sainte  Vierge  et  Martyre,  dont  la  pureté  inviolable  n'a  jamais  pu  estre 
ébranlée  par  les  trompeuses  caresses,  ni  par  les  tourmens  les  plus 
cruels  des  bourreaux  et  des  tyrans,  vous  avez  esté  si  agréable  aux  yeux 
de  vostre  divin  Epoux  qu'il  a  bien  voulu,  dans  vos  derniers  supplices, 
vous  accorder  la  prière  que  vous  luy  avez  faite  de  soulager  les  personnes 
affligées  qui,  avec  une  vraie  foy,  invoqueroient  par  vos  mérites  son 
saint  Nom.  O  invincible  martyre,  clonnez-moy,  je  vous  prie,  des  effets 
de  vostre  bonté  dans  l'heureuse  délivrance  du  fruit  que  je  porte  ;  faites, 
s'il  vous  plaist,  paroistre,  par  la  conservation  de  la  mère  et  de  l'enfant, 
que  vous  me  secourez  ;  et,  quoiqu'une  telle  faveur  ne  puisse  estre 
dignement  reconnue,  je  fais  néanmoins,  en  témoignage  d'une  juste 
reconnaissance,  un  ferme  propos  d'offrir  incessamment  cette  petite  créa- 
ture au  service  de  Dieu,  et  de  vous  rendre  toute  ma  vie  des  actions  de 
grâce  d'un  si  grand  bienfait. 

Ainsi  soit-il. 

Cette  oraison  est  suivie  de  litanies  qui  contiennent,  entre  autres 
vocables,  ceux  qui  se  rapportent  à  la  spécialité  de  la  sainte  : 

L'espérance  des  femmes  enceintes,  priez  pour  nous. 
L'ayde  des  accouchées,  priez  pour  nous. 
Le  souhait  des  sages-femmes,  priez  pour  nous. 
Le  soulagement  des  petits  enfans,  priez  pour  nous. 
L'assistance  du  lit  nuptial,  priez  pour  nous. 

Dans  une  brochure  anonyme,  intitulée  La  Vierge  Marguerite  sub- 
stituée à  la  Lucine  antique  (1),  nous  trouvons  une  pièce  curieuse 
extraite  d'un  ouvrage  du  XVI0  siècle,  La  Vie  ma  dame  saincle  Mar- 

(1)  A.  Labitte,  éditeur. 


l'obstétrique  et  le  culte  105 

guérite,  vierge  et  martyre,  qui  est  une  leçon  poétique  fort  gracieuse 
d'une  ancienne  oraison  particulière  au  culte  de  notre  sainte. 


ORAISON    DE     SAINCTE     MARGUERITE 

A  dire  pour  les  femmes  grosses. 

«  Madame  saincte  Marguerite, 

Digne  vierge  de  Dieu  eslite, 

Qui  l'as  servy  de  ta  jeunesse, 

Plaine  de  grâce  et  de  sagesse  ; 

Qui,  pour  l'amour  Dieu  nostre  Sire, 

Souffris  tourmens  et  grief  martyre  ; 

Qui  le  dragon  parmy  fendis, 

Et  du  tyrant  te  défendis  ; 

Qui  vainquis  l'ennemy  d'Eufer 

En  prison  fermée  de  fer  ; 

Qui  à  Dieu  feis  mainte  requeste, 

Quant  on  te  voult  coupper  la  teste  ; 

Et,  par  espécial,  que  femme 

Grosse  d'enfeant  qui  à  toy,  Dame, 

De  cueur  dévot  retourneroit, 

Et  qui  ton  ayde  requemoit, 

Que  Dieu  de  périr  la  gardast, 

Et  de  l'ayder  point  ne  tardast  ; 

Si  te  supplie,  vierge  honorée, 

Noble  martyre  et  bien  eurée, 

Par  ta  benoiste  pétition, 

Que  Dieu  vueille  pour  moy  prier, 

Et  doulcement  luy  supplier 

Que  par  sa  pitié  il  me  conforte 

Es  douleurs  qu'il  fault  que  je  porte; 

Et,  sans  péril  d'âme  et  de  corps, 

Face  mon  enfant  yssir  hors 

Sain,  et  saulve  que  je  levoye 

Baptizer  à  bien  et  à  joye. 

Et  si  de  vivre  il  a  espace, 

Il  luy  doint  s'amour  et  sa  grâce  ; 

Par  quoy  si  sainctement  le  serve, 

Que  la  gloire  des  cieulx  déserve  (1)  ; 

Et  aux  autres,  en  cas  semblable, 

Soit  par  toy,  Dame,  secourable .  » 

(1)  Mérite. 


106  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Une  relation  anonyme  du  XVIIe  siècle,  témoigne  des  effroyables  ac- 
cidents dont  peuvent  être  victimes  celles  qui  n'ont  pas  confiance  dans 
Y  Oraison  de  sainte  Marguerite  ;  il  s'agit  d'une  femme  appartenant  à  la 
religion  réformée: 

Miracle  arrivé  clans  la  ville  de  Genève  en  ceste  année  1609,  d'une 
femme  qui  a  faict  un  veau,  à  cause  du  mespris  de  la  puissance  de  Dieu, 
et  de  Madame  saincle  Marguerite. 

Les  femmes  souillées  de  sang  enfanteront  des 
Monstres.  Esdras,  chap.  5. 

...  Or,  Messieurs,  il  est  à  notter  que  ces  jours  passés  une  bourgeoise, 
ma  concitoyenne,  ayant  jà  demeuré  environ  onze  jours  au  travail  d'en- 
fant, et  les  Médecins  ne  trouvant  autre  remède  plus  expédient  pour  l'en 
délivrer,  que  d'appeler  les  Chirurgiens,  aux  fins  de  la  fendre,  pour  tirer 
l'enfant  de  son  ventre,  recongnoissant  fort  bien  que  c'estoit  un  enfant 
accomply  de  tous  ses  membres,  les  voisines  y  accoururent,  qui  ore 
l'une,  tantost  l'autre,  chacune  disant  son  opinion  :  Entre  autre  la  vint 
visiter  une  sienne  bonne  amie  sa  voisine,  qui  menoit,  quant  et  soy  sa 
chambrière,  qui  estoit  Catholique,  laquelle  fust  interrogée  par  la  mère 
Sage,  qui  là  estoit,  luy  disant  ainsi  :  M'amie,  qu'avez-vous  accoustumé 
de  faire  entre  vous  autres  Catholic^ues,  lorsque  les  femmes  se  trouvent 
en  tel  travail  ?  Alors  elle  respond.  Pourveu  qu'il  me  soit  donné  au- 
dience je  le  diray  :  lors  le  silence  luy  fust  faict,  et  elle  dist  ainsi  : 
Quand  les  femmes  Catholiques  se  trouvent  en  tel  travail,  elles  se  re- 
commandent à  Dieu,  le  Père  tout  puissant,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit, 
et  a  la  douce  Vierge  Marie;  et  en  outre  disent  l'oraison  de  saincte 
Marguei'ite,  Vierge  et  martyre,  la  priant  vouloir  estre  advocate  envers 
Dieu,  afin  que  la  jiatiente  soit  tost  délivrée  de  ce  travail  :  par  ce  que 
Dieu  luy  a  promis,  que  toutes  celles  qui  V  invoquer  oient  de  bon  cœur, 
estant  au  travail  d'enfant,  seroient  tost  délivrées.  La  misérable,  qui 
estoit  au  travail  d'enfant,  ayant  entendu  ces  parolles,  dict  en  telle  sorte  : 
J'aimerois  mieux  plus  tost  mourir,  ou  vrayement  enfanter  un  veau, 
que  de  permettre  que  Voraison  de  saincte  Marguerite  fust  dicte  en 
mon  intention  :  Responso  fort  indigne,  et  dont  (comme  vous  sçavez 
très  bien)  elle  en  receut  tost  son  guerdon  :  Car  d'un  corps  formé, 
d'une  âme  raisonnable  qu'elle  avoit  dans  son  ventre,  elle  sent  un  corps 
brutal,  et  à  l'instant  délivre  d'iceluy,  sçavoir  d'un  veau,  ainsi  qu'elle 
avoit  souhaité,  lequel  fust  prins  et  emporté  par  la  mère  Sage  à  Mes- 
sieurs. La  cloche  sonne,  ils  s'assemblent  en  la  sale  du  grand  Conseil, 
où  fust  porté  le  dict  veau  :  quoy  voyant  mesdits  Sieurs,  après  avoir  en- 
tendu le  rapport  que  leur  fit  la  mère  Sage  des  parolles  susdites,  bien 
estonnés,  ne  sçachant  que  dire  sur  cela;  un  quidan  Philosophe  d'entre 
eux,  voulut  attribuer  cela  aux  imaginations  de  la  mère,  disant  cela 
estre  naturellement  :  Mais  il  fut  très  bien  repoussé  par  un  des  assis- 


l'obstétrique  et  le  culte  107 

tans.  lequel  disoit  que  ce  ne  pouvoit  arriver  naturellement.  Mais  aussi, 
comme  j'ayjà  dict,  quoy  que  nostre  Seigneur  soit  tout  bon  et  miséri- 
cordieux; il  ne  laisse  pas  (quand  la  nécessité  et  l'importance  de  son 
honneur  et  de  ses  Saincts  le  requiert)  qu'il  ne  face  voir  des  effects  de 
sa  haute  puissance. 

Toutes  les  disputes  entendues,  Messieurs  s'assemblent,  et  ordonnent 
que  ledit  veau  sera  prins  et  jette  dans  le  Rosne,  là  où  encor  à  présent 
se  voient  les  marques  du  sang  sur  Feau,  ne  se  bougeant,  fors  seulement, 
que  estant  agité  des  flots,  va  ores  çà,  ores  là  retournant  tousjours  en 
son  premier  lieu,  criant  vengeance,  vengeance. 

Voilà  assés  pour  nous  ouvrir  le  cœur,  et  pour  nous  faire  recognoistre 
l'obstination  de  nous  autres;  et  que  toutes  nos  raisons  ne  sont  fondées 
que  sur  le  sable  mouvant  de  nostre  erreur.  » 

Notre-Dame  de  Mont-Serrat.  —  C'était  une  fille  du  premier  comte 
de  Barcelone  ;  elle  se  trouva  possédée  du  diable  et  fut  conduite  à 
l'ermite  Jean  Guérin  ;  le  saint  homme  l'exorcisa  puis  la  viola  et 
l'égorgea. 

La  Sainte  Vierge  sauva  la  pieuse  fille  et  la  conserva  vivante  au 
sein  de  la  terre,  dans  le  lieu  même  où  l'avait  enterrée  l'assassin.  Le 
repentir  de  Jean  Guérin  ayant  fait  découvrir  le  miracle,  on  bâtit  un 
couvent  de  nonnes  sur  l'emplacement  :  l'exhumée  fut  abesse  du  nou- 
veau monastère  et  frère  Jean  Guérin,  que  le  plus  débonnaire  de  nos 
jurys  n'aurait  pas  hésité  à  faire  bénéficier  de  l'article  302  du  code 
pénal,  en  fut  le  directeur  et  le  confesseur;  dans  la  suite,  on  le  cano- 
nisa. Ce  couvent  fut  bientôt  le  gîte  d'une  Notre-Dame  trouvée  dans 
les  environs;  l'image  devint  fameuse  dans  toute  l'Espagne,  ressusci- 
tant les  petits  garçons  tombés  dans  les  puits,  faisant  repousser  les 
nez  mangés  par  les  cochons,  accomplissant  nombre  d'œuvres  dignes 
d'admiration  et  de  foi.  Elle  ne  semble  pas  non  plus  avoir  été  inutile 
aux  femmes  enceintes.  La  première  abbesse  ayant  été  victime  d'un 
viol,  était-ce  en  souvenir  de  cet  acte  dont  une  grossesse  fut  peut-être 
le  résultat  ?  En  souvenir  des  mérites  de  frère  Guérin  dans  sa  jeu- 
nesse? Nous  ne  savons,  mais  voici  ce  que  raconte. Collin  de  Plancy 
au  tome  second  de  son  Histoire  critique  des  reliques  et  des  images 
miraculeuses  : 

«  Une  femme  qui  avait  fait  trois  fausses  couches,  promit  à  Notre- 
Dame  de  Mont  Serrât  que,  si  elle  avait  un  enfant,  elle  le  dévouerait 
au  service  de  la  Vierge,  Peu  de  jours  après,  elle  fut  enceinte  pour  la 
quatrième  fois;  elle  accoucha  d'un  enfant  qui  mourut,  et  fut  enterré. 
Lorsque  les  douleurs  de  l'enfantement  furent  apaisées  et  qu'elle  eut 
repris  ses  sens,  cette  mère  demanda  à  voir  son  fils. 


108 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


On  lui  dit  qu'il  était  mort.  —  «  Qu'on  me  l'apporte  cependant, 
répliqua-t-elle ;  je  veux  le  voir.  >>  Elle  fit  tant  d'instances,  qu'on 


Jr^3^o)$  3  a -M.*a.a*rrv3 


Fig.  66.  —  Notre-Dame  de  Mont-Serrai,  avec  un  einscripiion  espagnole  qui  signifie  :  Demeure  an- 
gélique  de  Noire-Dame  de  MonUerrat  (1). 


(1)  Ce  mont  est  ainsi  nommé  à  cause  de  ses  rochers,  taillés  en  dents  de  scie 
(scïerra,  scie).  Cette  scie  symbolique  est  représentée  entre  les  mains  de  l'enfant 
Jésus.  Fac-similé  réduit  d'une  gravure  du  XVIe  siècle,  appartenant  à  M.  Bertin, 
éditeur  à  Paris. 


l'obstétrique  et  le  culte  109 

exhuma  le  petit  enfant,  et  qu'on  le  lui  mit  entre  les  mains.  Elle 
pleura,  elle  reprocha  à  la  Sainte  Vierge  de  n'avoir  pas  protégé  un 
enfant  destiné  au  service  des  autels;  et  à  l'instant,  ô  prodige!  l'enfant 
se  ranima,  cria,  et  se  mit  à  teter  ». 

Brantôme,  dans  les  Vies  des  dames  galantes,  parle  d'une  dame 
espagnole,  «  laquelle,  estant  en  mal  d'enfant,  se  fit  allumer  une 
chandelle  de  Noslre-Dame  de  Mont-Serrat  qui  aide  fort  à  enfanter, 
pour  la  vertu  de  ladite  Nostre-Dame.  Toutefois,  ne  laissa  d'avoir  de 
grandes  douleurs,  et  à  jurer  que  plus  jamais  elle  n'y  retournerait. 
Elle  ne  fut  pas  plus  tost  accouchée,  qu'elle  dit  à  la  femme  qui  la  luy 
donnoit  allumée  :  Serra  eslo  cabillo  de  candela  para  olra  vez;  c'est-à- 
dire  :  «  Serre  ce  bout  de  chandelle  pour  une  autre  fois  ». 

Notre-Daines  diverses.  —  D'autres  Notre- Dames  se  partagent,  avec 
leur  camarade  de  Mont-Serrat,  la  fonction  de  conduire  au  jour, 
par  une  voie  facile,  les  jeunes  chrétiens  qui  aspirent  à  naître.  Si 
Mont-Serrat  est  trop  loin,  qu'on  aille,  le  lundi  de  Pâques,  à  Dom- 
front;  mais  en  Normandie,  rien  pour  rien;  il  ne  faut  garder  de  linge 
que  la  quantité  sufiisante  pour  le  moment  criLique,  en  faire  un  pa- 
quet qu'on  offrira  à  notre-dame  de  l'habit,  dans  son  sanctuaire;  et 
l'on  retourne  chez  soi  avec  ce  précieux  fardeau.  Au  neuvième  mois, 
se  manifeste  la  reconnaissance  de  Notre-Dame;  mais  comme  elle  est 
Normande,  il  n'est  pas  inutile  d'envoyer  quérir  la  sage-femme  ou 
l'accoucheur. 

Les  armoires  ne  sont  pas  riches,  dira-t-on.  Eh  bien  !  notre-dame 
de  pitié,  dans  le  Blaisois,  rendra  le  même  service. 

notre-dame  de  Chartres  est  également  considérée,  depuis  des 
siècles,  comme  une  patronne  des  femmes  enceintes.  Elle  passe  aussi 
pour  guérir  la  stérilité,  mais  son  pouvoir  dans  cette  spécialité  ne 
nous  paraît  pas  très  étendu.  Un  monarque  dévot,  Henri  III,  lui  fit  de 
nombreux  pèlerinages  pour  obtenir  un  héritier. 

Un  jour,  entre  autres,  il  y  vint  à  pied  de  Paris  avec  la  reine,  «  tous 
deux  »>,  dit  la  chronique,  «  bien  las  et  ayant  les  plantes  des  pieds  bien 
ampoulées,  espérant  obtenir  lignée  par  l'intercession  de  la  belle 
dame  ».  Mais  ce  fut  en  vain  que  ces  royaux  épidémies  se  frottèrent 
contre  les  cailloux  du  chemin. 

Les  faveurs  que  notre-dame  de  liesse  accorde  en  pareille  cir- 
constance, semblent  plus  efficaces,  puisqu'elles  agissent  même  quand 
elles  sont  demandées  par  un  intermédiaire.  C'est  ainsi  que  son  altesse 
royale,  madame  la  duchesse  de  Berry,  se  rendit  à  Notre-Dame  de 


110 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Liesse,  le  23  mai  1821,  pour  remercier  la  Vierge  de  la  naissance  du 
duc  de  Bordeaux  et  remplir  le  va?u  qu'avait  fait,  à  Liesse,  M.  de  Bom- 
belles,  au  nom  de  la  princesse.  Les  femmes  stériles  qui  désiraient 
obtenir  des  enfants  de  cette  Notre-Dame,  devaient  tirer,  avec  leurs 
dents,  les  cordes  des  cloches  de  son  église  et  boire  ensuite  l'eau  de  la 
fontaine  miraculeuse  auprès  de  laquelle  son  image  s'était  arrêtée.  Les 


Fig.  67.  —  Notre-Dame  de  Chartres.  Représentation  de  l'ancienne  statue  de  la  vierge  révérée  dans 
les  grottes  de  l'église  cathédrale  de  Chartres,  d'après  une  estampe  du  XIIe  siècle. 


nombreux  ex-voto  qui  entourent  cette  céleste  image  indiquent  suffi- 
samment sa  spécialité  et  ses  succès.  La  reine  de  Pologne  qui,  en 
1675,  avait  déjà  offert  à  Notre-Dame  de  Liesse  un  enfant  d'argent,  re- 
présentant Alexandre  Sobieski,  son  fils,  qu'elle  lui  avait  fait  obtenir, 
lui  adressa  plus  tard  une  mamelle  d'or  pour  l'avoir  délivrée  d'un  en- 
gorgement laiteux  du  sein. 


l'obstétrique  et  le  culte  111 


notre- dame  de  lorette,  dans  la  marche  d'Ancône,  où  fut  trans- 
porté mystérieusement  la  Santa  Casa,  maison  de  la  Vierge,  a  aussi 
le  privilège  de  faire  des  enfants  aux  âmes  dévotes.  Anne  d'Au- 
triche, qui  s'était  adressée  à  tous  les  saints  du  paradis  et  à  leurs  re- 
liques pourvoir  le  terme  de  sa  stérilité,  envoya  deux  couronnes  d'or 
massif  et  un  ange  d'argent  qui  tenait  un  dauphin  d'or,  pour  rendre 
grâce  à  cette  Notre-Dame  de  la  naissance  de  Louis  XIV.  La  reine 
d'Angleterre,  femme  de  Jacques  II,  avait  offert,  en  1667,  son  ange 
pour  avoir  un  enfant.  L'ange  fut  présenté,  dit-on,  à  cinq  heures  cin- 
quante-huit minutes  du  matin,  et  l'on  ajoute  qu'au  même  instant 
la  reine  conçut  Jacques  III,  qui  ne  régna  qu'en  peinture. 

Un  jésuite  écrivit  l'entretien  de  l'ange  de  la  reine  avec  la  madone. 
Voici  la  traduction  qu'en  donne  Misson,  dans  son  Voyage  d'Italie  : 

l'ange  d'or  de  la  reine  d'angleterre.  —  Bien  vous  soit,  puis- 
sante madone.  Vous  voyez  un  ange  du  ciel  qui  vient  vous  présenter  une 
très  humble  requête.  Marie,  reine  d'Angleterre,  est  dans  une  affliction 
inconcevable  de  n'avoir  point  d'enfants.  Elle  vous  salue  en  toute  humi- 
lité, et  vous  supplie  d'agréer  le  présent  qu'elle  vous  adresse.  O  pitoyable 
vierge  !  faites  en  sorte  que  ses  entrailles  un  peu  négligées  puissent  être 
fécondément  arrosées,  afin  qu'elle  conçoive  et  qu'elle  enfante  bientôt 
selon  son  souhait.  Cela  est  nécessaire,  non  seulement  pour  sa  consola- 
tion, mais  aussi  pour  le  bien  des  Etats  dont  elle  est  reine,  et  pour  l'af- 
fermissement de  la  religion  catholique,  qui  est  présentement  chance- 
lante dans  ce  pays-là. 

la  madone  de  lorette.  —  Oui-dà,  cher  ange,  j'accepte  volontiers 
le  présent  de  la  reine  d'Angleterre  et  j'exauce  ses  vœux.  Elle  aura  des 
enfants,  je  te  le  promets  ;  au  moment  que  je  te  parle,  la  chose  se  fait  : 
Jacques  embrasse  Marie,  Marie  embrasse  Jacques,  et  Marie  conçoit. 

l'ange.  —  Mais,  ô  bénigne  madone,  c'est  un  fils  que  la  reine  de- 
mande à  votre  majesté;  car  il  y  a  déjà  deux  filles  du  roi  qui  sont  ca- 
pables d'hériter.  Accordez  donc  un  fils  aux  vœux  de  Marie. 

la  madone.  —  Oui,  mon  enfant,  la  reine  aura  un  fils.  Crois-moi,  l'af- 
faire est  déjà  faite.  Cet  heureux  héritier  sera  l'honneur  et  l'appui  de  la 
couronne  et  de  la  religion. . . 

l'ange.  —  O  joie  inexprimable!  La  reine  Marie  exauce  la  reine  Marie. 
Alléluia!  û  félicité  !  alléluia!  alléluia!  alléluia!  (1). 

Il  est  inutile  d'aller  si  loin  pour  obtenir  la  protection  céleste  :  nous 

(1)  Collin  de  Plaucy.  Dictionnaire  des  reliques. 


112 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


avons  trouvé  dans  l'église  notre-dame-des-victoires,  à  Paris,  l'ex- 
volo  suivant  : 


N° 

13399 

RECONNAISSANCE 

N. 

D.   DES  VICTOIRES 

POUR 

UNE 

HEUREUSE    DÉLIVRANCE 
G.   J. 

Sainte  Brigide  et  Sainte  Honorine.  —  Une  Suédoise  et  une  Cauchoise, 
la  première  du  XIV0  siècle;  la  seconde,  bien  plus  ancienne,  sinon 
meilleure,  du  Ier  au  IIe  siècle;  l'une  veuve  et  visionnaire,  l'autre 
vierge  et  martyre;  toutes  deux  s'occupent  d'obstétrique. 

Si  vous  avez  besoin  de  leur  ministère  et  que  vous  soyez  à  Romet, 
touchez  la  robe  de  Sainte  Brigide  ou  Brigitte  ;  si  vous  habitez  Paris 
ou  Pontoise,  envoyer  acheter  à  Conflans-Andrézy  des  jarretières  ou 
des  ceintures  (1) ,  auxquelles  la  châsse  de  la  sainte  aura  communiqué 
ses  vertus,  et  portez-les  pendant  la  grossesse,  jusqu'aux  relevailles.  Si 
vous  êtes  sur  les  lieux,  il  vous  suffira  de  toucher  au  coffre  où  sont  con- 
servées les  précieuses  reliques. 

Sainte  Livrade.  —  Personne,  croyons-nous,  ne  s'est  avisé  de 
recueillir  en  volume  les  chansons  dont  Thérésa,  dans  sa  première 
manière,  ébranlait  les  voûtes  bariolées  de  l'Alcazar  ;  mais  si, 
quelque  jour,  il  prenait  fantaisie  à  un  éditeur  de  réunir  ces  chefs- 
d'œuvre  du  goût  national,  nous  lui  recommandons  de  mettre  en  tête 


(1)  La  ceinture  que  nous  avons  en  notre  possession,  et  qu'une  cliente  a  portée 
pendant  ses  deux  grossesses,  est  un  simple  ruban  en  calicot  de  deux  centimètres  et 
demi  de  large  sur  quatre-vingt-seize  centimètres  de  long.  D'un  côté  on  lit  : 


et  de  l'autre 


BONNE  Ste  HONORINE,  PRIEZ  TOUR  NOUS 
BONNE  Stc  MARGUERITE,   TRIEZ  POUR  NOUS 


l'obstétrique  et  le  culte  113 

du  livre  l'image  de  Sainte  Livrade  ou  Liberate.  En  effet,  cette  sainte, 
qui  a  plus  d'une  chapelle  dans  le  Midide  la  France,  doit  être  la  patronne 
des  Femmes  à  barbe  et  des  Sapeurs;  c'est  du  moins  ce  qu'on  peut 
conclure  d'un  récit  fait  par  M.  l'abbé  Barrère.  Ce  pieux  auteur  nous 
raconte  que  le  ciel,  voulant  aider  Livrade  à  garder  sa  virginité,  fit 
croître  sous  sa  lèvre  inférieure  plus  de  poils  que  n'en  présente  le  men- 
ton d'un  bouc.  Ceci  veut  une  explication  :  nous  l'emprunterons  à  la 
spirituelle  étude  de  P.  Parfait  sur  Y  Arsenal  de  là  dévotion  : 

«  Livrade,  fille,  dit-on,  d'un  roi  mal  servi  par  le  Dieu  des 
batailles,  fut  offerte  comme  gage  de  paix  par  le  monarque  battu  à  son 
vainqueur.  La  jeune  fille  frémissant  à  l'idée  du  mariage  qui  va 
s'accomplir,  supplie  le  ciel  de  lui  venir  en  aide.  Le  ciel  a  entendu  sa 
voix.  Une  barbe  de  sapeur  garnit  tout  à  coup  son  doux  menton. 
Stupeur  du  prétendu  :  «  Tout  est  rompu,  beau-père!  »  Sur  ce,  fureur 
du  chef  de  famille,  qui,  ne  trouvant  plus  d'autre  moyen  de  se  débar- 
rasser de  sa  fille,  la  fait  crucifier  ».  Certes,  Livrade  est  à  plaindre 
d'avoir  subi  un  sort  aussi  cruel  ;  mais  nous  ne  voyons  pas  bien 
pourquoi  les  femmes  en  travail  invoquent  cette  sainte  à  barbe, 
concurremment  à  ses  collègues  du  paradis,  Brigitte  et  Honorine. 

Marie  d'Oignies.  —  Notons  enfin  que  les  dames  en  mal  d'enfant  pou- 
vaient appeler  à  leur  secours  non  seulement  la  Vierge  et  les  saintes 
en  titre  d'office,  mais  une  simple  recluse,  la  bienheureuse  Marie 
d'Oignies.  Des  reliques  que  contient  l'église  d'Oignies  (1),  le  corps,  la 
ceinture,  le  mouchoir  et  le  couteau  de  la  bienheureuse,  servent,  il 
est  vrai,  à  peu  de  chose;  mais  sa  vieille  chemise  de  laine  est  toute- 
puissante  pour  les  accouchements. 

2°  Saints  protecteurs  des  femmes  en  couches.  —  Les 

païennes  en  gésine  n'invoquaient  guère  que  des  divinités  femelles  ;  les 
catholiques  semblent,  au  contraire,  s'être  volontiers  adressées  aux 
saints,  remontant  ainsi,  dans  leur  souffrance,  au  sexe  qui  en  est  le 
premier  auteur.  Nous  allons  les  passer  en  revue. 

La  ceinture  de  Saint  Oyan,  saint  de  notoriélé  médiocre,  possède 
les  mêmes  vertus  obstétricales  que  celle  de  Sainte  Marguerite.  Boguet 
cite  une  certaine  Pierrette  Girod,  hérétique  du  pays  de  Gex,  qui 
n'accoucha  que  par  l'intervention  de  cette  précieuse  ceinture.  Pier- 
rette aussitôt  se  convertit  ;  c'était  justice  :  pourquoi  les  hérésiarques 
cherchaient-ils  querelle  aux  saints  parmi  lesquels  se  trouvaient  tant 

(1)  A  quatre  lieues  de  Nauiur. 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS  8 


1  1  i  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


de  bons  accoucheurs  ?  Mais  Saint  Oyan  a-t-il  toujours  son  cabinet? 
Bien  que  la  naissance  de  Saint  Christophe  eût  coûté  cher  à  sa 
mère,  les  femmes  en  travail  l'invoquaient  cependant  : 

Glorieux  Saint  Christophe,  au  matin  te  voyant, 
Sans  crainte  d'aucun  mal  on  se  couche  en  riant. 

Celte  inscription  et  d'autres  semblables  qui  accompagnaient  les 
statues  de  Saint  Christophe,  et  font  allusion  au  privilège  que  la 
légende  lui  attribuait  d'empêcher  la  mort  subite  dans  la  journée, 
quand  le  matin  on  a  vu  une  de  ses  statues,  expliquent  naturellement 
l'engouement  qu'eurent,  pour  ce  saint,  dans  beaucoup  de  pays,  les 
femmes  en  mal  d'enfant. 

Elles  invoquaient  aussi  Saint  Hyacinthe  qui  jouissait,  en  outre,  de 
la  réputation  de  guérir  la  stérilité.  On  voyait  anciennement  cette 
épigramme  dans  l'église  des  Jacobins  de  Reims  : 

Femme  qui  désirez  de  devenir  enceinte  ; 
Adressez  cy  vos  vœux  au  grand  Saint  Hyacinte  ; 
Et  tout  ce  que  pour  vous  le  saint  ne  pourra  faire, 
Les  moines  de  céans  pourront  y  satisfaire  (1). 

Mais  les  grands  patrons  des  femmes  stériles  ou  se  croyant  telles, 
furent  Saint  Greluchon  et  Saint  Guignolet.  Dulaure  décrit  ainsi 
une  statue  de  ce  dernier  qui  existait  à  Montreuil  :  «  Celte  statue 
était  de  pierre,  couchée  sur  le  dos  dans  une  chapelle,  absolument 
nue,  ayant  un  membre  viril  très  considérable.  Cette  pièce  élait  faite 
comme  un  bâton  de  pierre  postiche.  On  le  poussait  par  derrière,  à 
mesure  que  la  dévotion  des  femmes  qui  venaient  s'y  frotter  et  le 
racler  en  diminuait  la  taille;  de  sorte  qu'il  paraissait  toujours  le 
même  ».  Saint  Greluchon  opérait  dans  les  mêmes  conditions  en  Berry 
et  en  beaucoup  d'autres  lieux.  Ces  spécialistes  distingués  trouvèrent 
desimilateurs  dans  Saint  Prix,  à  Cormeilles-en-Parisis,  et  Saint  René, 
en  Anjou.  Il  y  avait  aussi,  raconte  Henri  Estienne,  dans  le  Cotentin, 
en  Normandie,  un  Saint  Gilles  qui  faisait  des  enfants  aux  femmes 
«  quoiqu'il  fut  bien  vieux  et  bien  caduc  ».  Tous  ces  saints  se  présen- 
taient aux  fidèles  dans  la  même  posture  indécente  que  leurs  chefs  de 
file;  seul  Saint  Arnault,  à  Saint-Aubin,  dans  le  Bourbonnais,  avait 
la  pudeur  de  porter  un  tablier.  «  Les  femmes  stériles  »,  dit  LeDuchat, 


(1)  Suivant  Dulaurens,  Saint  Hyacinthe  n'aurait  été  le  protecteur  des  femmes  en 
travail  que  parce  que  son  nom  rime  avec  tille  enceinte. 


l'obstétrique  et  le  culte  115 


«  levaient  le  tablier  de  celte  statue,  espérant  devenir  fécondes,  par  la 
vue  seule  des  parties  sexuelles  du  saint  ».  Pour  être  complet,  nous 
signalerons  encore  les  vertus  prolifiques  des  braguettes  ou  culottes 
de  Saint  François  d'Assise,  au  rapport  d'Henri  Estienne,  et  celles  de 
la  châsse  de  Saint  Urbic,  évèque  de  Glermont,  en  Auvergne.  Ce  saint 
était  marié,  mais  en  recevant  l'épiscopat,  il  avait  fait  vœu  d'observer 
la  continence  avec  sa  femme.  Un  soir  de  printemps,  celle-ci  se  glissa 
dans  le  lit  épiscopal  et  devint  grosse  d'une  fille.  Sa  châsse  conserva, 
après  sa  mort,  la  même  faculté  de  donner  des  enfants  aux  femmes  qui 
en  désiraient.  Citons  encore,  pour  mémoire,  Saint  Renaud,  qui  opérait 
en  Bourgogne;  Saint  Barthélémy,  en  Allemagne, et  Saint  Nerlin,  dans 
le  diocèse  de  Beauvais.  Accordons,  pour  finir,  une  mention  spéciale  à 
Saint  Martin,  dont  les  vertus  prolifiques  ont  été  habilement  exploitées 
par  une  revue  bimensuelle  du  Midi,  l'Ange  Adorateur.  Cette  publi- 
cation, honorée  du  patronage  de  plusieurs  évêques,  a  imaginé  une 
nouvelle  sorte  de  prime,  annoncée  par  ses  prospectus  dans  les  termes 
suivants  : 

L'administration  du  journal  vient  de  se  procurer  à  grands  frais  un 
morceau  de  ce  fameux  manteau  qui  recouvre  la  châsse  do  Saint  Martin, 
évêque  de  Tours,  connu  du  monde  entier  pour  ses  nombreux  miracles. 

Nos  chers  associés  ou  abonnés  de  la  région  du  Midi,  qui  auraient  ou 
qui  connaîtraient  des  femmes  stériles,  pourront  les  envoyer  à  Agde  et 
éviter  ainsi  le  voyage  de  Tours.  (Attouchements  gratuits.) 

L'austère  Saint  Bernard  ne  dédaigne,  même  encore  aujourd'hui, 
de  prêter  ses  bons  offices  au  sexe  en  détresse.  «Les  femmes  enceintes», 
écrit  à  Mgr  Guérin,  le  curé  de  Montsalvy  (Cantal),  «se  recommandent 
à  Saint  Bernard,  et,  dans  leurs  couches,  elles  sont  très  heureuses 
d'avoir  quelques  parcelles  de  ses  reliques,  ce  qui  leur  est  facile,  vu 
que  :  1°  vers  1844  ou  1845,  Mgr  Jalabert,  vicaire-général,  ouvrit 
l'ancienne  châsse  pour  prendre  un  os  destiné  à  la  cathédrale  de 
Saint-Flour,  et  donna  de  petits  os  au  curé  d'alors,  et  2°  en  1865, 
lorsqu'il  s'agit  de  remplacer  l'ancienne  châsse,  Mgr  l'évêque  m'auto- 
risa à  retirer,  pour  les  distribuer,  de  petits  fragments  que  le  temps 
ou  le  frottement  avajt  détachés  ». 

Les  Jésuites  ont  prêté  toutes  les  vertus  à  leur  Inigo  de  Loyola, 
Saint  Ignace  pour  les  dévotes.  Rien  de  surprenant  si  leur  P.  Terwe- 
coren  le  recommande  aux  femmes  et  contre  la  stérilité  et  contre  les 
couches  laborieuses.  Dévotion  facile,  génération  assurée,  accouche- 
ments aisés  !  Il  n'y  a  que  lui  ! 


lit)  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Ignace  avait  jadis  un  rival  redoutable  dans  Thomas  d'Orvieto.  Il 
prêtait  aussi  son  concours  aux  femmes  sur  le  point  d'accoucher  ;  pour 
entrer  dans  ses  bonnes  grâces,  il  suffisait  de  lui  adresser  la  prière 
suivante  que  relate  le  Recueil  des  Scapulaires  :  «  Vous  vous  êtes 
toujours  montré  le  protecteur  spécial  des  femmes  qui  deviennent 
mères.  Veuillez,  ô  glorieux  saint,  m'assister  aussi  en  ce  dangereux 
moment,  et  m'obtenir  la  grâce  d'une  heureuse  délivrance  ».  Mais  qui 
songe  aujourd'hui  à  Thomas? 

A  Barcelone,  du  tombeau  de  Raimond  de  Penafort,  ancien  général 
des  Dominicains,  sort  continuellement  une  poussière  sainte,  dont  la 
vertu  est  de  faire  accoucher  rapidement  et  sans  douleur  toute 
femme  assez  courageuse  pour  en  boire  une  demi-once  dans  un  verre 
d'eau.  Singulier  excitant  pour  les  utérus  paresseux. 

Il  semblerait  que  l'inventeur  de  la  féroce  Inquisition  n'ait  guère  dû 
compatir  aux  douleurs  physiques  de  l'humanité;  pourtant,  à  Mar- 
seille, Saint  Dominique  d'Osma  hâtait  les  délivrances,  avec  son  étole 
pour  tout  instrument. 

Si  l'on  se  défiait  du  premier  des  Dominicains,  on  pouvait  aussi  se 
recommander  à  Saint  Bonaventure,  général  des  Franciscains. 

Ecoutons  maintenant  ce  que  nous  dit  Collin  de  Plancy  sur  un 
certain  Robert,  abbé  de  Newminster,  en  Angleterre,  mort  vers 
1159  :  «  On  l'accusa  de  quelques  galanteries,  parce  qu'il  avait  un 
commerce  trop  étroit  avec  une  dame  qu'il  avait  convertie;  mais  sa  cein- 
ture faisait  tant  de  miracles  à  Newminster,  en  faveur  des  femmes  qui 
souhaitaient  un  accouchement  heureux, qu'elle  fit  taire  la  médisance». 

Il  est  juste  de  permettre  aux  Petits  Bollandistes  de  nous  présenter 
un  spécialiste  d'un  certain  renom,  Saint  Udault  :  «  La  protec- 
tion la  plus  manifeste  du  saint  martyr  s'éprouve  dans  les  accouche- 
ments difficiles.  Il  n'est  pas  alors  de  femme  qui  ne  le  trouve  propice, 
si  elle  l'invoque  avec  ferveur  ».  Ils  ajoulent  qu'à  la  collégiale  de 
Saint-Ours,  dans  la  vallée  d'Aoste,  si,  dans  ses  couches,  une  femme 
court  péril,  on  a  coutume  de  lui  présenter  un  calice  ayant  appartenu 
à  Saint  Udault. 

Nous  terminerons  par  Saint  André,  que  nous  avons  entendu 
invoquer  d'une  façon  bien  singulière  ;  peut-être  n'était-il  question  de 
lui  que  pour  la  rime.  Le  fait  a  déjà  été  rapporté  dans  notre  Généra- 
tion humaine  :  Nous  avons  accouché,  y  disions-nous,  une  femme  de 
bonne  famille  qui  ne  cessait  de  répéter,  pendant  toute  la  durée  du 
travail,  cette  bizarre  prière  :  «  O  mon  bon  Saint-André,  faites  qu'il  ne 
me  fasse  pas  plus  de  mal  pour  sortir  qu'il  ne  m'en  a  fait  pour  entrer  !  » 

Mais,  de  nos  jours,  tous  ces  saints  de  la  vieille  légende  ont  été  dé- 


L OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


117 


possédés  par  un  confrère  que  P.  Parfait,  dans  son  Arsenal  de  la  dévo- 
tion, dénonce  hautement  comme  un  accapareur;  en  face  de  la  con- 
currence moderne,  leurs  sanctuaires  sont  comme  une  humble,  mais 
honnête  boutique  écrasée  par  quelque  colossal  Bonheur  des  Dames. 
L'article  à  la  mode,  article  avantageux  entre  tous,  économique,  inu- 
sable, sans  rival,  c'est  le  Cordon  de  saint  Joseph  (1).  Et  pourtant, 
plus  d'une  dame  ne  se  contenterait  pas  des  mérites  conjugaux  d'un 
époux  in  parlibus. 

Lisez  cet  extrait  d'un  étonnant  prospectus  dans  lequel  le  R.  P. 
Huguet  préconise  la  vertu  miraculeuse  du  saint  cordon  de  Joseph  (2) 

(1869).  «  Une  de  mes  cousines  »,  dit 
le  révérend,  «  allait  devenir  mère 
pour  la  quatrième  fois.  Déjà  des  dou- 
leurs aiguës  s'étaient  fait  sentir.  Huit 
jours  s'écoulent.  Lesdouleurs  devien- 
nent plus  fortes,  presque  insupporta- 
bles... Le  quinzième  jour  ma  cousine 
n'est  pas  encore  délivrée...  Le  ving- 
tième jour  arrive  ;  la  malade,  dont 
l'état  est  des  plus  alarmants,  exté- 
nuée, accablée  par  une  souffrance 
continue  et  violente,  peut  respirer  à 
peine.  Elle  est  aux  portes  du  tom- 
beau... Une  des  personnes  qui  entou- 
raient le  lit  de  la  malade  songea  au 
cordon  bénit  de  Saint  Joseph  et  aux 
merveilles  qu'il  avait  souvent  opé- 
rées. Vite  elle  court  le  chercher.  A  sa 

F.g.  68.  -  Cordon  do  Saint  Joseph,  avec  VUe>  la  flgUre  de  la  malade  parut 
sept  nœuds  qui  sont  le  symbole  des  sept  changer.  Quelle  impression  avait- 
douleurs  et  des  sept  allégresses   de    Saint  ni'  »  .     c,  -nt  ■>• 

j0SePh.  elle  donc  éprouvée  ?  Nous  1  ignorions 


(1)  Ce  cordon  a  donc  le  double  emploi  de  mener  à  bien  les  femmes  en  couebes  et 
d'aider  à  éteindre  le  feu  de  la  concupiscence  pour  conserver  «  la  vertu  de  conti- 
nence et  de  chasteté  ». 

(2)  Les  cordons  de  saint  Joseph,  dit  le  prospectus,  bénits  et  parfaitement 
conformes  aux  dernières  décisions  de  Rome,  se  trouvent  chez  Henri  Briquet,  à 
Saint-Dizier  (Haute-Marne). 


En  coton. 


50 

» 

les  500 

25 

» 

le  100  

5 

)) 

2 

50 

franco. 

En  fil. 


fr. 

le  mille 00 

les  500 17 

le  100 10 

les  50 5 

franco. 


118  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

alors;  mais,  depuis,  la  malade  nous  a  dit  qu'elle  avait  entendu  une 
voix  intérieure  lui  dire  :  «  Aie  confiance,  ma  fille;  par  ce  cordon, 
tu  seras  heureusement  délivrée  ». 

Son  mari,  tout  en  larmes,  lui  mit  le  cordon  autour  des  reins,  plein 
d'espoir  en  Saint  Joseph,  et  n'attendant  que  de  lui  seul  le  salut  de  sa 
chère  épouse.  Deux  heures  après,  une  délivrance  des  plus  heureuses 
justifiait  la  confiance  des  assistants,  du  mari  et  de  la  malade.  Ce  qui 
prouve  qu'en  matière  d'accouchement,  il  ne  faut  jamais  négliger  le 
cordon. 

Outre  ces  dévotions  particulières,  l'Eglise  a  encore  des  prières  plus 
générales  pour  les  femmes  en  travail.  Saint  Charles  Borromée  et 
Saint  François  de  Sales  sont  les  auteurs  de  deux  oraisons  qui  se 
trouvent  dans  certains  rituels,  et  que  nous  traduirons  à  titre  de  curio- 
sité. Celle  de  Charles  Borromée  est  presque  un  office  complet  : 

BÉNÉDICTION  DE  SAINT  CHARLES   BORROMÉE,  ARCHEVÊQUE    DE  MILAN,  SUR 
LA  FEMME  GROSSE  DONT  ON   REDOUTE   UN    ACCOUCHEMENT    FUNESTE. 

Le  Prêtre  dit  : 

Dieu  venez  à  notre  aide,  etc.  ;  Gloire  au  Père...,  etc.; 

La  terre  a  donné  son  fruit. 

Que  Dieu  ait  pitié  de  nous  et  nous  bénisse,  qu'il  éclaire  pour  nous  sa 
face  et  ait  compassion  de  nous. 

Afin  que  nous  connaissions  sa  voix  sur  la  terre  et  le  salut  qu'il  a  ap- 
porté à  toutes  les  nations. 

Les  peuples  ont  confiance  en  vous,  ô  mon  Dieu  ;  toutes  les  nations 
ont  confiance  en  vous. 

Tous  ils  se  réjouissent,  ils  exultent  de  joie,  parce  que  vous  les  jugez 
suivant  l'équité,  et  que  vous  les  gouvernez  sur  la  terre. 

Les  peuples  ont  confiance  en  vous,  ô  mon  Dieu  ;  tous  les  peuples  ont 
confiance  en  vous  :  la  terre  a  donné  son  fruit. 

Bénissez-nous,  ô  mon  Dieu,  bénissez-nous;  que  tous  vous  craignent, 
sur  toutes  les  parties  de  la  terre. 

Gloire  au  Père...,  etc. 

La  terre  a  donné  son  fruit. 

Notre  Père...,  etc. 

f  Et  ne  nous  induisez  pas  en  tentation. 

r$  Mais  délivrez-nous  du  mal. 

f  Sauvez  votre  servante. 

r!  Qui  espère  en  vous,  ô  mon  Dieu. 

f  Soyez-lui,  ô  mon  Dieu,  la  tour  inexpugnable. 

f^  En  face  de  l'ennemi. 

f  Que  l'ennemi  ne  puisse  rien  contre  elle. 


l'obstétrique  et  le  culte  119 

f^  Et  que  le  fils  de  l'iniquité  n'approche  pour  lui  nuire. 

y  Envoyez-lui,  Seigneur,  votre  secours  du  haut  du  Ciel. 

^  Et  de  Sion  protégez-la. 

y  Seigneur,  écoutez  notre  prière. 

rJ  Et  que  nos  cris  s'élèvent  jusqu'à  vous. 

y  Que  le  Seigneur  soit  avec  vous. 

}\  Et  avec  votre  esprit. 

PRIONS 

Seigneur  Dieu,  créateur  et  maître  de  toutes  choses,  acceptez,  nous 
vous  en  supplions,  le  sacrifice  d'un  cœur  contrit  et  le  fervent  désir  de 
ta  servante  qui  vous  supplie  humblement  pour  la  conservation  du  fruit 
débile  que  vous  lui  avez  permis  de  concevoir.  Protégez  ce  qui  vous 
appartient  et  sanctifiez-le  de  l'immense  bénédiction  de  votre  grâce; 
défendez-le  de  toute  trahison,  des  insultes  de  l'ennemi  et  de  toute  ad- 
versité, pour  qu'il  parvienne,  sain  et  sauf  avec  votre  secours,  à  la  lu- 
mière de  cette  présente  vie,  qu'il  te  serve  pieusement  avec  tous  les 
fidèles  et  mérite  finalement  d'arriver  à  la  vie  éternelle.  Par  notre  Sei- 
gneur, etc.  Ainsi  soit-il. 

y  Le  Seigneur  soit  avec  vous. 

f$  Et  avec  votre  esprit. 

y  Dieu  nous  bénisse  et  nous  exauce. 

f^  Ainsi  soit-il. 

y  Séparons-nous  en  paix. 

j\  Au  nom  du  Christ.    • 

y  Bénissons  le  Seigneur. 

f^  Rendons  grâces  à  Dieu. 

Le  Prêtre  l'asperge  ensuite  d'eau  bénite  en  disant  : 

Que  la  bénédiction  de  Dieu  tout  puissant,  Père,  Fils  et  Saint-Esprit 
descende  et  soit  toujours  sur  toi  et  sur  ton  enfant;  qu'elle  y  soit  à 
jamais.  Ainsi  soit-il. 

ORAISON    DE    SAINT  FRANÇOIS    DE    SALES,    QUE    DOIVENT  RÉCITER  LES 
FEMMES   ENCEINTES 

(Tirée  du  livre  trois  de  ses  Epitres  spirituelles  ;  Ep.  LXXXIII). 
0  Dieu  éternel,  Père  d'une  immense  bonté,  qui  avez  ordonné  le  ma- 
riage pour  multiplier  les  hommes  sur  cette  terre  et  remplir,  là  haut,  la 
Cité  éternelle;  vous  qui  avez  principalement  destiné  à  cette  fonction 
notre  sexe,  voulant  ainsi  que  notre  fécondité  fût  le  signe  de  votre  béné- 
diction sur  nous,  me  voici  prosternée  devant  la  face  de  votre  majesté, 
que  j'adore,  en  faveur  du  petit  enfant  que  j'ai  conçu  et  que  vous  avez 
daigné,  par  votre  grâce,  former  dans  mes  entrailles.  Mais,  ô  Seigneur, 
puisque  cela  vous  a  plu,  étendez  sur  moi  jusqu'à  l'accomplissement  de 


120  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


ce  que  vous  avez  commencé,  le  bras  do  votre  providence  ;  que  votre 
perfection  vienne  au  secours  de  ma  grossesse,  et  de  votre  protection 
continuelle,  assistez  avec  moi  la  créature  que  vous  avez  voulu  former 
en  moi  jusqu'à  l'heure  où  elle  viendra  à  la  lumière.  Alors,  ô  Dieu,  se- 
courez ma  vie,  de  votre  droite  sainte  raffermissez  ma  faiblesse,  regardez 
mon  fruit  d'un  œil  bienveillant,  afin  qu'étant  à  vous  déjà  par  la  créa- 
tion, il  le  soit  encore  par  les  mérites  de  la  Rédemption,  et  que,  ayant 
reçu  l'eau  du  très  saint  baptême,  il  repose  dans  le  sein  de  l'Eglise» 
votre  épouse.  O  Sauveur  de  mon  âme,  vous  qui,  alors  que  vous  viviez 
sur  la  terre,  aimiez  si  ardemment  les  petits  enfants,  qui  les  preniez  si 
souvent  dans  vos  bras,  recevez  également  celui-ci  et  prenez-le  en  votre 
sainte  adoption  pour  que  vous  ayant  et  vous  invoquant  comme  Père, 
votre  nom  soit  sanctifié  en  lui  et  que  votre  royaume  lui  appartienne. 
Rédempteur  du  monde,  je  le  députe  vers  vous  de  tout  mon  cœur,  je  le 
dédie  et  le  consacre  à  l'obéissance  de  vos  commandements,  à  l'amour 
de  la  servitude  qui  vous  est  due  et  à  la  servitude  de  votre  amour.  Mais 
puisque  votre  justice  a  soumis  la  mère  du  genre  humain  et  toute  sa 
postérité  à  maintes  douleurs  et  aux  souffrances  de  l'enfantement,  j'ac- 
cepte volontairement  toutes  les  souffrances  qu'il  vous  plaira  permettre, 
ô  Seigneur,  qu'à  cette  occasion  je  supporte;  je  vous  conjure  seulement 
par  le  saint  et  joyeux  enfantement  de  votre  très  innocente  Mère,  de 
m'être  propice  au  moment  où,  malheureuse  et  vile  pécheresse,  j'accou- 
cherai, de  m'accorder  ainsi  qu'à  l'enfant  que  vous  avez  daigné  me 
donner,  l'éternelle  bénédiction  de  votre  amour  ;  je  vous  la  demande 
humblement,  pleine  de  confiance  en  votre  bonté. 

Et  vous,  très  sainte  Vierge  mère,  ma  maîtresse  que  je  chéris,  vous, 
l'unique  Reine  et  la  gloire  des  femmes,  sous  votre  patronage  et  dans  le 
sein  de  votre  maternelle  et  incomparable  suavité,  recevez  mes  vœux, 
mes  prières,  pour  que  la  miséricorde  de  votre  Fils  daigne  les  exaucer. 
Je  vous  le  demande  et  vous  en  supplie,  vous  qui  êtes  la  plus  aimable 
des  créatures,  par  le  virginal  amour,  dont  vous  entouriez  votre  époux 
bien  aimé,  saint  Joseph,  par  les  mérites  infinis  de  la  nativité  de  votre 
Fils  et  par  les  saintes  entrailles  où  vous  l'avez  nourri.  O  saints  Anges, 
préposés  à  ma  garde  et  à  celle  de  l'enfant  que  je  porte,  défendez-nous, 
guidez-nous  tous  les  deux,  pour  que,  grâce  à  votre  secours,  nous  puis- 
sions parvenir  à  la  gloire  dont  vous  jouissez,  pour  que  nous  méritions 
de  louer  et  d'exalter  avec  vous  notre  commun  roi  et  Seigneur,  qui 
règne  dans  les  siècles  des  siècles.  Ainsi  soit-il. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE    CULTE 


121 


C.   —   RELIQUES    ET    PRATIQUES    SUPERSTITIEUSES    RELATIVES    AUX 
ACCOUCHEMENTS 


Outre  les  reliques  que  nous  avons  déjà  signalées  avec  les  saints  ou 
saintes  qui  s'y  rattachent,  il  en  est  d'autres  qui  protègent  les  femmes 
enceintes,  leur  donnent  une  heureuse  délivrance  et  abrègent  leurs 
douleurs  : 

Au  premier  rang,  citons  les  agnus  dei  (fig.  69),  médaillons  en  cire 
blanche  qu'il  suffit  de  placer  sous  l'oreiller  de  la  parturiente  ;  ils  sont 
bénits  et  consacrés  par  le  Pape.  Dans  l'oraison  récitée  par  le  Saint-Père 


I'ig.  69.  —  Agnus  Dei. 


aumomentdela  bénédiction,  il  est  dit  enpropres  termes  :  «Queles  dou- 
leurs des  mères  qui  e»fantent  soient  calmées,  et  que  l'enfant  soit  con- 
servé sain  et  sauf  avec  sa  mère».  Comme  preuve  de  l'efficacité  du 
fétiche,  le  chanoine  X.  Barbier  de  Montault,  qui  a  consacré  un  bel 
in-18  à  la  Dévotion  aux  Agnus  Dei,  rapporte  l'histoire  de  Madeleine 
Dordi  qui  échappa  aux  risques  d'un  accouchement  très  pénible  en 
prenant,  à  trois  reprises  différentes,  des  morceaux  d'agnus  imbibés 
d'eau  bénite.  On  sait,  sans  doute,  que  les  débris  d'agnus  passent  pour 
avoir  la  même  efficacité  que  l'agnus  entier. 
Cette  vertu  des  Agnus  ne  serait  pas  nouvelle;  on  raconte,  en  effet, 


122  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


que  le  pape  Urbain  V  en  expédia  trois  à  l'empereur  des  Grecs,  avec 
ces  vers  où  il  est  fait  mention  de  leurs  qualités  obstétricales  : 


Les  tonnerres  il  chasse; 
Les  péchés  il  efface; 
Sauve  d'embrasement 
Et  de  submergement  ; 
Garde  de  mort  subite; 
Les  diables  met  en  fuite  ; 
Dompte  les  ennemis. 
Hors  de  danger  sont  mis 
Et  l'enfant  et  la  mère 
Qui  travaille  à  le  faire; 
Et  donne  maint  pouvoir 
Aux  dignes  de  Favoir. 
Sa  part,  quoique  petite, 
Tant  que  la  grand'  profite. 


Par  suite  de  quelle  association  d'idées  s'avise-t-on  de  donner  aux 
pierres  dont  fut  lapidé  saint  Etienne  le  même  privilège  qu'aux 
Agnus?  Nous  ne  savons.  Calvin,  dans  son  Traité  des  Reliques,  plai- 
sante cette  singulière  croyance  : 

On  demandera  où  c'est  qu'on  les  a  pu  trouver,  et  comment  ils  les  ont 
eues,  de  quelle  main  et  par  quel  moyen.  Je  réponds  brièvement  que 
cette  demande  est  folle  ;  car  on  sait  bien  qu'on  trouve  partout  des  cail- 
loux, tellement  que  la  voiture  n'en  coûte  guère...  Et  de  fait,  les  Carmes 
de  Poitiers,  depuis  quatorze  ans,  ont  bien  trouvé  de  ces  pierres,  aux- 
quelles ils  ont  assigné  l'office  de  délivrer  les  femmes,  lesquelles  sont  en 
travail  d'enfant.  Les  Jacobins,  auxquels  on  avait  dérobé  une  côte  de 
Sainte  Marguerite  servant  cà  cet  usage,  leur  ont  fait  grande  noise,  criant 
contre  leur  abus  ;  mais  à  la  fin  ils  ont  gagné  en  tenant  bon. 

La  maison  de  notre-dame  à  Nazareth,  où  Jésus  fut  conçu  dans  le 
sein  de  Marie,  passe  pour  opérer  de  grandes  merveilles.  Collin  de 
Plancy  décrit  comme  suit  et  le  local  et  les  propriétés  du  local  : 

C'est  un  petit  caveau  souterrain,  qui  n'a  guère  que  dix-huit  pieds  de 
longueur  et  qui  est  taillé  dans  le  roc  ;  on  y  remarque  deux  colonnes, 
dont  l'une,  qui  est  rompue  à  sa  base,  inarque  l'endroit  où  la  Sainte-Vierge 
était  à  genoux,  lorsque  l'ange  Gabriel  vint  lui  annoncer  le  mystère  de 
l'incarnation.  La  colonne  qui  est  rompue  à  sa  base,  et  qui  se  soutient 
presque  suspendue  à  la  voûte  par  une  espèce  de  miracle  perpétuel, 


l'obstétrique  et  le  culte  123 

opère  tous  les  jours  de  grandes  merveilles.  On  dit  que  les  femmes  en- 
ceintes qui  peuvent  s'y  aller  frotter  accouchent  heureusement  ;  on 
ajoute  que  des  ceintures  qui  ont  touché  cette  colonne  produisent  les 
mêmes  merveilles  en  différents  pays. 

La  sainte  chemise  que  Marie  portait  lorsqu'elle  mit  au  monde  Notre 
Seigneur,  et  qu'elle  garda  pendant  toute  la  durée  de  sa  grossesse,  se 
trouve  en  même  temps  à  Aix-la-Chapelle  et  à  Chartres,  où  les  femmes 
enceintes  timorées  vont  adorer  ce  tissu  ubiquitaire.  Mais  afin  d'éviter 
un  voyage  quelquefois  dangereux,  toujours  fatigant  pour  les  femmes 
dans  une  situation  «  intéressante  »,  l'église  Notre-Dame  de  Chartres  a 
ingénieusement  imaginé  de  faire  fabriquer,  comme  fac-similé  de  la 
sainte  relique,  des  chemisettes  que  l'on  porte  sur  soi  et  qui  possèdent 
les  mêmes  vertus  que  l'original  (1). 

«  Parmi  les  faveurs  attribuées  à  cette  pieuse  pratique,  dit  un  pros- 
pectus répandu  par  l'Œuvre  des  clercs  de  Notre-Dame,  l'histoire 
mentionne  spécialement  les  heureuses  délivrances  des  mères  et  la 
sauvegarde  des  soldats  sur  les  champs  de  bataille  ».  Nous  dénonçons 
les  clercs  de  Notre-Dame  pour  exercice  illégal  de  la  médecine. 

Dans  l'illustre  abbaye  d'Anchin,  s'élevant  jadis  près  de  Douai,  on 
conservait  I'anneau  de  la  vierge  qui  jouait  son  rôle  dans  les  accou- 
chements. Un  savant  local,  médecin  tombé  dans  l'archéologie,  le  doc- 
teur Escallier,  rapporte,  d'après  Fr.  de  Bar,  deux  épisodes  con- 
cluants : 

Une  certaine  femme,  d'auprès  d'Arras,  était  en  mal  d'enfant;  depuis 
cinq  jours,  elle  souffrait  sans  pouvoir  être  délivrée.  Cette  malheureuse 
était  difforme  et  construite  de  telle  façon  que  les  sages-femmes,  aidées 
de  savants  médecins,  ne  pouvaient  opérer  sa  délivrance,  lorsqu'une 
vieille  femme  survenant  fit  boire  à  la  patiente  de  l'eau  consacrée  par 
l'immersion  de  l'anneau  de  la  Vierge  :  incontinent  la  femme  mit  au 
monde  un  enfant  bien  portant. 

Voici  l'autre  fait  qui  témoigne  de  l'efficacité  du  bijou  de  la  Vierge  : 

Le  2  mai  1591,  le  comte  de  Ligne  avait  envoyé  un  gentilhomme  de  sa 
famille  à  l'abbaye  d'Anchin  pour  chercher  le  précieux  joyau.  L'abbé 
l'ayant  confié  au  gentilhomme,  celui-ci  était  à  peine  arrivé  sur  le  terri- 
toire domauial  de  Ligne,  qu'une  pieuse  femme,  qui,  depuis  trois  jours, 
était  en  travail  d'enfant,  fut  délivrée  presque  sans  douleur. 

(1)  Des  esprits  malintentionnés  ont  contesté  jusqu'à  l'existence  de  cet  original. 


124  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


La  ceinture  de  la  vierge  se  trouve  en  divers  endroits,  notamment 
au  Puy-Notre-Dame,  en  Anjou,  et  dans  l'église  de  Quintin,  petite 
ville  de  Bretagne. 

La  ceinture  du  Puy-Notre-Dame  (fîg.  70)  est  faite  d'un  tissu  de  lin 
et  de  soie  recouvert  d'un  filet  à  mailles  serrées.  Elle  est  renfermée 
dans  trois  enveloppes  qui  ne  permettent  d'apercevoir  la  sainte  relique 
qu'à  travers  deux  anneaux  en  argent  doré,  fermés  par  un  verre  de 
cristal  relevé  eu  bosse  et  qu'on  appelle  les  monslrances,  présent  de 
Louis  XIII.  Le  saint  tissu  ne  sort  du  reliquaire  que  le  dimanche  qui 
suit  la  Nativité,  jour  du  pèlerinage  ;  les  fidèles  peuvent  alors  la  baiser 
à  leur  gré.  «  Est-ce  une  véritable  ceinture  de  la  bienheureuse  Vierge 
Marie,  se  demande  l'abbé  Zacharie  Bédouel?  S'il  est  difficile  de  le 
prouver,  il  nous  est  facile  au  moins  de  l'admettre  en  consultant  le  té- 
moignage populaire  et  en  considérant  les  miracles  et  faveurs  signa- 
lées obtenus  par  son  attouchement  ».  Sans  être  un  parpaillot,  on  peut 
douter  de  l'authenticité  de  la  précieuse  relique. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  renommée  des  bienfaits  octroyés  aux  femmes 
enceintes  par  l'attouchement  de  la  sainte  ceinture  parvint  aux  oreilles 
de  Louis  XIII,  qui  voulut  faire  porter  à  Anne  d'Autriche  ce  précieux 
talisman,  lorsqu'après  vingt-trois  ans  d'union  stérile,  la  grossesse  de 
la  reine  fut  déclarée  certaine. 

Grandet  nous  dit,  dans  sa  Notre-Dame  angevine,  que  : 


Le  vingt-sept  janvier,  maître  Louis  de  Bernage,  conseiller  et  au- 
mônier du  roi,  vint,  de  la  part  de  Sa  Majesté,  au  chapitre  du  Puy, 
pour  demander  la  sainte  ceinture,  comme  aussi  pour  y  faire  toucher 
des  rubans  de  la  même  longueur  de  ladite  ceinture,  pour  porter  à  la 
reine,  afin  qu'il  plût  à  Dieu  de  lui  faire  la  grâce  d'accoucher  heureuse- 
ment d'un  Dauphin  :  et  pour  cet  effet  elle  désira  qu'on  fit  une  neuvaine 
à  son  intsntion,  laquelle  fut  commencée  le  môme  jour  par  une  messe 
solennelle  chantée  au  grand  autel  dédié  à  Marie  ;  le  chantre  portant  son 
bât  m,  la  sainte  ceinture  étant  exposée  sur  l'autel  dans  son  vase  ordinaire 
avec  les  ceintures  et  un  rosaire  de  la  Vierge  qui  ont  touché  des  deux 
côtés  la  vraie  ceinture,  depuis  un  bout  jusqu'à  l'autre,  la  couverture  de 
satin  ayant  été  décousue,  pour  cet  effet,  par  le  sacristain-chanoine  de 
Saint-Georges,  en  présence  de  tout  le  chapitre  :  et  lors  de  la  consécra- 
tion le  dit  de  Bernage  présenta  un  cierge  à  l'autel  de  la  forme  ordinaire, 
et  se  ceignit  la  ceinture  par  la  tête  au  nom  et  intention  de  la  reine  :  et 
afin  d'exciter  le  peuple  à  demander  à  Dieu  la  même  grâce,  on  exposa 
pendant  neuf  jours  le  saint  sacrement  sur  l'autel,  et  lors  de  la  consé- 
cration de  chaque  messe,  un  chanoine  présenta  aussi  un  cierge  blanc  à 
la  même  intention. 


L  OBSTETRIQUE    ET    LE   CULTE 


125 


La  ceinture  fut  portée  à  la  Reine,  à  Saint-Germain-en-Laye,  et 
M.  de  Saint-Christophe,  qui  eut  l'honneur  de  la  lui  ceindre  autour 
des  reins,  la  rapporta  en  Anjou. 


Fie.  70.  —  Ceinture  de  la  Vierge  du  Puy-Notre-Dame. 


Deux  mois  après,  le  chapitre  du  Puy  reçut  la  lettre  suivante 


Aujourd'hui  vingt-cinquième  jour  do  mars  mil  six  cent  trente-huit, 
le  roi  étant  à  Saint-Germain-en-Laye,  ayant  une  confiance  particulière 
en  l'intercession  de  la  glorieuse  Vierge  Marie,  envers  Jésus-Christ  son 
fils,  et  désirant  employer  spécialement  son  assistance  sur  la  grossesse 


126  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

de  la  reine,  à  ce  qu'il  plaise  à  Dieu   lui  faire  porter  heureusement  son 
fruit. 

Sa  Majesté  ayant  fait  apporter  de  Notre-Dame-du-Puy,  en  Anjou, 
la  ceinture  de' la  Vierge,  qui  y  est  depuis  longtemps  gardée  audit  lieu, 
pour  appliquer  à  cette  bonne  intention  sur  le  corps  de  la  reine,  et, 
considérant  que  l'on  ne  peut  honorer  et  conserver  assez  dignement  une 
si  sainte  relique,  Sa  Majesté  a  fait  don,  à  ladite  église  de  Notre-Dame- 
du-Puy,  d'une  châsse  d'argent  vermeil,  dorée,  à  jour,  ornée  d'une 
image  de  la  Vierge,  au  haut  d'icelle,  avec  une  petite  cassette  d'argent, 
le  tout  pesant  trente-quatre  marcs  et  dans  un  étui  garni  de  velours, 
pour,  après  que  ladite  châsse  et  cassette  auront  été  bénites  en  la 
manière  requise,  y  mettre  la  sainte  ceinture  de  la  Vierge,  et  y  être 
perpétuellement  gardée  à  l'avenir. 

Mandant,  Sa  Majesté,  aux  doyen,  chanoines  et  chapitre  de  ladite 
église  d'effectuer  et  faire  observer  ce  qui  est  en  cela  de  son  intention 
sans  y  contrevenir,  ni  permettre  qu'il  y  soit  contrevenu,  ayant,  pour 
témoignage  de  sa  volonté,  fait  expédier  le  présent  brevet,  qu'elle  a 
signé  de  sa  main  et  fait  contre-signer  par  moi,  son  conseiller,  secrétaire 
d'État  en  ses  commandements  et  finances. 

Signé  :  Louis. 
Et  plus  bas  :  Sublet. 

Pleine  de  confiance  en  la  sainte  relique,  Anne  d'Autriche,  sentant 
son  terme  approcher,  écrivit  le  sept  août  aux  chanoines  du  Puy  de 
lui  envoyer  de  nouveau  la  sainte  ceinture,  qu'elle  désirait  avoir  sur 
elle  au  moment  de  sa  délivrance.  Le  chapitre  s'empressa  d'obéir  au 
désir  de  la  reine,  qui,  le  cinq  septembre,  quelques  heures  avant 
d'accoucher,  la  prit  sur  elle  et  mit  heureusement  au  monde  un  fils  : 
par  reconnaissance,  elle  l'appela  Dieudonné  ;  c'était  Louis  XIV. 
Anne  d'Autriche,  à  sa  seconde  grossesse,  demanda  encore  la  sainte 
relique.  Sa  lettre  est  ainsi  conçue  : 

A  nos  très  chers  et  bien-aimés  les  doyen,  chanoines  et  chapitre  de 
l'église  collégiale  de  Notre-Dame-du-Puy,  en  Anjou. 

De  par  la  reine, 

Très  chers  et  bien-aimés,  le  favorable  succès  que  nous  reçûmes 
par  la  puissante  intercession  de  la  glorieuse  Vierge  dont  vous  nous 
apportâtes  la  ceinture  il  y  a  deux  ans,  pour  la  naissance  de  notre  très 
cher  et  très  aimé  fils  le  Dauphin,  nous  faisant  espérer  de  sa  bonté,  les 
mêmes  grâces  pour  l'heureuse  délivrance  de  l'enfant  quïl  plaira  à  Dieu 
de  nous  donner.  Nous  vous  faisons  encore  celle-ci,  pour  vous  dire  que 
nous  désirons  que  vous  nous  en  envoyiez,  par  ceux  que  vous  députerez 
de  votre  compagnie,  cette  sainte  relique  pour  la  singulière  dévotion  que 
nous  portons  à  la  sacrée  mère  de  notre  bon  Dieu,  et  la  confiance  que 


l'obstétrique  et  le  culte  127 

nous  avons  en  ses  prières.  A  quoi  nous  assure  de  votre  affection  eu 
notre  endroit,  que  .vous  apporterez  la  plus  grande  diligence  que  nous 
pouvons  nous  promettre. 

Signé  :  Anne. 
Et  plus  bas  :  Legras. 

La  ceinture  fut  portée  à  la  reine  qui,  l'ayant  sur  elle,  le  21  septem- 
bre, mit  au  monde  un  second  fils  nommé  Philippe,  duc  d'Anjou,  de- 
puis duc  d'Orléans. 

Elle  fut  aussi  proposée  par  M.  Louvet  à  l'impératrice  Eugénie, 
lors  de  la  naissance  du  Prince  impérial,  mais  celle-ci  préféra  les  reli- 
ques de  Sainte  Marguerite. 

Nous  trouvons  dans  le  Pèlerinage  de  la  sainte  ceinture  au  Puy- 
Notre-Dame,  de  l'abbé  Zacharie  Bédouet  les  deux  prières  suivantes 
à  l'usage  des  pèlerins  : 


ORAISON  POUR  LES  FEMMES  ENCEINTES 

O  bien  heureuse  Vierge  Marie  !  qui  avez  conçu  le  Fils  de  Dieu  par 
l'opération  du  Saint-Esprit,  porté  neuf  mois  en  votre  chaste  sein,  sans 
peine,  et  enfanté  sans  douleur  ni  altération  de  votre  virginité.  En  revê- 
tant ce  ruban  sanctifié  par  son  contact  avec  votre  sainte  Ceinture,  je  me 
mets  sous  votre  garde,  et  me  jette  dans  les  bras  de  votre  maternelle 
protection,  vous  suppliant  par  votre  divin  fils  Jésus,  qu'il  vous  plaise 
de  préserver  de  tout  mal  le  fruit  que  je  porte  ;  faites-moi  comprendre 
les  délicates  et  vraies  attentions  que  cet  enfant  réclame  dès  aujourd'hui 
de  l'amour  maternel.  Je  vous  demande  très  humblement,  par  celui  qui 
vous  a  délivrée  des  douleurs  de  l'enfantement,  que  vous  adoucissiez  et 
abrégiez  les  peines  et  les  tranchées  de  mon  accouchement,  lesquelles 
je  vous  offre  dès  à  présent,  pour  les  présenter  alors  à  mon  Rédempteur, 
en  mémoire  et  en  union  des  chagrins  et  des  souffrances  que  lui  et  vous, 
endurâtes  sur  le  Calvaire,  et  en  rémission  de  mes  péchés. 

O  Marie  !  vous  qui  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes,  qui  avez  mis 
la  vie  au  monde,  qui  êtes  la  mère  du  salut,  faites  que  l'attouchement  de 
votre  glorieuse  et  sainte  Ceinture  répande  en  nous  une  heureuse  fécon- 
dité de  mérites  et  de  bonnes  œuvres,  et  que  le  fruit  de  mes  entrailles 
arrive  heureusement  au  monde  et  parvienne  à  la  grâce  du  saint  bap- 
tême. Je  vous  offre,  ô  divine  Mère,  cette  faible  créature,  je  la  dédie  à 
votre  service  et  à  la  gloire  de  Dieu,  en  union  de  l'amour  avec  lequel 
vous  offrîtes  votre  cher  Enfant  Jésus  sitôt  que  vous  l'eûtes  conçu  et 
enfanté;  auquel  soient  honneur  et  gloire  avec  vous  par  tous  les  siècles 
des  siècles.  Ainsi  soit-il. 


108  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


PRIÈRE  POUR  UNE  FEMME  PRÊTE  D'ACCOUCHER 

Dieu  tout-puissant  et  éternel,  qui  avez  inspiré  dès  les  premiers  siècles 
à  votre  Eglise  de  célébrer  la  gloire  de  la  Mère  de  votre  divin  Fils,  en 
instituant  une  fête  en  l'honneur  de  la  Ceinture  sacrée  que  porta  Marie, 
faites,  nous  vous  en  supplions,  que  ceux  qui  l'honorent  pieusement  sur 
la  terre,  triomphent  du  péché  et  arrivent  un  jour  à  l'éternelle  béatitude. 
Souvenez-vous,  grand  Dieu,  des  larmes  de  la  bienheureuse  Marie  et 
des  souffrances  de  notre  bon  Jésus,  pour  diminuer  et  adoucir  en  faveur 
de  votre  servante  le  juste  châtiment  qu'attira  sur  l'humanité  la  faute 
de  nos  premiers  parents.  Si  justement  irrité  du  crime  d'Eve,  vous  avez 
rendu  notre  naissance  chétive  et  asservi  nos  mères  à  des  peines  si 
cruelles  pour  nous  mettre  au  monde,  afin  de  nous  humilier,  ayez  pitié 
de  votre  servante;  modérez,  je  vous  prie,  les  douleurs  que  l'enfante- 
ment me  prépare;  en  considération  de  la  sainte  Ceinture  de  Marie  que 
je  révère,  usez  de  votre  pitié  et  de  votre  bonté  envers  moi;  ne  tirez  pas 
vengeance  de  mes  fautes,  mais  délivrez-moi  par  votre  clémence.  Re- 
gardez, Seigneur,  votre  image  que  je  porte  dans  mon  sein;  ne  permettez 
pas  que  la  mort  la  prévienne  avant  qu'elle  soit  marquée  du  sceau  de 
votre  grâce. 

O  Marie,  espoir  des  chrétiens  !  obtenez  à  cette  frêle  créature  la  grâce 
d'arriver  au  saint  baptême  ;  et,  si  vous  daignez  m'obtenir  le  bonheur  de 
la  voir  grandir,  à  la  satisfaction  de  la  famille,  préservez  ce  cher  enfant 
de  la  contagion  du  monde,  inspirez-lui  une  vive  horreur  du  péché,  un 
grand  désir  de  sanctification.  Faites,  Mère  de  miséricorde,  qu'étant 
heureusement  délivrée,  je  ne  démente  pas  la  vois  de  ma  prière  par 
celle  de  ma  vie,  ni  que  je  détruise  par  le  mauvais  exemple  que  je  don- 
nerais à  mon  enfant,  par  mes  conseils  indiscrets,  ou  par  ma  négligence, 
ce  que  je  vous  prie  de  mettre  et  d'établir  en  lui.  O  sainte  Vierge,  mère 
du  Sauveur!  bénissez-moi  en  bénissant  mon  enfant,  et  veillez  sur  moi, 
afin  que  je  puisse  veiller  sur  lui;  faites  que  je  l'élève  dans  la  sagesse, 
dans  la  crainte  de  Dieu  et  dans  votre  amour,  pour  que  nous  méritions 
de  chanter  vos  louanges  dans  l'éternité.  Ainsi  soit- il. 

Passons  maintenant  à  la  concurrence  de  Quintin.  «  La  tradition 
quintinaise  »,  dit  le  père  Guépin,  «  affirme  non  seulement  que  cette 
relique  a  appartenu  à  la  Sainte  Vierge,  mais  qu'elle  est  l'ouvrage 
même  de  ses  mains,  et  que  Marie  la  portait  lorsque  le  fils  de  Dieu 
descendit  dans  son  sein... 

«  Dès  que  la  ceinture  de  Marie  fut  apportée  à  Quintin,  on  vit  naître 
dans  notre  ville  une  dévotion  que  nous  retrouvons  dans  presque  tous 
les  lieux  qui  ont  possédé  de  semblables  trésors.  Les  femmes  enceintes 


l'obstétrique  et  le  culte  129 

demandèrent  à  cette  précieuse  relique  une  protection  contre  les  périls 
de  la  maternité...  Toutes  les  fois  que  des  femmes  enceintes  deman- 
daient la  ceinture,  un  prêtre  la  sortait  avec  respect  du  reliquaire.  Les 
pieuses  clientes  de  Marie  la  passaient  autour  de  leur  taille  et  la  gar- 
daient, durant  le  saint  sacrifice  qu'elles  faisaient  offrir  pour  leur  heu- 
reuse délivrance.  Quand,  à  l'heure  de  l'enfantement,  l'une  d'elles 
était  en  péril  de  mort,  elle  obtenait  encore  le  secours  de  la  précieuse 
ceinture  qu'un  des  chanoines  portait  à  sa  maison.  Comme  de  nos 
jours,  Marie  tenait  à  honneur  de  protéger  ses  humbles  clientes,  et  un 
accident  survenant  à  une  mère  ou  à  un  nouveau-né  était  un  fait  inouï 
à  Quintin.  Aussi  la  ceinture  delà  Sainte-Vierge  était-elle  demandée 
dans  des  villes  fort  éloignées,  et  les  chanoines  de  la  collégiale  fai- 
saient de  fréquents  voyages  pour  la  porter  à  de  nobles  dames  jusqu'à 
Rennes  et  au  fond  de  la  Basse-Bretagne  ». 

P.  Parfait,  à  qui  nous  empruntons  ces  détails,  consignés  dans  sa 
Foire  aux  reliques,  nous  révèle  que  la  pieuse  indélicatesse  de  certains 
fidèles  parvint  à  distraire  quelques  bribes  de  la  relique;  c'est  pour- 
quoi l'on  décida  que  dorénavant,  les  femmes  se  contenteraient  de 
porter,  soit  pendant  une  partie,  soit  pendant  toute  la  durée  de  leur 
grossesse,  des  ceintures  ou  des  rubans  bénits,  mis  préalablement  en 
contact  avec  la  sainte  ceinture (1);  et  ce  nouveau  système  ne  fit  pas 
un  moment  regretter  l'ancien.  La  diffusion  du  fétiche  fut  même 
rendue  plus  commode.  «  Des  ceintures' bénites  à  Quintin  ont  donné 
bien  loin  de  notre  ville  »,  dit  encore  dom  Guépin,  «  des  signes  écla- 
tants de  la  vertu  surnaturelle  que  le  contact  de  la  précieuse  relique 
leur  avait  communiqués  ».  Et  entre  autres  exemples,  le  brave  homme 
cite  celui  d'une  paysanne  qui  avait  failli  périr  dans  ses  deux  pre- 
mières couches.  «  Les  troisièmes  s'annonçaient  terribles,  et,  d'après 
toutes  les  probabilités  humaines,  la  pauvre  mère  devait  y  laisser  la 
vie.  Une  jeune  dame  du  voisinage  lui  prêta  une  ceinture  bénite  à 
Quintin,  qui  fut  reçue  comme  le  gage  d'une  protection  assurée  de 
Marie.  Cette  foi  simple  eut  sur  le  champ  sa  récompense.  L'enfant  et 
la  mère  furent  sauvés  ». 

Les  ceintures  miraculeuses  par  procuration,  voilà  une  invention 
qui  fait  honneur  au  clergé  de  Quintin. 

Il  est  fâcheux  que,  pour  donner  à  la  sous-ceinture  la  même  valeur 


(1)  C'est  un  ruban  de  soie  blanche  sur  lequel  est  imprimée  en  caractères  bleus 
Tinvocation  :  «Notre-Dame  de  Délivrance,  protégez-nous!  »  La  même  invocation 
est  répétée  sur  le  cachet  bleu  de  la  paroisse,  nui  donne  à  cette  amulette  son  carac- 
tère d'authenticité. 

HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS.  3 


130  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

qu'à  la  pièce  primitive,  il  faille  tirer  le  morceau  précieux  du  reli- 
quaire et  induire  ainsi  en  tentation  les  Quintinaises  de  dom  Guépin. 

Le  peigne  de  la  Sainte  Vierge  qui,  d'après  la  Epoca,  figura  aux 
couches  de  la  reine  d'Espagne,  serait  plus  facile  à  surveiller,  n'étaient 
les  trois  cheveux  qui  l'accompagnent. 

Un  moyen  de  tout  concilier,  c'est  le  système  de  la  Cloche  :  il  suffit 
aux  paroissiennes.,  dont  le  ventre  aura  été  béni,  d'attacher  leur  ceinture 
à  l'anse  d'une  cloche  d'église  et  de  sonner  trois  coups  vigoureux. 
L'effet  sera  le  même  que  si  elles  possédaient  la  ceinture  ou  le  peigne. 
Nous  sommes  même  étonnés  qu'aux  deux  vers  fameux  : 

Laudo  Deum  verum,  plebem  voco,  congrego  clerum, 
Defunctos  ploro,  fugo  fulmina,  festa  decoro, 

On  n'ait  pas  ajouté  ce  troisième  : 

Et  facile  infantes  maternis  extraho  vulvis. 

Un  cierge  brûlé  à  l'église  ou  dans  la  chambre  de  la  parturiente, 
pendant  toute  la  durée  du  travail,  est  un  moyen  plus  pratique  et, 
paraît-il,  aussi  efficace  que  celui  des  cloches. 

Cari  Schrœder,  dans  son  Manuel  d'accouchements,  dit  que,  dans  plu- 
sieurs pays,  on  faisait  boire  aux  femmes  en  couches  de  l'encre  avec 
laquelle  on  écrivait  un  Miserere  mei,  Domine,  jusqu'aux  mots  Do- 
mine, labia  mea  aperies.  Le  calembour  est  aussi  malpropre  que  la 
tisane. 

Certaines  prières  passent  pour  avoir  la  même  vertu  que  les 
cloches,  les  cierges,  l'encre  et  les  calembours  ;  telles  sont  les  oraisons 
de  Saint  François  de  Sales,  de  l'archevêque  de  Panorme  et  celle  de 
la  Sainte  Croix  qui,  découverte  en  1505,  sous  le  Saint  Sépulcre,  fut 
imprimée  en  1880,  rue  Cassette.  On  y  lit  ces  mots  : 

Quand  une  femme  se  trouve  en  enfantement,  qu'elle  entendra  lire 
ou  lira  cette  prière,  ou  la  portera. sur  elle,  elle  sera  promptement 
délivrée  ;  elle  restera  tendre  mère,  et  quand  l'enfant  sera  né,  il  faudra 
poser  cette  prière  sur  son  côté  droit,  et  il  restera  préservé  d'un  grand 
nombre  d'accidents. 

Nous  avons  déjà  cité  le  théologien  Thiers.  Dans  son  Traité  des 
Superstitions,  il  assure  que,  d'après  une  ancienne  croyance,  les 
femmes  n'éprouvaient  aucune  douleur  pendant  leurs  couches,  si  quel- 
ques jours  avant  elles  restaient  assises  durant  l'Évangile  de  la  messe. 
Cette  superstition  pourrait  bien,  comme  les  ablutions  des  Mahomé- 


l'obstétrique  et  le  culte  1>1 


tans,  n'être  que  de  l'hygiène.  Ce  qui  est  une  simple  folie,  ce  sont  les 
exercices  que,  suivant  le  même  auteur,  on  pratiquait  sur  les  femmes 
grosses  pour  les  faire  accoucher  sans  douleurs. 

De  ces  simagrées,  la  plus  souvent  employée  était  la  suivante  :  il 
fallait  lire  le  grimoire  tête  nue,  puis  le  placer  dans  la  main  droite  de 
la  femme  ;  ensuite  l'exorciste,  dont  le  sexe  paraît  avoir  été  indifférent, 
devait  faire  sur  le  sujet  autant  de  signes  de  croix  qu'il  y  en  avait  de 
marqués  dans  l'oraison. 

Voici  le  morceau  : 

Anna  peperit  Mariam  ;  Maria  Christum  Salvatorem  nostrum  ; 
Elizabeth  Johannem  Baptistam;  sic  mulier  ista  pariât  salva  in 
nomine  Domini  -j-  Jesu  Christi,  puerum  qui  est  in  utero,  sive  sit 
masculus,  vel  femella.  Venias  foras,  Christus  te  vocat,  lux  desiderat 
te  videre  ut  vivas  ;  veni  foras  in  nomine  Domini  nostri  -{•  Jesu 
Christi.  Mulier  cùmparit,  Isetitiam  non  habet,  quia  venit  hora  ejus  : 
et  cùm  peperit  filium,  jam  non  meminit  pœnarum  propter  gaudium, 
quia  natus  est  homo  in  mundum  f  Jésus  autem  transiens  per 
médium  illorum  ibat.  -j-  Titulus  triumplialis  -J-  Jésus  y  Nazarenus 
•J-  Rex  Judœorum  f  Miserere  nobis. 

Ce  qui  signifie  : 

Anne  a  enfanté  Marie;  Marie,  le  Christ  notre  Sauveur  ;  Elizabeth, 
Jean-Baptiste  ;  que  de  même  cette  femme,  sauvée  au  nom  de  notre 
Seigneur  Jésus-Christ,  mette  au  monde  l'enfant  qui  est  dans  son  sein, 
que  cet  enfant  soit  mâle  ou  femelle.  Viens  dehors,  le  Christ  t'appelle, 
la  lumière  désire  te  voir  pour  que  tu  vives  ;  viens  dehors  au  nom  de 
notre  Seigneur  Jésus-Christ.  Quand  la  femme  enfante,  elle  n'a  point  de 
joie,  parce  que  son  heure  est  venue  ;  et  quand  elle  aura  enfanté  un  fils, 
elle  ne  se  souviendra  plus  de  ses  douleurs,  à  cause  de  sa  joie,  parce 
qu'il  est  né  un  homme  au  monde.  Or  Jésus  allait  passant  au  milieu 
d'eux.  Inscription  triomphale  :  Jésus  de  Nazareth,  roi  des  Juifs,  ayez 
pitié  de  nous. 

Autre  exorcisme  que  l'on  faisait  au  moment  de  l'accouchement  ; 
celui  qui  le  récitait  devait  tenir  à  la  main  un  cierge  allumé;  en  l'allu- 
mant, on  devait  dire  : 

Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  étant  au  mont  d'Olivet  avec  ses 
disciples,  a  ouï  une  femme  qui  enfantait,  et  dit  à  Jean-Baptiste  :  Va  à 
l'oreille  droite  de  cette  femme  et  lui  dis  qu'ainsi  comme  Anne  enfanta 
Marie,  et  Mario  enfanta  le  sauveur  du  monde,  ainsi  enfante  cette  femme 
sans  douleur,  soit  mâle  ou  femelle,  soit  mort  ou  vif,  viens  dehors, 
Christ  te  demande  à  sa  lumière.  JesuDalthasar  te  assistit;  Jesu  mémento 
filiorum  Edom,  dicunt  exinanite,  exinanite. 


132  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

Il  fallait  répéter  plusieurs  fois  le  même  exorcisme  et  dire  à  la  fin 
un  Pater  et  un  Ave.  De  plus  on  devait,  avant  de  le  réciter,  ordonner 
à  toute  femme  enceinte  de  quitter  la  chambre,  dans  la  crainte  de  la 
voir  accoucher  sur  l'heure.  Enfin  il  fallait  s'agenouiller  et  le  mur- 
murer à  l'oreille  de  la  femme  sur  qui  l'on  voulait  opérer.  Ne  riez  pas  ; 
allez  à  la  campagne  et  mettez  au  chevet  d'une  fermière  en  travail  la 
sorcière,  avec  ses  formules  cabalistiques,  et  Mmo  Lachapelle,  avec  sa 
science  et  sa  pratique,  laquelle  sera  écoutée  de  préférence  ? 

D'ailleurs,  les  femmes  avaient  un  moyen  moins  compliqué  de  hâter 
leur  délivrance  ;  c'était  de  chausser  les  bas  ou  les  souliers  de  leur  mari. 

Plusieurs  conciles  avaient  défendu  de  donner  l'extrême-onction  aux 
femmes  en  travail  ;  sage  défense,  car,  suivant  une  croyance  commune, 
toutes  celles  qui  recevaient  ce  sacrement  n'accouchaient  qu'avec 
peine,  et,  de  plus,  leur  enfant  avait  la  jaunisse. 

Certaines  autn  s  imprudences  pouvaient  faire  accoucher  d'un  enfant 
mort  :  par  exemple,  passer  sur  un  tombeau  durant  la  grossesse  ou 
porter  un  enfant  sur  les  fonts  baptismaux. 

Superstitions  relatives  aux  relevailles.  —  C'est  encore 
d'après  Thiers  que  nous  donnons  les  détails  suivants  : 

Quand  une  femme  est  morte  en  couches,  la  matrone  qui  l'a  assistée, 
ou  une  autre  femme  se  présente  à  l'église  et  se  fait  relever  à  sa  place. 
Sans  la  cérémonie  de  la  purification,  la  défunte  ne  pourrait  pénétrer 
dans  l'église,  ni  être  inhumée  en  terre  sainte,  ni  voir  Dieu  au  paradis. 

Toutefois,  à  Argenteuil,  on  ne  connaissait  pas  les  relevailles  par 
procuration  ;  on  purifiait  après  décès;  le  prêtre  faisait  son  office  sur  le 
cadavre,  comme  il  l'eut  fait  sur  une  femme  encore  en  vie. 

Une  autre  bizarrerie  consistait  à  tenir  pour  Juive  toute  nouvelle 
accouchée,  tant  que  l'église  ne  l'avait  pas  purifiée.  Jusqu'à  ce  qu'elle 
se  fût  présentée  au  prêtre  compétent,  elle  restait  chrétienne  en 
inactivité  ;  il  lui  était  même  interdit  de  prendre  l'eau  bénite  en  entrant 
à  l'église;  elle  ne  pouvait  que  la  recevoir  de  la  sage-femme  qui 
l'accompagnait.  Cette  superstition  avait  un  côté  incommode  pour  le 
mari  ;  la  femme,  avant  la  purification,  ne  pouvant  ni  faire  le  pain,  ni 
s'occuper  d'aucun  soin  domestique. 

De  même  les  chrétiennes  du  rite  grec  s'imaginaient,  qu'étant 
immondes  pendant  les  quinze  ou  vingt  jours  qui  suivaient  leurs 
couches,  elles  devaient  demeurer  oisives  dans  leurs  maisons,  sans 
toucher  à  quoi  que  ce  fût,  ustensile  de  ménage  ou  de  cuisine.  Elles  ne 
rentraient  en  fonctions  qu'après  avoir  ouï  l'oraison  qui  est  dans 
YEuchologue  sous  ce  titre  :   Oratio  in  mulierem  puerperam  jjost 


l'obstétrique  et  le  culte  133 


viginti  vel  quindecim  elles.  Chez  les  chrétiens  d'Abyssinie,  la  mère 
est  considérée  comme  impure  jusqu'après  le  baptême  de  l'enfant  qui 
a  lieu  au  bout  de  quarante  jours  pour  les  mâles,  quatre-vingts  pour 
les  filles. 

Nous  n'en  avons  pas  fini  avec  toutes  ces  superstitions. 

La  nouvelle  accouchée  aurait  commis  une  grande  faute  si,  en  sor- 
tant de  sa  chambre,  elle  avait  regardé  le  ciel  ou  la  terre  avant  d'avoir 
entendu  la  messe.  Au  retour  de  la  cérémonie  des  relevailles,  elle 
devait  veiller  à  ne  point  faire  certaines  rencontres  :  se  trouver  face  à 
face  avec  un  méchant,  c'était  exposer  son  enfant  à  tenir  de  lui.  Il 
n'était  pas  indifférent  non  plus  de  trouver  sur  son  chemin  un  garçon 
ou  une  fille  :  à  la  prochaine  grossesse,  l'enfant  aura  le  sexe  de  celui 
qui  se  sera  présenté  aux  regards.  Imprudence  que  d'aller  faire  ses 
relevailles  dans  une  église,  le  jour  où  on  y  a  célébré  un  mariage. 
Imprudence  ou,  suivant  le  cas,  bonne  précaution,  que  de  choisir  un 
vendredi  pour  la  cérémonie  ;  c'est  être  infailliblement  assuré  de  n'avoir 
plus  d'enfants. 

C'était  au  contraire  le  vendredi  ou  le  mercredi  que  devaient  se 
présenter  au  prêtre  les  femmes  ayant  avorté  par  accident  :  en  y  allant 
un  autre  jour,  on  s'exposait  à  se  blesser  dans  la  prochaine  grossesse. 


D.  —  Embryologie  sacrée. 


Il  faut  se  garder  de  confondre  l'embryologie  profane  avec  l'em- 
bryologie sacrée  ;  la  première  est  une  science  physiologique,  fort 
curieuse,  qui  étudie  dans  leur  formation  et  leur  développement  les 
premières  ébauches  des  corps  organisés  ;  l'autre  traite  «  de  l'octroi 
du  baptême  aux  fœtus  arrivés  prématurément  au  monde,  à  ceux  qui 
sont  encore  dans  le  sein  de  leur  mère,  ou  à  ceux  qui  ne  peuvent  naître 
naturellement,  question  de  la  plus  haute  importance,  car  il  est  de 
foi  que  le  baptême  est  nécessaire  au  salut  de  tout  être  possédant 
une  àme  raisonnable.  »  Telle  est  la  définition  qu'en  donne  un  traité 
fort  réputé  (1). 


(1)  Joannis  Gaspari  Sœttler  in  sextum  Deealogi  prasceptum,  m  conjugum  olli- 
gationes,  et  quœdum  matrimvnium  spectantia,  prœlectiones  ex  ejusdem  thvologia 
morali  imvoersa  excerpsit,  notis  et  novis  quœsitù  amplificavit  et  denuo  typis  man- 
(Tari cura/oit  P.  J.  Rousselot,  S. S.  theologiœ  inseminario  Gratiano politano  pro- 
f essor,  in ■■  graliam  neo-corifessariorum  et  discipulorvm.  Grenoble,  1810.  Plusieurs 
réimpressions. 


134  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

Les  discussions  étranges  de  l'embryologie  sacrée,  ses  conclusions 
parfois  monstrueuses,  ses  procédés  d'une  chirurgie  tantôt  barbare, 
tantôt  ridicule,  méritent  de  nous  arrêter  quelque  temps.  D'ailleurs, 
il  ne  faudrait  pas  croire  que  celte  prétendue  science  soit  morte, 
comme  la  géomance  ou  l'astrologie,  moins  dangereuses  qu'elle  ;  elle 
a  encore  ses  docteurs,  ses  maîtres,  ses  chaires.  Si  Cangiamila  de 
Païenne,  l'aïeul  in-folio,  si  Dinouart  de  Paris,  son  abréviateur  in- 
quarto,  sont  aujourd'hui  peu  feuilletés  de  nos  jeunes  lévites,  Sœltler 
revu  par  Rousselot  (1)  et  Mgr  Bouvier,  évêque  du  Mans  (2),  sont  en- 
core classiques  dans  nos  séminaires.  Nous  emprunterons  à  leurs  ou- 
vrages, hautement  approuvés  des  autorités  compétentes,  certaines 
singularités  assez  édifiantes. 

De  l'avortement.  —  Mgr  Bouvier  blâme  l'avortement  sans 
restriction  ;  il  n'a  qu'un  tort,  c'est  de  dresser  un  catalogue  trop  com- 
plet de  tous  les  procédés,  efficaces  ou  non,  d'ordinaire  mis  en  usage 
pour  l'obtenir.  Science  mauvaise  pour  les  célibataires  qui  craignent 
le  scandale  !  Sœltler  et  Rousselot  ont  plus  d'audace  et  étudient  nette- 
ment la  question  de  savoir  si  l'avortement  peut  être  conseillé  en  cer- 
tains cas  :  «  Si  une  jeune  fille  enceinte  se  montre  absolument  déter- 
minée à  détruire  elle  et  son  fruit,  et  ne  puisse  en  être  détournée 
autrement,  il  est  permis  de  lui  conseiller  de  détruire  le  fœtus  seul,  et 
de  se  conserver  vivante.  » 

Pour  nous,  humbles  laïques,  nous  rappellerons  à  la  pauvre  fille 
que  le  Code  Pénal,  dans  sa  brutalité,  n'admet  pas  toutes  ces  déli- 
catesses de  casuistes,  et  nous  l'inviterons  à  se  pénétrer  de  l'article 
317(3). 

Plus  loin,  les  mêmes  auteurs  nous  apprennent  qu'il  n'existe  aucune 
peine  canonique  contre  ceux  qui  procurent  l'avortement  d'un  fœtus 
non  animé  (4).  Mais  à  quel  âge  le  fœtus  est-il  animé?  Mgr  Bouvier, 
qui  décidément  vaut   mieux  que  sa  réputation,   cite  Aristote,  saint 


(1)  Voir  la  note  de  la  page  précédente. 

(2)  DisseHatio  in  scvtvm  Decalogi  prœceptum  et  svpplementitm  ad  tractatum  de 
matrimonio.  Paris,  1843  (Dixième  édition).  Réimpressions  postérieures  très  nom- 
breuses. 

(3)  Elle  y  lira  ce  qui  suit  :  «  La  peine  de  la  réclusion  sera  prononcée  contre  la 
femme  qui  se  sera  procuré  l'avortement  à  elle-même  ou  qui  aura  consenti  à  faire 
usage  des  moyens  à  elle  indiqués  ou  administrés  à  cet  effet,  si  l'avortement  s'en 
est  suivi.  » 

(1)  La  loi  des  Visigotbs  et  des  Francs  faisait  une  distinction  entre  le  fœtus  ani- 
mé ou  inanimé  :  «  Celui  qui  a  tué  un  enfant  formé  paiera  CCL  solidi  ;  C  seulement 
si  l'enfant  n'était  pas  encore  formé.  » 


l'obstétrique  et  le  culte  135 


Thomas,  les  disciples  de  ce  dernier,  Cangiamila,  et  finit  par  avouer,  en 
toute  franchise,  qu'il  l'ignore  absolument.  Rien  de  moins  précis,  en 
effet  (1).  Admettons  un  instant  la  doctrine  aristotelico-thomiste,  sui- 
vant laquelle  un  garçon  est  animé  au  bout  de  quarante  jours,  une  fille 
au  bout  de  quatre-vingts  :  il  nous  faudra  conclure,  comme  P.  Berl(2), 
qu'on  peut  avoir  jusqu'au  quatre-vingtième  jour  à  ne  pas  pêcher, 
s'il  s'agit  d'un  fœtus  femelle  et,  s'il  s'agit  d'un  mâle,  jusqu'au  qua- 
rantième seulement.  Cangiamila  ne  nous  accorde  guère  qu'une  quin- 
zaine. Mais  comment  savoir?... 

—  Ça,  vous  répondra  Rousselot  avec  Sœttler,  ça,  c'est  votre  af- 
faire. 

Fr.  Génin,  dans  son  livre  trop  oublié  sur  les  Jésuites  et  V Université, 
montre  bien  les  conséquences  de  ce  bel  enseignement  : 

«  La  cour  d'assises  a  plus  d'une  fois  constaté  que  des  prêtres,  tra- 
duits devant  elle  pour  attentat  aux  mœurs,  avaient  fait  avorter  leurs 
maîtresses  ;  n'est-il  pas  possible  de  penser  que  les  malheureux 
s'autorisaient  peut-être  en  conscience  de  leurs  cours  de  théologie 
morale?  » 

Dès  le  XVIe  siècle,  le  pape  Sixte-Quint  semblait  l'avoir  compris  : 
il  avait  édicté  les  peines  les  plus  sévères  contre  ceux  qui  procuraient 
l'avortement,  que  le  fœtus  fut  animé  ou  non.  Il  était  d'ailleurs  dans 
la  véritable  tradition. 

L'ancienne  discipline  de  l'Eglise  Latine  imposait  trois  carêmes, 
même  aux  femmes  qui  avaient  eu  le  malheur  d'un  avortement  invo- 
lontaire. Actuellement  encore,  l'Eglise  Grecque  ordonne  dans  ce  cas 
des  pénitences,  présumant,  dit  l'abbé  Dinouart,  que  Dieu  n'a  permis 
la  perte  d'un  enfant,  qu'en  punition  de  quelque  péché  des  parents. 

Embryotomie  et  Crâniotomie.  —  L'embryolomie  et  la 
crâniotomie  sont  deux  opérations  qui,  dans  un  accouchement,  mettant 
en  danger  la  mère  et  l'enfant  à  la  fois,  sacrifient  ce  dernier  pour  sau- 
ver la  première.  L'instrument  appelé  embryotome  découpe  le  fœtus 
en  morceaux  ;  avec  le  crâniotome,  on  pratique  la  perforation  des  os  du 
crâne. 


(1)  «  On  admet  généralement  aujourd'hui  l'animation  du  fœtus  dès  qu'il  y  a  vie, 
c'est-à-dire  dès  le  premier  moment  de  la  conception.  La  distinction  des  Anciens 
entre  le  fruit  animé  et  le  fruit  inanimé  perd,  par  le  fait  même,  sa  raison  d'être. 
Aussi  a-t-elle  disparu  dans  la  récente  bulle,  Ajpostolioœ  sedis,  sur  les  censures,  qui 
déclare  excommuniés  d'une  manière  générale  «procurantes  abortutn  effectu  secitto.  >< 
—  Auparavant  on  lisait  :  procurantes  ahorlum  fœtus  animait.  » 

(2)  La  morale  des  Jésuites, 


136  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

Jadis,  l'Eglise  était  unanime  à  déclarer  coupables  ces  pratiques 
chirurgicales  ;  de  nos  jours,  elle  hésite  et  se  contredit.  Rome,  naguère 
interrogée  par  le  cardinal-archevêque  de  Lyon  sur  la  légitimité  de 
la  crâniotomie,  l'a  formellement,  il  est  vrai,  déclarée  criminelle  et 
impie.  Mais,  d'autre  part,  la  sacrée  Pénitencerie  se  montre  bien 
moins  affirmative.  En  1869,  on  lui  proposait  le  problème  suivant  de 
casuistique  :  «  Thomas,  prêtre,  est  appelé  auprès  de  Julie  que  des 
couches  difficiles  mettent  en  danger.  Le  fœtus  ne  peut  être  expulsé 
d'aucune  façon  ;  le  médecin  déclare  que  la  mort  de  la  mère  est  im- 
minente, si  l'on  ne  coupe  en  morceaux  l'enfant  vivant  pour  l'extraire 
ensuite  avec  le  forceps.  Julie  refuse  avec  horreur  ;  le  médecin  insiste, 
alléguant  cette  raison  que  l'existence  certaine  de  la  mère  doit  être 
préférée  à  l'existence  incertaine  de  l'enfant.  Julie  demande  à  Thomas 
ce  qu'elle  doit  faire.  On  demande  si,  dans  l'espèce,  l'opération  peut 
être  permise.  » 

Que  répond  le  saint  tribunal?  Consulat  probalos  auctores  :  Qu'il 
consulte  les  auteurs  approuvés.  La  décision  n'est  pas  compromettante, 
car  ces  auteurs  ne  sont  pas  d'accord.  Si  Kenrick  (1)  paraît  incliner  à 
suivre  l'avis  des  médecins,  l'inexorable  abbé  Cresson  répond  par  un 
non  h'cet  catégorique  :  «  Quelque  générale  que  puisse  être,  dit-il, 
cette  barbare  coutume,  nulle  raison  ne  peut  la  justifier.  Les  médecins 
qui  se  permettent  de  la  suivre  sont  coupables  de  meurtre,  et,  avec 
tout  le  respect  qui  peut  leur  être  dû,  ne  craignons  pas  de  le  dire,  ils 
méritent  d'être  rangés  parmi  les  assassins  (2)  ». 

Mais  vous,  M.  l'abbé,  ne  seriez-vous  pas  quelque  peu  l'assassin  de 
cette  pauvre  Julie? 

Notons  toutefois  que,  de  nos  jours,  l'intransigeance  de  ce  canoniste 
farouche  paraît  être  assez  rare.  Les  uns  se  taisent,  comme  Bouvier; 
d'autres,  Sœttler  et  Rousselot  par  exemple,  restent  dans  le  vague. 
L'Eglise  même  compterait  des  théologiens  qui  accepteraient,  paraît- 
il,  sans  trop  d'horreur,  embryotomie  et  crâniotomie. 

Baptême  des  avortons.  —  Doit-on  baptiser  un  avorton,  c'est- 
à-dire  un  fœtus  venu  prématurément  au  monde?  Uui,  sans  condi- 
tion, s'il  est  manifestement  vivant  ;  sous  forme  conditionnelle  si,  la  vie 
étant  douteuse,  il  a  cependant  la  figure  et  les  premiers  linéaments  du 
corps  humain.  En  ce  dernier  cas,  il  y  a  tout  un  rituel  assez  compliqué. 

•   (1)  Dans  sa  Thcologia  moral ix. 

(2)  Hérite  des  Sciences  ecclésiastiques,  mai  1872.  —  L'autorité  de  l'abbé  Cresson 
est  grande  ;  il  a  publié  en  1870,  cbez  Poussk'lgm',  un  Manuel  nom-eau  fort  estimé 
dans  le  monde  religieux. 


l'obstétrique  et  le  culte  137 

Un  avorton  doit  être  baptisé  conditionnellement,  en  usant  de  la  for- 
mule :  Si  tu  vivis,  ego  te  baptizo,  etc.  Si  l'avorton  est  enveloppé  dans 
ses  membranes,  on  doit  le  baptiser  sur  les  membranes,  en  disant  : 
Si  tu  es  capax,  etc.  «  Cette  condition,  remarque  Dinouart,  regarde 
autant  le  doute  où  l'on  peut  être  s'il  vit,  que  le  doute  qui  peut  naître 
de  la  validité  du  baptême,  à  cause  de  la  membrane  dont  il  est  enve- 
loppé. » 

On  ouvre  ensuite  la  membrane  et  on  baptise  de  nouveau  sous 
condition  :  Si  tu  non  es  baptizatus,  etc.;  il  est,  en  effet,  possible  que 
l'eau  n'ait  pas  touché  immédiatement  le  corps  de  l'avorton  (1).  Les 
baptêmes  de  ce  genre  se  font  par  immersion  dans  un  plat  ou  dans  un 
verre  rempli  d'eau  tiède.  «  Il  faut,  dit  Mgr  Bouvier,  retirer  l'enfant 
promptement,  pour  ne  pas  le  noyer.  Car  quoi  qu'on  ait  la  certitude 
qu'il  ne  peut  vivre  longtemps,  il  n'est  pas  permis  de  le  tuer,  et  celui 
qui  le  ferait  volontairement  serait  homicide  et  irrégulier;  mais  s'il 
cause  sa  mort,  tout  en  usant  de  précautions,  il  n'est  ni  irrégulier,  ni 
coupable  d'aucun  péché.  » 

Baptême  des  monstres.  —  L'Eglise  actuelle  ne  nous  semble 
pas  avoir  une  doctrine  bien  solidement  établie  sur  l'octroi  du  baptême 
aux  monstres,  c'est-à-dire  aux  fœtus  s'écartant  en  tout  ou  en  partie 
de  la  conformation  naturelle.  Une  décision  du  pape  Clément  VII  de- 
vrait cependant  mettre  les  théologiens  bien  à  l'aise.  Dom  Vaissette,  en 
son  Histoire  générale  du  Languedoc,  raconte  que  ce  pontife,  résidant 
à  Avignon,  fut  consulté  sur  un  cas  fort  singulier  survenu  dans  la  ville 
de  Montpellier,  le  6  septembre  1387.  Une  ânesse  mit  bas  deux  êtres 
ayant  la  forme  d'enfants  mâles;  fallait-il  leur  administrer  le  bap- 
tême? A  tout  hasard,  le  Saint-Père  se  prononça  pour  l'affirmative. 
Si  la  plus  haute  autorité  de  l'Eglise,  autorité  infaillible,  comme  cha- 
cun sait,  a  voulu  qu'on  accordât  le  sacrement  à  deux  êtres  de  prove- 
nance suspecte,  comment  refuser  de  faire  chrétiens  les  produits  de  la 
femme,  si  monstrueuses  que  soient  les  déviations  organiques  qui  les 
affligent.  C'est  pourquoi  nous  nous  rallions  à  la  doctrine  professée  à 
l'Université  catholique  de  Lille,  par  le  R.  P.  Vauverts,  lequel  ne  traite 
pas  le  monstre  plus  mal  que  l'avorton. 

«  Pourvu  qu'ils  aient  une  forme,  une  apparence  humaine,  et  que 
l'on  puisse  constater  leur  existence  d'une  manière  absolue  ou  sous 
condition,  il  faut  les  baptiser  :  Sivivis,  aut  si  capax  es. 

(1)  Même  en  ce  cas,  il  ne  serait  pas  certain  que  le  baptême  fût  nul  ;  on  peut,  en 
effet,  comme  le  fait  observer  Mgr  Bouvier,  regarder  cette  enveloppe  à  laquelle  l'en- 
fant tient  comme  faisant  un  tout  avec  lui. 


138  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

«  Dans  le  cas  môme  où  le  monstre  ne  présenterait  rien  d'humain,  il 
faudrait  encore  baptiser  sous  condition  :  Situeshomo.  Caries  auteurs 
modernes  affirment  que  tout  être  qui  vient  de  la  femme  est  un  être 
humain  et  est  muni  d'une  âme...  Voici  ce  que  dit  M.  Frédault  : 
«  Pendant  longtemps  on  crut  à  la  réalité  des  monstres  (1),  on  imagi- 
nait que  la  femme  pouvait  concevoir  avec  des  animaux  et  engendrer 
des  petits,  moitié  homme  et  moitié  bête.  Une  étude  plus  approfondie 
a  changé  ces  manières  de  voir.  On  a  reconnu  que  la  femme  ne  pou- 
vait concevoir  que  de  l'homme  ;  que  la  création  d'un  métis  mons- 
trueux entre  l'homme  et  la  bête  était  impossible;  en  un  mot,  que  la 
nature  ne  fait  pas  de  monstres,  et  que  les  monstruosités  ne  sont  que 
des  vices  de  développement  par  suite  d'accidents. 

Le  cardinal  Gousset,  dans  sa  Théologie  morale,  enseignait  la 
même  doctrine  :  «  Quant  aux  productions  irrégulières,  nous  pensons 
qu'on  doit  baptiser  tout  monstre  qui  sort  du  sein  de  la  femme,  quelque 
difforme  qu'il  soit,  quelque  ressemblance  qu'il  puisse  avoir  avec  la 
brûle. 

«  D'un  autre  côté,  dit  Frédault,  on  n'a  jamais  vu,  ce  que  l'on  croyait 
autrefois,  des  formes  véritablement  monstrueuses,  qui  rappelassent 
des  formes  animales. 

«  Dans  le  doute,  si  un  'monstre  est  composé  d'une  ou  plusieurs 
personnes,  on  doit  s'attacher  à  ces  paroles  du  Rituel  :  Peut-on  discer- 
ner si  le  monstre  a  une  ou  plusieurs  têtes,  une  ou  plusieurs  poitrines, 
il  aura  dès  lors  autant  de  cœurs,  d'àmes  et  d'individualités  distincts,  et 
dans  ce  cas,  chacun  des  êtres  devra  être  baptisé.  S'il  y  a  péril  de  mort 
et  que  le  temps  manque  pour  que  chaque  être  soit  baptisé  sépa- 
rément, on  pourra,  en  versant  l'eau  sur  chacune  des  têtes,  les  baptiser 
en  même  temps  en  disant  :  Ego  vos  baptizo.  Quand  il  n'est  pas  bien 
certain  que  deux  personnes  soient  réunies  dans  le  même  monstre,  il  faut 
en  baptiser  une  d'abord  absolument,  et  l'autre  ensuite  sous  condition, 
de  cette  manière  :  Sinon  es  baplizatus,  si  tu  n'es  pas  baptisé. 

«  Quand  deux  têtes  sont  réunies  sur  un  seul  corps,  on  peut  affirmer 
la  présence  de  deux  âmes.  L'analyse  anatomique,  dit  Geoffroy 
Saint-Hilaire  fils,  dans  Y  Encyclopédie  du  dix-neuvième  siècle,  démontre 
que,  dans  de  tels  êtres,  chaque  individu  possède  en  propre  un  côté  de 

(1)  Sœttler,  dans  son  Commentaire  sur  le  VI'  précepte  du  décalogue,  à  propos  de 
cette  question  :  s'il  faut  et  si  l'on  peut  baptiser  les  monstre*,  fait  précisément  allu- 
sion à  ce  genre  de  monstruosités  imaginaires  :  «  Un  monstre,  dit-il,  étant  né  de  la 
bestialité  et  ayant  apparence  humaine,  on  le  baptisera  s'il  est  le  produit  d'un  homme 
et  d'une  bête,  mais  s'il  provient  d'une  femme  et  d'une  bête,  il  ne  faut  pas  le  baptiser. 
C'est  que,  dans  le  premier  cas,  mais  non  dans  le  second,  il  peut  être  homme,  descen- 
dant naturellement  d'Adam  ». 


l'obstétrique  et  le  culte  139 


l'unique  corps  et  l'une  des  deux  jambes;  et  l'observation  des  phéno- 
mènes psychologiques  confirme  pleinement  ce  résultat  singulier  et 
pourtant  incontestable.  » 

Le  P.  Scotti,  dans  le  Médecin  chrétien,  examine  un  cas  parti- 
culier. «  Que  faire,  dit-il,  quand  le  monstre  est  sans  tête.  Plusieurs 
auteurs  pensent  que  cette  créature,  ne  pouvant  se  dire  humaine,  est 
indigne  de  recevoir  le  sacrement  de  baptême,  qui  est  fait  pour  les 
hommes.  D'autres,  au  contraire,  persuadés  que  le  monstre  vit,  et  que 
là  où  il  y  a  vie,  l'àme  y  est  également,  veulent  absolument  qu'on 
baptise.  »  La  conclusion,  fort  raisonnable,  du  P.  Scotti,  c'est  l'emploi 
du  baptême  conditionnel  :  Situ  es  homo...,  etc.  Parce  moyen,  il  envoie 
aux  célestes  cohortes  l'acéphale  qu'il  a  baptisé,  ou,  si  la  créature  n'est 
pas  animée,  il  évite  de  profaner  le  sacrement.  Le  P.  Scotti,  malgré 
son  esprit  conciliant,  est  cependant  sévère  pour  Tortosa . .  Qu'est-ce  que 
Tortosa,  nous  l'ignorons;  mais  le  fait  est  que  Tortosa  s'appuyant  sur 
l'autorité  de  quelques  auteurs  qui,  au  dire  du  P.  Scotti,  ne  sont 
d'aucun  poids  pour  un  théologien,  et,  comme  si  son  opinion  était  infail- 
lible,veut  absolument  éliminer  «l'injurieuse  formule  »  :  Situ  eshomo  .. 
Exiger  qu'un  homme  dont  la  tête  porte  calotte  soit  poli  envers  un 
acéphale  I  Ce  Tortosa  est  un  insolent  personnage. 

Baptême  pendant  l'accouchement.  —  L'abbé  Dinouart  nous 
dit:  «  L'enfant,  tant  qu'il  est  possible,  doit  recevoir  l'eau  du  baptême 
à  la  tête  ;  la  plupart  des  théologiens  ne  croient  pas  qu'il  soit  indiffé- 
rent qu'il  la  reçoive  sur  quelque  autre  membre  ».  Toutefois,  d'après 
les  meilleurs  auteurs,  s'il  présente  un  membre  quelconque  au  dehors, 
la  sage-femme  ou  l'accoucheur  ne  doit  pas  hésiter  à  le  baptiser  sur  ce 
membre. 

Remarquez  le  mot  membre  :  le  baptême  doit,  en  effet,  être  administré 
sur  une  des  parties  intégrantes  du  corps  humain;  les  statuts  syno- 
daux du  diocèse  de  Langres,  en  1404,  sont  exprès  à  cet  égard  et  ne 
reconnaissent  pas  le  baptême  du  cordon  ombilical  quand  «  on  le  voit 
sortir  du  ventre  de  la  mère  et  que  le  corps  de  l'enfant  y  est  encore 
enfermé».  Et  d'ailleurs,  le  baptême  sur  le  pied  ou  la  main  est-il  bien 
valide  ?  Ces  membres  n'étant  pas  essentiels  à  la  vie,  on  peut  en 
douter.  C'est  pourquoi  si  l'enfant  naît  vivant,  il  faut  le  réitérer,  sous  con- 
dition :  le  Rituel  de  Rome  l'exige  expressément.  D'autre  part,  si  ce 
baptême  anticipé  avait  été  administré  sur  la  tête,  il  ne  devrait  point 
être  réitéré;  tous,  en  ce  cas,  s'accordent  sur  sa  validité,  et  Saint 
Thomas,  et  Saint  Charles  Borromée,  et  le  Rituel  Romain,  et  le  pape 
Benoît  XIV. 


liO  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Fréquemment,  il  arrivequ'il  soit  urgent  d'administrer  le  baptème(l), 
en  l'absence  du  prêtre,  Les  sages-femmes  sont-elles  compétentes  pour 
l'octroi  du  sacrement?  Les  Constitutions  apostoliques  déclarent  que 
«  pour  la  femme,  c'est  une  présomption  impie  et  sacrilège  que  d'entre- 
prendre de  donner  le  sacrement  de  baptême  ».  Pourquoi  Tertullien, 
Saint  Jérôme,  Saint  Augustin,  après  eux  Bossuet  et  la  plupart  des 
théologiens  en  renom,  semblent-ils  admettre  que  tout  chrétien  peut 
donner  ce  qu'il  a  reçu  ?  C'est  la  doctrine  générale  de  l'Eglise.  Et 
cependant,  si  l'on  en  croyait  le  docteur  Verrier,  qui  a  publié  dans  la 
Revue  médicale  de  1867  une  étude  complète  sur  ce  sujet,  et  sur  laquelle 
nous  reviendrons  bientôt,  le  baptême  paraîtrait  avoir  une  validité 
plus  certaine  s'il  est  conféré  par  un  accoucheur,  que  s'il  l'est  par  une 
sage-femme.  L'Eglise  grecque,  plus  libérale,  reconnaît  aux  femmes  le 
pouvoir  de  baptiser,  en  cas  d'urgence,  les  nouveau-nés. 

Quel  liquide  doit  être  employé  pour  le  baptême?  Le  P.  Gury,  dans 
son  Compendium  theologiœ  moralis,  est  assez  abondant  sur  la  ques- 
tion. La  seule  matière  valable  est  l'eau  naturelle;  mais  on  peut  ad- 
mettre comme  efficaces  l'eau  de  mer,  l'eau  sulfureuse,  les  eaux  mi- 
nérales, la  rosée,  l'eau  mélangée  avec  une  autre  substance  comme  le 
vin,  le  lait,  etc.,  pourvu  que  l'eau  soit  la  matière  prédominante;  sont 
matières  douteuses  :  l'eau  de  lessive  et  la  bière  légère;  doivent  être 
rejetés  absolument  :  le  lait  pur,  le  sang,  les  larmes,  la  sueur,  la  sa- 
live, le  pus,  l'urine,  le  vin  pur,  l'huile,  la  boue,  l'encre,  etc.  L'abbé 
Dinouart  ajoute  prudemment  que  si  l'eau  ordinaire  fait  défaut,  le 
baptême  doit  être  donné  sous  condition,  en  disant:  «Si  je  puis  te 
baptiser  avec  cette  eau,  je  te  baptise,  etc.    » 


Baptême  intra-utérin.  —  Cotte  question  du  baptême  est  un 
sujet  d'inquiètes  et  graves  méditations  pour  tout  esprit  croyant. 
N'est-ce  pas  le  baptême  qui  fait  le  chrétien  (2),  qui  arrache  les  âmes 
à  Satan  ?  Donc,  rien  ne  doit  être  négligé  pour  disputer  au  malin  toute 
proie,  si  mince  qu'elle  puisse  être.  S'inspirant  de  cette  sage  pensée, 
Benoît  XIV  est  d'avis  que  si  l'on  n'aperçoit  aucun  membre  à  l'inté- 
rieur et  que  l'accouchement  s'annonce  comme  très  difficile  ou  impos- 
sible, on  doit  essayer  de  baptiser  l'enfant  dans  le  ventre  de  sa  mère. 


(1)  Dans  ce  cas,  le  baptême  prend  le  nom  d'ondoiement. 

(2)  Jadis  on  croyait  même  que  la  présence  clans  la  matrice  d'un  enfant  non  baptisé 
suffisait  à  souiller  la  mère  ;  les  Eglises  de  Gaule  refusaient  la  sépulture  en  terre  sainte 
aux  femmes  mortes  pendant  leur  grossesse  ou  pendant  leurs  couches.  Le  concile  de 
Rouen  abolit  cette  coutume  en  1074. 


l'obstétrique  et  le  culte  141 

Toutefois,  si  l'enfant  venait  à  naître  vivant,  on  devrait  le  baptiser 
sans  condition. 

Longtemps  la  validité  du  baptême  intra-utérin  fut  contestée; 
Saint  Thomas  formulait  une  prohibition  formelle:  Infantes  in  ma- 
ternis  uteris  existentes  baptizari  possunt  nulle  modo:  «  Les  enfants 
ne  peuvent  absolument  pas  être  baptisés,  tant  qu'ils  sont  dans  le 
ventre  de  leur  mère  ».  La  décision  de  Benoît  XIV  semble  aujour- 
d'hui acceptée  de  toute  l'Eglise.  L'objection  principale  des  anciens 
théologiens  était  que  l'enfant  devait  naître  à  la  vie  avant  de  naître  à 
la  grâce.  Mais,  leur  répond-on,  l'enfant  est  formé  et  vit  dans  la 
cavité  utérine;  il  est  soumis  au  péché  originel,  et,  par  conséquent, 
il  est  susceptible  de  naître  à  la  grâce.  D'ailleurs  la  rupture  des  mem- 
branes qui  l'enveloppent  est  nécessaire  pour  conférer  le  sacrement  ; 
cette  rupture  mettant  l'enfant  en  communication  avec  l'air  extérieur, 
le  fait  naître  à  la  vie  avant  qu'il  ne  reçoive  le  baptême.  Donc  le  bap- 
tême intra-utérin  sera  valable  toutes  les  fois  que  les  enveloppes  de 
l'œuf  auront  été  rompues,  que  l'eau  aura  pu  couler  sur  la  partie 
fœtale  qui  se  présente,  et  que  le  sacrement  aura  été  conféré  au  nom 
des  trois  personnes  divines,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit. 

Pour  administrer  le  baptême  intra-utérin,  on  introduit  de  l'eau 
tiède  avec  la  main,  une  seringue  ou  un  siphon,  de  manière  qu'on  touche 
l'enfant,  et  on  prononce  en  même  temps  les  paroles  de  la  formule. 

Tous  les  anciens  traités  d'accouchements  publient  une  délibération 
de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris  (fig.  71),  sur  la  validité  du  bap- 
tême intra-utérin  conféré  par  injection.  Voici  cette  décision: 

Un  chirurgien  accoucheur,  représente  à  Messieurs  les  Docteurs  de 
Sorbonne;  qu'il  y  a  des  cas,  quoique  très  rares,  où  une  mère  ne  sçauroit 
accoucher,  et  même  où  l'enfant  est  tellement  renfermé  dans  le  sein  de 
sa  mère,  qu'il  ne  fait  paroître  aucune  partie  de  son  corps,  ce  qui  seroit 
un  cas,  suivant  les  Rituels,  de  lui  conférer,  du  moins  sous  condition,  le 
Baptême.  Le  Chirurgien  qui  consulte,  prétend,  par  le  moyen  d'un  petite 
canule,  de  pouvoir  baptiser  immédiatement  l'enfant,  sans  faire  aucun 
tort  à  la  mère.  Il  demande  si  ce  moyen,  qu'il  vient  de  proposer,  est 
permis  et  légitime,  et  s'il  peut  s'en  servir  dans  le  cas  qu'il  vient 
d'exposer. 

RÉPONSE 

Le  conseil  estime,  que  la  question  proposée  souffre  de  grandes  diffi- 
cultés. Les  Théologiens  posent  d'un  côté  pour  principe,  que  le  Baptême 
qui  est  une  naissance  spirituelle,  suppose  unepremière  naissance.  11  faut 


142  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

être  né  dans  le  monde,  pour  renaître  en  Jésus-Christ,  comme  ils  l'en- 
seignent. S.  Thomas,  3.  part,  quœst.  88,  art.  Il,  suit  cette  doctrine  comme 
une  vérité  constante;  l'on  ne  peut,  dit  ce  S.  Docteur,  baptiser  les  enfants 
qui  sont  renfermés  dans  le  sein  de  leur  mère.  Nullo  modo  infantes  in 
maternis  uteris  existentes  baptisari  possunt.  Et  S.  Thomas  est  fondé 
sur  ce  que  les  enfants  ne  sont  point  nés,  et  ne  peuvent  être  comptés 
parmi  les  autres  hommes;  d'où  il  conclut,  qu'ils  ne  peuvent  être  l'objet 
d'une  action  extérieure  pour  recevoir,  parleur  ministère,  les  sacrements 
nécessaires  au  salut  :  Pueri  in  maternis  ute7'is  existentes  nondùm 
prodierunt  in  lucem,  ut  cum  aliis  hominibus  vitam  ducant  ;  undè 
non  possunt  subjiciactionihumanse,  ut per  eorumministerium  Sacra- 
menta  7'ecipiant  ad  salutem.  Les  Rituels  ordonnent  dans  la  pratique  ce 
que  les  Théologiens  ont  établi  sur  les  matières,  et  ils  défendent  tous 
d'une  manière  uniforme,  débaptiser  les  enfants  qui  sont  renfermés  dans 
le  sein  de  leurs  mères,  s'ils  ne  font  paroître  quelque  partie  de  leur  corps. 
Le  concours  des  Théologiens  et  des  Rituels,  qui  sont  les  règles  des  Dio- 
cèses, paroit  former  une  autorité  qui  termine  la  question  présente.  Ce- 
pendant le  Conseil  de  conscience,  considérant  d'un  côté  que  le  raison- 
nement des  Théologiens  est  uniquement  fondé  sur  une  raison  de  conve- 
nance, et  que  la  défense  des  Rituels  suppose  que  l'on  ne  peut  baptiser 
immédiatement  les  enfants  ainsi  renfermés  dans  le  sein  de  leurs  mères, 
ce  qui  est  contre  la  supposition  présente;  et  d'un  autre  côté,  considérant 
que  les  mêmes  Théologiens  enseignent  que  l'on  peut  risquer  les  sacre- 
ments que  J.-C.  a  établis  comme  des  moyens  faciles,  mais  nécessaires  pour 
sanctifier  les  hommes  ;  et  d'ailleurs  estimant  que  les  enfants,  renfermés 
dans  le  sein  de  leurs  mères,  pourroient  être  capables  de  salut,  par  ce 
qu'ils  sont  capables  de  damnation;  pour  ces  considérations,  et  eu  égard 
à  l'exposé,  suivant  lequel  on  assure  avoir  trouvé  un  moyen  certain  de 
baptiser  ces  enfants  ainsi  renfermés,  sans  préjudicier  à  la  mère,  le 
Conseil  estime  que  l'on  pourroit  se  servir  du  moyen  proposé,  dans  la 
confiance  qu'il  a  que  Dieu  n'a  point  laissé  ces  sortes  d'enfants  sans  aucun 
secours,  et  supposant,  comme  il  est  exposé,  que  le  moyen  dont  il  s'agit 
est  propre  à  leur  procurer  le  baptême;  cependant,  comme  il  s'agiroit, 
en  autorisant  la  pratique  proposée,  do  changer  une  Règle  universelle- 
ment établie,  le  Conseil  croit  que  celui  qui  consulte,  doit  s'adresser  à 
son  Evoque,  à  qui  il  appartient  de  juger  de  l'utilité,  et  du  danger  du 
moyen  proposé;  et,  comme  sous  le  bon  plaisir  de  l'Lvêque,  le  Conseil 
estime  qu'il  faudroit  recourir  au  Pape  qui  a  le  droit  d'expliquer  les 
Règles  de  l'Eglise  et  d'y  déroger  dans  les  cas  où  la  Loi  ne  sçauroit 
obliger  :  quelque  sage  et  quelque  utile  que  paroisse  la  manière 
de  baptiser  dont  il  s'agit,  le  Conseil  ne  pourroit  l'approuver  sans 
le  concours  de  ces  deux  autorités.  On  conseille  au  moins  à  celui 
qui  consulte,  de  s'adresser  à  son  Evoque,  et  de  lui  faire  part  de 
la  présente  Décision,  afin  que,  si  le  Prélat  entre  dans  les  raisons  sur 
lesquelles  les  docteurs  soussignés  s'appuient,  il  puisse  être  autorisé, 


L  OBSTETRIQUE   ET  LE   CULTE 


143 


dans  le  cas  de  nécessité,  où  il  risquèrent  trop  d'attendre  que  la  permis- 


Fig.  71.  —  liéunion  delà  Faculté  de  Théologie  de  Paris,  d'après  une  miniature  tirée  d'un 
manuscrit  de  la  BiLl.  Nat. 


sion  fût  demandée  et  accordée,  d'employer  le  moyen  qu'il  propose,  si 


144  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

avantageux  au  salut  de  l'enfant.  Au  reste  le  Conseil,  en  estimant  que 
l'on  pourroit  s'en  servir,  croit  cependant  que,  si  les  enfants  dont  il 
s'agit,  venoient  au  monde,  contre  l'espérance  de  ceux  qui  se  seroient  servis 
du  même  moyen,  il  seroit  nécessaire  de  les  baptiser  sous  condition,  et 
en  cela,  le  Conseil  se  conforme  à  tous  les  Rituels  qui,  en  autorisant  le 
Baptême  d'un  enfant  qui  fait  paroître  quelque  partie  de  son  corps,  en- 
joignent néanmoins,  et  ordonnent  de  le  baptiser  sous  condition,  s'il 
vient  heureusement  au  monde. 

Délibéré  en  Sorbonne,  le  10  avril  1733. 

A.  Lemoyne.  L.  de  Romigny. 

De  Marcilly. 

Au  chapitre  XVII  du  Tristram  Shandy,  Sterne,  après  avoir  cité 
cette  élucubration  étonnante,  la  fait  suivre  des  réflexions  suivantes  : 
«  Les  compliments,  s'il  vous  plaît,  de  M.  Tristram  Shandy,  à  Mes- 
sieurs L...,  de  R...  et  de  M...  Il  espère  qu'ils  ont  bien  dormi  la 
nuit  qui  a  suivi  une  consultation  si  ennuyeuse  et  si  fatigante.  Mais 
ne  peut-il  pas  leur  demander  si,  après  la  cérémonie  du  mariage,  et 
avant  celle  de  la  consommation,  ce  ne  serait  pas  un  moyen  bien  plus 
court  et  beaucoup  plus  sûr  de  baptiser  à  la  fois,  par  injection,  tous  les 
embryons,  sous  condition'?  Gela  ne  ferait  sûrement  aucun  tort  à  la 
mère;  et  si  la  chose  était  faisable,  ainsi  que  le  pense  M.  Shandy,  il 
n'en  coûterait  de  plus  pour  se  mettre  en  ménage,  que  l'achat  d'une 
petite  seringue.  » 

C'est,  en  effet,  avec  une  seringue  (fïg.  72)  ou  un  irrigateur,  un  injec- 
teur  quelconque  que  l'on  administre  le  baptême  intra-utérin.  Nous  nous 
souvenons  même  qu'appelé  à  la  campagne  pour  pratiquer  la  perfora- 
lion  du  crâne,  dans  un  cas  de  rétrécissement  extrême  du  bassin,  nous 
l'avons,  mon  confrère  Régnier,  de  Cormeilles,  et  moi,  administré, 
avant  l'opération,  sur  la  demande  de  la  famille,  avec  une  grosse 
seringue  achevai;  c'était  le  seul  appareil  hydraulique  qui  existât 
dans  le  voisinage. 

Un  baptiseur  qui  ne  s'embarrassait  guère,  c'était  le  Grégoire  dont 
Diderot  parle  dans  une  lettre  adressée  à  M110  Voland,  17G0.  «  M.  Hoop, 
écrit  ce  philosophe,  faisait  un  cours  d'accouchement  chez  un  homme 
célèbre,  appe!é  Grégoire.  Ce  Grégoire  croyait  sérieusement  qu'un 
enfant  qui  mourait  sans  qu'on  lui  eût  jeté  un  peu  d'eaù  froide  sur  la 
tête,  en  prononçant  certains  mots,  était  fort  à  plaindre  dans  l'autre 
monde  :  en  conséquence,  dans  tous  les  accouchements  laborieux,  il 
baptisait  l'enfant  dans  le  sein  de  la  mère,  oui,  dans  le  sein  de  la 
mère.  Or  savez-vous  comment  il  s'y  prenait?  D'abord,  il  prononçait 


l'obstétrique  et  le  culte  145 

la  formule  :  Enfant  je  te  baptise  ;  puis,  il  remplissait  d'eau  sa  bouche 
qu'il  appliquait  convenablement,  soufflant  son  eau  le  plus  loin  qu'il 
pouvait;  en  s'essuyant  ensuite  les  lèvres  avec  une  serviette,  il  disait  : 
«  Il  n'en  faut  que  la  cent  millième  partie  d'une  goutte  pour  faire  un 
ange  ». 

D'ailleurs,  l'usage  de  la  seringue  avait  ses  détracteurs.  Riolan 
condamnait  l'emploi  de  tout  instrument  et  voulait  que,  suivant  la 
coutume  de  Paris,  on  portât,  avec  la  main,  l'eau  directement  sur 
l'enfant. 

Le  docteur  E.  Verrier,  professeur  libre  d'accouchements,  frappé 
des  inconvénients  nombreux  que,  dans  la  pratique,  présente  l'emploi 


Fie  72.  —  Seringue  employée  par  les   accoucheurs    du  XVIIe  siècle,   pour  administrer   le    baptême 
intra-utérin,  d"aprè's  Mauriceau. 


d'une  seringue,  a  imaginé  un  appareil  spécial  pour  baptêmes  intra- 
utérins.  Voici  comment  il  expose  les  avantages  sociaux,  théologiques 
et  médicaux  de  ce  baptisoir  : 

«  Le  ridicule  qui  s'attache  à  la  seringue,  surtout  depuis  les  plai- 
santeries de  Molière,  fera  qu'en  France  du  moins,  la  très  grande  majo- 
rité des  médecins  ne  voudra  jamais  s'en  servir  ;  et  delà  la  mort  spiri- 
tuelle d'une  foule  d'enfants,  qui  succombent  sans  baptême. 

«  D'un  autre  côté,  l'accoucheur  ne  peut  avoir  dans  sa  trousse  un 
pareil  instrument;  il  est  obligé,  s'il  veut  administrer  le  baptême,  de 
prendre  la  seringue  qui  se  trouve  dans  la  maison  de  sa  cliente,  et  qui 
toujours  a  servi  à  des  usages  abjects;  ce  qui  est  une  espèce  de  pro- 
fanation pour  le  sacrement. 

«  Dans  ces  circonstances,  j'ai  inventé  un  instrument  très  simple,  qui 
réunit  toutes  les  conditions  qu'on  peut  demander,  au  double  point  de 
vue  de  la  théologie  et  de  la  médecine,  savoir  : 

«  En  ce  qui  concerne  la  théologie: 

«  1°  Le  sacrement  se  donne  par  affusion  et  non  par  injection,  puis- 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS.  10 


14G  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

qu'il  suffit  de  verser  dans  la  partie  évasée  en  forme  d'entonnoir  de 
l'eau  contenue  dans  une  carafe  ou  un  vase  quelconque,  en  prononçant 
les  paroles  sacramentelles. 

«2°  Le  signe  de  croix  que  forment  les  prêtres  qui  baptisent,  sur  le 
front  des  enfants,  est  imité  par  l'autre  extrémité  de  mon  instrument 
qui  est  terminé  par  une  ouverture  cruciale. 

«  3°  Plus  de  crainte  de  profanation,  par  l'emploi  d'un  instrument 
souillé. 

«  4°  Un  grand  nombre  d'enfants  qui  mourraient  sans  baptême,  ne 
seront  plus,  désormais,  privés  de  la  grâce  attachée  à  ce  sacrement. 


Fig.  73.  —  Instrument  du  docteur  E.  Verrier  pour  administrer  le  baptême  intra-utérin. —  1,  Enton- 
noir en  métal  s'adaptant  au  n°  2.  —  2.  Tube  en  caoutchouc  de  longueur  suffisante  pour  l'usage 
requis,  —  3.  Ouverture  inférieure  de  ce  tube,  terminé  en  forme  de  croix. 


«  Sous  le  rapport  médical  : 

«  1°  Facilité  de  porter  l'instrument  qui  se  démonte  en  deux  parties. 

«  2°  Plus  de  ridicule  attaché  à  l'emploi  de  la  seringue. 

d  3°  L'instrument  nouveau  s'allonge  ou  se  raccourcit  à  volonté, 
suivant  la  hauteur  à  laquelle  se  trouve  l'enfant  dans  le  canal  vulvo- 
utérin. 

«  4°  Dans  le  cas  de  mort  de  la  femme  avant  l'accouchement,  alors 
que  l'enfant  palpite  encore,  si  la  famille  refuse  à  l'accoucheur  l'auto- 
risation de  faire  l'opération  césarienne  post  mortem,  celui-ci  peut 
encore  administrer  le  baptême  à  l'enfant  qui  va  mourir.  Il  en  serait 
de  même  si  l'accoucheur  ne  jugeait  pas  que  la  vie  de  l'enfant  puisse 
persister  jusqu'à  la  fin  de  l'opération. 

«  Ces  deux  dernières  circonstances  intéressent  tout  à  la  fois  le 
médecin  comme  le  théologien. 


l'obstétrique  et  le  culte  147 


«  5°  Avantage  scientifique  :  La  facilité  d'administrer  le  baptême 
fera  rejeter  l'opération  césarienne,  si  désastreuse  quand  on  la  fait 
dans  le  seul  but  de  baptiser  l'enfant.  Non  débet  homo  occidere  ma- 
trem,  ut  bapliset  puerum  suum,  dit  Saint  Thomas. 

«  L'ange  de  l'école  subordonnait  ainsi  l'avenir  de  la  science  au  scru- 
pule religieux.  Nous  croyons  avoir  trouvé  un  moyen  de  concilier  ces 
deux  intérêts  dans  toutes  leurs  exigences. 

«  Il  n'y  a  que  dans  les  cas  de  ruptures  utérines,  quand  l'enfant  est 
passé  en  entier  dans  le  ventre  de  sa  mère,  ou  bien  quand  il  y  a  gros- 
sesse extra-utérine,  que  la  gastrotomie  peut  être  pratiquée  pour 
donner  le  baptême;  mais  alors  la  mère,  dans  le  premier  cas  surtout, 
est  vouée  à  une  mort  certaine,  et  d'ailleurs  la  gastrotomie  simple  est 
encore  moins  grave  que  la  gastro-hystérotomie. 

«  6°  Conséquence  :  Des  hommes  peu  éclairés,  mais  animés  de  l'es- 
prit de  conciliation,  se  sont  demandé  si  l'on  ne  pourrait  pas  baptiser 
l'enfant  en  danger,  à  travers  les  parois  abdominales. 

«  En  raison  de  la  facilité  que  donne  mon  instrument,  on  peut  répondre 
sans  hésitation,  que  cette  dernière  forme  de  baptême  doit  être  rejetée  ; 
puisque,  d'une  part,  elle  est  inutile,  et  que,  d'autre  part,  elle  ne  répond 
pas  à  ce  qui  est  exigé  pour  l'administration  du  sacrement,  même 
sous  conditions.  » 

Le  baptême  intra-utérin  est-il  valable  en  cas  d'ex- 
pulsion postérieure  du  fœtus? —  Benoît  XIV,  recommande 
expressément  de  rebaptiser  l'enfant  sous  condition,  au  cas  où  il  vien- 
drait à  naître  vivant.  Dans  un  de  ces  petits  problèmes  sous  forme 
d'anecdotes,  dont  les  théologiens  semblent  avoir  emprunté  l'habitude 
aux  rhéteurs  antiques,  l'ingénieux  P.  Gury  (1)  s'est  plu  à  élucider 
toutes  les  difficultés  que  peut  soulever  la  question  du  second  bap- 
tême : 

«  Honorine,  sage-femme,  appelée  pour  un  accouchement,  et  crai- 
gnant que  le  fœtus  ne  périsse  avec  la  mère,  qui  est  en  danger,  le  bap- 
tise avec  un  instrument  dans  le  sein  de  sa  mère  ;  plus  tard,  le  bras  de 
l'enfant  étant  sorti,  et  le  péril  croissant,  elle  baptise  sur  ce  membre. 
Puis,  n'étant  pas  rassurée  sur  la  validité  de  ces  baptêmes  et  l'en- 
fant étant  agonisant  après  sa  naissance,  elle  le  baptise  une  troisième 
fois.  Enfin  le  curé  arrive,  et  doutant  de  la  valeur  de  ces  cérémo- 
nies, il  donne  une  quatrième  fois  le  sacrement,  mais  sous  condi- 
tion. » 

(1)  Cemjpendiitm  théologien  moralis. 


Ii8 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


«Si,  avec  ces  quatre  baptêmes,  les  papiers  du  jeune  chrétien  ne  sont 
pas  en  règle,  c'est  que  la  chancellerie  céleste  sera  bien  vétilleuse. 

De  l'opération  césarienne.  — Une  femme  est-elle  tenue,  pour 
assurer,  par  le  baptême,  le  salut  de  son  fruil,  de  subir  l'opération 
césarienne,  c'est-à-dire  l'incision  des  parois  de  l'abdomen  et  de  celles 
de  l'utérus  (fig.  74),  lorsque  l'accouchement  est  déclaré  naturellement 


Fig.  74.  —  Opération  césarienne. 


impossible?  «  Si  un  habile  chirurgien,  dit  Mgr  Bouvier,  avait  l'es- 
poir de  réussir,  un  confesseur  devrait  engager  la  femme  à  s'y  sou- 
mettre, et  se  servir  pour  cela  des  motifs  les  plus  capables  de  l'y 
déterminer.  »  Toutefois,  le  doux  évêque  ajoute  qu'on  ne  peut  l'y  con- 
traindre en  la  menaçant  de  lui  refuser  l'absolution.  Mais  l'obligation 
de  pratiquer  l'opération  césarienne  n'est  plus  contestable  quand  la 
femme  est  morte.  L'enfant  peut-être  trouvé  vivant;  donc  l'hésitation 
n'est  pas  permise.  Il  ferait  beau  voir  qu'une  femme  s'avisât  de  témoi- 
gner quelque  répugnance  à  être  éventrée  après  sa  mort.  Ecoutez 
l'anecdote  racontée,  à  ce  propos,  par  l'abbé  Dinouart  : 
«  Je  terminerai  ce  chapitre  par  un  événement  qui  inspire  la  plus 


l'obstétrique  et  le  culte  149 


grande  horreur.  Au  commencement  de  ce  siècle,  dans  une  des  prin- 
cipales villes  de  la  Sicile,  une  femme  noble,  mère  de  sept  garçons,  au 
moment  de  la  mort  et  enceinte,  fit  venir  ses  enfants  et  les  pria  ins- 
tamment de  lui  accorder  deux  choses  :  la  première,  de  ne  pas  permettre 
qu'on  lui  fit  l'opération  césarienne  après  sa  mort;  la  seconde,  qu'on 
l'ensevelit  ornée  de  ses  habillements  les  plus  précieux.  Elle  meurt, 
et  ses  enfants  ne  lui  obéissent  que  trop  fidèlement.  L'archiprêtre  du 
lieu  se  présente  avec  un  chirurgien  pour  l'opération,  leurs  prières, 
leurs  raisons  ne  sont  d'aucun  poids  auprès  des  enfants,  qui  l'épée  en 
main  repoussent  avec  violence  le  curé  et  le  chirurgien.  Quelques 
jours  après  l'inhumation  de  la  mère,  le  bruit  se  répand  que  les  reli- 
gieux de  l'église  où  son  corps  était  inhumé,  l'avaient  dépouillée  de 
tous  ses  riches  habillements.  Les  fils  demandent  à  grands  cris  qu'on 
ouvre  le  tombeau  pour  constater  le  fait.  Affreux  et  déplorable  spec- 
tacle !  ils  trouvent  leur  mère  avec  tous  ses  habits,  et  près  d'elle,  deux 
jumeaux  sortis  de  son  sein,  et  morts.  La  main  de  Dieu  s'appesantit 
sur  cette  famille  illustre  et  opulente  :  tout  ces  enfants  périrent  dans 
l'indigence,  et  accablés  par  l'infortune  la  plus  humiliante.  Ce  fait  est 
certain,  mais  on  me  dispensera  de  nommer  ni  la  famille  ni  le  lieu  de 
ce  triste  événement.  » 

Nous  croyons  sans  peine  cet  excellent  abbé,  mais  il  eut  donné  plus 
d'authenticité  à  son  récit  en  nommant  le  pays  qui  fut  témoin  de  cette 
extraordinaire  histoire.  Laissons  le  bon  Dinouart  et  revenons  aux 
théologiens  du  siècle. 

«  C'est  surtout  aux  sages-femmes,  aux  médecins  et  généralement 
à  ceux  qui  président  aux  accouchements,  que  les  curés  et  les  con- 
fesseurs doivent  démontrer  la  nécessité  et  l'obligation  grave  de  faire 
l'opération  césarienne  sur  le  cadavre  d'une  femme  morte,  et  cela  le 
plus  tôt  possible.  »  Ainsi  s'exprime  Mgr  Bouvier  :  Sœttler  et  Rous- 
selot  se  gardent  de  le  contredire  :  «  Les  curés  devront  enseigner  aux 
femmes,  aux  accoucheuses,  qu'il  est  de  leur  devoir  strict  d'ouvrir  la 
femme  enceinte  aussitôt  après  sa  mort,  pour  baptiser  l'enfant  qu'on 
en  tirera  le  plus  souvent  en  vie.  Ils  devront  même  apprendre  à  faire 
l'opération  césarienne,  pour  pouvoir  l'enseigner,  si  l'occasion  se  pré- 
sente. »  Le  P.  Debreyne,  trappiste,  qui  a  examiné  en  détail  celte 
question  dans  sa  Mœchialogie  sacrée,  veut  que  la  section  abdominale 
soit  imposée  au  médecin  dès  l'instant  que  l'enfant  est  animé,  c'est-à- 
dire  à  partir  du  moment  «  où  l'union  de  ses  substances  spirituelle  et 
corporelle  s'est  effectuée.  »  Malheureusement  on  se  heurte  de  nouveau 
à  la  difficulté  déjà  signalée  :  à  quel  âge  le  fœtus  a-t-il  une  âme?  Avec 
Zacchias,  nul  embarras  :  l'animation  s'opérant  au  moment  de  lacon- 


150  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


ception,  une  femme  morte  au  début  de  la  grossesse  est  éventrée  de 
plein  droit.  Florentini  (1),  nous  rend  déjà  perplexes  :  baptisez,  nous 
dit-il,  baptisez,  sous  peine  de  péché  mortel,  l'embryon  lors  même 
qu'il  ne  serait  pas  plus  gros  qu'un  grain  d'orge  ;  et  cette  doctrine  est 
qualifiée  d'indubitable  par  la  Sorbonne.  Donc,  au  bout  de  trente  jours, 
éventronsou  nous  serons  damnés. 

En  réalité,  la  grossesse  ne  peut  être  reconnue  avec  certitude  que 
vers  le  milieu  du  quatrième  mois,  et  en  ouvrant  avant  cette  époque 
une  femme  prétendue  enceinte,  on  s'exposerait,  et  l'on  s'est  exposé 
déjà,  à  de  graves  mécomptes.  Il  peut  se  faire  que  les  gens  de  l'art, 
race  parfois  impie,  refusent  de  déférer  aux  ordres  de  la  famille  ou  du 
prêtre;  en  ce  cas,  l'Eglise  autorise  tout  individu  de  l'un  et  de  l'autre 
sexe  à  faire  les  sections  nécessaires.  L'auteur  de  la  Mœchialogie  sacrée 
veut  même  que  le  prêtre,  à  défaut  de  toute  autre  personne,  pratique 
l'opération  ;  il  encourage  le  chirurgien  en  soutane  par  les  paroles 
suivantes  :  «  Qu'il  s'arme  du  signe  de  la  croix,  qu'il  fasse  la  section 
avec  confiance  et  courage;  sa  charité  lui  attirera  de  Dieu  une  double 
récompense,  et  pour  avoir  retiré  l'enfant  d'une  étroite  prison  où  il  de- 
vait nécessairement  mourir,  et  surtout  pour  lui  avoir  conféré  le  bap- 
tême. 11  en  sera  le  père  spirituel,  parce  qu'il  l'aura  régénéré  en  Jésus- 
Christ;  il  en  sera  en  quelque  sorte  la  mère,  comme  dit  Cangiamila, 
parce  qu'il  l'aura  véritablement  mis  au  monde.  Si  l'enfant  meurt 
quelque  temps  après  avoir  reçu  le  sacrement  de  baptême,  ce  qui  est 
assez  ordinaire,  il  aura  sans  délai  dans  le  ciel  un  protecteur  puissant 
qui  intercédera  incessamment  pour  lui  auprès  de  Dieu.  Quel  sujet 
donc  de  joie,  de  consolation  et  d'espérance  pour  vous,  ô  ministre  et 
fidèle  serviteur  de  Dieu,  d'être  certain  d'avoir  été  l'instrument  immé- 
diat du  salut  éternel  d'une  âme  qui,  sans  ce  sublime  et  courageux 
dévoùment,  que  la  charité  vous  a  inspiré,  n'aurait  jamais  joui  de  voir 
et  de  posséder  Dieu  éternellement  !  » 

Certains  conseils  de  Mgr  Bouvier  ont  un  caractère  plus  pratique  et 
visent  particulièrement  le  procédé  opératoire  :  u  Faire  une  incision 
de  six  ou  sept  pouces  de  long  sur  le  côté  le  plus  éminent...  Il  faut  que 
l'incision  soit  faite  en  long  et  non  en  travers  parce  qu'on  arrive  plus 
directement  à  la  situation  de  l'enfant  et  parce  que,  si  par  hasard  la 
femme  vivait  encore,  la  plaie  se  fermerait  plus  facilement.  Les  chi- 
rurgiens ont  des  instruments  propres  à  ces  sortes  d'opérations,  les 
autres  personnes,  rien  ayant  pas,  doivent  se  servir  de  celui  qu'elles 


(1)  Dissertation  xiir  le  baptême  des  avorton»,  1658. 


l'obstétrique  et  le  culte  151 

auront  sous  la  main  et  qui  leur  paraîtra  le  plus  propre  à  cet  effet; 
c'est  le  rasoir  qui  convient  le  mieux  ». 

Des  précautions  assez  baroques  étaient  jadis  prises  pour  assurer  la 
consécration  de  l'enfant.  Le  synode  de  Cologne,  en  1528,  et  celui  de 
Cambrai,  en  1550,  disent  «  qu'il  faut  mettre  entre  les  dents  de  la 
femme,  à  l'instant  de  sa  mort,  un  tube  de  roseau  ouvert  des  deux 
côtés.  Mercatus  est  du  même  avis.  Paré  et  Heister  rejettent  cette  pré- 
caution comme  inutile,  puisqu'il  est  bien  sûr  que  l'enfant  enfermé 
dans  ses  membranes,  n'a  aucune  communication  avec  la  trachée 
artère  et  la  bouche  de  la  mère.  L'usage  de  ce  tuyau  est  recommandé 
dans  une  ordonnance  sur  cette  matière,  donnée  en  1744  par  M.  l'é- 
vêque  de  Girgenti,  afin  de  permettre  l'issue  des  corpuscules  putrides, 
dont  le  séjour  pourroit  être  nuisible  à  la  conservation  de  l'enfant  :  la 
précaution  est  fort  sage.  Guillemau,  Charles  Etienne  et  Schenchius 
admettent  la  pratique  de  Mercatus.  Ils  ordonnent  même  de  mettre  un 
tube  de  roseau  dans  le  vagin  à  l'instant  de  sa  mort  :  sed  etiam  ut 
simili  modo  palula  uteri  vagina  servctur.  Cette  dernière  précaution  de 
l'insertion  d'un  tube  dans  le  col  de  la  matrice  est  très  importante,  et 
ne  doit  pas  être  négligée,  surtout  lorsque  le  chirurgien  est  absent,  et 
que  le  moment  de  l'accouchement  naturel  étant  arrivé,  la  membrane 
est  ouverte  ». 

Ces  prescriptions,  fort  inutiles,  au  reste,  ne  sont  plus  suivies  de  nos 
jours  :  «  La  seule  chose  nécessaire  »,'  dit  Mgr  Bouvier,  «  est  de  pré- 
server l'enfant  du  froid  delà  mort,  en  tenant  toujours  chaude  la  région 
qu'il  habite.  Pour  cela,  il  faut  faire  chauffer  des  linges  ou  des 
étoffes,  et  les  appliquer  sur  le  ventre  de  la  mère,  en  attendant  qu'on 
puisse  en  faire  l'ouverture  ». 

Toutes  ces  instructions  de  séminaire  sont  trop  fréquemment  appli- 
quées par  le  clergé  belge;  Y  Art  médical  d'Anvers  souvent  enregistre 
des  faits  semblables;  prenons-en  un  au  hasard.  Il  y  a  quelques  an- 
nées, dans  la  commune  de  Zoersel,  une  jeune  fille  succombait  et  était 
considérée  par  le  curé  comme  enceinte.  Celui-ci  prescrivit  au  père  de 
la  jeune  fille  qu'aussitôt  après  le  dernier  soupir,  il  eut  à  pratiquer 
l'opération  césarienne,  lui  donnant  un  canif  à  cet  effet.  Le  malheu- 
reux père,  ne  pouvant  se  résigner  à  accomplir  cet  acte  sur  le  corps 
de  son  enfant,  appela  une  sage-femme,  qui  opéra  à.  l'aide  d'un  rasoir. 
La  jeune  fille  n'était  pas  enceinte;  et  la  sage-femme,  interrogée  par 
le  juge  d'instruction  sur  les  signes  qui  lui  avaient  prouvé  que  la 
femme  était  morte,  répondit  qu'elle  ne  savait  pas...  Plus  récemment, 
un  ecclésiastique,  vicaire  de  Aertrycke,  fut  condamné  par  la  Cour 
d'appel  de  Gand  à  un  mois  de  prison,  pour  avoir  pratiqué  l'opération 


152  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

césarienne  post  mortem.  Mais  ce  jugement  fut  cassé  par  la  Cour  de 
cassation,  attendu  que  ce  fait  constituait  la  violation  d'un  cadavre 
avant  la  sépulture,  fait  non  prévu  par  la  loi,  et  non  pas  la  violation 
de  la  sépulture  d'après  la  loi  existante. 

Les  membres  du  clergé  français  sont  plus  circonspects.  Cependant, 
en  1878,  dans  le  département  delà  Loire,  un  boucher  a  ouvert,  sur 
l'invitation  du  curé,  une  femme  enceinte  paraissant  avoir  rendu  le 
dernier  soupir,  et  il  fut  seulement  condamné,  pour  exercice  illégal  de 
la  chirurgie,  à  une  amende  insignifiante.  De  même  à  Néaulphe-sous- 
Essai  (Orne),  la  même  année,  une  femme  à  terme  fut  ouverte  avec  un 
canif  par  une  voisine,  aussitôt  après  la  mort,  sur  l'ordre  du  curé  : 

«  Ce  qu'il  y  a  de  plus  intéressant  dans  tout  ceci  »,  dit  Paul 
Bert(l),  «  c'est  que  la  préoccupation  de  sauver  la  vie  soit  à  la  mère, 
soit  à  l'enfant,  n'entre  pour  rien  dans  l'esprit  des  casuistes.  On  devra 
ouvrir  le  ventre,  alors  que  l'enfant  ne  sera  certainement  pas  viable; 
il  suffit  qu'il  puisse  être  vivant.  C'est  qu'en  effet  il  n'y  a  d'intéressant 
que  le  salut  éternel  de  l'enfant.  Cette  préoccupation  dominante  s'est 
manifestée  l'année  dernière  (en  1878),  dans  des  conditions  extrêm" 
ment  dramatiques.  La  Cour  d'assises  du  Calvados  a  condamné  deux 
femmes,  la  mère  et  la  fille,  qui  avaient  tué  le  nouveau-né  de  celle-ci  ; 
auparavant,  ces  deux  ferventes  catholiques  avaient  eu  le  soin  de  le 
baptiser,  afin  qu'il  pût  devenir  un  ange  ». 

(1)  La  Morale  des  Jésuites. 


CHAPITRE    II 


ERREURS    ET    PRÉJUGÉS    SUR    LA    GROSSESSE 
ET    L'ACCOUCHEMENT 


Le  préjugé  est  de  même  nature  qu'un  académicien:  il  est  immor- 
tel. Joseph  Prudhomme  se  croit  au  siècle  des  lumières  et,  sous  l'Em- 
pire, Joseph  Prudhomme,  sénateur  à  trente  mille  francs  de  gages, 
discutait  gravement  sur  l'homœopalhie  et  ses  bienfaits.  De  nos  jours, 
Joseph  Prudhomme  n'hésite  pas  à  se  déclarer  spirite.  Rappelez-vous 
ce  colonel  à  qui  l'on  montre  la  poupée  destinée  à  évoquer  l'esprit 
d'une  de  ses  parentes  ;  le  président  du  tribunal  s'étonne  :  «  Me  pre- 
nez-vous pour  un  imbécile?  »  riposte  cet  étonnant  guerrier  oublié  par 
Ch.  Leroy. 

Le  terrain  le  plus  propre  au  développement  du  préjugé  est,  sans 
contredit,  le  cerveau  d'une  femme  :  tendance  au  merveilleux,  au 
mensonge  même,  ignorance,  présomption,  obstination,  tout  favorise 
en  elle  l'éclosion  de  cette  plante  tenace.  Parasite  aussi  difficile  à  ex- 
tirper de  l'esprit  féminin  que  le  chiendent  d'un  champ  !  Déracinez, 
hersez,  labourez  ;  bientôt  vous  verrez  paraître  de  nouveaux  rejetons  ! 

Dès  lors,  est-il  utile  d'ajouter  que  le  nombre  des  préjugés  relatifs  à 
la  grossesse  et  à  l'accouchement  est  presque  infini.  La  même  niai- 
serie a  cours  dans  la  loge  de  la  concierge  en  gésine  et  au  premier 
étage,  au  premier  étage  et  dans  la  mansarde;  elle  va,  court,  vole, 
incessamment  propagée  par  des  langues  infatigables. 

Rions  de  toutes  ces  sottes  croyances  ;  leur  faire  la  guerre,  c'est 
peine  perdue:  «  Je  puis  bien  parler  là-dessus,  moi,  monsieur,  vous 
répondrait  une  commère,  j'ai  accouché  sept  fois.  Tout  médecin  que 
vous  êtes,  en  avez-vous  jamais  fait  autant  ?  » 

Passons  donc  en  revue  les  plus  singulières  de  ces  erreurs  chères 
au  sexe  qui  bavarde  et  qui  accouche. 


154  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


I.  —  PRÉJUGÉS  SUR  LA  GROSSESSE. 


Signes  de  la  grossesse.  —  Il  a  exislé  de  tout  temps  des 
moyens  empiriques  et  des  recettes  puériles  pour  reconnaître  la  gros- 
sesse. 

«  On  ne  se  contente  pas,  dit  Venette  dans  le  Tableau  de  l'amour 
conjugal,  d'avoir  des  signes  communs,  on  fait  encore  quantité  d'ex- 
périences, à  l'imitation  de  l'antiquité,  pour  découvrir  la  grossesse 
d'une  femme.  Les  uns  frottent  au  rouge  les  yeux  de  celle  que  l'on 
.soupçonne  grosse  ;  et,  si  la  chaleur  pénètre  la  paupière,  on  ne  doute 
plus  après  cela  que  cette  femme  ne  soit  enceinte.  —  Les  autres  tirent 
de  son  corps  quelques  gouttes  de  sang,  et,  après  les  avoir  laissées 
tomber  dans,  l'eau,  ils  conjecturent  qu'elle  est  grosse  si  le  sang  va  au 
fond.  —  Quelques-uns,  après  avoir  mis  dans  ses  parties  naturelles 
une  gousse  d'ail,  ou  fait  brûler  de  la  myrrhe,  de  l'encens,  ou  quel- 
qu'autre  chose  aromatique,  pour  lui  en  faire  recevoir  la  vapeur  par 
le  bas,  croient  qu'elle  est  grosse,  si  elle  ne  ressent  point  quelque 
temps  après  à  la  bouche  ou  au  nez  l'odeur  de  l'ail  ou  des  choses  aro- 
matiques (1).  —  Il  y  en  a  encore  qui  font  diverses  expériences  sur 
l'urine.  Ils  considèrent  cette  liqueur  dès  qu'on  la  rend,  et  après  l'avoir 
trouvée  troublée  et  de  couleur  de  l'écorce  de  citron  mûr,  avec  de 
petits  atomes  qui  s'y  élèvent  et  qui  y  descendent,  ils  disent  qu'elle  a 
conçu.  —  D'autres  laissent  l'urine  pendant  la  nuit  dans  un  bassin  de 
cuivre,  où  l'on  a  mis  une  aiguille  fine;  et,  s'ils  observent  le  matin 
quelques  points  rouges  sur  l'aiguille,  ils  ne  doutent  plus  de  la  gros- 
sesse. —  Quelques  autres  prennent  parties  égales  d'urine  et  de  vin 
blanc  :  si  l'urine,  après  avoir  été  agitée,  paraît  semblable  à  du  bouil- 
lon de  fèves,  ils  assurent  que  la  femme  est  grosse.  —  Les  autres  lais- 
sent pendant  trois  jours  reposer  à  l'ombre,  dans  un  vaisseau  de  verre 
bien  bouché,  l'urine  d'une  femme;  et,  après  l'avoir  coulée  par  un 
taffetas  clair,  s'ils  rencontrent  de  petits  animaux  sur  le  taffetas,  ils 
ne  font  pas  difficulté  d'affirmer  que  la  femme  est  grosse.  » 

Voici  les  symptômes  que  le  Jardin  parfumé  du  cheikh  Nefzaoui 
donne  comme  indices  certains  de  la  grossesse  :  «  la  sécheresse  de  la 
vulve,  immédiatement  après  le  coït,  le  besoin  de  s'allonger,  de  s'éti- 

(1)  Cette  recette  est  donnée  par  Hippocrate  au  livre  I  des  Maladies  dos  femmes. 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  155 

rer,  des  accès  de  somnolence,  un  sommeil  lourd  et  profond,  fréquem- 
ment une  contraction  de  l'ouverture  de  la  vulve  telle,  qu'on  ne  peut 
même  y  faire  pénétrer  un  meroud,  la  teinte  noirâtre  que  prend  le 
bout  des  seins,  et  enfin,  ce  qui  vient  corroborer  tous  ces  indices,  la 
suppression  des  règles...  Lorsqu'il  y  a  doutes  sur  la  grossesse  de  la 
femme,  on  lui  fait  boire  au  moment  de  se  coucher,  de  l'eau  de  miel, 
et,  s'il  lui  vient  des  pesanteurs  dans  le  ventre,  c'est  une  preuve  qu'elle 
est  enceinte.  »  N'en  déplaise  au  cheikh  Nefzaoui,  nous  préférons,  à 
ses  indices  de  certitude,  ceux  de  nos  auteurs  modernes:  le  ballote- 
ment  de  l'œuf,  perçu  avec  le  doigt;  les  mouvements  de  l'enfant, 
constatés  par  la  main  du  médecin,  et  les  bruits  du  cœur  fœtal,  en- 
tendus par  l'homme  de  l'art. 

Régime  alimentaire.  —  Chez  les  anciens,  et  principalement  à 
Athènes,  les  femmes  enceintes  croyaient  obtenir  des  enfants  plus  vi- 
goureux en  mangeant  souvent  des  choux  (1).  Mais  il  fallait  que  ces 
choux  ne  fussent  point  trop  salés  ;  car,  autrement,  Aristote  affirme 
que  l'enfant  viendrait  au  monde  sans  ongle  !  En  réalité,  l'absence  des 
ongles  prouve  que  l'enfant  n'est  pas  à  terme. 

Une  erreur  encore  fort  répandue  de  nos  jours  et  sous  toutes  les  la- 
titudes, veut  qu'une  femme  enceinte  mange  pour  deux,  quitte  à  s'ex- 
poser à  de  dangereuses  indigestions.  Les  Pahutes  partagent  cette 
opinion  et  s'imaginent  que  l'enfant  ne  quitte  l'utérus  qu'au  moment 
où  il  n'y  trouve  pas  assez  de  nourriture  ;  aussi,  vers  la  fin  de  la 
grossesse,  mettent-ils  la  femme  à  une  diète,  sévère,  pour  affamer 
l'enfant  et  l'obliger  à  sortir  de  sa  retraite.  L'effet  de  ce  régime  débi- 
litant est  d'élargir  les  voies  génitales  de  la  femme,  par  l'amaigrisse- 
ment, et  de  faciliter,  de  la  sorte,  l'expulsion  de  l'enfant. 

En  Chine,  les  femmes  enceintes  doivent  s'abstenir  de  tourterelles, 
de  poulets  et  de  canards,  sans  quoi  elles  mettraient  au  monde  un 
sourd-muet  ;  le  lièvre  leur  est  aussi  interdit  dans  la  crainte  du  bec- 
de-lièvre.  Chez  les  Annamites,  la  viande  de  bœuf  passe  pour  provo- 
quer l'avortement  pendant  le  sommeil. 

Madame  de  Sévigné,  que  ses  Lettres  nous  montrent  souvent  comme 
une  véritable  commère  conseillant  à  tort  et  à  travers  des  remèdes, 
même  à  ceux  qui  ne  lui  en  demandent  pas,  prétend  que  le  chocolat 
peut  nuire  à  une  femme  enceinte,  et  la  preuve  «  c'est  que  la  marquise 
de  Coetlogon,  prit  tant  de  chocolat,  étant  grosse  l'année  passée,  qu'elle 


(1)  Serait-ce   l'origine  du  dicton    populaire  qui  fait  naître  les  enfants   sous   les 
choux  ? 


156  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

accoucha  d'un  petit  garçon  noir  comme  un  diable,  qui  en  mourut.  » 
On  voit  qu'il  ne  suffit  pas  toujours  d'avoir  de  l'esprit  pour  posséder 
du  bon  sens.  Quoiqu'en  diseAristote  et  la  docte  marquise,  rien  ne 
doit  être  changé  dans  le  régime  de  la  femme,  pendant  toute  la  durée 
de  la  grossesse. 

Exercice.  — Rien  n'est  plus  fatal  que  le  préjugé  qui  recommande 
aux  femmes  enceintes,  à  l'approche  de  leur  terme,  un  surcroît  d'exer- 
cice pour  faciliter  leurs  couches  ;  Liébaut  allait  même  jusqu'à  con- 
seiller un  voyage  en  coche  ou  une  promenade  sur  un  cheval  de  trot. 
Si  l'exercice  au  grand  air  est  favorable  à  la  femme  enceinte,  il  ne 
faudrait  pas  cependant  imiter  Jeanne  d'Albret  qui,  dans  son  dernier 
mois  de  grossesse,  entreprit  un  voyage  de  quinze  jours,  pour  venir  de 
Compiègne  à  Pau,  accoucher  de  Henri  IV  ;  il  ne  serait  pas  non  plus 
prudent  de  suivre  l'exemple  de  la  reine  de  Pologne  qui,  vers  la  fin 
de  sa  grossesse,  accompagnait  dans  les  camps,  son  mari,  le  roi 
Sobieski. 

Les  femmes  enceintes  devront  fuir  aussi  le  bal,  ainsi  que,  par  la 
plume  d'un  mauvais  traducteur,  le  recommande  Claude  Quillet, 
dans  son  charmant  poème,  la  Callipédie  ou  l'Art  de  faire  de  beaux 
enfants  : 

«...  De  tout  jeu  violent  que  l'on  s'abstienne  encore, 
Qu'on  évite  surtout  celui  de  Terpsichore... 
Croyons  en  le  vieillard  qui  fut  l'honneur  de  Cos  : 
Avide  de  la  danse,  une  dame  d'Argos, 
N'écoutant  que  le  cri  d'un  coupable  caprice, 
S'était,  au  premier  mois,  permis  cet  exercice  ; 
Mais,  au  sein  du  plaisir,  la  peine  la  saisit; 
Le  fil,  trop  délié,  tout  à  coup  se  rompit, 
Et  l'utérus,  froissé  par  le  poids  de  la  chute, 
Vomit  en  gémissant  une  masse  encore  brute.  » 

Rapports  sexuels.  —  Mauriceau  défendait  à  la  femme^de 
remplir  ses  devoirs  conjugaux  dans  les  deux  derniers  mois  de  la 
grossesse,  prétendant,  comme  de  nos  jours  au  Japon,  que  les  'se- 
cousses du  corps  et  la  compression  du  ventre  pouvaient  être  nuisi- 
bles à  la  mère  et  à  l'enfant.  Son  contemporain  et  parent,  Dionis,  pro- 
teste vivement  contre  cette  opinion.  «  Mauriceau  »,  dit-il,  «  ne  peut 
avoir  fait  ces  observations  par  lui-même,  n'ayant  jamais  pu  avoir  un 
seul  enfant  en  quarante-six  années  de  mariage.  Pour  moi  qui  ai  une 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  157 

femme  qui  a  été  grosse  vingt  fois,  et  qui  m'a  donné  vingt  enfants,  dont 
elle  est  accouchée  à  terme  et  heureusement,  je  suis  persuadé  que  les 
caresses  du  mari  ne  gâtent  rien.  »  C'était  l'avis  de  L.  Bonaccioli, 
médecin  qui  pratiquait  à  Ferrare,  vers  1530  :  «  Les  femmes,  dit-il, 
qui  ont  continué  à  remplir,  pendant  la  grossesse,  leurs  devoirs  conju- 
gaux, supportent  plus  facilement  l'accouchement  que  celles  qui  ont 
été  continentes  et,  d3  plus,  les  premières  n'ont  pas  sur  le  visage  cette 
pâleur,  qui  rend  les  autres  hideuses.  » 

Sue  remarque  que  cette  particularité  a  toujours  été  ignorée  des  chi- 
rurgiens-accoucheurs. Mais  le  préjugé  qui  veut  que  la  continence 
rende  l'accouchement  plus  facile  est  ancien,  puisqu'il  était  déjà  en 
crédit  du  temps  d'Hippocrate;  il  reposait,  sans  doute,  sur  cette  obser- 
vation que  la  femelle  des  animaux  fuit  instinctivement  les  approches 
du  mâle  pendant  toute  la  durée  de  la  gestation.  «  Les  bêtes  sur  leurs 
ventrées  »,  dit  Rabelais,  «  n'endurent  jamais  le  mâle  masculant».  Le 
docteur  Sue  dit,  d'un  autre  coté  :  «  Il  est  bien  étonnant  que  de  tous 
les  animaux  femelles,  il  n'y  ait  que  la  femme  et  la  jument  qui  sup- 
portent pendant  la  grossesse  les  approches  du  mâle,  tandis  que  les 
autres  animaux  en  ont  une  grande  aversion.  Mulier,  equa,  omnium 
maxime  animalium,  gravidx  coiturn  patiuntur:  cœtera,  ubi  gravida 
fuerunt,  fugiunl  mares,  dit  Bonaccioli. 

«  Voici,  au  reste,  la  réponse  que  fit  Popilia  à  quelqu'un  qui  lui 
demandait  son  avis  sur  ce  sujet.  Elle  répondit  qu'elle  ne  s'étonnait 
pas  que  les  femelles  des  bêtes  fuyaient,  lorsqu'elles  étaient  pleines, 
la  compagnie  des  mâles,  parce  qu'en  effet  elles  étaient  des  bêtes  ;  c'est 
ce  qu'a  exprimé  Jean  Porthius,  par  cette  épigramme  : 

Appeteret  venerem  prœgnans  cur  fœmina,  prsegnans 
Quant  fugeret  brutum,  qusestio  mota  fuit  : 
Fœmina  convivis  immissa  jocantibus  inquit  : 
Da  mentem  brutis,  bruta  sequentur  idem.  » 

Pourquoi  la  femme  grosse  désire  l'amour,  et  pourquoi 

Le  fuit  la  bête  pleine,  c'est  une  question  qu'on  agita  ; 

Une  femme  se  mêlant  aux  propos  des  convives,  dit  : 

«  Donnez  la  raison  aux  bêtes,  les  bêtes  feront  comme  nous.  » 

N'écoutez  donc  pas  le  conseil  du  poêle  qui  dit  : 

Épouses,  je  vous  dois  un  conseil  salutaire; 
Quand  vous  avez  conçu,  n'allez  pas  à  Cythère. 


15S  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Cependant,  sans  citer  comme  bon  à  suivre  l'exemple  de  Julie, 
fille  d'Auguste,  qui  «  n'admettait  de  passager  dans  sa  barque  que 
quand  elle  était  pleine  »,  et  sans  admettre  complètement  l'opinion 
d'Aristote,  qui  conseillait  le  coït  pour  faciliter  l'accouchement,  nous 
devons  déclarer  que  les  rapports  sexuels  modérés  ne  font  aucun  tort 
à  la  grossesse.  Seules,  les  femmes  qui  sont  sujettes  aux  fausses  cou- 
ches devront  s'en  abstenir. 

Nous  citons,  pour  en  rire,  le  préjugé  ancien  qui  dit  que  si  la 
femme  éternue  immédiatement  après  avoir  conçu,  elle  s'expose  à 
l'avortement.  C'est  accuser  d'un  bien  gros  méfait  cet  innocent 
coryza. 

Usage  des  bains.  —  Les  Japonaises  s'imaginent  que  les  bains 
sont  nuisibles  aux  femmes  enceintes  et,  dans  la  crainte  de  refroidisse- 
ments, préfèrent  se  nettoyer  avec  des  semelles  chauffées  au  feu.  Ce- 
pendant la  propreté  n'est  défendue  dans  aucun  cas.  Notons  encore 
qu'il  est  inutile  de  suivre  le  conseil  que  Sacombe  donne  aux  blondes 
de  prendre  des  bains  à  une  température  moins  élevée  que  ne  les  pren- 
draient les  brunes. 

Les  lavements  aussi  ne  peuvent  être  que  profitables;  l'auteur  de  la 
Luciniade  est,  sur  ce  sujet,  plus  sensé  : 


Les  lavements  sont  sains,  je  consens  qu'on  les  donne 

A  toute  femme  enceinte.  Albinus  les  ordonne 

Contre  ces  fils  d'Eole,  abhorrés  en  tout  temps, 

Et  d'un  impur  séjour  importuns  habitants, 

Qu'à  grands  coups  de  piston  il  faut  chasser  sans  cesse, 

Comme  ennemis  jurés  de  l'état  de  grossesse. 


Saignées.  —  Pendant  longtemps  on  a  saigné  les  femmes  en- 
ceintes, surtout  vers  quatre  mois  et  demi  :  «  Parce  que  le  fœtus,  dit 
Mme  Ducoudray,  ne  peut  dans  ces  premiers  temps  consommer  la 
quantité  de  sang  dont  la  matrice  regorge  et  qui,  par  son  abondance, 
peut  détacher  l'arrière-faix.  »  On  attribuait  alors  les  maux  de  tête, 
les  vertiges,  les  palpitations  et  les  syncopes  qui  accompagnent  si 
souvent  la  grossesse,  à  un  état  congestif  résultant  de  l'accumula- 
tion du  sang  des  règles  dans  l'économie.  Or  l'examen  microscopique 
a  démontré,  au  contraire,  que  tous  ces  symptômes  étaient  dus  à 
l'appauvrissement  du  liquide  nourricier;  delà  l'indication  naturelle 


ERREURS    ET    PRÉJUGÉS  !50 


de  remplacer  la  lancette  (1)  par  les  toniques,  chez  la  femme  en- 
ceinte. 

Purgations.  —  Les  purgations  ont  longtemps  passé  et  passent 
encore  pour  nuisibles  pendant  la  grossesse.  Que  de  femmes,  se 
soupçonnant  enceintes,  se  purgent  fortement  dans  l'espoir  de  faire 
«  couler  l'enfant!  »  Avenzoar  rapporte  un  fait  personnel  bien  propre 
à  détruire  ce  préjugé  populaire.  «  Je  veux  qu'on  sache  ici  »,  dit-il,  «  ce 
qui  m'arriva  étant  arrêté  en  prisonnier  dans  la  conciergerie  de  Haly. 
Ma  femme  était  donc  enceinte  sans  que  je  m'en  aperçusse,  et  comme 
elle  devint  si  malade,  que  je  fus  obligé  de  lui  donner  une  potion  laxa- 
live  qui  fut  telle  que  personne  ne  saurait  s'imaginer  qu'aucune  femme 
grosse,  après  en  avoir  pris  une  quantité  médiocre,  puisse  porter  à 
terme  son  fruit.  Et  c'est  ce  qu'elle  fit  néanmoins  sans  le  moindre  dom- 
mage ni  d'elle  ni  de  son  enfant  ;  après  quoi,  comme  les  marques  de 
sa  grossesse  parurent,  je  me  repentis  bien  fort  de  ma  faute  et  en  de- 
mandai pardon  au  souverain  créateur.  Quelque  temps  après,  elle  ac- 
coucha d'un  garçon  qui  est  à  présent  avec  moi  ».  Le  fameux  médecin 
Hercule  Saxon  dit  aussi  que  comme  il  était  dans  le  sein  de  sa  mère, 
qui  passait  pour  avoir  une  môle,  les  médecins  lui  firent  prendre  des 
purgations  extrêmement  violentes  pour  expulser  cette  prétendue  môle, 
mais  en  vain,  car  il  n'en  naquit  pas  moins  sain  et  sauf. 

Enfant  mort.  —  On  croit  encore  de  nos  jours,  comme  du  temps  de 
Mauriceau,  que  la  mort  d'un  enfant  dans  le  sein  de  sa  mère  peut 
compromettre  la  vie  de  celle-ci  «  par  la  corruption  de  l'enfant  dans  le 
ventre  maternel,  d'où  il  s'élève  des  vapeurs  malignes  qui  se  portent 
au  cerveau  et  y  font  une  mauvaise  impression  ».  Rien  n'est  plus  faux 
et  il  n'est  pas  rare  d'observer  des  grossesses  extra-utérines  qui  ont 
duré  plusieurs  années,  jusqu'à  quarante  ans  même,  sans  déterminer 
d'accidents.  Cela  tient  à  l'intégrité  des  enveloppes  du  fœtus  qui  le 
mettent  à  l'abri  de  l'air  et  de  la  putréfaction. 

Le  corps  et  les  organes  d'un  enfant  mort-né  passaient  autrefois 
pour  avoir  certaines  vertus  bienfaisantes.  A  Rome,  les  magiciennes 
ajoutaient  dans  leurs  philtres  amoureux  le  foie  et  les  testicules  d'un 
enfant  mort- né  qu'elles  broyaient  avec  ceux  d'un  supplicié.  Au  moyen 
âge,  on  pensait  guérir  la  lèpre  par  le  contact  prolongé  d'un  enfant 


(1)  On  faisait  un  véritable  abus  de  la  saignée  cbez  les  femmes  enceintes  ;  ainsi  De 
La  Motte  parle  d'une  femme  à  laquelle  on  ouvrit  quatre-vingt-sept  fois  la  veine  pen- 
dant les  cinq  derniers  mois  de  sa  grossesse. 


1G0 


HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 


mort-né.  Au  XVIe  siècle,  la  ventrière  Pcrrette  faillit  être  brûlée  vive 
pour  avoir  favorisé  cette  pratique.  On  faisait  aussi  des  amulettes  avec 
de  la  peau  d'enfant  et  Catherine  de  Médicis  en  portait  toujours  une 
sur  elle. 

Les  Hottentots  voient,  au  contraire,  un  funeste  présage  dans  la 
naissance  d'un  enfant  mort-né,  et  ils  en  éprouvent  un  effroi  tel  qu'ils 
transportent  aussitôt  leurs  habitations  loin  de  l'endroit  où  l'accou- 
chement a  eu  lieu. 

La  croyance  aux  effets  salutaires  du  sang  des  nouveau-nés  a  porté 
certains  peuples  à  sacrifier  des  enfants  pour  apaiser  le  courroux  de 


Fig.  75.  —  Sorcière  allant  au  sabbat  sur  un  bouc. 

leurs  divinités  et  en  obtenir  les  bonnes  grâces.  Ainsi  se  conduisaient 
les  Ammonites  à  l'égard  de  iMoloch,  «  ce  démon  affreux  et  terrible, 
dit  Milton,  couvert  des  pleurs  des  mères  et  du  sang  des  enfants  ».  Au 
Mexique,  le  prêtre  de  Quetzulcoatl  faisait  une  image  de  Dieu  avec 
de  la  farine  mélangée  à  du  sang  de  petits  enfants  ;  le  prêtre  tuait 
ensuite  l'image  en  la  perçant  d'une  flèche  ;  il  en  offrait  le  cœur  au 
roi  qui  le  mangeait  et  distribuait  au  peuple  le  reste  du  corps. 

De  même  les  sorcières  passaient  pour  emporter  au  sabbat  (fig.  75 
et  76)  les  enfants  nouveau-nés  qu'elles  sacrifiaient  au  diable  (fig.  77). 

A  ces  croyances  se  rattachent  celles  des  enfants  volés  par  les  fées. 


ERREURS   ET   PREJUGES 


161 


«  On  prétend  dans  le  Nord,  raconte  M.  Dufau  dans  les  Contes  irlan- 
dais, que  les  fées  enlèvent  quelquefois  les  enfants  qui  leur  plaisent 
et  leur  substituent  de  petits  monstres  nés  d'elles.  Pour  les  forcer  à 
rendre  l'enfant  qu'elles  ont  pris,  on  expose  l'enfant  substitué  sur  une 
pelle  et  on  le  tourmente  cruellement.  En  Danemark,  la  mère  chauffe 
le  four  et  met  l'enfant  sur  la  pelle  en  menaçant  de  le  lancer  dans  la 
flamme,  ou  bien  elle  le  fouette  avec  des  verges,  elle  le  jette  dans  la 
rivière.  En  Suède  et  en  Irlande,  on  l'expose  à  la  porte  sur  une  pelle. 


Fig.  76,  —  Sorcière  se  rendant  au  sabbat  sur  un  manche  à  balai. 


«  Quelquefois  on  lui  fait  boire  une  potion  de  coquilles  d'œuf.  Dans  le 
Glossaire  provincial  de  Grose,  on  voit  la  mère  d'un  enfant  volé  casser 
une  douzaine  d'œufs  et  placer  les  vingt-quatre  demi-coquilles  devant 
l'enfant  substitué,  qui  s'écrie  :  «  J'avais  sept  ans  quand  on  me  mit  en 
nourrice,  quatre  ans  se  sont  passés  depuis,  et  je  n'ai  jamais  vu  de 
petits  pots  aussi  blancs.  »  Le  changement  d^n  enfant  est  toujours  fait 
avant  le  baptême.  Le  moyen  de  prévenir  ce  malheur  est  de  faire 
une  croix  sur  la  porte  et  sur  le  berceau,  de  mettre  un  morceau  de 
fer  auprès  du  berceau,  de  laisser  une  lumière  allumée.  En  Thuringe, 
on  suspend  au  mur  les  culottes  du  père.  En  Ecosse,  on  attribue  le 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


1G2 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


même  crime  de  rapt  aux  elfes,  et  quand  un  enfant  est  sourd,  muet, 
aveugle  ou  contrefait,  on  le  croit  substitué  »  (1). 


Fig.  77,  —  Sorcières  sacrifiant  des  enfants  nouveau-nés,  d'après  le  tableau  de  Spranger. 

Signes  de  la  mort  du  fœtus.  —  «  Les  anciens  chirurgiens- 
accoucheurs  que  rien  n'embarrassait,  dit  A.  Lempereur,  en  vantaient 
beaucoup  qui  nous  paraissent  aujourd'hui  assez  singuliers  ;  on  verra 
d'après  les  suivants,  s'ils  constituaient  des  moyens  assurés  de  recon- 
naître la  mort  du  fœtus. 

«  E.  Blancard  et  Paul  Barbette  indiquent  celui-ci  :  on  prend  un  mor- 
ceau de  pain  blanc,  qu'on  trempe  dans  du  vin  de  Malvoisie,  puis  on 
l'applique  sur  l'ombilic  de  la  femme  :  si  le  fœtus  vit  encore,  regail- 
lardi  par  ce  tonique,  il  le  témoigne  bientôt  par  la  vivacité  de  ses 
mouvements. 

«  Fr.  Jœlis  et  Th.  Bartholin  en  ont  donné  un  autre  :  la  femme  plonge 
ses  mains  dans  l'eau  chaude,  les  y  laisse  un  instant,  cela  suffit  pour 
faire  mouvoir  le  fœtus.  —  Ou  bien  l'accoucheur  place  sur  le  ventre 
de  la  mère  sa  main  humide  et  glacée,  même  résultat.  —  Ou  bien,  on 
prend  un  noble  à  la  rose  ou  quelque  autre  pièce  d'or,  on  la  chauffe, 


(1)  Colliu  de  Plaucy.  Dictionnaire  infernal. 


ERREURS    ET    PRÉJUGÉS  103 

et  on  la  jette  se  refroidir  dans  du  vin  que  la  femme  avale  à  l'instant, 
effet  immanquable.  » 

Louise  Bourgeois  employait  un  moyen  fort  répandu  à  Paris  de  son 
temps  :  «  J'accouchay,  dit-elle,  une  dame,  il  y  a  environ  six  ans, 
laquelle  fut  un  mois  entier  sans  sentir  bouger  son  enfant.  Les  méde- 
cins et  moy,  fîsmûs  tous  les  remèdes  qui  peuvent  se  faire  pour  voir 
si  l'enfant  pourroit  remuer;  mais  ce  fut  en  vain.  En  appliquant  une 
tranche  d'une  rouelle  de  veau,  lardée  de  clous  de  girofle,  poudrée  de 
muscade,  arrosée  de  malvoisie,  puis  rostiesurle  gril,  et  appliquée  dans 
un  linge  sur  le  ventre,  il  ne  se  sentit  qu'une  chose  qui  se  haussoitqui 
estoit  le  corps  de  la  matrice,  laquelle  estoit  si  refroidie  de  contenir  cet 
enfant  mort,que  sentant  lachaleur  qui  la  consoloit,  elle  s'en  approcha . . .» 

De  la  conception  au  moment  des  règles.  —  L'influence 
pernicieuse  qu'exercerait  sur  le  produit  de  la  conception  l'accouple- 
ment, pratiqué  au  moment  des  règles  (1),  est  encore  une  erreur  popu- 
laire dont  il  ne  faut  tenir  aucun  compte.  Ainsi,  le  Dr  Gazan  a  avancé, 
sans  preuves  sérieuses,  que  les  enfants  conçus  dans  ces  conditions 
étaient  disposés  aux  gourmes.  Burnotte,  d'autre  part,  a  cité  l'exemple 
de  trois  enfants  rouges  nés  de  père  et  mère  bruns,  qui  ont  été  conçus 
pendant  la  période  menstruelle.  La  sueur  de  sang  [purpura  hemor- 
rhagica)  à  laquelle  on  a  attribué,  bien  à  tort,  la  mort  de  Charles  IX, 
serait  due,  d'après  certains  auteurs  trop  crédules,  à  ce  que  ce  prince 
fut  conçu  au  moment  des  règles. 

Un  enfant  conçu  pendant  «  la  période  d'impureté  »  de  la  femme 
s'appelle  en  hébreu  Mamser  Ben idah;  c'est,  paraît-il,  la  plus  grande 
injure  de  la  langue  hébraïque.  Le  Talmud,  d'après  Weill,  prétend  que 
tout  enfant  conçu  durant  l'impureté  de  la  mère  est  forcément  voué 
au  vice  et  à  la  maladie.  11  est  ou  ivrogne,  ou  fou,  ou  épileptique,  ou 
assassin,  ou  crétin.  Rien  ne  saurait  faire  de  lui  ni  un  honnête  homme, 
ni  une  femme  vertueuse. 

Procréation  des  sexes  à  volonté.  —  De  nombreux  moyens 
ont  été  indiqués  pour  concevoir  des  garçons  et  des  filles  à  volonté; 
mais  l'expérience  a  démontré  leur  inefficacité.  Nous  indiquerons 
néanmoins  les  plus  connus. 

Si  l'homme  veut  engendrer  un  garçon,  dit  Hippocrate,  il  se  liera 
le  testicule  droit  autant  qu'il  pourra  le  supporter  ;  pour  une  fille,  il  se 
liera  le  testicule  gauche.  Millot  appliquait  à  la  femme  le  même  pré- 

(1)  Voir  la  note  de  la  page  22,  relative  à  liera. 


lG'i  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


ceple  :  il  attribue  à  l'ovaire  droit  la  propriété  de  fournir  des  garçons 
et  à  l'ovaire  gauche  celle  d'engendrer  des  filles.  Aussi  veut-il  que, 
pendant  la  copulation,  la  femme  se  couche  sur  le  côté  droit,  si  elle 
désire  un  enfant  du  sexe  masculin,  et  sur  le  côté  opposé  dans  le  cas 
contraire.  Mais,  pour  réfuter  ces  opinions,  il  suffit  de  savoir  que  des 
hommes  privés  d'un  testicule,  et  des  femmes  auxquelles  il  manque  un 
ovaire, engendrentindistinctement  des  enfantsdel'unoude  l'autre  sexe. 

...  «  Quand  ton  coït  sera  terminé  et  que  tu  voudras  te  séparer  de 
ta  femme  »,  dit  le  cheikh  Nefzaoui,  dans  son  Jardin  parfumé,  «  ne 
te  lève  pas  tout  d'un  coup,  mais  descend  doucement  de  son  côté 
droit;  et,  si  elle  a  conçu,  elle  engendrera  un  mâle,  s'il  plaît  à  Dieu 
très  élevé  ! 

«  Des  sages  et  des  savants  (que  Dieu  leur  accordée  tous  le  pardon!) 
ont  dit  :  «  Si  quelqu'un,  posant  sa  main  sur  les  organes  d'une  femme 
enceinte,  a  prononcé  les  paroles  suivantes  :  «  Au  nom  de  Dieu! 
qu'il  accorde  le  salut  et  la  miséricorde  à  son  Prophète.  0  mon  Dieu!  je 
vous  prie,  au  nom  du  Prophète,  de  faire  de  cette  conception  un 
garçon  »,  il  arrivera  que,  par  la  volonté  du  Créateur  et  en  considéra- 
tion de  notre  Seigneur  Mohammed  (que  le  salut  et  la  miséricorde  de 
Dieu  soient  sur  lui!),  la  femme  accouchera  d'un  garçon  ». 

Chez  les  Kiovas,  pour  que  la  mère  accouche  d'un  garçon,  on  pend 
à  la  tête  du  lit  le  fusil  et  la  selle  d'un  guerrier. 

Le  Talmud  dit  que,  pour  avoir  des  garçons,  il  faut  attendre  que  la 
femme  désire  ardemment  son  mari;  pour  avoir  une  fille,  il  faut,  au 
contraire,  que  l'homme  désirant  violemment  sa  femme  la  surprenne 
pour  ainsi  dire  et  l'aime  à  l'improviste.  A.  Weill  raconte  que  Meyer- 
beer,  dînant  un  jour  à  la  table  de  Louis-Philippe,  le  roi,  au  dessert, 
lui  demanda  s'il  avait  des  enfants.  —  Oui,  sire,  répondit  le  maestro, 
je  regrette  seulement  de  n'avoir  que  des  filles.  —  Comment  !  s'écria  le 
roi,  vous  qui  êtes  juif,  vous  ignorez  fart  d'avoir  des  garçons?  Pendant 
mon  exil  en  Suisse,  j'ai  fait  la  connaissance  d'un  rabbin  qui  m'a 
donné  des  leçons  d'allemand.  Mais  ce  qu'il  m'a  appris  de  mieux,  c'est 
de  me  marier  de  bonne  heure  et  d'avoir  des  garçons  et  des  filles  à  ma 
volonté.  Là-dessus,  le  roi  communiqua  son  secret  au  musicien,  secret 
tout  à  fait  conforme  au  Talmud.  —  Je  vous  certifie,  ajouta  le  roi,  que 
l'expérience  a  tout  à  fait  justifié  celte  théorie.  D'avance  j'ai  annoncé 
à  mes  parents  et  connaissances,  soit  mon  garçon,  soit  ma  fille. 

Macer  Floridus,  poète  latin  du  moyen  âge,  prétend,  dans  son  traité 
de  viribus  herbarum,  qu'une  sorte  d'herbe  ligneuse,  l'aristoloche  (1), 

(1)  Le  nom  même  de  l'aristoloche,  aristos,  excellent,  et  lochcia,  accouchement, 
rappelle  cette  prétendue  vertu. 


ERREURS    ET    PRÉJUGÉS  165 

mélangée  à  de  la  chair  de  bœuf  et  placée  sur  le  bas-ventre  d'une 
femme,  la  fait  accoucher  d'un  mâle. 

On  trouve  une  autre  recette  dans  les  Secrets  admirables  d'Albert  le 
Grand  :  «  Que  le  mari  et  la  femme  réduisent  en  poudre  la  matrice  et 
les  entrailles  d'un  lièvre;  qu'ils  les  boivent  dans  du  vin,  et  la  bour- 
geoise concevra  un  garçon,  toutefois  avec  l'aide  de  quelqu'un  du  sexe 
laid.  Qu'on  prenne  le  foie  et  les  testicules  d'un  jeune  porc,  qu'on 
les  réduise  en  poudre,  que  le  couple  qui  veut  se  multiplier  boive 
cette  poudre  dans  du  vin  clairet,  une  fille  naîtra  très  certaine- 
ment ». 

Enfin,  Napoléon  Ier  écrivait  à  une  princesse  de  sa  famille  qui  était 
enceinte  :  «  Buvez  un  verre  de  vin  par  jour  ».  Il  croyait  lui  donner 
ainsi  une  recette  suffisante  pour  lui  faire  avoir  un  garçon  qu'elle  dé- 
sirait :  une  fille  naquit. 

Détermination  du  sexe.  —  Aucun  signe  positif  ne  peut  ré- 
véler le  sexe  de  l'enfant  pendant  la  gestation;  il  faut  se  résoudre  à 
attendre  l'accouchement  pour  être  renseigné,  et,  s'il  a  lieu  dans  l'obs- 
curité, on  imitera  la  duchesse  de  Berry  qui,  ayant  accouché  seule 
pendant  la  nuit,  quand  on  arriva  près  d'elle,  dit  :  «  C'est  un  garçon  ! 
J'en  suis  sûre  :  j'ai  tâté  !  »  Quelques  accoucheurs  interrogés  avec  in- 
sistance par  des  clientes  trop  crédules  se  tirent  d'embarras  en  pro- 
mettant le  sexe  désiré.  Mauriceau  croit  qu'il  est  plus  habile  de  faire 
tout  le  contraire;  c'est-à-dire  d'annoncer  un  garçon  si  les  époux 
attendent  une  fille  et  vice  versa  :  «  si  vous  vous. trompez  »,  dit-il,  «  la 
femme  heureuse  d'avoir  le  sexe  après  lequel  elle  soupirait,  pardonne 
aisément  votre  méprise  et  se  contente  de  rire  aux  dépens  de  votre 
prétendu  savoir.  Si  vous  rencontrez  juste,  au  contraire,  malgré  leur 
chagrin,  les  parents  sont  forcés  de  vanter  votre  habileté  ». 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'est  peut-être  pas  de  sujet  sur  lequel  l'imagi- 
nation s'est  donnée  une  plus  libre  carrière  ;  les  moyens  de  reconnaître 
le  sexe  de  l'enfant  pendant  la  grossesse  sont  aussi  variés  qu'incer- 
tains, on  en  jugera  par  la  longue  énumération  suivante  : 

«  S'appuyant  »,  dit  Velpeau,  «  sur  le  principe  contestable  que 
l'embryon  mâle  se  développe  plus  tôt  que  l'embryon  femelle,  Aris- 
tote  prétend,  ainsi  qu'IIippocratc  et  beaucoup  d'autres  auteurs  an- 
ciens, que  la  femme  sent  remuer  plus  tôt  quand  elle  porte  un  garçon, 
et  plus  tard  quand  c'est  une  fille.  Partant  de  la  même  idée,  on  a 
transporté  à  la  mère  la  force  relative  du  fœtus.  On  a  dit  qu'elle  se 
sentait  plus  de  vigueur,  d'activité,  de  gaieté,  de  contentement;  que 
ses  yeux  étaient  plus  vifs,  sa  figure  plus  colorée  :  Si  marem  gerit, 


166  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

bene  colorât  a  est  (1);  son  pouls  plus  grand,  plus  fréquent,  ses  diges- 
tions plus  faciles  ;  que  toutes  ses  fonctions,  en  un  mot,  s'exécutent 
plus  librement  quand  elle  doit  accoucher  d'un  enfant  mâle,  que  quand 
elle  est  enceinte  d'une  fille;  qu'une  raie  brune  ou  noire  sur  la  ligne 
médiane  du  ventre,  une  force  plus  grande,  une  coloration  plus  vive, 
les  mamelons  plus  relevés,  le  sein  plus  dur,  plus  tendu,  les  batte- 
ments des  carotides  plus  forts,  les  veines  plus  grosses  à  droite  qu'à 
gauche,  annoncent  la  présence  d'un  garçon;  qu'en  se  levant  ou  en 
marchant,  la  femme  avance  ou  le  genou  ou  le  pied  droit  le  premier; 
que  la  matrice  est  inclinée  à  droite,  que  les  urines  sont  habituelle- 
ment chargées,  qu'elles  déposent  un  sédiment  briqueté  si  c'est  un 
enfant  mâle,  et  qu'on  observe  des  phénomènes  contraires  quand  le 
fœtus  est  du  sexe  féminin  ». 

Les  Secrets  admirables  d'Albert  le  Grand  ont  là-dessus  tout  un  cha- 
pitre : 


Des  marques  pour  connaître  si  une  femme  est  enceinte  d'un  garçon 

ou  d'une  fille. 

Les  marques  et  les  signes  qui  suivent,  sont  véritables  et  assurés  pour 
connaître  si  c'est  un  garçon  ou  une  fille  qui  est  dans  le  ventre  d'une 
femme  ;  parce  que  dans  le  temps  de  la  conception  d'un  garçon,  la  cou- 
leur du  visage  est  rouge  et  le  mouvement  est  léger. 

Si  le  ventre  se  grossit  et  devient  rond  du  côté  droit,  c'est  un  garçon. 

De  plus,  si  le  lait  sortant  des  mamelles  paraît  épais,  de  telle  sorte 
que  le  mettant  sur  quelque  chose  bien  propre  il  ne  se  sépare  point  ;  qu'au 
contraire,  ses  parties  se  tiennent  ensemble  sans  couler,  c'est  une  marque 
aussi  sûre  que  les  précédentes.  De  même  si  on  prend  du  lait  d'une  femme 
grosse,  ou  une  goutte  du  sang  qu'on  lui  aura  tiré  du  côté  droit,  et  que  le 
jetant  dans  une  fontaine  d'eau  claire,  ou  dans  son  urine,  il  va  direc- 
tement au  fond,  elle  est  grosse  d'un  garçon.  Si,  au  contraire,  il  demeure 
au-dessus,  c'est  une  fille.  Ou  bien  si  elle  a  la  mamelle  droite  plus  grosse 
que  l'autre,  c'est  un  garçon  :  si  la  gauche  est  la  plus  grosse,  c'est  une 
fille.  Ou  bien  si  le  sel  qu'on  met  sur  le  bout  des  mamelles  ne  se  fond  pas, 
c'est  un  mâle. 

Il  y  a  encore  un  autre  signe  pour  savoir  si  c'est  un  garçon  :  il  faut 
prendre  garde  si  la  femme  remue  toujours  le  pied  droit  le  premier,  Et 
pour  connaître  si  c'est  une  fille,  il  faut  voir  si  la  femme  est  pesante  et 
pâle,  si  elle  a  le  ventre  long  et  rouge  du  côté  gauche,  tirant  sur  le  noir, 
si  son  lait  est  noir,  indigeste,  livide,  aqueux  et  délié,  si  le  mettant  sur 

(1)  Hippocratc.  Aph. 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  167 

quelque  chose  il  se  sépare,  ou  le  jetant  dans  une  fontaine  il  nage  sur 
l'eau  et  ainsi  des  autres.  Tout  cela  marque  qu'une  femme  est  grosse 
d'une  fille.  Il  y  a  outre  ceux  que  l'on  vient  de  dire,  plusieurs  autres 
signes  :  comme,  si  elle  sent  de  la  douleur  au  côté  gauche,  c'est  une  fille, 
si  elle  sent  du  côté  droit,  c'est  un  garçon.  J'en  sais  de  plus  un  autre  qui 
est  véritable,  et  a  été  expérimenté.  Si  quelqu'un  veut  savoir  si  une 
femme  est  grosse  ou  non,  qu'il  lui  fasse  boire  du  mellicrat  :  si  elle  sent 
quelque  chose  autour  du  nombril  qui  la  pique,  il  est  sûr  qu'elle  est 
grosse;  si  elle  n'en  a  point  senti,  elle  ne  l'est  pas:  le  mellicrat  est  une 
potion  faite  avec  de  l'eau  et  du  miel  mêlés  ensemble,  qu'on  fait  prendre 
à  la  femme  dans  le  temps  qu'elle  se  couche,  et  aussitôt  après.  Mais 
comme  il  y  en  a  d'assez  rusées  qui,  connaissant  la  chose,  diraient  le 
contraire,  quand  on  leur  en  veut  faire  boire,  il  ne  faut  pas  leur  parler  de 
grossesse,  mais  attendre  qu'elles  se  plaignent,  comme  elles  ont  coutume 
de  faire,  de  quelques  douleurs  de  tête  ou  d'ailleurs,  et  aussitôt  leur 
dire  qu'une  telle  potion  est  tout  à  fait  souveraine  pour  ce  mal.  Après 
qu'elles  l'auront  bue,  on  pourra  leur  demander  le  lendemain  matin,  si 
elles  n'ont  ressenti  aucune  douleur  dans  leur  corps,  si  elles  disent 
qu'elles  en  ont  senti  proche  du  nombril,  il  faut  croire  qu'elles  ont  conçu  : 
sinon,  elles  ne  sont  pas  grosses.  Mais  celles  qui  se  doutent  de  cette 
finesse,  ne  disent  jamais  la  vérité,  mais  toujours  le  contraire. 

Les  Arabes  s'en  rapportaient  surtout  à  la  couleur  du  mamelon. 
Rhazès  dit  :  Inspiciendum  est  in  capitemamillœ,  quod  déclinans  fuerit 
ad  nibedinem  masculum,  erit;  siadnigredinem  fœmina  est.  «  Il  faut 
regarder  le  mamelon  :  s'il  incline  à  la  rougeur,  ce  sera  un  garçon;  s'il 
tourne  au  noir,  c'est  une  fille.  »  Il  dit  aussi  de  confectionner  une 
pastille  avec  du  lait  et  de  la  farine,  et  de  la  faire  dessécher  auprès  du 
feu  :  si  la  pastille  se  durcit  et  reste  compacte,  ce  sera  un  garçon;  si 
elle  se  fendille,  ce  sera  une  fille. 

Nos  pères  ont  cru  remarquer  qu'une  rotondité  régulière  du  ventre 
de  la  mère  annonçait  un  garçon  et  qu'une  proéminence  exagérée  était 
l'indice  d'une  fille;  de  là  ce  proverbe  :  «  Ventre  pointu  n'a  jamais  porté 
chapeau. » 

Un  usage  assez  répandu  dans  plusieurs  pays  consiste  à  faire  cou- 
cher par  terre  une  femme  enceinte  et  à  observer  comment  elle  se  relè- 
vera: si  elle  prend  son  point  d'appui  du  côté  gauche,  l'enfant  est  une 
fille  ;  dans  le  cas  contraire,  ce  sera  un  garçon. 

Ce  procédé  vaut  celui  des  matrones  qui,  cachant  sous  une  chaise 
une  paire  de  ciseaux  et  sous  une  autre  un  couteau,  font  asseoir  une 
femme  grosse  sur  l'un  de  ces  deux  sièges,  dont  le  premier  annoncerait 
une  fille  et  le  second  un  garçon. 

Le  mal  de  hanche,  chez  les  femmes  grosses,  est,  dit-on,  un  signe 


108  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

qu'elles  auront  une  fille.  C'est  ce  que  la  trop  crédule  Mme  de  Sévigné 
donne  à  entendre  quand  elle  écrit  à  Mme  de  Grignan  :  «  Qu'est-ce  que 
vous  me  dites  d'avoir  mal  à  la  hanche?  est-ce  que  votre  petit  garçon 
serait  devenu  fille  ?  ». 

Au  temps  de  cette  agréable  bavarde,  pour  avoir  des  garçons,  on 
faisait  des  béguins  au  saint  Père;  mais  ce  procédé  ne  réussissait  pas 
toujours.  Hélène,  une  des  femmes  de  la  marquise,  pendant  le  trouble 
produit  par  l'accouchement  de  madame  deGrignan,  lui  dit:  «  Madame, 
c'est  un  petit  garçon.  »  Madame  de  Sévigné  ajoute  :  «  Je  le  dis  au 
coadjuteur  et  puis,  quand  nous  le  regardâmes  de  plus  près,  nous 
trouvâmes  que  c'était  une  petite  fille.  Nous  en  sommes  un  peu  hon- 
teuses, quand  nous  songeons  que  tout  l'été  nous  avons  fait  des 
béguins  au  saint  Père.  Je  vous  assure  que  cela  rabaisse  le  caquet  ». 

L'Ecole  de  Salerne,  s'occupant  de  notre  cas,  émet  cet  aphorisme 
scatologique  : 

Observe  l'excrément  de  la  future  mère, 

Le  sexe  de  l'enfant  te  livre  son  mystère  : 

S'il  est  épais,  rougeâtre,  arrondi,  gras,  visqueux, 

Si  l'urine  abandonne  un  dépôt  granuleux, 

En  globules  formé,  cet  enfant  sera  mâle  ; 

Femelle,  si  tu  vois  l'excrément  plat  et  pâle. 

Moins  malpropre  était  le  moyen  employé  par  Julie,  fille  d'Auguste. 
Etant  enceinte  de  Tibère,  elle  désirait  ardemment  un  fils.  Pour  savoir 
si  ses  vœux  seraient  accomplis,  elle  plaça  un  œuf  dans  son  sein  et, 
lorsqu'elle  était  obligée  de  le  quitter,  elle  le  confiait  à  une  nourrice. 
L'augure  fut  heureux  :  elle  eut  un  coq  de  son  œuf  et  un  enfant  mâle 
de  son  mari. 

Mahomet  enseigne  que  les  mouvements  de  l'enfant  mâle  se  font 
sentir  du  côté  droit  ;  alors  la  mamelle  droite  de  la  mère  se  développe 
davantage,  le  pouls  de  la  main  droite  a  plus  d'ampleur,  la  femme  en 
se  mettant  en  marche  porte  le  pied  droit  le  premier  en  avant  ;  toutes 
circonstances  qui  sont  à  l'inverse,  si  l'enfant  est  du  sexe  féminin.  Les 
pronostics  et  instructions  que  donne  le  cheikh  Nefzaoui,  «  sur  ce  que 
la  femme  enceinte  engendre»  sont  plus  intéressantes  :  «  Si  la  femme 
n'a  pas  cessé  d'être  en  bonne  santé  au  moment  où  s'est  déclaré  sa 
grossesse,  si  elle  n'éprouve  pas  plus  tard  d'indisposition,  si  son 
visage  est  de  bonne  apparence  et  son  teint  clair,  s'il  ne  lui  vient 
pas  de  taches  de  rousseur,  c'est  un  signe  qu'elle  est  enceinte  d'un 
garçon. 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  1G9 

«  La  rougeur  du  mamelon  indique  également  que  l'enfant  sera  du 
sexe  masculin.  Le  grand  développement  des  seins  et  l'hémorrhagie 
nasale,  quand  elle  a  lieu  par  la  narine  droite  (1),  sont  des  indices  de 
même  nature. 

«  Les  signes  qui  permettent  de  savoir  que  la  femme  a  conçu  une 
fille  sont  nombreux.  Je  citerai  les  fréquentes  indispositions  pendant 
la  grossesse,  lé  teint  maladif,  les  taches  de  rousseur,  les  maux  de 
matrice,  les  cauchemars  répétés,  la  noirceur  du  bout  des  seins,  la 
sensation  de  pesanteur  du  côté  gauche,  l'hémorrhagie  nasale  de  ce 
même  côté.  » 

D'après  Sue,  dès  qu'un  Lapon  s'aperçoit  que  sa  femme  est  enceinte, 
il  s'empresse  de  consulter  les  astres  pour  connaître  le  sexe  de  l'enfant. 
S'il  voit  une  étoile  au-dessus  de  la  lune,  il  conclut  que  ce  sera  un 
garçon  ;  si  l'éloile  est  au-dessous  de  la  planète,  ce  sera  une  fille. 
De  tout  temps,  d'ailleurs,  les  phases  de  la  lune  ont  joué  un  rôle 
prépondérant  dans  la  détermination  du  sexe  de  l'enfant.  «  Les  com- 
mères »,  raconte  Velpeau,  «  disent  que  si  la  première  conception  a  lieu 
dans  le  croissant  de  la  lune,  il  en  résulte  un  garçon,  et  que  si  c'est 
dans  le  déclin  de  cet  astre,  au  contraire,  la  femme  accouchera  d'une 
fille.  Quelques  autres,  non  moins  habiles,  admettent  que  l'enfant  sera 
du  même  sexe  que  celui  du  dernier  accouchement,  si  la  lune  n'a  pas 
changé  dans  les  trois  jours  qui  ont  immédiatement  suivi  celui-ci  ». 
Tout  récemment  encore,  aux  environs  de  Paris,  nous  avons  pu  vérifier, 
par  nous-même,  que  ce  préjugé  était  fortement  enraciné  dans  certains 
esprits  étroits. 

Engelmann  (2)  nous  indique  le  procédé  suivi  par  les  Chinois  pour 
établir  le  sexe  de  l'enfant,  pendant  la  grossesse.  «  On  multiplie 
7  par  7,  ce  qui  donne  49  ;  on  retranche  l'âge  de  la  mère,  puis  on 
ajoute  19,  plus  le  chiffre  du  mois  où  la  conception  a  eu  lieu.  Le 
nombre  impair  indique  un  garçon,  le  nombre  pair  une  fille.  Supposons, 
par  exemple,  que  la  mère  ait  vingt-cinq  ans  et  que  l'enfant  ait  été 
conçu  dans  le  5°  mois  de  l'année;  nous  aurons  l'équation  suivante: 
49  —  2o  +  19  +  o  =  48,.  nombre  pair,  donc  une  fille  ». 

Influence  de  l'imagination.  —  La  grossesse  peut  réellement 
apporter  dans  les  facultés  affectives  et  intellectuelles  de  la  femme  des 
troubles  plus  ou  moins  sensibles  ;  il  faut  néanmoins  reconnaître  que 
ces  perturbations  psychiques  sont  beaucoup  plus  rares  qu'on  ne  le 

(1)  Le  côté  droit  est  considéré  par  les  musulmans  comme  le  côté  de  bon  augure. 
Voyez  le  Koran,  chapitre  LVI,  verset  26. 

(2)  La  pratique  des  accouchement*  ehex  les  peuples  primitifs.  J.  Baillière,  éditeur. 


170  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

croit  communément.  L'idée  fort  accréditée  qu'il  ne  faut  pas  contrarier 
les  désirs  ou  envies  (1)  des  femmes  enceintes,  contribue  pour 
beaucoup  à  les  faire  naître.  Mauvaise  excuse  pour  toutes  celles  qui 
profitent  de  cette  croyance  populaire  pour  remonter  leur  garde-robe, 
satisfaire  leurs  goûts  luxueux  et  même  commettre  des  vols  ou  des 
crimes  ! 

«  Une  idée  enracinée  en  Orient»,  dit  Zambaco,  «  c'est  que,  si  l'envie 
d'une  femme  grosse  excitée  par  la  vue,  par  l'odorat,  voire  même  par 
l'imagination,  n'est  pas  satisfaite  sur-le-champ,  une  fausse  couche, 
s'ensuivra.  Aussi  voit-on  le  mari  frapper  parfois  à  la  porte  du 
voisin  pour  demander  d'un  plat  dont  le  parfum  a  alléché  l'odorat  de 
sa  femme  enceinte  ».  Passe  encore  quand  il  ne  s'agit  que  d'une  gour- 
mandise à  satisfaire,  mais  rechercher,  comme  le  dernier  des  Canaques, 
de  la  chair  humaine,  voilà  qui  sort  des  bornes.  Or  le  fait  a  été  observé 
plusieurs  fois  :  Roderic  parle  d'une  femme  qui  voulait  manger 
l'épaule  d'un  boulanger,  son  voisin  (2).  Goulard  raconte  que,  dans 
un  village  voisin  d'Andernach,  sur  les  bords  du  Rhin,  une  paysanne 
enceinte  fut  éprise  d'une  telle  passion  pour  son  mari,  qu'elle  eut  la  fan- 
taisie de  le  manger  ;  elle  le  tua,  en  dévora  une  partie  et  sala  le  reste. 
C'est  le  comble  de  l'affection. 

Le  cas  du  savant  Canïerius,  célèbre  botaniste  du  XVIe  siècle, 
quoique  désagréable  fut  moins  grave;  sa  femme  étant  enceinte  et 
revenant  un  jour  du  marché  avec  des  œufs,  entre  dans  le  cabinet  de 
son  mari  en  soupirant;  celui-ci  attendri  lui  demande  quelle  est  sa 
peine  :  elle  avoue,  en  lui  montrant  les  œufs  qu'elle  vient  d'acheter, 
qu'elle  est  tourmentée  du  désir  irrésistible  de  les  lui  casser  l'un  après 
l'autre  sur  la  face.  Camerius  aimait  sa  femme,  et  craignant  les  suites 
d'un  refus,  il  s'enveloppa  le  visage,  et  la  laissa  faire  (fig.  78). 

De  même,  on  croit  généralement  que  de  vives  émotions  morales 
peuvent  exercer  sur  le  produit  de  la  conception  des  modifications 
organiques  plus  ou  moins  importantes.  C'est  ainsi  que  l'on  explique 
la  production  des  signes  et  des  taches  sur  le  corps  du  fœtus.  «  Ces 
taches,  dit  Bonnet,  sont  comme  les  nues  ;  on  y  trouve  tout  ce  qu'on 
y  cherche  ».  Ainsi,  le  spina-bifida  qui  siège  le  long  de  la  colonne  ver- 


(1)  UiTprofesseur  libre  d'accouchement,  un  peu  trop  libre  peut-être,  disait  à  l'un 
de  ses  cours  qu'en  fait  d'envies  chez  les  femmes  enceintes,  il  n'admettait  que  les 
envies  fréquentes  d'uriner. 

(2)',  C'est  sans  doute  de  la  même  personne  que  parlent  Langius  et  Donatus  qui 
assurent,  de  la  meilleure  foi  du  monde,  qu'une  dame  mit  au  monde  trois  enfants 
dont  un  était  mort,  parce  qu'un  boulanger,  après  s'être  laissé  mordre  par  elle  deux 
fois  à  l'épaule,  s'y  était  refusé  une  troisième.  (Lempereur.  Sur  la  mort  du  fœtus). 


ERREURS    ET    PREJUGES 


171 


tébrale  et  qui  résulte  d'un  arrêt  de  développement  de  celle-ci,  est 
généralement  attribué  à  une  envie  de  tomate. 


Fig.  7S.  —  Une  envie  de  la  femme  de  Camerius. 


S'il  est  vrai  qu'une  perturbation  morale  vive  a  pu  parfois  déterminer 


172  HISTOIRE    DES   AGCOUCHEMENTS 


chez  le  fœtus  une  anomalie  particulière,  telle  que  l'anencéphalie  cons- 
tatée par  Isidore-Geoffroy  Saint-IIilaire,  il  ne  faut  pas  rapporter  à  la 
môme  cause  tous  les  cas  de  monstruosités  humaines,  comme  on  tend 
trop  à  le  faire  dans  le  public.  Ce  qui  prouve  que  l'imagination  de  la 
mère  n'est  pour  rien  dans  la  production  des  difformités  fœtales  et  dans 
celle  des  taches  de  la  peau,  c'est  que,  d'une  part,  on  observe  des  ano- 
malies analogues  chez  les  plantes  et  chez  les  animaux,  veaux  à  deux 
têtes,  moutons  à  cinq  pattes,  becs-de-lièvre,  et  que,  d'autre  part,  le 
nombre  des  enfants  qui  naissent  avec  des  signes  ou  des  vices  de  con- 
formation est  relativement  très  restreint,  par  rapport  à  celui  des 
femmes  qui,  pendant  leur  grossesse,  ont  eu  des  peurs,  des  envies,  ou 
des  regards.  En  outre,  il  est  des  femmes  qui  donnent  le  jour  à  des 
monstres,  sans  avoir  éprouvé  aucune  impression  fâcheuse,  et  d'autres 
qui  accouchent  d'un  enfant  bien  conformé,  après  avoir  été  boule- 
versées par  une  forte  émotion. 

Enfin,  si  les  désirs  avaient  une  influence  certaine  sur  le  produit  de 
la  conception,  les  femmes  pourraient  à  leur  gré  engendrer  des  garçons 
ou  des  filles,  et  la  laideur  ainsi  que  la  bêtise  disparaîtraient  de  ce 
monde. 

Les  partisans  de  l'influence  morale  de  la  mère  sur  le  développe- 
ment des  difformités  fœtales-citent  plusieurs  exemples  qui  semblent 
plaider  en  faveur  de  leur  opinion.  On  connaît  l'histoire  des  trou- 
peaux de  Jacob.  La  Genèse  nous  apprend  qu'il  existait  entre  Laban 
et  Jacob  une  convention  par  laquelle  le  premier  aurait  tous  les 
agneaux  nés  d'une  seule  couleur,  et  le  dernier  ceux  qui  naîtraient 
tachetés.  Jacob  plaça  au  fond  des  vases,  où  les  brebis  en  rut  allaient 
boire,  des  petits  bâtons  dépouillés  par  endroits  de  leur  écorce.  Il  n'y 
a  pas  encore  bien  longtemps  qu'une  société  savante  a  conseillé  de 
teindre  en  blanc  ou  en  noir  la  toison  des  béliers,  avant  de  les  faire 
saillir,  pour  obtenir  des  chevreaux  de  l'une  ou  de  l'autre  couleur. 
Galien  parle  d'un  petit  homme  laid  et  bossu  qui,  craignant  d'avoir 
une  postérité  contrefaite,  plaça  près  de  son  lit  le  dessin  d'un  enfant 
bien  conformé  que  sa  femme  devait  fixer  dans  certaines  circonstances. 
Le  procédé  réussit  et  cette  dame  accoucha  d'un  enfant  qui  ressemblait 
au  portrait  qu'elle  avait  eu  devant  les  yeux.  Il  paraît  que  Denys, 
tyran  de  Syracuse,  fit  mettre  le  portrait  de  Jason  devant  Je  lit  de  sa 
femme  pour  que  son  enfant  eût  la  beauté  du  chef  des  Argonautes. 

On  a  attribué  la  mémoire  du  cardinal  du  Perron  à  l'envie  que  sa 
mère  avait  eu  d'une  bibliothèque  pendant  sa  grossesse.  Sterne  expli- 
que le  caractère  distrait  de  Tristram  Shandy  par  cette  circonstance 
que,  lorsqu'il  fut  conçu,  sa   mère  interrompit  l'auteur  de  ses  jours 


ERREURS    ET\PREJUGES 


173 


par  celte  exclamation    :  «  Je  crois,  mon  ami,  que  tu  as  oublié  de 
remonter  la  "pendule  ». 


Fig.  7D.  —  Une  femme  enceinte  vivement  impressionnée  à  la  vue  d'un  supplicié. 


A  Stockholm,  les  chasseurs  sont  obligés  d'envelopper  la  tête  des 


17  i  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


lièvres  qu'ils  ont  dans  leur  carnier,  de  peur  d'impressionner  les 
femmes  enceintes  et  de  donner  un  bec-de-lièvre  à  leur  enfant. 

Du  temps  de  Thomas  Brown,  on  croyait  qu'une  femme  grosse 
devait  éviter  la  vue  d'un  mort  dans  la  crainte  d'avoir  un  enfant 
livide.  Montaigne  rapporte,  dans  ses  Essais,  l'histoire  d'une  jeune 
fille  qui  fut  présentée  au  roi  de  Bohême  ;  elle  élait  «  toute  velue  et 
hérissée,  que  sa  mère  disoit  avoir  esté  ainsi  conçue  à  cause  d'une 
image  de  sainct  Jean-Baptiste  pendue  à  son  lict  ».  Malebranche  cite 
un  autre  exemple,  souvent  invoqué  par  les  partisans  de  l'influence  de 
l'imagination  maternelle  sur  le  fœtus  : 

«  Il  y  a  sept  ou  huit  ans  passés,  qu'on  vit  un  jeune  homme  à  l'hôpi- 
tal des  Incurables,  un  idiot,  dont  le  corps  élait  rompu  aux  mêmes 
endroits  où  l'on  rompt  les  criminels.  Il  a  vécu  vingt  ans  dans  cet  état, 
et  il  a  été  vu  de  plusieurs  personnes.  La  cause  d'un  malheur  si  terri- 
ble fut  que  sa  mère,  apprenant  qu'on  devait  rouer  un  criminel,  voulut 
en  voir  l'exécution  (fîg.  70).  Les  enfants  voient  ce  que  leurs  mères 
voient,  entendent  les  mêmes  cris  ;  ils  reçoiventles  mêmes  impressions 
des  objets  et  sont  émus  par  les  mêmes  passions.  Les  coups  qu'on 
donna  au  malfaiteur  frappèrent  l'imagination  de  la  mère,  et,  par  con- 
tre-coup, le  tendre  cerveau  de  l'enfant  dont  les  fibres,  no  pouvant 
résister  au  torrent  des  esprits,  furent  rompues.  C'est  pour  cette  raison 
qu'il  vint  au  monde  idiot.  Le  mouvement  impétueux  des  esprits  ani- 
maux de  la  mère  dilata  avec  force  son  cerveau  et  se  communiqua  aux 
diverses  parties  de  son  corps,  qui  répondaient  à  celles  du  criminel. 
Mais,  comme  les  os  de  la  mère  purent  résister  à  l'impétuosité  des 
esprits,  ils  ne  furent  point  blessés.  Peut-être  qu'elle  ne  sentit  point 
la  moindre  douleur  ;  mais  ce  cours  rapide  des  esprits  a  été  capable 
d'emporter  ou  de  briser  cette  tendre  partie  des  os  de  l'enfant.  Et  il 
faut  observer  que  si  cette  mère  eût  détourné  le  mouvement  des  esprits 
vers  quelque  autre  partie  de  son  corps,  en  se  chatouillant  avec  force 
le  derrière,  par  exemple,  son  enfant  n'aurait  point  eu  les  os  rompus.» 
Avis  aux  dames  enceintes  qui  auraient  la  fantaisie  d'assister  à  une 
de  ces  petites  fêtes  matinales  que  M.  de  Paris  offre  au  public  devant 
la  Pioquelte  :  elles  devront  «  se  chatouiller  avec  force  le  derrière  »  ou 
prier  un  voisin  complaisant  de  leur  rendre  ce  service,  sinon  leur  fruit 
pourrait  venir  la  tête  détachée  du  tronc.  Ajoutons,  d'ailleurs,  que 
Chaussier  a  pu  constater  sur  le  corps  d'un  nouveau-né  jusqu'à  treize 
fractures,  et  cependant  la  mère  n'avait  vu  rompre  les  os  d'aucun  cri- 
minel. 

Les  mutilations  spontanées  qu'on  rencontre  parfois  sur  les  mem- 
bres du  fœtus  à  sa  naissance,  ont  été  interprétées    en  faveur  des 


ERREURS   ET    PRÉJUGÉS  175 

influences  psychiques  de  la  mère  sur  le  produit  de  la  conception  : 
Une  femme  accouchée  par  le  docteur  Trepant,  de  Nesle,  le  10  juillet 
1879,  mit  au  monde  un  enfant  mâle  auquel  il  manquait  l'avant-bras 
gauche  ;  or,  étant  enceinte  de  deux  mois,  elle  fut  fort  épouvantée  d'un 
accident  arrivé,  en  sa  présence,  à  un  jeune  homme  qui  subit  l'ampu- 
tation de  l'avant-bras.  De  même,  une  princesse,  citée  par  Gaharliep, 
accoucha  d'un  manchot  parce  qu'elle  fut  saisie  d'effroi  en  voyant 
abattre,  d'un  coup  de  sabre,  la  main  d'un  homme.  Lavater  a  rap- 
porté un  exemple  semblable. 

On  a  voulu  aussi  donner  à  l'imagination  le  pouvoir  de  reproduire 
certaines  images  sur  le  corps  des  enfants.  Une  petite  fille,  née  à  Valen- 
ciennes,  l'an  III  de  la  République,  portait  sur  le  sein  gauche  la  figure 
du  bonnet  phrygien.  «  Cette  anomalie,  observe  I.-G.  Saint-Hilaire, 
n'a  rien  de  remarquable  en  elle-même  ;  mais  ce  qui  l'est  beaucoup, 
c'est  que  le  gouvernement  de  l'époque  crut  devoir  récompenser,  par 
une  pension  de  400  francs,  la  mère  assez  heureuse  pour  avoir  donné 
le  jour  à  une  enfant  parée  par  la  nature  elle-même  d'un  emblème 
révolutionnaire  !  » 

A.  Lempereur  (1)  cite  encore  de  nombreux  faits  d'altérations  du 
fœtus  dans  le  sein  maternel  : 

«  C'est  une  dévote  qui  porte  six  ans  un  fœtus  devenu  aussi  blanc  et 
aussi  dur  que  le  marbre,  parce  que,  dit  Hoffmann,  elle  s'était  oubliée 
trop  souvent  en  de  longues  extases  devant  un  séraphin  de  plâtre. 

«  C'est  une  italienne  qui  met  au  monde  un  enfant  pétrifié,  parce 
que,  étant  grosse,  elle  avait  un  goût  prononcé  pour  les  substances 
calcaires,  qu'elle  mangeait  en  toute  occasion. 

«  C'est  une  femme  qui  donne  le  jour  à  un  enfant  dont  le  côté  gauche 
était  ulcéré  et  saignant,  parce  que,  enceinte  de  quatre  mois,  elle  avait 
été  vivement  frappée  de  la  plaie  saignante  d'un  crucifix. 

«  C'en  est  une  autre  qui  accouche  de  deux  jumelles,  dorées  comme 
l'aurore,  après  avoir  pris  un  julep  au  safran. 

«  Une  autre,  mère  d'un  enfant  plus  noir  qu'un  corbeau,  parce 
qu'elle  avait  été  enveloppée  dans  l'explosion  d'une  poudrière. 

«  Le  Journal  dAllemagne  (t.  II,  obs.  149)  rapporte  l'histoire  d'un 
fœtus,  né  sans  épiderme,  parce  que  la  mère,  pendant  toute  sa  gros- 
sesse, ne  prenait  pour  aliment  que  des  acides  et  pour  boisson  que  du 
vinaigre. 

«  Segerus  trouve  naturelle  la  gangrène  d'un  fœtus  dont  la  mère 
avait  été  vivement  effrayée  par  un  terrible  incendie.  Etc.,  etc.  » 

(1)  Loc.  cit. 


17G  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Nous  pourrions  multiplier  à  l'infini  les  exemples  de  ce  genre;  mais 
quel  que  soit  leur  nombre,  nous  devons  les  considérer  comme  autant 
de  coïncidences  curieuses,  dont  le  véritable  caractère  a  été  méconnu. 


II.  —  SUR  LES  ACCOUCHEURS  ET  LES  SAGES-FEMMES 


Contestation  de  leur  utilité.  — A  quoi  bon  des  accoucheurs  ? 
En  trouve-t-on  chez  les  sauvages  ?  Les  animaux  ont-ils  imaginé  de 
confier  spécialement  à  l'un  d'eux  le  soin  de  délivrer  leurs  femelles? 
L'accouchement  n'est-il  pas  une  fonction  normale?  Laissez  faire  la 
nature  :  elle  est  plus  savante  que  le  plus  savant  de  vos  opérateurs! 

S'il  existe  encore  des  disciples  de  Jean-Jacques,  ils  auraient  là  belle 
matière  à  interrogations  indignées  et  à  exclamations  éloquentes.  As- 
surément nous  respectons  la  nature;  loin  de  nous,  comme  dit  un  hé- 
ros de  Labiche,  la  pensée  de  déverser  le  blâme  sur  cette  bonne  mère; 
mais  enfin  cette  bonne  mère  se  trompe  parfois  et  souvent  a  besoin 
d'aide.  En  ce  cas,  le  praticien  est  un  utile  compère.  Il  n'y  a  point 
d'accoucheurs  chez  les  Niams-Niams  ou  chez  les  Botocudos?  D'ac- 
coucheurs ayant  en  poche  diplôme  et  patente,  soit;  mais  il  y  a  la 
mère,  il  y  a  le  sorcier  ou  la  sorcière,  aides  à  la  main  souvent  brutale, 
mais  dont  les  soins,  si  malhabiles  qu'ils  puissent  être,  prouvent  qu'il 
n'est  pas  toujours  bon  d'abandonner  la  nature  à  elle-même. 

Demandez  aux  vétérinaires,  aux  artistes  de  village,  combien  de  fois 
ils  sont  appelés  à  délivrer  des  femelles  domestiques,  des  chèvres,  par 
exemple,  dont  le  chevreau  se  présente  souvent  de  travers.  Il  y  a  plus  : 
les  batraciens  n'ayant  pas  encore  leurs  entrées  chez  Sanfourche,  le 
vulgaire  crapaud  des  environs  de  Paris,  l'Alyte  accoucheur,  le  Bufo 
obstetricans,  accouche  lui-même  sa  femelle,  l'aide  à  se  débarrasser  de 
ses  œufs.  Mais  revenons  aux  vivipares  :  toutes  les  femelles  de  cet 
ordre,  bipèdes  et  quadrupèdes,  Australiennes  ou  Parisiennes,  chèvres 
angora  ou  lionnes  de  l'Atlas,  sont  exposées  à  périr  avec  leur  fruit,  si 
elles  ne  sont  pas  secourues  dans  les  présentations  vicieuses  ou  quand 
les  déformations  du  bassin  s'opposent  au  passage  du  fœtus.  Donc 
vive  l'obstétrique  et  les  suppôts  de  cet  art! 

Force  physique  et  conformation  des  mains.  —  Beaucoup 
s'imaginent  qu'une  grande  force  physiqueest  nécessaire  à  l'accoucheur. 
Certes,  une  bonne  constitution  est  utile  pour  résister  aux  fatigues  du 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  177 

métier;  passer  des  jours  et  des  nuits  auprès  de  personnes  exigeantes 
en  leur  double  qualité  de  femmes  et  de  malades,  veiller  au  milieu  des 
plaintes,  des  récriminations,  des  supplications,  des  invocations,  des 
malédictions,  suppose  une  vigoureuse  santé  de  corps  et  d'âme.  Mais 
on  ne  retire  pas  un  fœtus,  même  récalcitrant,  avec  les  efforts  d'Her- 
cule arrachant  un  chêne;  Milon  de  Crotone,  l'assommeur  olympique, 
eut  fait,  croyons-nous,  un  assez  médiocre  tocologue. 

Le  docteur  Payelle,  dans  sa  thèse  inaugurale,  signale  cet  autre 
préjugé  qui  exigerait  de  l'accoucheur  une  main  fine  et  de  longs  doigts. 
C'est  très  aristocratique,  mais  bien  inutile.  Notre  judicieux  confrère 
va  nous  le  prouver  d'une  façon  péremptoire  : 

«  Quand  à  ce  qui  est  de  la  grosseur  de  la  main,  dit-il,  que  les  dames 
ne  s'alarment  pas  trop  :  quel  que  soit  le  volume  de  la  main  de  l'accou- 
cheur, ce  volume  sera  toujours  moindre  que  celui  de  la  tête  de  l'en- 
fant. Que  les  passages  s'agrandissent  à  un  moment  plutôt  qu'à  un 
autre,  avant  ou  après,  c'est,  à  mon  avis,  chose  assez  indifférente... 
La  longueur  des  doigts!  L'accoucheur  n'est  pas  nécessairement  un 
pianiste,  et,  du  reste,  quand  la  main  est  entrée,  il  est  à  croire  que  les 
doigts  seront  toujours  assez  longs  et  effilés.  » 

Préférence  accordée  aux  sages-femmes.  —  Nous  ne  mé- 
dirons pas  de  la  pudeur;  la  pudeur  est  à  la  vertu  de  la  femme  ce  que 
son  langage  est  à  sa  pensée;  son  langage  nous  trompe  souvent  sur  sa 
pensée,  et  ce  qu'elle  appelle  sa  pudeur,  sur  sa  vertu.  Mais  enfin,  cette 
hypocrisie  séduit  les  hommes  jusqu'à  ce  que,  une  fois  séduits,  ils 
exigent  son  oubli.  Faut-il  cependant  qu'un  sentiment  tout  artificiel 
fasse  négliger  à  la  femme  le  soin  de  sa  vie  ?  Perdre  ce  qu'on  ne  re- 
trouve jamais  pour  sauver  ce  qu'on  oublie  souvent,  nous  paraît  être 
un  franc  marché  de  dupe.  C'est  pourtant  celui  que  chaque  jour  nous 
voyons  conclure  à  ces  femmes  qui,  pour  accoucher,  ont  recours  aux 
personnes  de  leur  sexe.  C'est  un  préjugé  qui  tombe;  mais  jadis  il 
allait  fort  loin  :  un  certain  Hecquet  l'encouragea  même  dans  un  opus- 
cule que  nous  reproduirons  plus  tard  et  qui  est  intitulé  :  De  l'indé- 
cence aux  hommes  d'accoucher  les  femmes.  On  aurait  pu  lui  répondre 
par  un  traité  :  De  V impertinence  aux  femmes  d'accoucher  leurs  sem- 
blables. 11  n'est  certes  pas  impossible  de  trouver  des  sages-femmes 
capables  et  prudentes;  mais  aussi  combien  sont  ignorantes  et  par 
cela  même  téméraires  !  Et  ce  sont  précisément  ces  dernières  qui,  par 
leur  assurance,  savent  capter  la  confiance;  ce  sont  elles  qui  sont 
dangereuses.  Une  intervention  étrangère  est-elle  nécessaire?  Espé- 
rant tirer  profit  et  honneur  de  la  difficulté  qu'elles  cherchent  inutile- 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS.  12 


178  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


ment  à  vaincre  et  dont  elles  ignorent  la  gravité,  elles  tardent  le  plus 
longtemps  possible  à  demander  du  secours,  et  quand  elles  se  résignent 
à  le  faire,  souvent  il  est  trop  tard  et  pour  l'enfant  et  pour  la  mère. 
«  La  pudeur  »,  dit  fort  bien  Trousseau,  «  tue  plus  de  femmes  qu'elle 
n'en  sauve  ». 

P.  J.  Proudhon,  avec  sa  logique  brutale,  traite  ce  môme  sujet  dans 
sa  Pornocratie  :  «  Dès  l'instant,  »  écrit  le  penseur  jurassien,  «  que 
les  femmes,  dans  une  société  parvenue  à  un  haut  degré  de  civilisa- 
tion, ne  peuvent  plus  s'accoucher  toutes  seules,  comme  faisaient  les 
femmes  des  Hébreux  en  Egypte,  et  comme  le  font  encore  aujourd'hui 
toutes  les  négresses  et  sauvagesses  ;  dès  l'instant  que,  par  le  déve- 
loppement de  la  sensibilité  nerveuse,  l'accouchement  est  devenu  un 
cas  pathologique,  il  vaut  mieux,  dans  l'intérêt  même  de  l'honnêteté 
publique,  appeler  le  médecin,  que  faire  instruire,  dans  cette  science 
scabreuse,  de  jeunes  paysannes.  Entre  le  médecin  et  la  femme  en 
couche,  entourée  de  son  mari  et  des  siens,  la  pudeur  n'est  pas  plus 
intéressée  qu'entre  le  soldat  blessé  et  la  sœur  de  charité.  Allez-vous 
donc  aussi,  sous  prétexte  de  pudeur,  chasser  les  femmes  des  hôpitaux? 
Non,  non  :  la  femme,  comme  le  médecin,  est  à  son  poste  au  lit  du 
malade;  devant  le  péril,  la  pudeur  se  retire  sous  l'aile  de  la  charité. 
Le  dévouement  seul  ici  se  montre  :  dévouement  de  l'homme  envers 
la  femme,  dévouement  de  la  femme  envers  l'homme.  C'est  la  loi  du 
mariage  qui  gouverne  ici,  loi  que  votre  fausse  pudeur  ne  comprend 
pas.  Quant  à  moi,  je  vous  le  déclare,  je  préfère  mille  fois,  pour  la 
morale  publique  et  pour  la  morale  domestique,  lerisquedudocLeurà 
celui  des  accoucheuses,  mêmes  jurées  ». 


III.  —  sur  l'accouchement 


A.  —   AVANT  LE  TRAVAIL 

Sur  l'époque  de  l'accouchement.  —  1°  Naissances  tar- 
dives. —  L'expulsion  du  fœtus  a  lieu  d'ordinaire  vers  la  fin  du  neu- 
vième mois  ;  mais  pour  éviter  toute  cause  d'erreur,  notre  jurispru- 
dence a  établi  la  limite  des  naissances  tardives  au  trois  centième  jour 
ou  dixième  mois.  Quoique  ce  terme,  fixé  par  la  loi,  soit  déjà  une 
exception,  on  croit  cependant  qu'il  peut  être  encore  dépassé.  Laurent 
Joubert,  médecin  du  XVIe  siècle,  s'élevant  contre  les  préjugés  de  son 
temps,  n'a  pas  craint  d'écrire  ce  qui  suit  : 


ERREURS    ET   PRÉJUGÉS  179 

«  Puisque  la  diversité  des  complexions  est  si  grande  an  l'homme  et 
non  ez  autres  animaus,  il  ne  se  faut  ébaïr,  que  l'homme  n'ayt  au- 
cune saison  limitée  à  faire  l'amour,  ny  aucun  terme  à  porter  les  an- 
fans,  comme  les  autres  animaus  ont  le  tout  limité.  Et  quant  au  port 
de  la  groisse,  le  divers  terme  est  de  la  diversité  des  complexions, 
tant  de  l'anfant  conçeu  que  de  la  mère.  Car  il  y  a  desanfans  de  grand 
éclappe  et  corpulance,  qui  requièrent  plus  de  seiour  de  leur  matu- 
rité, comme  dit  Aristote  des  éléphans,  qui  ont  besoin  de  seiourner 
deux  ans  dans  la  matrice  pour  leur  grand'  corpulance.  Les  jumans 
pour  mesme  raison  portent  douze  mois,  et  les  anesses  aussi.  Il  me 
souvient  de  la  matrone  qui  persuada  à  un  Florantin  (ainsi  qu'il  est 
écrit  au  livre  des  ioyeuses  avantures)  duquel  la  famé  étoit  accouchée 
douze  moys  après  qu'il  ne  l'avoit  cognue,  que  si  une  famé  voit  un 
une  le  iour  qu'elle  ha  conçeu,  elle  portera  autant  de  tems  que  fait 
l'ànesse...  Ainsi  (pour  revenir  à  mon  propos)  un  gros  fruit  n'est  si 
tost  meur  qu'un  petit...  Ainsi  voit-on  conlmunémant  les  filhes  venir 
iusques  au  bout  du  mois  neuvième  et  les  fils  naître  au  commencemant 
et  aatrée  du  mois,  car  la  complexion  chaude  sert  à  la  prompte  matu- 
rité, la  froide  et  humide  est  plus  tard  meure.  » 

Rabelais,  médecin  lui  aussi,  mais  peu  crédule  de  nature,  se  montre 
au  contraire  fort  sceptique  à  l'endroit  de  ces  termes  prolongés  de  la 
grossesse.  Il  faut  lire  le  chapitre  III  du  Gargantua  :  «  En  son  eage 
virile,  Grandgousier  espousa  Gargamelle,  fille  du  roy  des  Parpaillos, 
belle  gouge  et  de  bonne  troigne.  Et  faisoient  eux  deux  souvent  en- 
semble la  beste  à  deux  doz,  ioyeusement  se  frotans  leur  lard,  tant 
qu'elle  engroissa  d'un  beaufilz  et  le  porta  iusques  à  l'unziesmemoys. 

«  Car  autant,  voire  d'advantage,  peuvent  les  femmes  ventre  porter, 
mesmement  quand  c'est  quelque  chef  d'œuvre,  et  personnage  qui 
doibve  en  son  temps  faire  grandes  prouesses.  Comme  dict  Homère 
que  l'enfant  duquel  Neptune  engroissa  la  nymphe  nasquit  l'an  après 
révolu  :  ce  fut  le  douziesme  moys.  Car  (comme  dict  A.  Gelle)  ce  long- 
temps convenoit  à  la  maiesté  de  Neptune,  affin  qu'en  icelluy  l'enfant 
feust  formé  à  perfection.. .  Messieurs  les  anciens  Pantagruelistesont 
conformé  ce  que  ie  dis,  et  ontdéclairé  non  seulement  possible,  mais 
aussi  légitime,  l'enfant  né  de  femme  l'unziesme  moys  depuis  la  mort 
de  son  mary.  »  Après  avoir  cité  Hippocrate,  Pline,  Aristote  «  et  mille 
autres  folz,  le  nombre  desquelz  a  esté  acreu  par  les  légistes  »  il 
ajoute  :  «  Moiennans  lesquelles  loys,  les  femmes  vcufes  peuvent 
franchement  iouer  du  serrecropière  à  tous  enviz  et  toutes  restes,  deux 
moys  après  le  trespas  de  leurs  mariz  ».  L'austère  madame  de  Main- 
tenon  songeait-elle  au  passage  de  Rabelais,  quand  elle  écrivait  à 


180  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

M.  d'Aubigné,  son  frère:  «  Consolez-vous  du  retardement  des  couches 
de  madame  d'Aubigné  ;  les  héros  sont  au  moins  de  dix  mois  dans  le 
sein  de  leur  mère  ». 

L'empereur  Adrien  reconnut  comme  héritier  légal  un  enfant  né 
onze  mois  après  le  décès  du  mari  (1).  Lucius  Papirius,  préteur  ro- 
main, d'après  Pline,  adjugea  aussi  une  succession  à  un  enfant  que 
sa  mère  disait  avoir  porté  treize  mois  dans  son  sein.  «  Mais,  »  fait  ob- 
server à  ce  sujet  Jacques  Duval,  «  telles  portées  sont  rares  et  plus 
propres  aux  femelles  des  éléphans  qui  engendrent  de  grosses  bestes, 
qu'aux  femmes.  Ce  que  j'estime  fort  sujet  à  caution,  aussi  bien  comme 
ce  qui  nous  est  raporté  par  Joubert,  de  ceux  qui  ont  eu  enfans  vivans 
aux  cinquième  et  sixième  mois,  et  ce  que  raconte  Avicène  qu'une 
femme  avoit  enfanté  à  quatorze  mois.  Ce  qui  doit  estre  conté  entre 
les  rares  événements,  qui  sont  plus  tost  pour  aider  à  favoriser  celles 
qui  auroient  emprunté  mal  à  propos  un  pain  sur  la  fournée,  ou  qui 
voudroient  livrer  la  vache  èmprainte,  comme  il  se  dit  en  commun 
proverbe  ;  et  les  jeunes  veufves,  qui  auroient  fait  un  coup  d'essay, 
avec  ceux  qu'elles  désirent  par  après  espouser  que  pour  en  tirer  con- 
séquence de  loy  générale  ». 

La  jurisprudence  musulmane,  Si  Khelil,  est  encore  plus  libérale 
que  celle  des  anciens  Romains,  puisqu'elle  admet  le  terme  de  cinq 
ans  comme  maximum  de  durée  possible  de  la  gestation  ;  il  est  vrai 
que  ce  terme  a  été  constesté  par  nombre  de  légistes.  Qu'auraient-ils 
dit  de  celui  de  dix  ans  que  proposait,  comme  très  possible,  sinon  comme 
très  probable,  un  certain  Niconitius,  du  XVI0  siècle,  dans  une  thèse 
dont  voici  le  titre  :  Bis  centum  et  vigenti  quatuor  rationes  dubitandî, 
seu  argumenta  unius  loci,  sed  plurium  auctoritatibus  non  scriptis 
alibi  comprobata,  quïbus  videbatur  fdium  natum  ex  uxore,  absente 
marito  per  decennium,  esse  legitimum  (Cracovie,  1541).  Il  prétendait 
y  montrer  par  deux  cent  vingt-quatre  bonnes  raisons  qu'un  enfant 
né  après  dix  ans  d'absence  du  mari  était  parfaitement  légitime,  ou 
tout  au  moins  qu'il  y  avait  lieu  d'hésiter  avant  de  se  prononcer  pour 
la  négative.  La  thèse  porte  pour  épigraphe  :  Incivile  est  non  tota  lege 
perspecta  judicare  :  «  il  est  déshonnêle  de  porter  un  jugement  sans 
bien  examiner  toute  la  loi  ».  L'éditeur  a  eu  le  bon  esprit  d'ajouter 
cette  dédicace  aux  épouses  : 

Clemens  Janicius. 

AD  UXOIIES 

(1)  Nous  donnerons  l'opinion  des  Anciens  sur  les  naissances  tardives  et  précoces 
au  chapitre  des  Mœurs  et  Usages. 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  181 


Conjugum  adulteria  prohibet  Niconitius,  at  vos 

Jam  lapsas  magno  protegit  ingenio  : 
Talem  et  tam  doctum  vobis  nec  prisca  tulerunt 

Sœcula  patronem,  neque  futura  dabunt. 

Niconitius  défend  aux  épouses  l'adultère,  mais  vous 
Qui  avez  failli  spirituellement  il  vous  encourage: 

Tel  ni  si  docte  avocat  ne  vous  donnèrent 
Les  siècles  passés,  les  siècles  futurs  ne  vous  en  donneront  pas. 

A  la  même  espèce  de  mystification  appartient  un  prétendu  arrêt 
rendu  en  1327  par  le  Parlement  de  Grenoble,  mais  dont  on  ne  connut 
l'existence  qu'au  XVIIe  siècle.  L'arrêt  est  assez  curieux  pour  que 
nous  en  donnions  la  teneur  complète  : 

ARRÊT  DU  PARLEMENT  DE  GRENOBLE 

Donné  au  iwofit  d'une  dame  qui  fit  un  enfant  en  l'absence  de  son 
mari,  et  sans  avoir  eu  connaissance  d'aucun  homme. 

Entre  Adrien  de  Montléon,  seigneur  de  la  Forge  et  Charles  de  Mont- 
léon,  écuyer,  seigneur  de  Bourglemont,  gentilhomme  ordinaire  de  la 
chambre  du  roi,  appelants  et  demandeurs  en  requête  du  26  octobre, 
tendant  à  ce  qu'il  fut  dit  que  l'enfant  duquel  était  alors  enceinte  Made- 
leine d'Auvermont,  épouse  de  Jérôme  de  Montléon,  seigneur  d'Aigue- 
mère,  fût  déclaré  illégitime  d'icelui  seigneur  son  mari  ;  et  qu'en  cefaisant, 
lesdits  appelants  et  demandeurs  seraient  déclarés  seuls  héritiers  et 
habiles  à  succéder  audit  sieur  d'Aiguemère,  d'une  part; 

Et  ladite  Madeleine  d'Auvermont,  intimée  et  défenderesse  à  l'inter- 
vention de  ladite  requête,  d'autre  part  ; 

Et  encore  Claude  d'Auvermont,  écuyer,  seigneur  de  Marsaigne, 
tuteur  d'Emmanuel,  jeune  enfant  depuis  né,  etc  ; 

Vu  les  pièces  de  production  et  sentence  dont  il  est  appel;  vu  les 
requêtes  desdits  de  la  Forge  de  Bourglemont,  contenant  entre  autres 
choses,  qu'il  y  a  plus  de  quatre  ans  que  ledit  seigneur  d'Aiguemère  n'a 
connu  charnellement  ladite  dame  Madeleine  d'Auvermont  son  épouse, 
ayant  icelui  sieur  son  mari,  en  qualité  de  capitaine  de  chevau-légers, 
servi  au  régiment  du  Cressensault  ; 

Vu  les  défenses  de  ladite  dame  d'Auvermont,  au  bas  desquelles  est 
son  affirmation  faite  en  justice,  par-devant  Mélinot,  greffier  en  cette 
cour,  soutenant  qu'encore  que  véritablement  ledit  d'Aiguemère  n'ait 
été  de  retour  d'Allemagne  et  ne  l'ait  vue  ni  connue  charnellement 
depuis  quatre  ans,  néanmoins  que  la  vérité  est  telle,  que  ladite  dame 


18'2  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

d'Auvermont  s'étant  imaginé  en  songe  la  personne  et  l'attouchement 
dudit  sieur  d'Aiguemère  son  mari,  elle  reçut  les  mêmes  sentiments  de 
conception  et  de  grossesse  qu'elle  eût  pu  recevoir  en  sa  présence;  affir- 
mant, depuis  l'absence  de  son  mari,  pendant  les  quatre  ans,  n'avoir  eu 
aucune  compagnie  d'homme  et  avoir  pourtant  conçu  et  enfanté  ledit 
Emmanuel  ;  ce  qu'elle  croit  être  advenu  parla  seule  force  de  son  imagi- 
nation; et  pourtant,  demande  réparation  d'honneur  avec  dépens, 
dommages  et  intérêts  ; 

Vu  encore  l'information  en  laquelle  ont  déposé  dame  Elisabeth 
d'Ailbriche,  épouse  du  sieur  Louis  do  Pontrinal,  sieur  de  Boulagne  ; 

Dame  Louise  de  Nacarcl,  épouse  de  Charles  d'Albert,  écuyer,  sieur 
de  Vinages  ; 

Marie  de  Salles,  veuve  de  Louis  CransauL  écuyer,  seigneur  de 
Vernouf; 

Et  Germaine  d'Orgeval,  veuve  de  feu  Louis  d'Aumont,  en  son  vivant 
conseiller  du  roi  et  trésorier  général  de  la  chambre  des  comptes  ; 

Par  la  déposition  desquelles  il  résulte  qu'au  temps  ordinaire  de  la 
conception,,  avant  la  naissance  dudit  Emmanuel,  ladite  dame  d'Auver- 
mont, épouse  du  sieur  d'Aiguemère,  leur  déclara  qu'elle  avait  eu 
lesdits  sentiments  et  signes  de  grossesse,  sans  avoir  eu  compagnie 
d'homme,  mais  après  l'effort  d'une  imagination  de  l'attouchement  de  son 
mari,  et  qu'elle  s'était  formée  en  songe  ; 

Ladite  déposition  contenant  en  outre  que  tel  accident  peut  arriver 
aux  femmes,  qu'en  elles-mêmes  telles  choses  leur  sont  advenues,  et 
qu'elles  ont  conçu  des  enfants  dont  elles  sont  heureusement  accouchées, 
lesquels  provenaient  de  certaines  conjonctions  imaginaires  avec  leurs 
maris  absents,  et  non  de  véritable  copulation  ; 

Vu  l'attestation  de  Guillemette  Garnier,  Louise  d'Artault,  Perette 
Chauffage  et  Marie  Leimant  matrones  et  sages-femmes,  contenant  leurs 
avis  et  raisons  sur  le  fait  que  dessus  ; 

Lecture  faite  aussi  du  certificat  en  attestation  de  Denis  Sardine, 
Pierre  Méraupe,  Jacques  Gaffié,  Jérôme  de  Revisin  et  Léonor  de  Belle- 
val,  médecins; 

•  Informations  faites  à  la  requête  du  procureur  général;  —  tout  consi- 
déré ; 

La  Cour,  ayant  égard  aux  informations  desdites  femmes  et  médecins 
dénommés,  a  débouté  et  déboute  lesdits  de  la  Forge  et  Bourglemont  de 
leur  requête  ; 

Ordonne  que  ledit  Emmanuel  est  et  sera  déclaré  fils  légitime  et  vrai 
héritier  dudit  seigneur  d'Aiguemère  ; 

Et  ce  faisant,  ladite  Cour  a  condamné  lesdits  sieurs  de  la  Forge  et 
Bourglemont  a  tenir  ladite  d'Auvermont  pour  femme  de  bien  et  d'hon- 
neur, dont  ils  lui  donneront  acte  après  la  signification  du  présent 
arrêt,  etc. 

Fait  en  Parlement,  le  13  février  1327. 


ERREURS   ET  PRÉJUGÉS  183 

Tallemant  des  Réaux  altribue  cette  supercherie  à  un  nommé  Sau- 
vage qui  vivait  au  commencement  du  XVIIe  siècle  et  se  plaisait  à 
donner  pour  vrais  les  faits  les  plus  extraordinaires.  «  De  Bruxelles», 
dit  Tallemant,  «  il  envoyait  des  gazettes  pleines  de  chimères  pour 
contrecarrer  celles  de  Théophraste  Renaudot  ».  Son  arrêt  de  Grenoble 
fît  grand  bruit;  il  y  eut  information  du  Procureur  général  du  Parle- 
ment de  Paris;  le  Parlement  de  Grenoble  s'indigna,  instruisit  l'affaire 
et  par  un  autre  arrêt  longuement  motivé  déclara  celui  du  13  février 
1327  «  faux,  supposé,  calomnieux  et  injurieux  à  son  honneur  ;  ordonna 
que  la  copie  imprimée  du  dit  Arrêt  serait  remise  entre  les  mains  de 
l'exécuteur  de  la  haute  justice  pour  être  par  lui  biffée  et  lacérée,  et  les 
pièces  jetées  au  feu  et  brûlées  devant  la  grande  porte  du  Palais,  dans 
là  Place  publique  de  Saint-André  ;  fit  défense  de  l'imprimer,  l'exposer 
en  vente  ni  l'acheter  sous  peine  de  la  vie;  commit  tous  conseillers, 
juges  royaux  etf>résidiaux  de  son  ressort,  et  le  prévôt  des  marchants, 
pour  informer  contre  les  auteurs,  inventeurs  et  ceux  qui  avaient  donné 
cours  au  dit  Arrêt,  pour  tous  genres  de  peines,  même  par  monitoire, 
pour  saisir  les  coupables  et  les  empri&onner.  »  Beaucoup  de  bruit 
pour  peu  de  chose,  en  somme. 

Primerose  explique,  à  sa  façon,  comment  un  accouchement  peut  être 
retardé  jusqu'à  onze  mois.  «  C'est»,  dit-il,  «  parce  que  le  mari  re- 
tourne trop  à  sa  femme  déjà  grosse  :  en  quoy  il  ne  fait  que  gâter  la 
besogne,  comme  qui  remueroit  la  terre  quelques  jours  après  que  les 
graines  commencent  à  germer,  auxquelles  il  faut  du  temps  après 
pour  reprendre  racine,  afin  de  vivre  et  profiter  de  nouveau.  Ainsi, 
l'enfant  qui  aura  été  secoué  naîtra  plus  tard.  » 

Au  dix-huitième  siècle,  une  vive  polémique  s'éleva,  entre  les  mé« 
decins,  sur  la  légitimité  des  naissances  tardives,  au  sujet  d'un  cas; 
cependant  peu  douteux,  rapporté  par  Antoine  Louis  dans  son  Mé- 
moire (1)  : 

Charles  étoit  né  le  15  janvier  1687.  Il  avoit  72  ans  passés  lorsqu'il 
épousa  au  commencement  de  l'année  1759,  Renée  qui  étoit  jeune,  d'en- 
viron 30  ans,  et  dont  il  n'a  point  eu  d'enfans  pendant  près  de  quatre  ans 
que  leur  mariage  a  duré. 

Il  tomba  malade  la  nuit  du  7  au  8  octobre  1762.  Sa  maladie  commença 
par  une  fièvre  et  Une  oppression  violente  qui  n'ont  pas  cessé  jusqu'à  sa 
mort. 

L'oppression  étoit  si  forte  qu'il  fut  toujours  assis  clans  son  lit,  ne  pou- 
vant tenir  dans  une  autre  situation,  et  disant  à  ses  gardes  de  ne  pas  le 

(1)  Mémoire  contre  la  légitimité  des  naissances  prétendues  tardvoes,  17G1. 


184  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

laisser  dormir,  dans  la  crainte  où  il  étoit  d'être  suffoqué;  il  n'avoit  pas 
la  force  de  se  mettre  à  genoux  sur  son  lit  pour  le  premier  des  besoins; 
on  lui  passoit,  avec  peine,  le  vase  nécessaire  aux  malades  les  plus 
affoiblis;  ses  gardes  ne  le  quittoient  ni  jour  ni  nuit. 

Il  avoit  un  pied  et  une  partie  de  la  jambe  gangrenés  dès  le  21  oc- 
tobre :  gangrène  sèche  et  point  accidentelle.  Dès  le  12,  il  sentit  à  cette 
jambe  une  douleur  vive  et  un  grand  froid,  mais  ne  la  voulut  montrer  aux 
médecins  que  le  21.  Ce  jour  on  lui  entailloit  le  pied  sans  qu'il  s'en  aper- 
çut. Les  médecins  et  chirurgiens  opinèrent  à  l'amputation;  son  état  de 
foiblesse  et  de  dissolution  totale  s'y  opposa.  On  considéra  qu'il  lui  seroit 
impossible  de  soutenir  cette  opération  ;  et  qu'en  la  faisant,  on  ne  feroit 
qu'avancer  la  fin  par  un  tourment  inutile. 

Il  fit  un  testament,  par  lequel  il  pria  un  magistrat,  proche  parent  d'un 
de  ses  héritiers  collatéraux,  d'assister  au  prisage  qui  seroit  fait  entre 
eux  de  son  argent  et  de  son  argenterie;  preuve  de  la  persuasion  de  ne 
point  laisser  d'héritiers  directs. 

Renée  sa  femme  ne  couchoit  point  dans  sa  chambre,  et  il  n'eut  pas 
même  été  possible  qu'elle  y  couchât  :  cette  chambre  se  ressentoit  du 
genre  de  la  maladie  :  on  y  respiroit  une  odeur  insupportable,  au  point 
queJe  médecin,  le  chirurgien?  l'apoticaire  et  les  gardes  étoient  obligés 
de  tenir  très  souvent  les  fenêtres  ouvertes. 

La  gangrène,  l'oppression  et  la  fièvre  ne  cessèrent  pas  de  faire  des 
progrès  jusqu'au  17  novembre  qu'il  mourut,  environ  les  deux  heures  de 
l'après-midi,  âgé  de  76  ans. 

Plus  de  trois  mois  et  demi  après  sa  mort,  Renée  sa  veuve  témoigna 
des  doutes  de  grossesse,  sans  pourtant  vouloir  déclarer  l'époque  qu'elle 
entendoit  donner  à  cette  grossesse,  et  sans  permettre  qu'on  la  visitât. 

Les  héritiers  collatéraux  nommèrent  un  médecin  et  un  chirurgien 
pour  être  les  surveillans  de  son  état,  lui  rendre  des  visites,  et  assister 
à  l'accouchement  si  aucun  arrivait. 

Cet  accouchement  est  arrivé  en  effet  ;  mais  n'est  arrivé  que  le  3  oc- 
tobre 1763.  Renée  en  ressentit  les  premières  douleurs  à  sept  heures  du 
matin;  les  grandes  ne  commencèrent  qu'à  onze  heures,  et  environ  à 
midi  elle  mit  au  monde  un  enfant  mâle,  bien  constitué,  dans  l'état  ordi- 
naire d'un  enfant  de  neuf  mois.  Ces  faits  sont  prouvés  par  le  procès- 
verbal. 

Jusqu'à  ce  moment  elle  n'avoit  eu  aucunes  douleurs  qui  annonçassent 
un  accouchement;  le  sien  a  été  facile,  et  il  n'y  a  aucun  signe  qui  puisse 
faire  présumer  que  l'ordre  de  la  nature  ait  été  troublé  ni  retardé  dans 
ses  opérations. 

Or,  à  compter  du  8  octobre  1762,  jour  de  la  maladie  de  Charles,  jus- 
qu'au 3  octobre  1763,  jour  de  l'accouchement  inclusivement,  il  y  a  un 
an  moins  quatre  jours. 

Il  y  a  onze  mois  et  demi  depuis  le  21  octobre,  jour  que  la  gangrène  se 
manifesta. 


ERREURS    ET    PRÉJUGÉS  185 

Et  à  compter  du  jour  de  la  mort  seulement,  il  y  a  dix  mois  dix-sept 
jours,  sans  accident,  sans  douleurs,  sans  aucune  circonstance,  dont  on 
puisse  induire  que  la  grossesse  a  pu  être  naturellement  d'une  durée 
beaucoup  plus  longue  que  les  grossesses  ordinaires. 

Sur  cet  exposé,  on  demande  si  l'enfant  de  Renée  doit  être  réputé  l'en- 
fant légitime  de  Charles. 

Antoine  Louis  conclut  par  la  négative.  Aussitôt  de  nombreux  pam- 
phlets protestèrent  contre  ses  conclusions  si  judicieuses.  La  jeune 
Renée,  cause  de  tout  ce  bruit,  devait  se  faire  des  gorges  chaudes,  en 
entendant  ses  défenseurs,  qui  n'étaient  pas  les  premiers  venus  (1), 
accepter  les  accouchements  à  onze  mois  et  au  delà, 

Un  partisan  des  naissances  tardives,  Panenc,  docteur  en  médecine 
établi  à  Aix,  en  Provence,  écrivit  à  Chomel  une  lettre,  datée  du 
23  mai  1764,  où  il  dit  avec  conviction  :  «  Je  pense  qu'il  est  très  pos- 
sible que  l'enfant  soit  légitime,  quoique  né  dix  mois  et  demi  après  la 
mort  du  père.  Ma  femme  portoit  ses  garçons  pendant  neuf  mois  com- 
plets, et  les  filles  jusqu'au  dixième  et  même  au  delà.  Cette  observation 
a  été  toujours  constante  et  la  même, dans  sept  différentes  grossesses; 
sçavoir  de  trois  garçons  et  de  quatre  filles  ». 

2°  Naissances  précoces.  —  Pour  éviter  toute  cause  d'erreur, 
la  loi  a  établi  la  limite  des  naissances  précoces  au  cent-quatre-ving- 
tième jour  ou  sixième  mois;  mais  c'est  l'exception.  On  cite,  comme 
exemples  curieux,  le  maréchal  de  Richelieu  et  lé  philosophe  Fortunio 
Liceli  qui  naquirent  à  six  mois,  ce  qui  n'empêcha  pas  le  premier  de 
vivre  jusqu'à  92  ans  et  le  second  de  mourir  à  80.  Livia,  femme  d'Au- 
guste, vint  aussi,  dit-on,  à  six  mois. 

Au  sujet  des  naissances  prématurées,  il  existe  un  préjugé  singulier  : 
On  croit  qu'un  enfant  né  à  huit  mois  est  moins  bien  conformé  et  offre 
moins  de  chances  de  vie  que  s'il  était  né  à  sept  mois  seulement. 
«  Quant  au  huctième  »,  dit  Jacques  Duval,  «  il  n'est  réputé  vital  et 
salutaire  en  l'Europe  ».  C'est  une  erreur  ;  plus  l'enfant  est  développé, 
plus  nombreuses  sont  ses  chances  de  vivre.  Il  est  utile  de  combattre 
cette  croyance  populaire  ;  elle  pourrait  faire  négliger  de  donner  les 
soins  nécessaires  à  un  enfant  chétif  venu  à  huit  mois. 

Depuis  quelques  années,  à  la  Maternité  de  Paris,  on  place  les  en- 
fants venus  avant  terme  dans  un  appareil  spécial  que  l'on  appelle  la 
couveuse  pour  enfants  ;  nous  reproduisons  dans  les  figures  80,  81,  82, 

(1)  A.  Petit,  Renard,  Chomel,  Bellestre,  Gervais,  Moreau,  Dufouart,  Tenon,  etc. 


18G 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


le  modèle  du  docteur  Auvard.  Déjà  Fortunio  Liceti,  dont  le  père 


Fig.  80.   —  Couveuse  pour  enfants. 

h,b.  Boutons  qui  servent  à  enlever  le  couvercle  V.  —  H.  Orifice  de  sortie  de  l'air,  auquel  est  fixé 
un  tube  muni  d'une  hélice.  —  M.  Boule  d'eau  chaude  destinée  au  chauffage.  —  0.  Voie  d'in- 
troduction des  boules  d'eau  chaude  dans  l'étage  inférieur.  —  T.  Ouverture  obturée  par  une 
porte  incomplète  qui  pormet  le  passage  permanent  d'une  certaine  quantité  d'air.  —  V.  Couvercle 
vitré  fermant  l'étage  supérieur  et  que  l'on  ouvre  pour  retirer  l'enfant  ou  quand  la  température 
intérieure  est  trop  élevée. 


Fig.  81.  —  Coupe  de  la  couveuse. 

A.  voir  II  de  la  figure  80.  —  b,  b.  M.  T.  V.  Voir  explications  à  la  fig.  80.  —  E.  Kponge  imbibée 
d'eau  pour  humidifier  l'air,  placée  dans  l'ouverture  de  communication  des  doux  compartiments. 
Un  thermomètre  est  aussi  placé  dans  l'étage  supérieur  pour  maintenir  la  température  entre  31  et 
32.  —  P.  Cloison  horizontale  incomplète  qui  divise  la  boite  en  deux  étages  et  sur  laquelle  repose 
le  nouveau-né. 


ERREURS    ET    PRÉJUGÉS  187 

était  médecin  à  Gênes,  avait  été  élevé,  pendant  trois  mois,  jusqu'à 
ce  qu'il  fut  à  terme,  dans  un  four,  où  l'on  entretenait  une  chaleur 
modérée  et  uniforme. 


Fig.  S2.  —  Boule  d'eau  chaude  en  grès,  ou  moine. 

Coupe  des  cheveux.  —  Le  chirurgien  Antoine  Petit  a  beau- 
coup contribué  à  propager,  parmi  les  femmes,  une  coutume  baroque, 
celle  de  se  faire  couper  les  cheveux  avant  l'accouchement,  et  cela 
pour  «  favoriser  la  circulation  des  humeurs  «.Pourquoi,  dans  le  même 
but,  n'a-t-il  pas  recommandé  de  se  rogner  les  ongles,  qui,  comme  les 
cheveux,  ne  sont  que  des  productions  épidermiques  ?  De  nos  jours, 
cette  étrange  imagination  a  perdu  tout  crédit  ;  rien,  en  fait,  n'auto- 
rise une  semblable  pratique;  il  suffira  de  natter  les  cheveux  de  la 
parturiente,  afin  de  ne  pas  avoir  trop  de  difficulté  à  les  démêler  plus 
tard.  Si  l'on  avait  négligé  cette  précaution,  Pajot  conseille  de  trem- 
per littéralement  la  chevelure  dans  de  l'huile  pour  faciliter  le  pas- 
sage du  peigne. 


B.  —  PENDANT  LE  TRAVAIL 


Nous  allons  noter  ici,  pour  ne  plus  avoir  à  y  revenir,  un  certain 
nombre  de  préjugés  anciens,  aussi  variés  que  ridicules,  relatifs  au 
travail  de  l'accouchement. 

Commençons  par  celui  que  nous  trouvons  dans  Y  Embarras  de  Go- 
dard, comédie  représentée  en  1668  : 

Des  enfants  nés  la  nuit,  on  m'a  dit  que  la  vie, 
De  malheurs  infinis  estoit  toujours  suivie. 

Saint  Bernardin  de  Sienne  raconte  que,  de  son  temps,  on  chassait 


188  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

les  mouches  de  la  chambre  d'une  femme  en  travail  d'enfant,  dans  la 
crainte  qu'elle  n'accouchât  d'une  fille. 

«  Les  femmes,  »  dit  Thiers  (1),  «  pour  ne  point  avoir  le  cauchemar 
pendant  leurs  couches  ou  de  peur  que  les  sorciers  ne  leur  enlèvent 
leurs  enfants,  font  mettre  sur  leur  lit  un  couteau  ou  une  courroie.  » 

Laurent  Joubert,  dans  son  quatrième  livre  des  Erreurs  populaires, 
discute  un  préjugé  de  ses  contemporains  qui  croyaient  que  l'os  Ber- 
trand (ils  appelaient  ainsi  la  réunion  des  deux  os  pubis),  s'écartait 
pour  donner  passage  à  l'enfant  : 

«  Le  vulgaire  ne  peut  comprandre  qu'un  si  grand  cors  puisse  sortir 
par  le  conduit  ordinaire,  qui  est  communémant  à  la  mesure  du  mam- 
bre  viril,  sans  grande  violance,  et  que  c'est  la  cause  des  fortes  dou- 
leurs que  sant  la  famé  qui  accouche,  surtout  de  ses  premiers  enfans. 
Car  depuis  que  cela  ha  été  souvant  ouvert,  il  ne  fait  tant  de  mal.  Pour 
cette  raison,  on  dit  aussi,  celles  qui  sont  mariées  plus  tard,  ou  qui 
autremant  sont  âgées  avant  que  d'enfanter,  y  andurer  le  plus,  d'au- 
tant que  leur  cors,  étant  plus  dur  et  sec,  tels  os  ne  s'élargissent  que 
diflicilement,  dont  les  anfans  meurent  bien  souvant  au  passage. 

«  Aucuns  disent  an  outre,  que  les  matrones  et  sages-fames  de 
Gênes,  pour  éviter  ces  difficultés,  quand  les  filhes  naissent,  leur  an- 
fondrent  ces  os,  comme  à  un  chappon  pour  le  faire  paraître  plus 
ample,  à  ce  qu'ils  demeurent  touiours  séparés  et  élargis,  tellemant 
que  les  famés  n'ayent  aucune  peine,  quand  viendront  à  anfanter.  » 

Laurent  Joubert  ajoute,  avec  raison,  que  l'écartement  du  diamètre 
antéro-postérieur  du  petit  bassin,  au  moment  de  l'accouchement,  est 
dû,  non  à  l'écartement  du  pubis,  mais  bien  à  la  mobilité  du  coccyx, 
que,  sans  tant  de  façons,  il  appelle  le  cropion.  Son  explication  contient 
des  considérations  au  moins  originales  : 

«  Les  p jouent  tant  du  cropion  que  venant  à  faire  un  anfant, 

leur  cropion  est  fort  soupple  a  prêter  et  a  consantir.  Les  autres  famés 
qui  l'agitent  moins  souvant,  l'ont  plus  roide  et  surtout  les  vielhes, 
qu'on  épargne  plus  que  les  ieunes,  mesmes  an  mariage,  et  si  elles 
ont  plus  de  mal  des  derniers  anfans  que  des  premiers,  cela  an  est 
cause.  De  mesmes  les  filhes  qu'on  marie  un  peu  âgées  ont  grand 
peine  à  l'anfantemant,  parce  qu'elles  n'ont  acoutumé  de  ieunesse  à 
remuer  le  cropion,  tandis  qu'il  étoit  tandre  et  cartilagineus...  Les 
villageoises  et  autres  famés  de  labeur,  qui  fond  ordinairemant  grand 
exercice,  et  sont  plus  debout  qu'assises,  ont  beaucoup  plus  aysée  dé- 
livrance que  les  marchandes  et  bourgeoises,  qui  sont  le  plus  souvant 

(1)  Traité  des  Superstitions. 


ERREURS    ET    PRÉJUGÉS  189 


an  repos  et  assises.  Parquoy  Lycurge  ordonna  très  sagemant  aus 
fîlhes  et  famés  lacédémoniennes  l'exercice  de  la  lutte  antre  elles  pour 
les  randre  plus  fortes  à  soutenir  toute  sorte  de  peine  et  mesme  un 
travail  de  l'anfant.  Or  que  le  cropion  soyt  icy  le  principal,  les  famés 
qui  ont  anfanté,  le  peuvent  témogner,  car  leur  principale  douleur 
(outre  celles  des  reins)  est  audit  lieu  et  non  à  l'os  Bertrand,  lequel 
devroit  au  moins  douloir  par  ces  ligamans  sensibles,  s'il  étoit  ouvert 
de  violance,  comme  panse  le  vulgaire.  Mais  c'est  le  seul  cropion 
qui  andure  d'estre  violamment  pressé  et  reculé,  pour  donner  passage 
à  l'anfant,  antre  luy  et  l'os  Bertrand,  lequel  ne  bouge  aucunemant. 
Le  cropion  est  une  petite  queue,  composée  de  quatre  osselets,  laquelle 
est  plus  longue  à  certains  Anglois  que  aus  autres.  Les  Grecs  l'ont 
nommé  coccyx  à  la  samblance  d'un  bec  de  coccu.  le  ne  say  si  pour 
cela,  les  François  appellent  coccu,  celuy  qui  permet  à  sa  famé  de 
remuer  ceste  partie  là  à  l'appétit  d'autruy.  Car  de  l'appeler  coucu 
pour  samblable  fasson  de  faire,  que  l'oyseau  nommé  coucu,  ce  seroit 
trop  grand'faute,  d'autant  que  le  coucu  ne  permet  pas  à  autre  oyseau 
de  nicher  ou  pondre  an  son  nid,  ains  au  contraire  il  va  pondre  au  nid 
d'autruy... 

«  C'est  donc  le  cropion,  qui  s'étant  fort  remué  au  plaisir  de  la  con- 
cepcion,  ha  depuis  à  souffrir  extansion  douleureuse  quand  l'anfant 
doit  sortir.  L'os  Bertrand  qui  au  ieu  d'amours  n'ha  bougé,  ains  comme 
un  anclume  ha  soutenu  les  coups  et  le  fardeau,  ne  bouge  an  l'anfan- 
tement,  et  n'andure  aucun  mal.  » 

D'autres  auteurs  attribuaient  l'écartement  du  bassin  au  déplace- 
ment du  sacrum.  «  Séverin  Pineau  »,  dit  Jacques  Duval,  «  veut  que  la 
dénomination  de  sacré  ait  esté  donnée  à  cet  os  postérieur,  situé  au 
bas  des  lombes,  à  raison  que  par  un  aide  sacré  et  divin,  il  s'écarte  et 
sépare  des  os  des  îles,  pour  donner  libre  voye  et  passage  à  l'enfant, 
qui  autrement  ne  pourroit  estre  en  santé  rendu  à  la  lumière  de  ce 
monde  (1)  ».  Aussi  le  médecin  de  Rouen  conseille-t-il,  pendant  le 
dernier  mois  de  la  grossesse,  «  d'oindre  l'abdomen  ou  bas-ventre, 
aines,  intérieur  des  cuisses  et  région  de  l'os  sacré,  avec  huyle  de  lis 
ou  d'amandes  douces,  axonge  d'oye  ou  de  canard  ». 

Femmes  mortes  en  couches.  —  A  Lacédémone,  la  femme 
qui  perdait  la  vie  en  donnant  un  citoyen  à  la  patrie,  partageait, 
avec  les  guerriers  morts  les  armes  à  la  main,  l'honneur  de  l'épitaphe  ; 
aussi  l'idée  de  la  gloire  étouffait-elle,  chez  ces  vaillantes  Doriennes, 

(1)  Le  sacrum  est  ainsi  appelé  parce  qu'il  était  offert  aux  dieux  dans  les  sacrifices. 


190  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

le  sentiment  de  la  douleur  et  les  aidait-elle  à  supporter  stoïquement 
les  souffrances  de  l'enfantement. 

Les  femmes  Arabes  montrent  un  semblable  courage,  soutenues 
par  l'idée  que  si  elles  meurent  en  couches,  elles  occuperont  au  paradis 
une  place  exceptionnelle. 

Les  Aztèques  avaient  aussi  en  grande  vénération  la  femme  morte 
en  couches;  ils  pensaient  qu'un  de  ses  doigts  suffisait  pour  rendre 
invincible  le  guerrier  qui  possédait  ce  précieux  talisman  et,  pendant 
les  obsèques  de  la  malheureuse,  les  parents  étaient  obligés  de  soutenir 
une  véritable  lutte  pour  empêcher  les  jeunes  gens  pusillanimes  de 
mutiler  son  cadavre. 

Les  naturels  des  Garolines  ont  une  singulière  croyance  au  sujet 
des  femmes  qui  succombent  pendant  l'accouchement;  ils  pensent 
«  qu'elles  reviennent  au  logis  pendant  la  nuit  et  prennent  un  malin 
plaisir  à  tourmenter  ceux  qui  s'y  trouvent,  en  ouvrant  et  en  fermant 
avec  violence  les  portes  et  les  fenêtres  (1)  ». 

De  même  les  Molucquois,  suivant  le  Dr  Sue,  croient,  qu'après 
leur  mort,  les  femmes  mortes  en  couches  errent  dans  la  campagne 
sous  la  forme  de  spectres.  Pour  les  empêcher  de  courir  les  chemins 
la  nuit,  ils  leur  attachent  les  jambes,  placent  un  œuf  sous  chaque 
aisselle  et  leur  plantent  des  épingles  dans  les  orteils. 

Le  même  auteur  raconte  qu'à  Madagascar,  dans  la  crainte  de 
mourir  pendant  le  travail,  les  femmes,  dès  les  premières  douleurs, 
se  croient  obligées  de  dire  à  leurs  maris  si  elles  ont  eu  des  rapports 
illicites  avec  d'autres  hommes  ;  elles  doivent  donner  le  nom  de  ceux- 
ci  et  raconter  toutes  les  circonstances  de  l'aventure.  Si  l'une  d'elles 
vient  à  succomber,  les  autres  femmes  pensent  qu'elle  avait  caché 
quelque  escapade  à  son  mari.  Il  rapporte  encore  l'usage  bizarre, 
observé  dans  plusieurs  provinces  par  les  ensevelisseuses,  de  mettre 
dans  le  cercueil  d'une  femme  morte  en  couches  des  ciseaux  et  du  fil, 
comme  si  elles  devaient  accoucher  après  leur  mort. 

Durée  du  travail.  —  <  La  facilité  de  l'accouchement  »  dit 
M.  Chailly  «  est  en  raison  inverse  du  degré  de  la  civilisation  ».  «  La 
parturition  difficile  »  avance,  d'autre  part,  M.  Pouchet  «  est  un  phéno- 
mène acquis  par  la  civilisation  ».  C'est,  en  effet,  une  opinion  courante 
que  chez  les  sauvages  et  dans  les  campagnes,  l'accouchement  est 
moins  long  que  dans  les  villes.  Rien  n'est  moins  vrai;  la  durée  des 
contractions  utérines,  et  par  suite  du   travail,  est  la    même  pour 

(1)  E.  Plancliut.  Revue  Scient : 


ERREURS    ET    PRÉJUGÉS  191 


toute  l'espèce  humaine  ;  seulement  il  est  naturel  qu'une  femme 
habituée  aux  fatigues  de  la  vie  sauvage,  aux  travaux  de  la  vie 
rustique,  exhale  des  plaintes  moins  prolongées  et  moins  intenses  que 
la  citadine  délicate  et  nerveuse.  Et,  encore,  que  d'exceptions!  Le 
Dr  Felkin,  dont  nous  reproduisons  plus  loin 'une  intéressante]  relation 
sur  les  accouchements  dans  l'Afrique  centrale,  dit  fort  bien  que,  dans 
cette  partie  du  monde,  assez  barbare  on  en  conviendra,  ils  ne  lui  ont 
point  paru  plus  aisés  que  partout  ailleurs. 

Les  récils  de  la  Bible  ne  nous  indiquent-ils  pas  déjà  que,  sous  ce 
rapport,  les  Hébreux  n'étaient  pas  mieux  partagés  que  nous?  Quand 
la  femme  de  Phinées  accouche  «  tout  son  corps  tremble  et  les  douleurs 
sont  telles  qu'elle  se  tord  sur  le  lit  ».  Une  autre  en  mal  d'enfant  «  lève 
les  mains  au  ciel  et  dit  :  Malheur  à  moi,  on  m'assassine!  »  (l)  Ce 
n'est  pas  précisément  l'indice  d'accouchements  rapides.  Pour  soutenir 
son  idée  sur  la  courte  durée  du  travail  chez  les  peuples  primitifs, 
Engelmann  (S?)  rapporte,  d'après  le  Dr  Faulkner,  qu'une  femme 
Sioux  accoucha  en  allant  chercher  du  bois  dans  la  forêt;  elle  en 
revint  avec  un  fagot  et  son  enfant.  Le  même  auteur  s'appuie,  en  outre, 
sur  la  communication  que  lui  a  faite  le  Dr  Chcquette  au  sujet  des 
Kootenais.  Ce  dernier  a  vu  une  indienne  de  cette  tribu  quitter  la  colonne 
de  chasseurs  dans  laquelle  elle  se  trouvait  et  la  rejoindre  peu  après 
avoir  donné  le  jour  à  un  enfant  (3). 


(1)  Le  langage  des  prophètes  qui  ont  souvent  emprunté  leurs  métaphores  à 
l'obstétrique,  prouve  encore,  qu'à  leur  époque,  l'accouchement  était  loin  d'être  tou- 
jours prompt  et  facile  ;  Isaïe,  comparant  les  Hébreux  pervertis  à  la  femme  en 
travail,  écrit  :  «  Les  crampes  et  les  douleurs  les  saisissent  ;  ils  tremblent  comme 
celle  qui  est  en  travail  d'enfant  ».  Ailleurs,  en  parlant  de  ses  souffrances,  il 
s'exprime  ainsi  :  «  Mes  reins  sont  pleins  de  douleurs,  des  angoisses  me  saisissent 
comme  les  angoisses  d'une  femme  en  travail  ».  Il  dit  encore  :  «  Comme  une  femme 
enceinte  dont  la  délivrance  approche,  saisie  de  douleurs,  elle  pouse  des  cris  ».  Le 
même  prophète  fait  dire  aux  habitants  de  Jérusalem,  lui  dépeignant  leur  impuissance 
à  soutenir  le  siège  :  «  Les  enfants  sont  venus  jusqu'à  l'orifice,  mais  il  n'y  avait  point 
de  force  pour  enfanter  ». 

Jérémie  parle  de  la  ville  de  Dameschecx  en  ces  termes  :  «  L*angoisse  et  la 
douleur  l'ont  mise  comme  une  femme  qui  va  enfanter  ».  Enfin  le  prophète 
Miehah  dit,  en  parlant  de  Jérusalem  désolée  :  «  Pourquoi  pousses-tu  des  cris  ?  La 
douleur  t'a-t-elle  saisie  comme  une  femme  qui  enfante  ?  »  Une  preuve  d'ailleurs 
plus  concluante  est  fournie  par  la  Genèse,  quand  Lieu  adresse  à  la  femme  ces 
paroles  comminatoires  :  «  Je  vous  affligerai  de  plusieurs  maux  pendant  votre 
grossesse  ;  vous  enfanterez  dans  la  douleur  ».  Certainement  les  auteurs  de  la  Bible 
n'eussent  pas  mis  cette  menace  dans  la  bouche  du  l'ère  éternel  si,  de  leur  temps, 
les  accouchements  avaient  été  rapides 

(2)  Loc.  cit. 

(3)  Posidonius  rapporte  un  fait  analogue  ;  il  raconte  qu'une  Ligurienne,  «  em- 
ployée à  travailler  la  terre  de  son  hôte  Charmolaûs,  de  Marseille,  s'étant  trouvée 
prise  des  douleurs  de  l'enfantement,  se  retira  à  quelques  pas  du  lieu  où  elle  travaillait 


192  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Il  n'est  pas  nécessaire  d'aller  si  loin  pour  trouver  des  exemples 
analogues  ;  nous  en  avons  cité  un  certain  nombre,  dans  notre  Géné- 
ration humaine,  observés  dans  toutes  les  classes  de  la  société. 

Ne  sait-on  pas  que  le  duc  de  Bordeaux  vint  au  monde  «  en  deux 
douleurs  »,  suivant  la  propre  expression  de  la  duchesse  de  Berry? 
Ne  voyons-nous  pas  communément  des  femmes  accoucher  dans  des 
voitures  publiques?  L'une  d'elles  fut  même  surprise  par  les  douleurs 
de  l'enfantement  dans  la  nacelle  du  ballon  captif  des  Tuileries  ;  une 
autre,  voulant  assister  aux  obsèques  de  Victor  Hugo,  accoucha  en 
plein  boulevard  Saint-Germain,  avant  l'arrivée  du  cortège.  Et  ces  do- 
mestiques qui  accouchent  clandestinement,  sans  éveiller  l'attention  de 
leurs  maîtres  ni  même  celle  des  personnes  qui  habitent  avec  elles? 
Concluerons-nous  de  ces  faits  que  dans  la  race  blanche  les  accou- 
chements sont  rapides  et  indolores?  Assurément  non.  Eh  bien  les 
partisans  de  la  brièveté  de  la  durée  du  travail  chez  les  peuples  primi- 
tifs ne  sont  pas  plus  autorisés  que  nous  à  établir  leurs  conclusions 
sur  les  exemples  qu'ils  ont  cités.  Leurs  faits  prouvent  que  les  mani- 
festations extérieures  de  la  douleur  sont  moins  sensibles  chez  ces  sau- 
vages, mais  non  que  la  durée  du  travail  y  est  plus  courte  qu'ailleurs. 

Que  dire  des  commères  qui  promettent  un  accouchement  d'autant 
plus  rapide  qu'il  s'éloigne  du  premier  quartier  delà  lune?  Il  n'y  a  certes 
pas  lieu  d'attacher  plus  d'importance  à  ce  racontar  qu'à  l'opinion 
originale,  émise  par  Bird,qui  veut  que  l'enfant  aime  d'autant  mieux 
sa  mère  que  le  travail  aura  été  plus  laborieux.  Peut-être  pourrait-on  s'en 
servir  en  guise  de  consolation  offerte  à  la  patiente,  pour  l'aider  à  sup- 
porter ses  souffrances;  mais  nous  doutons  fort  que  l'on  rencontre  des 
femmes  assez  naïves  pour  accepter  une  compensation  aussi  aléa- 
toire. 

«  Un  fait  des  plus  avérés,  admis  par  Hippocrate,  »  dit  Rhodion, 
a  et  qu'il  ne  faut  pas  qu'un  chirurgien  ignore,  c'est  qu'une  femme 
accouche  plus  facilement  d'un  mâle  que  d'une  femelle  ».  Le  contraire 
serait  plutôt  vrai;  l'accouchement  d'un  garçon  est  ordinairement 
plus  long  et  plus  pénible,  pour  la  bonne  raison  qu'un  garçon  a,  le 
plus  souvent,  la  tête  plus  volumineuse  que  celle  d'une  fille. 

C'est  encore  une  erreur  de  penser,  avec  les  Anciens,  que  les  souf- 
frances de  la  femme  augmentent  quand  elle  accouche  d'un  enfant 
mort,  parce  qu'il  ne  peut  aider  la  mère  de  ses  efforts.  On  sait,  en  effet, 
que,  pendant  longtemps,  on  a  regardé  le  fœtus  comme  l'agent  actif  de 


et  après  s'être  délivrée  revint  se  mettre  à  l'ouvrage,  qu'elle  ne  consentit  à  quitter 
qu'après  qu'on  lui  eut  payé  son  salaire  ». 


ERREURS   ET  PRÉJUGÉS  193 

sa  sortie,  par  analogie  à  la  conduite  des  poulets  qui  brisent,  avec  leur 
bec,  la  coque  qui  les  renferme. 

Telle  est  la  raison  qui  faisait  croire  autrefois  que  les  garçons  nais- 
saient plus  rapidement  que  les  filles;  étant  plus  vigoureux  que  celles- 
ci,  leurs  efforts  devaient  être  moins  prolongés  pour  sortir  de  leur 
retraite.  La  même  croyance  au  rôle  actif  du  fœtus  pendant  l'accou- 
chement, a  conduit  les  Anciens  à  considérer  comme  mort  l'enfant  qui 
tardait  trop  à  naître;  aussi  n'hésitaient-ils  pas  à  l'extraire  par  mor- 
ceaux avec  leurs  instruments  meurtriers. 

Mme  de  Sévigné  parle  de  ce  préjugé  dans  une  lettre  à  sa  fille  qui 
vient  d'accoucher  d'un  enfant  faible  :  «  D'où  vient  qu'il  est  si  faible  ?  » 
écrit  la  marquise.  «  N'est-ce  point  ce  qui  l'empêchait  de  s'aider  pen- 
dant votre  travail  !  Car  j'ai  ouï  dire  aux  femmes  qui  ont  eu  des  enfants 
que  c'est  celte  faiblesse  qui  fait  qu'on  est  bien  malade*  »  Les  Chinois 
aussi  croient  que  la  femme  est  essentiellement  passive  pendant  le 
travail,  et  ils  la  comparent,  comme  les  Anciens,  à  l'œuf,  et  l'enfant 
au  poulet  qui  brise  ses  enveloppes  selon  son  bon  plaisir.  De  même 
les  Papagos  sont  convaincus  que,  dans  les  couches  laborieuses,  c'est 
l'enfant  qui,  par  son  entêtement,  résiste  à  sa  sortie  ;  et  ils  laissent 
sans  regret  mourir  la  mère  et  l'enfant,  en  pensant  que  la  tribu  est 
ainsi  débarrassée  d'un  mauvais  sujet.  Les  Klamaths  partagent  la 
même  croyance;  et  si  le  travail  se  prolonge  quelque  peu,  la  sage- 
femme  menace  le  fœtus  récalcitrant  de  la  morsure  du  crotale,  le  cro- 
quemitaine  de  l'endroit,  et  lui  enjoint  de  sortir  de  sa  retraite 
au  plus  vite. 

Pour  les  Néo-Galédoniens,  un  travail  prolongé  ne  peut  être  que  la 
conséquence  d'un  adultère,  et  les  femmes  qui  assistent  la  patiente 
l'engagent  à  révéler  le  nom  de  son  amant,  sans  quoi  elle  s'exposerait 
aux  plus  terribles  souffrances.  Dans  le  nord  de  la  Russie,  on  pense 
abréger  la  durée  du  travail,  en  invitant  la  patiente  à  confier  à  la  sage- 
femme  le  nom  des  personnes  auxquelles  elle  a  accordé  ses  faveurs  ; 
le  mari  doit  en  faire  autant  de  son  côté,  et,  si  malgré  ces  aveux,  l'ac- 
couchement tarde  encore  à  se  faire,  on  en  conclut  que  l'un  des  époux 
n'a  pas  dit  toute  la  vérité. 

Marche  exagérée.  —  En  Piussie,  au  voisinage  d'Astrakhan, 
la  patiente  doit  marcher  pendant  toute  la  durée  des  douleurs;  elle 
n'est  autorisée  à  se  coucher  qu'au  moment  de  l'expulsion. 

Chez  les  Birmans,  la  femme  est  obligéede  courir  dans  le  simple  ap- 
pareil, autour  de  la  chambre,  pendant  que  plusieurs  femmes  la  pour- 
suivent en  lui  frappant  le  ventre  et  les  reins  avec  des  oreillers.  Cette 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS.  ]3 


191  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

course  fantastique  ne  cesse  que  quand  la  malheureuse  tombe  épuisée 
sur  le  sol. 

En  France,  dès  les  premières  douleurs  et  jusqu'à  la  fin  de  l'accou- 
chement, on  a  souvent  le  tort  de  faire  marcher  les  femmes  de  long  en 
large  dans  la  chambre  ;  il  en  résulte  une  fatigue  qui  épuise  les  forces 
de  la  parturiente  et  l'empêche  affaire  valoir  ses  douleurs  sur  la  fin, 
suivant  l'expression  de  Mauriceau.  Cet  exercice  doit  être  modéré,  et 
on  ne  l'emploiera  que  dans  le  cas  où  les  progrès  du  travail  seront 
trop  lents. 

Boissons  alcooliques.  —Sous  prétexte  de  donner  des  forces  à 
la  femme,  on  l'engage  souvent  à  boire  du  vin  ou  autres  boissons  alcoo- 
liques dès  le  début  du  travail;  il  en  résulte,  au  contraire,  des  vomis- 
sements qui  le  retardent.  Déjà  au  XVIIIe  siècle,  cette  coutume  était 
fort  en  usage,  et  Mauriceau  puis  Dionis  se  sont  élevés  contre  elle. 
Ce  dernier  fait,  à  ce  sujet,  une  réflexion  qui  ne  manque  pas  de  jus- 
tesse, quoique  légèrement  facétieuse  ;  après  avoir  défendu  les 
liqueurs  aux  femmes  en  couches,  il  ajoute  :  «  Mais  afin  que  les  vins 
d'Espagne  ou  de  Canarie  dont  on  a  fait  provision,  ne  soient  pas  per- 
dus, il  faut  les  faire  boire  par  les  assistants  fatigués  par  quelque 
partie  de  la  nuit  qu'ils  auront  passée  sans  dormir,  et  à  qui  ils  feront 
plus  de  bien  qu'à  l'accouchée.  » 

Pressions  abdominales.  —  Pour  hâter  l'accouchement,  on 
exerce  souvent  de  violents  massages  sur  l'abdomen  ;  cette  pratique, 
fort  estimée  chez  les  peuples  primitifs,  peut  déterminer  de  graves 
accidents,  en  contusionnant  par  exemple  la  matrice  et  même  en  pro- 
voquant sa  rupture. 

Les  Siamois  (fig.  83)  et  les  Apaches  Coyoteros  ne  se  contentent  pas 
de  pétrir  le  ventre  dans  les  couches  laborieuses  ;  ils  suspendent  la 
femme  sous  les  bras,  un  ou  deux  assistants  se  cramponnent  à  sa 
taille  et  compriment  le  fond  de  l'utérus  pour  en  faire  sortir  son 
contenu. 

Sur  la  présentation.  —  Les  Anciens  pensaient,  avec  Hippo- 
crate,  que  l'accouchement  par  les  pieds  était  ordinairement  funeste  à  la 
mère  et  à  l'enfant,  parce  qu'ils  ne  savaient  pas  dégager  le  menton  ni 
les  bras  qui  se  relèvent  le  plus  souvent.  Ils  voyaient,  en  outre,  dans 
cette  présentation  «contre  nature  »  un  présage  fâcheux  pour  les  con- 
temporains. Ils  disaient  qu'il  était  naturel  d'entrer  dans  le  monde 
par  la  tête  et  d'en  sortir  par  les  pieds,  faisant  ainsi  allusion  à  la  ma- 


ERREURS   ET   PREJUGES 


195 


nière  dont  ils  portaient  les  morts  en  terre,  et  ils  appelaient  Agrippa 
les  enfants  qui  se  présentaient  par  le  siège  ou  les  membres  infé- 
rieurs ('!).  «  In  pedes  procedere  nascenlem,  dit  Pline,  contra  naturam 


15  r  -/-, 


7'*— 

Fig.  83.  —  Une  couche  laborieuse  chez  les  Siamois. 


est,  quo  argumente,  eos  appellavcre  Agrippas,  ut  œgre  partes.  »  Cette 
étymologie  est  ridicule.  Non  moins  ridicule  est  l'opinion  de  ceux  qui 
veulent  faire  dériver  notre  expression  «  prendre  en  grippe  »  de  ce 
vieux  préjugé.  On  a  aussi  rapproché  le  terme  agripperas  la  croyance 


(1)  Ou  cite  comme  exemples  de  personnages  nés  de  la  sorte  :  Agrippa,  Néron, 
Richard  III  et  Louis  XV, 


196  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

où  étaient  les  Anciens  que  les  enfants,  dont  les  bras  se  relevaient  au 
passage,  saisissaient  le  bassin  pour  ne  pas  sortir.  Toutes  ces  conjec- 
tures étymologiques  sont  mal  fondées. 

Notons,  en  terminant,  que  Fernel,  par  respect  pour  la  pudeur,  fai- 
sait naître  les  garçons  la  face  tournée  du  côté  de  l'anus  de  la  mère  et 
les  filles  regardant  le  côté  opposé;  il  faut  d'ailleurs  reconnaître,  à  l'hon- 
neur des  accoucheurs,  qu'il  fut  le  seul  à  soutenir  cette  niaiserie. 

Influence  de  la  coiffe.  Amniomancie.  —  Quelquefois,  l'en- 
fant vient  au  monde  la  tête  recouverte  des  membranes  de  l'œuf  (fig.  84). 
et  l'on  a  coutume  de  dire  que  l'enfant  «  naît  coiffé  ».  On  croit  généra- 
lement que  cette  particularité  est  d'un  bon  augure  pour  l'avenir  du 
nouveau-né.  Ça  porte  bonheur,  dit-on.  Ce  préjugé  est  si  peu  fondé 
que,  si  l'accoucheur  ne  se  hâte  de  rompre  les  membranes,  le  placenta 
peut  se  décoller  prématurément  et  causer  de  sérieux  accidents. 

Ainsi  dans  certaines  régions  de  la  France,  en  Bretagne,  on  conserve 
comme  un  talisman  cette  coiffe  membraneuse,  dite  «  coiffe  de  bon- 
heur», et  les  jeunes  gens  qui  la  possèdent  n'oublient  pas  de  s'en 
munir  le  jour  du  tirage  au  sort.  Cette  amulette,  faut-il  l'ajouter, 
n'exerce  pas  plus  d'influence  sur  le  sort,  que  la  corde  de  pendu,  ou 
les  sachets  contenant  des  excréments  du  Grand  Lama  que  celui-ci 
envoyait  aux  potentats  d'Asie,  pour  enchaîner  la  fortune.  yElius 
Lampridius  assure,  dans  la  Vie  de  l'empereur  Antonin,  que,  chez 
les  Romains,  les  avocats  recherchaienlcette  membrane  et  la  portaient 
à  nu  sur  leur  poitrine  pour  gagner  leurs  causes.  Il  raconte  aussi  que 
l'impératrice  Cesonia  Celsa  donna  à  l'empereur  Macrin  un  fils  qui 
naquit  «  coiffé  ».  Les  grands  dignitaires,  voyant  dans  ce  fait  le  pré- 
sage d'une  haute  destinée,  nommèrent  le  jeune  prince  Diadumène  (1).. 
Or,  il  arriva  qu'il  fut  proscrit  et  assassiné  après  la  mort  de  son  père. 

Autrefois,  les  sages-femmes  prédisaient  le  sort  du  nouveau-né  par 
l'inspection  de  cette  coiffe:  la  destinée  était  heureuse,  si  elle  était  rouge 
et  malheureuse,  quand  elle  présentait  une  teinte  plombée. 

«  Quand  l'enfant  venait  au  monde  avec  ses  coiffes,  »  dit  Collin  de 
Plancy,  «  nos  pères  étaient  persuadés  que  c'était  un  signe  visible  de 
la  Providence  qui  l'appelait  à  la  vie  religieuse,  et  l'on  ne  manquait 
guère,  sans  autre  preuve  de  vocation,  de  l'enfermer  dans  un  couvent  ». 
Par  analogie,  la  coiffe,  appelait  le  voile  ou  le  capuchon. 

Cependant  le  plus  souvent  on  ne  regardait  la  coiffe  que  comme  un 
simple  porte-bonheur.  Il  est  même  étonnant  qu'un  grand  esprit, 

(1)  C'est-à-dire  couronné. 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  197 

Ambroise  Paré,  ait  accueilli  cette  superstition  :  «  Véritablement,  » 
dit-il,  «  ie  suis  d'avec  elles,  et  encore  ie  dis  davantage,  que  la  mère 
est  aussi  bien  heureuse,  à  cause  que  l'enfant  est  sorti  assez  librement; 
quand  l'enfantement  est  laborieux,  les  enfans  n'apportent  iamais  cette 
membrane  sur  la  teste,  car  elle  est  arrestée  au  passage,  ainsi  qu'une 
couleuvre,  voulant  laisser  sa  peau,  passe  par  un  lieu  estroit  pour  estre 


Fig.84.  —  Enfant  recouvert  de  sa  coiffe,  d'après  AIdrovandi  (1). 

dépouillée;  ainsi  le  semblable  se  fait  à  l'enfant  laissant  sa  coëffe  au 
ventre  de  sa  mère  ». 

Au  XVIe  siècle,  on  se  disputait,  avec  ardeur,  les  coiffes  de  nouveau- 
nés.  L'Etoile  conte  qu'il  vit  deux  prêtres,  l'un  putier,  l'autre  sorcier,  se 
battre  à  coups  de  poings  dans  l'Eglise  du  Saint-Esprit  pour  une  de  ces 
coiffes,  et  que  le  putier  se  trouva  le  plus  fort,  si  bien  que  la  coiffe  lui 
resta. 

Laurent  Joubert  croyait-il  à  l'influence  de  la  coiffe  ?  «  L'enfant,  » 
écrit-il,  «  s'étant  dépoulhé  totalemant  et  venant  tout  nud  au  monde 
c'est-à-dire,  hors  la  matrice,  qui  est  immunde,  orde  et  sale,  située 
antre  le  boyau  cullier  et  la  vessie  dont  l'anfant  est  logé  antre  l'urine 

et  la  m Tellemant  que  le  propos  des  bonnes  famés  du  Languedoc 

est  bien  véritable  que  Entre  la  m et  lou  pis,  se  nourris  lou  bel  fis. 

Quelquefois  il  sort  révolu  de  sa  tunique,  comme  d'une  chemise,  laquelle 
raremant  luy  couvre  tout  le  cors,  le  plus  souvant  ne  passe  les  épaules 

(1)  Dans  cette  figure,  la  longueur  de  la  coiffe  est  exagérée,  son  étendue  est  géné- 
ralement celle  de  la  calotte  du  crâne. 


198  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

et  quelque  fois  couvre  seulemant  le  visage.  On  prandcela  à  bon  augure 
et  dit-on  qu'il  sera  heureus,  parce  que  il  est  né  vêtu.  » 

C'est  un  honneur  pour  l'Eglise  de  s'être  toujours  élevée  contre  cette 
superstition.  Dès  les  premiers  temps,  saint  Chrysostôme,  dans  ses 
Homélies,  blâmait  cette  «  sotte  croyance  »;  et  le  canonisto  Balsamont 
raconte  que,  de  son  temps,  un  clerc,  nommé  Petus,  fut  gravement 
censuré  pour  avoir  acheté  d'une  sage-femme  une  coiffe,  dans  l'espoir 
qu'elle  lui  porterait  bonheur. 

La  membrano  charnue  dont  les  poulains  ont  la  tête  couverte  en 
naissant  entrait  dans  la  composition  d'un  philtre  des  anciens,  Vhippo- 
vnane.  Suétone  raconte  que,  pour  se  faire  aimer  de  Caligula,  sa  femme 
Césonie  lui  fit  boire  ce  prétendu  aphrodisiaque  qui,  au  lieu  d'exciter 
ses  sens,  contribua  à  lui  faire  perdre  entièrement  l'esprit. 

Horoscopes.  — Les  superstitions  relatives  à  la  coiffe  nous  amè- 
nent à  dire  un  mot  des  horoscopes  (1).  Autrefois,  la  constellation  sous 
laquelle  la  naissance  s'effectuait,  indiquait  la  destinée  de  l'enfant  (2)  : 

La  Balance  (du  22  septembre  au  21  octobre),  par  allusion  à  celle 
deThémis,  annonçait  un  caractère  équitable;  c'est  pour  être  né  sous 
ce  signe  que  Louis  XIII  reçut  le  surnom  de  Juste  ; 

Le  Scorpion  (du  22  octobre  au  21  novembre),  donnait  la  malice  et 
la  fourberie  ; 

Le  Sagittaire  (du  22  novembre  au  21  décembre),  l'amour  de  la  chasse 
et  des  voyages  ; 

Le  Capricorne  (du  22  décembre  au  21  janvier),  un  caractère  léger, 
vif  et  inconstant  en  amour; 

Le  Verseau  (du  22  janvier  au  21  février),  la  gaieté  ; 

Les  Poissons  (clu  22  février  au  21  mars),  la  douceur; 

Le  Bélier  (du  22  mars  au  21  avril),  un  caractère  emporté; 

Le  Taureau  (du  22  avril  au  21  mai),  la  hardiesse  et  la  force  ; 

Les  Gémeaux  (du  22  mai  au  21  juin),  la  prudence  et  la  géné- 
rosité ; 

UEcrevisse  (du  22  juin  au  21  juillet),  les  désagréments  ; 

Le  Lion  (du  22  juillet  au  21  août),  le  courage  ; 

La  Vierge  (du  22  août  au  21  septembre),  la  pudeur. 


(1)  On  trouvera,  dans  nos  Accouchements  à  la  cour,  l'horoscope  de  plusieurs 
souverains. 

(2).  Oger  Ferrier,  médecin  «  natif  de  Toulouse  »,  a  composé  sur  ce  sujet  un  petit 
in-8",  imprimé  à  Lyon  en  1550  et  intitulé  :  «  Des  Jugements  astronomiques  sur  les 
nativitez  ». 


ERREURS    ET   PREJUGES 


199 


Pour  abréger  le  travail  et  calmer  les  douleurs.  —  La 

liste  est  longue  des  moyens  employés  parles  commères  ou  même  par 
des  médecins  ou  des  sages-femmes  pour  calmer  les  douleurs  et  faciliter 
l'accouchement.  Les  superstitions  de  ce  genre  sont  et  seront  de  tous 
les  temps  parce  que  ces  pratiques  populaires  agissent,  avant  tout, 
sur  l'esprit  de  la  parturiente,  la  tranquillisent  et  peuvent  avoir,  dans 
certains  cas,  une  efficacité  réelle.  Il  est,  en  effet,  démontré  que  les 
influences  morales  ont  une  action  notable  sur  la  durée  de  l'accou- 
chement: l'arrivée  de  l'accoucheur,  la  présence  d'une  personne  détes- 
tée suffisent  pour  retarder  ou  pour  suspendre  le  travail,  Velpeau 


Fig.  85.  — Naissance  d'Héraclès,  d'après  un  bas-relief  du  Musée  Pio  Clementino. 


raconte  que  Baudelocque,  dans  son  service  de  la  Clinique,  réussissait, 
parfois,  à  faire  disparaître  et  renaître  alternativement  les  contractions 
chez  une  femme  en  travail,  suivant  qu'il  conduisait  les  élèves  à  la 
salle  d'accouchements  ou  les  en  éloignait.  Quoi  d'étonnant  que  la 
vue  d'une  relique,  pour  celles  qui  ont  la  foi,  ou  l'application  d'un 
remède  empirique  pour  d'autres,  procurent  un  soulagement  mar- 
qué ou  tout  au  moins  aide  à  faire  supporter  le  mal  avec  plus  de  cou- 
rage ? 

Dans  un  chapilre  précédent,  nous  avons  déjà  signalé  les  pratiques 
se  rapportant  aux  différents  cultes  ;  nous  examinerons  ici  celles  qui 
sont  étrangères  aux  croyances  purement  religieuses,  et  que  l'on  peut 
appeler  les  superstitions  laïques;  leur  nombre  est  non  moins  consi- 
dérable. 

Les  sages-femmes,  chez  les  Grecs,  étaient  quelque  peu  sorcières  ; 
leurs  Enchantements  avaient  la  vertu  d'activer  ou  de  ralentir  le  travail 


200  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

de  l'accouchement.  Quand  elles  n'avaient  pas  recours  à  ces  procédés, 
toujours  mal  vus  du  public,  elles  devaient  veiller  à  ce  que  personne  de 
la  maison  n'eût  les  jambes  ni  les  doigts  croisés  ;  une  telle  posture  eut 
été  un  obstacle  invincible  à  l'accouchement.  Dans  Ovide  (1),  Alcmène 
prétend  que  Lucine  «  gagnée  par  Junon,  fit  languir  cet  accouchement 
en  croisant  le  genou  droit  sur  le  gauche  et  en  entrelaçant  ses  doigts  » 
(fig.  12,851. 

Qu'était-ce  au  juste  que  le  fameux  dictamne  ou  dictame  de  Crète 
auquel  l'antiquité  tout  entière  attribuait  des  propriétés  merveilleuses, 
et  dont  les  Romains  tressaient  des  couronnes  à  Lucine?  (fig.  42)  Très 
probablement  Yoriganum  dictamnus,  plante  de  la  famille  des  Labiées. 
Le  dictame  de  Crète,  bienfaisant  comme  vulnéraire,  aurait  été  non 
moins  utile  dans  les  couches  difficiles.  Les  plantes  du  genre  origan 
passent  d'ailleurs  pour  des  emménagogues  assez  puissants.  Aétius 
donne  la  même  vertu  à  la  racine  de  grande  tithymale,  plante  mieux 
connue  sous  le  nom  d'euphorbe. 

Plus  puissante  encore  était  Vaélite,  ainsi  nommée  parce  qu'elle  se 
trouvait  dans  le  nid  des  aigles  (2),  ou,  suivant  une  autre  opinion 
rapportée  par  Pline,  parce  que  sa  couleur  est  blanchâtre  comme  la 
queue  d'un  aigle  (3).  Toutes  les  pierres  d'aigle  que  nous  avons  vues 
étaient  de  couleur  foncée  et  non  blanche,  comme  l'explique  leur  com- 
position. Chimiquement,  l'aétite  est  un  tritoxyde  de  fer  qui  se  pré- 
sente sous  la  forme  d'une  géode  ou  pierre  naturellement  creuse  dans 
laquelle  battent,  quand  on  l'agite,  des  débris  plus  ou  moins  volumi- 
neux. L'aétite  renfermant  ces  débris  mobiles,  tout  comme  le  sein  de 
la  mère  renferme  un  autre  être,  on  l'appelle  quelquefois,  par  suite 
d'une  comparaison  assez  naturelle,  pierre  enceinte  ;  c'est  sans  doute 
à  cause  de  cette  particularité  que,  depuis  les  temps  les  plus  reculés, 
elle  a  obtenu  une  si  grande  vogue  chez  les  femmes  en  couches.  D'a- 
près Dioscoride,  l'aétite  attachée  à  la  cuisse  de  la  femme  facilite  l'ac- 
couchement ;  si  on  la  lui  met  au  bras  gauche,  elle  le  retarde  et  peut 
alors  empêcher  une  fausse  couche. 

Pline  est  au  sujet  de  l'aétite  singulièrement  confus,  et  il  contredit 
en  partie  Dioscoride.  «  Les  pierres  d'aigle,  »  dit  le  compilateur  latin, 
«  doivent  leur  grande  vogue  à  ce  nom  imposant  et  se  trouvent  en  effet 


{\)MHam.,  liv.  IX. 

(2)  Aetos,  en  grec. 

(3)  On  l'appelait  aussi  quelquefois  lychnite  (bjehnos,  flambeau). 

Les  étymologistes  expliquent  ce  nom  en  disant  que  la  pierre  aurait  servi  aux 
aigles  comme  de  flambeau  de  Lucine  pour  aider  à  la  sortie  des  aiglons  hors  de 
l'œuf  ? 


ERREURS  ET   PRÉJUGÉS  201 

dans  les  nids  des  aigles  ;  on  dit  qu'il  s'en  trouve  deux  dans  chaque 
nid,  le  mâle  et  la  femelle  ;  que  jamais  l'aigle  ne  pond  sans  ces  pierres, 
et  que  c'est  pourquoi  elles  sont  au  nombre  de  deux,  comme  les  œufs 
des  aigles...  Toute  aétite  suspendue  en  temps  de  grossesse  au  cou  de 
la  femme  dans  un  morceau  de  la  peau  d'un  animal  sacrifié,  empêche 
l'avortement  ;  et  il  ne  faut  point  la  retirer  avant  la  crise  de  l'enfante- 
ment, sans  quoi  la  matrice  tombe.  »  Suivant  d'autres,  si  l'on  négli- 
geait de  la  tirer  aussitôt  après  l'accouchement,  elle  pouvait  même  ex- 
pulser la  matrice  au  dehors  :  Agricola  en  est  garant  !  Selon  Lemnius, 
l'aétite  attirait  le  fœtus  comme  ferait  l'aimant  à  l'égard  du  fer  :  c'est 
pourquoi  Mizault  à  tort  de  la  placer  sur  la  poitrine  et  non  à  la  cuisse. 
Dioscoride,  Pline,  Agricola,  Lemnius,  Mizault  sont  bien  loin  de  nous. 
Et  cependant,  M.  Emile  Bertrand,  un  de  nos  minéralogistes  contem- 
porains les  plus  distingués,  reçoit  presque  chaque  jour  la  commande 
d'une  pierre  d'aigle  pour  une  pharmacie  de  Paris  ou  des  départe- 
ments ! 

La  minéralogie  obstétricale  comptait  encore  d'autres  produitsjadis 
réputés  précieux.  Qui  peut  le  plus  peut  le  moins  :  Si  une  pierre  d'ai- 
mant attire  le  fer,  dur  métal,  comment  cette  vertu  attractive  ne  s'exer- 
cerait-elle pas  sur  ce  paquet  de  chairs  molles  qu'on  appelle  un  nou- 
veau-né? Et  comme  conclusion  de  cette  argumentation  puissante, 
les  bonnes  gens  attachaient  une  pierre  d'aimant  à  l'aine  des  iemmes 
en  travail.  On  pouvait  aussi  employer  l'émeraude,  en  la  fixant  à  la 
cuisse.  Il  est  même  assez  curieux  de  voir  cette  pierre  précieuse  servir 
à  deux  usages  opposés.  On  sait  que  beaucoup  de  personnes  pensent 
qu'une  émeraude  en  bague,  les  aide  à  conserver  leur  chasteté.  Pour 
ce  dernier  usage,  mieux  vaut  l'anneau  de  Hans  Carvel  ! 

A  défaut  de  la  pierre  d'aigle,  on  a  prôné  la  plume  de  cet  oiseau  at- 
tachée à  la  cuisse,  ou  mieux  la  première  plume  de  son  aile  droite 
fixée  à  la  plante  du  pied  correspondant. 

D'autres  arcanes,  tels  que  la  graisse  de  vipère  ou  le  fiel  d'anguille 
en  onctions  sur  l'ombilic,  ont  joui  longtemps  de  la  réputation  d'atté- 
nuer les  douleurs  de  l'enfantement.  «  L'eau  de  lys  distillée,  dit 
Jean-Baptiste  Fayol,  dans  ses  Harmonies  célestes,  fait  facilement 
accoucher  les  femmes  et  diminue  beaucoup  leur  douleurs,  d'où  vient 
que  les  sages-femmes  en  oignent  les  parties  inférieures  d'une  femme 
en  travail  pour  faciliter  son  accouchement.  » 

Le  safran  a  eu  aussi  son  moment  de  vogue,  on  le  prenait  en  potion 
ou  on  l'appliquait  sur  la  hanche  (1). 

(1)  Une  comédie  du  XVIIIe  siècle,  Y  Embarras  de  Godard,  parle  de  cette  plante, 


202  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Démocrite  vantait  la  langue  de  caméléon  ;  d'autres,  la  dépouille 
d'un  serpent  ou  celle  d'un  lièvre  maintenue  autour  de  l'abdomen,  ou 
une  peau  d'élan  (1)  autour  de  la  cuisse.  Pline,  compilateur  exact  de 

et  nous  indique  en  même  temps  les  divers  ingrédients  que  réclamait  alors  une  sage- 
femme  : 

M.  GODAED 
Ne  perdons  point  de  temps,  courons  viste,  Madame, 
Et  ne  négligeons  rien,  pour  secourir  ma  femme. 

LA  SAGE-FEMME 

Avez-vous  les  apprests  qu'il  faut  à  cette  fin  ? 

M.  GODARD 

Oui. 

LA  SAGE-FEMME 

Si  vous  dites  vrai,  vous  avez  donc  du  vin  ? 

M.  GODARD 

Oui. 

LA  SAGE-FEMME 

Vous  avez  du  linge  ? 

M.  GODARD 
Oui. 

PAQUETTE 

Dépeschez  Madame, 
Nous  avons  ce  qu'il  faut,  pour  une  sage-femme. 

LA  SAGE-FEMME 

N'avez-vous  pas  aussi  de  bous  ciseaux  céans  ? 

M.  GODARD 

Oui. 

PAQUETTE 

Ces  demandes  font  désespérer  les  gens, 

LA  SAGE-FEMME 

N'avez-vous  pas  de  fil  ? 

M.  GODARD 

Oui.  (à  part)  Ma  peine  est  extrême  ! 

PAQUETTE 

Si  jusques  à  demain  elle  poursuit  de  même. . . 
LA  SAGE-FEMME 

Avez-vous  du  sel  1 

M.  GODARD 
Oui.  (à  part)  Si  j'en  crois  mon  courroux, 
Je  lui... 

LA  SAGE-FEMME 
Mais  du  safran,  enfin,  en  avez-vous? 
(I)  En  vertu  de  la  médecine  des  signatures,  les  Anciens  pensaient  que  ces  animaux 
pouvaient  communiquer  leur  agilité  par  le  contact  de  leur  dépouille  ;  c'est  aussi 
pour  ce  motif,  qu'au  XVIIIe  siècle,  les  princesses  elles-mêmes  avaient  recours  à 
l'eau  de  tête  de  cerf,  «  ce  sont,  »  dit  Dionis,  «  des  andouillers  de  la  tête  du  cerf 
encore  tendres  que  l'on  fait  distiller  et  dont  on  prend  dans  le  travail  ». 


ERREURS    ET   PRÉJUGÉS  203 

toutes  les  sottises  antiques,  conseille  de  mettre  sur  le  ventre  de  la 
femme  une  pierre  rendue  par  un  calculeux  (1)  ou  encore  le  sabot 
pulvérisé  d'un  âne  (2).  Moschion  veut  que  la  femme  gobe  un  œuf  ou 
qu'on  lui  ceigne  la  tête  d'une  couronne  de  raves  enduites  de  fiente  de 
pigeon.  Aétius  préconise  un  procédé  qui  semble  inventé  par  les  Chi- 
nois :  appliquer  sur  les  reins  du  sujet  des  nids  d'hirondelle  dissous 
dans  de  l'huile.  Soranus  d'Ephèse  critique  l'usage  des  concombres 
couverts  de  cire  et  attachés  avec  de  la  laine  rouge  (3).  De  son  temps, 
on  croyait  aussi  que  la  main  gauche  pouvait  faciliter  les  accouche- 
ments, puisqu'elle  avait  la  vertu  d'attirer  les  serpents.  Pour  activer 
le  travail,  on  conseillait  encore  l'emploi  des  torpilles  comme,  de  nos 
jours,  les  courants  électriques. 

Le  moyen  âge  estimait  le  limaçon  rouge  (4)  comme  un  puissant 
remède  oxytocique.  Voici  la  recette,  assez  malpropre  du  reste,  que 
donne  Albert  le  Grand  :  «  Si  on  prend  par  égale  portion  des  limaçons 
rouges  et  du  romarin,  et  qu'on  les  hache  ensemble  bien  menu,  ensuite 
qu'on  les  mette  pendant  quarante  jours  sous  du  fumier  de  cheval, 
dans  un  pot  plombé  et  bien  bouché,  on  en  tirera  une  huile  que  l'on 
mettra  dans  une  fiole  de  verre  bien  close  ;  ensuite,  on  l'exposera  au 
soleil  :  cette  huile  guérit,  en  peu  de  temps,  les  tranchées  que  les 
femmes  souffrent  avant  ou  après  leur  accouchement.  Celles  dont  le 


(1)  Sans  doute,  en  raison  de  l'analogie  qui  existe  entre  les  coliques  néphrétiques 
et  les  douleurs  de  l'enfantement. 

(2)  L.  Coquelet  dit  que  «  la  fumée  de  la  corne  d'asne  facilite  l'accouchement  de 
l'enfant  mort  dans  le  ventre  de  sa  mère  ». 

(3)  La  couleur  rouge  a  joué  longtemps  un  rôle  important  en  obstétrique  :  nous 
avons  signalé  à  l'accouchement  gémellaire  de  Thamar  le  cordon  écarlate  que  la 
sage-femme  passe  autour  du  poignet  de  Zara  ;  bientôt  nous  indiquerons  l'efficacité 
des  limaçons  rouges,  du  corail  rouge,  des  grenades  ;  nous  verrons  aussi  intervenir 
les  roses  de  Jéricho.  Jacques  Duval  conseille  de  mettre  certaines  plantes  officinales 
dans  un  morceau  de  taffetas  rouge  que  l'on  pendait  au  cou  de  la  patiente  «  et  tost 
après  elle  enfantera  ».  Ailleurs  le  même  auteur  prescrit  de  toucher  les  aphtes  du 
nouveau-né  avec  un  morceau  d'écarlate  rouge  enduit  de  miel  rosat.  On  ne  trouve 
guère  d'exception  que  chez  les  négresses  du  Loango  qui,  pendant  la  grossesse,  ne 
doivent  pas  porter  de  vêtements  rouges,  mais  blancs  et  bleus.  Ce  sont  aussi  les 
deux  couleurs  auxquelles  les  croyantes  vouent  leurs  enfants,  si  les  couches  se  pas- 
sent sans  encombre.  Du  temps  de  Dionis  on  y  joignait  le  gris. 

(4)  Déjà,  chez  les  Anciens,  les  mollusques  de  cet  espèce  étaient  employés  dans 
les  accouchements  ;  Quintus  Serenus  Sanimonicus  dit  : 

At  nbijam  certum  spondet  prœgnatio  fcetum, 
Utfaciii  vigeat  servata  puerpera  partu, 

Dictamnum  bibitur,  cochlea  vumducantur  edules. 

Quand  la  grossesse  promet  sûrement  un  fruit 

Pour  que  la  mère    jouisse,  saine  et  sauve,  d'un  accouchement  facile, 

Qu'elle  boive  du  dictame  et  mange  des  escargots. 


204  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

ventre  sera  ridé,  à  cause  du  nombre  des  enfants  qu'elles  auront 
portés,  pourront  s'en  servir  ;  il  n'est  rien  de  plus  sûr  qu'elles  auront 
la  peau  du  ventre  aussi  unie  et  douce  que  si  elles  étaient  encore 
filles.  » 

Au  XVIIe  siècle,  la  poudre  de  laRoyne,  était  employée  «  tant  pour 
garantir  des  douleurs  restées  après  un  travail  violent,  que  mesmes 
pour  rendre  le  futur  accouchement  tranquille  et  moins  douloureux  ». 
Cette  poudre  était  un  composé  de  racine  de  grande  consoude,  de  noyaux 
de  pêche,  de  noix  muscades,  d'ambre  jaune  et  gris  ;  tous  ingrédients 
bien  anodins. 

A  la  même  époque,  on  faisait  dans  les  accouchements  laborieux  des 
fumigations  locales  avec  un  appareil  spécial,  représenté  par  A.  Paré 
(fig.  86,  87).  On  employait,  à  cet  effet,  différentes  plantes,  telles 
que  l'armoise,  la  sabine,  le  dictamne,  la  myrrhe,  la  sarriette,  etc. 
«  Ceux  qui  »,  dit  Jacques  Duval,  «  dénuez  des  commoditez  de  la  ville, 
sont  contrains  se  servir  de  ce  qu'ils  trouvent  aux  champs,  font  fumi- 
gation avec  fiente  de  chat  ou  d'agneau,  et  ongle  de  cheval,  appliquent 
mesmement  un  délivre  de  vache  sur  le  ventre,  ou  bien  en  donnent 
quelque  portion  qu'ils  auront  gardée  estant  batue  et  meslée  avec  du 
vin  blanc».  Le  même  médecin  indique  encore  d'autres  recettes 
employées  de  son  temps  pour  faciliter  les  couches  :  «  Il  sera  aussi 
bien  convenable,  d'attacher  à  la  cuisse  dextre  du  styrax  calami, 
coriande  verte,  ou  racines  de  polygonon  et  de  cyclamen.  La  racine 
d'hyosciame  doit  aussi  estre  liée  et  attachée  à  la  cuisse  gauche.  Une 
pierre  d'Emery  tenue  en  la  main  dextre.  Faut  aussi  donner  le  poids 
d'un  escu  de  rasure  d'yvoire  à  boire  avec  eau  de  canelle  ou  théricale. 

«  Le  corail  rouge  pendu  au  col  profite  grandement. La  sarriette  battue 
et  mise  sur  le  ventre  tire  et  met  l'enfant  hors  du  corps,  soit  mort 
ou  vif. 

«  Ce  que  peut  faire  aussi  le  laict  d'asnesse  beu  avec  quelque  peu 
d'eau  salée,  ou  d'eau  rose.  Il  y  en  a  qui  appliquent  sur  le  ventre  de 
l'armoise  battue  et  laict  de  femme,  avec  fort  bon  succez.  Jean  de 
Ville-Neufve  et  Jean  de  Sainct-Amand  approuvent  fort  qu'on  face  tenir 
sur  la  région  de  l'aiue,  douze  ou  treize  grains  de  corriande  liez  dans 
un  linge  bien  tenu,  par  un  enfant  vierge,  soit  fils  ou  fille,  et  qu'on 
face  boire  une  demie  drachme  de  roche  de  borras  dans  de  fort  vin 
blanc,  ou  eau  de  canelle  quantité  d'une  once.  Et  Victorinus  Faventin 
approuve  fort  ce  remède.  Prenez  écorce  du  raifort  et  feuilles  de  mer- 
curiale, de  chacune  une  once,  trois  grains  de  saffran,  deux  drachmes 
de  canelle  bien  battue  :  meslez  le  tout  et  le  mettez  dans  un  morceau 
de  taffetas  rouge  que  vous  pendrez  au  col  de  la  malade,  et  tost  après 


ERREURS   ET   PREJUGES 


205 


elle  enfantera.  A  ce  convient  aussi  l'odeur  de  genest  brûlé,  ou  bien  du 
bitume  judaïque,  qui  est  plus  convenable.  » 

A  toutes  les  extravagances  des  siècles  passés,  le  XVIIIe  siècle 
ajouta  nécessairement  la  trinité  des  fameuses  panacées  de  l'époque, 
le  saignare,  le  pur  g  are  et  leclisterium  donare;  la  saignée  surtout  fai- 
sait merveille.  A.  Leroy  proclame  que  la  lancette  est  le  meilleur  de  tous 
les  forceps.  Mauriceau  préconise  le  séné  avec  du  jus  de  citron.  Lebas 


Fig.  8G.  —  Appareil  à  fumigations,  d'après 
A.  Paré. 


Fig.  87.  —  Sorte  de  spéculum  placé  dans  le 
vagin  pourrecevoirles  fumigations, d'après 
A.  Paré. 


tient  pour  les  vomitifs  ;  d'autres  préfèrent  les  sternutatoires.  De  La- 
mote,  plus  sage,  s'en  rapporte  à  la  nature  et  critique  tous  ses  con- 
frères qui  attribuent  la  rapidité  du  travail  à  l'usage  de  leur  recette. 
Il  raconte  la  mésaventure  d'un  accoucheur  de  son  temps  qui  avait 
une  poudre  merveilleuse  pour  accélérer  le  travail  ;  appelé,  un  jour,  à 
la  hâte  auprès  d'une  femme  en  couches,  il  s'aperçoit  qu'il  a  oublié  sa 
poudre,  il  part  la  chercher  et  trouve  à  son  retour  l'accouchement 
terminé.  De  même  Viardel  s'apprête  à  pratiquer  la  saignée  tradition- 


20G  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

nelle  pour  hâter  le  travail,  mais  il  n'a  pas  encore  tiré  sa  lancette  qu'il 
reçoit  l'enfant  avant  l'arrivée  de  la  sage-femme.  C'est  la  philosophie 
de  toutes  les  arcanes  qui  ont  la  prétention  d'accélérer  l'accouchement; 
on  leur  attribue  généralement  un  mérite  qui  revient  à  la  nature. 

Avant  d'en  finir  avec  cette  revue,  déjà  longue,  nous  avons  encore  à 
signaler  certaines  extravagances  des  plus  étranges. 

«  Les  bonnes  famés  de  village,  à  l'antour  de  Mompelhier,  »  dit  Lau- 
rent Joubert,  «  ont  éprouvé  que  si  celle  qu'est  travailhée  d'anfant, 
s'assied  sur  le  cul  d'un  chauderon,  qu'on  ha  levé  presantemant  du 
feu,  elle  anfante  plus  aysément.  Nous  savons  que  tel  chauderon, 
auquel  naguère  l'eau  boulhoit,  ha  le  cul  tiède,  qu'on  dit  froid  en  com- 
paraison du  reste,  qui  est  chaud  brûlant.  Or,  cette  tiédeur  remollit  le 
cropion,  et  le  rand  plus  facile  à  céder,  comme  font  les  fomantacions 
remollissantes  que  nous  usons  à  cet  effet... 

«  Il  y  a  moins  de  raison  à  ce  que  les  mesmes  villageoises  font,  de 
mettre  sur  le  vantre  de  la  famé,  le  bonnet  ou  chapeau  de  son  mary, 
sinon  par  avanture  que  y  étant  mis,  on  serre  le  vantre  par  dessus  le 
bonnet,  qui  an  ce  cas  sert  de  compresse  pour  ayder  à  l'expulsion. 
Mais  ie  panse  qu'on  le  fait  an  ieu,  au  moins  qu'il  a  été  ainsi  intro- 
duit et  que  depuis  on  le  prand  à  bon  ôciant.  Et  le  ieu  peut  être  prins 
de  cette  sorte  :  Que  les  marys  volontiers  s'excusent  et  défandent  de 
n'assister  à  tels  affaires.  Quelquefois  on  les  y  veut  contraindre;  pour 
s'y  aider  et  si  on  n'an  peut  avoir  autre  chose,  on  leur  retient  le  bon- 
net, qu'on  met  sur  le  vantre  de  sa  famé  :  comme  an  disant,  de 
l'homme  est  parvenu  cette  anfleure  de  vantre,  comme  s'il  avoit  la 
pointe  venimeuse;  luy,  ou  son  bonnet,  appliqué  là  dessus  sert  de 
contre  venin  et  fait  passer  l'anfleure.  Mais  ie  trouve  bien  plus  raison- 
nable que  ce  soit  luy  mesme,  qui  de  son  vantre  couvre  le  vantre  de  sa 
famé,  nom  pas  que  sa  tiède  chaleur  vigorant  celle  de  la  famé  y  fit 
tant  que  la  copulacion  accoutumée.  Car  la  famé  an  se  remuant  tant 
soit  peu,  ébranle  doucement  et  plaisammant  le  cropion,  et  la  semance 
du  marry  rand  le  passage  glissant,  beaucoup  mieus  que  ne  font  les 
eaus.  C'est  l'urine  de  l'enfant,  laquelle  à  ces  fins  doit  sortir  la  pre- 
mière, le  say  personnes  qui  an  usent  ainsi,  dont  leurs  famés  se  trou- 
vent fort  bien  et  ont  aysée  délivrance.  » 

Ne  quittons  pas  la  France  :  Thiers  va  nous  fournir  encore  nombre 
de  superstitions  bizarres.  Ici,  les  commères  déclarent  que  plus  long- 
temps une  femme  grosse  laisse  sur  le  trépied  son  cuvier  à  lessive, 
plus  ses  couches  dureront  de  temps;  là,  qu'il  est  utile  de  prononcer 
certaines  paroles  sur  le  toit  de  la  maison  où  gémit  une  femme  en  mal 
d'enfant  ;  ailleurs,  qu'il  suffit  de  murmurer  à  son  oreille  sucamydur. 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  207 

D'autres,  enfin,  font  porter  à  l'épouse  la  culotte,  les  bas  ou  les  chaus- 
sures du  mari.  Que  reste-t-il  de  toutes  ces  croyances?  L'erreur  étant 
tenace  de  sa  nature,  nous  ne  serions  pas  étonné  qu'on  en  trouvât 
trace  encore  dans  nos  campagnes,  aussi  bien  peut-être  que  d'une  gra- 
cieuse superstition  méridionale  rapportée  par  le  même  Thiers.  La 
voici  :  au  pays  de  Provence,  les  femmes  enceintes  mettent  dans  l'eau 
des  roses  de  Jéricho;  si  les  fleurs  s'ouvrent,  c'est  l'annonce  d'une 
heureuse  et  facile  délivrance;  quand,  au  contraire,  elles  restent  fer- 
mées, la  couche  sera  pénible.  Dans  d'autres  pays,  on  se  contente 
d'attacher  les  mêmes  roses  de  Jéricho  aux  pieds  du  lit  pour  accélérer 
l'accouchement. 

Achevons  par  une  courte  promenade  à  l'étranger.  En  Sicile,  les 
femmes  en  travail  boivent  abondamment  de  l'eau  glacée,  ou  tiennent 
dans  leurs  mains  de  la  neige,  ou  se  l'appliquent  sur  le  ventre.  Suivant 
la  doctrine  musulmane,  il  faut,  dans  un  accouchement  difficile,  écrire 
sur  un  parchemin  des  versets  du  Koran  et  répandre  sur  cette  écriture 
de  l'eau  que  l'on  fait  avaler  à  la  femme.  Les  Finnois  ouvrent  le  cou 
d'un  poulet  vivant  et  le  tiennent  suspendu,  jusqu'à  son  agonie,  de- 
vant les  organes  externes  de  la  femme  ;  pour  eux,  les  mouvements 
convulsifs  de  l'animal  invitent  la  matrice  à  suivre  son  exemple.  Au 
Japon,  nous  verrons  un  parent  ou  un  ami  de  la  patiente  en  détresse 
aller  au  temple  voisin  avaler  des  bouts  de  papier,  appelés  sitzu-bum. 
Les  Chinois  sont  plus  malpropres  :  dans  les  cas  difficiles,  ils  font 
prendre  à  la  femme  en  couches  des  cheveux  d'homme  grillés  et  de 
l'urine  d'enfant.  Non  moins  repoussante  est  la  recette  employée  dans 
le  centre  de  la  Russie  :  quand  les  moyens  ordinaires,  comme  de 
faire  souffler  la  femme  dans  une  bouteille  vide,  ont  échoué,  on  admi- 
nistre alors  à  la  malheureuse  des  cendres  et  des  poux,  agent  théra- 
peutique qu'on  a  toujours  sous  la  main.  Au  Kamtschatka,  où  nous 
nous  arrêterons,  les  indigènes  offrent  à  leurs  femmes,  pour  les  rendre 
fécondes  et  faciliter  leurs  couches,  l'insecte  industrieux  et  répugnant 
que  nous  nommons  araignée.  Rappelons  cependant  que  l'astronome 
Lalande  croquait  volontiers  de  ces  horribles  bêtes  et  leur  trouvait 
un  goût  de  noisette. 


L.  —  APRES  LE  TRAVAIL 

1°  Sur  la  délivrance.  —  procédés  pour  hâter  l'expulsion 
du  délivre.  —  Hippocrate  donne  de  nombreuses  recettes,  plus  ridi- 
cules les  unes  que  les  autres,  pour  hâter  l'expulsion  du  délivre  ;  en  voici 


208  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

deux  échantillons  :  Introduire  dans  le  vagin  un  linge  contenant  du 
concombre  sauvage  délayé  avec  du  lait  de  femme;  boire  du  vin  dans 
lequel  on  aura  écrasé  trois  oursins  de  mer  ou  de  la  peau  de  serpent. 
Des  médecins  modernes  ont  surpassé  en  niaiserie  le  père  de  la  méde- 
cine :  le  docteur  Lemery,  dans  sa  Pharmacopée,  conseille  sérieuse- 
ment d'avaler  des  punaises  vivantes  pour  faciliter  l'expulsion  du  pla- 
centa. 

Au  sujet  de  la  délivrance,  on  peut  rappeler  ici  le  propos  des  bonnes 
femmes  qui  défend  de  jeter  le  placenta  au  feu,  dans  la  crainte  d'ex- 
poser la  mère  à  de  l'inflammation. 

attache  du  cordon  ombilical.  —  Beaucoup  de  commères,  ana- 
tomistes  médiocres,  croient  que  le  cordon  tient  au  cœur  de  lamère; 
si,  par  accident,  celle-ci  succombe  à  une  hémorrhagie  pendant  la  dé- 
livrance, les  bonnes  langues  ne  manquent  pas  de  reprocher  à  l'accou- 
cheur d'avoir  rompu  le  cœur  de  la  parturiente,  en  tirant  trop  fortement 
sur  le  cordon. 

tours  du  cordon. —  Encore  une  superstition  signalée  par  Thiers: 
«  Il  ne  faut  pas  qu'une  femme  grosse  voie  habiller  un  prêtre  à  l'autel, 
et  particulièrement  lorsqu'il  met  la  ceinture  de  son  aube,  de  crainte 
que  son  enfant  ne  naisse  le  boyau  au  cou,  comme  l'on  parle  d'or- 
dinaire. » 

A  Taïti,  on  regarde,  au  contraire,  comme  un  heureux  présage 
quand  un  enfant  vient  au  monde  avec  deux  circulaires  autour  du 
cou  ;  celte  particularité  promet  un  vaillant  guerrier. 

Dans  les  campagnes,  on  croit  encore  que  l'enfant  «  aura  le  cordon  » 
si  la  mère,  pendant  sa  grossesse,  a  mis  un  écheveau  de  fil  autour  de 
son  cou. 

nœuds  du  cordon. — Connaissez-vous  Yomphalomancie?  C'est  un 
petit  commerce  divinatoire,  encore  pratiqué  de  nos  jours,  paraît-il. 
Certaines  matrones,  femmes  ingénieuses,  sinon  respectables,  pré- 
tendent deviner  par  le  nombre  de  nœuds  (fig.  88)  que  présente  le 
cordon  ombilical  du  nouveau-né,  le  nombre  d'enfants  que  l'accouchée 
aura  dans  la  suite  :  autant  de  nœuds  au  cordon,  autant  d'enfants; 
pas  de  nœud,  plus  d'enfant;  si  la  distance  entre  les  nœuds  est  grande, 
grand  sera  l'intervalle  entre  chaque  accouchement;  chaque  nœud 
noirâtre  ou  rougeâtre  annonce  un  garçon,  les  nœuds  blancs  présagent 
des  filles. 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  209 

Laurent  Joubert,  qui  critique  cette  erreur,  en  commet  une  autre 
en  voulant  expliquer,  à  sa  façon,  la  production  des  nœuds  :  «  Toute  la 
signification  qu'ils  peuvent  avoir,  est  de  ceste  coniecture,  à  mon  avis, 

que  la  multitude  des  nœuds  ou  tortil- 
hemans  qui  sont  près  l'un  de  l'autre  et 
de  couleur  rouge  ou  noirâtre,  peuvent 
témoigner  la  matrice  de  la  famé  estre 
robuste  et  bien  complexionée,  de  bonne 
chaleur  et  non  baveuse.  Car  ce  qui  est 
ainsi  noué,  est  aussi  plus  fort,  comme 
nous  disons  des  incisions  du  muscle 
droit  de  l'abdomen  ;  et  la  couleur  rouge 
est  signe  de  vivacité.  Dont  on  pourroit 
fig.  es.  -  Nœuds  du  cordon  ombilical  dire  à  voyr  plusieurs  nœuds  an  la  veine 
(Leyman).  umbilicale,  que  la  matrice  qui  les  ha 

formés  est  galharde,  et  an  pourra  faire 
beaucoup  d'autres;  nom  pas  qu'on  puisse  deviner  le  nombre.  Et  par 
mesme  raison  elle  hâtera  de  près  et  ne  sera  guières  an  seiour,  veu  sa 
fécondité,  et  fera  plus  de  mâles  que  de  femelles.  Car  telle  est  la  condi- 
tion d'une  matrice  bien  tampérée...  ». 

section  du  cordon.  —  Quand  un  jeune  enfant  est  atteint  d'une 
hernie  ombilicale,  la  mère  est  le  plus  souvent  disposée  à  en  rejeter  la 
cause  sur  le  compte  de  la  sage-femme  ou  de  l'accoucheur  ;  elle  les  ac- 
cuse d'avoir  lié  le  cordon  trop  loin  de  l'abdomen.  Inutile  d'insister 
sur  la  fausseté  de  cette  accusation. 

Autrefois,  on  coupait  le  cordon  à  une  distance  plus  longue  pour  le 
garçon  que  pour  la  fille  «  parce  que  »,  disait-on,  «  le  court  nombril 
rend  le  ventre  plus  gresle  et  menu,  ce  qui  est  plus  requis  en  l'un 
qu'en  l'autre  ».  Laurent  Joubert  donne  une  autre  raison  de  cette 
pratique  : 

«  Les  bonnes  famés,  sogneuses  de  la  conservacion  du  genre  hu- 
main, remontrent  volontiers  et  requièrent  charitablemant  aus  sages 
famés,  quand  c'est  un  fils,  que  luy  fassent  bonne  mesure.  Car  elles 
pansent  que  le  mambre  viril  prandra  là  son  patron  et  qu'il  deviendra 
plus  grand,  si  ce  qui  pana  ancores  du  nombril  est  demeuré  bien  long. 
Quant  aux  filhes,  il  ne  s'an  parle  point,  car  si  la  vedilhe  (le  cordon) 
gouverne  ou  transmue  le  conduit  qui  va  à  la  matrice  (lequel  répond 
à  la  verge  de  l'homme,  comme  la  gaine  au  couteau)  les  famés  vou- 
draient bien  qu'il  demeurât  court  et  droit,  car  il  ne  s'agrandit  que 
trop  » . 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS.  14 


210  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


•  A  Taïti,  ou  attend  que  la  délivrance  soit  terminée  pour  couper  le 
cordon,  et  on  opère  sa  section  au  voisinage  du  placenta,  dans  la  per- 
suasion que  plus  le  cordon  a  de  longueur  et  plus  la  vie  de  l'enfant 
sera  longue. 

propriétés  du  cordon.  —  «:  An  quelques  pais»,  dit  encore  L.  Jou- 
bert,  «  les  bonnes  famés  gardent  sogneusement  celle  de  leurs  filhes 
pour  leur  faire  des  amoureus  quand  il  les  faudra  marier.  C'est  qu'elles 
ont  opinion  que  si  on  donne  a  manger  ou  a  boire  de  cette  vedilhe 
mise  en  poudre,  a  l'homme  qui  leur  est  aggréable,  il  devient  extrê- 
mement amoureus  de  la  filhe,  et  ne  faut  plus  sinon  faire  les  pactes 
de  mariage.  Je  tiens  cela  pour  une  erreur  et  abus  trop  cuidant, 
comme  la  plus  part  de  ce  qu'on  dit  des  autres  breuvages  amoureus, 

an  Grec  dits  philtres,  que  l'on  attribue  aux  sorcières  et  vielhes  p , 

pour  coiffer  les  hommes  de  leur  amour.  Mais  je  pense  qu'il  y  a  quel- 
que secrette  allégorie  an  telle  opinion  et  c'est,  paravanture,  que  si  les 
hommes  viennent  à  si  grande  familiarité  des  filhes  trop  faciles  et 
ployables,  qu'ils  puissent  faire  toucher  et  joindre  leurs  nombrils, 
qu'elles  les  attirent  par  là,  et  font  la  conjonccion  de  l'Androgyne  de 
Platon  par  telle  réunion.  An  quoy  plusieurs  sont  attrapés,  quelque- 
fois à  leur  dam.  Et  voilà  commant  le  nombril  des  filhes,  non  pas  le 
mort,  ains  le  vivant,  duquel  on  donne  goût  aus  hommes,  en  les  af- 
friandant  les  rand  échauffés  et  abêtis,  si  la  raison  ne  les  domine  et 
régit.  Dont  souvant  ils  antandent  et  condessandent  à  des  partis  in- 
dignes de  leur  condicion.  » 

En  dehors  de  cette  propriété  aphrodisiaque  du  cordon,  dans  cer- 
tains pays,  en  Océanie  par  exemple,  le  cordon  desséché  est  gardé 
précieusement,  et,  en  cas  de  guerre,  on  le  jette  à  la  mer  pour  favoriser 
le  sort  des  armes.  De  môme  les  Kalmoucks  considèrent  le  cordon 
desséché  comme  un  porte-bonheur.  Les  Fidjiens  l'enterrent  en  céré- 
monie (1)  et  dans  le  pays  d'Uganda,  d'après  Speke  (2),  on  le  décore  de 
perles,  puis  on  le  conserve  toute  la  vie  de  l'individu,  et,  à  sa  mort,  on 
l'ensevelit  avec  lui. 

divers  usages  du  délivre.  —  Des  tranchées  suivent  fréquemment 
les  couches,  surtout  chez  les  multipares;  on  pensait  autrefois  les 
calmer  en  appliquant  sur  le  ventre  de  la  femme,  en  guise  de  cata- 
plasme, le  placenta  et  ses  annexes  (fig.  89).  Lemery,  dans  sa  Pharmaco- 

(1)  Giraud-Teulon.  Les  origines  de  la  famille. 

(2)  Voyage  aux  sourees  du  NU. 


ERREURS    ET    PREJUGES 


211 


pée,  attribue  les  mêmes  propriétés  à  un  délivre  séché  et  mis  en  poudre, 
dont  on  prendra  quelques  pincées  dans  de  l'eau  ;  il  dit  qu'on  doit 


Fig.  89.  —  Placenta  et  ses  annexes. 


choisir  l'arrière- faix  beau  et  entier  et,  de  préférence,  celui  d'un  garçon. 

Pour  faciliter  la  conception,  Hippocrate  conseille  d'introduire  dans  le 

vagin  un  mélange  composé  des  mem- 
branes du  délivre,  de  têtes  de  vers 
et  d'alun  d'Egypte,  le  tout  préalable- 
ment broyé  dans  un  mortier  avec  de 
la  graisse  d'oie. 

Dans  certains  pays,  en  vertu  d'un 
autre  préjugé  tout  aussi  absurde,  on 
attribue  aux  placentas  encore  chauds 
et  saignants  des  accouchées  la  sin- 
gulière propriété  de  guérir  les  nœvi 
materni,  autrement  dit  les  envies. 
Suivant  une  observation  rapportée 
par  le  D1'  Brière,  cette  pratique  a  failli 
causer  la  perte  de  la  vue  chez  une 
fille   de  cinq  mois,  qui   présentait 

sous   le  sourcil    gauche  un  nœvus  de  la  grosseur  d'une  lentille. 

D'après  les  conseils  d'une  sage-femme,    la  mère    de  cette   enfant 


Fig.  90.  —  Insufflation  directe. 


212 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


appliqua,  sur  la  paupière  atteinte,  un  fragment  de  délivre;  ce  frag- 
ment provenait  d'une  femme  de  mauvaises  mœurs;  il  se  produisit 
bientôt  une  ophthalmie  purulente,  qui  ne  disparut  qu'au  bout  d'un 
mois,  après  avoir  causé  les  plus  vives  inquiétudes. 


Fig.  91.  —  Position  d'inspiration. 


Pour  ranimer  un  enfant  né  en  état  d'asphyxie,  on  a  conseillé  de 
l'exposer  à  la  fumée  du  placenta  et  du  cordon  ombilical  qu'on  brûle  à 
côté  de  lui.  Nous  croirions  plutôt. à  l'effet  contraire.  En  Sicile,  les 
sages-femmes  mettent  le  bec  d'une  poule  vivante  dans  le  rectum  de 
l'enfant.  Dans  d'autres  endroits,  on  préconise  la  succion  du  mamelon 
gauche,  sans  doute  à  cause  du  voisinage  du  cœur.  Du  temps  de  Dionis, 
les  sages-femmes  plongeaient  le  délivre,  non  détaché  de  l'enfant,  dans 
un  poêlon  de  vin  chaud.  On  sait  que  le  meilleur  moyen  de  ranimer 


ERREURS   ET   PREJUGES 


213 


l'enfant  est  de  pratiquer  la  respiration  artificielle  en  comprimant  mé- 
thodiquement les  côtes,  ou  mieux  de  les  plonger  rapidement  dans  un 


Fig.  92.  —  Position  d'expiration. 


bain  d'eau  très  chaude.  Les  tubes  laryngiens,  l'insufflation  de  bouche 
à  bouche  (fig.  90)  et  le  procédé  du  Dr  Schultze  (fig.  91,  92)  ne  nous 
inspirent  qu'une  médiocre  confiance. 


2°  Soins  donnés  à  la  mère.  —  sommeil.  —  Assez  souvent  on 
défend  le  sommeil  à  la  femme  nouvellementdélivrée.Alacourde  France, 


214  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


la  lectrice,celle  même  dontla  voix,  sans  aucun  doute,  availfréquemment 
endormi  la  reine,  était  chargée  de  veiller  à  ce  qu'après  ses  couches  la 
souveraine  ne  se  laissât  pas  aller  au  sommeil.  Sotte  coutume,  comme 
le  fait  justement  remarquer  le  Dr  Payelle  :  «  Il  n'est  pas  plus  ra- 
tionnel d'interdire  à  une  pauvre  accouchée,  dont  le  travail  de  l'enfan- 
tement a  épuisé  les  forces,  de  prendre  un  instant  de  repos,  que  d'em- 
pêcher un  travailleur  de  se  remettre  de  ses  fatigues,  dans  la  crainte 
qu'il  ne  tombe  en  léthargie  ».  On  laissera  donc  dormir  la  femme  aus- 
sitôt après  la  délivrance,  si  elle  en  éprouve  le  besoin;  il  suffira  de  la 
surveiller  attentivement,  au  cas  où  une  hémorrhagie  surviendrait. 

position  horizontale.  —  Les  bonnes  gens  croient  volontiers 
que  toute  accouchée  doit  rester  étendue  sur  le  dos,  les  femmes  du 
peuple  pendant  neuf  jours,  celles  de  la  classe  riche  pendant  trois 
semaines.  Or,  c'est  un  supplice  gratuitement  infligé  à  la  femme;  non 
seulement  la  position  est  des  plus  fatigantes,  mais  elle  est  loin  de 
favoriser  l'écoulement  des  lochies.  Il  y  a  avantage,  au  contraire,  à 
laisser  l'accouchée  sur  l'un  ou  l'autre  côté,  et  même  sur  son  séant. 

Les  commères  sont  inépuisables  en  prescriptions  baroques.  Elles 
recommanderont  encore  de  ne  jamais  mettre  de  draps  neufs  au  lit 
d'une  femme  en  couches  :  ce  serait  l'exposer  à  une  perte.  A  une  perte 
de  linge,  tout  au  plus  :  une  précaution  d'économie  domestique  s'est 
transformée  en  règle  d'hygiène. 

aliments  et  régime.—  C'est  à  tort  que  l'on  condamne  la  femme 
en  couches  aux  boissons  chaudes.  Tout  breuvage  peut  être  pris,  sans 
inconvénient,  à  la  température  de  la  chambre. 

Dans  certains  pays,  on  gorge  de  nourriture  la  nouvelle  accouchée, 
pour  combler  le  vide  qui  vient  de  se  produire  dans  son  ventre.  «  En 
Italie,  »  écrit  P.  Salius,  «  on  donne  aux  femmes,  aussitôt  délivrées,  de 
bons  chapons,  après  leur  en  avoir  fait  boire  le  bouillon  ». 

«  Si  on  ha  mal  commencé,  »  dit  L.  Joubert,  «  on  fait  pis  en  conti- 
nuant, ie  ne  dis  pas  de  nourrir,  mais  de  saouler  et  farcir  à  crever  les 
accouchées,  comme  si  on  vouloit  faire  un  boudin  de  leur  vantre.  Les 
bonnes  famés  allèguent  pour  leurs  raisons  que  la  matrice  est  vuide  et 
qu'il  faut  la  ramplir.  C'est  une  proposicion  de  Physique  et  bien  natu- 
relle, que  la  nature  ha  an  horreur  le  vuide  et  ne  le  peut  souffrir.  Mais 
la  matrice  qui  se  vuide  par  plusieurs  iours  après  l'enfantemant,  lors 
qu'il  n'y  a  plus  rien  de  superflu,  elle  se  reserre  et  étroissit  :  tellemant 
qu'elle n'ha  iamais  capacité  vuide  et  indigeante  de  replecion.  Etquand 
elle  an  auroit  besoin,  ce  n'est  pas  la  viande  qu'elle  requiert,  ni  du 


ERREURS   ET    PREJUGES 


215 


sang  fait  de  la  viande,  ains  du  sperme  tant  seulemant,  qui  est  sa  frian- 
dise et  la  chose  désirée.  Mais  ie  m'assure  que  les  honnestes  famés  ne 
la  luy  accorderont  pas  avant  que  leur  gessine  soit  bien  célébrée.  » 

De  même  Roderic  de  Castre  s'élève  contre  les  sages-femmes  de  son 
temps  :  «  Ce  n'a  été  qu'avec  beaucoup  de  chagrin  de  me  voir  obligea 
tolérer  ces  sortes  de  femmes,  qui  gouvernent  les  nouvelles  accouchées 


Fig.  93.  —  Banquet  dans  la  chambre  de  l'accouchée,  d'après  1' 'Hygiène  et  médecine  des  deux  sexes. 


et  se  mettent  dans  la  tête  qu'on  ne  peut  rien  faire  de  bon,  à  moins 
qu'on  ne  les  remplisse  de  viande  et  de  vin  ». 

Il  est  trop  évident  qu'après  neuf  mois  de  gêne  ou  de  fatigues,  après 
une  crise  redoutable,  la  femme  a  besoin  de  tranquillité. 


21G  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

«  On  doit  éloigner  sans  distinction  »,  dit  Capuron,  «  tous  ceux  dont 
la  présence  pourrait  troubler  le  calme  et  le  repos  dont  elle  a  besoin, 
tant  au  moral  qu'au  physique...  A  Sparte,  la  femme  était  affranchie 
de  tout  compliment  fade  et  ennuyeux;  à  Rome,  on  suspendait  une 
couronne  au-dessus  de  la  porte  de  la  maison  qu'elle  habitait  (1),  comme 
pour  avertir  les  passants  et  les  voisins  de  respecter  un  asile  ;  enfin, 
dans  des  temps  plus  modernes  encore,  le  magistrat  de  Harlem  n'ac- 
cordait-il pas  une  espèce  de  sauvegarde  à  la  demeure  de  la  femme  en 
couches,  et  l'approche  n'en  était-elle  pas  défendue  à  l'appariteur  et  à 
tout  suppôt  de  justice  ?  » 

Dès  lors  nous  blâmerons  l'imprudence  de  certains  campagnards  qui, 
ayant  baptisé  l'enfant  peu  de  jours  après  sa  naissance,  festoient 
dans  la  chambre  de  l'accouchée  (fig.  93)  et  y  dansent  à  grand  bruit. 
Tout  ce  vacarme  de  langues,  de  pots  et  de  pieds  est  excellent  pour 
donner  la  fièvre  à  la  nouvelle  mère. 

L'Eglise  s'élevait  autrefois  avec  raison  contre  cette  coutume  ;  les 
statuts  synodaux  du  diocèse  de  Saint-Malo,  en  1620,  prohibaient  «  les 
vaines  comessations  et  festins  que  l'insolence  mondaine  a  introduit 
sous  ombres  de  baptêmes.  Et  d'autant  que  les  prêLres  doivent  avoir 
horreur  de  voir  ainsi  luxurier  et  abuser  des  biens  de  Dieu,  leurs  dé- 
fendons principalement  d'assister  à  telles  dissolutions  et  yvrogneries, 
sur  peine  de  suspense  arbitraire  ». 

aération.  —  Dans  les  chambres  d'accouchées,  il  est  utile  de  re- 
nouveler l'air  plusieurs  fois  par  jour  ;  trop  souvent  on  craint  d'obser- 
ver cette  mesure  hygiénique,  oubliant  que  la  femme  vient  d'accomplir 
une  fonction  normale  et  ne  doit  pas  être  traitée  en  malade;  il  sera 
temps  d'aviser,  si  l'on  prévoit  quelque  complication  ;  mais  ce  n'est  pas 
le  cas  ordinaire.  En  Turquie,  d'après  le  Dr  Zambaco  (2),  les  croisées 
sont  toutes  grandes  ouvertes  pendant  l'accouchement;  mais  aussitôt 
après,  elle  sont  fermées  et  condamnées  ainsi  que  les  portes,  durant 
au  moins  huit  jours,  quelle  que  soit  la  saison.  Le  linge  imprégné  de 
tous  les  liquides  de  l'accouchement  et  des  lochies,  reste  aussi  le  même 
nombre  de  jours  auprès  de  la  femme,  de  sorte  que  celle-ci  séjourne 


(1)  Juvénal  fait  allusion  à  cet  usage  lorsqu'il  dit,  dans  sa  neuvième  satire  : 

. . .  Foribus  suspende  coronas  : 
Jam  2>ater  es  ! 

A  ta  porte  suspends  des  couronnes: 
Tu  es  père  ! 

(2)  Contribution  à  l'étude  de  la  femme  en  Orient. 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  217 

dans  une  atmosphère  infecte.  Il  paraît  que,  sans  ces  précautions,  les 
Djinns  viendraient  jouer  de  mauvais  tours  à  la  nouvelle  accouchée. 

Un  préjugé  fatal,  respecté  de  nos  jours, 
Dit  que  durant  la  couche  on  doit  suer  toujours. 
Cette  erreur  capitale,  aux  femmes  si  funestes, 
A  causé  plus  de  maux  que  la  guerre  et  la  peste. 
Ne  confondez  jamais  la  transpiration, 
De  nos  humeurs  utile  évaporation, 
Qui,  nécessaire  au  corps,  mais  naturelle  et  libre, 
Y  rétablit  sans  cesse,  y  maintient  l'équilibre, 
Avec  cette  liqueur  qui,  des  pores  du  corps, 
Ruisselle,  et  sans  succès  affaiblit  ses  ressorts. 
Je  dis  plus,  la  sueur,  chère  aux  yeux  du  vulgaire, 
Des  fièvres  de  la  couche  est  la  cause  ordinaire. 

Sacombe  écrit  en  patois,  mais  son  patois  a  raison. 

constriction  du  ventre.  —  Les  femmes  qui  viennent  d'accou- 
cher demandent  qu'on  leur  sangle  le  ventre  avec  une  serviette  pour 
conserver  la  finesse  de  leur  taille.  Cette  constriction  a,  en  effet,  son 
utilité,  mais  surtout  pour  suppléer  au  défaut  d'élasticité  de  la  peau  et 
à  l'affaiblissement  des  muscles  abdominaux.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce 
bandage  ne  doit  être  serré  que  modérément.  «  Il  ne  faut  pas,  »  dit 
Marceau,  «  suivre  la  mauvaise  coutume  qu'ont  la  plupart  des  gardes 
qui,  croyant  mieux  et  plus  promptement  raccommoder  la  taille  du 
ventre  de  leur  accouchée,  le  serrent  si  fort  pour  en  diminuer  la  gros- 
seur que  la  matrice,  au  lieu  de  se  rétablir  dans  sa  situation  naturelle, 
est  poussée  en  bas  par  la  trop  grande  compression  de  ce  bandage,  ce 
qui  est  souvent  cause  que  la  femme  en  reste  longtemps  fort  incom- 
modée d'une  grande  pesanteur  de  matrice,  et  que  son  ventre,  au  lieu 
de  diminuer,  en  est  rendu  encore  plus  gros,  à  cause  de  la  fluxion  que 
ce  douloureux  sentiment  de  pesanteur  entretient  en  cette  partie  et  dans 
toutes  celles  qui  lui  sont  voisines.  »  Quelques  médecins,  sur  le  conseil 
de  Stolz, remplacent  la  serviette  par  un  ou  deux  draps  plies  que  la  nou- 
velle accouchée  doit  semaintenir  sur  le  ventre. Cette  pratique  est  mau- 
vaise en  ce  qu'elle  oblige  la  femme  à  conserver  la  position  horizontale. 

Autrefois,  pour  éviter  les  rides  du  ventre,  ce  que  Pajot  appelle  si 
pittoresquement  «  le  ventre  en  persienne  »  des  accouchées,  on  prati- 
quait des  onctions  sur  l'abdomen  avec  de  la  graisse  de  baleine,  comme 
ce  passage  de  Brantôme  le  prouve  : 

«  D'autres  y  a-t-il  qui  ont  le  ventre  si  mal  poly  et  ridé,  qu'on  les 
prendroit  pour  de  vieilles  gibessieres  ridées  de  sergents  ou  d'hoste- 


218  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

liers;  ce  qui  advient  aux  femmes  qui  ont  eu  des  enfants,  et  qui  ne 
sont  esté  bien  secourues  et  graissées  de  graisse  de  baleine  de  leurs 
sages-femmes.  »  Pline  raconte  que,  de  son  temps,  les  nouvelles  accou- 
chées cherchaient  à  faire  disparaître  les  rides  et  les  taches  de  leur 
ventre  avec  des  fomentations  d'urine.  Il  suffit  de  signaler  ces  recettes 
pour  en  faire  justice. 

contre  les  tranchées.  —  Plus  une  femme  a  d'enfants,  plus  les 
tranchées  ou  douleurs  qui  suivent  les  couches  sont  intenses.  «  Les 
bonnes  gens  »,  écrit  L.  Joubert,  «  disent  que  Dieu  le  veut  ainsi,  a 
seule  fin  que  la  famé  ne  soit  dégoûtée  dez  le  commancemant  à  re- 
chercher de  faire  des  enfants.  Mais  on  voit  bien,  que  après  les  plus 
fâcheuses  gessines,  elles  an  sont  autant  ou  plus  friandes.  Quand  elles 
auroient  bien  été  près  de  mourir,  tous  les  maus  s'oblient  et  les  bonnes 
dames  sont  de  très  bon  apointemant.  La  lune  n'ha  pas  achevé  son 
cours,  qu'elles  sont  prestes  au  retour.  Vous  diriés  qu'elles  n'ont  iamais 
été  offancées  tant  sont  ployables  et  charitables,  faciles  à  tout  bon 
accord.  Quoy  que  de  ce  combat  anfin  leur  aviene  grand  effusion  de 
sang,  elles  sont  si  traittables,  qu'aussi  tost  que  la  playe  ne  saigne 
plus,  il  n'est  plus  souvenance  des  premières  amours.  » 

Pour  guérir  ces  tranchées,  on  avait  jadis  un  grand  choix  de  remèdes. 
Nous  avons  déjà  signalé  la  Poudre  de  la  Royne,  bonne  pour  garantir 
des  douleurs  qui  suivent  un  travail  violent.  Le  placenta  et  ses  annexes 
n'étaient  pas  seulement  utiles  pour  faire  disparaître  un  ncevus  ;  on 
pouvait  en  user  comme  d'un  cataplasme  naturel  contre  les  tranchées 
utérines.  Sue  raconte  avoir  lu  dans  YAnatomie  de  la  matrice,  par 
Michel  Yalentinius,  professeur  de  médecine  à  Giessen,  qu'un  mari, 
homme  d'un  dévouement  et  d'un  estomac  robustes,  consentit,  pour 
soulager  sa  femme  de  violentes  tranchées,  à  avaler  quelques  cuillerées 
de  l'écoulement  séro-sanguinolent  qui  s'échappe  du  vagin  et  que  l'on 
appelle  lochies.  Ce  préjugé  se  rattache  sans  doute  à  la  croyance  où 
l'on  était  autrefois  que  le  mari  ressentait,  pendant  la  grossesse  de  sa 
femme,  les  mêmes  indispositions  que  celle-ci.  Delà  sans  doute  l'ori- 
gine de  la  couvade,  dont  nous  parlerons  plus  loin. 

Autrefois  en  Languedoc  et  en  d'autres  pays,  pour  préserver  la  femme 
de  toute  douleur,  on  lui  donnait,  aussitôt  après  la  délivrance,  trois 
cuillerées  d'huile  d'amandes  douces  (1), avec  un  peu  de  sucre  candi; 

(1)  Certaines  personnes  croient  s'assurer  un  accouchement  facile  en  prenant  tous 
les  matins,  pendant  leur  grossesse,  une  cuillerée  d'huile  d'amandes  douces  ;  elles 
ignorent  les  premières  notions  de  l'anatomie  et  ne  se  doutent  pas  que  si  leur  huile 
aide  à  une  expulsion  quelconque,  ce  n'est  certainement  pas  à  celle  de  leur  enfant. 


ERREURS    ET    PREJUGES 


219 


ailleurs,  pendant  quatre  ou  cinq  heures,  on  laissait  sur  le  ventre  de 


la  femme  la  peau  d'un  mouton  noir  écorché  tout  vif  en  sa  présence, 


220  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


ou,  plus  modestement,  d'un  lièvre  dépouillé  dans  les  mêmes  condi- 
tions. 

Nous  n'inventons  rien,  le  procédé  se  trouve  détaillé  tout  au  long 
dans  le  Traité  des  Hermaphrodits  de  Jacques  Duval  :  «  Quelques-unes 
appliquent  l'arrière  fais  sur  le  ventre,  soudain  qu'il  a  esté  tiré.  Mais 
il  est  meilleur  et  de  trop  plus  certain,  d'avoir  un  mouton  noir,  qui 
sera  escorché  tout  vif,  en  la  chambre  de  la  malade,  pour  de  la  peau 
toute  chaude,  parsemée  de  poudre  de  roses  et  de  myrtiles,  lui  enve- 
lopper les  reins  et  le  bas  ventre.  Et  sous  les  extrémitez  de  ladite  peau, 
sera  étendue  la  peau  d'un  lièvre,  qui  par  semblable  sera  tirée  dudit 
animal  vivant,  lequel  sera  à  l'instant  égorgé,  et  le  sang  reçeu  dans  sa 
peau,  pour  d'icelle  toute  chaude  et  sanglante  couvrir  tout  le  ventre 
inférieur.  A  raison  que  ce  sang  tout  chaud,  qui  est  réputé  grossier  et 
mélancolique,  a  une  grande  vertu  de  conforter  la  matrice  et  parties 
adjacentes,  qui  mesmes  oste  les  rides  du  ventre.  Et  par  dessus  seront 
étendues  les  extrémités  de  la  peau  de  mouton  ».  A  ce  sujet,  Dionis 
raconte  un  incident  curieux  qui  eut  lieu  aux  couches  de  la  Dauphine, 
Anne-Maiie-Victoire  de  Bavière.  Au  premier  accouchement  de  la 
princesse,  en  1682,  son  médecin,  Clément,  voulut  lui  recouvrir  le 
ventre  d'une  peau  de  mouton  noir  fraîchement  écorché.  Il  fallait  que 
l'opération  du  boucher  se  fît  dans  une  chambre  voisine  de  celle  de 
l'accouchée  ;  or,  il  arriva  que  le  mouton  tout  sanglant  suivit  son  bour- 
reau jusqu'auprès  du  lit  de  la  Dauphine  (fig.  94).  L'effroi  que  produi- 
sit ce  spectacle  fit  qu'on  renonça  à  cette  pratique,  aux  autres  couches 
de  la  Dauphine. 

Jacques  Duval  recommande  encore,  contre  les  tranchées,  de  la 
fiente  de  vache  ou  des  œufs  fricassés  avec  de  l'huile  de  noix  et  appli- 
qués sur  le  bas-ventre  ;  les  œufs,  ainsi  préparés,  pouvaient  être  pris  à 
l'intérieur,  au  choix  de  la  malade.  Du  temps  de  Mauriceau,  on  pla- 
çait sur  le  nombril  d'une  femme  qui  venait  d'accoucher,  un  emplâtre 
de  galbanum  et  de  civette,  dont  l'odeur  «  réjouissant  la  matrice  se 
relevait  d'elle-même  pour  en  approcher  ».  C'était  aussi  pour  agir  sur 
le  sens  olfactif  de  la  matrice  que,  dans  les  accouchements  laborieux, 
on  brûlait  près  de  la  vulve  des  parfums  divers,  tandis  qu'on  appro- 
chait des  narines  de  l'asa-fœtida  ou  des  «  vieilles  savates  bruslées.  » 

sur  les  lochies.  —  La  croyance  à  la  qualité  vénéneuse  des  lochies 
remonte  à  la  plus  haute  antiquité;  de  même  on  pensait  que  la  durée 
de  l'écoulement  lochial  était  plus  long  quand  il  s'agissait  de  la  nais- 
sance d'une  fille.  Ces  erreurs  sont  consacrées  dans  les  livres  de 
l'Ancien  Testament,  où  il  est  dit  «  qu'une  femme  qui  accouche  d'un 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  221 

garçon  est  impure  pendant  quarante  jours,  et  pendant  quatre-vingts 
si  c'est  d'une  fille  (1)  ».  Hippocrate  partage  la  même  opinion  et  avance 
que  la  durée  du  flux  lochial  est  de  quarante-deux  jours  après  la  nais- 
sance d'une  fille  et  de  trente  jours  après  celle  d'un  garçon.  Ces  idées 
erronées  ont  été  longtemps  adoptées  dans  la  science  ;  Lazare  Pe, 
médecin  du  XVIe  siècle,  va  encore  plus  loin  ;  il  veut  que  la  nouvelle 
accouchée  ne  donne  le  sein  «  qu'après  être  bien  nette  et  purgée  de 
ses  vidanges  source  du  mauvais  lait;  à  savoir  :  trente  jours  après  la 
couche  d'un  mâle,  et  quarante-deux  après  celle  d'une  fille;  et  pen- 
dant ce  temps,  l'accouchée  aura  une  autre  femme  qui  donnera  à  leter  à 
l'enfant.  » 

On  a  cru  longtemps  que  la  matrice  était  reliée  aux  mamelles  par 
des  vaisseaux  communs,  chargés  d'y  faire  affluer  le  lait  pendant 
l'allaitement;  d'où  l'expression  méthaphorique  «  la  montée  du  lait  »  ; 
de  là  aussi  l'opinion,  encore  répandue  de  nos  jours,  que  le  lait  qui 
disparaît  chez  une  nouvelle  accouchée  passe  par  les  lochies  «  presque 
toutes  blanches  et  semblables  à  du  lait  trouble»,  dit  Dionis. 

allaitement.  —  D'après  Boèce,  c'était  un  déshonneur  pour  une 
mère,  chez  les  anciens  Romains,  de  ne  pas  allaiter  son  enfant;  on 
allait  jusqu'à  la  soupçonner  d'infidélité,  quand,  faute  de  lait,  elle  ne 
pouvait  nourrir. 

Un  préjugé  assez  commun,  encore  aujourd'hui,  s'oppose  à  ce  que 
la  femme  donne  le  sein  le  jour  même  de  ses  couches  ;  il  faut,  dit-on 
gravement,  que  le  lait  soit  monté.  Hippocrate  voulait  que  la  nouvelle 
accouchée  ne  donnât  le  sein  que  le  vingt- cinquième  ou  le  trentième 
jour,  jusqu'à  ce  que  le  lait  soit  débarrassé  de  son  principe  purgatif, 
le  colostrum.  Au  dix-septième  siècle,  on  donnait  le  sein  à  l'enfant 
quatre  à  cinq  heures  après  sa  naissance,  mais  c'était  une  nourrice 
qui  était  chargée  de  ce  soin,  pendant  six  jours  ;  durant  ce  temps,  la 
mère  dégorgeait  ses  mamelles  avec  une  pipette  en  verre,  appelée 
tutoir;  après  quoi  elle  était  autorisée  à  allaiter  son  enfant.  Le  mieux 
est  de  donner  le  sein  de  la  mère  quelques  heures  après  l'accouchement 
pour  que  le  colostrum  aide  l'enfant  à  se  débarrasser  de  son  méconium. 

Un  autre  préjugé,  fort  accrédité  de  nos  jours,  veut  que  le  change- 
ment de  nourrice  ou  encore  le  mélange  de  plusieurs  laits  soient  préju- 
diciables à  l'enfant  ;  mais  il  n'en,  est  rien.  On  peut  changer  impu- 
nément de  nourrice,  le  principal  est  de  le  faire  à  temps.  Les  Anciens 
avaient  déjà  rejeté  cette  erreur.  Ainsi,  Platon  voulait,  dans  sa  répu- 

(1)  Lèvitique,  chap.  XII,  v.  2,  4  et  5. 


222  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


blique  idéale,  que  les  nourrices  fussent  en  commun  ;  et  les  Romaines, 
d'après  Aulu-Gelle,  avaient  plusieurs  nourrices  à  la  fois  pour  le  môme 
enfant.  Henri  IV,  on  le  sait,  fut  difficile  à  élever;  il  essaya  huit  nour- 
rices différentes  ;  ce  qui  n'altéra  en  rien  sa  santé. 

A  propos  de  l'allaitement,  nous  avons  entendu  répéter  cette  hérésie: 
le  lait  chasse  le  lait;  donc  point  de  lait  à  qui  nourrit,  du  lait  en 
abondance  à  celle  qui  veut  sevrer. 

«  Pour  nourrisse,  écrit  Jacques  Duval,  doit  plutost  être  choisie 
celle  qui  a  enfanté  un  fils  qu'une  fille  :  d'autant  que  par  la  concep- 
tion qu'elle  a  faite  d'un  enfant  masle,  on  peut  conjecturer,  que  son 
tempérament  est  meilleur,  et  participant  d'avantage  de  chaleur  tem- 
pérée; comme  aussi  celles  qui  sont  enceintes  d'un  fils  sont  mieux 
colorées  que  celles  qui  portent  des  filles.  »  Le  médecin  de  Rouen  oublie 
que  la  nourrice  peut  avoir  un  garçon  à  son  premier  accouchement  et 
une  fille  à  son  second  et  inversement,  sans  cependant  changer  de  tem- 
pérament. Mais  c'était  une  opinion  répandue  de  son  temps.  «  Bonne 
nourrice  ayt  fait  son  dernier  masle,  ce  qui  a  été  déclaré  par  Jacques 
de  Pars,  parce  qu'une  telle  nourrice  a  le  laict  plus  pur  et  mieux  digéré 
que  celle  qui  fait  femelle.  »  Ainsi  s'exprime  Simon  de  Vallambert, 
médecin  de  Mme  Marguerite  de  France,  dans  ses  Cinq  livres  de  la 
manière  de  nourrir  et  gouverner  les  enfants  dès  leur  naissance  (1565). 
On  a  aussi  prétendu  longtemps  que  les  garçons  devaient  être'allaités 
par  des  nourrices  mères  de  garçons  et  les  filles  par  des  nourrices 
mères  de  filles. 

Jacques  Duval  veut  encore  que  la  nourrice  donne  le  sein  «  à  toutes 
heures  qu'elle  l'oit  crier.  Car  à  raison  que  l'enfant  estant  dans  la 
matrice  de  sa  mère,  en  tiroit  l'aliment  qui  luy  estoit  convenable,  à 
chacun  moment  de  temps,  comme  une  jeune  plante  succesans  inter- 
mission ce  qui  luy  est  convenable  d'un  jardin,  aussi  ne  faut  qu'il  y 
ait  d'heures  ny  temps  limité  pour  un  enfant,  et  n'est  convenable  qu'on 
luy  dénie  le  tetin,  sous  prétexte  de  luy  donner  une  accoustumance, 
comme  font  les  paresseuses,  ou  qui,  avec  la  nourriture  de  l'enfant 
entreprennent  d'autre  besongne,  où  elles  se  veulent  emploier,  pleure 
l'enfant  ou  non  :  mais  faut  que  la  fréquence  de  bailler  le  tetin,  récom- 
pense l'assiduité  que  l'enfant  avoit  au  ventre  maternel.  »  Ce  sont 
autant  de  mauvaises  raisons.  Le  héron  de  la  Fable,  qui  vivait  de  régime 
et  mangeait  à  ses  heures,  connaissait  mieux  les  lois  de  l'hygiène  que 
ce  médecin  rouennais.  L'enfant  doit  prendre  le  sein  toutes  les  trois 
heures  dans  les  premiers  jours,  et  toutes  les  deux  heures  plus  tard. 

antilaiteux.  —  C'est  sans  aucune  raison  qu'on  attribue  à  cer- 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  223 

taines  substances  et  à  certaines  drogues  la  propriété  de  diminuer  ou 
d'arrêter  la  sécrétion  du  lait.  Van  Ilolsbeck  conseillait  de  suspendre 
au  devant  de  la  poitrine  de  l'accouchée  qui  allaite  un  tube  de  mer- 
cure, les  bonnes  femmes  mettent  autour  du  cou  de  la  chatte  dont 
elles  veulent  faire  passer  le  lait  un  collier  de  bouchons  :  c'est  tout 
aussi  efficace.  Ni  l'infusion  de  pervenche,  ni  la  décoction  de  bouchons 
ou  de  canne  de  Provence,  ni  les  applications  de  persil  sur  les  seins, 
ni  aucun  des  médicaments  préconisés,  ne  sont  des  antilaiteux.  Le  seul 
moyen  sûr  pour  tarir  le  lait,  c'est  la  cessation  des  succions.  Il  faudra 
aussi  restreindre  les  aliments  et  les  boissons  aux  femmes  qui  ne 
doivent  pas  nourrir. 

Mauriceau  connaissait  des  femmes  qui  prétendaient  faire  évader  le 
lait  par  un  moyen  original  et  facile  :  il  suffisait  que  le  sujet  portât  la 
chemise  du  mari  aussitôt  que  ce  dernier  l'avait  ôtée,  et  la  gardât 
jusqu'à  disparition  complète  du  lait.  Le  cœur  d'un  crapaud,  applique- 
sur  les  mamelles  d'une  nouvelle  accouchée,  passait  au  contraire  pour 
activer  la  sécrétion  du  lait. 

lait  répandu.  —  On  attribue  au  «  lait  répandu  »,  c'est-à-dire  à 
de  prétendues  migrations  de  lait  dans  l'organisme,  certaines  maladies 
qui  affectent  particulièrement  la  peau,  et  surviennent  pendant  et 
même  longtemps  après  l'allaitement. 

C'est,  sans  plus  de  raison,  que  l'on  accuse  le  vieux  lait  de  prédis- 
poser les  enfants  aux  éruptions,  désignées  communément  sous  les 
nom  de  gourmes  ou  de  croûtes  de  lait.  On  dit  aussi  qu'un  nouveau-né 
«  rajeunit  »  un  lait  déjà  ancien,  parce  qu'il  tête  avec  plus  d'avidité 
que  le  précédent  nourrisson,  auquel  on  donnait  à  manger  dans  les 
derniers  mois  de  l'allaitement. 

influences  psychiques  sur  la  lactation.  —  Chez  les  personnes 
impressionnables,  une  sensation  désagréable  suffit  pour  suspendre 
momentanément  la  lactation.  Siebold  a  connu  une  femme  chez 
laquelle  l'odeur  du  camphre  produisait  cet  effet.  Il  ne  faut  pas 
croire,  cependant,  comme  on  le  fait  communément,  que  la  moindre 
contrariété  trouble  le  lait.  C'est  cette  crainte  exagérée  que  les  nour- 
rices savent  si  bien  exploiter.  Un  autre  préjugé,  non  moins  répandu, 
veut  que  le  caractère  de  la  nourrice,  ses  penchants  et  ses  goûts  se 
transmettent  par  le  lait  au  nourrisson.  Les  Anciens  attribuaient  la 
férocité  de  Caius  Caligula(l),  la  cruauté  de  Néron,  l'ivrognerie  de 

(1)  On  raconte  que,  pour  l'engager  à  prendre  le  sein,  sa  nourrice  étendait  du  sang 
sur  son  mamelon. 


224  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Claude  Tibère  et  la  tendance  au  vol  de  Rémus  et  de  Romulus  au  lait 
de  leur  nourrice.  Rien  n'est  moins  exact.  La  chèvre  communique- 
t-elle  son  humeur  capricieuse  et  turbulente  aux  personnes  qui  font 
usage  de  son  lait? 

fièvre  de  lait.  —  Déjà  Levret  mettait  en  doute  l'existence  de  la 
fièvre  de  lait  «  puisque  »,  dit-il,  «  si  la  femme  qui  est  en  couche  se 
porte  bien  à  tous  égards  quand  le  lait  gonfle  préalablement  son  sein, 
elle  n'a  ni  mal  à  la  tête,  ni  altération,  qui  sont,  comme  on  le  sait,  deux 
symptômes,  inséparables  de  tout  accès  de  fièvre,  surtout  précédés 
de  frisson  ».  Aujourd'hui,  il  est  démontré  que  non  seulement  cette 
fièvre  n'existe  pas  toujours,  mais  que  souvent  on  constate  à  sa  place 
un  ralentissement  du  pouls  plus  ou  moins  appréciable;  ce  qui  n'em- 
pêchera pas  la  fièvre  de  lait  d'être  longtemps  encore  un  article  de  foi 
dans  le  monde  où  l'on  accouche. 

engorgement  des  seins.  —  Pour  dégorger  les  seins,  il  existe  des 
recettes  plus  originales  les  unes  que  les  autres.  Nous  avons  donné 
nos  soins  à  une  nourrice  de  Sannois  qui,  sur  le  conseil  d'une  voisine, 
n'avait  rien  trouvé  de  mieux  que  de  s'appliquer  une  omelette,  sortant 
de  la  poêle,  sur  le  sein  malade;  nous  eûmes  dès  lors  à  soigner  deux 
maladies  au  lieu  d'une  :  l'engorgement  et  la  brûlure. 

En  Russie,  les  femmes  exposent  le  sein  engorgé  à  un  brasier  ardent, 
puis  on  trempe  une  chaussette  dans  l'urine  de  la  patiente  et  on  l'ap- 
plique très  chaude  sur  l'organe  malade;  cela  fait,  on  passe  du  chaud 
au  froid  en  remplaçant  la  chaussette  par  un  fer  à  cheval,  refroidi 
dans  la  glace. 

gerçures  du  mamelon.  —  Les  commères  du  Midi  donnent  contre 
es  gerçures  du  mamelon  la  recette  suivante  :  «  Placez  pendant  une 
heure  du  vieux  lard  rance  en  haut  d'une  lessive,  plongez-le  ensuite 
dans  de  l'eau-de-vie  nouvelle  et.  frictionnez-en  le  bout  des  seins  quel- 
ques mois  avant  les  couches  ». 

serpents  et  nourrices.  —  Les  serpents,  dit-on  souvent,  ont  un 
goût  très  prononcé  pour  le  lait  ;  aussi  recommande-t-on,  dans  cer- 
tains pays,  aux  nourrices  ou  aux  mères  qui  allaitent  de  ne  pas  s'en- 
dormir les  seins  découverts.  «  L.  Boursier,  écrit  Jouard,  raconte 
qu'une  femme  a  porté,  pendant  dix  mois,  un  serpent  attaché  à  son 
mamelon  qu'il  avait  pris,  pendant  qu'elle  s'était  endormie  en  donnant 
à  teter  à  son  enfant;  mais  ce  qui  n'est  pas  le  moins  admirable  de 
l'aventure,  c'est  qu'il  ne  fut  pas  possible  à  aucun  médecin  de  faire 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  225 

lâcher  prise  à  cet  animal,  lequel  prit  un  accroissement  tel  que  cette 
malheureuse  femme  ne  pouvait  presque  plus  le  porter.  Il  n'y  eut 
qu'un  sorcier  de  village,  nommé  Barillet,  qui  vint  à  bout  de  l'en  déli- 
vrer en  prononçant  certains  mots  cabalistiques  ». 

Une  autre  histoire,  non  moins  répandue,  sur  le  même  sujet,  rap- 
porte qu'un  serpent  se  glissait  dans  le  berceau  d'un  nouveau-né 
chaque  fois  qu'il  avait  pris  le  sein,  lui  introduisant  le  bout  de  sa  queue 
dans  la  bouche  pour  le  faire  vomir  et  se  régaler  du  lait  qu'il  venait 
de  prendre. 

Cette  particularité  gastronomique  a  été  utilisée,  au  dire  de  certains 
narrateurs  crédules,  pour  faire  sortir  de  l'estomac  des  serpents  qui 
s'y  étaient  introduits  subrepticement  ;  il  a  suffi  de  placer  un  bol  de 
lait  au  voisinage  de  la  bouche  et  l'odeur  seule  de  ce  liquide  a  attiré 
ces  ophidiens  au  dehors. 

3°  Sur  les  soins  donnés  à  l'enfant.  —  tranchées.  —  Sui- 
vant les  commères,  l'enfant  est  atteint  de  tranchées  ou  de  coliques 
quand  la  mère,  à  son  premier  accouchement,  n'en  ressent  pas  ;  aux 
autres  couches,  les  rôles  seraient  intervertis.  Il  est  vrai  d'ailleurs  que 
les  primipares  ont  toujours  moins  de  coliques  à  la  suite  de  leurs  cou- 
ches que  les  multipares  ;  quant  aux  tranchées  de  l'enfant,  elles  n'ont 
rien  à  voir  avec  le  nombre  des  accouchements. 

Les  recettes  pour  calmer  les  coliques  des  nouveau-nés  sont  très 
nombreuses;  la  plus  curieuse  assurément  est  celle  que  préconisent 
les  Ephémérides  d'Allemagne  et  qui  consiste  à  assujettir  un  goujon 
vivant  sur  le  nombril  de  l'enfant;  encore  une  des  nombreuses  appli- 
cations de  la  médecine  des  signatures  :  les  frétillements  du  poisson, 
ayant  une  certaine  analogie  avec  les  contractions  de  l'intestin,  doi- 
vent agir  efficacement  sur  celles-ci. 

cosmétiques  a  l'usage  des  nouveau-nés.  —  Autrefois  on  frottait 
le  corps  du  nouveau-né  avec  de  l'huile  de  noix  pour  donner  plus  de 
finesse  à  sa  peau  et  plus  de  beauté  à  son  teint. 

«  Il  y  a»,  dit  Dionis,  «  un  cérémonial  que  les  gardes  n'oublient 
point  et  qu'elles  ne  manquent  pas  de  pratiquer  aussitôt  que  l'enfant 
est  emmaillotté,  c'est  de  mettre  deux  pois  au  bas  des  joues,  vers  les 
angles  de  la  bouche,  et  de  les  y  appuyer,  pour  y  former  deux  petits 
trous,  qu'elles  disent  y  demeurer  toute  la  vie,  quand  on  le  fait  au 
moment  de  la  naissance,  lorsque  les  chairs  sont  encore  tendres;  ce 
qui  est  un  trait  de  beauté,  aux  filles  principalement.  Mais  ce  qui  est 
de  plus  avantageux  pour  les  gardes,  c'est  qu'elles  ont  la  coutume  de 

HISTOIRE   DES   ACCOCCUEMENTS.  15 


226  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

demander  au  père  de  l'enfant  un  écu  d'or  pour  lui  en  frotter  les  lèvres, 
afin  qu'elles  soient  vermeilles  pendant  toute  sa  vie;  et  de  fait  elles 
en  frottent  les  lèvres  de  l'enfant,  et  elles  mettent  en  suite  l'écu  d'or 
dans  leur  poche,  qu'elles  disent  être  un  droit  attaché  à  leur  charge  ». 
N'est-ce  pas  le  cas  de  rappeler  le  mot  de  Ricord,  disant  à  propos 
des  préparations  d'or,  que  certains  spécialistes  avaient  substitué  au 
mercure,  que  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  elles  produisaient  de 
meilleurs  résultats  administrés  du  malade  au  médecin  que  du  mé- 
decin au  malade.. 

Richerand  a  vu  un  accoucheur  à  la  mode  employer  une  pratique 
des  plus  malpropres.  Il  exprimait  soigneusement  le  sang  du  cordon 
ombilical,  puis  en  barbouillait  le  visage  et  la  poitrine  du  nouveau- 
né,  afin,  disait-il  aux  parents,  de  lui  rendre  la  peau  blanche.  «  C'était 
un  de  ses  secrets  »,  ajoute  Richerand,  «  et,  s'il  fallait  l'en  croire,  il 
en  possédait  bien  d'autres  inconnus  au  commun  des  accoucheurs  et 
des  sages-femmes.  Je  crus  même  qu'il  marmottait  entre  ses  dents 
quelques  paroles  magiques  tout  en  exécutant  sa  burlesque  opération. 
Il  l'acheva  d'un  air  satisfait,  assurant  la  famille  d'un  succès  infail- 
lible. Si  cela,  ne  fait  pas  de  bien,  au  moins  cela  ne  fait-il  pas  de  mal, 
me  dit  le  père  en  me  voyant  sourire  ».  Gela  peut  toujours  faire  sou- 
lever le  cœur  des  assistants. 

compressions  de  la  tète.  —  On  se  gardera  bien  de  pétrir  la 
tête,  généralement  allongée  de  l'enfant  qui  vient  de  naître  (fig.  96), 
pour  lui  donner  une  forme  plus  convenable;  cette  modification  s'opère 
d'elle-même  en  peu  de  jours. 

Les  Grecs  et  les  Romains  avaient  horreur  de  la  «  tête  pointue  au 
sommet  »  (1);  aussi  cherchaient-ils  à  arrondir  la  tête  du  nouveau-né, 
suivant  le  conseil  de  Soranus,  d'Ephèse.  De  pareilles  manœuvres  sont 
très  nuisibles,  parce  qu'elles  peuvent  déterminer,  comme  l'a  prouvé 
Broca,  un  travail  pathologique  du  cerveau  et  de  ses  membranes,  et 
disposer  à  la  folie  ou  à  l'épilepsie. 

Il  est  tout  aussi  dangereux  d'appliquer  sur  la  tête  des  enfants  un 
bandeau  fortement  serré  (fig.  97)  :  il  en  résulte  un  enfoncement  circu- 
laire de  la  tête  (fig.  98)  qui  persiste  toute  la  vie.  «  Les  béguins  trop 
serrés  par  des  rubans  »,  dit  Virey,  «  ont  allongé  la  tête  en  pain  de 
sucre  à  quelques  individus  ».  Aux  environs  de  Toulouse,  les  habi- 
tants avaient  coutume,  il  y  a  peu  de  temps  encore,  de  déformer  la 
tête  de  leurs  enfants  au  moyen  d'une  coiffure  assez  singulière  qui 

(1)  On  sait  qu'Homère  avait  donné  à  son  Tkersiste,  type  de  la  laideur,  une  con- 
formation semblable. 


ERREURS    ET   PREJUGES 


227 


leur  allongeait  le  crâne  en  forme  de  boudin.  Or,  les  asiles  d'aliénés 
de  la  localité  contenaient  une  proportion  considérable  d'individus 
dont  la  tête  avait  été  ainsi  déformée.  Les  Marquisiennes,  au  contraire 


Fig.  95.  —  Tête  normale  telle  qu'on  l'observe 
quand  le  fœtus  a  été  extrait  par  l'opération 
césarienne. 


! 


; 

7\v 


Fig.  96.  —  Déformation  de  la  tête  dans  l'accou- 
chement par  le  sommet. 


des  Anciens,  aiment  à  façonner  la  tête  de  leur  progéniture  en  forme 
de  pain  de  sucre;  déplus,  suivant  Clavel,  elles  corrigent  l'aplatis- 


Fig.    97.    —    Serre-tête    des    nouveau-nés, 
d'après  Foville, 


Fig.  93.  -  Déformation  de  la  tête  résultant  de 
l'usage  du  serre-tête,  d'après  Fovillo. 


sèment  du  nez  de  leurs  rejetons,  en  le  comprimant  avec  les  doigts 
plusieurs  fois  par  jour;  elles  cherchent  aussi,  par  des  manœuvres 
semblables,  à  donner  à  cet  organe  la  conformation  de  celui  d'un 


228  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

parent  affectionne.  On  sait  que  certaines  peuplades  sauvages,  comme 
les  Caraïbes  (fig.  99),  les  Ghinooks  de  la  Colombie  et  les  Aymaras 
péruviens,  ont  l'habitude  de  serrer,  à  l'aide  de  bandelettes,  le  crâne 
de  leurs  enfants  en  bas  âge,  pour  obtenir  des  fronts  fuyants  et  bas 
qu'ils  considèrent  comme  un  attribut  de  la  beauté.  Les  Indiens  Têtes- 
Plates  arrivent  au  même  résultat,  en  appliquant  une  planchette 
(fig.  100)  sur  le  front  de  leurs  enfants.  Les  indigènes  de  l'Amérique 
septentrionale  compriment  aussi  la  tête  des  nouveau-nés  entre  deux 
planchettes  revêtues  de  cuir,  pour  lui  faire  prendre  la  forme  d'un 


Fig.  9i).  —  Crâna  de  Caraïbe  déformé  par  une  compression  extérieure. 

coin;  aux  yeux  de  ces  primitifs,  cette  dolicéphalie  artificielle  est  le 
suprême  de  l'élégance.  De  même  à  l'île  de  Chio,  les  originaires  ont  la 
tête  en  pain  de  sucre,  grâce  aux  mains  des  matrones  qui  compriment 
latéralement  la  tête  des  nouveau-nés.  Les  tribus  centrales  de  l'Amé- 
rique du  Sud  aplatissent  aussi  la  tête  de  leurs  enfants,  avec  cette 
différence  que  la  compression  a  lieu  d'avant  en  arrière,  afin  de 
rendre  la  face  plus  large  et  semblable  à  la  pleine  lune.  Les  Albanais 
préfèrent  aplatir  la  tête  de  haut  en  bas,  suivant  la  coutume  des  Huns 
d'Attila,  qui  cherchaient,  de  la  sorte,  à  faire  saillir  le  front  en  avant 
pour  donner  aux  guerriers  un  aspect  plus  farouche.  Enfin,  les  Arabes, 
d'après  le  Dr  Bertherand,  pétrissent  la  tête  de  l'enfant  pour  lui  donner 
une  forme  globuleuse.  Ils  agissent  à  l'opposé  des  Orientaux  qui  por- 
tent le  turban  «  lesquels»,  dit  le  D1'  Verrier,  «  obtiennent,  à  l'aide 
de  bandelettes,  une  dépression  frontale  qui  aide  celte  coiffure  à  se 
tenir  en  équilibre  ». 

inconvéinients  du  maillot.  —  Toutes  les  pièces  du  maillot  doi- 
vent être  fixées  d'une  manière  assez  lâche  par  des  rubans  ou  par 
des  épingles  à  broche  ;  il  ne  faut  pas,  comme  on  le  faisait  autrefois 
(fig.  101,  102,  103,  104,  105),  sangler  les  enfants  au  point  d'entraver 


ERREURS    ET    PREJUGES 


229 


la  liberté  de  leurs  mouvements.  Pline  s'élevait  déjà  contre  cette  fu- 


L.DALÛANOS. 


T'.r,.  100.  —  Manière  de  porter  les  enfants  chez  les  indiens  Têtes-Plates  i-t  les  Pawnies. 


Fig.  101.  —  Médaille  antique  représen-      Fie  102.  —  Enfant  en        Fig.  103.  —  L'enfant  Jésus,  d'après  una 
tant  un  enfant  enveloppé  de  ses  ban-  maillot,  d'après  une  miniature  du  IXe  siècle. 

delettes.  peinture  de  Pompéi. 


230 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


nesle  habitude:  «  l'enfant»,  dit-il,  «  n'est  pas  plustot  délivré  de  sa 
prison,  qu'on  lui  donne  de  nouvelles  entraves;  ce  roi  des  animaux, 
pieds  et  mains  liés,  pleure,  gémit  ;  et  sa  vie  commence  dans  les  sup- 
plices. » 

En  effet,  quand  le  maillot  est  trop  serré,  il  gêne  toutes  les  fonctions 
de  l'enfant  et  devient  pour  lui  un  véritable  appareil  de  torture.  C'est 
alors  que  sont  justifiés  les  reproches  de  J.-J.  Rousseau.  «  De  peur,  » 


Fig.  104. 


Enfants  portés  par  des  chambrières  au  XIII»  siècle,  d'après  une  miniature  d'un 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale. 


dit-il,  «  que  les  corps  ne  se  déforment  par  des  mouvements  libres, 
on  se  hâte  de  les  déformer  en  les  mettant  en  presse.  On  les  rendrait 
volontiers  perclus  pour  les  empêcher  de  s'estropier...  Leurs  premières 
voix,  dites-vous,  sont  des  pleurs  ?  Je  le  crois  bien  :  vous  les  contra- 
riez dès  leur  naissance  ;  les  premiers  dons  qu'ils  reçoivent  de  vous 
sont  des  chaînes  ;  les  premiers  traitements  qu'ils  éprouvent  sont  des 
tourments.  N'ayant  rien  de  libre  que  la  voix,  comment  ne  s'en  servi- 
raient-ils pas  pour  se  plaindre  ?  ils  crient  du  mal  que  vous  leur 
faites  :  ainsi  garrottés,  vous  crieriez  plus  fort  qu'eux...  Nous  ne  nous 
sommes  pas  avisés  de  mettre  au  maillot  les  petits  des  chiens  ni 


ERREURS    ET   PREJUGES 


231 


des  chats  ;  voit-on  qu'il  résulte  pour  eux  quelque  inconvénient  de  cette 
négligence?  Les  enfants  sont  plus  lourds;  d'accord:  mais  à  propor- 
tion ils  sont  aussi  plus  faibles.  A  peine  peuvent-ils  se  mouvoir  ;  com- 
ment s'estropieraient-ils?  Si  on  les  étendait  sur  le  dos,  ils  mourraient 
dans  cette  situation,  comme  la  tortue,  sans  pouvoir  jamais  se  retour- 
ner. » 

Au  bon  temps  jadis,  on  ménageait  dans  le  maillot  une  anse  dont  les 
chefs  étaient  retenus  par  les  bandelettes  qui  enveloppaient  le  corps  de 
l'enfant,  à  la  manière  des  momies  Egyptiennes,  et  sans  plus  de  façon, 
on  suspendait  le  pauvre  petit  être  à  un  clou  (fîg.  106),  pendant  que  les 
parents  allaient  aux  champs  ou  au  cabaret. 


Fîg.  105.  —  Nourrice  emmaillottant  un  enfant  au  XVIIe  siècle,  d'après  Abraham  Boss. 


Nous  reproduisons,  à  titre  de  curiosité,  une  caricature  alle- 
mande (fig.  107),  représentant  les  attitudes  comiques  d'un  sergent- 
major  bavarois  auquel  a  été  confié  la  garde  d'un  enfant  en  maillot  et 
qui,  ne  parvenant  pas  à  calmer  les  cris  du  marmot  récalcitrant,  s'en 
débarrasse  en  l'accrochant  à  un  clou;  la  stupéfaction  de  la  mère,  à  la 
vue  de  son  enfant  ainsi  suspendu,  prouve  assez  que  cette  habitude, 
qui  était  autrefois  en  usage  en  Allemagne,  n'existe  plus  aujourd'hui. 

Dans  le  département  de  l'Ariège,  on  a  observé  une  pratique  plus 


232 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


funeste  encore.  «  Un  grand  poteau  »,  dit  Foville(fig.  108),  «  estdressé 
au  milieu  de  la  maison,  et  lorsque  les  parents  sortent  pour  se  livrer 
à  leurs  travaux,  ils  suspendent  leurs  enfants  à  ce  poteau  avec  des 
courroies,  de  manière  que  l'extrémité  des  pieds  louche  la  terre.  Le 
poids  du  corps  l'abaissant  peu  à  peu,  sans 
que  les  épaules  puissent,  dans  la  même  pro- 
portion, s'engager  dans  des  courroies  serrées 
au-dessous  des  aisselles  et  arrêtées  au  poteau, 
le  plus  grand  nombre  de  ces  enfants  restent 
contrefaits,  et  dans  les  départements  où  règne 
cet.  usage  la  proportion  des  bossus  est  im- 
mense ». 

bains  froids.  — ■  Pour  habituer  les  en- 
fants «  à  la  dure  »,  on  a  conseillé  de  les  bai- 
gner dans  l'eau  froide,  dès  leur  naissance. 
Cette  coutume,  renouvelée  de  Sparte,  où  l'on 
plongeait  le  nouveau-né  dans  les  eaux  glacées 
de  l'Eurotas,  se  pratique  de  nos  jours  en  An- 
gleterre. Rousseau  s'en  déclare  partisan.  Le 
théologien  Thiers  est  plus  sage  que  le  philo- 
sophe Genevois  :  «  C'est  un  préjugé  »,  écrit-il, 
«  de  croire  qu'un  enfant  ne  sera  pas  sensible 
au  froid  et  qu'il  n'appréhendera  pas  l'hiver,  si 
peu  après  qu'il  est  sorti  du  ventre  de  sa  mère 
on  lui  trempe  les  pieds  et  les  mains  dans  de  l'eau  qui  i^aura  pas  été 
chauffée  ».  Dès  les  temps  antiques,  Galien  protestait  contre  une  telle 
imprudence  :  «  Laissons  aux  Sarmates  »,  disait-il,  «  aux  Germains, 
nations  du  Nord,  laissons  aux  ours  et  aux  lions,  non  moins  barbares, 
l'usage  de  plonger  les  enfants  nouveau-nés  dans  les  eaux  glacées; 
ce  n'est  point  pour  elles  que  j'écris  ».  Galien  a  raison,  sauf  son  impu- 
tation gratuite  à  des  quadrupèdes  qui  n'ont  jamais  songé  à  semblables 
pratiques. 

Comme  nous  le  verrons  plus  tard,  cet  usage  est  très  répandu  chez 
les  peuples  primitifs  ;  mais  il  ne  saurait  avoir,  dans  les  climats 
chauds,  les  mêmes  inconvénients  que  sous  nos  latitudes.  Les  Maje- 
ronas  de  l'Amérique  du  Sud,  à  défaut  d'un  cours  d'eau  voisin,  plon- 
gent leurs  enfants,  dès  la  naissance,  dans  une  sorte  de  baignoire  faite 
avec  une  feuille  de  palmier  (fig.  109). 


Fig.  106.  —  Enfant  au  maillot, 
attaché  à  un  clou. 


effets  de  l'air  froid.  —  C'est  aussi  une  très  mauvaise  habitude 


ERREURS   ET   PREJUGES 


233 


de  faire  sortir,  dès  les  premiers  jours  et  par  tous  les  temps,  le  nou- 


— »v 


s 


s 


\ 


S 


J-  & 


Fig.  107.  — L'enfant  du  sergent-major  (ligure  tirée  des  Fliegende  BUïtter)(i). 

veau-né,  afin  de  l'habituer  de  bonne  heure  aux  vicissitudes  de 

(1)  Braun  et  Schneider,  éditeurs  à  Munich. 


l'at- 


234 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


mosphère;  en  agissant  ainsi,  on  risque  fort  de  lui  faire  contracter  une 
affection  plus  ou  moins  grave  des  voies  respiratoires. 

L'action  nuisible  du  froid  est  démontrée  par  l'excessive  mortalité 
des  enfants  en  hiver  et  celle  des  nouveau-nés  envoyés  en  nourrice, 
qui  est  beaucoup  plus  grande  le  premier  mois  de  la  naissance  qu'à 
toute  autre  époque,  à  cause  des  refroidissements  contractés  pendant 


Fig.  108.  —  Enfants  dans  l'Ariègc. 


le  voyage.  En  Russie,  le  baptême  pratiqué  selon  la  coutume  des  pre- 
miers chrétiens,  c'est-à-dire  par  une  triple  immersion  dans  l'eau  froide, 
cause  la  mort  d'un  grand  nombre  d'enfants.  On  prend,  à  Paris,  la 
précaution  de  baptiser  avec  de  l'eau  tiède  et  dans  l'atmosphère  plus 
chaude  de  la  sacristie.  Mais  il  serait  encore  préférable  de  suivre 
l'exemple  de  l'évêque  de  Wurtzbourg,  qui  autorisa  les  prêtres  de  son 
diocèse  à  administrer  le  baptême  à  domicile,  comme  l'extrême-onction. 
C'est  pour  éviter  les  dangers  de  refroidissement  auxquels  expose  la 


ERREURS    ET    PREJUGES 


235 


sortie  prématurée  de  l'enfant  que,  depuis  1868,  sur  la  proposition  de 
l'Académie,  la  municipalité  de  Paris  a  confié  à  des  médecins  asser- 
mentés le  soin  de  faire  les  constatations  de  naissance  à  domicile. 
Avant  celte  époque,  les  articles  55  et  56  du  Code  civil  et  346  du  Code 


4&S& 


Fig.  109.  —  Indienne  Majeronas  baignant  son  enfant  dans  une  feuille  de  palmier. 

pénal  voulaient  que  cette  formalité  fût  remplie,  dans  les  trois  jours  de 
l'accouchement,  devant  l'officier  de  l'état  civil  et  que  l'enfant  lui  fût 
présenté,  sous  peine  d'un  emprisonnement  de  six  jours  à  trois  mois  et 
d'une  amende  de  seize  à  trois  cents  francs. 


pesées  des  enfants.  —  La  balance  est  le  meilleur  critérium 
pour  apprécier  la  valeur  d'une  nourrice;  c'est  pourquoi  celles  qui 
sont  mauvaises  font  volontiers  courir  le  bruit  et  affirment  avec  auto- 
rité que  peser  un  enfant  porte  malheur.  11  faut  négliger  ces  criaille- 
ries  intéressées  et  user  sans  crainte  du  pèse-bébés  (fig.  110).  On  se 
rappellera  que,  jusqu'au  sixième  mois,  l'enfant  doit  augmenter  de 
20  à  30  grammes  en  vingt-quatre  heures  :  s'il  ne  s'accroît  pas  dans 
ces  proportions,  on  est  en  droit  d'en  conclure,  non  pas  que  la  pesée 
lui  porte  malheur,  mais  qu'il  y  a  vice  dans  son  alimentation.  Il  est 


23G  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


curieux  de  constater,  avec  le  Dr  Zambaco,  que  dans  certains  villages 
de  l'Arménie,  le  peuple  pèse  l'enfant,  de  temps  en  temps,  pendant  les 
premiers  mois  de  son  existence,  pour  voir  s'il  prospère.  Cette  prati- 
que date,  paraît-il,  de  l'antiquité  !  Nil  novi  sub  sole. 

La  balance  est  encore  utile  pour  faire  justice  des  exagérations  qui 
se  produisent  à  la  naissance  sur  l'estimation  du  poids  de  l'enfant. 
«  Un  nouveau-né  de  huit  à  neuf  livres  est  énorme,  »  dit  Velpeau. 
«  Les  personnes  qui  entourent  l'accouchée  manquent  rarement  de 
s'écrier,  en  le  voyant,  que  c'est  un  enfant  de  douze  ou  quinze  livres. 
Heureux  encore  si,  pour  rendre  le  fait  plus  curieux,  quatre  ou  cinq 
livres  ne  s'y  trouvent  pas  ajoutées,  quand  la  cinquième  ou  la  sixième 
langue  le  raconte  !  » 

soins  de  propreté.  —  Un  proverbe  espagnol  dit  : 

Si  quieres  que  tu  hijo  cresca, 
Lavale  los  pies  y  rapale  la  cabeza. 

Si  tu  veux  que  ton  enfant  grandisse, 
Lave-lui  les  pieds  et  brosse-lui  la  tête. 

Ce  qui  signifie  que  la  propreté  est  indispensable  à  l'enfant. 

Malheureusement  nos  gens  du  midi  ont  nombre  de  proverbes  pour 
contredire  celui  que  nous  venons  de  signaler.  Un  dicton  langue- 
docien, déjà  cité  par  Laurent  Joubert  (1),  mais  avec  un  sens  différent, 
exprime  cette  idée  malpropre  : 

Dins  la  merclo  etdinsu  lopis 
Tout  infan  se  nourris. 

Dans  la  m.  et  dans  l'urine 
Tout  enfant  se  nourrit. 

Les  méridionaux  s'écrient  encore  volontiers: 

Ah  !  que  faï  ben  pezonilla  ! 

Ah  !  qu'il  est  bon  d'avoir  des  poux  ! 

Et  que  de  paysannes  et  du  nord  et  de  l'ouest  et  du  centre  sont  mé- 

(1)  V.  page  107. 


ERREURS   ET   PREJUGES 


237 


ridionales  sur  ce  point!  Les  poux,  à  les  entendre,  c'est  tout  comme 
le  cresson,  la  santé  du  corps. 
De  même  on  obtient  difficilement  que  les  campagnardes  laissenten- 


Fig.  110.    —  Berceau  pèse-bébés. 


lever  au  nouveau-né  le  chapeau  ou  gourmes  du  cuir  chevelu.  L'enfant 
vient-il  à  succomber  d'une  maladie  quelconque,  on  ne  manque  pas 
d'accuser  le  médecin  de  les  avoir  fait  passer  trop  tôt. 

naissance  de  jumeaux.  —  Nous  avons  vu  que  la  jurisprudence 
hébraïque,  avec  laquelle  s'accorde  la  nôtre,  considérait  comme 
l'aîné  de  deux  jumeaux  celui  qui  naissait  le  premier.  La  législation 
romaine,  admettant  la  possibilité  de  la  superfétation,  reconnaissait, 
au  contraire,  la  qualité  d'aîné  à  celui  des  jumeaux  qui  venait  au 
monde  le  dernier,  parce  qu'on  croyait,  qu'étant  conçu  le  premier,  il 
avait  dû  être  refoulé  au  fond  de  la  cavité  utérine  lors  de  la  conception 
du  second.  Le  même  ordre  de  progéniture  existait  autrefois  en  Es- 
pagne: le  dernier  né  était  regardé  comme  l'aîné,  par  la  raison, disait- 
on,  que  de  deux  pierres  tirées  d'une  carrière,  la  dernière  est  censée 
avoir  été  formée  la  première.  Cette  solution  géologique  est  au  moins 
bizarre. 

Les  astrologues  pensaient  que  le  premier  né  de  deux  jumeaux  res- 


238  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

semblait  davantage  au  père,  c'est  pourquoi  il  servait  à  juger  du  sort 
du  père  par  son  point  de  nativité. 

La  naissance  des  jumeaux  est  diversement  appréciée  suivant  les 
peuples,  en  général  on  peut  dire  que  leur  venue  ne  cause  qu'un  mé- 
diocre enthousiasme.  Cependant  au  Bénin,  où  la  fécondité  des  femmes 
est  très  prisée,  la  naissance  des  jumeaux  est  considérée  comme  un 
heureux  événement  ;  le  roi  ordonne  à  ce  propos  des  réjouissances  et 
fournit,  sur  sa  cassette  particulière,  une  nourrice  à  l'un  des  enfants. 
Chose  curieuse,  le  même  monarque  qui  encourage  la  fécondité  au 
Bénin,  tolère  dans  la  ville  d'Arobo,  autre  partie  de  son  royaume,  une 
pratique  tout  opposée,  et  laisse  les  habitants  de  ce  lieu  égorger  une 
mère  qui  enfante  deux  jumeaux.  Suivant  eux,  une  telle  fécondité  ne 
pourrait  être  que  le  résultat  d'un  commerce  avec  les  esprits.  Toute- 
fois, comme  au  Loango,  où  règne  aussi  cette  coutume  barbare,  ils 
donnent  à  la  femme  la  faculté  de  se  racheter  au  prix  d'une  esclave 
qui  est  tuée  en  sa  place  ;  mais  les  enfants  sont  toujours  sacrifiés  sans 
pitié  (1). 

Au  vieux  Calabar  et  en  Guinée,  les  jumeaux  subissent  le  même 
sort  ;  chez  les  Béchuanas,  ils  sont  déclarés  tlotos  et  immolés  comme 
les  enfants  difformes.  Les  Esquimaux  pensent  et  agissent  de  même. 
A  Ardra,  la  naissance  de  deux  jumeaux  ne  peut  être  que  la  consé- 
quence d'un  adultère  ;  on  n'admet  pas  qu'un  homme  soit  capable  de 
procréer  deux  enfants  à  la  fois.  Les  Comanches  ont  l'habitude  de  sa- 
crifier l'un  des  jumeaux;  «  ils  agissent  ainsi,  dit  Engelmann,  parce 
qu'il  est  humiliant,  pour  une  femme,  de  mettre  au  monde  plus  d'un 
enfant  à  la  fois, comme  le  font  les  chiennes.  »  Cette  appréciation  sur 
les  accouchements  gémellaires,  ainsi  que  la  coutume  de  sacrifier  l'un 
des  enfants  se  retrouvent  à  la  Guyane.  Ecoutons  Sacombe  : 

Si  de  jumeaux  la  femme  à  la  Guyane  accouche, 
Elle  a  de  son  époux  déshonoré  la  couche. 
Parents,  amis,  voisins,  sans  pitié,  sans  raison, 
Viennent  alors  en  foule  investir  sa  maison. 
«  0  reine  cle  souris  !  lui  dit-on,  truie  insigne  ! 
De  cette  race  immonde,  issue  en  droite  ligne, 
Et  digne  d'égaler  ces  féconds  animaux, 
Tu  mettras  bientôt  bas  quelques  quatri-jumeaux. 
Rougis,  si  tu  le  peux,  de  ta  conduite  infâme, 
Ton  époux  méritait  une  plus  chaste  femme.  » 

(1)  Histoire  Générale  des  Voyages,  XV,  2G3. 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  239 

Ce  n'est  pas  tout.  Après  quelques  jours  de  repos,. 
Le  mari  furieux  joint  le  geste  au  propos. 

«  Venez  mère  aux  jumeaux,  dit-il,  d'un  ton  colère, 
Venez  de  vos  exploits  recevoir  le  salaire  ; 
Venez  servir  d'exemple  aux  femmes  du  canton, 
Qui  de  vous  imiter,  voudraient  prendre  le  ton. 
Et  vous,  maris  constants,  d'une  épouse  infidèle, 
Sachez,  en  pareil  cas,  me  prendre  pour  modèle.  » 

A  ces  mots,  un  faisceau  de  verges  à  la  main, 
A  grands  coups  redoublés,  de  son  bras  inhumain, 
Il  fait  jaillir  au  loin  le  sang  de  sa  victime, 
Et  croit  que  des  jumeaux  un  seul  est  légitime. 
Souvent  pour  se  soustraire  à  ce  dur  châtiment, 
De  l'amour  maternel  bravant  le  sentiment, 
Je  frémis  d'y  songer  !  une  épouse  égarée, 
Plonge  dans  une  fosse  en  secret  préparée, 
Celui  qui  des  jumeaux  est  venu  le  premier, 
Etpoursécber  ses  pleurs  réserve  le  dernier. 

Superfétation,  erreur  si  manifeste, 
Toi  seule  a  consacré  ce  préjugé  funeste  ! 

Les  Hottentots,  dit-on,  retranchent  le  Lesticule gauche  aux  garçons, 
pour  les  empêcher  de  produire  des  jumeaux.  Dès  lors  tout  homme 
qui  aurait  rapport  avec  une  femme  sans  avoir  subi  cette  mutilation 
préalable  serait  impitoyablement  mis  à  mprt.  Aussi  avant  le  mariage 
la  femme  est-elle  autorisée  à  vérifier,  par  elle-même,  si  son  futur 
mari  a  subi  l'ablation  obligatoire.  Cette  coutume  n'indique  pas  un 
goût  prononcé  pour  les  jumeaux,  et  cependant  quand  ce  sont  des 
garçons,  ils  sont  accueillis  par  des  réjouissances  publiques;  mais 
s'il  s'agit  de  filles  jumelles,  l'usage  est  de  tuer  la  plus  laide;  et  si, 
de  la  même  couche,  naît  un  garçon  et  une  fille,  celle-ci  est  exposée  ou 
ensevelie  vive. 

PRÉJUGÉS     DIVERS,     RELATIFS    AUX      NOUVEAU-NÉS.    —    Le    Conduit 

auditif  des  chiens  nouveau-nés  est  oblitéré  par  une  membrane  qui 
se  déchire  au  bout  de  quelques  jours  et  les  paupières  de  ces  ani- 
maux restent  closes  pendant  le  même  temps  ;  aussi  ne  voient-ils  et 
n'entendent-ils  que  plusieurs  jours  après  leur  naissance.  De  même 
on  croit  généralement  que  l'enfant  ne  voit  ni  n'entend  quand  il  vient 
au  monde,  or  la  vision  et  l'audition  fonctionnent  normalement  chez 
lui,  mais  il  n'a  que  la  conscience  simple  et  non  la  conscience  réfléchie 
de  ses  impressions:  il  voit  sans  regarder,  il  entend  sans  écouter. 


240  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Autrefois,  on  exposait  les  nouveau-nés  au  feu  pour  les  préserver 
des  maléfices.  Cette  coutume,  sur  laquelle  les  détails  nous  manquent, 
serait  venue  des  Egyptiens  et  des  Amorrhéens.  En  Bretagne,  on  atta- 
chait au  cou  du  nouveau-né  un  morceau  de  pain  noir,  afin  que  les 
génies,  voyant  qu'il  était  pauvre,  ne  lui  fissent  point  de  mal  (l).  Les 
sauvages  mettent  au  cou  des  nouveau-nés  des  gris-gris  achetés  aux 
sorciers,  comme  en  France,  on  y  suspend  des  médailles  bénites  ou  des 
scapulaires,  pour  leur  assurer  un  sort  heureux.  Les  Chinois  se  servent 
de  fétiches  qui  doivent  placer  leurs  enfants  sous  la  protection  des  ancê- 
tres. «  Chez  les  Turcs,  »  ditle  Dr  Zambaco,  «  à  la  partie  supérieure  du 
front  des  nouveau-nés,  on  pend  un  paquet  composé  d'une  pièce  en 
or  plus  ou  moins  grande  sur  laquelle  se  trouvent  inscrit  des  versets 
du  Coran.  Dans  les  familles  riches,  un  bijou  en  or  et  diamant,  sur 
lequel  on  lit  Mâcha  Allah  (ce  que  Dieu  veut),  une  pierre  bleue,  une 
turquoise,  ou  un  morceau  de  verre  rond  pour  les  pauvres,  quelques 
perles  enfilées,  et  une  gousse  d'ail,  constituent  un  talisman  préser- 
vatif contre  les  accidents  et  le  mauvais  œil.  Les  chrétiens  remplacent 
le  Mâcha  Allah  par  une  croix,  et  la  pierre  en  or  par  une  monnaie 
ancienne,  vénitienne,  de  Marie-Thérèse  ou  de  Pierre  le  Grand.  Les 
Grecs  préfèrent  une  pièce  byzantine  de  Constantin.  Dans  certains 
villages  grecs,  on  ajoute  une  dent  de  porc  ou  de  sanglier  et  la  coquille 
d'un  limaçon.  Il  est  surprenant  que  les  Gaulois  aient  porté  aussi  des 
amulettes  dans  lesquelles  figuraient  une  canine  de  sanglier  ou  de  porc 
et  de  petits  coquillages  appelés  porcelaines  ».  On  sait  que  les  Romains 
attachaient  au  cou  ou  sur  le  front  de  leurs  jeunes  enfants  des  bulles 
en  guise  de  porte-bonheur;  nous  parlerons  en  détail  de  cette  coutume 
dans  le  chapitre  consacré  aux  Mœurs  et  Coutumes. 

En  France,  pour  préserver  les  enfants  des  convulsions,  on  leur  met 
au  cou  des  colliers  de  gousses  d'ail  ou  d'ambre,  sans  doute  en  raison 
des  vertus  antispasmodiques  et  magnétiques  de  ces  produits;  d'après 
la  doctrine  des  semblables,  on  y  suspend  aussi  des  têtes  de  vipères; 
du  vif  argent  dans  un  nouet  ou  bien  des  pattes  de  taupes,  l'une  devant, 
l'autre  derrière,  arrachées  à  l'animal  vivant.  Au  moment  des  convul- 
sions, on  invoque  Saint  Gilles,  ou  bien  on  arrache  le  bonnet  de  la  tête 
de  l'enfant,  on  le  jette  au  feu  et  on  fait  sur  les  cendres  un  grand  signe 
de  croix. 

Notons,  entre  autres  médications  bizarres,  conseillées  parles  com- 
mères, pour  guérir  la  jaunisse  anodine  des  nouveau-nés,  la  recette 
publiée  par  le  Dr  Droixhe,  de  Huy  : 

(1)  Rambaud.  Histoire  de  la  civilisation  française . 


ERREURS   ET   PRÉJUGÉS  241 

«  Vous  achèterez  un  pot,  après  que  l'enfant  aura  uriné  dessus,  à 
minuit  sonnant;  vous  sortirez  du  lit  et  vous  vous  rendrez  en  chemise  et 
pieds  nus  sur  le  chemin,  en  portant  votre  enfant  sur  le  bras  gauche  et 
tenant  le  pot  dans  la  main  droite.  Après  avoir  fait  quelques  pas,  vous 
lancerez  au  loin  le  pot  derrière  vous,  sans  vous  retourner,  en  disant: 
Cest  pour  le  premier  chien  qui  passe,  et  le  premier  chien  qui  passera, 
mangera  la  miche  et  emportera  la  jaunisse  ». 

Toute  aussi  efficace  était  la  recommandation  de  Salchon,  médecin  à 
Meldorf,  et  du  crédule  chevalier  d'Igby  qui  conseillaient  de  presser 
sur  le  cordon  pour  en  faire  refluer  le  sang  jusqu'au  délivre,  afin  de 
préserver  les  enfants  de  la  variole  et  de  la  rougeole.  Levret,  lui-même, 
voyait  dans  cette  pratique  le  préservatif  de  la  jaunisse  des  nouveau- 
nés.  Cette  idée  erronée  remonte  d'ailleurs  à  Aristote  qui  croyait,  par 
ce  moyen,  rendre  l'enfant  plus  vigoureux. 

C'était  pour  les  Anciens  un  heureux  présage  de  naître  avec  des 
dents  ;  les  Béchuanas  ne  partagent  pas  cet  avis  et  immolent  ces  enfants 
privilégiés  comme  de  véritables  monstres.  La  précocité  de  l'éruption 
dentaire  ne  mérite  ni  cet  excès  d'honneur  ni  cette  indignité,  elle  a 
seulement  le  grand  inconvénient  d'empêcher  d'élever  les  enfants  au 
sein.  Ainsi  pour  Louis  XIV,  qui  présenta  cette  anomalie  à  sa  nais- 
sance, on  fut  obligé  de  changer  plusieurs  fois  de  nourrice,  à  cause  des 
morsures  qu'il  leur  faisait.  Dionis  attribue  à  tort  ce  changement  fré- 
quent de  seins  au  grand  appétit  du  jeune  prince. 

Les  Romains,  d'après  Pline,  voyaient  aussi  les  plus  belles  desti- 
nées pour  l'enfant  qui  était  venu  au  monde  par  l'opération  césarienne. 
Au  XVIIIe  siècle, pendant  celte  opération,  il  était  d'usage  de  maintenir 
ouverte,  avec  un  bâillon,  la  bouche  de  la  patiente;  «  ce  n'est  pas  », 
dit  Dionis,  «  que  sur  ce  chapitre,  je  sois  dans  l'erreur  du  menu  peuple, 
qui  croit  que  l'enfant  respire  dans  le  ventre  de  sa  mère,  et  qui  s'ima- 
gineroit  que  trouvant  l'enfant  mort,  comme  il  arrive  le  plus  souvent, 
ce  seroit  la  faute  du  chirurgien  qui  n'auroit  pas  mis  le  bâillon.  Je  sçai 
que  cette  circonstance  est  inutile,  mais  il  ne  la  faut  pas  obmettre, 
pour  contenter  les  assistans  et  pour  éviter  tous  les  sots  discours  que 
feroient  contre  le  chirurgien  quelques  femmelettes».  Nous  avons  vu 
le  synode  de  Cologne  (1)  recommander,  dans  le  même  but  illusoire, 
non  seulement  de  mettre  entre  les  doijts  de  la  femme,  à  l'instant  de 
de  sa  mort,  un  bout  de  roseau  ouvert  des  deux  côtés,  mais  encore  de 
placer  un  tube  semblable  au  fond  du  vagin. 

Jacques   Duval  relève  une  foule  de  préjugés  dont  plusieurs  ont 

(1)    Voir  page  151. 

HISTOIRE  DES  ACCOUCHEMENTS.  16 


242  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


encore  cours  de  nos  jours;  on  disait  de  son  temps  «  qu'il  faut  laisser 
crier  un  enfant  masle  principalement,  d'autant  que  cela  lui  augmente 
la  poitrine,  et  fortifie  la  voix.  Ce  qui  est  bien  souvent  cause  de  luy 
donner  une  relaxation  de  l'intestin,  qui  descend  dans  le  scroton  ou 
bourses  des  testicules,  dont  il  est  cruellement  vexé  toute  sa  vie  » . 

«  Quelques-unes  »,  ajoute-t-il,  «  donnent  du  vin  pur  disans  que  ce 
vin  ainsi  donné,  empesche  que  l'enfant  estant  parcru  ne  s'enyvre  si 
aisément  » .  Les  Cosaques  ont  cette  mauvaise  habitude  mais  ils  croient 
rendre  l'enfant  plus  vigoureux.  C'est  aussi  un  préjugé  courant  dans 
nos  campagnes. 

Les  mères  ne  devaient  pas  embrasser  leurs  enfants  aussitôt 
après  le  travail  :  «  Quand  encore  esmues  de  leur  travail,  le  sang 
perturbé  et  les  infectées  lochies  ou  purgations  estant  tellement 
agitées  en  elles,  qu'elles  peuvent  infecter  un  mirouer,  corompre 
son  lustre  et  splendeur  de  leur  seul  regard,  induire  la  rage  aux 
chiens  qui  gousteroient  de  cest  excrément,  faire  une  playe  incurable  à 
ceux  qu'elles  morderoient,  les  vins  qui  en  seroient  imbues  devien- 
droient  aigres,  les  tendres  germes  des  plantes  touchées  en  seroient 
brûlés,  les  fruicts  des  arbres  qui  en  auroient  esté  imbuez  tomberoient. 
C'est  pourquoy  Columelle  deffend  qu'une  femme  malade  de  telles  pur- 
gations soit  admise  en  un  lieu  auquel  on  a  de  nouveau  planté  des 
melons,  concombres,  ou  citrouilles,  d'autant  que  par  leur  attou- 
chement l'augmentation  desdictes  herbes  s'hébète  et  ne  peut  procéder 
en  avant  :  et  la  femme  aussi  fait  mourir  les  jeunes  fruicts  des  plantes 
par  son  regard  seul.  Et  a  esté  reconnu  mesmement  qu'une  femme  ayant 
rétention  de  telles  superfluitez  peut  offencer  et  corrompre  un  jeune 
enfant,  voire  même  aagé  de  six  à  sept  ans,  qui  seroit  avec  elle  couché. 
Si  donc  advient  que  par  leur  témérité,  elles  s'inclinent  pour  donner 
des  baisers  à  ce  qui  est  nouvellement  nay,  elles  peuvent  lui  donner 
pasle  couleur  du  visage,  lentigines,  bourgeons,  dartres  pernitieuses, 
rongnes,  et  autres  infections  du  cuir.  En  quoy  on  recognoist  que  par 
leur  indiscrétion  elles  leur  portent  un  amour  de  cinge,  qui  est,  dit-on, 
de  serrer  si  fort  ses  petits,  par  un  ardent  désir  d'amitié,  qu'il  les 
suffoque  ». 

En  Livonie,  on  a  coutume  de  planter  un  arbrisseau  à  la  naissance 
de  chaque  enfant  et  la  destinée  du  nouveau-né  est  attachée  au  sort 
de  cet  arbre,  que  l'on  entoure  des  plus  grands  soins.  Mme  Auzou 
a  fort  bien  représenté  (fig.  111)  l'effroi  d'une  jeune  Livonienne  qui, 
venant  cultiver  l'arbre  planté  à  la  naissance  de  son  premier  né,  le 
trouve  brisé. 

Chez  les  Ainos  Karafutos,  les  ancêtres  des  Japonais,  les  sages- 


ERREURS   ET   PREJUGES 


243 


femmes  avaient  une  singulière  façon  de  reconnaître  la  vigueur  de 
l'enfant  :  elles  prenaient  de  l'eau  froide  dans  la  bouche  et  lançaient 
cette  sorte  de  douche,  avec  force,  sur  le  ventre  du  nouveau-né;  s'il 
protestait  par  des  cris,  ce  qui  devait  être  le  cas  le  plus  fréquent, 
c'était  l'indice  d'une  nature  vigoureuse;  son  silence  était  interprété 
comme  signe  de  faiblesse  et  il  était  exposé.  De  même,  en  Bretagne, 
les  habitants  du  Finistère,  non  moins  arriérés  que  les  ancêtres  des 
Faces  Jaunes,  plongent  l'enfant  aussitôt  né  dans  les  eaux  glacées  de 


*3 


^m^xm 


Fig.  111.  —  L'effroi  maternel,  d'après  le  tableau  de  Mme  Auzou,  salon  de  1810. 


la  fontaine  de  Sainte-Candide,  située  dans  l'arrondissement  de  Quim- 
perlé.  «  Si  le  pauvre  petit  étend  les  pieds,  dit  le  Dr  A.  Legendre,  c'est 
signe  qu'il  vivra;  s'il  les  retire,  c'est  signe  d'une  mort  prochaine.  » 
Les  Groenlandais,  peuple  prudent  quoique  naïf,  mettent  à  côté  d'un 
enfant  nouveau-né  qui  meurt,  une  tête  de  chien;  ils  craignent  que, 


244  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


ne  connaissant  pas  bien  le  pays  des  âmes,  il  ne  s'égare  en  chemin  ;  le 
chien,  vrai  chien  d'aveugle,  lui  servira  de  guide  et  le  conduira  au 
séjour  des  âmes. 

Les  sauvages  Ghirigans  semblent  être  des  gens  économes  et  n'ai- 
ment pas  à  rien  perdre  ;  quand  un  enfant  meurt  en  bas  âge,  on  l'en- 
terre le  long  d'un  chemin  ;  passe  une  femme  enceinte,  et  l'âme  du 
jeune  défunt  s'empressera  de  pénétrer  dans  ce  domicile  de  hasard. 

Nous  terminons  ici  notre  trop  longue  énumération  des  préjugés  en 
obstétrique  :  ce  n'est  pas  que  le  sujet  soit  épuisé,  loin  de  là  ;  mais 
nous  devons  nous  borner  dans  la  crainte  de  devenir  ennuyeux;  d'ail- 
leurs nous  aurons  encore  l'occasion  de  signaler  un  certain  nombre 
d'idées  baroques,  de  pratiques  superstitieuses  quand  nous  parlerons 
des  mœurs  et  usages  chez  les  différents  peuples. 


CHAPITRE  III 


ACCOUCHEMENTS  EXTRAORDINAIRES  ET  MONSTRES 


Les  histoires  d'enfantements  prodigieux  sont  innombrables  :  la 
plupart  ne  sont  que  des  fables  inventées  à  plaisir,  qui  peuvent  nous 
donner  une  haute  idée  de  la  crédulité  humaine.  Nous  ferons,  bien  en- 
tendu, un  choix  dans  ces  folles  imaginations  et  ne  citerons  que  les 
plus  curieuses. 

Leur  place  est  toute  marquée  à  la  suite  des  Erreurs  et  Préjugés 
populaires. 

Femmes  mettant  au  monde  des  animaux.  —  Les  contes 
de  ce  genre  sont  nombreux.  Pline  l'Ancien,  cet  abîme  de  science  et 
de  crédulité,  nous  apporte  naturellement  sa  part.  «  Alcippe,  »  ra- 
conte cet  étonnant  physiologiste,  «  mit  au  monde  un  éléphant,  présage 
funeste,  comme  lorsqu'une  esclave,  au  commencement  de  la  guerre 
des  Marses,  accoucha  d'un  serpent  (1).  »  Un  autre  compilateur  latin, 
Julius  Obsequens,  parle  de  deux  femmes  qui,  en  Italie,  enfantèrent 
l'une  un  chien,  l'autre  un  chat.  En  1278,  une  Suissesse  aurait  donné 
naissance  à  un  lion.  Boguet  raconte  dans  ses  Discours  des  exécrables 
sorciers,  qu'en  1531  une  femme maléficiée enfanta  «d'une  même  ven- 
trée »  une  tête  d'homme,  un  serpent  à  quatre  pieds  (fig.  112)  et  un 
pourceau.  Une  Thuringienne  accoucha  d'un  crapaud,  qu'Aldrovandi 
a  reproduit  (fig.  113)  dans  son  Histoire  des  monstres,  d'autres  accou- 
chèrent de  cochons  de  lait,  de  poulets  ;  toute  une  basse-cour.  On  sait 
que  la  reine  Berthe,  excommuniée  pour  avoir  épousé  Robert  le  Pieux, 
son  cousin  au  quatrième  degré,  mit  au  monde  «  par  la  colère  d'en  haut  » 


(1)  Dans  le  même  passage.  Pline  raconte  qu'à  Sagonte,  l'année  où  la  ville  fut  prise 
par  Annibal,  un  enfant  qui  était  venu  au  monde,  rentra  aussitôt  dans  le  ventre  de 
sa  mère.  Hayne  affirme,  avec  aplomb,  avoir  observé  le  même  fait. 


246 


HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 


un  enfant  ayant  une  tête  et  un  col  d'oie.  Bayle  rapporte  cet  autre 
conte,  imaginé  par  deux  moines  de  Corbie,  qu'une  femme  accoucha 
d'un  chat  noir:  l'animal  fut  brûlé  par  ordre  du  Saint  Office  parce  que 
le  diable  pouvait  seul  en  être  le  père. 


Fig,  112.  —  Serpent  à  quatre  pattes  mis  au  monde  par  une  femme,  d'après  Boguet. 

Salmuth  (obs.  66)  parle  d'une  comtesse  qui  accoucha  d'une  fille 
avec  un  côté  rongé,  «  parce  que  dans  la  matrice  se  trouvait  en  même 
temps  un  oiseau  vivant  sans  plumes,  qui  mordit  bellement  la  sage- 


Fig.  113.  —  Crapaud  à  queue  dont  accoucha  une  Thuringicnne,  d'après  Aldrovandi. 

femme  à  la  main,  puis  courut  par  toute  la  chambre  jusqu'à  ce  qu'on 
l'eût  étouffé  sous  des  oreillers  (1).  » 


(1)  A.  Lerapereur.  Des  altérations  que  subit  le  fœtus  après  sa  mort. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


247 


D'après  Collin  de  Plancy,  l'année  1545,  «  une  dame  de  noble  lignée 
mit  au  monde,  dans  la  Belgique,  un  garçon  (fig.  114)  qui  avait  la  tête 
d'un  diable  (selon  le  jugement  des  experts),  une  trompe  d'éléphant 
au  milieu  du  visage,  des  pattes  d'oie  au  bout  des  bras  et  des  jambes, 
des  yeux  de  chat  au-dessous  du  ventre,  une  tête  de  chien  à  chaque 
coude  et  à  chaque  genou,  deux  visages  de  singe  en  relief  sur  l'esto- 
mac, une  queue  de  scorpion  proprement  retroussée  et  longue  d'une 
aune  et  demie.  Personne  ne  voulut  se  reconnaître  père  de  cet  aimable 
garçon  ;  les  théologiens  et  les  parents  de  la  dame  attribuèrent  au 


Fig.  114.  —  Monstre,  d'après  Ilueff. 


Fig.  115.  —  Monstre,  d'après  Rueff. 


diable  ce  bel  ouvrage.  La  mère  soutint  que  l'enfant  était  de  son  mari. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  petit  monstre  ne  vécut  que  quatre  heures  ;  et,  en 
mourant,  il  s'écria  à  haute  et  intelligible  voix,  par  les  deux  gueules 
de  chien  qu'il  avait  aux  genoux  :  Veillez  et  priez,  carie  jugement  der- 
nier est  tout  proche!  Malgré  cela,  le  jugement  dernier  n'est  pas  en- 
core venu  ». 

Les  auteurs  anciens  citent  de  nombreux  exemples  de  monstres  dont 
une  ou  plusieurs  parties  du  corps  procèdent  de  l'animalité  (fig.  115, 
116,  117).  Nous  en  retrouverons  plus  loin  d'autres  spécimens  cu- 
rieux. 


248 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


En  1726,  le  médecin  Saint-André  fut  victime  d'une  mystification 
qui  fit  grand  bruit  à  Londres.  Ce  médecin,  en  effet,  était  partisan  de 
la  doctrine  des  générations  fortuites  qui  eut  tant 'de  crédit  à  cette 
époque;  et,  en  vertu  de  cette  doctrine,  il  admettait  qu'une  sole  pou- 
vait engendrer  une  grenouille;  une  carpe,  un  poulet;  une  huître,  une 


Fig.  11C.  —  Monstre,  d'après  Aldrovandi. 


Fig.  117. —  Monstre,  d'après  Aldrovandi. 


puce;  une  femme,  un  animal  quelconque,  par  l'assimilation  des  par- 
ties organiques  d'un  animal  dans  les  moules  d'un  autre.  Une  certaine 
Maria  Tofts  de  Guildford,  s'appuyant  sur  cette  théorie  fantaisiste, 
prétendait  être  accouchée  d'un  lapereau.  Voltaire  va  nous  conter 
l'aventure  : 

DUNE    FEMME   QUI   ACCOUCHE    D'UN    LAPIN 


A  quoi  ne  porte  point  l'envie  de  se  signaler  par  un  système! 

Cette  doctrine  des  générations  fortuites  avait  déjà  pris  tant  de  crédit 
dès  le  commencement  du  siècle,  que  plusieurs  personnes  étaient  per- 
suadées qu'une  sole  pouvait  engendrer  une  grenouille.  Il  ne  faut  pour 
cela,  disait-on,  que  des  parties  organiques  de  grenouilles  dans  des 
moules  de  soles.  Un  chirurgien  de  Londres  assez  fameux,  nommé  Saint- 
André,  publiait  cette  doctrine  de  toutes  ses  forces,  en  1726,  et  il  avait 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES  249 


l'enthousiasme  des  nouvelles  sectes.  Une  de  ses  voisines,  pauvre  et 
hardie,  résolut  de  profiter  de  la  doctrine  du  chirurgien.  Elle  lui  fit  con- 
fidence qu'elle  était  accouchée  d'un  lapereau,  et  que  la  honte  l'avait  for- 
cée de  se  défaire  de  son  enfant  ;  mais  que  la  tendresse  maternelle  l'avait 
empêchée  de  le  manger. 

Saint-André,  trouvant  dans  l'aveu  de  cette  femme  la  confirmation  de 
son  système,  ne  douta  pas  de  cette  aventure  et  en  triompha  avec  ses 
adhérents.  Au  bout  de  huit  jours,  cette  femme  le  fait  prier  de  venir 
dans  son  galetas;  elle  lui  dit  qu'elle  ressent  des  tranchées  comme  si 
elle  était  prête  d'accoucher  encore.  Saint-André  l'assure  que  c'est  une 
superfétation.  Il  la  délivre  lui-même  en  présence  de  deux  témoins.  Elle 
accouche  d'un  petit  lapin  qui  était  encore  en  vie.  Saint-André  montre 
partout  le  fils  de  sa  voisine.  Les    opinions  se  partagent  ;  quelques-uns 


Fig.  118.  —  Maria  Tofts  accouchant  de  lapins,  d'après  Hogarth. 

crient  miracle  :  les  partisans  de  Saint-André  disent  que,  suivant  les 
lois  de  la  nature,  il  est  étonnant  que  la  chose  n'arrive  pas  plus  souvent. 
Les  gens  sensés  rient  ;  mais  tous  donnent  de  l'argent  à  la  mère  des 
lapins. 

Elle  trouva  le  métier  si  bon  qu'elle  accoucha  tous  les  huit  jours. 
Enfin  la  justice  se  mêla  des  affaires  de  sa  famille;  on  la  tint  enfer- 
mée ;  on  la  veilla  ;  on  surprit  un  petit  lapereau  qu'elle  avait  fait 
venir,  et  qu'elle  s'enfonçait  dans  un  orifice  qui  n'était  pas  fait  pour  lui. 
Elle  fut  punie  ;  Saint-André  se  cacha.  Les  papiers  publics  s'égayèrent 
sur  cette  garenne,  comme  ils  se  sont  égayés  depuis  sur  l'homme  qui 
devait  se  mettre  dans  une  bouteille  de  deux  pintes,  et  sur  le  public  qui 
vint  en  foule  à  ce  spectacle. 

La  saine  physique  détruit  toutes  ces  impostures,  ainsi  qu'elle  a  chassé 
les  possédés  et  les  sorciers. 

Il  résulte  de  tout  ce  que  nous  avons  vu,  qu'il  faut  se  méfier  des  lape- 


250  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

reaux  de  Saint-André,  des  anguilles  de  Needham,  des  générations  for- 
tuites, de  l'harmonie  préétablie,  qui  est  très  ingénieuse,  et  des  molé- 
cules organiques,  qui  sont  plus  ingénieuses  encore. 

Le  célèbre  caricaturiste  W.  Hogarth,  qui  vivait  à  cette  époque,  ne 
manqua  pas  de  ridiculiser  cette  aventure  dans  une  estampe,  intitulée 
Cunicularii,  ou  la  Consultation  des  sages  de  Godliman  (The  Wisemen 
of  Godliman).  Cette  gravure  est  aujourd'hui  introuvable;  à  son  défaut, 
nous  reproduisons  une  partie  de  celle  qui  se  trouve  dans  ses  Œuvres, 
sous  le  titre  de  Crédulité,  la  femme  aux  lapins  occupe  le  premier 
plan  (fig.  118). 

Inversement,  on  a  vu  des  animaux  donner  le  jour  à  des  créatures 
humaines.  L'histoire  du  Languedoc  fait  mention  d'un  accident  de  cette 
nature  et  a  été  cité  par  Dulaure  dans  sa  Description  des  principaux 
lieux  de  France:  a  Le  6  septembre  de  l'an  1387,  une  ânesse  mit  au 
jour  deux  enfants  mâles,  formés  comme  tous  ceux  que  pourrait  enfan- 
ter une  femme  ;  ils  naquirent  dans  le  château  de  Montpellier.  On 
demanda  au  pape  si  on  devait  les  baptiser.  Cette  question  causa  de 
grands  débats,  que  le  cardinal  de  Saint-Angel  termina  en  décidant 
qu'ils  pouvaient  être  baptisés,  et  ils  le  furent  ». 

Debruis  parle  d'une  vache  qui  mit  bas  un  enfant,  lequel,  quoique 
broutant  l'herbe  et  ruminant,  reçut  aussi  le  baptême.  Liceti  n'admet-il 
pas  qu'Attila  fut  le  fils  d'une  femme  et  d'un  chien,  et  les  anciens  chro- 
niqueurs ne  racontent-ils  pas  que  la  femme  de  Clodion  le  Chevelu,  se 
promenant  un  jour  sur  le  bord  de  la  mer,  fut  surprise  par  un  monstre 
sorti  des  flots  et  en  eut  un  fils,  Mérovée  ou  Meer-Wech,  qui  signifie 
veaumarin.  Enfin  nousrappellerons  le  fameux  miracle  arrivé  à  Genève, 
en  1609,  d'une  femme  qui  fit  un  veau  «  à  cause  du  mespris  de  la  puis- 
sance de  Dieu,  et  de  Mme  saincte  Marguerite  »  (1). 

Accouchement  d'œufs.  —  A  l'exemple  des  Anciens  qui  firent 
naître  d'un  œuf  plusieurs  de  leurs  personnages  mythiques,  tels  que 
Castor  et  Pollux,  Vichnou  et  Astarté,  le  naturaliste  italien  Ulysse 
Aldrovandi,  un  Pline  du  XVIe  siècle,  se  plaît  à  raconter  dans  son 
volume  des  Monstres,  que  les  femmes  Sélénites,  alias  les  citoyennes 
de  la  Lune,  sont  ovipares,  et  que  de  leurs  œufs  sortent  des  êtres  qui 
atteignent  la  taille  des  anciens  géants  (fig.  119).  L'autorité  d' Aldro- 
vandi est  Conrad  Wolffhart,  en  philologie  Lycosthcnes,  auteur  d'une 
Chronique  des  prodiges  et  merveilles  (2).  Au  moins  Lycosthènes  place- 

(1)  V.  page  106. 

(2)  Pi-odigiorum  et  ostentorum  Chronicon,  Bâle,  1557. 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


251 


t-il  son  histoire  dans  la  lune  ;  libre  à  Cyrano,  à  Edgar  Poe  et  à  Jules 
Verne  d'aller  contrôler  son  dire  !  Voici  qui  est  plus  fort.  Olivier,  à 
l'article  Œufs  de  l'Encyclopédie,  affirme  qu'une  femme  est  accouchée 
d'un  plat  d'œufs.  Ce  devait  être  des  môles  hydatides  qui  ressemblent 
à  une  agglomération  d'oeufs  (fig.  120). Dans  le  même  article,  il  est  ques- 
tion d'hommes  ayant  expulsé  des  œufs  par  le  fondement,  tout  comme 
le  héros  de  La  Fontaine. 


Fia.  119.  —  Femme  Sélénite  accouchant  de  plusieurs  œufs,  d'après  U.  Aldrovandi, 


A.  Paré  représente  (fig.  121),  avec  plusieurs  auteurs,  un  œuf  qui 
contenait  une  tête  d'homme  :  «  Ce  présent  monstre  que  voyez  cy 
dépeint  a  esté  trouvé  dedans  un  œuf,  ayant  la  face  et  visage  d'un 
homme,  tous  les  cheveux  de  petits  serpenteaux  tous  vifs,  et  la  barbe 
à  la  mode  et  façon  de  trois  serpents  qui  luy  sortoient  hors  du  menton  ' 
il  fut  trouvé  le  quinzième  jour  du  mois  de  mars  dernier  passé,  1569» 
chez  un  advocat  nommé  Baucheron,  à  Aulhun  en  Bourgongne,  par 
une  chambrière  qui  cassoit  des  œufs  pour  les  mettre  au  beurre,  entre 
lesquels  cestuy-ci  estoit:  lequel  estant  cassé  par  elle,  voit  sortir  ledit 
monstre,  ayant  face  humaine,  les  cheveux  et  la  barbe  de  serpens, 
dont  elle  fut  merveilleusement  espouventée.  Il  fut  baillé  de  la  glaire 
du  dit  œuf  à  un  chat,  qui  mourut  subitement.  De  quoy  estant  advert 
monsieur  le  baron  de  Senecey,  chevalier  de  l'ordre,  a  esté  de  sa 


252 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


part  envoyé  ledit   monstre  au  roi  Charles,  qui  pour  lors  estoit  à 
Metz.  » 

Bartholin  parle  d'une  femme  de  Copenhague  qui  fit  un  œuf,  mais, 
craignant  de  devenir  la  risée  publique,  elle  le  cassa  et  le  fît  dispa- 
raître aussitôt.  Enfin  peu  de  temps  après  la  supercherie  britannique 
des  lapins  (1),  une  autre  fut  tentée  en  France.  On  présenta  à  l'Aca- 


^%S-c 


Fig.  120.  —  Môle  hydatide. 

demie  des  sciences  de  Paris  deux  œufs  pondus  par  une  femme  et  d'où 
il  était  sorti  deux  pigeons  pattus.  Une  commission  fut  nommée  et 
conclut  à  une  mystification.  C'était,  en  effet,  un  peu  trop  prendre  à  la 
lettre  la  célèbre  maxime  d'Harvey  :  Omne  vivumex  ovo. 

Enfants  qui  parlent  dès  leur  naissance.  —  Nous  venons 
de  citer  l'exemple  du  petit  monstre  qui,  quatre  heures  après  sa  nais- 


(1)  Quelque  philologue  de  l'avenir  trouvera  peut-être  là  l'origine  d'une  locution 
en  TjBage  dans  le  monde  horizontal  et  noctambule. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


253 


sance,  annonçait  à  haule  et  intelligible  voix  la  prochaine  fin  du 
monde,  et  nous  avions  déjà  signalé  Mahomet,  Sotoktais,  le  domini- 
cain Vincent  Ferrier,  les  Saints  Barthélémy  et  Fursy  qui  se  firent 


Fig.  121.  —  Tête  d'homme  avec  cheveux  et  une  barbe  de  serpents,  trouvée  dans  un  œuf,   d'après 

A.  Paré. 


entendre  dans  le  sein  même  de  leur  mère  ou  dès  leur  naissance. 
D'autres  exemples  aussi  fantaisistes  sont  relatés  par  une  complainte 
de  1587  intitulée  : 


Discours  très  merveilleux  et  espouvantable  advenu  en  la  ville  de 
Zélande,  dix  lieues  de  la  ville  d'Envers,  de  trois  en  fans  lesquels  ont 
parlé  tost  après  leur  nativité  et  dit  chose  merveilleuse,  puis  à  l'ins- 
tant trespassèrent. 


Peuple  chrestien  preste  l'oreille, 
Pour  ouyr  les  faits  merveilleux. 
Jamais  on  n'a  ouy  la  pareille 
Raconter  à  nos  pères  vieux. 
En  une  ville  de  Zélande. 
Dix  lieues  de  la  ville  d'Envers, 
Est  advenu  un  cas  estrange, 
Comme  vous  verres  cy-après. 

Une  femme  y  est  accouchée 
Ces  jours  passez  de  trois  enfans, 
Qu'elle  a  produit  d'une  portée 
Par  le  vouloir  du  Tout-Puissant, 
Lesquels  dès  qu'ils  furent  sur  terre, 
Ont  parlé  ainsi  promptement 


254  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Chacun  son  vers,  sans  plus  enquête, 
Non  en  Français  mais  en  Flament. 

Le  premier  a  parler  commence, 
Et  dit  ces  mots  distinctement  : 
«  A-t-on  point  faict  encor'  vengeance 
«  Des  vices  qu'on  faict  a  présent?  » 
Puis  a  l'instant  fina  son  dire, 
Disant  :  «  Craignez  l'ire  de  Dieu, 
«  Tant  plus  on  vit  plus  on  empire, 
o  Cela  se  voit  eu  chascun  lieu.  » 

En  asprès  le  second  commence, 
Si  tost  que  le  premier  eut  dict, 
Disant  ces  mots  :  «  Faits  pénitence, 
«  Monde  perverti  et  maudict, 
«  Car  le  grand  jour  dernier  s'aproche 
«  Que  Dieu  le  monde  jugera.  » 
Finit  son  dire,  et  clost  sa  bouche 
Puis  le  troisiesme  enfant  parla. 

Le  troisiesme  à  voix  lamentable 
Dit  :  «  Qui  pourra  ensepvelir 
«  Le  pauvre  monde  misérable 
«  Que  par  faim  on  voyra  mourir? 
«  Car  la  cherté  sera  si  grande 
«  Que  si  Dieu  n'a  de  nous  pitié, 
«  Il  commencera,  ô  chose  estrange  ! 
«  Qu'il  en  meure  bien  la  moictié.  » 

Ces  trois  enfans  avoyent  des  ongles 
Plus  grands  qu'on  a  veu  a  vingt  ans, 
Et  les  dents  grandes,  et  fort  longues, 
Qui  espouvanta  les  assistants  : 
Les  autres  membres  estoient  semblables 
Aux  membres  des  autres  enfants  ; 
Cela  fut  veu  par  gens  notables, 
Tant  de  la  ville  que  des  champs. 

Ayant  tous  trois  finy  leur  dire, 
Sont  décédez  en  un  moment, 
Présent  plusieurs  gens  de  la  ville, 
Qui  ploroient  fort  amèrement, 
Disant  :  «  Hélas  !  voicy  des  signes 
«  Qui  sont  dignes  de  remarquer  ;  » 
Se  frappans  tous  à  la  poitrine, 
Pour  l'amour  de  Dieu  appaiser. 

Peuple  qui  as  de  Dieu  la  crainte 
Humilie  toy  de  tout  ton  cœur, 
Embrasse  l'Eglise  sans  sainte 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  255 


L'aymant  et  luy  portant  honneur  : 

Dieu  qui  est  père  de  lumière 

Laisse  tous  ces  motz  divertir, 

Et  à  l'hérétique  adversaire, 

S'il  te  plaist  les  feras  sentir. 
Recognois  donc  peuple  ta  faute 

En  criant  tretous,  Peccavi, 

Suppliant  la  puissance  haulte, 

Ainsi  qu'a  faict  le  roy  David; 

Lors  Dieu  par  sa  miséricorde 

Nous  fera  mercy  et  pardon, 

Nous  donnant  paix  et  concorde, 

Et  de  tous  biens  à  grand  foison. 
Malgré  du  temps  la  violence, 

Si  nous  quittons  tous  noz  malfaictz. 

Dieu  vous  donra  par  sa  clémence 

De  tous  biens  selon  noz  souhaitz 

Car  s'il  nourrist  l'oiseau  qui  voile, 

Bien  plus  tost  il  nous  nourrira, 

Comme  il  le  dit  par  sa  parolle, 

Heureux  celuy  qui  y  croira. 
Fuions  avarice  et  rapine, 

Usure  et  toute  pauvreté, 

Paillardise  qui  le  corps  mine, 

Orgueil  et  toute  vanité, 

Et  prions  la  Vierge  bénigne,. 

Qu'intercéder  veuille  pour  nous, 

Appaisant  la  bonté  divine, 

Affin  qu'il  ayt  pitié  de  nous. 
Vous,  discordans  François,  sans  armes,  priez  Dieu 
Affin  qu'accord  et  paix  demeurent  en  tout  lieu. 

Les  enfants  dont  parle  la  complainte,  enfants  précoces  s'il  en  fut 
jamais,  ne  semblent  être  restés  que  le  terme  ordinaire  dans  le  sein  de 
leur  mère.  Mais  il  en  est  d'autres  qui,  trouvant  ce  séjour  agréable, 
l'ont  prolongé  durant  plusieurs  années.  Tel  est  l'enfant  de  Volsung 
qui,  suivant  la  tradition,  fut  retiré  vivant,  au  bout  de  six  années,  par 
une  opération  sanglante  et  embrassa  sa  mère  mourante.  Tel  est  encore 
cet  enfant  mâle  qui  vécut  vingt-huit  ans  dans  le  sein  maternel  et  y 
serait  encore  resté  si  les  chirurgiens  ne  l'avaient  obligé  à  sortir  de  sa 
retraite.  Il  était  enfermé  dans  une  coque  osseuse  et,  pour  occuper  ses 
loisirs,  il  avait  appris  le  latin  ;  le  narrateur  affirme  «  qu'il  partit  pour 
voyager  et  qu'il  racontait  dans  cette  langue  les  particularités  si 
curieuses  de  son  entrée  dans  la  vie  » 


256  HISTOIRE    DES  ACCOUCHEMENTS 

Naissances  multiples.  —  Les  exemples  de  naissances  multi- 
ples sont  aussi  nombreux  que  peu  véridiques.  Le  maximum  que  l'on 
peut  avoir  en  une  couche  est  de  cinq  enfants,  mais,  en  raison  de  leur 
faiblesse  native,  ils  ne  vivent  que  quelques  heures.  C'est  ce  qu'on 
observa  chez  cette  servante  qui,  suivant  Aristote,  eut  à  la  fois  cinq 
enfants. 

Cinq  jumeaux,  le  chiffre  est  déjà  respectable;  c'est  peu  cependant 
pour  les  amateurs  de  merveilleux.  Six,  huit  ou  dix  enfants,  telles  sont 
les  portées  que  se  plaisent  à  signaler  les  collecteurs  de  prodiges.  Pour 
admirer  vraiment,  il  faut  en  venir  à  la  dame  de  Trazégnies.  Un  des 
seigneurs  de  cette  maison,  Gilles,  dit  le  Brun,  celui  qui  accompagna 
saint  Louis  dans  la  Palestine,  et  qui  fut  connétable  de  France,  était 
l'un  des  treize  enfants  d'une  même  couche.  Son  père  étant  parti  pour 
une  de  ces  expéditions  guerrières  si  fréquentes  au  moyen  âge,  avait 
laissé  sa  mère  enceinte.  Elle  accoucha,  en  son  absence,  de  treize 
enfants  vivants.  Epouvantée  d'un  tel  nombre  et  redoutant  le  mécon- 
tentement de  son  époux,  sans  trop,  du  reste,  se  rendre  bien  compte 
de  ce  qu'elle  faisait,  elle  ordonna  à  sa  servante  d'en  aller  noyer  douze. 
La  servante  mit  ces  pauvres  petits  êtres  dans  son  tablier,  et  elle  les 
portait  à  la  rivière,  lorsque  Dieu  permit  qu'elle  fut  rencontrée  par  son 
maître,  qui  revenait  de  son  expédition.  Il  lui  demanda  ce  qu'elle  empor- 
tait et  où  elle  allait  ainsi  et,  comme  elle  hésitait  à  répondre,  il  ouvrit 
son  tablier.  Touché  de  compassion  pour  ces  douze  petits  enfants,  dont 
la  servante  dut  lui  avouer  la  naissance  prodigieuse,  il  les  mit  en  nour- 
rice sans  rien  dire  à  sa  femme.  La  voyant  triste  et  agitée  par  l'amer 
regret  de  l'ordre  qu'elle  avait  donné,  il  se  décida,  au  bout  de  six  mois, 
à  lui  dire  qu'il  connaissait  la  cause  de  son  chagrin,  mais  qu'elle  pou- 
vait se  consoler,  parce  que  ses  treize  enfants  vivaient,  et  il  les  fit 
apporter  dans  son  château,  où  la  noble  marquise  fut  heureuse  de 
reconnaître  que  la  bonté  de  Dieu  lui  avait  épargné  un  grand  crime. 
Le  nom  de  Trazégnies  signifierait  en  vieille  langue  wallone  treize  nés 
ensemble  et  s'expliquerait  par  ce  récit.  L'argument  philologique  est 
pitoyable  et  la  seigneurie  de  Trazégnies  semble  avoir  été  voisine  de 
la  gentilhommière  habitée  par  le  baron  de  Crac. 

«  Franciscus  Picus  Mirandula  (1)  »,  dit  Ambroise  Paré  (2),  «  escrit 
qu'une  femme  en  Italie,  nommée  Dorothea,  accoucha  en  deux  fois  de 
vingt  enfants,  à  sçavoir,  de  neuf  en  une  fois,  et  d'onze  à  l'autre  : 
laquelle  portant  un  si  grand  fardeau,  estoit  si  grosse  qu'elle  soute- 

(1)  C'est  le  fameux  Pic  de  la  Mirandole,  son  prénom  habituel  est  Jean  et  non 
François. 

(2)  D'après  Lycosthènes. 


ACCOUCHEMENTS  EXTRAORDINAIRES 


257 


noit  son  ventre,  qui  luy  descendoit  iusques  aux  genoiiils,  avec  une 
grande  bande  qui  la  prenoit  au  col  et  aux  espaules,  comme  tu  vois  par 
ce  pour  traict  (fig.  122).  Mais  de  toutes  ces  portées  ou  enfantements,  il 
n'y  en  a  point  qui  approche  de  la  comtesse  de  Flandres,  laquelle  par 
une  juste  permission  et  vengeance  de  Dieu,  conceut  et  accoucha  d'une 
seule  portée,  ainsi  que  plusieurs  historiens  nous  ont  laissé  par  escrit, 
de  365  enfans,  autant  qu'il  y  a  de  jours  en  l'an  ». 


Fig.  122.   —  Italienne  qui  accoucha,  en  deux  fois,  de  vingt  et  un  enfants,  d'après  A.  Paré. 


Voici  comment  un  auteur  du  XVIII0  siècle  raconte  l'histoire  à 
laquelle  fait  allusion  A  Paré  : 

«  Losdun,  ville  à  demi-lieuë  de  la  Haye,  est  célèbre  par  le  monas- 
tère de  Filles  nobles  que  Marguerite,  Comtesse  de  Hollande,  y  fonda 
en  1267,  et  par  l'accouchement  monstrueux  que  Mathilde,  fille  unique 
du  Comte  de  Florent,  et  sœur  de  Guillaume,  Roy  des  Romains,  y  fit 
l'année  1576.  L'Histoire  assure  que  cette  Princesse  refusa  l'aumône 
à  une  femme  qui  portoit  deux  enfans  jumeaux,  luy  reprochant  que  ce 
n'étoit  pas  du  fait  d'un  seul  homme  :  que  cette  femme,  fâchée  de 
l'injure  qu'elle  faisoit  à  la  vérité,  luy  souhaita  qu'elle  en  eût  d'une 


HISTOIRE  DES    ACCOUCHEMENTS. 


258  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


couche  aulant  qu'il  y  avoit  de  jours  dans  l'année,  qu'au  bout  de  neuf 
mois  elle  accoucha  de  365  enfans,  tous  bien  formez  et  ayant  vie,  gros 
comme  le  poing.  Ils  reçurent  tous  le  baptême,  par  Guy,  Suffragant 
d'Otton,  évêque  d'Utrecht,  qui  donna  le  nom  de  Jean  aux  masles,  et 
celui  d'Elisabeth  aux  femelles.  Ils  moururent  bientôt  après,  aussi 
bien  que  la  mère,  et  furent  tous  mis  dans  un  même  tombeau.  On  voit 
encore  dans  l'église  de  ce  village  les  deux  bassins  d'airain  où  ces 
enfans  furent  baptisez,  qui  n'ont  qu'environ  cinq  pouces  de  profon- 
deur. On  y  voit  aussi  cette  histoire  dans  un  tableau,  au  bas  duquel 
on  lit  des  vers  latins  dont  voici  la  signification  : 

«  Voici  un  monstrueux  et  mémorable  effet,  qui  n'en  a  point  de  pareil 
depuis  le  commencement  du  monde.  Lecteur,  après  avoir  lu  cette  his- 
toire, retire-toi  d'ici  tout  confus  et  étonné.  » 

D'après  une  autre  version,  plus  ancienne,  ce  n'est  pas  trois  cent 
soixante-cinq  enfants,  mais  bien  quinze  cent  quatorze  qu'aurait  eu 
cette  comtesse  de  Hollande,  Mathilde  ou  Mechtilde.  Voici,  en  effet,  ce 
qu'on  lit  dans  Sennert:  Aventinus  scribit  Mechtildim,  comitissam  ab 
Honneberg,  filiam  Florentini  IV,  Batavini  comilis,  sororem  Gulielmi 
régis  Romanorum,  sub  Frideric  II,  Imperat.  mille  quingentos  quatuor- 
decim  pueros  genuisse,  qui  in  malluvio  ab  Othone,  Trajeclensi  Epis- 
copo,  avunculo  ejus,  sacra  aquâ  luslratifuerunl.  «Aventinus  rapporte 
que  Mechtilde,  comtesse  de  Honneberg,  fille  de  Florentin  IV,  comte 
de  Hollande,  et  sœur  de  Guillaume,  roi  des  Romains,  sous  l'Empereur 
Frédéric  II,  accoucha  de  quinze  cent  quatorze  enfants,  qui  furent  tenus 
sur  les  fonds  et  baptisés  par  Othon,  évêque  d'Utrecht,  son  oncle.  » 

Dans  ses  Erreurs  populaires,  Laurent  Joubert  raconte  deux  his- 
toires du  même  genre.  Un  sieur  de  Beauville  était  soupçonné  par  sa 
femme  de  courtiser  une  de  ses  servantes.  Celle-ci  fut  mariée  par  sa 
maîtresse  et  accoucha  de  trois  enfants.  La  jalouse  l'accusa  d'avoir 
eu  des  rapports  avec  son  mari  «  ne  se  pouvant  persuader  qu'une 
femme,  d'un  seul  homme,  peust  concevoir  tel  nombre  d'enfans, 
car  elle  soustenoit  tousiours  opiniaslrement  que  d'un  homme  on  ne 
pouvoit  concevoir  au  plus  haut  que  deux  enfans,  comme  l'homme 
n'a  que  deux  génitoires  et  la  femme  deux  mamelles».  Bientôt  la  femme 
du  sieur  de  Beauville  devint  elle-même  enceinte  et  accoucha  de  neuf 
filles  :  «  ce  qu'on  inlerpresta  estre  d'une  punition  de  Dieu  »  pour  avoir 
calomnié  une  innocente.  Craignant  d'être  diffamée  par  sa  propre  opi- 
nion, elle  donna  l'ordre  à  sa  chambrière  de  noyer  huit  filles  ;  le  mari 
survint,  comme  dans  la  légende  de  Trazégnies,  et  sauva  les  inno- 
centes. 

L'autre  histoire  est  une  variante  de  celle  de  la  comtesse  de  Hollande. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  259 

Elle  s'applique  aux  Pourcelets,  famille  noble  d'Arles,  en  Provence. 
Leur  nom  et  la  truie  qui  figure  dans  leurs  armoiries  viendraient  de  ce 
que  la  chambrière,  ayant  rencontré  le  mari,  tandis  qu'elle  portait 
noyer  huit  enfants,  lui  dit  que  c'était  des  pourcelets  «  d'autant  que  la 
truie  n'en  pouvoit  tant  nourrir.  On  dit  que  ce  fut  par  l'imprécation 
d'une  pauvre  femme  qui  demandoit  l'aumosne  à  la  darne  de  la  maison, 
ladite  femme  estant  environnée  de  plusieurs  siens  petits  enfans.  Ce 
que  la  femme  luy  reprocha,  comme  procédant  de  lasciveté,  et  d'estre 
trop  addonnée  aux  hommes.  Lors  la  pauvre  femme,  qui  estoit  femme 
de  bien,  fit  ceste  imprécation  qu'icelle  dame  peust  engrosser  d'autant 
d'enfans  qu'une  truye  fait  de  petits  ;  et  qu'il  advint  ainsi  par  le  vou- 
loir de  Dieu,  pour  montrer  à  la  noble  dame  qu'il  ne  faut  imputer  à 
vice  ce  qui  est  d'une  grande  bénédiction  ».  Avec  le  temps,  ces  huit 
enfants,  chiffre  déjà  respectable,  se  changèrent  comme  les  œufs  de 
La  Fontaine,  soit  en  trois  cent  soixante-cinq,  soit  en  quinze  cent 
quatorze. 

Suivant  Ambroise  Paré,  on  pouvait  lire  au  neuvième  pilier  de  la 
grande  galerie  du  cimetière  St-Innocent  la  curieuse  épitaphe  sui- 
vante :  Cy  gist  honorable  femme  Yollande  Bailli,  jadis  femme  de  hono  - 
rable  homme  Denys  Capel,  procureur  en  Chatelet  de  Paris,  qui  tres- 
passa  le  xvij  Avril,  Van  MDXII1,  le  88  an  de  son  aage,  le  xiij  de 
son  veufvage,  laquelle  a  veu,  ou  a  peu  voir  devant  son  très-pas, 
293  enfans  yssus  d'elle.  Il  s'agit  vraisemblement  d'enfants,  petits- 
enfants  et  arrière-petits-enfants. 

i 

Grossesses  et  accouchements  simulés.  —  La  simulation 
de  grossesse  paraît  avoir  été  une  formalité  légale  de  l'adoption  chez 
certains  peuples  antiques.  Diodorede  Sicile  (1)  raconte  qu'Héra,  con- 
trainte par  Zeus  d'adopter  Héraclès,  monta  sur  son  lit  et,  là,  attira 
l'enfant  sur  son  corps  et  sous  ses  vêtements;  puis,  elle  le  laissa  tomber 
par  terre,  simulant  ainsi  un  accouchement  véritable.  «  Les  Barbares, 
ajoute  l'historien,  pratiquent  encore  de  nos  jours  ces  mesmes  rites, 
lorsqu'ils  veulent  adopter  un  fils.  »  Le  plus  souvent,  chez  les  Grecs  et 
chez  les  Romains,  les  simulations  de  ce  genre  n'étaient  qu'une  super- 
cherie, un  procédé  de  chantage  :  c'est  ainsi  que  dans  le  Truculentus 
Plaute  met  en  scène  la  courtisane  Phronésie  feignant  d'accoucher  pour 
s'attacher  le  guerrier  Stratophane,  son  amant. 

Les  hagiographes  chrétiens  (2)  rapportent  une  singulière  histoire 

(1)  IV,  39. 

(2)  Fleurs  de  la  vie  des  Saints,  par  les  PP.  Ribaduneira  et  Giry. 


260  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


de  fausse  grossesse  méchamment  imputée  à  une  pieuse  jeune  fille  et 
ayant  causé  sa  mort.  A  une  époque  inconnue  des  chronologistes,  Ber- 
taut,  cavalier  modeste  et  de  bonne  mine,  aimait  Irène,  vierge  de 
Tomar  en  Portugal.  Mais  déjà  celle-ci  était  fiancée  au  Seigneur:  Ber- 
taut  tomba  malade  de  désespoir,  Irène  l'alla  voir  ;  elle  fît  à  son  soupi- 
rant l'éloge  de  la  chasteté,  et,  Dieu  l'inspirant,  fut  si  persuasive  que 
Bertaut  fit  taire  son  amour.  Il  exigea  seulement  d'Irène  le  serment 
que  si  elle  se  décidait  jamais  à  aimer  un  homme,  elle  lui  donnerait  la 
préférence.  Sélio,  oncle  d'Irène,  était  abbé  d'un  couvent  voisin  du 
monastère  où  s'était  retirée  sa  nièce  ;  il  lui  choisit  pour  directeur  spi- 
rituel un  moine,  nommé  Rémi.  Cet  impudique  personnage  convoita 
sa  pénitente  et  la  sollicita  au  péché.  L'éloquente  Irène  lui  montra  toute 
l'horreur  de  la  concupiscence,  mais  ne  put  toucher  son  âme. 

Le  moine,  pour  se  venger  de  ses  refus,  lui  fit  boire  un  breuvage 
qui  lui  enfla  le  ventre.  On  la  crut  enceinte,  et  Bertaut,  furieux  de 
voir  qu'elle  eût  forniqué  avec  un  autre  que  lui,  chargea  un  méchant 
soldat  de  la  tuer.  Le  corps  de  la  pauvre  Irène  fut  dépouillé  et  jeté 
dans  la  rivière  de  Naban.  Cependant  une  révélation  d'en  haut  avait 
appris  la  vérité  à  l'oncle  Sélio;  le  peuple  fut  averti  et  l'on  partit  en 
procession,  l'abbé  en  tête,  pour  rechercher  le  cadavre.  La  rivière  de 
Naban  l'avait  emporté  dans  une  autre  rivière,  et  le  courant  de 
celle-ci  l'avait  conduit  dans  le  Tage.    ■ 

La  procession  suivait  les  bords  de  ce  fleuve  ;  elle  s'aperçut  qu'en 
un  certain  endroit,  il  s'était  retiré  de  son  lit.  On  s'approche  ;  le  fleuve 
avait  laissé  à  sec  le  corps  de  la  vierge  qui  reposait  dans  un  riche  tom- 
beau bâti  par  les  anges.  On  ne  put  l'en  tirer;  c'était  la  volonté  de 
Dieu  qu'il  demeurât  là.  On  se  contenta  donc  d'emporter  une  partie 
des  cheveux  et  la  chemise  de  la  sainte.  Sélio  déposa  dans  son  monas- 
tère ces  précieuses  reliques,  bientôt  reconnues  souveraines  contre  les 
maux  d'yeux  et  la  paralysie.  A  quelque  chose  malheur  est  bon. 

Après  les  imaginations  romanesques  des  bons  jésuites  qui  nous  ont 
laissé  ce  conte,  il  est  bon  de  revenir  au  réel.  Nous  rapporterons  donc 
le  récit  naïf  que  nous  a  laissé  Ambroise  Paré  sur  une  grosse  garce  de 
Normandie  qui  feignoit  avoir  un  serpent  dans  le  ventre  : 

«  L'an  I06I  vint  en  ceste  ville  une  grosse  garce  fessue,  potelée  et  en 
bon  poinct,  aagée  de  trente  ans  ou  environ,  laquelle  disoit  eslre  de 
Normandie,  qui  s'en  alloit  par  les  bonnes  maisons  des  dames  et 
damoiselles  leur  demandant  l'aumosne,  disant  qu'elle  avoit  un  serpent 
dans  le  ventre,  qui  luy  estoit  entré  estant  endormie  en  une  cheneviè- 
vre  :  et  leur  faisoit  mettre  la  main  sur  son  ventre  pour  leur  faire  sentir 
le  mouvement  du  serpent  qui  la  rongeoit  et  tourmenloit  iouret  nuict, 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  261 


comme  elle  disoit.  Ainsi  tout  le  monde  luy  faisoit  aumosne  par  une 
grande  compassion  qu'on  avoit  de  la  voir,  joinct  qu'elle  faisoit  bonne 
pipée.  Or,  il  y  eut  une  damoiselle  honorable  et  grande  aumosnière 
qui  la  print  en  son  logis  et  me  fit  appeler  (ensemble  MM.  Hollier, 
docteur,  régent  en  la  faculté  de  médecine,  et  Germain  Cheval,  chirur- 
gien juré  à  Paris),  pour  sçavoir  s'il  y  auroit  moyen  de  chasser  ce  dra- 
gon hors  le  corps  de  ceste  pauvre  femme,  et  l'ayant  veue  M.  Hollier  luy 
ordonna  une  médecine  qui  estoit  assez  gaillarde  (laquelle  luy  fit  faire 
plusieurs  selles)  tendant  à  fin  de  faire  sortir  ceste  beste:  néantmoins 
ne  sortit  point.  Estant  de  rechef  r'assemblés,  conclusmes  que  je  luy 
mettrois  un  spéculum  au  col  de  la  matrice,  et  partant  fut  posée  sur 
une  table  où  son  enseigne  fut  desployée  pour  luy  appliquer  le  spé- 
culum, par  lequel  je  feis  assez  bonne  et  ample  dilatation  pour  sçavoir 
si  on  pourroit  apercevoir  queue  ou  teste  de  ceste  beste:  mais  il  ne  fut 
rien  aperçu,  excepté  un  mouvement  volontaire  que  faisoit  ladite  garce 
par  le  moyen  desdits  muscles  de  l'épigastre  :  et  ayant  conneu  son 
imposture,  nous  retirasmes  à  part,  où  il  fut  résolu  que  ce  mouvement 
ne  venoit  d'aucune  beste,  mais  qu'elle  le  faisoit  par  l'action  desdits 
muscles.  Et  pour  l'espouvanter  et  connoistre  plus  amplement  la 
vérité,  on  luy  dist  qu'on  reïtereroit  à  luy  donner  encore  une  autre 
médecine  beaucoup  plus  forte  à  fin  de  luy  faire  confesser  la  vérité  du 
fait  :  et  elle,  craignant  reprendre  une  si  forte  médecine,  estant  asseu- 
rée  qu'elle  n'avoit  point  de  serpent,  le  soir  mesme  s'en  alla  sans  dire 
adieu  à  sa  damoiselle,  n'oubliant  à  serrer  ses  hardes  et  quelques  unes 
de  ladite  demoiselle,  et  voilà  comme  l'imposture  fut  descouverte.  Six 
jours  après  je  la  trouvay  hors  la  porte  de  Montmartre  sur  un  cheval 
de  bast,  jambe  deçà,  jambe  delà,  qui  rioit  a  gorge  desployée  et  s'en 
alloit  avec  les  chasse  marées,  pour  avec  eux  (comme  je  croy)  faire 
voler  son  dragon  et  retourner  en  son  pays.  »  Si  la  «  grosse  garce  » 
riait  si  fort,  c'est  peut-être  qu'elle  songeait  à  maître  Ambroise,  armé 
de  son  spéculum,  et  cherchant  à  voir  tête  ou  queue  de  la  bête. 

J,  Boeder  a  consacré  un  opuscule  entier  à  parler  d'une  mendiante 
qui  simulait  une  grossesse  perpétuelle.  Voici  ce  qu'en  dit  Barbier 
dans  son  Journal  : 

«  Il  s'est  vérifié  par  toutes  lesgazeltes  etMercuresqu'à  Strasbourg 
il  est  mort  cette  année  une  fille  d'environ  soixante  ans,  à  qui  la  Fa- 
culté de  médecine  faisait  une  pension  depuis  vingt  ans,  et  qui  avait 
d'autres  charités,  parce  qu'elle  avait  le  ventre  exlraordinairement 
gros.  Elle  n'avait  jamais  voulu  se  le  laisser  tàter  que  par-dessus, 
par  pudeur  et  par  la  douleur  de  l'attouchement.  A  sa  mort,  il  y  a  eu 
grand  empressement  pour  l'ouvrir  pour  la  découverte  de  choses  extraor- 


262  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

dinaires.  On  lui  a  trouvé  le  ventre  à  l'ordinaire,  et  à  côté  de  son  lit, 
un  petit  matelas  rempli  de  chiffons,  qui  pesait  vingt  livres  et  qu'elle 
mettait  tous  les  jours.  Gela  a  fait  beaucoup  de  honte  à  la  Faculté.  On 
remarque  que  cette  fille  avait  augmenté  son  enflure  à  mesure  que  les 
charités  augmentaient.   » 

Velpeau  a  publié  l'observation  d'un  cas  analogue  :  en  se  bourrant 
le  vagin  de  chiffons,  une  fille  parvint  à  simuler  un  accouchement 
complet,  après  s'être  dite  enceinte  pendant  près  de  trois  ans.  On  peut 
rapprocher  de  ce  fait  une  observation  transmise  par  Hippocrate  (1), 
où  il  s'agit  delà  servante  de  Dyseride  qui,  à  l'exemple  d'Héra,  ac- 
coucha d'une  pierre.  «  Dans  sa  jeunesse,  cette  femme,  dit  le  divin 
vieillard,  sentait  de  vives  douleurs  pendant  le  coït.  Elle  ne  souffrait 
point  autrement  et  ne  conçut  jamais.  Parvenue  à  l'âge  de  soixante  ans, 
elle  ressentit,  avant  midi,  des  douleurs  semblables  à  celles  de  l'en- 
fantement. Après  midi,  ayant  mangé  des  poireaux,  elle  éprouva  une 
vive  douleur  dans  la  région  vaginale  et,  en  y  portant  les  mains,  elle 
sentit  un  corps  dur  et  raboteux.  Une  femme  qui  l'assistait,  intro- 
duisit ses  doigts  dans  le  vagin  et  en  tira  une  pierre  grosse  comme  un 
peson  que  les  fileuses  mettent  au  fuseau.  » 

Nous  devons  dire  un  mot  des  grossesses  dissimulées.  Le  procédé  le 
plus  extraordinaire  dont  il  ait  été  fait  usage  est  assurément  celui 
qu'employa  Eponine,  femme  de  Sabinus.  Elle  croyait  son  m;iri  mort 
et  avait  intérêt  à  dissimuler  son  état.  Plutarque  raconte  qu'elle  se  frotta 
avec  une  certaine  préparation  qui  la  fit  enfler  des  pieds  à  la  tête;  le 
développement  du  ventre  disparut  ainsi  dans  le  gonflement  général  du 
corps.  Quelle  était  cette  drogue,  près  de  laquelle  le  lait  mamilla  n'est 
que  de  l'eau  claire?  Plutarque  ne  nous  en  a  malheureusement  pas 
laissé  la  recette.  Le  plus  souvent,  les  moyens  mis  en  œuvre  pour 
dissimuler  les  grossesses  ne  sont  que  des  artifices  de  couturière;  c'est 
ainsi  que  nous  verrons  (2)  la  Montespan  imaginer  les  robes  bat- 
tantes pour  atteindre  ce  résultat.  En  revanche,  pendant  la  grossesse 
de  nous  ne  savons  plus  trop  quelle  reine  de  France,  les  dames  de  la 
cour  portèrent  des  robes  qui  les  faisaient  paraître  enceintes.  Ce  devait 
être  incommode,  moins  pourtant  que  de  simuler,  comme  certains 
courtisans,  la  fistule  de  Louis  XIV. 

Tardieu  (3)  a  signalé  aussi  un  cas  d'avortement  simulé  par  une 
sage-femme  pour  nuire  à  une  concurrente.  C'était  à  Melun,  en  1857. 


(1)  Epid.,  liv.  V,  25. 

(2)  Les  Accouchements  à  la  Cour. 

(3)  Etude  médico-légale  sur  l'avortement. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  263 

Une  matrone  voulant  se  débarrasser  d'une  rivale  nouvellement  ins- 
tallée, s'abouche  avec  l'ancienne  servante  d'un  médecin.  Les  deux 
coquines  imaginent  la  fable  suivante  :  La  servante,  se  croyant  en- 
ceinte, serait  allée  trouver  la  sage-femme  qu'on  voulait  perdre  î 
séance  tenante,  la  servante  étant  debout,  la  praticienne  lui  aurait  in- 
troduit une  sonde  et  le  lendemain  de  l'eau  se  serait  écoulée,  des  dou- 
leurs et  des  coliques  seraient  survenues;  le  surlendemain  nouvelles 
douleurs,  hémorrhagies,  évacuation  d'un  caillot  gros  comme  deux 
doigts  et  recouvert  d'une  peau  blanche.  Aussitôt  elle  fait  appeler 
l'autre  sage-femme,  sa  complice.  «  Celle-ci,  de  son  côté,  déclare  qu'à 
ce  moment  elle  la  trouve  se  tordant,  se  cramponnant,  ayant  des  pous- 
sements  comme  une  femme  en  travail.  Elle  la  touche  et  prétend  aussi 
trouver  dans  le  vagin,  un  petit  caillot  de  sang  et  une  dilatation  de 
l'orifice  utérin  de  soixante  millimètres.  Le  lendemain,  examinant  le 
vase  de  nuit,  la  sage-femme  dit  y  avoir  vu,  nageant  au  milieu  du 
sang,  un  morceau  de  placenta  long  comme  la  paume  de  la  main.  » 
Bref,  durant  quatre  jours,  cette  farce  odieuse  continue,  les  deux  cou- 
pables simulent  des  accidents  plus  sérieux.  Ce  qui  perdit  tout,  ce  fut 
l'impudence  de  la  matrone  qui  espérait  entraîner  dans  le  piège  le  doc- 
teur Saint- Yves.  La  perspicacité  du  médecin  ruina  tout  cet  échafau- 
dage de  mensonges  et  l'autorité  de  Tardieu,  appelé  à  donner  son  avis 
dans  cette  affaire,  porta  le  dernier  coup  à  l'accusation  calomnieuse 
des  deux  gredines. 

Après  les  simulations  volontaires,  nous  devons  parler  des  gros- 
sesses illusoires.  C'est  encore  à  Paré  que  nous  emprunterons  cet 
exemple  d'illusion  diabolique  ; 

«  Un  fort  belle  ieune  fille  à  Constance,  laquelle  avoit  nom  Magde- 
leine,  servante  d'un  fort  riche  citoyen  de  laditte  ville,  publioit  partout 
que  le  diable  une  nuit  l'avoit  engrossie,  et  pour  ce  regard,  les  potes- 
tats  de  la  ville  la  firent  mettre  en  prison,  pour  entendre  l'issue  de  cet 
enfantement.  L'heure  venue  de  ses  couches,  elle  sentit  des  tranchées 
et  douleurs  accoutumées  des  femmes  qui  veulent  accoucher,  et  quand 
les  matrones  furent  prestes  de  recevoir  le  fruit  et  qu'elles  pensoient 
que  la  matrice  se  deust  ouvrir,  il  commença  à  sortir  du  corps  d'icelle 
fille  des  clous  de  fer,  des  petits  tronçons  de  bois,  de  verre,  des  os, 
pierres  et  cheveux,  des  estoupes  et  plusieurs  autres  choses  fantas- 
tiques et  estranges,  lesquelles  le  diable,  par  son  artifice,  y  avoit  ap- 
pliquées pour  décevoir  et  embabouiner  la  vulgaire  populace,  qui 
adiouste  légèrement  foy  en  prestiges  et  tromperies.  » 

De  là  à  la  folie,  il  n'y  a  pas  loin.  Or,  on  sait  que  les  accouchements 
illusoires  sont  fréquents  chez  les  aliénés;  le  docteur  Calmeil  en  a  réuni 


264  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

de  nombreux  cas.  On  peut  rapprocher  du  fait  cité  par  A.  Paré  celui 
dont  parle  Ksquirol  : 

«  Mademoiselle  de  ***,  âgée  de  trente  et  un  ans,  d'une  taille 
moyenne,  ayant  les  cheveux  et  les  sourcils  noirs,  l'habitude  du  corps 
maigre,  le  tempérament  nerveux,  le  caractère  mélancolique,  la  con- 
duite très  régulière,  se  rend  avec  sa  mère,  pour  entendre  le  cours  de 
botanique  d'un  célèbre  professeur.  Après  quelques  leçons,  mademoi- 
selle de  ***  se  persuade  qu'elle  est  enceirte  du  professeur,  qui  est  âgé, 
à  qui  elle  n'a  jamais  parlé;  rien  ne  peut  la  dissuader.  Elle  maigrit 
beaucoup,  ne  mange  point,  est  horriblement  contrariée  de  ne  plus  re- 
tourner entendre  celui  qui  l'a  rendue  mère.  Les  menstrues  se  suppri- 
ment, ce  qui  est  une  nouvelle  preuve  de  grossesse.  Les  conseils  d'une 
mère  tendre  et  aimée,  les  médecins,  les  médicaments,  tout  est  re- 
poussé avec  obstination.  Mademoiselle  de  ***  passe  huit  mois  à  faire 
une  layette.  Le  neuvième,  le  dixième  mois  s'écoulent  sans  accouche- 
ment. Il  n'a  pas  lieu,  dit  la  malade,  parce  qu'elle  n'a  pas  les  coliques 
ni  les  douleurs  nécessaires.  Elle  reste  debout,  les  pieds  nus,  afin  de 
provoquer  les  douleurs.  Elle  entend  le  père  de  l'enfant  qu'elle  porte 
qui  l'exhorte  à  la  patience  et  l'encourage  à  supporter  les  douleurs  fa- 
vorables à  l'enfantement;  elle  pousse  quelquefois  des  cris  que  ne 
manquent  jamais  de  faire  les  femmes  qui  accouchent.  D'ailleurs,  ma- 
demoiselle de  ***  est  très  raisonnable.  «  Je  sais  bien  que  j'ai  l'air 
d'une  folle,  »  dit-elle  quelquefois,  «  mais  il  est  certain  que  je  suis  en- 
ceinte. »  Rien  n'a  pu  triompher  des  convictions  de  cette  malade,  qui, 
quelques  mois  après,  est  allée  mourir  à  la  campagne.  » 

L'accoucheur  Campbell  qui  exerçait  à  Paris,  bien  qu'il  fut  né  sur 
les  bords  de  la  Tamise,  n'avait  conservé  qu'un  seul  client  de  l'autre 
côté  du  détroit  et  ce  compatriote  était  un  aliéné  lord  Dud...  qui,  à 
certaines  époques  déterminées,  croyait  ressentir  les  symptômes  de 
l'enfantement.  «  Il  s'alitait,  dit  Ferney,  commandait  la  layette,  pre- 
nait toutes  les  dispositions  usitées  en  pareil  cas,  et  mandait  par  télé- 
graphe le  docteur  Campbell.  » 

Le  docteur  arrivait.  Inutile  de  dire  que  son  intervention  était  pure- 
ment platonique,  et  que  le  malade  accouchait  par  la  simple  opération.. . 
de  son  propre  cerveau.  La  délivrance  accomplie,  on  recherchait  parmi 
les  nouveau-nés  du  village,  le  plus  intéressant  et  le  plus  nécessiteux  ; 
on  le  présentait  à  lord  Dud...,  qui  le  choyait,  le  caressait,  le  dotait  et 
—  une  fois  relevé  découches  — ■  n'y  pensait  pas  plus  qu'à  sa  première 
molaire. 

La  dernière  fois  que  le  noble  lord  fut  en  mal  d'enfant,  il  n'y  avait 
dans  le  pays  que  des  mioches  hors  d'âge.  Comment  faire  ?  Le  cas 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  265 

était  urgent.  Passe  un  petit  collégien  en  uniforme.  On  le  hèle,  on  l'em- 
poigne, et,  sans  qu'il  ait  eu  le  temps  de  protester,  on  le  dépose  sur  le 
lit  de  souffrance. 

«  —  Ah  !  fît  lord  D...  avec  un  soupir  et  tapant  sur  la  joue  du  bon- 
homme, je  m'explique  pourquoi  j'ai  tant  souffert...  ce  sont  les  bou- 
tons !  » 

A  part  les  cas  miraculeux  consignés  dans  les  Ecritures,  la  grossesse 
tardive  peut  être  considérée  comme  une  variété  de  grossesse  illusoire. 
En  voici  un  exemple  dont  tous  les  journaux  se  sont  occupés.  Nous 
reproduisons  le  récit  humoristique  donné  dans  l' Union  médicale  par 
A.  Latour,  qui  semble  croire  à  l'authenticité  du  fait  : 

a  On  vient  d'admettre  à  la  Clinique  de  l'Ecole  de  médecine  une 
femme  de  soixante-dix  ans  qui  se  trouve  dans  un  état  intéressant... 
pour  la  Faculté.  Cette  brave  femme  habite  Garches.  Elle  se  nomme 
la  veuve  T...  Fortement  imbue  du  principe  que  «  le  vin  est  le  lait  des 
vieillards  »  elle  lève  volontiers  le  coude,  et  il  y  a  quelques  six  mois, 
à  la  suite  de  libations  un  peu  plus  prolongées  que  d'habitude,  elle 
s'était  assise  sur  le  bord  du  chemin,  attendant,  pour  rentrer  chez  elle, 
que  sa  demeure  vint  à  passer. 

«  Un  jeune  homme  de  vingt-quatre  ans,  qui  la  connaissait,  l'aperçut 
dans  cet  état  et  lui  proposa  de  la  reconduire.  La  veuve  T...  accepta, 
et,  comme  la  nuit  venait  et  que  les  bois  ne  sont  pas  sûrs,  elle  offrit  en 
revanche  à  son  galant  chevalier  l'hospitalité  pour  la  nuit. 

«  Ce  ne  fut  pas  une  nuit  qu'il  resta,  mais  quatre  :  il  paraît  que  son 
audace  avait  été  heureuse  et  qu'il  avait  retrouvé  des  trésors  qu'on 
croyait  perdus  depuis  longtemps...  Bref,  à  sa  grande  stupéfaction,  la 
Vénus  septuagénaire  se  vit  un  jour  obligée  d'élargir  sa  ceinture... 

«  Une  sage-femme  qu'elle  alla  consulter,  le  médecin  de  Garches, 
appelé  à  son  tour,  ne  purent  que  constater  la  chose  :  l'automne  (et 
presque  l'hiver)  donnait  les  fruits  qu'avait  refusés  le  printemps. 

«  Bref,  la  belle  amoureuse  est  à  la  Clinique,  où  on  la  dorlote,  où  on 
la  choie,  car  le  cas  est  des  plus  curieux...  et  les  habitants  de  Garches 
attendent  avec  impatience  le  résultat...  ils  sont  même  disposés,  le  cas 
échéant,  à  contribuer  aux  frais  de  baptême  et  —  qui  sait?  —  aux 
dépenses  de  la  noce  :  il  faut  des  époux  assortis.  » 

La  vérité  est  que  le  Dr  Tillaux,  chirurgien  de  Beaujon,  a  constaté, 
dans  le  flanc  droit  de  cette  femme,  la  présence  d'une  tumeur  volu- 
mineuse dépendante  du  foie  ;  ce  qui  est  loin  de  ressembler  à  ce  qu'on 
appelle  dans  les  salles  de  garde  «  une  hydropisie  de  neuf  mois  ». 

Voies  anormales.  —  Les  Anciens  ne  pouvaient  admettre  que 


266  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


les  divinités  vinssent  au  monde  comme  le  commun  des  mortels  ;  aussi 
font-ils  sortir  Bacchus  de  la  cuisse  de  Jupiter,  et  Minerve  de  son  cer- 
veau. Au  moyen  âge,  la  légende  du  chevalier  Fanouël  rappelle  les 
mythes  antiques  :  «  Un  jour  qu'il  avait  coupé  le  fruit  d'un  arbre 
enchanté  pour  guérir  des  malades,  il  essuya  sur  sa  cuisse  le  couteau 
dont  il  s'était  servi.  0  prodige!  le  suc  générateur  s'introduisit  dans 
la  cuisse  du  chevalier;  elle  enfla  graduellement;  ce  fut  en  vain  que 
les  plus  habiles  médecins  furent  consultés,  nul  ne  put  découvrir  un 
remède.  Au  bout  de  neuf  mois,  la  cuisse  s'ouvrit  ;  il  en  sortit  une  char- 
mante petite  fille  ». 

Certains  médecins  n'ont  pas  craint  de  renchérir  sur  ces  inventions. 
Thomas  Bartholin  s'est  distingué  entre  tous,  en  publiant  son  opus- 
cule: De  insolitis  parlûs  humani  viis  (1664),  au  sujet  d'un  enfant  qui, 
huit  ans  après  la  conception,  sortit  par  un  abcès  développé  à  la  région 
ombilicale  de  la  mère.  C'est  un  compendium  de  toutes  les  déviations 
possibles,  et  surtout  impossibles,  de  l'expulsion  fœtale.  11  faut  même 
reconnaître  que  souvent  la  crédulité  de  Bartholin  semble  telle,  qu'on 
regrette  de  ne  pas  trouver  dans  son  étonnant  ouvrage  Y  accouchement 
du  Capucin  qui  rendit  une  vipère  par  l'urètre,  cas  plus  que  phéno- 
ménal, exposé  dans  la  Bibliothèque  choisie  de  médecine,  et  expliqué  par 
ce  fait  que  le  bon  religieux  avait,  en  mangeant  de  la  salade,  avalé  un 
œuf  de  vipère  (1). 

Voici  d'abord  le  fœtus  expulsé  par  la  bouche.  Une  servante  du 


(1)  Des  œufs  de  vipères  !  notre  naturaliste  oublie  que  ripera  est  une  contraction 
de  vhipara  et  que,  par  conséquent,  vipère,  signifie  vivipare.  Si  l'homme  aux  œufs 
de  vipère  avait  vécu  au  XIXe  siècle,  il  aurait  certainement  adopté  l'explication  fan- 
taisiste que  J.  Civiale  donnait  sur  le  passage  des  haricots  blancs  dans  la  vessie  par 
le  torrent  de  la  circulation.  Cette  superbe  imagination  amena  un  tel  haro  sur  l'au- 
teur, qu'il  fit  acheter  et  détruire  tous  les  exemplaires  de  l'édition  où  il  l'avait  consi- 
gnée. Comme  un  hasard  nous  a  fait  dénicher  la  brochure  incriminée,  nous  ne  résis- 
tons pas  au  plaisir  de  reproduire  ce  document,  bien  qu'il  touche  fort  peu  à  notre 
sujet  : 

«  Il  est  extrêmement  rare  de  trouver  des  gens  qui  confessent  de  bonne  foi  l'intro- 
duction de  ces  corps  étrangers  par  l'urètre  ;  chacun  estime  plus  commode  de  dire, 
et  on  ne  manque  pas  de  l'affirmer,  qu'ils  ont  été  avalés,  et  que  l'on  ne  comprend 
pas  comment  ils  sont  parvenus  dans  cet  organe.  Instruit  de  ce  stratagème,  le  prati- 
cien doit  au  moins  savoir  douter.  Cependant  les  ouvrages  contiennent  des  faits  qui 
sembleraient  prouver  que  des  corps  étrangers  peuvent  passer  de  l'estomac  dans  la 
vessie.  Il  est  question,  dans  les  Transactions  pli  ilosophiques,  de  deux  balles  de  plomb 
avalées  par  suite  de  coliques,  et  qui  furent  rendues  par  l'urètre.  Les  Mémoires  de 
la  Société  d'Edimbourg  contiennent  des  exemples  dans  lesquels  des  aiguilles  avalées 
auraient  été  trouvées  dans  la  vessie.  Au  rapport  de  Pouteau,  des  haricots  blancs 
auraient  aussi  passé  de  l'estomac  dans  la  poche  urinaire.  Si  les  faits  rapportés  sont 
exacts.  Ces  coups  suivent-ils  le  torrent  de  la  circulation  ? 

J.  Civiale.  Nouvelles  considérations  sur  la  rétention  d'urine,  1823, 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  2G7 

marquis  de  Mondexar,  élant  en  convalescence,  vomit  en  chair  et  en 
os  la  valeur  d'un  enfant  bien  constitué.  Comment  s'opéra  l'ascension  ? 
Bartholin  l'ignore  :  et  cet  aveu  est  la  seule  preuve  de  sens  commun 
qu'il  nous  donne  en  ce  passage.  Fontecha  et  Rejes  ont  essayé  des 
explications  ingénieuses. 

Ces  cas  rares,  dont  on  connaît  des  exemples  authentiques  chez  les 
animaux  (1),  peuvent  s'expliquer  à  la  rigueur  par  le  développement 
du  fœtus  dans  la  cavité  abdominale,  et  son  expulsion  par  les  voies 
supérieures  après  avoir  perforé  la  paroi  stomacale. 

Maroldus,  en  1699,  digne  émule  de  Bartholin,  composa  une  longue 
dissertation  sur  ce  sujet  :  De  abortu  per  vomitum  rejecto  ;  entre  autres 
exemples  merveilleux,  il  donne  l'observation  d'une  paysanne  de  Reust, 
«  âgée  de  27  ans,  qui  en  1664,  grosse  de  deux  mois,  vomit  un  fœtus 
environné  d'un  placenta.  En  1665,  elle  vomit  encore  un  œuf  semblable 
au  premier.  En  1666,  elle  devint  encore  grosse  pour  la  troisième  fois  ; 
tout  alla  bien  jusqu'au  troisième  mois,  mais  les  mêmes  symptômes 
que  précédemment  se  montrèrent,  et,  chose  étrange,  au  lieu  d'un 
fœtus  entier,  elle  jeta  par  la  bouche  avec  un  placenta  et  un  arrière- 
faix,  des  os  entiers,  des  morceaux  de  chair,  une  tête  et  les  autres 
membres  d'un  fœtus  que  l'on  distinguait  assez  pour  y  reconnaître  un 
véritable  avortement.  Elle  mourut  de  pleurésie  en  1667  (2)  ». 

Salmuth  parle  d'une  femme  qui  vomit  un  fœtus  humain  de  la  lon- 
gueur d'un  doigt.  Le  Parlement,  informé  du  fait,  le  fit  déterrer  et 
ouvrir;  on  reconnut  qu'il  était  normalement  conformé.  Cet  auteur 
explique  un  autre  cas  de  grossesse  stomacale  par  l'absorption  d'une 
certaine  quantité  de  sperme. 

Georges  Wolkemer  cite  des  cas  analogues  où  la  conception  se  serait, 
d'après  lui,  faite  par  la  bouche  ;  Jean  Gunther  a  combattu  cette  opi- 
nion, le  produit  de  la  conception  devant  être  digéré  dans  Festomac, 
comme  on  l'observe  in  Mis  qui  aliorurn  semen  voranl. 

Dans  les  cas  de  grossesse  extra-utérine,  quelques  fœtus  sortent  par 
le  nombril  (3),  d'autres  par  les  hypochondres,  d'autres  par  les  flancs, 


(1)  Aristote  nous  enseigne  que  la  belette  met  bas  par  la  gueule;  Solin  que  les 
ibis,  et  Pline  que  les  corbeaux  pondent  par  le  bec  ;  mais  ce  n'est  pas  à  ces  erreurs 
physiologiques  que  nous  faisons  allusion. 

(2)  A.  Lempereur,  loc  cit. 

(3)  Le  médecin  Mathias  Cornax  raconte  qu'en  15ir>,  la  Viennoise  Marguerite 
Karlinger,  femme  de  Georges  Wolczer,  déjà  mère,  ayant  conçu  de  nouveau,  sentit 
au  jour  de  sainte  Luce,  de  violentes  douleurs.  Malgré  tous  ses  efforts,  elle  ne  par- 
vint à  évacuer  que  fragorem  satis  sonorum.  Tendant  quatre  ans,  elle  vécut  le  ventre 
affreusement  ballonné,  les  parties  naturelles  infectées  de  pus.  A  la  région  ombi- 
licale se  produisit  une  fissure  par  où  s'écoulait  une  sanie  purulente.  Enfin  trois  chî- 


2G8 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


d'autres  par  la  vessie,  d'autres  enfin,  sans  préjugés  ceux-là,  par 
l'anus.  C'est  ainsi,  qu'après  une  gestation  de  deux  ans,  accoucha  la 
femme  de  Jérôme  Bisaccioni,  noble  dame  de  la  ville  d'Insi  ;  et  cela 
par  faveur  spéciale  de  Notre-Dame  de  Lorette!  Les  voies  du  ciel  sont, 
sinon  impénétrables,  du  moins  parfois  bien  bizarres.  Il  est  certain 
cependant  qu'on  a  pu  observer  l'expulsion  du  fœtus  vivant  par  l'anus, 
chez  certaines  femmes  atteintes  d'un  vice  de  conformation,  faisant 
ouvrir  le  vagin  dans  la  partie  inférieure  du  gros  intestin  :  en  ce  cas, 
il  n'y  a  pas  d'orifice  vulvaire,  et  règles,  matières  fécales  et  fœtus  pren- 
nent la  même  voie  pour  sortir  à  l'extérieur. 


Fie  123.  —  Schéma  de  la  conformation  nor- 
male :  A.  Vessie.  —  B.  Utérus.  —  C.  Vagin. 
—  D.  Rectum. 


Fig.  124.  —  Vice   de    conformation   du   vagin> 
C,  s'ouvrant  dans  le  rectum,  D. 


Le  Dr  Lefort,  dans  sa  thèse  sur  les  Vices  de  conformation  de  l'uté- 
rus et  du  vagin,  rapporte  le  cas  que  Louis  a  rendu  célèbre  :  Une 
jeune  fille  avait  les  organes  de  la  génération  cachés  par  une  imper- 
foration qui  ne  permettait  aucune  introduction.  Cette  femme  fut  réglée 
par  l'anus.  Son  amant,  devenu  très  pressant...,  la  supplia  de  s'unir 
à  elle  par  la  seule  voie  qui  fut  praticable.  Bientôt  elle  devint  mère. 
L'accouchement  à  terme  d'un  enfant  bien  conformé  eut  lieu  par  l'anus. 
Louis  rapportait  ce  cas  à  la  fin  de  sa  thèse  ayant  pour  titre  :  De  par- 
tium  externarum  generationi  inserventium  in  mulieribus,  etc.  Le 


rurgiens,  Wirt,  Dirlewang,  Winckler,  et  deux  médecins,  Jean  Enzianer  et  le  grand 
Cornax  lui-même,  résolurent  de  lui  ouvrir  le  ventre.  La  section  opérée,  on  retira  un 
fœtus  en  pourriture.  La  mère  guérit. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


269 


Parlement  rendit  un  arrêt  par  lequel  il  défendait  de  soutenir  cette 
thèse;  la  Sorbonne  interdit  Louis  à  cause  de  cette  question  qu'il 
adressait  aux  casuistes  :  In  uxore,  sic  disposita,  uti  fas  sit,  vel  non, 
judicent  theologi  morales  ?  Heureusement  le  pape  Benoît  XIV  (1) 
donna  l'absolution  à  Louis,  dont  la  thèse  fut  imprimée  en  1754. 

Le  cas  de  Louis  n'est  pas  isolé,  Barbaut  en  cite  plusieurs  autres 
dans  son  Traité  d'accouchements. 

Opération  Césarienne.  —  Parmi  les  voies  anormales  de  i'ac- 


Fic.  125.  —  Une  opération  césarienne  au  XVIII»  siècle,  d'après  Jean  Seultet,  1712. 

couchement,  la  moins  rare  est  encore  l'opération  césarienne;  on  sait 
qu'elle  consiste  à  ouvrir  l'abdomen  et  la  matrice  de  la  mère,  quand  il 
n'est  plus  possible  d'introduire  par  les  voies  naturelles  les  instru- 


(1)  Ce  pape  pensait  avec  les  PP.  Cucufe  et  Tournemine  qu'une  fille,  privée  de  la 
vulve,  devait  trouver  dans  l'anus  le  moyen  de  remplir  le  vœu  de  la  reproduction. 
Pougens  étend  cette  décision  et  pense  que  les  jeunes  femmes  stériles  devaient  ten- 
ter les  deux  voies  pour  s'assurer  de  la  véritable  route  de  la  propagation .  Mais  alors, 
comme  le  fait  remarquer  le  Dr  Roubaud,  Pougens  répudie  cette  maxime  de  la  sa- 
gesse des  nations  :  Dans  le  doute,  abstiens-toi. 


270  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


ments  nécessaires  au  morcellement  du  fœtus  ;  par  exemple,  dans  les 
cas  de  rétrécissements  du  bassin  (fig.  126)  ou  lorsque,  la  mère  étant 
morte  en  couches,  on  veut  essayer  de  sauver  l'enfant. 

Nous  ne  reviendrons  pas  sur  ce  que  nous  avons  dit  ailleurs  à  pro- 
pos de  cette  opération;  nous  en  avons  déjà  cité  les  exemples  mytholo- 
giques (1);  les  exemples  historiques  viendront  dans  les  Accouche- 
ments à  la  Cour.  Nous  avons  établi  la  doctrine  du  clergé  à  son 
sujet,  et  rappelé  les  discussions  médicales  qu'elle  souleva  (2).  Nous 
noterons  seulement  qu'une  lexregia,  mise  sous  le  nom  de  Numa,  or- 
donnait d'ouvrir  toutes  les  femmes  qui  mouraient  enceintes  «  afin  de 
conserver  des  citoyens  à  l'Etat  ».  Guillemeau  rapporte  une  autre  loi 
des  Anciens,  d'après  laquelle  les  jurisconsultes  condamnaient  à  mort 
«  celuy  qui  aura  ensevely  la  femme  grosse  devant  que  de  luy  tirer 
son  enfant,  pour  lui  avoir  oslé  (avec  la  mère)  l'espérance  de  vivre  ». 
Jusqu'au  XVIe  siècle,  l'opération  n'était  pratiquée  qu'après  la  mort 
de  la  femme.  Suivant  Bauhin  (3),  ce  fut  en  l'an  1500  que  Jacques 
Nufer,  châtreurd'un  village  de  Thurgovie,la  pratiqua  sur  une  femme 
vivante  :  c'était  sa  propre  épouse,  Elisabeth  Alespachin.  Voici  l'his- 
toire :  «  Elisabeth  étant  à  terme  et  sentant  depuis  quelques  jours  des 
douleurs  pour  accoucher,  fit  venir  treize  sages-femmes  et  quelques 
lithothomistes  pour  la  soulager;  toutes  leurs  tentatives  furent  inu- 
tiles. Gomme  les  douleurs  augmentaient  sans  qu'elle  put  obtenir  de 
soulagement,  son  mari  lui  dit  que  si  elle  avait  confiance  en  lui,  il 
tenterait  une  opération,  qui,  avec  la  grâce  de  Dieu,  pourrait  réussir. 
Elisabeth  accepta  la  proposition.  Le  mari  demanda  au  magistrat 
l'autorisation  d'entreprendre  cette  opération.  Après  quelques  hésita- 
tions et  en  présence  du  danger  que  courait  sa  femme,  la  permission 
lui  fut  accordée.  En  rentrant,  il  prévint  les  sages-femmes  de  sa  ré- 
solution et  pria  les  plus  courageuses  de  l'assister,  deux  seules  restè- 
rent avec  les  lithotomistes.  La  femme  fut  étendue  sur  une  table, 
le  mari  incisa  l'abdomen,  comme  s'il  se  fut  agi  d'un  porc,  et  du 
premier  coup  il  en  tira  l'enfant.  «  Les  onze  sages-femmes  qui 
étaient  à  la  porte,  ayant  ouï  crier  l'enfant,  souhaitaient  fort  d'y  être, 
mais  elles  n'y  purent  entrer  qu'après  que  l'enfant  eut  été  nettoyé  et 
la  playe  cousue,  suivant  la  manière  dont  il  cousoit  les  animaux.  » 
La  femme  se  rétablit  heureusement  et  accoucha  heureusement  de 
deux  jumeaux  l'année  suivante.  » 


(1)  V.  page  21. 

(2)  V.  page  148. 

(3)  Gaspari  Bauhini.  Aj)j)end'uv  ad  Iïoussctum. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


271 


Nous  allons  citer  quelques  curiosités  gastrotomiques.  Commençons 
par  l'histoire,  tant  soit  peu  fantaisiste,  de  François  de  Cirile,  gentil- 
homme Normand,  né  en  1536.  La  mère  était  morte  enceinte,  pendant 


Fie.  12G.  —  Marie  Depleix,  25  ans,  rétrécissement  du  détroit  inférieur  de   4  centimètres, 
opéréo  à  la  Maternité   en  1881. 


l'absence  de  son  mari  ;  on  l'avait  enterrée  sans  songer  à  tirer  l'enfant 
par  l'opération  césarienne.  Un  peu  après  les  funérailles,  arrive  le 
mari  qui  apprend  avec  surprise  la  mort  de  sa  femme,  et  s'indigne  de 


272  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

la  négligence  qu'on  a  montrée  pour  le  fruit  qu'elle  portait.  Il  fait 
exhumer  le  cadavre;  on  l'ouvre  et  l'on  en  tire  François  de  Cirile  en- 
core vivant.  Ce  ne  fut  pas  la  seule  chance  de  ce  genre  qu'eut  François 
de  Cirile.  En  1562,  au  siège  de  Rouen,  par  Charles  IX,  où  il  était  ca- 
pitaine, il  fut  laissé  pour  mort  dans  un  fossé;  son  valet  le  reconnut 
au  diamant  qu'il  portait  au  doigt  et  le  ramena  à  la  vie.  Sur  ces  entre- 
faites, la  ville  est  prise  d'assaut  et  le  bruit  est  tel  que  François  de 
Cirile  perd  de  nouveau  connaissance.  On  le  jette  sur  un  tas  de  fumier 
comme  mort.  Cependant,  il  donne  encore  quelques  signes  de  vie  et, 
avec  de  grands  soins,  recouvre  la  santé.  D'Aubigné  dit  qu'il  l'a  vu 
souvent  aux  assemblées  nationales,  député  de  Normandie,  à  l'âge  de 
soixante-six  ans,  et  qu'il  signait  toujours  :  François  de  Cirile,  trois 
fois  mort,  trois  fois  enterré,  et  trois  fois,  par  la  grâce  de  Dieu,  res- 
suscité (l). 

L'histoire  suivante  est  intéressante  en  ce  qu'elle  fut  le  sujet  d'un 
dessin  de  Jean  Cousin  à  la  date  de  1582  (fig.  127).  En  voici  les  détails  : 
Colombe  C...,  femme  d'un  tailleur  de  Sens,  âgée  de  28  ans,  éprouva 
pendant  l'année  tous  les  symptômes  de  la  grossesse  ;  au  neuvième 
mois  elle  ressentit  les  douleurs  ordinaires  de  l'accouchement,  perdit 
les  eaux,  puis  un  gros  caillot  sanguin,  et  ce  fut  tout.  Bientôt  ses  ma- 
melles s'affaissèrent,  les  mouvements  de  l'enfant  se  suspendirent,  et 
les  douleurs  se  calmèrent  peu  à  peu,  mais  elle  garda  le  ventre  d'une 
femme  enceinte;  elle  mourut  à  l'âge  de  68  ans.  Sa  grossesse  avait 
duré  quarante  ans. 

Après  sa  mort,  l'autopsie  fut  faite  par  des  hommes  de  l'art;  Jean 
Albosius  (d'Alibourg,  médecin  de  Henri  IV)  nous  en  a  conservé  les 
détails,  attestés  par  six  témoins  oculaires;  trois  médecins,  deux  chi- 
rurgiens, un  apothicaire.  On  trouva  un  enfant  du  sexe  féminin  dont 
les  pieds  et  les  mains  étaient  durs  comme  du  marbre  ou  de  l'ivoire,  et 
dont  les  enveloppes,  comme  testacées,  résistaient  au  scalpel. 

Voici  le  texte  de  cette  curieuse  observation  d'un  fœtus  réduit  à  l'état 
de  pétrification,  qui  serait  resté  quarante  ans  dans  V utérus  de  sa 
mère  (2). 

(1)  Le  fameux  Andréa  Doria  qui  vint  au  monde  par  l'opération  césarienne,  disait 
gaiement  à  ses  amis  qu'il  ne  pouvait  mourir  puisqu'il  n'était  pas  né.  G.  Millot, 
loc.  cit. 

(2)  Ce  fœtus  fut  vu  plus  tard  par  Louise  Bourgeois,  sage-femme  de  la  reine,  ce  II 
estoit  )),  dit-elle,  «  entre  les  mains  d'un  notable  marchant  de  ceste  ville,  nommé 
Pretesegle,  homme  fort  curieux  de  choses  rares.  11  manque  une  main,  laquelle  de- 
meura adhérente  à  l'arrière-faix,  lequel  estoit  aussi  réduit  en  pierre  comme  le 
corps.  );  Il  passa  en  1G53  dans  le  cabinet  du  roi  de  Danemark,  et  ne  fut  plus  dési- 
gué  désormais  que  sous  le  nom  de  fœtus  MôsniensiSi 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


273 


Quibus,  dissecto  mulieris  abdomine,  et  rejecto  infra  peritonseo, 
utérus  sese  offert,  aspectu  quidem  rugosus  et  versicolor,  ut  crista  illa 
pendilla,  quse  gallis  indicis  ex  summo  capite  prolabitur,  velpotius  ut 


Fio.  127. 


Extraction  du  fœtus  hors  la  matrice  de  sa  mère.  Fac-aimile  d'une  gravure 
de  J.   Cousin,  18J2  (1). 


operimentum  illud  cutaneum  quod  illorum  collum  ambit  Tactu 
autem  durus,  testaceus  et  crassus  instar  twv  oarpaxoSepjAcov.  Tunx  nova- 
culam  in  portentosam  illam  molem  et  gypseam  injiciunt,  qua  ad 
aciem  cultelli  renitente,  scalprum  altius  adigunt.  Eorum  autem  aiter 


(I)  Elle  figure  trois  diverses  positions  dudit  enfant. 

A.  Figure  et  assiette  de  l'enfant  en  la  matrice  delà  mère.  —  B.  L'enfant  tiré  hors 
la  matrice  avec  portion  d'icelle  et  avec  ses  tayes.  —  C.  Le  petit  corps  estant  enve- 
loppé de  ses  tayes  et  estendu  en  telle  dimension  qu'on  a  peu. 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


274  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

inflicto  casu  in  cranium  vulnere  et  in  aliquot  costas,  tandem  hume- 
rum  dextrum  impetit,  a  quo  erumpens  ossis  caput,  certissimam  fecit 
fidem  ossium  illic  latitantium.  Ex  quo  scalpellum  alio  transferunt, 
et  magna  vi,  sensim  tamen  et  recta,  uterum  sécant,  diductisque  duris- 
simis  vulneris  labris,  infayitem  in  orbem  implicitum  et  ex  transverso 
in  uteripositum,  introspiciunt  in  penitissimo  sinu  et  altissimis  late- 
bris  stabulantem,  in  suamque  veluti  cystim  quam  allantoïdem  tuni- 
cam  fuisse  puto,  callosissimam  reconditum. 

Utérus  ipse,  prsecipuè  ad  coxam  dextram,  ad  nates,  et  ad  partem 
spinse  dorsi  cum  cute  infantuli  omnino  coalescebat. 

Ossa  capitis  tenuia  quidem,  sed  firma,  et  instar  cornu  nitentia,  cute 
capitis  multis  in  locis  pilosa. 

Après  qu'on  eut  ouvert  l'abdomen  de  la  femme  et  repoussé  en  bas  le 
péritoine,  l'utérus  apparut  d'un  aspect  rugueux  et  de  couleur  rougeâtre, 
comme  cette  caroncule  qui  pend  du  haut  de  la  tête  des  coqs  d'Inde,  ou 
plutôt  cette  membrane  cutanée  qui  leur  enveloppe  le  cou;  au  toucher, 
il  était  dur,  testacé,  épais  comme  une  coquille  d'huître.  Les  médecins 
essayent  d'enfoncer  le  scalpel  dans  cette  matière  étrange  etgypseuse,  elle 
résiste  et  ils  portent  l'instrument  plus  haut.  L'un  d'eux  ayant  par  hasard 
donné  un  coup  sur  le  crâne  et  les  côtes,  atteignit  enfin  l'humérus  droit 
dont  la  tête, en  se  montrant,  les  convainquit  delà  présence  certaine  d'os 
cachés  en  cet  endroit.  Ils  portèrent  donc  le  scalpel  autre  part  et  à  grande 
peine,  mais  en  opérant  graduellement  et  en  ligne  droite,  parvinrent  à 
fendre  l'utérus  ;  écartant  les  bords,  qui  étaieut  très  durs,  ils  virent  alors 
le  foetus  ployé  en  rond  et  placé  en  travers  dans  l'utérus,  reposant  tout 
au  fond  et  renfermé  comme  dans  un  kyste,  que  je  suppose  être  la  mem- 
brane allantoïde,  devenue  extrêmement  calleuse. 

L'utérus  lui-même,  surtout  vers  la  cuisse  droite,  les  fesses  et  une  partie 
de  l'épine  dorsale,  adhérait  complètement  à  la  peau  du  fœtus. 

Les  os  de  la  tête  étaient  minces,  mais  résistants,  et  brillants  comme 
de  la  corne,  la  peau  du  crâne  poilue  en  maints  endroits. 

Au  siècle  suivant,  on  cite  le  fœtus  pétrifié  de  Pont-à-Mousson,  qui 
eut  l'idée  originale,  au  dire  de  Bartholin,  de  quitter  l'utérus,  son  ha- 
bitacle naturel,  pour  émigrer  dans  l'abdomen  maternel  où  il  séjourna 
six  lustres  ou  trente  ans.  Il  s'agit  là  d'un  fœtus  enkysté,  suite  de 
grossesse  extra -utérine  (1). 

On  peut  rapporter  d'autres  exemples  analogues.  Richard-Brown 


(1)  Cette  grossesse  extra-utérine  suscita  les  plus  vives  controverses.  Guy  Patin 
nie  la  réalité  du  fait  «  qui  n'est  qu'une  pure  fable  d'Esope,  car  aucune  conception 
ne  peut  se  faire  en  dehors  de  l'utérus.  Eryo,  ou  c'est  un  produit  de  l'utérus,  ou  ce 
n'est  pas  un  fœtus  ». 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  275 

Cheston,  médecin  de  l'hôpital  de  Glocester,  a  publié  en  1814  YHistoire 
d'un  enfant  retenu  clans  le  sein  maternel  cinquante-deux  ans  au  delà 
du  temps  ordinaire  de  la  grossesse.  Nous  avons  relevé  également  au 
Père-Lachaise  l'épitaphe  suivante  : 

ICI  REPOSE 

Mme   MARIE-MAGDELEINE   MILCENT, 

ÉPOUSE     DE     Mr    ETIENNE     FOURNIER, 

DÉCÉDÉE    LE    10  MARS   1824, 

ÂGÉE    DE     TRENTE-HUIT    ANS. 

ELLE    FUT    LE    MODÈLE    DES    ÉPOUSES 

ET  LA  PLUS   SINCÈRE   DES   AMIES. 

SA  MORT   FUT   ACCÉLÉRÉE   PAR   DE   LONGUES   SOUFFRANCES 

QU'ELLE   SUPPORTA    AVEC   COURAGE. 

SA   DOUCEUR    ET   SA  BONTÉ   L'AVAIENT   RENDUE   CHÈRE 

A  TOUS    LES   MALHEUREUX 

ELLE   A  PORTÉ   DANS   SON   SEIN 

UN  ENFANT   DOUZE   MOIS   VIVANT   ET   SEPT  ANS   MORT, 

AINSI    QUE   L'ONT   CONSTATÉ,    APRÈS   SON  DÉCÈS, 

LES   DOCTEURS   DUBOIS   ET    BÉLIVIER, 

SES   MÉDECINS,    QUI   ONT   RETIRÉ   CET  ENFANT 

BIEN    CONFORMÉ    ET  PARFAITEMENT    CONSERVÉ. 

REPOSE   EN   PAIX,    OMBRE    CHÉRIE, 

LES   LARMES    DE   TON  ÉPOUX  ET   CELLES  DE  TA  FAMILLE 

COULERONT    SUR    TA   TOMBE    JUSQU'AU    MOMENT 

OU  ILS  VIENDRONT  TE  REJOINDRE. 


De  toutes  les  opérations  césariennes,  les  plus  singulières  assuré- 
ment sont  celles  que  des  taureaux  ont  opérées  à  coup  de  cornes. 
A  Saardam,  cette  ville  de  Hollande  où  Pierre-le-Grand,  sous  le  nom 
de  Mikhaïlov,  vint  apprendre  la  construction  des  navires,  il  existe  une 
église  réformée  dite  du  Taureau.  Ce  nom  s'explique  par  un  tableau 
placé  au  fond  du  chœur  (ûg.  128).  Cny  voit  un  taureau  furieux  qui, 
sur  ses  cornes,  enlève  une  femme  grosse  :  au  même  instant,  la  femme 
accouche  et  retombe  avec  son  enfant.  Ce  dernier  aurait  vécu  un  mois, 
et  la  mère  serait  morte  au  bout  de  trente-six  heures. 

Une  Normande  de  la  Frenaye  fut  plus  heureuse  :  opérée  acciden- 
tellement d'un  coup  de  corne,  elle  se  rétablit  au  bout  de  six  semaines. 
Le  chirurgien  Desault  rapporte  un  fait  analogue  qui  serait  arrivé  à 


276 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  277 

Saint-Sébastien,  pendant  un  combat  de  taureaux.  Voici  comment  Sa- 
combe  raconte  l'anecdote  : 

L'aventure  est  plaisante,  et  l'on  dirait  d'un  conte, 
Mais  le  fait  est  constant;  que  je  te  le  raconte, 
Tel  que  l'a  rapporté  Desault  le  chirurgien. 

Vers  l'Ibère,  en  un  lieu  nommé  Saint-Sébastien, 
Une  femme  assistait,  à  neuf  mois  de  grossesse, 
Au  combat  de  taureaux.  On  se  foule,  on  se  presse, 
L'amphithéâtre  croule,  et  soudain  renversés, 
Roulent  les  spectateurs,  l'un  sur  l'autre  entassés; 
Effrayée,  expirante,  au  milieu  de  l'enceinte, 
Sur  les  morts,  les  mourans  tombe  la  femme  enceinte. 
Epouvanté  des  cris,  poussés  par  tant  de  voix, 
Un  Taureau  furieux  (c'est  celui  que  tu  vois), 
Vole,  se  précipite,  et  franchissant  la  borne, 
Fond  sur  la  femme  enceinte,  et  d'un  seul  coup  de  corne, 
Perce  ses  vêtements,  fend  son  ventre  et  son  sein, 
Le  fétus  sort  vivant,  sans  franchir  le  bassin; 
Et  sa  mère....  ô prodige!  après  cette  aventure, 
N'eût  besoin  que  de  vin  et  d'un  point  de  suture. 

A  l'éloge  de  Sacombe,  reconnaissons  qu'il  se  montre  sceptique  : 

De  tels  faits  opposés  aux  lois  de  la  nature 
Ont  été,  je  le  sens,  forgés  par  l'imposture. 

Les  vers  valent  peu  de  chose,  mais  l'idée  en  est  sage. 
Citons,  pour  terminer,  un  cas  curieux  d'opération  césarienne  prati- 
quée par  la  patiente  elle-même,  avec  un  plein  succès.  Les  journaux 


(I)  Cette  curieuse  gravure  porte  l'inscription  suivante  : 

Sîet  Iwc  dat  de  Vl'ujer  hier, 

Yervveelit  de  boosheyt  inde  Stier, 

!](/«>•  (hier  int  derji  van  Sardam, 

DaarManen  Vrou  oint  leven  que  m. 

Aansiet  het  vvrede  dier  door  syn  natuur  gedreven, 

Die  man,  en  vrou  en  liïnt  seer   haaftig  brengt  omt  teven. 

Voyez  comment  un  cerf-volant 

Excite  la  colère  d'un  taureau, 

Dans  le  village  de  Sardam, 

Et  coûta  la  vie  à  un  homme  et  à  une  femme. 

Regardez  cet  animal  féroce,  poussé  par  sa  nature, 

Tuant  à  la  fois  l'homme,  la  femme  et  l'enfant. 


278  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

l'ont  publié  sous  la  rubrique  «  Y  Infanticide  de  Viterbe)).  Nous  repro- 
duisons le  récit  du  Temps  : 

«  Un  fait  probablement  uniquedans  les  annales  de  la  pathologie  vient 
de  se  produire  près  de  Viterbe,  dans  la  campagne  romaine  ;  fait  si 
surprenant  —  on  peut  dire  si  monstrueux  —  que  nous,  hésiterions  à 
en  parler  s'il  n'avait  d'abord  été  constaté  par  un  journal  que  sa  haute 
position  scientifique  met  au-dessus  du  soupçon,  la  Gazzetta  degli 
ospitali,  et  attesté  ensuite  dans  les  colonnes  de  the  Lancet,  par  deux 
médecins  distingués,  les  docteurs  R.  Baliva  et  A.  Serpieri.  Il  s'agit 
d'une  jeune  paysanne  qui  a  perpétré  sur  elle-même,  au  neuvième 
mois  de  sa  grossesse,  l'épouvantable  opération  césarienne,  qui  a  sur- 
vécu à  cette  opération  et  qui  est  maintenant  entièrement  rétablie  après 
quarante  jours  de  traitement.  Les  détails  de  l'affaire  sont  peut-être 
plus  extraordinaires  encore  que  la  chose  elle-même. 

«  Voici  comment  la  content  les  deux  médecins  précités,  dans  une 
lettre  qu'ils  adressent  au  journal  médical  anglais  : 

«  Viterbe,  15  mai  1886. 

«  Nous  vous  donnons,  selon  votre  désir,  le  récit  de  l'opération  cé- 
sarienne que  la  nommée  N...  A...,  de  Viterbe,  a  pratiquée  sur  elle- 
même  le  28  mars  dernier.  C'est  une  paysanne  de  vingt-trois  ans,  de 
petite  taille  (1  m.  40  c),  de  tempérament  lymphatique  et  de  constitu- 
tion délicate.  Elle  se  trouvait  au  neuvième  mois  d'une  grossesse  qui 
était  pour  ses  voisins  un  sujet  continuel  de  médisance,  pour  ses  maî- 
tres et  sa  famille  un  sujet  grandissant  de  colère.  Ces  causes  l'ame- 
nèrent, le  28  mars,  à  trois  heures  du  matin,  à  une  résolution  extrême. 
Elle  prit  un  couteau  de  cuisine  et  s'ouvrit  l'abdomen.  La  blessure 
était  linéaire,  mais  quelque  peu  hachée  (le  couteau  coupant  mal), 
longue  de  12  centimètres,  dirigée  de  l'ombilic  vers  la  région  iliaque 
droite  et  de  dehors  en  dedans.  C'est  par  cette  plaie  profonde  que  la 
malheureuse  fît  elle-même  l'extraction  d'un  enfant  mâle  pesant  1  ki- 
logramme 900  grammes.  Ainsi  que  l'examen  nécroscopique  l'a  dé- 
montré, cet  enfant  était  mort  avant  d'avoir  respiré;  il  avait  la  tête 
séparée  du  tronc  entre  la  dernière  et  l'avant-dernière  vertèbre  cervi- 
cale et  de  profondes  blessures  au  thorax...  L'opération  achevée,  la 
patiente  se  banda  le  corps  avec  une  serviette,  de  manière  à  rappro- 
cher les  bords  de  la  plaie  et  à  contenir  les  intestins  qui  tendaient  à 
s'échapper. 

«  Puis,  vers  cinq  heures  —  deux  heures  à  peine  après  l'opération 
—  elle  se  leva,  s'habilla  et  partit  à  pied  pour  Viterbe  :  la  dislance  est 
d'un  kilomètre  environ.  Là  elle  se  rendit  chez  sa  sœur,  ne  lui  dit  rien 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES  279 


de  ce  qui  venait  de  se  passer  et  déjeuna  d'une  tasse  de  bouillon,  d'un 
peu  de  café  et  de  pain,  après  quoi  elle  sortit  pour  se  promener  par  la 
ville,  dans  le  but  spécial  de  se  montrer,  dit-elle,  et  de  mettre  un  terme 
aux  bavardages  dont  sa  grossesse  était  l'occasion.  Enfin,  vers  dix  heu- 
res, toujours  à  pied,  elle  revint  chez  elle.  Mais  là  ses  forces  la  tra- 
hirent :  elle  fut  prise  de  douleurs  intolérables  et  de  vomissements  et 
finit  par  tomber  évanouie;  le  bandage  qui  contenait  ses  intestins  s'é- 
tait dérangé  ;  la  masse  presque  tout  entière  faisait  hernie  hors  de  son 
abdomen.  C'est  seulement  vers  onze  heures  que  la  famille,  constatant 
l'état  des  choses,  se  décida  à  envoyer  chercher  le  médecin. 

«  Suit  le  détail  du  traitement.  La  hernie  fut  réduite,  les  bords  de 
la  plaie  furent  réunis,  un  tube  de  drainage  laissé  dans  la  blessure. 
Une  péritonite  partielle  éclata,  mais  sans  accidents  graves.  Les  mé- 
decins attirés  par  l'étrangeté  du  cas  s'occupèrent  surtout  d'assurer  la 
bonne  ventilation  de  la  chambre  où  gisait  la  malade  et  de  l'entourer 
de  la  propreté  la  plus  méticuleuse.  Tout  marcha  à  souhait.  Le  vingt- 
cinquième  jour,  la  blessure  n'était  plus  que  superficielle  et  réduite 
à  six  centimètres  de  long;  le  quarantième  jour,  la  cicatrisation  était 
complète.  La  malade  est  maintenant  complètement  rétablie  et  vaque 
à  ses  occupations  habituelles,  mais  en  restant  à  la  disposition  de  la 
justice,  qui  lui  demandera  probablement  compte  de  son  acte.  » 

N'est-ce  pas  le  cas  d'appliquer  à  cette  narration  le  proverbe  qui 
nous  vient  du  même  pays  :  Se  non  è  vero,  è  bene  trovato  ? 

Accouchements  post  mortem.  —  Dans  son  Embryologie 
sacrée,  l'abbé  Dinouart  nous  en  cite  un  cas  : 

«  François  Arevalle  de  Ségovie  étoit  allé  dans  un  paiis  éloigné. 
Son  épouse  meurt  :  on  envoie  un  Courier  lui  annoncer  cette  mort;  il 
se  met  aussitôt  en  route,  il  arrive  tard,  son  épouse  étoit  déjà  inhumée. 
Dans  l'excès  de  sa  douleur,  son  amour  lui  inspire  d'ordonner  qu'on 
l'exhume,  et  qu'on  apporte  son  cercueil  en  sa  présence,  persuadé  que 
ce  spectacle  le  consolera  dans  sa  douleur.  On  consent  à  sa  demande, 
et  le  Ciel  dans  ce  moment  lui  présente  l'objet  de  la  joie  la  plus  sen- 
sible. Il  considère  le  corps;  et  au  mouvement  qu'on  remarque  dans  le 
ventre,  et  à  certains  cris  sourds,  on  s'apperçoit  que  la  défunte  ac- 
couche; on  examine,  et  on  voit  un  enfant  dont  la  tête  étoit  déjà  sortie. 
On  le  retira,  il  vécut,  et  gouverna  dans  la  suite  des  temps  la  Province 
qui  lui  fut  confiée.  » 

Une  aventure  analogue  arriva  à  la  baronne  de  Panât  à  la  suite 
d'une  mort  apparente  : 

«  Le  baron  de  Panât  était  un  gentilhomme  huguenot  d'auprès  de 


280 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Montpellier,  de  qui  on  disait  :  «  Lou  baron  de  Panât,  plus  tôt  mort 
que  nat,  »  c'est-à-dire,  plus  tôt  mort  que  né  :  car  on  raconte  que  sa 
mère,  grosse  depuis  près  de  neuf  mois,  mangeant  du  hachis,  avala 
un  petit  os  qui,  lui  ayant  bouché  le  conduit  de  la  respiration,  la  fit 
passer  pour  morte  ;  qu'elle  fut  enterrée  avec  des  bagues  aux  doigts  ; 
qu'une  servante  et  un  valet  la  déterrèrent  de  nuit  pour  avoir  ses 
bagues,  et  que  la  servante,  se  ressouvenant  d'en  avoir  été  maltraitée, 
lui  donna  quelques  coups  de  poing,  par  hasard,  sur  la  nuque  du  cou, 
et  que  les  coups  ayant  débouché  son  gosier,  elle  commença  à  respirer, 
et  que  quelque  temps  après  elle  accoucha  de  lui,  qui,  pour  avoir  été 
miraculeusement  sauvé,  n'en  fut  pas  plus  homme  de  bien,  au  con- 
traire. » 

Monstruosités  humaines.  —  Notre  chapitre  ne  serait  pas 
complet  si  nous  ne  disions  un  mot  des  monstruosités  humaines.  On 


Fig.  129.  —  Cynocéphale,  d'aDres  Aldrovandi. 


sait  ce  qu'il  faut  penser,  à  cet  égard,  de  la  crédulité  des  Anciens  : 
les  monstres  mythiques  (1),  dont  nous  avons  déjà  parlé  et  auxquels 


(1)  V.  page  23. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


281 


nous  ne  reviendrons  qu'incidemment,  nous  en  ont  déjà  donné  une  idée 
suffisante.  Dans  Pline,  dans  Aulu-Gelle,  dans  Tacite  lui-même,  il  est 
question  de  peuples  extravagants,  habitant  l'Inde,  l'Afrique,  la  Sar- 
matie.  Il  est  possible  que  tous  ces  contes  aient  été  inspirés  par  la 
connaissance  de  certains  cas  tératologiques.  Ainsi,  on  parle  souvent, 
dans  l'antiquité,  de  cynocéphales  ou  hommes  à  tête  de  chien  (fig.  129). 
Or,  en  1875,  chacun  de  nous  a  pu  voir  le  paysan  russe  Adrien  Jefti- 


Fig.  130.  —  Adrien  Jeflichjew,  dit  t  l'homme-chien  •,  et  son  fils  Fédor. 


chjew  (fig.  130)  dit  l'homme-chien,  dont  la  tête,  en  effet,  rappelait  celle 
d'un  griffon  au  poil  brun  roussâtre  ;  il  était  accompagné  de  son  fils, 
Fédor,  présentant  le  même  aspect.  Adrien  et  Fédor  étaient  tous  deux 
horriblement  laids;  leur  laideur  était  cependant  surpassée  par  celle 
de  Julia  Kostroma  (fig.  131),  la  femme  à  barbe  qu'exhibaient  les 
Folies-Bergère. 
Nous  nous  rappelons  avoir  vu,  dans  notre  enfance,  le  corps  à  moitié 


282 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


plongé  dans  un  baquet,  d'une  femme-poisson  (1).  Ce  pasliche  des 
antiques  sirènes  (fig.  132,  133)  n'était  probablement  qu'un  cas  de 
sirénomclie  (fîg.  134,  13o)  ou  fusion  des  membres  inférieurs.  Cette 
môme  monstruosité  a  peut-être  donné  l'idée  dos  monocoles  ou  hommes 
à  une  seule  jambe  dont  parle  Aulu-Gelle,  des  sciapodes  (fig.  137)  dont 


Fig.  131.  —  Julia  Kostroma. 

le  nom  signifie  que,  de  leur  pied  unique,  ils  pouvaient,  comme  d'une 
ombrelle,  s'abriter  contre  les  rayons  du  soleil;  ce  que  n'aurait  pu 
faire  même  Berthe  aux  grands  pieds.  Les  sirènes  ne  sont  pas  la  seule 
conception  mythologique  qu'on  puisse  justifier  par  quelque  monstruo- 
sité. Le  poil  et  les  cornes  des  satyres,  l'arrière-train  des  centaures 
(fig.  139,  140),  lescyclopes,  tout  cela  se  retrouve  non  seulement  dans 
les  gravures  fantaisistes  de  Schedel,  mais  encore  dans  les  atlas  térato- 
logiques  sérieux. 


(1)  On  parle  dans  l'Histoire  du  Portugal  d'une  pêche  d'hommes  marins  au  cap 
de  Comorin,  dont  une  femme  et  une  fille  furent  envoyées  au  roi  Emmanuel. 

Au  XVIII'  siècle,  on  ajoutait  encore  foi  à  cette  fable  ;  il  est  vrai  que  le  nôtre,  n'a 
rien  à  envier  au  précédent  ;  n'avons-nous  pas  vu  le  Constitutionnel  faire  avaler  à  ses 
abonnés,  non  pas  des  couleuvres,  mais  le  fameux  serpent  do  mer? 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


283 


Gomme  exemples  de  surabondance  pileuse,  nous  avons  l'homme 
chien  et  son  fils,  cités  plus  haut;  les  innombrables  femmes  à  barbe, 


Fig.  132.  —  Sirènes,  d'après  Aldrovandi. 


orgueil  de  nos  baraques  foraines,  et  tout  récemment  la  jeune  Krao  (1) 
dont  le  corps  est  couvert  de  poils  soyeux.  Au  dire  de  son  barnum, 


Fig.  133.   —  Sirène  allaitant  son  enfant.  Fig.  134.  —  Sirénomélie,  d'après  Cruveiihier. 

(1)  Krao  signifie  singe,  en  Siamois. 


284 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


cette  Siamoise  appartiendrait  à  une  tribu  vivant  dans  les  forêts 
du  Laos  et  formant,  d'après  la  genèse  darwinienne,  les  chaînons 
naturels  qui  relient  l'homme  au  singe. 


Fig.  135.  —  Autre  cas  de  Siréaomélie. 


La  figure  141,  tirée  du  Musée  préhistorique  de  M.  de  Mortillet, 
semble  donner  quelque  vraisemblance  à  cette  théorie  :  il  s'agit  d'une 


Fig.  136,  137.  —  Monstres  de  Pline,  d'après  la  Chron.  de  Schedel  (Nuremberg,  1493). 

femme  enceinte,  gravée  sur  os  ;  elle  est  nue,  son  ventre  et  ses  flancs 
sont  recouverts  de  poils  ;  on  peut  donc  en  conclure,  ainsi  que  d'autres 


Fig.  138,  139.  —  Monstres  de  Pline,  d'après  la  Chron.        Fig.  140.  —  La  Centauresse  et  son 
de  Schedel.  petit.  Camée  antique. 


dessins  du  même  âge,   qu'à  l'époque  du  renne,  dont  on  voit  deux 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


285 


jambes  gravées  au-dessous  de   la  femme,  la  population  était  très 


Fig.  141.  —  Pièce  osseuse  trouvée  à  Laugorie-Basse,  commune  de  Tayac  (Dordogne).  Collection 

Ed.    Piette. 

velue.  Le  nœvus  pileux  (fig.  142)  peut  aussi  recouvrir  de  poils  une 


lie.  1 12.  —  Nœvus  pileux  couvrant  une  partie  du  corps.  Les  poils  se  dirigent  presque  tous  de  haut 
en  lias  et  de  dehors  en  dedans  ;  une  tumeur  cutanée  existe  entre  les  deux  épaules  et  à  la  région  dos 
fesses. 


286 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


partie  plus  ou  moins  étendue  du  corps  et  donner  à  la  peau  l'aspect 
simiesque  que  présentait  celle  de  Jacob.  La  femme  tigresse  qui  se 
montrait  dans  les  foires  devait  son  nom  à  une  anomalie  semblable. 
Ces  nœvi  pigmentaires  poilus  ne  sont  d'ailleurs  pas  rares.  Alibert 
raconte  l'histoire  d'une  jeune  fille  qui  portait  sur  le  ventre  une  large 
plaque  couverte  de  poils  noirs  et  drus  ;  elle  se  maria  sans  en  prévenir 
son  fiancé,  mais  le  soir  de  ses  noces  le  mari  fut  si  désagréablement 
surpris  de  cette  particularité  qu'il  demanda  le  divorce  et  l'obtint. 

Les  hommes  cornus  ne  sont  pas  non  plus  un  mythe  ;  même  parmi 
les  femmes,  on  cite  la  veuve  Dimanche  (fig.  143),  comme  le  plus  beau 


Fig.  143.  —  La  veuve  Dimanche. 


spécimen  du  genre.  La  jument  hydrocéphale  (fig.  144),  née  au  10"  régi- 
ment de  chasseurs  et  offerte  par  le  major  Fabre  au  musée  de  Limoges, 
pourrait  assurément  passer  pour  un  centaure  (1). 

Nous  retrouvons  la  conception  descyclopes  dans  cette  monstruosité 
justement  nommée  cyclocéphalie  (fig.  145). 


(1)  D'après  Suétone,  les  pieds  du  cheval  de  Jules-César  étaient  pourvus  d'or- 
teils, et  les  Augures  virent  dans  cette  anomalie  la  preuve  crue  le  cavalier  serait 
nommé  empereur. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


287 


Il  n'est  pas  jusqu'à  des  attributs  évidemment  symboliques  qu'on 
ne  retrouve  chez  certains  êtres  sous  forme  de  cas  tératologique.  Tout 
le  monde  connaît  l'Artémise  Ephésienne  et  ses  innombrables  ma- 
melles (fig.  39)  ;  or  les  mamelles  supplémentaires  ne  sont  pas  rares. 
Le  docteur  Robert,   de  Marseille,  a  observé   une  mamelle  supplé- 


Fig.  144.  —  Jument  hydrocéphale. 

mentaire  sur  la  cuisse  gauche  d'une  femme.  Son  enfant  a  teté  cette 
mamelle  pendant  vingt-trois  mois,  alorsqu'un  nourrisson  s'allaitait  aux 
seins  normaux.  Adrien  de  Jussieua  publié  l'observation  d'une  femme 
qui  avait  une  mamelle  supplémentaire  dans  l'aine,  et  c'était  celle  qui 
servait  d'ordinaire  à  l'allaitement.  Nous  avons  vu  à  l'hôpital  Saint- 
Louis,  dans  le  service  du  Dr  Porak  (salle  Paul  Dubois),  une  femme 


288 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Fig.  146.  —  Mamelle  supplémentaire  sur  la  cuisse. 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


289 


affectée  d'hypertrophie  mammaire  présentant,  en  outre,  sous  le  sein 
gauche, une  mamelle  supplémentaire  qui  donnait  du  lait  (fig.  147, 148). 
Les  Anciens  connaissaient  aussi  l'hypertrophie  mammaire,  témoin 
ce  monstre  étrusque  avec  les  tétines  pendantes,  que  nous  trouvons 
reproduit  dans  Y  Antiquité  de  Mesnard. 


Fig.  147.  —  Hypertrophie  des  seins. 


Il  en  est  de  même  du  Janus  bifrons;  la  tératologie  a,  en  effet,  dans 
son  musée  les  monstres  janiceps  (fig.  150,  151,  152)  qui,  comme  onle 
voit,  tirent  leur  nom  de  l'ancienne  divinité  latine.  Notre  vieux  roman 
d'Alexandre  suppose  que  le  héros  grec  rencontra,  tandis  qu'il  guer- 
royait aux  Indes,  des  monstres  à  six  mains  (fig.  153)  ;  si  les  mains 
trifurquées  sont  rares,  les  bifurquées  (fig.   154)  le  sont  beaucoup 


H1ST01I\E    DES   ACCOUCHEMENTS. 


290 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


moins.  Il  en  est  de  môme  des  doigts  surnuméraires  (1)  (fig.  155),  bifur- 
ques (fîg.  15G),  hypertrophiés  (fig.  157)  et  palmés  (fig.  158)  ;  ce  dernier 
cas  pourrait  à  la  rigueur  expliquer  le  canard  mis  au  monde  par  la 


Fig.  HS.  —  Mamelle  supplémentaire  sous  le  sein  hypertrophié, 

reine  Berthe.  Les  enfantements  de  crapauds,  de  singes,  d'éléphants, 
peuvent  trouver  leur  explication  dans  une  vague  ressemblance  du 
crapaud  avec  les  anencéphales  (fig.  159,  160),  du  singe  avec  certains 
monstres  aux  membres  supérieurs  allongés  (fig.  161),  de  l'éléphant 
(fig.  162;  avec  les  rhinocéphales  (fig.  163).  Assurément  le  monstre 


(1)  Léonard  de  Vinci  nous  oflïe  un  exemple  de  cette  malformation  dans  son 
chef-d'œuvre  de  la  Cène,  où  l'un  des  apôtres  présente  une  main  ayant  six  doigts. 
Michel-Ange,  dans  son  Jugement  dernier,  a  eu  la  même  fantaisie. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


291 


Fig.   149.  —  Monstre  étiuSjUj 


Fig.  150.  —  Monstre  janieeps,  d'après 
Is.    G.  do  St-Hilaire. 


Fig.  151.  —  Autre  monstre  jauioeps. 


Fig.  1P2.  —  Autre  \ariété  de  monstre  janieeps 
communiqué  par   le  professeur  Depaul. 


292 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Fig.  153.  —  «  Comment  Alexandre  se  bataille  as  porcs  qui  ont  grans  dens  d'un  code  de  long,  et  a 
homes  et  femes  sauvages  qui  ont  VI  mains  ».  Miniature  d*un  man.  du  XIIIe  siècle,  'n°  HOiO. 
Bibl.  de  Bourgogne. 


Fig.  154.  —  Main   bifurqué 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


293 


représenté  (fig.  164)  est  de  pure  fantaisie;  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que,  dans  les  vitrines  du  musée  Dupuytren,  on  peut  voir  la  repro- 


Fig.  155.  —  Doigt  surnuméraire.     Fig.  156.  —  Pouce  bifurqué.     Fig.  157.  —  Doigt  hypertrophié, 
(Musée  Dupuytren).  d'après  Curling. 

duction  en  bois  du  monstre  indien  connu  sous  le  nom  de  nosencéphale 
de  Pondichéry,  lequel  ressemble  à  un  tigre. 


Fig.  158.  —  Doigts  palmés. 


Fig.    159.  —  Aneni'éphalo. 


La  présence  d'un  petit  appendice  à  la  région  sacrée  (fig.  165),  a 
donné  l'i.lée  des  hommes  à  queue.  On  sait  que  des  voyageurs  ont 


294 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


Fie  1G0.  —  Momie  d'ancncéphale  apportée  d'Egypte      Fig.  161.  —  Monstre  ressemblant  à  un  singe, 
par  M.  Pavsalacqua,  en  1826,  et  prise  par  les  d'après  Ahlfeld. 

Egyptiens  pour  un  singe. 


Fig.  162.  —  Monstre  à  tMe  d'éléphant, 
d'après   Palfyn. 


Fig.  163.  —  F.hinocepliale,  d'après  Is.  G.  St-IIilaire. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


29î 


même  affirmé  que  les  Niams-Niams,  dans  l'Afrique  orientale,  étaient 
pourvus  de  cet  ornement  :  mais  ces  observateurs,  quelque  peu  super- 


Fig.  1G4.  —  Monstre  à  crinière  de  lion,  d'après  Palfyn. 

fieiels,  avaient  pris  une  lanière  de  cuir  pour  un  appendice  caudal 
naturel  (fîg.  1G6). 
Il  faut  cependant  avouer  que  dans  la  galerie  tératologique  des 


Fîg.  1G5.  —  Monstre  présentant  un  double  appendice 
caudal,  d'après  A.  Guérin. 


Fie.  166.  —  Niam-Niam. 


auteurs  anciens,  Schedel,    Rueff,    A.   Paré,    Liceti,    Aldrovandi  et 
Pfafyn,  qui  se  sont  tous  copiés,  il  figure  bon  nombre  de  monstres  qui 


200 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


n'ont  jamais  existé  que  clans  leur  imagination  :  tels  sont  ceux,  qu'à 


Fig.  107. — Monstre  marin  ressemblant  à  un  moine. 


Fig.  16S.  —  Ornitanthropos. 


Fic.lGO. —  Fœtus  double,  l'un  blanc,  l'autre  n'^gre.        Fig.  170.  —  Fœ'us  lu  main  accolé  àunloup. 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


297 


titre  de  curiosité,  nous  reproduisons  ci-contre  (fig.  167, 168,  169, 170, 
171,172,  173,174,  175,  176). 


Fig.  171.  —  Enfant  avec  les  jambes  d'une  chèvre.        Fig.  172.  —  Chat  avec  deux  jambes  humaines. 

La  figure  176  est  le  fac-similé  d'une  vieille  gravure  de  1658  qui 


Fig.  173.  —  Monstre  sans  tête  avec  une  Fie.  17).  —  Monstre  a  deux  pattes 

trompe  dans  le  dos.  et  j  lusieurs  têtes. 


>98 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


porte  la  légende  suivante,  dont  nous  respectons  l'orthographe  : 
«  Voicy  la  figure  d'un  monstre,  trouvé  dans  l'isle  de  Madagascar,  en 
Afrique,  par  un  capitaine  d'un  vaisseau  de  Monsieur  le  Mareschal 
de  la  Meilleraye.  Il  est  aprésen  à  Nantes  en  Bretagne,  et  seras  bientôt 
à  Paris.  Ce  monstre  est  d'un  naturel  doux  et  traiclable,  qui  parle  un 


Fig.  175.  —  Monstre  à  ttîto  de  canard. 


Fig.  176.  —  Monstre  à  tiltc  de  «rue. 


certain  langage  que  l'on  ne  comprend  point.  On  lui  a  apris  à  faire  le 
signe  de  la  croix;  et  l'on  a  consulté  des  docteurs  en  théologie  et  en 
médecine,  pour  scavoir  si  on  lui  peut  donner  le  baptême.  Ils  ont 
ordonné  qu'il  seroit  instruict  pendant  4  mois,  et  si  on  trouvoit  qu'il 
raisonna,  qu'on  le  pourroit  baptiser  ». 

Sortons  de  la  fantaisie  et  rentrons  dans  la  réalité  :  la  réalité  térato- 
logique  est  d'ailleurs  assez  extraordinaire.  Quand  un  œuf  contient 
deux  germes  qui  se  fusionnent  ou  s'accolent  par  un  point  quelconque 
du  corps,  il  donne  lieu  à  des  monstres  à  une  tête  sur  deux  troncs 
(fig.  177)  ;  à  deux  ou  trois  têtes  sur  un  seul  tronc  (ûg.  178,  179,  180)  : 
à  deux  troncs  sur  uneseule  paire  de  membres  inférieurs  (fig.  181, 182), 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


299 


à  des] fœtus  réunis  soit  par  la  tète  (flg.  183,  184);  soit  parle  périnée 


Fie.  177.  —  Monstre  à  une  tête  sur  deux  tronc 
d'après  A.  Paré. 


Fia.  178.  —  Monstre  à  deux  têtes  sur 
un  seul  trône,  d'après  A.  Paré. 


SMVA? 


Fie.  179.  —  Dieéphale  à  plusieurs  bras.  FlO.  180.  —  Tricéphale,  d'après  Alilfeld. 


300 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


(fig.  185)  ;  soit  par  le  tronc  (fîg.  186,  187),  comme  l'étaient  les  frères 
Siamois,  Chang  et  Eng  (fig.188,  189),    et  Rita-Christina  (fig.  190)  ; 


Fig.  181.  —  Dicéphale  à  deux  jambes. 

soit  par  les  reins,  à  l'exemple  de  Millie-Christine  (fig.  191),  et  le 
monstre  bifemelle  (fig.  192,  193),  né  à  Mazères  (Ariège)  et  observé 


C-UV-féSl 


Fig.  182.  —  Autre  variété  de  dioéphale  à  deux  jambes,  d'après  Ahlfeld. 


par  les  docteurs  Joly  et  Peyrat;  soit  encore  par  les  fesses,  à  la  façon 
des  sœurs  hongroises  Jlélène  et  Judith  (fig.  204)  que  Pope  a  chantées. 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


301 


Fig.  1S3.  —  Monstre  céphalopage. 


Fig.  184.  —  Monstres  soudés,  à  angle  droit,  par  l'occiput,  d'après  Ahlfeld. 


Fig.  185.  —  Monstre^double  autositaire,  observé  par  le  h'  Berjoan,  du  Caire. 


302 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Fie.  186.  —  Sternopago. 


Fia.  187.  —  Monstres  soudés  par  le  tronc,  d'après  Ahlfeld. 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


303 


A  côlé  de  ces  monstruosités  doubles  se  placent  naturellement  les 
cas  où  l'un  des  jumeaux,  incomplètement  développé,  s'insère  sur  le 
ventre,  ou  toute  autre  partie  du  corps  de  l'autre  (fig.  194,  195,  196, 
197,  198,  199,  200). 

L'inclusion  complète  d'un  fœtus  dans  un  autre  fœtus  a  été  assez 
souvent  observée.  Bartholin  rapporte  que  dans  l'ile  de  Fionie,  une 
certaine  Jeanne,  femme  d'un  Nicolas  Pierre,  mit  au  monde  un  fœtus 
qui  en  contenait  un  second.  D'autre  part,   le  moine  Isabord  d'A- 


Fig.  ISS.  —  Les  frères  Siamois. 


mexullen  raconte  ce  qui  suit  :  «  J'étais  un  jour,  au  Mont-Saint- 
Pierre,  à  Erfurt,  quand  je  fis  la  découverte  d'un  manuscrit  où 
se  trouvait  l'aventure  d'une  jeune  fille  de  dix-neuf  ans  :  en  l'an  836, 
cette  fille  fut  traduite  devant  les  magistrats  et  accusée  d'être  grosse  ; 
•  •lie  affirme  son  innocence;  pressée  de  questions,  elle  s'écria  :  «  Si  je 


304 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Fig.  189.  —  Chang  et  Eng. 


Fig.  190.—  Squelette  de  Rita-Cristina,  conservé  au  Muséum 
d'histoire  naturelle,  a,  a,  os  coxaux  ;  b,  bassin. 


Fig.  191.  —  Millie-Christine.  Vue  de  la  soudure. 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


305 


suis  grosse,  Dieu  fasse  que  l'enfant  que  je  porte  le  soit  également  !  » 
Or,  au  bout  de  quelque  temps,  elle  mit  au  monde  un  enfant  mort 


Fig.  192,  —  Le  monstre  humain,  bifemelle  de 
Mazères  (Ariège). 


Fig.  193.  —  Vue  des  organes  sexuels 
se  composant  d'une  vulve  unique. 


qui  avait  un  ventre  très  développé  :  les  juges  furent  aussitôt  avertis 


Fig.  194.  —  Homme  portant  sur  le  ventre 
l'insertion  d'une  portion  d'enfant,  d'après 
A.  Paré. 


Fig.  193. —  Tirée  do  Geoffroy-Saint-Hilaire. 
Anomalies  ;  planche  18. 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS. 


20 


306 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


de  cet  événement;  il  fut  ordonné  qu'on  ouvrirait  le  corps  de  cet 
enfant,  dans  lequel  on  trouva,  en  effet,  un  fœtus  bien  conformé  ». 

Négligeons  le  côté  romanesque  de  ce  récit,  le  souhait  de  la  mère  ; 
il  n'y  a  rien  d'impossible  clans  le  fait  en  lui-même,  pas  plus  que  dans 
l'histoire,  rapportée  par  Bayle  et  Sigaud  delà  Fond,  d'une  petite  fille 
qui,  près  deNaumbourg  en  Thuringe,  vint  au  monde  enceinte  d'une 
autre  dont  elle  accoucha  huit  jours  après  sa  naissance.  Nous  allons 
maintenant  citer  une  observation  plus  sérieuse.  En  1804,  àVerneuil, 


Fig.  19G.  —  Le  mousquetaire  de  Liceti. 


dans  l'Eure,  un  enfant,  nommé  Bissieu,  portait  dans  le  flanc  gauche, 
dès  les  premiers  temps  de  son  existence,  une  petite  tumeur  qui,  vers 
Tàge  de  treize  ans,  augmenta  subitement  de  volume  en  déterminant 
des  accidents  fébriles  très  intenses.  En  même  temps,  l'enfant  rendit 
par  les  selles  des  matières  putrides,  de  longs  cheveux  et  il  tomba  dans 
un  état  de  consomption  qui  le  fit  succomber  un  an  après.  A  l'autopsie, 
on  trouva,  dans  son  ventre,  une  poche  (fig.  201),  renfermant  les  débris 
d'un  autre  enfant,  tels  que  des  portions  d'os,  des  cheveux,  des  ongles 
et  des  dents,  résultat  d'une  inclusion  fœtale. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


307 


Le  cas  du  jeune  Bissieu  nous  prouve  que  l'inclusion  fœtale  peut 
être  observée  même  chez  un  individu  du  sexe  masculin.  C'est  sur  ce 
fait  indéniable,  qu'Edmond  About  a  bâti  un  de  ses  romans,  mais  non 
pas  un  des  meilleurs,  le  Cas  de  M.  Guerin,  dédié  à  Charles  Robin. 


Fig.  197.  —  Monstre  polymélien.  a,  rudiment 
de  vulve  du  parasite,    d'après  Depaul. 


Fig.  198.  —  Monstre  polymélien  ;  jeune  portu- 
gais qui  se  faisait  voir  à  Paris,  d'après 
Lancereaux. 


Nous  terminerons  par  quelques  détails  sur  certaines  célébrités 
tératologiques  :  ils  sont  pour  la  plupart  empruntés  soit  à  Isidore 
Geoffroy  Saint-Hilaire  (1),  soit  au  Dr  Ernest  Martin  (2). 

Un  monstre  assassin.  —  Suivant  Sauvai,  un  monstre  double, 

(1)  Des  Anomalies  de  l'organisation  chez  Vhomme  et  les  animaux, 

(2)  Histoire  des  monstres. 


308 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Fig.  199.  —  Gustave  Evrard  n<5  avec  un  arriére-train  supplémentaire  formé  d'une  portion  de 
bassin  et  d'une  cuisse  unique,  donnant  insertion  à  deux  jambes  terminées  par  deux  pieds, 
d'après  Jules  Guérin. 


Fig.  200.  —  Monstre  épignathc.  Une  masse  se  terminant  par  une  jambe  et  un  pied  bien  conformé 
prend  son  insertion  sur  le  maxillaire  supérieur  gauche  et  sort  par  la  bouche.  (Musée  de  la 
Maternité). 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


309 


que  l'on  voyait  à  Paris  en  1649,  commit  un  assassinat.  Une  seule  des 
moitiés  était  coupable  et  fut  condamnée  à  mort.  Mais  quand  vint  le 


Fig.  201.  —  Fœtus  trouvé  dans  le  corps  d'un  enfant,  d'après  une  pièce  modelée  en  cire. 

Tête  du  fœtus,  a,  <z,  a.  Dents  dans  leurs  alvéoles,  b,  Dent  implantée  hors  de  son  alvéole,  c,  A  cette 
place  était  intérieurement  un  œil.  x,  Bouquet  de  poils  tenant  la  place  des  sourcils,  d,  d,  Ces 
trous  sont  présumés  êire  ceux  de  l'odorat,  e,  e,  Partie  chevelue  du  crâne,  f,  Masse  charnue, 
reste  de  lèvre,  g,  Portion  informe,  osseuse,  tenant  la  place  de  l'épaule,  h,  h,  Epine  du  dos. 
«',  Appendice  graisseux,  au  milieu  duquel  on  a  trouvé  trois  phalanges,  k,  Le  bassin.  /,  La  cuisse 
et  la  jambe,  m,  Le  pied  vu  par  derrière,  n,  »,  Trois  orteils,  o,  o,  Eminences  osseuses. —  B.Rate. 
C.  Estomac.  —  D.  Portion  du  colon.  —  E.  Portion  du  côlon  transverse  ouvert,  avec  laquelle  le 
kyste  était  adhérent.  —  F,  F.  Lambeaux  du  kyste  qui  enveloppait  le  fœtus  et  qui  était  composé 
des  membranes  chorion  et  amnios.  —  G.  Portion  la  plus  épaisse  du  même  kyste,  à  laquelle 
aboutissaient  les  vaisseaux  ombilicaux,  et  qui  doit  être  regardée  comme  le  placenta  du  fœtus  ou 
arrière-faix,  puisque  dans  cet  amas  de  vaisseaux  étaient  compris  les  artère  et  veines  ombi- 
licales, p,  p,  pointillé  qui  indique  le  contour  du  kyste. 


moment  de  l'exécution,  les  juges  se  dirent  que  tuer  l'un  c'était  con- 
damner l'autre  au  même  sort;  ils  aimèrent  mieux  révoquer  la  sen- 
tence et  le  monstre  fut  remis  en  liberté. 


310  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Le  fou  de  Jacques  IV.  —  Le  fou  de  Jacques  IV,  d'Ecosse,  était 
un  être  double  au-dessus  de  l'ombilic  et  simple  au-dessous.  Des  deux 
êtres  qui  le  composaient,  l'un  était  plein  d'intelligence,  d'esprit  et  de 
verve  ;  il  était  bon  musicien,  et,  par  sa  beauté  aussi  bien  que  par  son 
esprit,  charmait  les  dames  de  la  cour;  l'autre,  au  contraire,  était  laid, 
idiot  et  ivrogne  à  un  tel  degré  qu'il  a  fini  par  tuer  son  frère,  en  mou- 
rant lui-même  alcoolique.  Ces  deux  êtres  n'étaient  jamais  d'accord; 
ils  se  battaient  et  s'arrachaient  la  bouteille  des  mains,  l'un  pour  la 
boire,  l'autre  pour  la  jeter. 

Nains  et  géants  célèbres  (1).  —  Les  monarques  et  grands  sei- 
gneurs de  tous  les  temps  ont  montré  pour  les  nains  un  véritable 
engouement;  et  cependant,  à  quelques  exceptions  près,  ces  êtres  rachi- 
tiques  ne  sont  pas  seulement  difformes  de  corps,  mais  ils  ont  une 
intelligence  bornée  et  sont  décrépits  de  bonne  heure. 

Au  nombre  des  nains  célèbres,  nous  trouvons,  dans  l'antiquité  : 
Carachus,  conseiller  intime  du  grand  Saladin,  que  ce  sultan  cachait 
dans  ses  larges  manches  pour  le  consulter  secrètement  en  public  ; 
Philetas,  le  protégé  d'Aspasie,  auquel  un  coup  de  vent  cassa  une 
jambe  et  qui,  par  la  suite,  porta  des  semelles  de  plomb  pour  éviter 
un  semblable  accident  ;  le  nain  de  Tibère  qui  ne  craignait  pas  de  dire 
à  cet  horrible  prince  les  plus  dures  vérités  ;  celui  de  Domitien  que  ce 
monstre  fit  mettre  à  mort  par  son  imprudente  réponse  :  «  N'y  a-t-il 
personne  avec  l'empereur?  »  lui  demandait  Vibius  Priscus.  — ■  Non, 
pas  même  une  mouche  »,  répondit  le  nain  faisant  allusion  à  l'habitude 
qu'avait  son  maître,  de  s'enfermer  une  partie  de  la  journée  pour  enfi- 
ler des  mouches  avec  un  poinçon  d'or  ;  Lucius,  le  favori  d'Auguste 
qui  lui  fit  élever  après  sa  mort  une  statue  en  marbre  dont  les  yeux 
étaient  faits  de  deux  gros  diamants:  comme  ce  nain  avait  une  belle 
et  forte  voix,  l'empereur  imagina  de  lui  faire  chanter  plusieurs 
hymnes,  blotti  clans  le  casque  gigantesque  d'un  prisonnier  gaulois  que 
celui-ci  vint  déposer  au  milieu  du  cirque,  à  côté  de  son  épée  fichée  en 
terre  ;  Cunopas  et  Andromède  qui  montaient  sur  deux  petites  échelles 
pour  présider  à  la  toilette  de  leur  maîtresse,  Julie,  fille  d'Auguste. 

Dans  les  temps  modernes,  nous  citerons  : 

Le  nain  que  Marie  de  Médicis  avait  adopté,  alors  qu'elle  était  toute- 
puissante,  et  qui  la  suivit  dans  son  exil  à  Cologne;  Corneille  de 
Lilhuanie,  le  nain  et  le  confident  de  Charles-Quint  ;  le  nain  de  Fran- 

(1)  Voir  les  Nains  et  Us  Géants  par  Edouard  Garnier. 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES  311 


çois  Ier,  nommé  Grandjean  par  ironie;  Barwilowski,  attaché  à  la  com- 
tesse Humieszka,  était,  par  exception,  un  gentilhomme  bien  propor- 
tionné et  très  intelligent,  sa  taille  ne  dépassait  pas  76  centimètres  ; 
Jeffery  Ilugdson,  nain  de  la  duchesse  de  Buckingham,  était  encore 
plus  petit,  il  n'avait  que  56  centimètres  de  hauteur:  sa  maîtresse 
l'offrit,  enfermé  dans  un  pâté,  à  la  reine  Henriette-Marie,  femme  de 
Charles  Ier  d'Angleterre  ;  Nicolas  Ferry,  plus  connu  sous  le  sobriquet 
de  Bébé,  était  le  nain  de  Stanislas  Leczynski,  roi  de  Pologne  ;  il  ne 
mesurait  que  89  centimètres  :  un  sabot  lui  servit,  dit-on,  de  berceau. 
Son  épouse,  Thérèse  Sauvray,  était  de  la  même  taille  que  lui.  Bébé 
ne  put  jamais  apprendre  à  lire,  et  son  nom  lui  vint  de  ce  qu'il  ne  fît 
entendre  que  la  syllabe  B,  pendant  ses  premières  années.  Il  mourut  de 
vieillesse  à  vingt-cinq  ans.  Son  squelette  est  au  Muséum  du  Jardin 
des  Plantes  et  son  mannequin  au  musée  Orfîla. 

Nous  terminerons  cette  longue  énumération  par  les  nains  contem- 
porains les  plus  connus  : 

Le  prince  Colibri  que  l'on  voyait  souvent  aux  Champs-Elysées  con- 
duire un  superbe  attelage  de  poneys  nains  ;  Tom  Pouce,  qui  joua  au 
théâtre  des  Variétés  le  rôle  du  petit  Poucet  et  qui  s'était  réfugié,  un 
jour,  dans  le  manchon  de  Fanny  Elssler  ;  enfin,  le  commodore  Mor- 
rison  Nutt  dont  la  taille  mesurait  30  pouces  à  16  ans,  lorsque  Barnum 
vint  l'engager  chez  ses  parents,  en  1860  ;  mais  avec  les  années,  il 
grandit  un  peu  et,  à  sa  mort,  il  avait  3  pieds  7  pouces. 

Parmi  les  géants  authentiques  qui  ont  vécu  de  nos  jours,  nous  cite- 
rons le  Finlandais  Caianus,  haut  de  2m,83  ;  le  Kalmouck  Margrath, 
qui  mesurait  3ra,53  et  dont  les  os  sont  conservés  dans  les  vitrines  du 
musée  Orfila  ;  enfin,  le  Portugais  Luengo  y  Ca pilla  qui  avait  une  sta- 
ture de  2m,30  et  portait  des  chaussures  de  65  cent,  de  long.  Quant  au 
fameux  roi  des  Cimbres,  Teutobochus,  auquel  on  attribuait  une  hau- 
teur de  trente  pieds,  Cuvier  a  démontré  que  les  ossements,  trouvés 
dans  son  tombeau,  provenaient  d'un  mammifère  antédiluvien  de  l'es- 
pèce des  mastodontes. 

Malgré  la  croyance  populaire,  les  peuples  de  géants  et  de  nains 
n'ont  jamais  existé  ;  les  Myrmidons  et  les  Pygmées  des  temps  fabuleux 
sont  aussi  imaginaires  que  les  Spithamiens  de  Pline,  les  Quinios  de 
Commerson  et  les  Lilliputiens  de  Swift. 

Tribulations  des  hermaphrodites.  — Autrefois  les  herma- 
phrodites étaient  considérés  comme  des  monstres  indignes  de  vivre. 
Les  Athéniens  et  les  Romains  les  sacrifiaient  dès  leur  naissance  ;  au 
moyen  âge,  ils  étaient  brûlés  vifs  comme  possédés  du  démon,  et  jus- 


312  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

qu'au  XVIIe  siècle,  nous  voyons  Riolan,  lui-même,  qui  le  premier 
réagit  contre  le  préjugé  attribuant  l'origine  des  monstres  à  l'inter- 
vention de  démons  ou  d'animaux,  ne  faire  aucun  quartier  à  l'herma- 
phrodisme :  «  Quant  à  l'être  »,  disait-il,  «  qui  moitié  homme,  moitié 
femme,  fait  injure  à  la  nature,  il  doit  être  mis  à  mort.  » 

On  lit  dans  la  Chronique  scandaleuse  de  Louis  XI:  «  En  ladite  année 
1478,  advint  au  pays  d'Auvergne,  que  en  une  religion  de  moines  noirs, 
appartenant  à  Monseigneur  le  cardinal  de  Bourbon,  y  eut  ung  des 
religieux  dudit  lieu  qui  avoit  les  deux  sexes  de  l'homme  et  de  la  femme, 
et  de  chacun  d'iceulx  se  aida  tellement  qu'il  devint  gros  d'enfant  ; 
pourquoy  fut  prins  et  saisi  et  mis  en  justice,  et  gardé  jusques  à  ce 
qu'il  fût  délivré  de  son  posthume,  pour  après  iceluy  venu,  estre  fait 
dudit  moine  noir  ce  que  justice  verroit  estre  à  faire  ».  C'est  sur  ce 
moine  du  couvent  d'Issoire  que  Bauhin  fit  ce  vers  tautologique  : 

Mas,  mulier,  monachus,  mundi  mirabile  monstrum. 

Il  était  homme,  femme,  moine,  prodige  surprenant  de  la  création. 

En  réalité,  c'était  un  hermaphrodite,  avec  prédominance  du  sexe 
féminin,  et  capable  d'enfanter. 

Nous  avons  plusieurs  exemples  semblables.  En  1599,  une  herma- 
phrodite de  Dôle,  Antide  Collas,  fut  examinée  par  des  médecins  ;  ces 
doctes  personnages,  établirent  que  sa  conformation  sexuelle  était  le 
résultat  d'un  commerce  infâme  avec  le  démon.  Elle  fut  soumise  à  la 
question  et,  vaincue  par  les  tortures,  elle  fit  des  aveux  complets  et  fut 
condamnée  à  être  brûlée  vive.  Un  fait  analogue  eut  lieu  en  1601,  mais 
les  juges  furent  plus  indulgents  ;  le  parlement  de  Rouen  n'infligea  que 
la  prison  perpétuelle  à  une  certaine  Marie  le  Marcis,  accusée  de  porter 
indûment  des  habits  de  garçon.  Riolan,  contrairement  à  l'avis  de 
Duval,  chargé  d'examiner  le  sujet,  dit  que  Marie  le  Marcis,  était  une 
fille,  mais  reconnut  qu'elle  avait  été  de  bonne  foi  en  portant  des  vête- 
ments étrangers  à  son  sexe.  Sur  ces  conclusions  favorables,  le  parle- 
ment ordonna  sa  mise  en  liberté,  avec  ordre  de  prendre  les  habits  de 
femme  et  de  rester  célibataire  sous  peine  de  mort.  Pareille  obligation 
fut  faite  à  Anne  Grand-Jean  qui,  croyant  appartenir  au  sexe  mas- 
culin, s'était  mariée,  en  1761,  avec  Françoise  Lambert. 

Au  commencement  de  ce  siècle,  on  observa  un  cas  très  intéressant 
d'hermaphrodisme,  avec  prédominance  du  sexe  féminin,  chez  Marie 
Madeleine  Lefort  (fig.  202),  que  plusieurs  médecins  avaient  prise  pour 
un  sujet  du  sexe  masculin.  Le  clitoris  (fig.  203)  était  très  développé  et 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


313 


simulait  une  petite  verge  dont  le  gland  eut  été  imperforé.  L'urine 
et  le  sang  des  règles  passaient  par  un  cloaque  commun.  A  sa  mort, 
en  1864.  l'autopsie  donna  raison  au  physiologiste  Béclard  qui,  dès 
1817,  avait  soutenu  qu'elle  était  femme,  malgré  sa  voix  masculine  et 
la  barbe  qui  couvrait  son  menton. 


Fig.  202.  —  Marie  Madeleine  Lefort  (Holmes,  mal.  chir.  des  enfants,  1870). 


En  1876,  tous  les  journaux  ont  parlé  d'une  erreur  de  sexe  assez 
curieuse.  Voici  le  récit  d'A.  Scholl  : 

«  Parmi  les  hirondelles  de  nuit  qui  rasent  les  trottoirs  du  quartier 
du  Temple,  se  trouvait,  il  y  a  quelque  temps,  une  fille  inscrite  sous  le 
nom  de  Marie  Brécinet.  Simple  dans  sa  mise,  modeste  dans  ses  exi- 
gences, Marie  Brécinet  vivait  tant  bien  que  mal  des  petites  généro- 
sités que  lui  faisaient  les  passants.  Le  tarif  est  peu  élevé  dans  les 
environs  du  Château-d*Eau.  On  y  entend  un  opéra  pour  deux  francs, 
et  Vénus  sait  régler  ses  exigences  sur  celles  du  directeur  du  théâtre. 


314  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

«  Un  jour,  l'un  des  médecins  de  la  préfecture  de  police  est  changé. 
Le  nouveau  docteur,  en  passant  son  inspection,  s'arrête  stupéfait.  Il 
appelle  son  collègue  et  lui  démontre  par  a  plus  b  que  Marie  Brécinet 
doit  être  considérée  comme  appartenant  au  sexe  masculin.  Elle  a  été 
inscrite  comme  fille  soumise  avec  une  coupable  légèreté.  Il  y  a  bien, 
dans  la  conformation  du  sujet,  une  irrégularité  d'où  est  venue  l'erreur, 
mais  Marie  Brécinet  est  bien  certainement  un  homme. 

«  La  malheureuse  supplia,  mais  en  vain. 

«  Elle  fut  rayée  du  registre  de  la  prostitution,  son  état  civil  fut  rec- 
tifié, et,  comme  l'Etat  ne  perd  jamais  ses  droits,  elle  fut  incorporée 
dans  un  régiment  de  ligne  ! 

a  Fille  publique  il  y  a  un  an,  elle  est  sur  le  point  de  passer  caporal  » . 

Poésie  tératologico-religieuse.  —  En  1569,  naquirent  dans 
le  Forez  deux  jumeaux  qui  étaient  réunis  par  toute  l'étendue  de  la  poi- 
trine; ils  furent  présentés  à  Charles  IX,  avant  leur  mort.  La  dissec- 
tion en  fut  faite  par  Jacques  Roy,  mais  l'auteur  d'une  brochure,  publiée 
en  1570,  le  Pourtrait  des  enf ans  jumeaux  envoyés  au  Roy,  ne  nous  fait 
pas  connaître  les  détails  de  l'autopsie  ;  il  a  mieux  aimé  les  remplacer 
par  trois  sonnets  et  une  épigramme  antithésique  où,burlesquement,  il 
compare  aux  deux  jumeaux  la  religion  catholique  et  la  réformée  : 

S'entr'accolans  vous  voyez  ces  jumeaux, 

Ayans  un  corps,  deux  cœurs  et  deux  cerveaux, 

L'un  prsemourant,  sans  baptisme,  est  vaincu, 

A  qui  l'autre  a,  baptisé,  survescu  (1). 

O  spectateurs,  sont  deux  religions, 

La  Catholique,  etl'Huguenotte  aussi,  etc. 

L'auteur  termine  ainsi  : 

Conclurre  fault,  que  malgré  la  canaille 
Des  Huguenots  et  leur  rébellion, 
Leur  naissante  et  faulse  religion 
Succombera  bien  tost;  et  quoy  qu'il  tarde, 
Luy  donnera  l'église  la  nazarde, 
Pour  l'envoyer  aux  diables  infernaulx, 
Voilà  le  sens  prognostic  des  jumeaux. 

Plus  tard,  au  commencement  du  XVIIe  siècle,  après  la  promulga- 

1)  L*un  des  deux  jumeaux  avait  survécu  quelque  temps  à  sou  frère. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


315 


tion  de  l'édit  de  Nantes  à  Paris,  un  autre  cas  tératologique  donna 
au  protestantisme  l'occasion  de  rendre  au  papisme  la  monnaie  de  sa 
pièce.  Il  était  né  deux  jumelles  réunies  par  l'ombilic;  on  les  ondoya  et 


io  wu  si 


*.VuWv\ri\\J, 


Fio.  203.  —  Coupe  du  bassin  de  Marie-Madeleine  Lefort,  montrant  les  organes  génitaux.  —  J,  sonde 
passée  par  l'ouverture  principale  au-dessous  du  clitoris.  —  M,  Vagin.  —  0,  Ovaire.  —  T,  trompe. 

—  U,  utérus.  —  L,  ligament  rond. —  V,  vessie.  —  U,  uretères.  —  D,  orifice  de  l'urètre.  —  R, rectum. 

—  G,  grandes  lèvres  (D^  Wieland). 


elles  moururent  le  second  jour  de  leur  naissance.  Un  chroniqueur 
huguenot  «  sous  prétexte  d'écrire  »,  dit  le  D1'  Martin,  «  Vhistoire  vé- 
ritable et  remarquable  de  deux  jumelles  jointes,  rima  comme  une 
saynète  où  il  déploya  son  talent  de  poète  en  même  temps  que  sa  haine 
contre  Rome  et  le  pape....  Un  médecin,  un  enquesteur  et  un  théolo- 
gien prennent  successivement  la  parole  :  le  premier  déclare  que  le 
monstre  est  un  exemple  de  surcroît  «  de  matière,  trop  grande  pour  un 


316  HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 


seul  corps,  trop  petite  pour  deux.  »  Cependant  il  ne  tente  pas  «  d'en- 
foncer le  secret  d'un  aussi  étrange  cas  »;  il  passe  donc  la  parole  au 
théologien  qui  répond  : 

Je  tiens  que  ces  deux  fronts,  cette  face  jumelle, 
Sont  deux  religions  dont  l'une  est  qui  s'appelle 
Papisme,  et  son  autheur  est  l'antechrist  romain, 
De  l'autre  est  Mahumetavec  son  Alcorain. 

«  Il  n'eût  certainement  pas  tenu  ce  langage  sept  années  auparavant. 
Enfin  il  termine,  lui  huguenot,  par  ce  souhait  vengeur  : 

...  Que  du  grand  pasteur  la  semence  bénitte 
Chante  de  ces  tyrans  la  force  déconfitte, 
Disant,  c'est  pour  le  vrai  que  Christ  tue  à  ce  coup 
Le  lion  arabic  et  de  Rome  le  loup.  » 

Hélène  et  Judith.  —  Ce  monstre  double,  bifemelle,  apparte- 
nant au  genre  pygopage,  naquit  en  1701  à  Szony,  bourg  de  Hongrie; 
fut  baptisé  sous  le  double  nom  d'Hélène  et  de  Judith  ;  offert  à  sept  ans 
en  spectacle  à  la  curiosité  publique;  promené  dans  toutes  les  parties 
du  monde;  placé  à  neuf  ans,  par  les  soins  de  l'archevêque  de  Strigo- 
nie,  dans  un  couvent  de  Presbourg,  où  il  mourut  dans  sa  vingt- 
deuxième  année. 

Buffon  a  décrit  ce  monstre  et  la  France  médicale  de  1873,  a  donné 
la  traduction  du  document  publié  alors  dans  les  Transactions  philo- 
sophiques de  la  Société  royale  de  Londres.  Nous  reproduisons  quel- 
ques extraits  de  ce  curieux  document. 


Sur  un  double  monstre  femelle,  né  à  Szony,  en  Hongrie,  le  26  oc- 
tobre 1701,  et  mort  le  25  février  1725,  à  Presbourg,  au  couvent  des 
sœurs  de  Sainte-Ursule,  où  il  fut  enseveli,  par  Justus-Joiiannes 
Torkos,  M.  D.  P.  R.  S.,  traduit  du  latin. 

«  1.  Le  docteur  Torkos  commence  le  récit  de  cette  monstruosité  en 
faisant  remarquer  la  preuve  qu'elle  fournit  de  l'influence  de  l'imagi- 
nation de  la  mère  sur  le  fœtus;  car,  au  commencement  de  la  gros- 
sesse, la  mère  regardait  avec  une  attention  extrême  des  chiens 
coïtant,  collés  l'un  à  l'autre  sans  pouvoir  se  séparer,  les  têtes  tour- 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


317 


nées  chacune  de  leur  côté,  et  elle  ne  pouvait  chasser  ce  tableau  de  sa 
pensée. 

«  2.  Lors  de  l'accouchement,  le  corps  d'Hélène  sortit  d'abord  jus- 
qu'à l'ombilic.  Trois  heures  après,  les  pieds  sortirent  avec  le  corps 
de  Judith  joint  à  celui  d'Hélène.  Hélène  était  la  plus  grande  et  la  plus 
forte.  Bien  qu'elles  fussent  unies  par  le  dos  au-dessous  des  reins, 
elles  pouvaient  encore  tourner  à  moitié  leur  figure  et  leur  corps  l'une 
vers  l'autre,  de  sorte  qu'elles  pouvaient  s'asseoir,  se  lever,  marcher. 
Elles  avaient  un  anus  commun,  situé  entre  le  fémur  droit  d'Hélène 
et  le  fémur  gauche  de  Judith.  Elles  n'avaient  qu'une  vulve,  placée 


Fig.  204.  —  Hélène  et  Judith. 

au  milieu  de  leurs  quatre  jambes,  de  sorte  que,  lorsqu'elles  se  te- 
naient debout,  on  ne  pouvait  l'apercevoir.  Quand  l'une  d'elles  avait 
envie  d'aller  à  la  selle,  l'autre  éprouvait  le  même  désir;  mais,  quant 
à  l'excrétion  de  l'urine,  l'une  pouvait  avoir  envie  de  faire  de  l'eau 
sans  que  l'autre  ressentît  rien.  Aussi,  dans  leur  enfance,  bien  qu'elles 
s'aimassent  beaucoup  l'une  l'autre,  était-ce  entre  elles  la  source  de 
fréquentes  et  violentes  disputes;  c'était  à  qui  emporterait  l'autre  sur 
son  dos  ou  la  traînerait  jusqu'au  lieu  où  elle  avait  besoin  d'aller  (1). 


(1)  «  D'après  une  autre  version  plus  récente,  »  dit  M.  de  Parville,  «  les  évacua- 
tions alvines,  aussi  bien  que  les  évacuations  urinaires  se  seraient  faites  chez  les 
deux  sœurs  à  différents  moments.  » 


318  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

«  3.  A  six  ans,  Judith  eut  une  paralysie  du  côté  gauche,  et,  bien  que 
guérie,  elle  resta  toujours  plus  faible,  plus  apathique  et  plus  bornée  ; 
au  contraire,  Hélène  devint  plus  vive,  plus  spirituelle  et  plus  belle. 

«  4.  Il  n'y  avait  pas  seulement  cette  différence  dans  leurs  per- 
sonnes; on  observait  également  une  différence  dans  leurs  fonctions 
vitales,  animales  et  naturelles,  dans  l'état  de  santé,  comme  dans  l'état 
de  maladie.  Et,  bien  qu'elles  aient  eu  la  variole  et  la  rougeole  en 
même  temps,  elles  pouvaient  avoir  séparément  d'autres  maladies. 
Judith  avait  souvent  des  attaques  de  nerfs,  tandis  qu'Hélène  restait 
libre  de  toute  indisposition.  Hélène  eut  une  pleurésie,  Judith  la  fiè- 
vre. L'une  avait  un  catarrhe  et  de  la  colique,  tandis  que  l'autre  con- 
tinuait de  se  bien  porter. 

«  5.  Le  8  février  1723,  à  l'âge  de  vingt-deux  ans,  Judith  fut  saisie 
de  convulsions  violentes,  suivies  de  coma,  et  mourut  le  23  février. 
Pendant  ce  temps,  Hélène  était  affectée  de  fièvre,  accompagnée  de 
fréquentes  pertes  de  connaissance;  aussi,  bien  qu'elle  sentit  encore, 
et  qu'elle  pût  encore  parler,  elle  devint  tellement  faible,  qu'elle  tomba 
dans  l'agonie  trois  minutes  avant  Judith.  Après  une  courte  lutte,  les 
deux  sœurs  expirèrent  presque  au  même  instant. 

«  6.  A  l'ouverture  de  leurs  corps,  on  remarqua  que  chacune  d'elles 
avait  des  viscères  distincts  ;  mais,  tandis  que  ceux-ci  étaient  tous  en 
bon  état  chez  Hélène,  chez  Judith  le  cœur  était  démesurément  dilaté 
et  renfermé  dans  un  péricarpe  très  épais;  le  poumon  était  en  putri- 
lage.  L'aorte  et  la  veine  cave  descendante,  en  arrière  du  point  où 
elles  donnent  naissance  aux  artères  et  aux  veines  iliaques,  étaient 
unies  ensemble.  Tous  les  viscères  de  l'abdomen  étaient  sains.  Cha- 
cun des  deux  corps  avait  son  foie  propre,  sa  rate,  son  pancréas,  ses 
reins,  sa  vessie,  son  utérus,  avec  les  ovaires  et  les  trompes  de  Fal- 
lope.  Les  parties  génitales  externes,  excepté  l'orifice  du  vagin 
qui  leur  était  commun,  étaient  propres  à  chacune  d'elles.  Chez  les 
deux,  l'estomac  et  les  intestins  avaient  la  position  naturelle,  mais  les 
deux  rectums  étaient  unis  au  niveau  du  sacrum,  de  manière  à  former 
un  canal  commun  assez  large.  Les  sacrums  se  réunissaient  au  niveau 
de  la  deuxième  division  et  formaient  un  seul  corps,  de  sorte  qu'au 
bout,  il  n'y  avait  qu'un  sacrum  et  qu'un  coccyx.  •» 

Chang-Eng  ou  les  Frères  Siamois.  —  Ce  monstre,  illus- 
tre entre  tous,  naquit  en  1811,  dans  le  royaume  de  Siam,  d'une 
mère  indigène  et  d'un  père  chinois.  Chang  et  Eng  vinrent  au  monde 
sans  difficulté,  placés  de  telle  sorte  que  la  tête  de  l'un  touchait  aux 
pieds  de  l'autre;  ils  étaient  unis  entre  eux  de  l'ombilic  à  l'appen- 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


319 


dice  xiphoïde  :  le  cas  est  connu  sous  le  nom  de  xiphopagie  (fîg.  189). 
Dans  leur  enfance,  ils  se  trouvaient  opposés  face  à  face,  les  deux 
thorax  et  les  deux  abdomens  se  touchant,  disposition  commune  à  tous 
les  xiphopages  lors  de  leur  naissance.  On  conçoit  facilement  la  gêne 
qui  en  résulte;  aussi  par  suite  d'efforts  faits  dès  l'enfance  pour  arriver 
à  des  relations  mutuelles  plus  commodes,  les  deux  appendices  xi- 


Fig.  205.  —  Les  frères  Siamois  en  costume  de  ville, 


phoïdes  se  sont  relevés  et  rejetés  latéralement, l'un  à  gauche  et  l'autre 
à  droite.  Les  deux  sujets  se  sont  trouvés  dès  lors,  l'un  par  rapport  à 
l'autre,  de  côté  et  à  angle  droit,  soudés  ensemble  par  une  sorte 
de  bande  transversale,  longue  de  cinq  pouces,  large  de  six,  assez 
flexible  pour  que,  l'un  étant  debout,  l'autre  put  se  baisser.  Ils  pou- 
vaient encore  se  placer  l'un  en  face  de  l'autre,  comme  ils  l'étaient 
durant  leur  enfance;  mais,  en  ayant  perdu  l'habitude,  cette  attitude 


320  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

leur  était  devenue  gênante.  C'est  dans  la  position  où  les  représente 
notre  figure  (fig.  205)  que  les  frères  Siamois  marchaient,  s'asseyaient, 
se  tenaient  debout,  «  comparables,  »  dit  I.  Geoffroy  Saint-Hilaire, 
«  à  deux  personnes  qui,  serrées  l'une  contre  l'autre,  se  touchent  réci- 
proquement par  un  des  cotés  de  leurs  poitrines  ».  La  jambe  et  le  bras 
droit  de  l'un  des  frères,  la  jambe  et  le  bras  gauche  de  l'autre  étaient 
en  avant,  les  deux  autres  jambes  et  les  deux  autres  bras  en  arrière  ; 
dans  la  marche,  les  jambes  postérieures  ne  pouvaient  alors  que  se- 
conder et,  pour  ainsi  dire,  suivre  les  deux  antérieures:  aussi  étaient- 
elles  faibles,  maigres  et,  chez  l'un  des  deux  frères,  sensiblement  ca- 
gneuses. De  même,  quand  Changet  Eng  ne  les  enlaçaient  pas  mutuel- 
lement autour  de  leurs  cous  ou  de  leurs  poitrines,  leurs  bras  posté- 
rieurs pendaient  comme  inertes  derrière  leur  double  dos.  «  Les  deux 
moitiés  du  corps,  »  dit  I.  Geoffroy  Saint-Hilaire,  «  et  même  de  la  tête, 
les  yeux  exceptés,  pour  lesquels  a  précisément  lieu  l'inverse,  offrent 
des  différences  moins  marquées,  mais  analogues;  en  sorte  que,  par 
une  disposition  que  la  simplicité  de  son  explication  ne  rend  pas  moins 
singulière,  le  côté  droit  d'Eng  se  trouve  beaucoup  plus  semblable  au 
côté  gauche  de  Chang,  et  réciproquement,  qu'à  l'autre  moitié  de  son 
propre  corps  ».  Remarquons,  en  passant,  que  si  les  frères  Siamois  se 
ressemblaient  de  visage,  ils  différaient  par  la  taille  et  la  force. 

Ordinairement,  la  respiration  et  les  pulsations  artérielles  étaient 
simultanées  chez  les  deux  frères.  Toutefois,  les  médecins  de  Londres 
et  de  Paris  ont  pu  constater  à  plusieurs  reprises,  quelquefois  sans 
cause  apparente,  des  différences  dans  le  nombre  des  pulsations. 
Chang  et  Eng  montraient  d'ailleurs  dans  toutes  leurs  fonctions,  dans 
leurs  actions,  dans  leurs  paroles,  dans  leurs  pensées  mêmes,  une 
remarquable  concordance,  mais,  comme  le  fait  justement  remarquer 
I.  Geoffroy  St-Hilaire,  «  toutes  ces  concordances  prouvent  la  parité 
et  non  l'unité:  des  jumeaux  normaux  en  présentent  souvent  d'ana- 
logues (1),  et  sans  doute  en  offriraient  de  tout  aussi  remarquables, 
s'ils  eussent  invariablement,  pendant  toute  leur  vie,  comme  les  deux 
Siamois,  vu  les  mêmes  objets,  perçu  les  mêmes  sensations,  joui  des 
mêmes  plaisirs,  souffert  des  mêmes  douleurs».  Notons,  toutefois, 
que  c'était  là  leur  état  habituel,  mais  non  leur  état  constant  et  néces- 


(1)  En  effet,  les  jumeaux  provenant  d'un  œuf  ot  contenus  par  conséquent  dans 
une  seule  poche  amniotique  ont  toujours  le  même  sexe  et  présentent  souvent  une 
concordance  frappante  dans  leur  conformation  physique  et  dans  leurs  facultés 
psychiques.  Les  deux  paires  de  jumeaux  de  la  comédie  de  Shakespeare  les  iïiïprixes, 
suivant  la  remarque  de  Schroder,  doivent  donc  être  supposés  provenir  d'un  seul  et 
même  œuf. 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


321 


saire.  Il  est  faux,  comme  on  l'a  prétendu,  que  les  deux  frères  aient 
éprouvé  toujours,  au  même  moment  et  au  même  degré,  le  sentiment 
de  la  faim  ;  que  les  plus  légères  indispositions  de  l'un  aient  toujours 
été  ressenties  par  l'autre;  enfin  que  leur  sommeil  ait  toujours  com- 
mencé et  fini  au  même  instant,  si  bien  que  jamais  l'un  d'eux  n'aurait 
pu  voir  son  frère  endormi.  «  Chang  et  Eng  s'aimaient  beaucoup. 
Obligés  de  s'obéir  tour  à  tour  et  de  se  faire,  à  chaque  instant,  le  sacri- 
fice mutuel  de  leur  volonté,  à  peine  les  a-t-on  vus  quelquefois  en 
mésintelligence.  Telle  était  même  la  force  de  leur  affection,  qu'ils^ne 


Fig.  206.  —  Dissection  de  la  bande  qui  unissait  les  frères  Siamois. 

trouvaient  pas  acheté  trop  cher,  au  prix  de  la  gêne  constante  de  leurs 
mouvements,  le  bonheur  de  se  sentir  sans  cesse  l'un  près  de  l'autre, 
et  de  réaliser  à  la  lettre  cette  belle  image  de  l'amitié  :  tous  deux  ne 
sont  qu'un,  et  chacun  est  deux.  On  assure  que  plusieurs  chirurgiens, 
ayant  conçu  le  projet,  trop  hardi  peut-être,  de  les  rendre  à  l'état 
normal  par  leur  séparation,  ce  fut  ce  sentiment,  bien  plus  que  la 
crainte  de  la  douleur  ou  de  la  mort,  qui  les  détermina  à  se  refuser 
à  toute  opération  (1)  ».  Cependant,  Chang  et  Eng  ne  s'adressaient 
presque  jamais  la  parole,  si  ce  n'est  pour  se  dire  quelques  mots,  en 
apparence  sans  suite  et  inintelligibles  aux  autres.  En  revanche,  ils 


(1)  I.  Geoffroy  Saint-Hilaire. 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


il 


322  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

s'entretenaient  volontiers  avec  leurs  visiteurs;  souvent  même  chacun 
d'eux  suivait  séparément  une  conversation  distincte  avec  des  interlo- 
cuteurs différents. 

Dans  leurs  courses  errantes,  Chang  et  Eng  s'étaient  façonnés  aux 
mœurs  d'Occident.  Ils  parlaient  couramment  l'anglais  et  avaient 
presque  oublié  le  chinois.  Enrichis  par  la  curiosité  publique,  ils  se 
retirèrent  dans  l'Amérique  du  Nord,  à  Mount-Airy,  où  ils  firent  de  la 
grande  culture  sous  le  nom  des  frères  Bunker.  Us  épousèrent  les 
deux  sœurs  et  eurent  vingt-deux  enfants  bien  constitués.  Chang,  qui 
était  assez  porté  aux  boissons  alcooliques,  eut  une  congestion  céré- 
brale et  une  paralysie  d'une  moitié  du  corps  pendant  quelques  années; 
il  devint  sobre  après  cet  avertissement  et  se  remit  peu  à  peu.  Mais 
le  13  janvier  1874,  en  revenant  de  la  chasse,  il  fut  pris  de  refroidis- 
sement et,  le  quatrième  jour  de  sa  maladie,  mourut  d'une  fluxion  de 
poitrine,  pendant  le  sommeil  de  son  frère.  A  son  réveil,  celui-ci 
voyant  son  frère  mort,  eut  conscience  de  sa  fin  prochaine  et  succomba 
quelques  heures  après  dans  une  agitation  extrême. 

La  dissection  de  la  bande  qui  les  unissait  (fig.  206)  fut  faite  par 
des  médecins  qui  y  constatèrent  la  présence  de  vaisseaux  volumineux 
et  des  prolongements  du  péritoine  :  aussi  son  excision  aurait-elle  été 
extrêmement  dangereuse  et  très  probablement  mortelle. 

Rita-Cristina.  —  Rita-Oistina  (fig.  190,  207),  monstre  xypho- 
dyme,  naquit  à  Sassari,  en  Sardaigne,  le  10  mars  1829.  La  mère, 
femme  robuste,  avait  eu  déjà  huit  couches  heureuses,  quand  à  l'âge 
de  trente  et  un  ans  elle  mit  au  monde  l'enfant  double  qui  nous 
occupe.  L'accouchement  eut  lieu  à  terme  normal,  mais  fut  assez 
difficile  pour  que  l'on  dût  recourir  à  l'emploi  de  lacs  :  ce  furent  les 
deux  têtes  qui  se  présentèrent  d'abord. 

Dès  l'âge  de  trois  mois  et  demi,  les  deux  individus  composants  pré- 
sentaient entre  eux  une  différence  très  sensible:  le  sujet  placé  au  côté 
gauche  de  l'axe  d'union,  Cristina,  avait  la  tête  plus  ovale  et  plus 
grosse  que  le  sujet  droit,  Rita;  de  plus  elle  était  vive,  gaie,  avide  de 
prendre  le  sein,  tandis  que  Rita,  maigre,  jaune,  sans  appétit,  portait 
sur  sa  figure,  qu'on  aurait  dite  bleuâtre,  une  certaine  expression  de 
souffrance.  Un  sentiment  d'humanité  fort  mal  entendu  vint  aggraver 
la  situation  de  Rita. 

Les  parents  de  notre  monstre  étaient  venus  à  Paris  avec  le  dessein 
d'exploiter  la  curiosité  publique:  la  police  leur  refusa  l'autorisation 
nécessaire  ;  les  malheureux  tombèrent  dans  une  misère  noire  sans 
autres  ressources  que  quelques  aumônes  et  le  produit  de'  quelques 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


323 


visites  clandestines.  L'hiver  fut  terrible  pour  le  malheureux  monstre. 
«  Tenues,  dit  J.  Geoffroy  St-Hilaire,  dans  une  chambre  presque  tou- 
jours sans  feu,  découvertes  plusieurs  fois  par  jour  pour  être  soumises 
à  de  nouvelles  investigations,  Rita  et  Cristina  ne  pouvaient  manquer 
dépérir  d'une  prompte  mort.  En  effet,  Rita  fut  prise  d'une  bronchite 
intense  dont  il  fut  impossible  d'arrêter  les  progrès  au  milieu  des 
déplorables  circonstances  où  se  trouvaient  placées  les  deux  sœurs. 
Ce  fut  trois  jours  seulement  après  l'invasion  de  la  maladie,  que  suc- 
combèrent Rita  et  Cristina  ;  Rita,  déjà  privée  de  sensibilité,  et  vrai- 
ment à  l'agonie  depuis  plusieurs  heures;  Cristina,  jusqu'au  dernier 
moment,  pleine  de  vie  et  de  santé:  sa  respiration  était  seulement  un 
peu  gênée,  son  pouls  plus  fréquent,  et  elle  venait  encore  de  prendre 

le  sein,  quand  tout  à  coup,  sa  sœur  ex- 
pirant, elle  expira  aussi  ».  Les  deux 
sœurs  étaient  âgées  de  huit  mois. 

Les  observations  physiologiques  faites 
sur  Rita-Cristina  sont  des  plus  curieu- 
ses. Souvent  l'une  dormait  tandis  que 
l'autre  tétait,  l'une  criait  tandis  que 
l'autre  souriait.  Touchait-on  une  partie 
du  corps  non  comprise  dans  l'axe  d'u- 
nion, une  seule  des  deux  sœurs  percevait 
la  sensation  ;  si  l'on  chatouillait  la  jambe 
droite,  Rita  seule  le  sentait  et  Cristina 
seule,  si  l'on  chatouillait  la  gauche  : 
donc  sur  cette  paire  commune  de 
membres,  une  jambe  appartenait  à  Rita 
seule,  une  à  Cristina.  Au  contraire, 
dans  le  cas  où  l'expérimentateur  agissait 
sur  une  partie  comprise  dans  l'axe 
d'union,  sur  la  vulve,  par  exemple, 
ou  sur  l'anus,  la  sensation  était  perçue  par  les  deux  sœurs.  Avant 
même  l'autopsie,  il  avait  été  démontré  que  Rita  et  Cristina,  contrai- 
rement à  une  opinion  d'abord  admise,  avaient  chacune  un  cœur 
distinct:  en  effet,  quand  Rita  devint  gravement  malade,  elle  eut 
environ  vingt  pulsations  de  plus  que  sa  jumelle.  A  ce  moment,  le 
nombre  des  mouvements  respiratoires  présenta  aussi  quelques  diffé- 
rences, mais  assez  peu  sensibles.  Les  deux  sœurs  éprouvaient  sépa- 
rément le  sentiment  de  la  faim,  mais  c'est  presque  toujours  ensemble 
qu'elles  sentaient  le  besoin  d'expulser  les  matières  fécales.  Cette 
différence  s'explique  par  la  disposition  de  leur  canal   alimentaire, 


Fig.  207.  —  Rita-Cristina.  Xyphodyme. 


32 i  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

double  jusqu'au  commencement  de  l'ileum.  Celte  particularité  nous 
fait  aussi  concevoir  comment  Rita  pouvait  subsister  avec  le  peu 
de  nourriture  qu'elle  prenait  :  Crislina,  qui  était  extraordinaire- 
ment  avide,  faisait  passer  dans  l'ileum  commun  plus  de  subs- 
tance nutritive  qu'il  ne  lui  en  fallait  à  elle-même  et  soutenait  ainsi 
sa  sœur. 

Millie- Christine.  —  Millie-Christine  naquit  en  1851  dans  un 
village  du  comté  de  Colombus  (Caroline  du  Nord);  le  père  était  mu- 
lâtre et  la  mère  négresse.  Lors  du  séjour  que  Millie-Christine  fît  à 
Paris,  les  docteurs  Robin  et  Tardieu,  chargés  d'aller  l'examiner, 
firent  un  rapport  qui  donna  lieu,  à  l'Académie  de  médecine,  à  une 
discussion  intéressante  que  nous  résumons  (1). 

«  L'être  double  dont  il  s'agit  »,  dit  M.  Tardieu,  «  est  en  réalité 
formé  de  deux  personnes  du  sexe  féminin,  originaire  de  la  Caroline  du 
Nord  et  actuellement  âgées  de  vingt-deux  ans.  Les  deux  têtes  sont 
volumineuses  et  présentent  au  plus  haut  degré  les  principaux  traits  de 
la  race  noire.  L'œil  est  vif,  le  regard  est  doux  et  intelligent;  l'expres- 
sion de  la  physionomie  mobile  est  tout  à  fait  personnelle  et  distincte 
chez  chacune  d'elles.  Le  tronc  est  complètement  séparé;  les  deux 
corps,  originellement  placés  dos  à  dos,  sont  exactement  réunis  par 
la  soudure  complète  du  sacrum.  La  réunion  n'a  pas  lieu  par  une  lan- 
guette de  chair,  ou  un  appendice  graisseux,  ou  un  prolongement  de 
la  peau,  mais  par  la  réunion  intime  des  deux  squelettes.  La  peau  du 
dos  se  réfléchit  de  l'un  sur  l'autre  individu  au  niveau  du  bord  supé- 
rieur du  sacrum,  et  la  main  portée  au  fond  de  l'intervalle  sent  très 
bien  la  configuration  et  la  résistance  de  la  surface  osseuse.  Mais  une 
disposition  fort  remarquable  se  présente  du  côté  de  la  colonne  verté- 
brale, dans  toute  la  partie  qui  est  au-dessus  du  point  où  a  lieu  la 
réunion.  Le  rachis  offre  une  double  incurvation  latérale  très  pro- 
noncée, qui  remonte  évidemment  aux  premiers  temps  de  la  vie,  et 
qui  est  due  aux  efforts  qu'ont  faits  les  deux  sœurs,  condamnées  à  se 
tourner  le  dos  éternellement,  pour  se  retourner  et  arriver  à  se  faire 
face  l'une  à  l'autre,  à  se  voir,  à  s'enlacer  comme  elles  font  faci- 
lement aujourd'hui.  Cette  déformation  delà  colonne  vertébrale  a  ré- 
duit beaucoup-là  taille  et  explique  en  partie  le  développement  incom- 
plet que  celle-ci  présenle. 

«  Dans  cette  partie  supérieure  du  corps  de  Millie-Christine,  les 
deux  troncs,  complètement  libres,  sont  pourvus  d'organes,  et  vivent 

(1)  De  Parville.  Causeries  scientifiques,  1873. 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


325 


d'une  vie  absolument  indépendante.  Nous  avons  eu  une  preuve  très 
piquante  et  singulièrement  marquée  de  la  séparation  absolue  de  leurs 
facultés  affectives  et  intellectuelles,  dans  un  incident  qui  s'est  pro- 
duit devant  nous.  Les  arguments  très  pressants  que  nous  employions 


Fig.  207.  —  Millie-Christine.  Figure  tirée  do  l'Illustration. 


pour  obtenir  d'étendre  notre  visite  jusqu'aux  parties  les  plus  cachées, 
repoussés  par  un  sentiment  de  pudeur  qui  n'avait  rien  déjoué,  avaient 
toutefois  semblé  toucher  et  presque  ébranler  l'une  des  deux  sœurs, 
lorsque  l'autre  manifesta  son  opposition  dans  une  sorte  de  querelle 


326  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

qui  s'établit  entre  les  deux  sœurs,  permettant  de  reconnaître,  au  son 
de  la  voix  et  aux  traits  du  visage,  la  différence  des  sentiments  et  de  la 
volonté  chez  l'une  et  chez  l'autre. 

«  Les  fonctions  organiques  ne  sont  pas  moins  séparées  et  dis- 
tinctes. Les  cavités  thoraciques,  à  part  la  déviation  du  rachis,  sont 
bien  conformées;  les  seins  et  l'attache  des  bras  sont  en  rapport  avec  la 
race.  Le  cœur  occupe  chez  chacune  d'elles  sa  place  normale.  Nous 
constations  même  que  les  deux  cœurs  ne  battent  pas  à  l'unisson,  et 
que  le  pouls  n'a  pas  la  même  vitesse  ni  les  mêmes  caractères  chez  les 
deux  sœurs.  De  même,  la  sensibilité  tactile  est  complètement  séparée 
dans  toute  la  partie  supérieure  du  corps  :  chacun  des  individus  reçoit 
et  perçoit  à  part  les  différentes  impressions. 

«  La  portion  élargie  du  squelette  du  bassin  reste  bien  conformée 
et  séparée.  Nous  avons  pu  suivre  avec  le  doigt  le  rebord  de  l'os  des 
îles,  dont  la  conformation  normale  est  d'ailleurs  attestée  par  l'articu- 
lation régulière  des  membres  inférieurs  sur  l'os  coxal.  Ceux-ci  sont 
au  nombre  de  quatre;  ils  se  meuvent  librement  et  non  sans  une  cer- 
taine élégance,  bien  que,  pour  chaque  couple,  il  y  ait  une  légère  iné- 
galité de  longueur  et  de  développement  entre  les  deux  jambes.  » 

A  ces  renseignements,  M.  le  docteur  Broca  ajouta  ceux-ci  : 

«  Les  quatre  jambes  ne  sont  pas,  en  effet,  égales  en  force  et  en 
longueur.  Le  mouvement  de  torsion  qui  s'est  produit  dans  les  co- 
lonnes vertébrales  et  à  la  faveur  duquel  les  deux  sœurs  ont  fini  par 
arriver  à  se  retourner  quelque  peu  l'une  vers  l'autre,  s'est  effectué 
dans  le  sens  qui  correspond  au  côté  gauche  de  Millie  et  au  côté  droit 
de  Christine;  de  sorte  que,  si  l'on  considère  chaque  sœur  isolément, 
il  y  a  deux  faces  extérieures  et  deux  lignes  médianes  ;  mais  si  l'on  con- 
sidère le  monstre  dans  son  ensemble,  on  peut  dire  qu'il  a  une  face  anté- 
rieure, constituée  par  le  côté  gauche  de  Millie  et  le  côté  droit  de  Chris- 
tine, et  une  face  postérieure  constituée  par  la  réunion  des  deux  autres 
faces  latérales.  On  peut  donc,  d'après  cette  convention,  dire  qu'il  y  a 
deux  jambes  antérieures  et  deux  jambes  postérieures;  les  deux  jam- 
bes antérieures  sont  celles  qui  correspondent  au  côté  vers  lequel  les 
deux  têtes  peuvent  se  retourner,  et  par  lequel  les  deux  sœurs  se  pré- 
sentent au  public;  c'est  aussi  de  ce  côté  qu'elles  marchent  de  préfé- 
rence. Or,  les  deux  jambes  antérieures,  ainsi  définies,  sont  notable- 
ment plus  faibles  et  plus  courtes  que  les  deux  autres,  d'environ 
0m,04.  Malgré  cette  différence  de  longueur,  les  quatre  pieds,  grâce  à 
l'inclinaison  des  bassins,  reposent  à  la  fois  sur  le  sol,  et  participent 
ensemble  aux  mouvements  très  remarquables,  très  symétriques  et  très 
gracieux  de  la  marche  et  de  la  danse.  M  ais  la  marche  est  possible 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  327 

sans  le  concours  des  pieds  antérieurs,  les  deux  sœurs  peuvent  mar- 
cher en  s'appuyant  exclusivement  sur  leurs  pieds  postérieurs,  en  pre- 
nant une  allure  que  l'on  peut  comparer  à  l'amble. 

«  Elles  n'ont  qu'un  anus,  et  le  rectum  est  simple,  au  moins  dans 
sa  partie  inférieure;  la  bifurcation  en  Y  qui  le  fait  communiquer  avec 
les  deux  tubes  digestifs  s'effectue  au-dessus  des  limites  que  l'on  a  pu 
atteindre.  L'anus  unique  (fig.  208)  est  situé  entre  les  membres  que 
j'ai  appelés  antérieurs.  Il  est  donc  sur  la  gauche  de  Millie  et  sur  la 
droite  de  Christine.  La  vulve  est  placée  horizontalement,  entre  les 
racines  des  quatre  membres,  sur  la  face  inférieure  des  bassins  réunis. 
Cette  vulve,  quoique  simple  en  apparence,  est  double  en  réalité.  Elle 
a  la  forme  d'une  fente  ou  d'une  ellipse  terminée  en  pointe  à  ses  deux 
extrémités;  à  chaque  extrémité,  un  clitoris;  il  y  a  donc  quatre  petites 


Fig.  208.  —  Millie-Christine.  Vue  de  l'anus  unique  et  de  la  vulve  double, 

lèvres,  mais  seulement  deux  grandes  lèvres,  faisant  le  tour  de  la 
vulve  et  correspondant  à  un  seul  vestibule.  Une  cloison  médiane, 
verticale,  antéro-poslérieure,  sépare  les  deux  appareils  génitaux. 

«  La  défécation  est  simultanée  chez  les  deux  sœurs;  on  comprend 
très  bien  pourquoi.  Elles  mangent  toujours  ensemble,  et  également, 
il  est  donc  tout  naturel  que  leurs  deux  digestions  parallèles  se  termi- 
nent en  même  temps.  On  sait  d'ailleurs  que  la  volonté  et  l'habitude 
permettent  de  régler,  dans  une  certaine  mesure,  le  moment  de  la  défé- 
cation. Il  y  a  des  personnes  qui  vont  très  régulièrement  à  la  garde- 
robe  tous  les  jours,  à  la  môme  heure,  et  si  l'on  arrive  à  ce  résultat 


328  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

par  des  motifs  de  convenance  personnelle,  il  est  très  naturel  que 
Millie  et  Christine  aient  pris  l'habitude  de  faire  coïncider  cette  fonc- 
tion, qui,  sans  cela,  aurait  tour  à  tour  été  infiniment  désagréable  à 
chacune  d'elles.  La  volonté  agit  avec  plus  d'efficacité  encore  sur  les 
fonctions  de  la  vessie,  puisque  l'on  peut  souvent  retarder  l'émission 
de  plusieurs  heures.  L'association  fonctionnelle  s'explique  donc  en- 
core ici  tout  naturellement  sans  que  l'on  soit  obligé  de  supposer  que 
les  deux  jumelles  ont  une  seule  vessie.  » 

A  ces  détails  scientifiques,  nous  en  ajouterons  quelques-uns  d'un 
autre  ordre.  Millie  et  Christine  ont  un  caractère  très  doux  et,  comme 
les  frères  Siamois,  s'accordent  très  bien  ensemble.  Elles  parlent  plu- 
sieurs langues  et  peuvent  tenir  séparément  une  conversation  en  un 
idiome  différent.  Elles  sont  bonnes  musiciennes  et  chantent  agréa- 
blement; Millie  a  une  voix  de  contralto,  Christine  une  voix  de  so- 
prano. Leurs  facultés  artistiques  ont  pu  les  faire  surnommer  le  ros- 
signol à  deux  têtes. 

Blanche  Dumas.  —  Blanche  est  née  en  1860,  à  Segry,  dans 
l'Indre;  la  figure  est  assez  agréable  mais  peu  intelligente,  elle  n'a 
d'ailleurs  jamais  pu  apprendre  à  lire  et  n'est  habile  que  dans  les  tra- 
vaux d'aiguille  ;  la  tête  et  le  torse  sont  normaux  ;  elle  a  une  jambe 
gauche  et  deux  droites  dont  l'une  présente  un  pied  légèrement 
déformé.  A  côté  de  la  jambe  surnuméraire,  il  existe  le  rudiment  d'une 
quatrième  jambe  en  avant  de  laquelle  se  trouve  une  mamelle  (fig.  209). 
Elle  a  deux  vulves  indépendantes.  Ce  cas  curieux  est  considéré  comme 
un  monstre  double  ayant  les  apparences  d'un  monstre  simple. 

Les  frères  Tocci.  —  Ce  monstre  est  né  en  1877,  à  Lacona,  dans 
la  province  de  Turin.  Les  deux  frères  ont  deux  têtes  bien  conformées, 
deux  paires  de  bras  et  deux  thorax  pourvus  de  tous  leurs  organes 
internes.  Mais,  à  partir  de  la  sixième  côte,  tout  leur  est  commun. 
C'est  ainsi  qu'ils  n'ont  qu'un  abdomen,  un  ombilic  et  un  anus,  une 
jambe  droite  et  une  jambe  gauche.  Leurs  organes  génitaux  se  com- 
posent d'un  pénis  avec  le  scrotum  correspondant  ;  mais,  en  arrière, 
on  aperçoit  les  rudiments  d'un  autre  organe  génital  mâle,  par  lequel 
s'échappe  quelquefois  un  peu  d'urine. 

Vus  parla  région  postérieure,  ces  enfants  présentent  deux  colonnes 
vertébrales,  deux  sacrums  et  trois  fesses.  Celle  du  milieu  est  évidem- 
ment le  résultat  de  la  fusion  de  [deux  fesses,  et  l'on  y  aperçoit  un 
anus  rudimentaire.  L'anus  vrai  sert  pour  les  deux  enfants.  La  jambe 
droite  obéit  à  la  volonté   du  jumeau  du  côté  droit,  qui  s'appelle 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES 


3-2!) 


Baptiste,  tandis  que  la  jambe,  terminée  par  un  pied  équin,  appartient 
au  jumeau  du  côté  gauche,  qui  s'appelle  Jacob.  Il  en  résulte  que  les 
deux  enfants,  sains  et  forts  cependant,  se  trouvent  dans  l'impos- 
sibilité de  marcher. 

Chaque  enfant  a  une  personnalité  distincte.  Parfois  l'un  pleure 
quand  l'autre  rit  ;  l'un  peut  dormir,  l'autre  restant  éveillé.  D'ordi- 
naire, ils  ont  la  tête  et  la  face  fortement  inclinés  de  côté,   l'un  à 


Fig.  203.  —  Clanjho  Dumas. 

droite,  l'autre  à  gauche;  mais  chacun  d'eux  peut  prendre  une  attitude 
presque  perpendiculaire  (1). 

L'homme-tronc.  —  Un  monstre  contemporain,  bien  connu  des 
badauds  qui  courent  les  fêtes  foraines  delà  banlieue  parisienne, c'est 
Y 1  tomme-tronc,  un  joyeux  compère  qui,  né  sans  bras  ni  jambes,  n'a 
pas  l'air  de  trop  en  vouloir  à  la  nature  de  son  inconcevable  parci- 
monie. Autant  de  moins  à  dépenser  pour  le  tailleur  et  le  cordonnier. 
Ecoutez  le  dernier  couplet  de  la  chanson  qu'il  distribue  : 


(1)  Presse  mèd,  belge. 


330 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Une  moitié  de  vêtement 

En  drap  d'Elbeuf  ou  de  Narbonne, 

Me  suffît,  messieurs,  largement  ; 

Je  le  trouve  pour  mon  tronc  bonne. 

Des  souliers  me  sont  superflus, 

Il  ne  faut  pas  de  pans  à  mes  jaquettes: 

Mais  ce  que  j'use  encore  le  plus, 

Ce  sont  des  gants  et  des  chaussettes! 


bis. 


Anatomiquement,  l'homme-tronc  a  deux  rudiments  de  cuisse;  le 
bras  gauche  manque  complètement  ;  le  bras  droit  est  représenté  par 
une  sorte  de  moignon  conique  long  de  vingt  centimètres  environ. 


Fig.  210.   —   L'hommc-tronc  en  train  d'cîcrire. 


C'est  ce  rudiment  de  bras  que  V artiste  utilise  ingénieusement  en 
l'apposant  à  sa  joue,  à  son  menton,  à  son  corps  pour  exécuter  une 
série  de  curieux  exercices.  L'affiche  de  l'artiste-tronc  donne  un 
résumé  exact  de  ses  talents  et  de  sa  biographie: 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  331 


L'ARTISTE-TROÏÏC 

LA  PLUS  GRANDE  MERVEILLE  DU  XIXe  SIÈCLE 

PIIÉXOJIÈ^E  UNICITE 

De  toutes  les  bizarreries  que  produit  la  nature,  la  plus  curieuse,  cer- 
tainement, est  ce  phénomène  extraordinaire,  qui  résout  ce  problème  de 


MANGER,  ÉCRIRE,  ROIRE  SANS  RRAS! 

ET   DE 

MARCHER,  SAUTER  SANS  JAMRES  ! 

10,000  Francs 


exécutés  par 


à  qui  prouvera  que  les  exercices 
FARTISTE-TROM  sont  dus  à  un  subterfuge  quelconque 


1.  Écrire  très  couramment;  •   t).   Couper  du  papier  avec  des  ciseaux  ; 

2.  Boucher  et  déboucher  une  carafe  ;  &,  7.  Enfiler  une  aiguille  ; 

3.  Verser  de  l'eau  dans  un  verre  ;  li  8.  Marcher,  courir,  sauter  avec  adresse  ; 
1.  Manger  avec  cuiller  et  fourchette;  ^J.  9.  Ouvrir  les  montres,  tirer  au  pistolet  ; 
5.  Calculer  sur  un  tableau;  t   10.  Peindre  et  dessiner,  etc.,  etc. 

TOUS  CES  EXERCICES  SONT  EXÉCUTÉS  SANS  L'AIDE  DE  PERSONNE 
NOTICE 

Est  le  fils  d'un  directeur  des  mines  de  Troizk,  en  Sibérie,  âgé  de 
trente-quatre  ans,  né  sans  bras  ni  Jambes,  marié  et  père  de  cinq 
enfants  bien  constitués.  Sa  taille  est  de  85  centimètres. 


L'ARTISTE-TRONC  a  obtenu  le  plus  grand  succès  partout  : 
à  Saint-Pétersbourg,  l'empereur  Alexandre  II  l'a  applaudi  ;  à 
Vienne,  il  a  été  félicité  par  l'empereur  d'Autriche,  etc. 

La  famille  de  l'ARTISTE-TRONC.  dont  l'apparition  ne  peut 
effrayer  personne,  sa  présence  produisant  une  joyeuse  admi- 
ration, ose  espérer  être  honorée  de  la  visite  des  personnes  les 
plus  convenables. 

E'S|rtiôte-lprone  parle  Brançaiô,  le  Huôôe, 
l'Sllcmand  et  la  lanque  Ifartare 

lisible  lotis  tes  Jours  fie  1  h.  à  7  /«.  et  tte  S  h.  à  tuhutil 


332 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Nous  avons  eu  l'honneur  de  nous  entretenir  amicalement  avec 
Kobelkoiï  qui  a  bien  voulu,  pour  nous,  se  faire  photographier  en  train 
d'écrire  (fig.  210).  De  plus,  nous  avons  obtenu  de  l'artiste  l'auto- 
graphe que  nous  reproduisons  ci-dessous  : 


t^ 


rtt^e)     -zs-ff-i-^a     ^-*-a<-&/     /?  -tu.   'C^é>>  ■ 


C'est,  comme  on  le  voit,  une  écriture  fort  régulière,  avec  de  belles 
volutes  aux  majuscules  et  un  paraphe  que  ne  désavouerait  pas 
l'illustre  élève  de  Brard  et  Saint-Omer  : 


Nulla  manus  trunco;  si  truncus  scribat,  aranti 
Membranam  calamis,  est  bene  docta  manus. 

Ce  tronc  n'a  point  de  main,  et  pourtant  quand  il  écrit 

Et  promène  la  plume  sur  le  papier,  ce  tronc  a  une  belle  main. 


Plusieurs  cas  analogues  ont  été  cités  par  les  auteurs,  mais  il  s'agit 
surtout  d'individus  privés  des  membres  supérieurs  et  dont  l'un  ou 
l'autre  moignon  avait  acquis  la  dextérité  d'une  main  : 

«  On  a  veu  »,  raconte  A.  Paré,  «  depuis  quelque  temps  en  ça,  à 
Paris,  un  homme  sans  bras,  aagé  de  quarante  ans  ou  environ,  fort 


ACCOUCHEMENTS  EXTRAORDINAIRES 


333 


et  robuste,  lequel  faisoit  presque  toutes  les  actions  qu'un  autre  pou- 
voit  faire  de  ses  mains  :  à  sçavoir  avec  son  moignon  d'espaule  et  la 
teste,  ruoit  une  coignée  contre  une  pièce  de  bois  aussi  ferme  qu'un 
autre  homme  eust  sceu  faire  avec  ses  bras.  Pareillement  faisoit 
cliqueter  un  foit  de  chartier,  et  faisoit  plusieurs  autres  actions: 
et  avec  ses  pieds  mangeoit,  beuvoit,  et  ioïioit  aux  cartes  et  aux  dez, 


Fig.  211.  —  Ectromfcle,  d'après  A.  Paré. 


ce  qui  est  démonstré  par  ce  portrait  (fig.  211).  A  la  fin  fut  larron, 
voleur  et  meurtrier,  et  exécuté  en  Gueldre,  à  sçavoir  pendu,  puis  mis 
sus  la  roue  (1).  » 

Il  y  a  quelques  années,  on  voyait  à  Paris  un  manchot  des  deux 
bras  qui  se  servait  de  ses  pieds  pour  écrire  et  pour  coudre,  après 
avoir  lui-même  taillé  sa  plume  ou  enfilé  son  aiguille.  Un  autre,  écri- 


(1)  En  1829,  on  exécuta,  dans  la  Vendée,  Nicolas  Seguineau,  une  sorte  de  cul- 
de-jatte  possédant  d'un  côté  un  rudiment  de  jambe,  et  de  l'autre  un  pilon  en  bois 
qui  l'aidait  à  marcher  avec  deux  béquilles  ;  il  commit  plusieurs  assassinats  qui 
avaient  jeté  la  terreur  dans  le  pays,  et  ce  mendiant,  se  traînant  de  hameau  en 
hameau,  était  le  seul  qu'on  ne  soupçonnait  pas.  Pour  accomplir  son  crime,  il 
s'asseyait  au  pied  d'un  arbre,  débouclait  les  courroies  qui  retenaient  sa  jambe  do 
bois  et  visait  sur  sa  victime  avec  un  fusil  dissimulé  dans  sa  quille. 


33: 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


vait  avec'un  porlc-plume  fixé  dans  le  creux  de  son  nombril.  Enfin, 
Louis'Ducornet  et  Charles  Felu,  tous  les  deux  privés  de  bras,  se 
sont  acquis  une  certaine  célébrité  en  peignant  à  l'aide  de  leurs  pieds. 
On  sait  que  le  premier  exécuta  la  peinture  de  la  voûte  de  St-Jacques- 
du-Haut-Pas,  couché  sur  un  matelas. 


Fig.  212.  —  Squelelte  de  phocomèle. 


Dans  cette  galerie  de  malformations  des  membres,  peut  encore 
figurer  cet  individu  qui  a  son  squelette  au  Musée  Dupuytren 
^fig.  212),  et  dont  les  membres  thoraciques  sont  réduits  aux  mains 
et  les  membres  abdominaux  aux  pieds  ;  anomalie  faisant  ressembler 
cet  être  humain  à  certains  animaux  aquatiques. 


•ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  335 

Diverses  questions   relatives  aux  monstruosités.  — 

Quelle  cause  produit  les  monstres?  La  colère  des  dieux,  si  l'on  en  croit 
les  anciens,  leur  volonté  de  présager  quelque  malheur  ;  Tacite  dit 
sérieusement  que  la  mort  de  Claude  fut  annoncée  par  la  naissance 
de  monstres  doubles.  A  Sparte,  on  se  débarrassait,  sans  façon,  de  ces 
citoyens  manques  et  l'on  pensait  ainsi  détourner  le  présage.  Les  Athé- 
niens et  les  Romains  s'empressaient,  en  cas  de  naissance  monstrueuse, 
de  faire  des  prières  publiques  accompagnées  de  sacrifices.  En  Orient, 
au  contraire,  on  paraît  avoir  vénéré  certains  monstres  ;  ainsi  en  Chal- 
dée,  un  enfant,  naissant  avec  six  doigts  à  la  main  droite,  devait  néces- 
sairement être  un  guerrier  vainqueur. 

Au  XVIe  siècle,  le  bon  Ambroise  Paré  en  est  encore  à  Vire  de  Dieu, 
comme  cause  de  la  production  des  monstres;  il  est  vrai  qu'il  y  ajoute, 
avec  Empédocle,  la  trop  grande  quantité  de  semence;  mais  ce  à  quoi 
n'avait  pas  songé  le  philosophe  grec,  il  fait  intervenir  l'influence 
directe  des  démons.  Les  comètes  ont  aussi  été  accusées  de  ces  méfaits 
et  de  bien  d'autres.  «  C'est  une  chose  honteuse  pour  l'esprit  humain  » , 
dit  Maupertuis,  «  de  voir  de  grands  médecins  traiter  les  comètes 
comme  des  abcès  du  ciel,  et  prescrire  un  régime  pour  se  préserver  de 
leur  contagion  ».  Ne  rions  pas  de  nos  pères:  depuis,  n'avons-nous 
pas  vu  Raspail  affirmer  que  les  épidémies  sont  dues  à  l'existence  d'une 
comète  visible  ou  non  à  l'horizon?  L'absurdité  humaine  est  inépui- 
sable. On  a  encore  attribué  la  production  des  monstres  à  l'influence 
d'une  fécondation  opérée  sous  le  signe  des  gémeaux.  On  trouve  rap- 
portée sérieusement,  dans  plusieurs  anciens  ouvrages,  l'histoire  d'une 
femme  qui,  ayant  conçu  sous  ce  signe,  donna  naissance  à  la  fois  à 
quatre  monstres  dont  trois  étaient  doubles. 

La  conception  au  moment  des  règles  a  passé  longtemps  pour  pro- 
duire des  monstres,  comme  nous  l'apprend  le  quatrain  suivant  : 

Femmes  qui  désirez  de  la  progéniture, 
Durant  le  cours  des  mois  respectez  la  nature  ; 
Le  fils  de  Jupiter,  Vulcain,  ainsi  conçu, 
Vint  au  monde  impotent,  cul-de-jatte  et  bossu. 

Il  est  vrai  que  d'autres  auteurs  attribuent  la  difformité  de  Vulcain 
à  l'ébriété  dans  laquelle  se  trouvait  Jupiter  au  moment  où  il  engen- 
drait le  dieu  du  feu. 

L'accouplement  de  l'homme  ou  de  la  femme  avec  quelque  animal 
était  une  explication  commode  de  certaines  monstruosités,  soit  physi- 
ques, soit  morales.  A  quiconque  admettait  la  fécondité  de  telles  unions, 


33G  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

la  naissance  du  Minotaure  pouvait  sembler  fort  possible  ;  nous  avons 
déjà  cité  quelques  exemples  semblables. 

Riolan,  le  premier,  nous  l'avons  dit,  eut  le  courage  do  s'attaquer  à 
cette  superstition  qui  voyait  des  présages  funestes  dans  la  naissance 
des  monstres,  et  de  nier  leur  origine  bestiale,  Dans  un  Mémoire  sur 
deux  jumelles  ou  agrippines,  réunies  parla  poitrine,  il  conclut  qu'elles 
ne  doivent  pas  être  sacrifiées.  Après  s'être  demandé  ce  que  les  agrip- 
pines pourraient  bien  présager:  «  Je  n'en  sais  rien,  »  dit-il;  «et quant 
à  moi,  je  ne  crains  rien  ;  ce  que  je  sais  cependant,  c'est  que  ces  jumelles 
ont  été  une  source  de  félicité  pour  leurs  parents,  qui,  avec  elles,  font 
tous  les  jours  une  quête  fort  plantureuse  ».  Et  cependant,  en  1745,  le 
chanoine  Cangiamila  admettait  encore,  pour  cause  de  la  production 
des  monstres,  «  l'œuf  d'un  animal  qui  fortuitement  pénètre  dans  le 
sein  d'une  femme  ».  Il  y  joint  d'ailleurs  «  la  scélératesse  de  la  mère» 
et-«  la  fantaisie  maternelle  ».  Cette  dernière  cause,  l'influence  de 
l'imagination  de  la  mère,  est  peut-être  celle  qui  a  été  le  plus  souvent 
invoquée  pour  expliquer  la  production  des  monstres,  et  on  a  cité  à 
l'appui  de  nombreux  exemples  qui  ont  pu  en  imposer  aux  esprits  non 
prévenus  (1). 

On  a  attribué  la  naissance  d'Hélène  et  Judith  à  l'influence  de  l'ima- 
gination de  leur  mère,  frappée,  vers  le  commencement  de  la  grossesse, 
de  la  vue  de  deux  chiens  accouplés.  Ce  spectacle  se  présente  assez 
souvent  dans  les  rues  aux  yeux  des  femmes  enceintes,  et  cepen- 
dant le  nombre  des  monstruosités  doubles  est  fort  restreint.  S'il 
est  vrai  qu'un  violent  ébranlement  moral  produise  sur  l'embryon  un 
trouble  fonctionnel  qui  peut,  à  la  rigueur,  se  traduire  par  un  vice  de 
conformation  tel  que  l'anencéphalie,  le  plus  souvent  les  anomalies  de 
développement  sont  le  résultat  de  l'hérédité  ou  de  chocs  violents  sur 
l'abdomen. 

En  Irlande,  les  canons  de  l'Eglise  interdisaient  le  coït  le  dimanche, 
sans  quoi  on  s'exposait  à  procréer  des  monstres  ou  des  lépreux.  Nous 
avons  vu  que  dans  ce  même  pays,  comme  du  reste  dans  les  autres 
contrées  du  Nord,  les  monstres  passent  pour  des  enfants  des  fées 
qu'elles  substituent  aux  autres. 

Les  monstruosités  soulèvent  d'autres  questions  intéressantes. 

Ainsi  l'on  croit  généralement  que  l'expulsion  des  monstres  (fig.  213) 
est  très  pénible.  Il  n'en  est  rien,  parce  que,  en  général,  les  monstres 
doubles  naissent  avant  terme,  comme  pour  les  couches  gémellaires  ; 
quant  aux  monstruosités  unitaires,  à  l'exception  des  cas  d'hydrocé- 

(1)  V.  Erreurs  et  Préjugés,  p.  109. 


ACCOUCHEMENTS    EXTRAORDINAIRES 


337 


phalie  (fig.  214,  215),  d'ascite  ou  de  rétention  d'urine  (fi g.  216)  qui 
nécessitent  souvent  l'intervention  du  chirurgien,  l'accouchement  se 
fait  normalement  ou  même  plus  facilement,  surtout  s'il  y  a  absence 
de  la  tête  ou  d'une  autre  extrémité,  comme  pour  l'homme-tronc,  le 
volume  du  corps  étant  diminué  d'autant. 


Fig.  213.  —  Xaissance  d'un  monstre  thoraeopage. 

Ailleurs  (1)  nous  avons  parlé  des  discussions  soutenues  au  sujet  du 
baptême  des  monstres,  et  nous  avons  vu  qu'il  est  de  règle  de  consi- 
dérer le  nombre  des  monstres  en  raisonne  celui  de  leurs  têtes  :  quot 
capita  lot  monstra.  Au  point  de  vue  de  l'état  civil,  un  être  double 
doit-il  être  regardé  comme  unique  ou  double?  lui  donnera-t-on  un  ou 
deux  noms?  pourra-t-il  hériter  ou  tester?  lui  sera-t-il  permis  de  se 
marier?  (21. 


(1)V.  page  137. 

(2)  Nous  nous  rappelons  qu'au  moment  du  séjour  de]  Millie-Christine  en  France, 
on  souleva  une  question  de  chemin  de  fer.  Le  Rossignol  à  deux  têtes  devait-il  payer 
une  place  ou  deux  places?  Que  si  l'état  civil  nous  dit  :  quot  capita  tôt  homines, 
les  compagnies  peuvent,  de  leur  côté,  prétendre  que  quot  culi  tôt  sedes. 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS.  22 


338 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


Nous  l'avons  dit,  tout  monstre  double  à  deux  têtes  est  considéré 
comme  deux  individus  ;  tout  monstre  à  une  seule  tête,  aurait-il  deux 
corps,  n'est  regardé  que  comme  un  seul  être.  Les  monstres  peuvent 
tester,  ils  peuvent  hériter  et  se  marier.  Dans  ce  dernier  cas,  la  mons- 
truosité ne  se  transmet  pas  nécessairement  aux  enfants.  Ces  ques- 
tions relatives  au  mariage  des  monstres  ont  servi  de  donnée  à  un 
roman  curieux  de  Pisrault-Lebrun. 


Fig.  214.  —  Hydrocéphale. 

La  nombreuse  progéniture  des  frères  Siamois,  indemne  de  toute 
difformité,  prouve  suffisamment  que  les  monstruosités  ne  sont  pas 
héréditaires  ;  il  n'en  est  pas  de  même  des  vices  de  conformation  tels 
que  le  bec-de-lièvre,  le  pied-bot,  les  doigts  supplémentaires  ou  pal- 
més. Une  jeune  fille  enceinte,  citée  par  Grawford,  accusait  un  homme 
sexdigitaire  qui  protestait  de  son  innocence  :  mais  elle  accoucha  de 
deux  jumelles  dont  les  mains  présentaient  chacune  dix  doigts. 


Monstres  artificiels.  —  On  peut  faire  des  monstres,  non  pas 
seulement  des  monstres  de  laideur,  comme  Quasimodo  ou  la  victime 
des  Gomprachicos,  V Homme  qui  rit,  de  Victor  Hugo,  mais  des  mons- 
tres au  sens  scientifique  du  terme.  Pline  vit  conservé  dans  du  miel  un 
centaure  venu  d'Egypte  ;  c'était  sans  doute  le  chef-d'œuvre  d'un  mys- 
tificateur. La  dent  d'or  avec  laquelle  l'enfant  de  Schweidnitz  était 


ACCOUCHEMENTS  EXTRAORDINAIRES 


339 


venu  au  monde  rentre  dans  la  catégorie  de  ces  mystifications  (1). 
Jacques  Hortius  a  expliqué  ce  prétendu  phénomène  par  l'influence 
des  constellations  qui  avaient  présidé  à  la  naissance  de  l'enfant. 


Fig.  215.  —   Fœtus    hyilrûcéphalique   (Yrolik) 


(1)  Voici  ce  qu'écrit  Fontenelle  au  sujet  de  cette  supercherie  :  «  En  1593,  le  bruit 
courut  que  les  dents  étant  tombées  à  un  enfant  de  Silésie,  âgé  de  sept  ans,  il  lui 
en  était  venu  une  d'or  à  la  place  d'une  de  ses  grosses  dents.  Hortius,  professeur  en 
médecine  dans  l'université  de  Helmstœdt,  écrivit  en  1595  l'histoire  de  cette  dent,  et 
prétendit  qu'elle  était  en  partie  naturelle,  en  partie  merveilleuse,  et  qu'elle  avait 
été  envoyée  de  Dieu  à  cet  enfant,  pour  consoler  les  chrétiens  affligés  par  les  Turcs. 
Figurez-vous  quelle  consolation,  et  quel  rapport  de  cette  dent  aux  chrétiens,  ni  aux 
Turcs.  En  la  même  année,  afin  que  cette  dent  d'or  ne  manquât  pas  d'historiens, 
Rolland  us  en  écrit  encore  l'histoire.  Deux  ans  après,  Ingolsteterus,  autre  savant, 


3i0 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


L'enfant,  disait-il,  naquit  le  22  décembre  1586,  époque  où  le  soleil 
se  trouvait  en  conjonction  avec  Saturne  dans  le  signe  du  bélier;  cette 
circonstance  détermina  une  augmentation  considérable  de  chaleur,  et 
accrut  la  force  nutritive  à  tel  point,  qu'au  lieu  d'une  substance  osseuse, 
ce  fut  de  l'or  qui  se  trouva  sécrété. 

Les  habitués  de  la  Cour  des  miracles  étaient  passés  maîtres  dans 
la  confection  des  difformités  et  monstruosités  humaines.  A  leur  exem- 
ple, les  bateleurs  obtiennent  un  faux  hydrocéphale  en  insufflant  de 


Fig.  216.  —  Rétention  d'urinu  chez  le  fœtus. 

l'air  sous  le  cuir  chevelu  d'un  enfant.  Qui  ne  connaît  l'histoire  des 
rais  à  trompe?  On  sait  que,  par  l'autoplastie,il  est  possible  de  souder 
une  partie  du  corps  détachéed'un  point,  sur  un  autre.  C'est  ainsi  que 
Brinon,  ancien  prosecteur  de  Gratiolet,  souda  quelques  centimètres 
de  la  queue  de  plusieurs  rats  au  bout  de  leur  museau  et  il  les  appela 
des  rais  à  trompe  du  Sahara.  M.  Bory  de  Saint-Vincent,  considérant 


écrit  contre  le  sentiment  de  Kollandus,  qui  fait  aussitôt  une  belle  et  docte  réplique. 
Un  autre  grand  homme,  nommé  Libavius,  ramasse  tout  ce  qui  avait  été  dit  de  la 
dent,  et  y  ajoute  son  sentiment  particulier.  Il  ne  manquait  autre  chose  à  tant  de 
beaux  ouvrages,  sinon  qu'il  fût  vrai  que  la  dent  était  d'or.  Quand  un  orfèvre  l'eut 
examinée,  il  se  trouva  que  c'était  une  feuille  d'or  appliquée  à  la  dent  avec  beau- 
coup d'adresse  ;  niais  on  commença  par  faire  des  livres  et  puis  on  consulta  l'or- 
fèvre. )) 


ACCOUCHEMENTS   EXTRAORDINAIRES  341 

ces  monstruosités  comme  authentiques,  en  acheta  une  paire  trois 
cent  francs,  avec  l'intention  de  propager  cette  curieuse  espèce.  «  Mais 
hélas  !  »  dit  Joulin,  «  dès  la  première  génération,  il  s'aperçut  que  ses 
pensionnaires  avaient  été  victimes,  et  lui  aussi,  d'une  opération... 
commerciale.  Les  petits  n'avaient  pas  besoin  de  cornac,  ils  étaient 
dépourvus  de  trompe  !  ».  Dans  la  notice  biographique  que  nous  con- 
sacrerons à  cet  accoucheur,  on  pourra  lire  une  histoire  bien  amu- 
sante, mais  purement  fantaisiste,  d'une  épidémie  d'anencéphales. 


CHAPITRE  IV 


MŒURS  ET  COUTUMES  OBSTÉTRICALES 


On  a  accouché,  on  accouche,  on  accouchera  ;  le  verbe  se  conju- 
guera aussi  longtemps  que,  par  le  monde,  se  conjugueront  les  sexes. 
Mais  dans  quelle  posture  accouchait-on  jadis?  Dans  quelle  posture 
accouche-t-on  aujourd'hui  sous  les  diverses  latitudes?  Cette  question 
d'ethnologie  méritait  d'être  étudiée.  Elle  l'a  été  par  différents  auteurs, 
principalement  par  Rigby  (1),  Victor  Legros  (2),  Henri  Ploss  (3), 
Goodell  (4)  et  Georges  Engelmann  (5)  dont  l'ouvrage  fut  traduit  par 
M.  Paul  Rodet,  en  son  français  (6).  Entre  la  version  de  M.  Rodet 
et  notre  chapitre,  le  lecteur  pourra  trouver  des  points  de  ressem- 
blance. A  ce  propos,  nous  ferons  remarquer  qu'avant  cette  dernière 
publication,  nous  avions  écrit  à  l'auteur  original  pour  lui  demander 
l'autorisation  de  reproduire  son  travail,  paru  dans  les  Gynecological 
transactions,  et  dont  nous  avions  confié  la  traduction,  dès  1883,  à  un 
érudit,  M.  Victor  Gérard  ;  le  docteur  américain  mit  six  mois  à  nous 
répondre.  11  est  vrai  que  Saint-Louis,  sur  le  Mississipi,  est  loin  de  Paris. 
D'autre  part,  M.  Rodet  n'ignorait  pas  que,  pour  notre  Histoire  des 
Accouchements,  en  préparation  depuis  plusieurs  années,  nous  avions 
tiré  parti  des  observations  d'Engelmann:  avant  l'impression  de  son 


(1)  Médical  Times  and  Gazette,  1857. 

(2)  De  la  position  de  la  femme  pendant  l'accouchement  (Gazette  des  hôpitaux, 
1864). 

(3)  Ueberdie  Lage  und  Steïlung  der  Frau,  Wakrend  der  Oehuvt  bel  verschicdcnen 
Vôlliem.  Leipsick,  1872. 

(4)  Some  ancientes  Methods  of  Delivery.  American  journal  of  obstetrics,  1872. 

(5)  Labor  among  primitive  People  showing  the  development  of  the  obstetric  science 
of  to  day,  front  the  natural  and  instruction  customs  of  ail  Races,  1880.  Le  doct. 
C.  Hennig  en  a  donné  une  traduction  allemande.  Vienne,  1884. 

(6)  La  pratique  des  accouchements  chez  les  peuples  primitifs,  chez  J.-B.  Baillière 
et  fils,  1886.  Le  docteur  E.  Verrier  a  aussi  étudié  cette  question  en  détail,  dans  ses 
Leçons  sur  V accouchement  compare  dans  les  races  humaines,  1886, 


MOEURS   ET   COUTUMES  3i3 

travail,  au  cours  d'une  conversation  chez  notre  éditeur,  nous  avions 
cru  pouvoir  le  lui  confier.  La  confidence  ne  fut  pas  réciproque; 
M.  Rodet,  par  sa  discrétion  exagérée,  a  donné  une  fois  de  plus  raison 
au  proverbe  italien  :  tvaduttore,  traditore. 

Après  les  postures,  nous  avons  traité  (tes  coutumes  singulières 
et  des  idées  superstitieuses  chez  tous  les  peuples.  C'est  comme 
un  complément  de  notre  chapitre  sur  les  Erreurs  et  préjugés  popu- 
laires en  obstétrique.  De  plus,  nous  signalons  les  particularités 
curieuses  que  présentent  les  règlements  des  diverses  Maternités  de 
l'Europe  ;  nous  disons  aussi  quelques  mots  du  mode  d'allaitement 
propre  à  chaque  pays,  ainsi  que  de  la  fréquence  plus  ou  moins  grande 
des  avortements  qui  s'y  pratiquent.  Les  documents  rassemblés  dans 
ce  paragraphe  sont  fort  nombreux  ;  pour  plus  d'exactitude,  nous  avons 
d'ordinaire  conservé  le  texte  même  de  l'auteur  dans  lequel  nous  les 
avons  puisés.  C'est  la  partie  la  plus  longue  de  ce  chapitre  ;  ce  n'est 
pas  la  moins  intéressante,  croyons-nous. 

Pour  finir,  nous  avons  réuni  dons  une  dernière  section,  tous  les 
renseignements  qui  se  rattachent  plus  particulièrement  à  la  profession 
obstétricale  :  on  y  trouvera  les  statuts  et  prérogatives  des  accoucheurs 
et  des  sages-femmes  depuis  l'antiquité  jusqu'à  nos  jours,  et  des  études 
sur  les  mœurs  professionnelles  de  la  corporation.  On  nous  pardon- 
nera, nous  l'espérons  du  moins,  quelques  irrévérencieuses  critiques 
qui  ont  échappé  à  notre  plume.  Enfin,  nous  offrons  aux  amateurs 
d'imageries  populaires,  un  petit  musée  des  enseignes  obstétricales; 
la  collection  des  réclames  de  ce  genre  dénote,  chez  nos  matrones,  un 
penchant  prononcé  pour  la  peinture  facétieuse. 


POSTURES   PRISES   PENDANT   L  ACCOUCHEMENT 


A.   —  ANTIQUITÉ 

Inde  et  Egypte  antiques.  —  Autrefois,  en  Egypte,  d'après 
plusieurs  témoignages  archéologiques  (fig.  217,  218),  les  femmes 
devaient  accoucher  agenouillées  sur  le  sol  et  assises  sur  leurs  talons. 
Cependant,  un  bas-relief  du  temple  de  Louqsor  nous  montre  la  reine 
Mout-em-ouat  venant  d'accoucher,  soutenue  par  les  déesses  Hat- 
Hor  et  assise  sur  un  trône,  au-dessus  d'un  vaste  lit  à  tête  et  à  pieds  de 


344 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


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lion  (fig.  29)  ;  ce  qui  donnerait  à  penser  que  les  égyptiennes  accou- 
chaient aussi  sur  un  siège. 

Dans  l'Inde  ancienne,  on  faisait  coucher  la 
patiente  sur  un  lit  moelleux,  et  elle  devait  y 
être  maintenue  les  jambes  écartées  «  par  quatre 
femmes  courageuses,  d'un  âge  mûr,  habituées  à 
voir  des  accouchements,  et  qui  avaient  le  soin  de 
rogner  leurs  ongles  ».  Ce  renseignement  nous 
est  fourni  par  V Ayurvedas  de  Susruta,  qui  fait 
partie  du  quatrième  Veda,  et  remonte  au  moins 
à  mille  ans  avant  Jésus-Christ. 


Fig.  217.  —  Hiéroglyphe, 
exprimant  l'idée  enfanter. 


Attitude  des  femmes  des  Hébreux.  —  Par  suite  d'une 
mauvaise  interprétation  de  certains  passages  de  la  Bible,  on  a  tiré 
des  conclusions  fausses  sur  la  position  que  prenaient,  pour  accoucher, 
les  femmes  des  Hébreux.  Nous  avons  déjà  rappelé  l'ordre  donné  par 
le  Pharaon  à  Sciphra  et  Puha,  sages-femmes  d'Israël.  «  Quand  vous 


Fig.  218.  —  Accouchement  de  Cliiopàtre,  d'après  un  has-relief  du  temple  d'Esneh. 


recevrez  les  enfants  des  femmes  des  Hébreux,  et  que  vous  les  verrez 
sur  le  siège,  si  c'est  un  fils,  mettez-le  à  m.ort...  »  De  cette  indication  : 
Quand  vous  les  verrez  sur  le  siège,  certains  auteurs  ont  voulu  induire 
que  les  Juives  accouchaient  assises  sur  une  chaise  ad  hoc,  analogue 
à  celle  qui,  autrefois,  était  en  usage  en  Allemagne  (fig.  240).  Comme 
toujours,  un  érudit  a,  pour  tout,  une  explication  sous  la  main,  on 
ajoutait  que  cette  coutume  obstétricale  était  une  importation  juive 
dans  le  pays  de  Luther.  Cahen,  Resdale  et  Siebold  pensent  que  le 
siège  indique  la  partie  de  l'enfant  que  les  sages-femmes  devaient 
examiner  pour  s'assurer  de  son  sexe.  Suivant  Kotelmann,  le  mot 


MOEURS   ET   COUTUMES  345 

hébreu  ebnaim  (1)  ne  signifie  pas  siège,  mais  pierre,  et  les  Arabes 
ont  encore  l'habitude  de  s'asseoir  sur  des  pierres  pour  accoucher.  Vater 
croit  que  ce  siège  n'était  autre  qu'un  bain  de  siège,  nous  ne  parta- 
gerons pas  cet  avis.  Malgaigne,  dans  ses  Lettres  sur  l'histoire  de  la 
chirurgie,  suppose,  avec  assez  de  vraisemblance,  qu'il  s'agit  du  siège 
ordinaire  de  la  femme  et  non  d'une  chaise  spéciale. 

Ailleurs,  le  texte  sacré  dit  :  quand  la  femme  de  Phinéès  accouche, 
elle  se  courbe.  D'après  le  lexique  hébreu  de  Genesius,  le  verbe  que 
nous  rendons  par  se  courber,  signifierait  en  réalité  se  mettre  à  genoux, 
posture  que  les  Juives  auraient  prise  pour  accoucher.  Cette  opinion 
semble  corroborée  par  un  autre  passage  de  l'ancien  Testament,  dans 
lequel  Job  s'écrie:  «  Pourquoi  les  genoux  étaient-ils  contre  moi?  » 
Ce  qui  signifie  :  «  Pourquoi  les  genoux  de  ma  mère  restent-ils  rigides 
et  m' étranglent-ils  en  naissant? ».  D'autres  commentateurs  ont  vu 
dans  le  «  elle  se  courbe  »  la  preuve  que  les  femmes  des  Hébreux 
s'accroupissaient  pour  accoucher,  comme  on  le  fait  aujourd'hui  en- 
core en  Orient.  Mais,  suivant  toute  vraisemblance,  la  femme  de 
Phinéès,  saisie  par  la  triste  nouvelle,  s'affaissa  sur  elle-même  et 
accoucha.  Cet  accouchement  est  accidentel  et  ne  saurait  donner  au- 
cune indication  sur  la  position  prise  ordinairement. 

Le  Dr  F.  Imbert  induit  d'autres  passages  que  la  femme  en  travail 
se  plaçait  sur  les  genoux  de  son  mari  ou  d'une  autre  personne  :  «  Ut 
pariât  super  genua  mea[2),  dit  Rachel  ;  Natisunt  ingenibus  Joseph  (3), 
lit-on  ailleurs  à  propos  des  enfants  de  ce  patriarche.  Les  commenta- 
teurs ont  dit  qu'il  y  avait  là  une  figure.  Valable  a  traduit  :  Ut  acci- 
piam  puerum  in  gremio  meo.  Tout  cela  est  vrai,  mais  un  sens  figuré 
suppose  un  sens  littéral  ;  sans  cela,  il  serait  inintelligible.  Que  signi- 
fierait la  formule,  je  vous  embrasse,  par  laquelle  on  termine  une  lettre 
à  un  ami,  si  l'usage  n'était  pas  de  s'embrasser  en  signe  d'amitié?  Je 
dis  même  que  ces  mots  :  Natisunt  in  genibus  Joseph,  n'auraient  point 
de  sens,  si  l'usage  n'avait  pas  été  d'accoucher  sur  les  genoux  de  quel- 
qu'un ». 

Nous  ne  discuterons  pas  sur  le  plus  ou  moins  de  commodité 
que  peut  présenter  la  posture  indiquée.  Nous  constaterons  seule- 
ment que  l'auteur  a  tiré  de  la  rhétorique  un  argument  au  moins 


(1)  Le  nom  abenim,  que  les  Egyptiennes  donnent  au  fauteuil  qu'elles  emploient 
encore  de  nos  jours  pour  accoucher,  se  rapproche  un  peu  de  ce  mot  hébreu  dont  il 
est  l'anagramme  ;  nous  ne  savons  trop  ce  que  penserait  la  philologie  sémitique 
d'un  tel  argument;  il  nous  paraît  bien  maigre. 

(2)  Qen.  XXX,  3. 

(3)  Gcn.  L,  22. 


3'i6  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


étrange.  Un  sens  figuré,  nous  dit-il,  suppose  un  sens  littéral  ;  anté- 
rieurement, soit  ;  mais  par  ce  fait  même  que  vous  usez  de  figure,  le 
sens  propre  a  disparu.  J'ai  été  élevé  sur  les  genoux  de  l'Eglise:  est-ce 
une  raison  pour  que  l'Eglise  soit  un  être  muni  de  ces  articulations 
unissant  la  jambe  et  la  cuisse,  et  que,  cette  articulation  étant  ployée, 
j'aie  assis  mon  siège  sur  sa  partie  antérieure?  Et  puis  d'ailleurs, 
pour  raisonner  sur  la  valeur  d'une  métaphore,  encore  faudrait-il  con- 
naître la  langue  dans  laquelle  elle  a  été  employée.  Or,  le  docteur 
Imbert  connaissait-il  l'hébreu  ?  Pas  plus  que  nous,  je  suppose.  Et 
qu'est-ce  que  la  traduction  d'une  métaphore?  La  photographie  inexacte 
d'un  tableau  expressif.  Lemaistre  de  Sacy  qui  était,  non  pas  un  méde- 
cin soucieux  de  soutenir  un  paradoxe  biblico-médical,  mais  un  fort 
orientaliste,  interprète  ce  passage  de  façon  à  enlever  toute  équivoque  : 
«  RacJiel  ajouta:  fai  Bala  ma  servante;  allez  à  elle  afin  que  je  reçoive 
sûr  mes  genoux  ce  quelle  enfantera,  et  que  j'aie  des  enfants  d'elle  ». 
Quant  au  passage  où  il  est  question  des  genoux  de  Joseph,  il  est  plus 
net  encore,  s'il  est  possible:  «  Machir,  fils  de  Manassé,  eut  aussi  des 
enfants  qui  furent  élevés  sur  les  genoux  de  Joseph  ». 

D'un  autre  passage  de  la  Bible,  on  a  voulu  conclure  que  les  femmes 
des  Hébreux  accouchaient  debout  :  Jérémiedit  aux  Hébreux  :  «  Pour- 
quoi vois-je  tout  homme  ayant  les  mains  sur  les  reins  comme  une  femme 
en  travail?  (1)  »;  mais  ce  passage  fait  plutôt  allusion  à  l'habitude 
qu'ont,  encore  de  nos  jours,  les  femmes  de  se  promener  dans  la  chambre, 
pendant  le  travail,  les  mains  sur  les  hanches.  Ainsi  donc,  par  ces  inter- 
prétations variées  des  livres  sacrés,  on  a  fait  accoucher  successivement 
les  Juives,  assises  sur  une  chaise  spéciale,  sur  une  pierre  ou  sur  les 
genoux  d'un  aide,  à  genoux,  accroupies  et  enfin  debout.  En  réalité, 
les  documents  sont  insuffisants  pour  établir  dans  quelle  posture 
accouchaient  les  femmes  des  Hébreux. 

Comment  accouchaient  les  Grecques  anciennes.  —  Les 

femmes  de  l'Hellade  primitive  semblent  avoir  souvent  accouché  à 
genoux,  le  corps  incliné  en  avant,  à  la  façon  dont  l'hymne  homérique 
à  Apollon  Délien  nous  représente  Léto  (fig.  10). Plus  tard,  cette  attitude 
fut  réservée  surtout  aux  femmes  obèses;  mais,  dans  les  cas  ordinaires, 
les  Grecques  prenaient  la  position  horizontale  sur  un  lit.  Moschion 
recommande  seulement  à  la  sage-femme  de  ne  pas  se  placer  en  face 
de  la  parturiente,  de  crainte  d'alarmer  sa  pudeur,  ce  qui  pourrait 
«  fermer  les  passages  ». 

(1)  Je  vernie,  ch.  XXX,  v.  6. 


MOEURS    ET    COUTUMES 


3i7 


Pour  les  couches  laborieuses,  Ilippocrale  conseillait  une  manœuvre, 
appelée  depuis  la  succussion  hippocratique  (fig.  219)  :  «  On  étendra  », 
écrit-il,  «  un  linge  par-dessous  la  femme  couchée  sur  le  dos,  et  on 
jettera  un  autre  linge  pour  cacher  la  vulve  ;  chaque  jambe  et  chaque 
bras  seront  enveloppés  d'un  linge.  Deux  femmes  saisiront  les  jambes, 
et  deux  autres  femmes  saisiront  les  bras;  alors,  tenant  fermement, 
elles  ne  donneront  pas  moins  de  dix  secousses.  Puis,  elles  mettront 


Fig.  219.   —   Succussion  hippocratique  horizontale. 


la  femme  sur  le  lit,  la  tête  en  bas,  les  jambes  en  haut  ;  et  laissant  les 
bras,  elles  saisiront  toutes  les  quatre  les  jambes  et  donneront  plusieurs 
secousses  sur  les  épaules,  en  rejetant  la  patiente  sur  le  lit,  afin,  qu'ainsi 
secoué,  le  fœtus  se  replace  dans  l'espace  large,  et  puisse  cheminer 
régulièrement  ». 

La  succussion  se  faisait  encore  d'une  autre  manière  (fig.  220)  :  «  On 
place  quelquefois  la  femme  »,  dit  ailleurs  Ilippocrale,  «  sur  un  lit 
solide  élevé,  où  elle  se  couche  renversée  sur  le  dos  ;  on  la  ceint  par  la 
poitrine  d'un  ruban  large  ou  d'une  courroie  souple,  qui  passe  sous 
les  aisselles  et  qu'on  attache  au  lit:  on  ceint  de  même  les  bras;  on 


3-48 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


fait  éloigner  les  jambes  l'une  de  l'autre,  et  on  contient  les  pieds  en 
les  liant  par  les  malléoles.  Après  avoir  ainsi  disposé  la  femme  en  tra- 
vail, on  a  deux  fagots  de  bois  sec  et  souple,  ou  tout  autre  chose  propre 
à  faire  que,  lorsque  le  lit  sera  dressé  verticalement  et  qu'on  le  secouera 
contre  la  terre,  le  milieu  des  pieds  ne  puissent  point  toucher  la  terre. 
On  dit  en  même  temps  à  la  femme  de  se  tenir  des  mains  au  lit,  sans 
y  appuyer  la  tête,  en  sorte  que  son  corps  porte  sur  les  pieds  sans 


Succussion  verticale. 


qu'elle  puisse  glisser.  Le  tout  étant  ainsi  disposé,  et  le  lit  étant  placé 
verticalement,  on  met  les  fagots  par  derrière  sous  les  pieds  du  lit,  on 
les  range  de  façon  que  la  traverse  des  pieds  du  lit  ne  touche  point  la 
terre,  quand  on  le  secouera  ;  mais  qu'elle  porte  sur  les  fagots.  Deux 
hommes  placés,  un  de  chaque  côté,  élèveront  le  lit  en  haut  d'un  mouve- 
ment uni  et  égal,  qui  ne  donne  point  de  secousses  de  côté,  en  le  lais- 
sant tomber  sur  les  fagots,  au  moment  où  la  femme  aura  des  douleurs  ; 


MOEURS    ET    COUTUMES 


349 


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350 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


s'arrêtant  aussitôt  qu'elle  sera  délivrée,  ou  bien  recommençant,  en 
tenant  toujours  le  lit  vertical.  Tel  est  le  moyen  de  faire  sortir  l'enfant, 
quand  il  se  présente  naturellement.  » 

Enfin  un  passage  de  Moschion  nous  indique  que  fréquemment  aussi 
les  Grecques  accouchaient  assises,  appuyées  sur  un  aide.  Cet  auteur 
examinant  combien  d'aides  sont  nécessaires  pour  l'accouchement 
s'exprime  en  ces  termes  :  «  Il  en  faut  trois,  dont  deux  sont  placées  à 
droite  et  à  gauche  de  la  femme  en  travail  ;  la  troisième  doit  être  pla- 
cée derrière  elle  et  l'empêcher  de  se  jeter  de  côté  lorsque  les  douleurs 


Fig,  222.  —  Un  accouchement  dans  !a  Grice  an;ienn3  (1).  Groupe  faisant  partie  du  musée  Cesnola. 

surviennent;  elle  doit,  en  outre,  l'encourager  à  supporter  courageuse- 
ment ses  douleurs  ».  Un  panneau  allégorique,  conservé  au  Musée 
Orfila,  reproduit  avec  art  celte  position  (fig.  221).  Plus  curieux  encore 
est  un  groupe  en  marbre  trouvé  à  Chypre,  en  1871,  par  le  général 
Cesnola,  de  New-York  (fig.  222),  dans  les  ruines  d'un  temple  à  Gol- 
goï.  Ce  morceau  de  la  meilleure  époque  de  l'art  grec  indique  la  posi- 


(1)  Nous  avons  tenté  une  restauration  de  la  tête  des  personnages  mutilés  par  le 
temps. 


MOEURS  ET   COUTUMES 


351 


tion  assise,  à  demi  couchée,  en  usage  à  Chypre,  environ  480  ans  av. 
J.-G.  Dans  le  fronton  du  Parthénon  se  trouve  un  groupe  analogue 
(fig.  223). 

De  la  chaise  obstétricale  dans  l'antiquité.  —  Ce  groupe 
de  Golgoïnous  amène  à  nous  occuper  d'une  question  d'histoire  obsté- 
tricale assez  intéressante.  Le  siège  sur  lequel  la  parturiente  est  à 
demi  étendue,  est-il  un  siège  spécial?  D'après  la  coutume  encore  ob- 


Fig.  223.  —  Groupe  représenté  dans  le  fronton  du  Parthénon. 


servée  de  nos  jours  en  Chypre,  la  réponse  ne  semble  devoir  être  dou- 
teuse. En  effet,  les  sages-femmes  de  cette  île  se  servent  de  sièges  ab- 
solument semblables,  qu'elles  emportent  avec  elles  quand  elles  vont 
faire  un  accouchement  (fig.  224). 

D'ailleurs,  plusieurs  médecins  grecs  font  mention  de  la  chaise  à 
accoucher.  Artémidore,  Soranus  d'Ephèse,  Moschion,  Aetius,  Paul 
d'Egine.  «  Il  sera  temps  de  mettre  la  parturiente  sur  le  fauteuil,  » 
dit  ce  dernier,  «  quand  l'ouverture  de  l'utérus  aura  été  constatée  par 
le  toucher,  et  que  la  sortie  de  l'enfant  est  imminente.  »  Avant  eux, 
Hippocrate  en  conseilla  déjà  l'emploi  pour  faciliter  la  sortie  du  pla- 
centa :  «  Si  l'arrière-faix  ne  sort  point»,  écrit-il,  «  laissez-le  tenir 
à  l'enfant,  et  placez  la  mère  sur  une  chaise  qui  soit  percée  et  élevée, 
afin  que  l'enfant  suspendu  à  l'arrière-faix,  l'attirant  par  son  propre 


352 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


poids,  l'aide  à  sortir.  Ceci  doit  être  fait  avec  précaution,  doucement  et 
sans  tiraillement,  de  crainte  d'amener  des  inflammations  ». 

Position  des  Romaines.  —  La  médecine  antique  ayant  été 
exclusivement  hellénique,  les  pratiques  scientifiques  en  usage  dans  la 
Rome  civilisée  étaient  celles  qu'enseignaient  et  suivaient  les  Grecs. 
D'après  les  textes  et  les  monuments,  les  Romaines  semblent  avoir 
surtout  accouché  au  lit  :  «  Holà,  Pithécium  »,  dit  à  sa  servante  une 
courtisane  qui  veut  se  faire  passer  pour  mère,  «  aide-moi  à  me  mettre 
au  lit  »  ;  et  à  Archilis,  une  autre  servante  :  «  Tire-moi  mes  sandales, 
couvre-moi  (1). 

Ce  lit  qui  servait  à  l'accouchement  et  aux  suites  de  couches,  était 
très  grand  ;  on  le  dressait  dans  une  pièce  particulière  réservée  aux 


Fig.  224-  —  Chaise  moderne  de  sage-femme  à  Chypre,  d'après  Engelmann  (2). 

accouchements  et  dont  les  Romains  donnaient  la  clef  à  leurs  épouses 
dès  les  premières  douleurs.  Les  riches  le  jonchaient  de  fleurs  et  le 
tapissaient  d'étoffes  de  pourpre  frangées  d'or.  Ce  magnifique  lit  de 
misère  était  appelé  genialis  ou  genilalis  (fig.  225).  Prudence,  dans  une 
de  ses  épigrammes  contre  Symmaque,  préfet  de  Rome,  dit  : 

Jam  gravidoe  fulcrum  géniale  jparatur. 

«  Déjà  on  prépare  pour  la  femme  enceinte  le  lit  génital  ». 

Sur  ce  lit,  les  Romaines  accouchaient  dans  une  altitude  analogue  à 
celle  qu'elles  prenaient  pour  se  mettre  à  table,  la  partie  supérieure  du 


(1)  Plaute.  Truculcntuf,    II,  5. 

(2)  Loc.  cit. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


353 


corps  inclinée.  Nous  en  avons  une  preuve  dans  la  Naissance  de  Titus, 
peinte  sur  le  plafond  d'une  pièce  du  palais  de  cet  empereur,  à  Rome 
(fig.  226).  Une  peinture  de  Pompéi  (fig.  227)  nous  représente  une 


Fig.  225.  —  Lit  génital.  (Figure  tirée  du  Costume  des  anciens  peuples,  d'André  Bardon.) 

scène  toute  semblable  :  c'est  l'accouchement  d'Alcmène  sur  un  lit  ; 
mais  il  est  évident  que  l'artiste  s'est  inspiré  des  costumes  de  son 
temps. 


Fig.   22G.  —  Naissance  de  l'empereur  Titus,  d'après  Ploss. 


Dans  certains  cas,  les  Romaines  se  plaçaient,  comme  les  Grecques, 
sur  les  genoux  et  sur  les  coudes.   «  Si  la  difficulté  »,  dit  Soranus 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


23 


354 


HISTOIRE  DES  ACCOUCHEMENTS 


d'Ephèse,  médecin  grec  qui  pratiqua  à  Rome  sous  le  règne  des  empe- 
reurs Trajan  et  Adrien,  «  provient  de  l'excavation  des  lombes,  il  fau- 
dra placer  la  parturiente  sur  les  genoux,  pour  que  l'utérus,  se  diri- 


Fig.  227.  —  Accouchement  d'Alcmène. 


géant  vers  l'hypogastre,  prenne  une  position  meilleure  ;  on  mettra 
clans  la  même  posture  les  femmes  grasses  et  charnues  ». 


B.   —  TEMPS  MODERNES. 


France.  —  Position  au  XVIe  siècle.  —  Ambroise  Paré,  dans 
ses  Œuvres,  parues  en  15G4,  nous  donne  une  description  que  nous 
reproduisons  dans  toute  sa  naïveté  :  «  ...  Si  tels  signes  se  démonstrent, 
sois  asseuré  qu'en  brief  la  femme  enfantera  ;  et  partant  qu'on  luy 
prépare  tout  ce  qu'elle  aura  besoin  pour  tel  affaire,  et  principalement 
à  la  bien  situer  en  un  lict  en  figure  moyenne,  à  sçavoir  non  du  tout 
à  la  renverse  ny  assise,  mais  aucunement  le  dos  eslevé,  afin  qu'elle 
puisse  mieux  respirer  et  avoir  force  à  mettre  l'enfant  hors.  Davantage, 
faut  qu'elle  ait  les  jambes  courbées,  et  les  talons  vers  les  fesses,  et 
les  cuisses  escartées  l'un  de  l'autre,  et  qu'elle  s'appuye  contre  une 
bûche  de  bois  posée  au  travers  de  son  lict,  ayant  un  peu  les  fesses 
eslevées. 

«  Aucuns  accouchent  debout  estans  appuyées  des  bras  sur  le  bord 
du  lict  ou  d'un  banc;  autres  en  une  chaire  propre  à  cela  (fîg.  228), 
laquelle  ne  doit  pas  estre  plus  haute  de  la  terre  que  de  deux  pieds. 
L'utilité  de  cette  chaire  n'est  à  mespriser  parce  que  la  femme  grosse 


MOEURS   ET   COUTUMES 


355 


y  est  située  estant  renversée  sur  le  dos,  de  sorte  qu'elle  a  son  inspi- 
ration et  expiration  libres  ;  aussi  que  l'os  sacrum  et  l'os  caudœ  sont  en 
l'air,  n'estans  aucunement  pressez,  qui  fait  que  les  dits  os  se  desjoi- 
gnent et  séparent  plus  aisément.  Pareillement  l'os  pubis,  à  cause  que 
les  cuisses  sont  escartées  l'une  de  l'autre,  joinct  aussi  que  la  sage- 
femme  besongne  plus  à  l'aise,  estant  assise  devant  la  femme  grosse. 

c<  L'on  mettra  un  oreiller  au  dossier  de  la  chaire,  et  quelques  lin- 
ges où  les  cuisses  seront  appuyées,  afin  que  la  femme  grosse  soit  plus 
à  son  aise. 

«...  Estant  la  femme  en  travail  d'enfant,  le  tout  venant  bien,  faut 


T'ig.  228.  —  Chaise  obstétricale,  d'aprùs  Eucharius  Rhodion  et  A,  Paré. 

laisser  faire  nature,  et  la  sage-femme  ;  toutesfois  faut  commander  à 
la  femme  (lors  qu'elle  aura  des  ondées  et  tranchées)  qu'elle  s'espreigne 
le  plus  qu'elle  pourra,  luy  clouant  le  nez  et  la  bouche,  et  une  matrone 
luy  presse  les  parties  supérieures  du  ventre  en  poussant  l'enfant  en 
bas  ;  car  telle  chose  ayde  grandement  à  les  faire  accoucher,  n'estans  si 
vexées  des  tranchées  ou  ondées,  comme  j'ay  souvent  esfois  expéri- 
menté en  plusieurs  femmes  où  j'ay  esté  appelle  pour  leur  ayder  à 
accoucher. 


356  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

«  Pour  haster  la  femme  d'accoucher,  la  semence  de  lin,  pilée  avec 
eau  d'armoise  et  de  sabine,  sert  grandement  ;  après  elle  tachera  à 
csternuer  avec  sternutatoires:  quoy  faysant,  la  femme  avec  moins  de 
travail  enfantera. 

«...On  baillera  à  la  femme  subit  après  l'enfantement  deux  ou  trois 
cuillerées  d'huile  d'amandes  douces  tirées  sans  feu  avec  un  peu  de 
sucre.  Autres  prennent  deux  jaunes  d'oeufs  avec  sucre,  autres  pren- 
nent de  bon  hippocras  ;  autres  un  consommé  ou  de  la  gelée  ». 

Dans  le  cas  d'opérations  obstétricales,  on  faisait  prendre  à  la 
patiente  une  position  des  plus  pénibles,  qui  ressemblait  à  une  véri- 
table torture;  pour  assurer  son  immobilité,  on  l'entourait  de  liens 
des  pieds  à  la  tête.  Voici,  du  reste,  la  description  qu'en  donne  A.  Paré, 
dans  le  Livre  où  il  traite  De  la  manière  de  bien  situer  la  femme  pour 
lu  y  extraire  V  enfant  : 

«  Et  si  telles  choses  »,  dit  le  chirurgien  de  Charles  IX,  «  ne  pro- 
fitent, faut  besongner  par  œuvre  manuelle  et  instrumens  propres,  en 
la  manière  qui  s'ensuit.  Premièrement  rectifieras  l'air  de  la  chambre, 
sçavoir  est,  s'il  est  froid  l'eschaufferas,  et  s'il  est  trop  chaud  le  refroi- 
diras ;  cela  faict,  faut  situer  la  mère  en  la  posant  près  le  bord  du  lict, 
et  la  coucher  à  l'envers  ayant  les  fesses  aucunement  eslevées  sur 
quelque  carreau  dur,  ou  autre  chose  semblable,  et  qu'elle  soit  ren- 
versée, toutesfois  en  figure  moyenne,  c'est  à  sçavoir  qu'elle  ne  soit 
du  tout  couchée  n'y  courbée,  comme  nous  avons  dit  cy-dessus,  afin 
qu'elle  puisse  avoir  son  inspiration  et  expiration  plus  libres,  et  que 
les  ligaments  de  la  matrice  ne  tendent  point  tant  que  si  elle  estoit 
couchée  du  tout  à  la  renverse. 

a  Aussi  luy  faut  courber  les  jambes  ayant  les  talons  assez  près  des 
fesses,  les  lier  avec  une  grande  et  large  bande  de  toile,  ou  autre 
chose,  laquelle  poseras  premièrement  par  dessus  le  col,  et  au  travers 
des  espaules  de  ladite  femme  en  manière  de  croix  S.  André  ;  puis 
derechef  croiseras  ladite  bande  à  chacun  pied,  et  la  tourneras  autour 
des  jambes  et  cuisses,  lesquelles  seront  escartées  l'une  de  l'autre,  en 
rapportant  encore  ladite  lisière  par  dessus  le  col,  et  le  faut  lier  et 
attacher  si  ferme  que  ladite  patiente  ne  puisse  se  mouvoir  çà  ny  là, 
ainsi  qu'on  lie  ceux  auxquels  on  extraict  la  pierre  de  la  vessie  (fig.  229). 
Et  feras  en  sorte  qu'elle  aye  les  talons  appuyez  contre  le  bout  du  lict, 
et  la  feras  tenir  par  dessous  les  aisselles  et  cuisses  par  bons  servi- 
teurs, tellement  qu'en  tirant  l'enfant,  son  cops  ne  suyve,  car  en 
suivant  et  obéissant  on  ne  pourroit  faire  l'extraction. 

«  Cela  faict,  faut  prendre  un  drap  chaud  en  double  et  le  poser  sur 
les  cuisses  de  ladite  patiente,  afin  que  l'air  extérieur  ne  blesse  la  ma- 


MOEURS   ET   COUTUMES 


357 


trice,  et  que  l'opération  soit  plus"  honneste,  à  cause  des  assistans, 
puis  faire  oindre  toutes  ses  parties  génitales  avec  choses  onctueuses, 
afin  de  les  rendre  plus  glissantes  et  coulantes,  pour  plus  facilement 
extraire  l'enfant  ;  ayant  le  chirurgien  ses  ongles  rognez  et  qu'il  n'aye 
aucun  anneau  en  ses  doits,  pour  garder  qu'il  ne  fasse  lésion  aux 
parties  où  il  touchera.  » 

Cette  ligature,  malgré  la  vive  répugnance  qu'elle  inspirait,  resta 
adoptée  pendant  près  de  deux  siècles.  Nous  verrons  Dionis  s'élever 
contre  cette  pratique  barbare  et  constater,  qu'à  son  époque,  elle 
n'était  pas  encore  tombée  en  désuétude. 

Position  au  XVIIe  siècle.  —  Jacques  Duval,'  l'auteur  du 
Traité  des  hermaphrodite  (1612),  va  nous  donner  des  détails  intéres- 


Fio.  229.  —  Position  pour  la  taille,  analogue  à  celle  qui  était  prise  au  XVI"  siècle  dans 
les  accouchements  laborieux,  d'après  A.  Paré, 


sants  sur  la  position  que,  de  son  temps,  les  Françaises  prenaient  pour 
accoucher  : 

«...  Mais  parce  qu'il  est  rare  qu'une  femme  qui  est  en  travail  d'en- 
fant puisse  toujours  estre  sur  pied  :  on  lui  préparera  un  siège  près 
de  la  table,  ou  autre  chose  de  pareille  hauteur,  sur  quoy  elle  se 


3.")8  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

puisse  tempestivement  appuier.  Et  doit  ce  siège  estre  haut  médio- 
crement, comme  de  pied  et  demi  ou  deux  pieds  :  ouvert  tant  par 
devant  que  par  derrière,  à  fin  que  l'obstétrice  ait  libre  accez  d'attou- 
chement... Ladicle  chaire  doit  avoir  un  dossier  inclinant  à  l'envers, 
sur  lequel  la  femme  se  puisse  commodément  renverser,  pour  mieux 
se  reposer  au  temps  qu'elle  n'aura  ses  achées. 

«  Et  sera  ladicte  chaire  bourrée  des  deux  costez,  ou  bien  garnie  de 
coissinets,  à  ce  que  la  femme  soit  mollement  assise,  en  ce  qui  doit 
estre  porté  dessus,  tant  des  cuisses  que  du  siège. 

«  Elle  aura  devant  elle  un  coissin  assez  large,  sur  lequel  elle  se 
mettra  de  genoux  quand  elle  sentira  survenir  l'accèz,  s'appuyant  des 
mains  sur  ladicle,  qu'elle  tiendra  ferme  en  s'efforçant  à  son  pouvoir 
par  la  rétention  de  son  haleine,  à  pousser  son  fardeau  contre  bas. 

«  Ou  bien  elle  embrassera  une  femme  par  le  col,  durant  qu'elle 
fera  son  effort.  Et  cependant  l'une  des  obstétrices  poussera  doucement 
le  ventre  contre  bas,  aydant  nature  à  son  effort  désiré,  et  l'autre 
ayant  la  main  oingte  de  huyle  de  lis  ou  de  beurre  frais  fondu,  s'ef- 
forcera de  dilater  le  couronnement,  augmentant  à  son  pouvoir  le  pas- 
sage de  l'enfant,  comme  dessus  est  dit. 

«  Et  où  adviendrait  qu'une  femme  fust  tant  débille,  qu'elle  ne 
peust  rester  assise,  elle  sera  mise  sur  un  lict  couvert  de  draps  et  de 
castalongnes  suffisantes,  tellement  disposée,  que  la  teste  et  tout  le 
corps  soient  eslevez,  pour  avoir  meilleure  et  plus  facile  respiration  : 
le  siège  un  peu  plus  bas,  mais  de  beaucoup  plus  haut  que  les  pieds, 
qui  seront  appuyez  sur  une  barre,  de  peur  qu'elle  ne  glisse  ;  elle  les 
réfleichira  vers  le  siège,  tenant  les  genoux  haut  eslevez  et  ouverts. 

«  Dessous  ses  reins  sera  mise  une  élèze  ou  nappe  de  travers,  dont 
la  largeur  sera  telle,  qu'estant  ploiée  en  divers  plis,  elle  reste  large 
d'un  pied.  Et  quand  Tachée  surviendra,  deux  des  femmes  qui  l'assis- 
teront, la  soulèveront  avec  la  nappe  ou  élèze,  qu'elles  tiendront  par 
les  deux  bouts,  à  ce  que  l'effort  de  nature  se  puisse  librement  faire, 
en  la  rémotion  des  os  des  iles  et  renversement  du  coccyx  ou  acromion. 

«  Et  estant  ainsi  la  patiente  retenue  par  dessoubs  les  aisselles,  et 
souslevée  par  dessoubs  les  lombes,  une  femme  poussera  l'enfant  tout 
doucement,  et  l'obstétrice,  oignant  sa  main,  dilatera  l'orifice  de  la 
matrice. 

«  Après  l'accouchement  et  au  cas  que  besoin  fust  de  changer  de  lict 
à  raison  du  débris  delà  couche,  en  laquelle  elle  aura  rendu  son  enfant, 
eau  et  sang  qui  dessus  seroient  escoulez:  on  couvrira  fort  bien  tout 
le  bas  ventre,  avec  un  grand  linge  chaud,  qu'on  resserrera  par  entre 
les  cuisses,  tant  devant  que  derrière  :  et  outre  ce  on  l'enveloppera  d'un 


MŒURS  ET   COUTUMES 


359 


drap  chaud  doublé  en  deux  ou  trois  doubles,  puis  l'ayant  couverte 
d'un  manteau  de  chambre  on  la  conduira  dans  un  autre  lit  bien  chaud, 


blanc  et  mol  :  où  elle  sera  suffisamment  couverte,  tant  qu'il  n'y  ait 
deiïaut  ny  excez.  Et  estant  bien  mollement  couchée,  on  luy  couvrira 


360  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


tout  l'abdomen  d'une  pièce  d'écarlate  rouge,  et  par  dessus  on  mettra 
une  compresse  faite  en  triangle,  l'un  des  angles  sera  avancé  entre  les 
cuisses,  pour  luy  couvrir  toute  la  nature,  et  les  deux  autres  eslevez 
sur  les  flancs  jusques  à  la  poitrine,  et  sera  cette  compresse  bien  unie- 
ment  bandée,  d'une  nappe  ou  grande  serviette  ployée  en  trois  ou  qua- 
tre, qui  soit  large  d'un  pied,  luy  serrant  le  ventre  à  telle  tolérance 
qu'elle  ne  sente  douleur,  mais  que  tout  le  bas  ventre  soit  bien  et  com- 
pétamment  comprimé. 

«  ...  L'enfant  ainsi  nouvellement  nay  sera  détenu  sans  teler  par 
l'espace  de  quatre  à  cinq  heures,  puis  ce  temps  passé,  la  femme 
empruntée  luy  donnera  la  mammelle  par  l'espace  de  six  jours,  ou  plus, 
veu  qu'Hippocrate  en  requert  25  ou  30,  jusqu'à  ce  que  le  laict  de  la 
nourrice  accouchée  soit  rectifié,  et  rendu  propre  pour  l'enfant  ».  Nous 
avons  déjà  parlé  de  ce  préjugé  et  de  quelques  autres  qui  avaient  cours 
à  cette  époque. 

Une  curieuse  gravure  d'Abraham  Boss  (fig.  230)  nous  prouve,  qu'au 
XVIIe  siècle,  les  femmes  accouchaient  également  sur  un  lit  de  misère. 
C'était  l'habitude  prise  par  Dionis  et  les  autres  accoucheurs  de  l'épo- 
que ;  seul  Mauriceau  faisait  accoucher  les  femmes  dans  leur  lit. 

«  La  manière  la  plus  usitée  en  France  »,  dit  Dionis,  «  c'est  d'accou- 
cher sur  un  petit  lit  qu'on  appelle  lit  de  travail,  que  l'on  dresse  exprès 
dans  la  plus  grande  ruelle  du  lit  de  la  femme  grosse.  Ce  lit  doit  être 
composé  de  deux  matelas,  placez  sur  un  lit  de  repos  qui  n'ait  pas  plus 
de  trois  pieds  de  large,  il  faut  même  mettre  entre  les  deux  matelas 
une  planche,  afin  que  les  fesses  de  la  femme  ne  soient  pas  dans  un 
creux;  on  y  met  deux  draps  et  une  couverture  des  plus  minces;  il  y 
faut  double  traversin  pour  lever  la  tête  et  les  épaules  de  la  femme;  on  y 
met  deux  chevilles  d'un  pied  de  long,  l'une  à  droite  et  l'autre  à  gauche, 
que  la  femme  empoigne  clans  le  temps  des  douleurs,  et  il  y  a  une  barre 
au  pied  du  lit,  qui  sert  d'appui  aux  pieds  de  la  femme  en  travail. 

»  Quoi  que  ces  sortes  de  lits  soient  très  commodes,  que  toutes  les 
femmes  qui  s'en  servent  s'en  trouvent  bien,  et  que  les  reines  et  les 
princesses,  pour  lesquelles  on  a  cherché  et  inventé  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur,  accouchent  sur  ces  lits,  dont  il  y  en  a  un  dans  le  garde- 
meubles  du  roy,  qu'on  a  fait  exprès,  sur  lequel  les  reines  et  madame 
la  Dauphine  ont  accouché;  néanmoins  Mauriceau  veut  que  les  femmes 
accouchent  dans  leur  lit  ordinaire;  il  allègue  pour  toute  raison,  qu'a- 
près leur  accouchement  elles  n'ont  pas  la  peine  d'être  transportées 
d'un  lit  dans  un  autre.  Il  me  paroît  que  cette  légère  incommodité  ne 
doit  pas  l'emporter  sur  vingt  commoditez  que  la  femme  reçoit  en  accou- 
chant sur  un  lit  de  travail  ». 


MOEURS   ET   COUTUMES 


361 


Dionis  s'élève  avec  raison  contre  les  ligatures,  préconisées  par  A. 
Paré,  dans  les  couches  laborieuses.  «  C'est  faire  »,  dit-il,  «  une  pro- 
position extravagante  que  de  conseiller,  comme  font  quelques  auteurs, 
de  lier  une  femme  pour  l'accoucher  de  force  ;  n'est-elle  pas  assez  à 
plaindre  de  son  mal,  sans  être  garotée  comme  si  elle  étoit  condamnée 
au  supplice?  A-t-on  peur  qu'elle  s'enfaye,  et  qu'elle  s'échappe?  elle 
a  trop  d'intérêt  d'être  délivrée  pour  appréhender  qu'elle  ne  se  soumette 
pas  volontairement  à  tout  ce  que  l'accoucheur  lui  impose  pour  son 
bien:  il  n'est  donc  point. nécessaire  de  lacs  ni  de  cordes,  il  ne  faut 
seulementque  trois  femmes  qui  la  tiennent,  deux  pour  tenir  les  jambes 
et  une  autre  derrière  pour  tenir  les  épaules  ». 

Posture  au  XVIIIe  siècle.  —  A  cette  époque,  les  idées  de  Mau- 
riceau  dominent  et  le  lit  de  travail  semble  abandonné,  au  grand  déses- 


Fig.  231.  —  Position  prise  en  France,  au  XIXe  siècle,   pour  accoucher,  d'après  Maygrier. 


poir  d'Astruc  qui  s'écrie:  «  Il  faut  donc  se  réduire  à  accoucher  à  pré- 
sent toutes  femmes  ou  sur  une  chaise  longue  ordinaire,  ou  même  dans 
leur  propre  lit  ».  Il  déplore  surtout  l'abandon  d'un  lit  spécial,  dont  il 
donne  la  description:  «  On  a  employé», dit-il,  «  pendant  longtems  un 
litde  travail,  fait  comme  un  lit  de  repos,  avec  cette  seule  différence  qu'il 
étoit  mobile  sur  un  aissieu  qui  étoit  sous  le  milieu  du  châssis  du  lit, 
moyennant  quoi  on  pouvoit  le  faire  pencher  du  côté  des  pieds  ou  de  la 


302 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


tète,  ou  le  tenir  dans  une  situation  horizontale,  selon  le  besoin,  et  le 
fixer  dans  la  situation  qu'on  souhaitoit  par  le  moyen  d'une  cheville.  Ce 
lit  étoit  étroit,  pour  donner  plus  de  liberté  d'agir  à  la  sage-femme, 
et  couvert  d'un  matelas  ou  d'un  sommier  de  crin,  assez  dur,  afin  que  la 
femme  en  travail  ne  s'y  enfonçât  pas  trop.  Il  y  avoit  au  bout  une  tra- 
verse, contre  laquelle  elle  pouvoit  roidir  les  pieds,et  en  haut  deux  poi- 
gnées, l'une  à  droite  et  l'autre  à  gauche,  qu'elle  pouvoit  empoigner 
dans  les  efforts...  Cependant  ce  lit  si  commode  et  si  utile  est  aujour- 
d'hui hors  d'usage  ». 

Posture  au  XIXe  siècle.  —  De  nos  jours,  dans  les  villes  de 
France,  comme  du  reste  chez  presque  tous  les  peuples  civilisés,  le 
décubitus  dorsal  (fig.  23 1)  est  la  posture  la  plus  généralement  employée. 
L'accoucheur  soutient  avec  sa  main  le  périnée,  pour  en  empAcher  la 
rupture,  au  passage  de  la  tête. 

Le  plus  souvent,  l'accouchement  se  fait  sur  un  lit  préparé,  appelé 
lit  de  misère  (fig.  232).  L'Ecole  de  la  Maternité  et  un  certain  nombre 
d'autres  accoucheurs  préfèrent,  à  l'exemple  de  Mauriceau,  ne  pas 
déranger  la  femme  et  la  bisser  accoucher  clans  son  lit.  Voici  comment 


Fin.  232.  —  Lit  île  miBère  moderne. 


ils  disposent  celui-ci  pour  la  circonstance;  nous  empruntons  la  des- 
cription qui  suit  à  YHygiène  de  la  nouvelle  accouchée  du  D1'  .1.  Bar- 
ba ri  n  : 

«  Sur  le  matelas  on  place  une  toile  cirée  ou  du  papier  goudronné, 
ou  même  à  leur  défaut  plusieurs  doubles  de  vieux  journaux  ;  on  fait 
ainsi  au-dessus  de  lui  une  garniture  imperméable  qui  le  protégera 
contre  les  diverses  sécrétions  et  excrétions.  Par-dessus  on  place  un 


MOEURS    ET   COUTUMES 


363 


drap,  puis  une  alèze  en  travers  ;  on  a  ainsi  établi  le  lit  définitif  au- 
dessus  duquel  on  va  installer  le  lit  provisoire. 

«Sur  l'alèze  on  met  une  nouvelle  garniture  imperméable,  puis  un 
drap,  puis  une  alèze,  et  on  procède  à  la  confection  des  deux  couver- 
tures ;  l'une,  la  définitive,  avec  son  drap  et  les  diverses  pièces  qui  la 
composeront,  sera  enroulée  au  pied  du  lit,  tandis  que  la  provisoire 
sera  mise  en  place. 

«  De  cette  façon,  quand  l'accouchement  sera  terminé,  il  n'y  aura 
plus  qu'à  faire  glisser  drap,  alèze  et  garniture  provisoires,  à  enlever 
ce  qui  recouvrait  la  femme,  amener  à  la  place  la  couverture  qui  était 
roulée  à  ses  pieds,  pour  qu'elle  se  trouve  sans  secousse  aucune  dans 
un  lit  complètement  propre,  frais,  sans  être  froid,  et  où  elle  reposera 
tout  aussi  bien  que  si  le  lit  venait  d'être  fait  entièrement. 


Fie.  î.33.  —  Autre  variété  <1e  lit  do  misère,  d'après  Verrier. 


«  Les  matelas  sont  préférables  à  la  plume  qui  s'imprègne  trop 
facilement  des  odeurs  exhalées  par  la  femme  en  couches  et  a  le  grave 
inconvénient  de  concentrer  la  chaleur.  » 

Le  Dr  Verrier  représente,  dans  ses  Leçons  sur  l 'accouchement 
comparé  dans  les  races  humaines,  un  lit  de  misère  (fig.  233),  qu'il  a 
vu  employer  dans  sa  jeunesse  et  que  nous  retrouverons,  légèrement 
modifié,  au  Canada.  C'est  un  lit  de  sangle  ou  de  fer,  dont  la  tête  est 
adossée  au  mur  de  la  chambre  ;  on  y  dispose  une  chaise  renversée, 
recouverte  d'un  matelas  sur  lequel  se  couche  h  patiente. 

En  Alsace,  on  passe  sous  le  siège  de  la  femme,  un  sac  rempli  de 


364 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


son  qui  absorbe  les  liquides  et  que  l'on  brûle  après  l'accouchement. 

Dans  quelques  contrées  du  midi,  les  femmes  se  tiennent,  à  la  fa- 
çon des  Roumaines,  sur  les  genoux  et  les  mains  ;  dans  d'autres  ré- 
gions, comme  en  Bretagne,  elles  accouchent  debout,  les  jambes  écar- 
tées, le  tronc  fléchi  en  avant  et  les  coudes  ou  les  mains  appuyés  sur  le 
rebord  du  lit.  Est-ce  pour  atténuer  la  douleur  ou,  en  ménagères  soi- 
gneuses, pour  ne  pas  salir  leur  lit  à  l'avance  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  elles 
ne  se  couchent  que  pour  la  délivrance. 

Les  femmes  du  Gâtinais  s'agenouillent  devant  le  siège  d'une  chaise 
et  accouchent  dans  les  cendres  chaudes  du  foyer,  où  la  sage-femme 
prend  l'enfant  :  de  là  son  nom  de  ramasseuse. 

Dans  le  Morvan,  elles  s'accroupissent  entre  deux  chaises  (fig.  234) 


Fig.  234.  —  Position  prise  dans  lo  Morvaa. 


qui  leur  servent  de  points  d'appui.  Beaucoup  de  Morvandelles  de 
l'arrondissement  de  Château-Chinon  se  tiennent  debout  pour  accou- 
cher en  s'appuyant  contre  le  lit.  Les  douleurs  se  rapprochant  el 
croissant  en  intensité,  la  femme  écarte  les  jambes  afin  de  faciliter  les 
manœuvres  de  l'opératrice.  Celle-ci  tire  le  nouveau-né  et  le  reçoit  sur 
ses  genoux,  où  elle  a  étendu  une  vieille  chemise  du  père.  Ce  point  est 
essentiel.  Tout  autre,  lange  serait  dépourvu  des  vertus  préservatrices 
dont  est  imprégnée  la  chemise  paternelle. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


365 


Angleterre.  —  D'après  Dionis,  les  Anglaises,  au  XVIIIe  siècle, 
usaient  d'un  fauteuil  de  bois  fait  exprès,  dont  le  fonds  était  échan- 
cré  par  devant,  pour  permettre  à  l'enfant  de  sortir  commodément. 
Il  s'agit  sans  doute  de  la  chaise  obstétricale  d'Eucharius  Rhodion 
(fig.  228). 

En  1751,  Jean  Burton,  d'York  (1),  veut  que  la  femme  se  couche 
sur  le  côlé  et  tourne  le  dos  à  l'accoucheur  ;  cette  méthode,  en  rap- 
port avec  la  pruderie  britannique,  fut  universellement  adoptée  dans 
le  Royaume-Uni  et  est  encore  en  usage  de  nos  jours.  L'Anglaise  en 
mal  d'enfant  se  couche  sur  le  côté  gauche  (fig.  235),  près  du  bord  du 


Fig.  235.  —  Posture  anglaise. 

lit,  les  jambes  et  les  cuisses  maintenues  par  un  oreiller  placé  entre 
les  genoux.  «  J'avoue  »,  dit  Depaul,  «  que  je  ne  comprends  pas  au  point 
de  vue  de  l'accouchement,  les  avantages  d'une  pareille  posture;  elle 
m'a  toujours  paru  incommode  et  moins  propre  à  favoriser  les  efforts.  Je 
suppose  qu'elle  est  la  conséquence  de  certaines  habitudes  anglaises  et 
l'exagération  d'un  sentiment  de  pudeur  que  les  femmes  de  ce  pays 
portent  si  loin  en  toutes  choses.  »  Cependant  il  faut  reconnaître  que 
cette  attitude  facilite  la  surveillance  du  périnée  et  réduit  ainsi  consi- 


(I)  Essay  towards  a  Compleat  System  of  Midroifery, 


366 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


dérablement  les  chances  des  déchirures  ;  aussi  est-elle  employée  de 
nos  jours  dans  la  plupart  des  maternités  d'Allemagne,  d'Autriche  et 
de  Suisse,  surtout  pour  les  primipares  et  au  moment  du  passage  delà 
tête  ;  les  multipares,  dans  ces  pays,  accouchent,  comme  en  France, 
dans  le  décubitus  dorsal.  L'école  de  Lyon  suit  aussi  l'exemple  de  ces 
pays. 

Les  figures  236,  237,  extraites  du  Traité  cl 'accouchement  de  Playfair, 
président  de  la  Société  obstétricale  de  Londres,  nous  montrent  la  fa- 
çon dont  l'accoucheur  soutient  le  périnée  au  passage  de  la  tête,  et  la 


"  1 01  if  l 

Fig.  236.  —  Position  des  Anglaises  pour  accoucher. 


manière  dont  se  fait  l'application  du  forceps  dans  la  posture  anglaise. 
En  Irlande  et  en  Ecosse,  les  femmes  accouchent  souvent  accrou- 
pies, presqu'à  genoux,  ou  bien,  même  pour  un  accouchement  nor- 
mal, elles  se  posent  sur  les  genoux  et  les  coudes,  croyant  ainsi  accé- 
lérer le  travail  et  diminuer  la  douleur.  Spence  dit  que,  dans  le  Nord 
de  l'Europe,  les  femmes  en  travail  se  suspendent  au  cou  d'une  per- 
sonne de  haute  taille  qui  leur  soutient  le  dos  et  leur  maintient  les 
genoux  avec  les  siens.  C'est,  nous  le  verrons,  la  position  favorite  des 
Iroquois. 

Allemagne.  —  Dès  le  milieu  du  seizième  siècle,  on  fit  usage,  en 
Allemagne,  de  la  chaise  à  accouchement  dont  Eucharius  Rhodion  ou 


MOEURS   ET   COUTUMES 


461 


Mais  le  mot  latin,  lavet,  indique  bien  plutôt  une  simple  lotion, 
comme  de  nos  jours. 

Dès  que  l'enfant  était  venu  au  monde,  on  le  plongeait  dans  l'eau, 
opération  que  représente  la  naissance  d'Achille  (fig.  340).  A  Sparte, 
c'était  dans  l'eau  glacée,  ou  bien  on  le  lavait  avec  du  vin,  pour  le  ren- 
dre plus  vigoureux.  Il  était  ensuite  placé  sur  un  bouclier  à  côté  d'une 
lance,  et  la  mère  disait  :  «  Ou  ceci  ou  sur  cela;  »  c'est-à-dire  :  «  sois 
victorieux  avec  la  lance  ou  reviens  mort  sur  le  bouclier.  » 

Après  le  premier  bain,  on  emmaillotait  l'enfant  dans  les  langes 
(--àpyava),  habitude  que  méprisait  d'ailleurs  la  rigidité  Spartiate.  En 
Thessalie,  d'après  Soranus  d'Ephèse,  on  couchait  l'enfant  sur  une 


Fig.  340. 


Naissance    d'Achille. 


planche  percée  d'un  trou  au  milieu  et  recouverte  d'un  coussin  rempli 
de  foin  ;  sur  les  côtés  de  cette  planche  étaient  percées  des  ouvertures 
pour  passer  les  bandelettes  qui  fixaient  le  nouveau-né  dans  ses  langes. 
«  Le  cinquième  ou  le  sixième  jour,  le  nouveau-né  recevait  la  consé- 
cration dans  une  cérémonie  où  la  nourrice,  le  tenant  dans  ses  bras, 
faisait  en  courant  le  tour  du  foyer  allumé  ;  c'est  pourquoi  ce  jour 
s'appelait  opbiu&w.ov  îjfiap  et  la  cérémonie  ajxcpt8prf{iia.  Un  festin  réunis- 
sait alors  tous  les  membres  de  la  famille  dans  la  maison  paternelle, 
dont  la  porte  était  ornée  d'une  couronne  d'oliviers  pour  annoncer  la 
naissance  d'un  fils,  et  d'une  touffe  de  laine  pour  indiquer  celle  d'une 
fille.  Cette  fête  était  suivie  le  dixième  jour,  d'une  autre  cérémonie 
(Sexà-ni)  où  l'on  donnait  un  nom  au  nouveau-né  ;  le  père  reconnaissait 
en  même  temps  l'enfant  comme  issu  de  son  union  légitime.  Le  nom, 
sur  lequel  les  parents  tombaient  presque  toujours  d'accord,  était  gé- 
néralement celui  du  grand-père  ou  de  la  grand'mère  ;  quelquefois  on 
l'empruntait  à  une  divinité  ou  à  ses  attributs  et  l'enfant  était  alors  par- 


462 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


ticulièrement  recommandé  à  leur  protection.  Immédiatement  après 
l'attribution  du  nom,  on  faisait  un  sacrifice  à  Héra-Ilithyia,  déesse 
de  la  naissance  ;  puis  on  donnait  un  repas  auquel  prenaient  part  les 
parents  et  amis  de  la  maison  qui  apportaient  à  l'enfant  des  jouets  de 
métal  et  d'argile  et  des  vases  peints  à  la  mère. 

«  Le  berceau  antique  était  une  espèce  de  simple  van  (Wxvov)  ;  il  y  en  a 
un  spécimen  en  relief  sur  une  terre  cuite  du  British  Muséum  (fig.  341) 
où  l'on  voit  le  petit  Bacchus,  porté  par  un  Satyre,  jouant  avec  un 
thyrse,  et  par  une  Bacchante,  brandissant  une  torche.  Il  y  avait  en- 
core un  autre  genre  de  berceau  en  osier  en  forme  de  soulier  ;  il  avait 
l'avantage  de  pouvoir  être  transporté  par  ses  anses  et  suspendu  par 


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Fig.  341. —  Naissance  de  Bacchus,  d'après  un  bas-relief  en  terre  cuite. 

des  cordes  en  guise  de  balançoire  ;  une  peinture  sur  vase  représente, 
dans  un  de  ces  berceaux,  Hermès  enfant,  reconnaissable  à  son  pètasos. 
Des  berceaux,  analogues  à  ceux  usités  de  notre  temps,  n'apparaissent 
qu'à. une  époque  ultérieure.  Les  anciens  avaient  déjà  l'habitude  d'en- 
dormir les  enfants  en  leur  chantant  des  chansons  spéciales  (pau/.aX^aa-ca 
v.a-%  pau/.aXrîas-.ç)  et  en  les  berçant  dans  leur  couchette. 

«  Quant  à  la  manière  d'élever  les  petits  enfants,  déjà  au  temps 
d'Homère,  on  confiait  généralement  aux  nourrices  (^'tOt;)  les  soins  ma- 
ternels ;  cette  coutume  serépandit  plus  tard  dans  tous  les  états  ioniens  ; 
les  Athéniens  riches  remettaient  leur  progéniture  à  des  nourrices  la- 
cédémoniennes  (1),  plus  robustes  que  toutes  les  autres.  L'enfant,  une 


(1)  A  Lacédéinone,  les  lois  de  Lycurgue  obligeaient  les  mère3  de  nourrir  leurs  en- 


MOEURS    ET    COUTUMES 


463 


fois  sevré,  on  remplaçait  la  nourrice  par  une  garde  (h  tpo<p<fe)  qui  nour- 
rissait l'enfant  avec  des  substances  moitié  liquides,  moitié  solides,  et 


Fie.  342. —  Nourrice  grecque.  (Figure  tirée  de  La  famille  dans  l'antiquité,  de  R.  Menard.) 

lui  prodiguait,  de  concert  avec  la  mère,  tous  les  soins  nécessaires  à 


fants  et  leur  défendaient  d'avoir  recours  a  des  nourrices.  Cinq  siècles  plus  tard, 
nous  retrouvons  à  Athènes  la  même  rigueur.  Ainsi  Démosthène  raconte  que,  de  son 
temps,  une  Athénienne  fut  accusée  d'avoir  allaité  l'enfant  d'une  autre  femme  et 
qu'elle  ne  put  échappera  la  punition  de  ce  délit,  qu'on  faisant  connaître  quel  pro- 
fond degré  de  misère  l'avait  forcée  de  le  commettre. 


464  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

sa  personne  »  (1).  Dans  les  familles  riches,  la  nourrice  restait  auprès 
de  la  personne  qu'elle  avait  élevée  et  devenait  sa  confidente,  comme 
on  le  voit  dans  les  anciennes  tragédies. 

De  nombreuses  inscriptions  funéraires  prouvent  que  la  nourrice 
faisait  en  quelque  sorte  partie  de  la  famille,  dont  elle  partageait  sou- 
vent le  tombeau.  Ainsi  en  Troade,  on  a  découvert  un  bas-relief  funè- 
bre (fig.  342)  où  sont  figurées  la  mère  et  la  nourrice  de  deux  petits  en- 
fants ;  cette  dernière,  en  raison  de  son  infériorité  sociale,  est  repré- 
sentée avec  une  taille  plus  petite.  Cependant,  si  l'on  en  croit  le  pro- 
verbe xerca  jcspai  taSat  vvous  allaitez  aussi  mal  que  les  nourrices),  ces 
mercenaires  n'étaient  pas  à  l'abri  du  reproche  et  ne  méritaient  pas 
toutes  l'honneur  de  l'épitaphe. 

Censorin,  dans  son  traité  du  Jour  natal,  nous  apprend  que  les 
femmes  ne  paraissaient  pas  en  public  avant  le  quarantième  jour  de 
leur  délivrance.  «  En  effet»,  dit-il,  «  durant  cet  espace  de  temps,  la 
plupart  des  femmes  souffrent  encore  de  leur  grossesse  et  sont  sujettes 
à  des  pertes  de  sang  ;  durant  ce  temps-là  aussi,  les  nouveau-nés  sont 
languissants  ;  aucun  sourire,  aucun  jour  sans  danger;  c'est  pourquoi 
ce  jour  est  ordinairement  un  jour  de  fête  que  l'on  appelle  TÊoaapaxotyrdv 
quarantième). 

L'avortement  en  Grèce.  —  Dans  les  sociétés  grecques,  l'a- 
vortement  n'entraînait  aucune  pénalité.  Nous  trouvons  bien  à  Athè- 
nes et  à  Thèbes  le  droit  d'intenter  un  procès  à  quiconque  aurait  dé- 
terminé l'avortement  au  moyen  d'une  potion  ;  mais  il  est  vraisembla- 
ble que  l'accusation  ne  pouvait  être  portée  devant  les  juges  que  si  la 
drogue  avait  été  donnée  à  la  femme  sans  qu'elle  y  consentit.  Gomment 
expliquer  autrement  que  la  loi  n'ait  visé  qu'un  seul  des  procédés 
abortifs,  et  le  moins  sur  ?  Quant  aux  philosophes,  ils  étaient  sans 
scrupule  à  ce  sujet  :  ils  conseillaient  l'avortement,  en  certains  cas, 
pour  prévenir  l'excès  de  population  par  exemple  :  «  Si  la  mère,  »  dit 
Aristote  dans  sa  Politique,  «  vient  à  concevoir  au  delà  du  nombre 
prescrit,  elle  sera  tenue  de  se  faire  avorter  ».  Platon,  dans  le  Théététe, 
reconnaît  expressément  aux  sages-femmes  le  droit  de  faciliter  l'avor- 
tement «  quand  la  mère  est  décidée  à  le  faire  ».  Seulement  l'opéra- 
tion doit  être  pratiquée  avant  que  le  fœtus  ait  le  sentiment  de  la  vie  : 
«  ce  qui,  dans  ce  cas,  est  d'accord  avec  la  sainteté  des  lois,  ne  l'est 
plus  lorsque  le  fœtus  est  animé  »  (2). 

(1)  Gubl  et  W.  Koner.  La  Vie  antique,  traduction  Trawinski  et  Kiémann. 

(2)  Aristote.  Politique. 


MŒURS   ET   COUTUMES 


465 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


4G0  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Sur  la  question  de  l'avortement,  les  médecins  étaient  très  philoso- 
phes. Hippocrate  lui-même  semble,  dans  la  pratique,  avoir  fort  mal 
observé  une  des  prescriptions  de  son  fameux  serment  profession- 
nel (1).  Un  passage  du  livre  IV  de  la  Génération  en  fait  foi  ;  il  est  vrai 
que  le  fœtus,  si  fœtus  il  y  avait,  était  loin  d'être  animé.  Une  ba- 
ladine  avait  entendu  dire  que  quand  une  femme  conçoit,  la  semence 
ne  sort  pas,  mais  reste  à  l'intérieur  ;  le  fait  lui  arriva  et  le  bruit  de 
l'accident  parvint  aux  oreilles  d'IIippocrate  :  «  Ainsi  informé,  »  ajoute 
tranquillement  le  père  de  la  médecine,  «  je  lui  ordonnai  de  sauter,  de 
manière  que  les  talons  touchassent  les  fesses  ;  elle  avait  déjà  sauté 
sept  fois,  lorsque  la  semence  (2)  tomba  à  terre  en  faisant  du  bruit  ». 

Ce  procédé,  bien  aléatoire  d'ailleurs,  n'était  guère  pratique  que 
pour  une  acrobate  ;  ily  en  avait  d'autres.  Olympias  de  Thèbes,  d'après 
Pline,  conseillait  la  mauve  avec  de  la  graisse  d'oie;  on  a  préconisé 
aussi  les  purgatifs,  les  pessaires,  etc.  Aspasie  de  Millet  et  Cléopâtre 
ont  donné  de  nombreuses  formules  d'abortifs. 

Coutumes  romaines.  —  Le  danois  Th.  Bartholin,  anatomiste 
et  érudit,  a  publié,  sous  le  titre  De  puerperio  veterwn,  un  opuscule,  à 
propos  d'un  beau  bas-relief  en  marbre  reproduit  par  Montfaucon, 
dans  son  Antiquité  expliquée  (fig.  343).  Bartholin  abonde  en  détails 
précieux  et  nous  lui  ferons  plus  d'un  emprunt.  Un  mot  d'abord  sur 
ce  bas-relief. 

Il  représente,  d'un  côté,  le  mariage  et,  sur  le  devant,  la  naissance 
du  premier  enfant.  Sur  la  face  consacrée  au  mariage  est  figurée  la 
Juno  Pronuba,  la  Junon  des  noces,  entre  les  deux  fiancés  se  donnant 
la  main  ;  sur  l'autre  face,  qui  nous  intéresse  plus  spécialement,  la 


(1)  «  Je  ne  remettrai  à  aucun  un  pessaire  abortif.  » 

(2)  Le  père  de  la  médecine  nous  semble  coupable  plutôt  d'intention  que  de  fait, 
car  il  est  fort  probable  que  cette  semence  n'était  autre  qu'un  mélange  de  liqueur 
spermatique  et  de  mucus  utérin  et  non  un  germe  embryonnaire,  qui  n'avait  pas 
eu  le  temps  de  se  former.  D'ailleurs  son  moyen  ne  pouvait  pas  être  d'une  grande 
efficacité,  si  l'on  en  juge  par  les  femmes  enceintes  qui  tombent  du  haut  de  plusieurs 
étages  sans  avorter.  Voici  un  exemple  curieux,  rapporté  par  Brillaud-Laujardière  et 
Tardieu,  qui  prouve  encore  la  force  de  résistance  que  certaines  femmes  offrent  aux 
causes  d'avortement  :  «  En  1854,  devant  la  cour  d'assises  de  la  Loire-Inférieure,  se 
déroulaient  les  tristes  expédients  employés  par  un  paysan,  qui  avait  séduit  sa  ser- 
vante et  qui  voulait  la  faire  avorter.  Cet  homme,  monté  sur  un  vigoureux  cheval 
sur  lequel  il  prenait  sa  domestique,  partait  au  galop  à  travers  les  champs  et  lançait 
à  terre  cette  malheureuse  au  plus  fort  de  sa  course.  Ce  barbare  moyen,  auquel  il  eut 
recours  à  deux  reprises,  n'ayant  pas  produit  d'effet,  il  imagina  de  lui  appliquer  sur 
l'abdomen  des  pains  bouillants  sortant  du  four.  Cette  seconde  tentative  fut  aussi  in- 
fructueuse que  la  première,  et  la  pauvre  fille,  ainsi  martyrisée,  accoucha  cependant 
à  terme  d'un  enfant  vivant  et  bien  constitué  ». 


MŒURS   ET   COUTUMES 


Î67 


jeune  mère,  assise  dans  un  fauteuil,  regarde  le  nouveau-né,  tandis  que 
la  sage-femme  le  pose  dans  un  bassin  ou  dans  un  berceau  ;  une  aide, 
la  nourrice  peut-être,  déploie  une  pièce  de  lin 
destinée  à  essuyer  ou  à  envelopper  l'enfant.  Deux 
autres  femmes  se  tiennent  auprès  d'une  colonne 
qui  supporte  un  globe  ;  sur  ce  globe,  l'une  d'el- 
les, avec  un  style,  marque  le  jour  et  l'heure  de 
la  naissance  :  observation  que  les  Romains 
avaient  soin  de  faire  avec  la  dernière  exacti- 
tude. En  effet,  dans  nombre  d'inscriptions  sépul- 
crales, nous  trouvons  mentionnés  les  années,  les 
mois,  les  jours  de  la  vie  et  jusqu'aux  heures, 
quelquefois  même  jusqu'aux  minutes.  Ainsi 
voici  une  épitaphe  d'enfant,  rapportée  par  Fa- 
bretti  dans  ses  inscriptions  :  «  Benemerenti  in 
paceSilvania  quœ  hic  dormit,  vixit  ann.  XXI, 
mens.  III,  hor.  IV,  scrupulos  VI  ;  «  Silvania  qui 
dort  ici  en  paix,  a  vécu   vingt  et  un  ans,  trois  mois,  quatre  heures 


Fig.  34-1.   —  Ex-voto 
trouvé  à  PomDéi. 


Fig.  3i3.  — Le  vœu  de  la  mère. 


ÎG8 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


et  six  minutes  ».   L'indication  exacte  du   moment  de   la  naissance 
servant  aussi  à  tirer  l'horoscope  de  l'enfant. 

Les  femmes  romaines,  durant  la  grossesse,  adressaient  des  vœux 
aux  divinités  protectrices  de  leur  sexe,  à  Vénus  Génitrix  et  à  Juno 


i  a          I 

Fie.  Sic.  —  Faseia  mamillaris,  d'après  une  statue  antique. 


Lucina  surtout.  Nous  possédons  encore  des  inscriptions  commémo- 
ralives  qui  témoignent  de  cette  coutume  et  certains  ex-voto  destinés 
à  être  suspendus  dans  les  lemples.  Ainsi,  à  Pompéi,  on  a  trouvé  un 
ex-voto  (fig.  344)  représentant  une  matrice,  dont  les  dimensions  font 


Fie.  347. —  Faseia,  d'après  une  peinture  de  Pompai, 


penser  qu'elle  était  à  l'état  gravide,  et  a  pu  être  offerte  par  une 
femme  en  couches;  Bartholin  a  reproduit  un  autre  ex-volo  (fig.  345), 
le  vœu  de  la  mère,  qui  représente  la  sage-femme  portant  le  nou- 
veau-né et  soutenant  la  mère  de  la  main  droite. 


MOEURS    ET   COUTUMES 


469 


Dans  Y  Obstétrique  mythologique,  nous  avons  parlé  des  innombrables 
divinités  qui  présidaient  à  la  conception,  à  la  naissance  et  à  la  pre- 
mière éducation  de  l'enfant.  Nous  ne  reviendrons  pas  sur  ce  sujet, 
nous  contentant  de  rappeler  certaines  coutumes  établies  à  Rome. 

Comme  à  Athènes,  les  femmes  enceintes  devaient  porter  un  genre 
de  vêtements  qui  ne  pouvait  nuire  au  développement  de  leur  fruit  ; 
nous  savons  déjà  qu'au  début  de  leur  grossesse,  les  romaines  avaient 
l'habitude  de  déposer  leur  ceinture  dans  le  temple  de  Juno  Solvi- 


Fig.  348.  —  Scène  de  tragédie  où  figure  un  enfant  au  maillot,  d'après  une  peinture  de  Pompé 


zona.  Cette  ceinture  était  vraisemblablement  la  fascia  mamillaris 
(fig.  346,  347),  sorte  de  bandelette  qui  serrait  la  taille  au-dessous 
des  seins,  en  guise  de  corset.  Du  temps  d'Aristote,  cette  bandelette 
était  appelée  apodesme;  depuis,  on  la  nomma  stelhodesme,  lien  du 
sein;  quand  elle  était  placée  par  dessus  la  tunique,  elle  constituait  le 
strophion. 

Pendant  leur  grossesse,  les  femmes,  nous  l'avons  vu,  faisaient  un 
usage  fréquent  de  dictame,  de  choux  et  de  limaçons  ;  elles  s'abste- 
naient de  sel  et  d*eau  froide.  Pour  leurs  promenades,,  elles  préféraient 
être  conduites  par  des  juments  pleines.  Sue  croit  voir  dans  certains 


470 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


passages  de  Catulle  et  de  Pline  qu'elles  étaient  obligées  de  garder  le 
lit;  Pline  dit,  en  effet,  qu'elles  célébraient  au  lit  les  fêtes  de  Paies: 
ipsœ  inleclo  cubantes  célébrant  Pal'ûia ;  cela  prouve  seulement  qu'on 
voulait  leur  éviter  les  fatigues  de  certaines  fêtes,  et  sans  doute  aussi 
les  accidents  qui  pouvaient  survenir  au  milieu  de  la  foule  ;  il  n'y  a  là 
rien  d'inconciliable  avec  les  textes,  où  il  est  dit  que,  pour  se  prome- 
ner, elles  préféraient  être  traînées  par  des  cavales  pleines. 
L'enfant  venu  au  monde,  un   acte  solennel  était  nécessaire  pour 


IVXIO    DIADVMENO 

ricio 

1VL1VS     CORVNCA 

Xivs 

VIX  .     UOR  .   IV 

1IOR  A..0iREVlS  VXTA1! 

l.KTVJVt      'J'VX.IT 


Fig.  349.  —  Sépulture  d'un  enfant  qui  ne 
vécut  que  quatre  heures. 


Fig.  350. 


—  Statue  de  femme  étrusque  tenant 
un  enfant  nouveau-né. 


qu'il  fût  reconnu  légitime;  la  sage-femme  prenant  le  nouveau-né, 
adliitc  a  maire  rubentem,  encore  rouge  du  sang  de  sa  mûre,  écrit 
Ovide,  elle  le  déposait  à  terre.  «  Par  là  »,  dit  Dujardin,  «  on  se  proposait 
trois  choses  :  1°  d'exciter  les  cris  de  l'enfant  par  le  contact  de  la  terre 
et  à  ce  premier  cri  on  invoquait  le  dieu  Vagitanus  ;  2°  de  voir  s'il 
était  droit  et  par  suite  agréable  aux  dieux  conjugaux  ;  3°  de  lui  faire 
saluer  Opsou  la  Terre,  notre  mère  commune  ».  En  outre,  il  fallait 
que,  sous  les  auspices  de  la  déesse  Levana,  le  père  ou  une  personne 
autorisée  par  lui,  fût-ce  la  sage-femme,  prît  l'enfant  et  le  levât.  Ja- 
mais le  père  ne  relevait  une  fille  «  dans  la  crainte  de  quelque  mau- 


MOEURS   ET    COUTUMES 


471 


vais  présage  (1)  ».  Aussitôt  après  l'élévation,  la  sage-femme  plongeait 
l'enfant  dans  un  bassin  plein  d'eau  et  le  nettoyait.  Quand  le  père 
lavait  lui-même  son  enfant,  c'était  le  signe  de  la  plus  haute  affection. 
La  toilette  du  nouveau-né  terminée,  on  l'enveloppait  d'abord  dans 
une  toile  de  lin  blanche  «  qui  était  pour  les  enfants  »,  dit  Bartholin, 


Fig.  351.  —  Enfant  entouré  de  ses  bandelcltes,  d'après  une  statue  décorative  d'Andréa  du  la  Robia. 

«  comme  un  costume  sacré,  puisque  les  linges  de  lin  appartenaient 
aux  prêtres  »;  cette  toile  était  supposée  avoir  la  vertu  de  fortifier  les 
chairs  délicates  de  l'enfant  (2).  Ensuite,  on  l'emmaillotait  de  ban- 
delettes [fasciœ)  qui  le  serraient  étroitement,  comme  le  démontrent 
certaines  peintures  (fig.  348)  et  certaines  médailles  antiques.  Les  mo- 
numents funéraires  (fig.  349)  en  offrent  également  des  exemples.  La 
médaille  que  nous  avons  déjà  reproduite  (fig.  101),  nous  enseigne,  de 
plus,  comment  on  portait  les  enfants  dans  un  pli  du  manteau  qui  re- 


(1)  Ovide.  Met.,  lib.  IX. 

(2)  Il  est  possible  que  ce  soit  cette  pièce   d'étoffe  que  nous  retrouvons  dans  le 
bas-relief  reproduit  plus  haut,  fig.  343. 


472 


II I  s  roi  It  K    DES    ACCOUCHEMENTS 


couvrait  la  tunique.  Une  slalue  mutilée,  tirée  de  l'Antiquité  expli- 
quée d&  WLontfaucoTi ,  nous  montre  une  femme  étrusque  portant  un 
enfant  d'une  façon  analogue  (fig.  350). 

On  ne  se  contentait  pas  d'emmailloter  l'enfant  comme  une  momie; 
on  l'immobilisait  encore  avec  d'autres  bandes  qui  entouraient  le  ber- 
ceau. «  Fasciis  opm  csl,  »  dit  Piaule,  «  pulvinis,  cunis,  incunabulis  »  ; 
il  faut  des  langes,  des  coussins,  un  berceau,  des  bandelettes.  Ces  ban- 
delettes étaient  ordinairement  en  laine  et  de  couleurs  variées;  les 
riches  préféraient  la  couleur  blanche  ou  pourpre.  Au  bout  de  quelques 
mois,  on  déliait  les  bras,  comme  on  le  voit  sur  une  des  statues  de  la 
loge  des  Innocents,  à  Florence  (fig.  351),  puis  les  jambes  étaient  libé- 
rées de  leurs  bandelettes. 

Le  berceau  des  Romains,  comme  celui  des  Grecs,  avait  la  forme 
d'un  van  (fig.  352)  ou  encore  d'une  petite  barque,  d'un  bouclier.  Cette 


Fie.  352.  —  Berceau  fait  d'un  van  d'après  lu  bas-relief  reproduit  fig.  341. 

forme  facilitait  aux  nourrices  et  aux  esclaves  la  tâche  de  bercer  les 
enfants  et  de  les  balancer  de  tous  côtés.  Quelquefois  les  enfants  étaient 
simplement  bercés  sur  des  supports  mobiles  (fig.  353',  comme  le  repré- 
sente une  figure  extraite  d'un  manuscrit  de  la  Genèse  et  reproduite 
par  Bartholin  (1).  Les  berceaux  des  riches  étaient  ornés  de  mosaïques, 
de  peintures  et  garnis  d'étoffes  de  pourpre  et  de  fleurs  ;  on  ajoutait  au 
fond  une  peau,  pour  recueillir  les  excréments  de  l'enfant. 


(1)  Il  ne  faut  tenir  compte,  dans  cette  gravure,  que  de  la  forme  du  berceau  et  non 
des  personnages,  dont  le  costume  moyen  âge  est  un  de  ces  anaclironismes  si  fréquents 
jadie. 


MOEURS    ET    COUTUMES 


473 


Nous  avons  déjà  dit  que  le  troisième  jour,  après  la  naissance  de  l'en- 
fant, on  suspendait  à  la  porte  de  la  maison  de  la  nouvelle  accouchée 
une  couronne  de  laurier,  de  lierre,  de  persil  ou  d'herbes  aromatiques; 
cette  couronne  rappelait  celle  que  portait  la  femme  au  jour  de  ses  noces . 
Elle  rendait  inviolable  l'asile  de  l'accouchée.  L'entrée  de  sa  maison 
était  interdite  aux  magistrats  eux-mêmes,  et,  comme  à  Athènes,  on 
épargnait  le  meurtrier  qui  s'y  était  réfugié  (1)  ;  en  agissant  ainsi,  on 


Fig.  353.  —  Nourrice  amusant  un  nouveau-né  avec  des  jouets,  d'après  Bartholin. 

voulait  éloigner  toute  espèce  de  bruit  de  l'accouchée  et  lui  éviter  toute 
émotion  préjudiciable  à  sa  santé. 

Avant  le  départ  de  la  sage-femme,  on  pratiquait  la  cérémonie  de 
Y  ablution.  Toutes  les  personnes,  parents,  amis  ou  serviteurs,  qui 
avaient  assisté  à  l'accouchement  ou  seulement  qui  avaient  touché  à  la 
mère,  se  réunissaient  le  cinquième  jour  (2)  et  se  lavaient  solennelle- 
ment les  mains.  Cette  cérémonie  se  terminait  par  un  grand  festin  et  la 
distribution  de  présents  à  tous  les  invités  ainsi  qu'à  l'accouchée  et  à 
son  enfant,  comme  l'indique  certain  passage  d'une  lettre  de  Commode 


(1)  Dans  la  ville  de  Harlem,  l'entrée  d'une  semblable  demeure  était  défendue  aux 
créanciers. 

(2)  Plaute,  dans  le  Bourru,  fait  dire  à  l'hronésie  :  «  Je  veux  offrir  aujourd'hui  un 
uacrifice  pour  l'enfant,  comme  cela  se  fait  le  cinquième  jour  ». 


474  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

à  Albinus,  publiée  par  Capitolinus  :  «  Infanlulo  tuo  Pescennio  Prineo 
munera  cligna  suo  loco  taoque  mittcmus  ;  «  Nous  enverrons  à  ton  petit 
enfant  Pescennius  Prineus  des  présents  dignes  de  sa  naissance  et  de 
la  tienne  »  (1). 

D'autres  cérémonies  avaient  encore  lieu  dans  les  premiers  jours  de 
la  naissance.  Vers  la  fin  de  la  première  semaine,  on  consacrait  des 
tablettes  votives  dans  les  temples,  on  plantait  de  jeunes  pousses  de 
chêne  et  de  peuplier  dont  le  sort  présageait  celui  de  l'enfant  ;  pendant 
la  seconde  semaine,  on  dressait  un  lit  et  on  offrait  un  repas  à  Junon, 
puis  on  versait  quelques  pièces  d'argent  dans  son  trésor.  Les  enfants 
étaient  purifiés  d'eau  lustrale  ;  cette  cérémonie  avait  lieu  pour  les  filles 
le  huitième  jour,  pour  les  garçons  le  neuvième.  La  plus  âgée  des 
parentes  faisait,  au  nom  de  la  famille,  des  vœux  pour  le  nouveau-né. 
«  C'est,  »  dit  Perse,  «  quelque  grand'mère,  quelque  tante  maternelle, 
femme  craignant  les  dieux,  qui  tire  l'enfant  de  son  berceau  ;  et,  d'abord 
avec  le  doigt  du  milieu  (2),  elle  frotte  de  salive  le  front,  les  lèvres  humi- 
des du  nouveau-né  pour  le  purifier;  puis,  elle  le  frappe  légèrement  des 
deux  mains  et  déjà,  dans  ses  vœux  suppliants,  elle  envoie  ce  débile 
objet  de  ses  espérances  en  possession  des  riches  domaines  de  Licinius  » . 

Le  jour  de  la  purification  était  celui  où  l'on  donnait  à  l'enfant  son 
nom  ;  on  rasait  les  quelques  cheveux  du  nouveau-né  et  l'on  faisait  un 
sacrifice  suivi  d'un  grand  festin.  Quelquefois,  on  allumait  des  flambeaux 
de  cire  auxquels  on  suspendait  des  cartouches  où  étaient  inscrits  diffé- 
rents noms,  et  l'enfant  prenait  le  nom  correspondant  au  flambeau  qui 
avait  brûlé  le  plus  longtemps.  C'était  un  présage  de  longévité  et  de 
bonheur. 

Trois  jours  seulement  après  l'imposition  du  nom,  le  père  allait 
déclarer  la  naissance  de  son  enfant  et  livrait  ses  noms  au  prcvfectus 
œrarii  qui  l'inscrivait  sur  les  registres  des  actes  publics,  conservés 
dans  le  temple  de  Saturne. 

Si  l'enfant  était  promptement  purifié,  il  n'en  était  pas  de  même 
de  la  mère,  pour  qui  cette  cérémonie  se  faisait  attendre  beaucoup  plus 
longtemps  :  ainsi  que  chez  les  Grecs,  il  était  interdite  toute  nouvelle 
accouchée  de  pénétrer  dans  un  temple  avant  le  quarantième  jour  ;  elle 


(1)  Ces  largesses  se  renouvelaient  assez  souvent  et  les  mamans  n'hésitaient  pas  ù 
recevoir  les  cadeaux  même  des  esclaves;  au  début  du  Pàormion,  l'esclave  Davus 
plaint, en  ces  ternies,  son  confrère  Géta  :  «  Puis  une  autre  contribution  viendra  frapper 
Géta,  lorsque  la  dame  aura  un  enfant,  puis  encore  une  autre  à  cliaque  anniversaire  de 
la  naissance  du  marmot,  à  chacune  de  ses  initiations,  la  mère  enlèvera  tout,  et  l'enfant 
sera  le  prétexte  des  cadeaux  ». 

(2)  Voir  les  notes  3  et  4  de  la  page  suivante. 


MOEURS    ET   COUTUMES  475 

était  jusque-là  considérée  comme  impure,  et  toute  personne  qui  lui  ren- 
dait visite  devait,  en  sortant,  se  purifier  comme  si  elle  avait  touché  un 
cadavre. 

Pour  préserver  l'enfant  des  maléfices,  des  sortilèges  et  pour  éloigner 
de  lui  les  goules,  les  stryges,  les  vampires,  tout  ce  monde  fantastique 
inventé  par  la  peur,  on  pendait  au  cou  de  l'enfant  diverses  amu- 
lettes, des  gousses  d'ail,  de  l'alysson  (1),  de  Torchis  (2),  un  petit  phal- 
lus en  bois  ou  en  métal  (fig.  354,  355)  ou  bien  on  frottait  de  salive  (3) 
le  front  et  les  lèvres  de  l'enfant  avec  le  médius,  digitus  infamis  (4) . 


Fig.    354.  —  Amulette.  Fig.  355.  —  Autre   amulette. 

Plus  tard,  les  amulettes  grossières  furent  remplacées  par  des  bulles  en 
or  chez  les  riches,  en  cuir  chez  les  pauvres.  La  première  (fig.  356)  se 
composait,  à  ce  que  nous  apprend  Macrobe,  de  deux  plaques  d'or 
concaves,  fixées  ensemble  par  un  lien  élastique  delà  même  matière  et 
formant  ainsi  un  globe  complet  qui  renfermait  une  amulette.  La  bulle 
de  cuir  (fig.  357)  était  un  ornement  analogue  ne  différant  guère  du 
premier  que  par  la  matière  ;  le  cordon  était  composé  de  lanières  de 
cuir  tressées.  Les  archéologues  ont  trouvé  d'autres  objets  (fig.  358, 
359,  360,  361  auxquels  ils  font  jouer  le  même  rôle  qu'aux  bulles  d'or 
et  de  cuir  ;  mais,  dans  l'hypothèse,  l'audace  des  archéologues  est  sans 
bornes.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'était  sur  le  front,  et  non  sur  la  poitrine, 
qu'on  mettait  la  bulle  aux  nouveau-nés,  afin  qu'elle  ne  fut  pas  souillée 
par  les  déjections;  plus  tard,  on  la  leur  pendait  au  cou. 

(1)  riante  de  la  famille  des  crucifères. 

(2)  Genre  type  de  la  famille  des  orchidées  dont  la  forme  rappelle  celle  des  testi- 
cules. 

(3)  Perse,  en  parlant  d'une  grand'mère  superstitieuse,  dit  : 

Frontem  atque  via  labclla 
Tnfamï  digito,et  lîtstralibus  ante  salivis 
Expiât. 
Elle  mouille  le  front  et  les  lèvres  de  son  petit-fils  avec  le  médius  trempé  dans  sa 
salive,  pour  le  garantir  des  enchantements. 

(i)  Le  signe  des  débauchés,  xi  g  nu  m.  infâme,  pour  représenter  l'attribut  de  Priape, 
était  l'érection  du  médius,  les  autres  doigts  restant  fléchis  ;  de  la  le  nom  de  «  doigt 
infâme  »  donné  au  médius. 


'.70 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Les  nourrices  chez  les  Romains.  —  L'usage  des  nourrices 
s'introduisit  de  bonne  heure  chez  les  Romains.  Les  sévères  matrones 
de  la  République  semblent  avoir  mis  leur  gloire  moins  à  allaiter  leurs 
enfants  qua  veiller  sur  leur  éducation.  Il  ne  faudrait  pas  abuser  d'un 
passage  bien  connu  du  Dialogue  des  orateurs  (1)  :  «  Autrefois,  chaque 
Romain  gardait  près  de  lui  son  fils  qui,  né  d'une  mère  chaste,  crois- 
sait, non  pas  dans  le  réduit  d'une  nourrice  à  gages,  mais  au  giron  et 
sur  le  sein  de  sa  mère,  non  in  cellaemptœ  natricis,  sed  gremio  ac  sinu 
matris  educabatur  ».  Or,  que  signifient  gremio  et  sinu,  opposés  à 
cella  emptœ  nutricisl  Gremio  :  les  enfants  étaient  assis  sur  le  giron, 
sur  les  genoux  de  leur  mère  ;  Sinu  :  leur  tête  reposait  sur  son  sein.  Ce 


Fig,  ZOG.  —  Biilla  aurea,  trouvée  à  Roma-Veceliia.  Fig.  3^7-   —  huila  scortca,  trouvée  à  Pérouse. 

ne  sont  pas  de  telles  expressions  qu'un  Latin  eût  employées  pour 
rendre  l'idée  d'allaitement.  Que  dans  certaines  familles,  comme  celle 
du  vieux  Caton,  la  femme  ait  nourri  elle-même  ses  enfants,  c'est  pro- 
bable, mais  cet  exemple  ne  fut  guère  imité  dans  les  classes  élevées. 
César  reprochait  aux  dames  de  son  temps  les  chiens  et  les  singes 
quelles  portaient  sous  le  bras,  tandis  qu'elles  laissaient  leurs  enfants 
aux  nourrices.  Cette  classe  de  femmes  est  citée  d'ailleurs  dans  des 
textes  bien  antérieurs.  Plaute,  dans  le  Truculenlus,  dit  que  la  nour- 
rice a  toujours  besoin  d'avoir  une  forte  cruche  de  vin  vieux,  pourboire 
la  nuit  et  le  jour  : 


(1)  Attribué  avec  vraisemblance  à  Tacite. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


477 


Opus  nutrici  autem,  utrem  habeat  veteris  vint  largiter, 
Ut  dies  noctes  que  fotet... 

"Vin  rouge  ou  vin  blanc  ?  Le  comique  est  muet  sur  cette  grave  ques- 
tion ;  plus  tard  Apulée  déclarera,  en  vertu  de  l'hygiène  des  signatures, 
qu'elles  ne  peuvent  boire  de  vin  rouge. 


Fig.  358. 


Fie.  359. 


Comme  les  nourrices  grecques,  les  nourrices  romaines  s'envelop- 
paient dans  une  sorte  de  manteau  en  laine  qui  leur  permettait  de  pré- 


FlG.  360. 


Fig.  361. 


server  leur  nourrisson  des  intempéries  de  l'air.  Les  gens  riches,  pour 
que  le  lait  des  nourrices  ne  s'échauffât  pas,  faisaient  porter  leurs 
enfants  par  des  esclaves,  bajulalrices .  Saint  Jérôme,  en  énumérant 


i78  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

les  qualités  nécessaires  à  une  nourrice  qu'il  veut  prudente,  non  lascive 
ni  babillarde,  ajoute  :  «  Elle  doit  avoir  une  porteuse  modeste,  un  nour- 
ricier d'un  âge  mûr  ;  habmt  modestam  gerulam,  nulritium  gravera  ». 

Les  Romains,  nous  l'avons  dit,  ne  croyaient  pas  au  préjugé,  si 
répandu  de  nos  jours,  que  le  mélange  ou  le  changement  de  lait  est 
nuisible  à  l'enfant  ;  d'après  Aulu-Gelle,  ils  avaient  plusieurs  nourrices 
à  la  fois  pour  le  même  enfant  et  Platon  voulait,  dans  sa  République 
idéale,  que  les  nourrices  fussent  en  commun. 

Pour  éviter  la  substitution  des  enfants  confiés  aux  nourrices,  les 
Romains  avaient  l'habitude  de  mettre  au  cou  des  nouveau-nés,  qu'ils 
confiaient  aux  mercenaires,  un  collier  appelé  crepundia. 

A  Rome,  comme  en  Grèce,  la  nourrice  restait  attachée  à  la  famille 
après  le  sevrage,  et  s'occupait  de  l'éducation  de  l'enfant  qu'elle  avait 
allaité.  Varron  écrit  :  Educit  obsletrix,  educal  nulrix,  «  la  sage- 
femme  donne  le  jour  et  la  nourrice  l'éducation.  »  Aulu-Gelle  dit 
qu'elles  restaient  jusqu'à  la  puberté  de  l'enfant,  mais  leur  séjour  pou- 
vait se  prolonger  indéfiniment  et  elles  devenaient,  alors,  un  membre 
respecté  de  la  famille.  On  raconte  qu'un  Gracchu?,  rentrant  victorieux 
dans  Rome,  aperçut  sur  les  remparts  sa  mère  et  sa  nourrice  :  c'est 
dans  les  bras  de  cette  dernière  qu'il  se  jeta  d'abord;  il  lui  donna  en 
présent  un  riche  collier  d'or,  tandis  qu'il  n'offrit  à  sa  mère  qu'un 
simple  anneau  d'argent. 

Les  Romains  connaissaient  aussi  l'usage  des  biberons  et  ils  appe- 
laient assœ  nutrices,  nourrices  sèches,  les  femmes  qui  étaient  chargées 
de  ce  soin. 

Avorteraient,  désaveu  de  paternité,  exposition  des 
enfants.  —  L'avortement  était  dans  les  mœurs  romaines  ;  le  théâ- 
tre de  Plaute  en  parle  déjà  comme  d'une  chose  commune  :  «  Elle  te 
cachait  sa  grossesse,  »  dit  un  personnage  de  Truculentus,  «  car  elle 
craignait  que  tu  la  contraignisse  à  un  avortement,  à  la  mort  de  l'en- 
fant qu'elle  portait  dans  son  sein  ».  Plus  tard,  sous  l'empire,  malgré 
les  lois  qui  punissaient  l'avortement  de  la  rélégation,  des  mines  et 
même  du  dernier  supplice  (1),  le  fléau  .prit  des  proportions  inouïes. 
«  Vous  avez,  »  dit  Tertullien,  «  des  lois  qui  défendent  de  tuer  les 
nouveau-nés,  et  il  n'y  a  pas  de  loi  qui  soit  plus  souvent,  plus  impu- 
nément violée,  que  la  loi  contre  l'infanticide  ;  tout  le  monde  est  com- 
plice de  ce  crime.  »  En  effet,  l'impératrice  elle-même  donnait  l'exem- 
ple. Un  passage  d'Ovide  semble  cependant  prouver  que  l'opinion 

(1)  Paulus.  Bccerpt.  Sentent,  XXXVIII,  7. 


MOEURS   ET   COUTUMES  479 

publique  avait  parfois  encore  quelques  sévérités  pour  ces  effroyables 
pratiques  : 

At  tenerx  faciunt,  sed  non  impune,  puellx.  ; 

Sœpe  suos  utero  dum  necat,  ipsa  périt. 
Ipsa  périt,  fer  turque  toro  resoluta.capillos, 

Et  clamant  :  «  Merito  »,  qui  modo  cumque  vident. 

Des  jeunes  filles  y  ont  recours,  mais  non  impunément  ; 
Souvent  celle  qui  tue  son  enfant  dans  son  sein,  périt  elle-même  ; 
Elle  périt,  on  la  porte  échevelée  sur  sa  couche, 
Et  quiconque  la  voit,  de  s'écrier  :  «  C'est  justice  !  »  (1). 

Les  femmes  en  étaient  arrivées  à  se  débarrasser  de  leur  grossesse, 
pour  n'en  être  pas  incommodées  en  voyage  (2).  C'est  un  éloge  réel 
que  Sénèque  adresse  à  sa  mère  Helvia,  quand  il  la  félicite  de  n'avoir 
jamais  tué,  dans  ses  entrailles,  «  un  fruit  plein  d'espérance  (3).  »  Le 
plus  souvent,  en  effet,  l'avortement  était  provoqué  par  la  mère, 
«  afin,  »  dit  Montesquieu,  «  que  leur  grossesse  ne  les  rendît  pas 
désagréables  à  leurs  maris  ;  »  et  à  leurs  amants,  aurait  dûajouter 
l'historien.  L'auteur  du  petit  poème  intitulé  le  Noyer  (4),  fait  allusion 
à  cette  odieuse  coquetterie. 

Nunc  uterum  vitiat,  quse  vult  formosa  videri, 
Raraque  in  hoc  sevo  est  qu&  velit  esse  pareils. 

Maintenant  elle  tue  son  fruit,  celle  qui  veut  paraître  belle 

Et,  dans  notre  âge,  est  rare  la  femme  qui  consente  à  être  mère. 

Aulu-Gelle,  dans  les  Nuits  altiques  (5),  parle  des  femmes  qui  se  font 
avorter  de  peur  que  leur  ventre  ne  soit  déformé  par  la  grossesse. 
«  Penses-tu  »  dit  cet  auteur,  «  que  la  nature  ait  donné  des  mamelles 
aux  femmes,  comme  de  gracieuses  protubérances  destinées  à  orner 
la  poitrine  et  non  à  nourrir  les  enfants?  Dans  cette  idée,  la  plupart 
de  nos  merveilleuses  [prodigiosœ  mulieres)  s'efforcent  de  dessécher  et 
de  tarir  cette  fontaine  sacrée  où  le  genre  humain  puise  la  vie,  et  ris- 
quent de  corrompre  ou  de  détourner  leur  lait,  comme  s'il  gâtait  ces 
attributs  de  la  beauté.  C'est  la  même  folie  qui  les  porte  à  se  faire 
avorter,  à  l'aide  de  diverses  drogues  malfaisantes,  afin  que  la  sur- 

(1)  Amours.  Liv.  II,  Eleg.,  XIV. 

(2)  Of.  Ovide.  Fastes,  I. 

(3)  Consolation  à  Ilelvia. 

(4)  Faussement  attribué  à  Ovide. 

(5)  XII,  1. 


480  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

face  polie  de  leur  ventre  ne  se  ride  pas  et  ne  s'affaisse  point  sous  le 
poids  de  leur  faix  et  par  le  travail  des  couches.  »  De  même  Ovide, 
s' adressant  à  Corinne,  qui  s'était  fait  avorter  et  avait  mis  ses  jours 
en  péril,  dit  à  sa  maîtresse  (1)  : 
» 
Scilicet,  ut  careat  rugarum  crimine  venter,, 
Sternatur  jyugnse  tristis  arena  tuœ  ? 

Est-ce  pour  que  ton  ventre  ne  t'accuse  point  par  ses  rides, 
Que  tu  abîmes  la  triste  arène  du  combat  amoureux  ? 

Une  autre  cause  fréquente  d'avortement  était  la  nécessité  de  faire 
disparaître  le  résultat  de  relations  illégitimes.  On  connaît  ces  vers  de 
Juvénal  sur  Julia,  nièce  et  concubine  de  Domitien  : 

Cum  tôt  abortivis  fecundam  Julia  vulvam 
Solveret  et  patruo  similes  effunderet  offas. 

Tandis  que  de  ses  flancs  féconds  en  avortements,  Julia 
Versait  d'informes  lambeaux,  portraits  de  son  oncle  (2). 

Au  temps  du  satirique,  le  mal  était  dans  toute  son  horreur  : 

Sedjacet  aurato  vix  nulla  puerpera  lecto  : 

Tantum  artes  hujus,  tantum  medicamina  possunt , 

Quœ  stériles  facit,  at  que  homines  in  ventre  necandos 
Conducit  !... 

Mais  plus  d'accouchée  étendue  sur  un  lit  doré, 

Tant  sont  puissants  l'art  et  les  breuvages  de  celle 

Qui  rend  stérile,  et  fait  métier  (3)  de  tuer  l'homme  au  ventre  de  sa  mère. 

La  cupidité  poussait  aussi  à  ce  crime.  Cicéron  (4)  raconte  qu'au 
temps  de  son  séjour  en  Asie,  une  Milésienne  fut  justement  condamnée 
à  mort  pour  avoir  détruit  son  fruit,  à  l'instigation  des  parents  de  son 
mari;  le  môme  auteur  charge  d'invectives  la  mémoire  d'un  certain 
Oppianicus  qui  avait  commis  un  avortement,  dans  l'espoir  d'un  héri- 
tage. «  La  fréquence  de  l'avortement  »,  dit  le  Dr  Galliot,  «  en  était 
arrivée  à  un  tel  degré  dans  les  familles  riches,  que  des  noms  dispa- 
raissaient faute  d'héritiers.  Souvent,  par  haine  de  leur  mari,  surtout 

(!)  Amours.  Liv.  II,  Eleg.  XIV. 

(2)  Satire  II.  Suétone  nous  apprend  qu'enfin  Julia  en  mourut. 

(3)  J<1.,\\. 

(4)  Pro  Clmntio. 


MOEURS   ET   COUTUMES  481 

après  séparation,  les  femmes  essayaient  de  se  faire  avorter,  et  il  était 
d'usage,  pour  garder  les  intérêts  du  père,  de  constituer  un  curateur 
au  ventre  »  (1). 

Cependant,  à  côté  de  ce  relâchement  des  mœurs,  qui  devait  être  sur- 
tout accentué  dans  le  monde  de  la  galanterie,  il  est  juste  de  faire  re- 
marquer que  la  stérilité  était  généralement  considérée  comme  une 
honte;  aussi  est-il  souvent  question  dans  les  auteurs  des  moyens 
que  les  femmes  employaient  pour  devenir  mères,  remèdes  magiques, 
flagellation  par  les  Luperques,  prières  adresssées  à  certaines  divi- 
nités, à  Vénus  Genitrix,  entre  autres,  etc. 

Ovide  les  énumère  poétiquement  dans  le  second  livre  de  ses  Fastes  : 

Nupta,  quid  expectas?  Non   tu  pallentibus  herbis, 
Nec  prece,  nec  magico  carminé  mater  eris. 

Excipe  fœcundœ  patienter  verbera  dextrae  ; 
Jam  socer  optatum  nomen  habebit  sévi. 

Qu'attends-tu,  nouvelle  épousée,  ce  ne  sont  pas  des  herbes  sèches 
Des  prières,  des  chants  magiques,  qui  te  rendront  mère  ; 

Reçois  patiemment  les  coups  de  fouet  d'une  main  féconde, 
Et  ton  beau-père  aura  le  nom  de  grand-père,  qu'il  désire. 

Quant  aux  procédés  d'avortement  ils  étaient  nombreux  ;  nous  ne 
parlons  pas,  bien  entendu,  des  moyens  rationnels  dont  usaient  les  mé- 
decins, dans  un  but  thérapeutique;  nous  ne  parlons  que  des  avorte- 
ments  criminels.  Dans  les  textes,  il  est  surtout  question  de  breuvages 
et  de  sortilèges,  mais,  comme  l'observe  justement  le  Dr  Galliot,  ne 
faut-il  pas  entendre  par  ces  sortilèges  des  manœuvres  intra-utérines  ? 
Ovide  dit  expressément  : 

Vestra  quid  effoditis  subjectis  viscera  telis  ?  (2) 

Pourquoi  enfoncer  des  instruments  dans  vos  entrailles? 

Quels  étaient  ces  instruments?  Un  pessaire?  Une  sonde  utérine 
plutôt.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  y  a  là  trace  de  procédés  plus  efficaces  que 
les  décoctions  de  plantes,  surtout  que  l'odeur  de  lampe  mal  éteinte  et 
que  le  sang  menstruel  incinéré,  rangés  par  Pline  au  nombre  des  abor- 
tifs.  L'absorption  des  cantharides,  malgré  ses  dangers,  était  si  sou- 

(1)  Recherches  historiques,  ethnographiques  et  médico-légales  sur  Vavortement  cri- 
minel, 1884. 

(2)  Amours,  II,  14. 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS.  ■31 


482 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


vent  employée  par  les  dames  romaines  qui  se  croyaient  enceintes 
qu'on  fut  obligé  de  faire  la  loi  Cornélia  pour  mettre  fin  à  cette  pra- 
tique désastreuse. 

Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  d'une  autre  coutume  déplorable, 
tout  aussi  répandue  chez  les  Romains,  le  désaveu  de  paternité  et 
l'exposition  des  enfants  qui  en  était  la  conséquence.  D'ordinaire,  le 
Romain  accueillait  avec  joie  la  venue  d'un  enfant,  d'un  garçon  sur- 
tout ;  mais  s'il  doutait  de  la  légitimité  (1),  si  le  part  était  monstrueux  (2), 
si  la  naissance  avait  été  accompagnée  de  funestes  présages,  rien  ne 


Fig.   3G2.  —  Juno  Sospita. 


Fig.  3G3.  —  Colonne  Lactan'a. 


pouvait  le  forcer  à  Yélever,  tollere,  et  à  le  reconnaître  par  cet  acte. 
L'enfant  renié  était  exposé  et  abandonné  à  jamais  ;  c'était  souvent  le 
sort  des  filles.  Des  esclaves  dévoués  mettaient  les  enfants  condamnés, 
dans  une  sorte  de  bassin  ou  de  corbeille  en  osier,  et  les  portaient  se- 
crètement, durant  la  nuit,  dans  certains  endroits  consacrés  à  cet  usage, 
au  pied  de  la  colonne  Lactaria,  par  exemple.  Une  médaille  (fig.  363) 
représente  celte  colonne,  surmontée  d'un  petit  enfant  et  placée  entre 
deux  chèvres,  nourrices  naturelles  des  petits  malheureux  ainsi  aban- 
donnés ;  sur  le  revers  se  trouve  l'image  de  Juno  Sospita  (3)  (fig.  362). 


(1)  La  ressemblance  des  enfants  aux  parents  était  alors  considérée  comme  la  meil- 
leure preuve  de  leur  légitimité  ;  ainsi  Horace  dit,  dans  la  cinquième  Ode  du  livre  IV  : 

Laudantur  simili  proie  jmerperœ, 
On  loue  la  mère  dont  l'enfant  est  semblable  à  l'époux, 
et  l'on  conçoit  que,  dans  leurs  prières,  les  femmes  enceintes  demandaient  avec  ins- 
tance cette  faveur  aux  dieux,  pour  ne  pas  être  accusées  d'infidélité. 

(2)  Les  vieilles  lois  ne  permettaient  pas  l'exposition  d'un  enfant  difforme,  à  moins 
qu'on  eût  pris  l'assentiment  de  cinq  voisins  ;  plus  tard,  la  loi  des  Douze  Tables  au- 
torisa le  père  à  tuer  sur-le-champ  un  enfant  monstrueux. 

(3)  En  Grèce,  dans  les  cités  doriennes,  aussitôt  après  sa  naissance,  on  portait 
l'enfant  au  Lesché,  où  il  devait  être  examiné  par  les  anciens  de  la  cité  ;  s'il  n'avait 


MOEURS    ET    COUTUMES 


483 


Quand,  au  contraire,  on  avait  l'intention  de  se  défaire  de  l'enfant, 
au  lieu  de  l'exposer  dans  un  endroit  fréquenté,  on  le  déposait  dans 
un  lieu  désert,  sur  le  bord  d'un  fleuve,  comme  le  Romulus  de  la  lé- 


Fig.  364.  —  Ilémus  et  Romulus,  d'après  un  camée  antique. 

gende  et  son  frère  Rémus,  les  nourrissons  de  la  louve  (fig.  364),  ou 
encore  au  lac  Vélabre  et  aux  égouts  (1). 


aucune  difformité,  il  était  déclaré  apte  à  être  élevé  et  recevait  en  héritage  un  neuf 
millième  des  parts  de  terre  de  l'Etat  ;  s'il  était  contrefait,  on  le  jetait  sans  pitié 
dans  le  gouffre,  appelé  Apothétes,  auprès  du  mont  Taygète. 

Les  Athéniens  exposaient  les  bâtards  au  Cynosarge.  Ce  dernier  fait  est  au  moins 
suspect. 

(1)  Cette  coutume  immorale  se  retrouve  chez  d'autres  peuples.  Si  l'on  en  croit 
Pétrone,  les  Crotoniates  abandonnaient  les  enfants  de  l'un  et  l'autre  sexe.  Voici  le 
passage  :  «  Dans  cette  ville  personne  n'élève  de  famille  (nemo  pueros  tollit)  ;  car, 
quiconque  a  des  héritiers  naturels  se  voit  exclu  des  soupers  et  des  spectacles  ;  tous 
les  avantages  de  la  société  lui  sont  interdits  ;  il  reste  perdu  dans  la  canaille  )>.  Ajou- 
tons que,  chez  certains  peuples,  on  s'assurait  de  la  légitimité  des  enfants  en  les  sou- 
mettant à  des  épreuves  barbares.  Les  Ethiopiens  présentaient  leurs  enfants  aux 
oiseaux,  et,  suivant  Lucain,  quand  les  l'sylles  d'Afrique  ont  des  doutes,  ils  exposent 
le  nouveau-né  à  la  piqûre  mortelle  d'un  serpent  : 

Letifica  dubios  explorant  aspide  partus. 

Les  Celtes  avaient  l'épreuve  de  l'eau  ;  Claudien  y  fait  allusion  quand,  dans  sou 
poème  contre  ïlufin,  il  parle  de  ceux  «  que  l'eau   du   Rhiu  éprouve  à  leur  nais- 


•Ï8ï  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Si  les  parents  ne  voulaient  pas  s'enlever  toute  chance  de  retrouver 
plus  tard  leur  enfant,  ils  mettaient  dans  leurs  langes  un  jouet,  un 
anneau  indiquant  la  condition  libre,  parfois  môme  leur  nom.  Cette 
coutume  nous  a  valu  la  scène  suivante  de  YHéautontimoruménos: 
Sostrata  a  reconnu  au  doigt  d'Antiphile  l'anneau  qu'elle  avait  mis  à 
côté  de  sa  fille  quand  elle  fut  exposée,  et  l'annonce  ainsi  à  Chrêmes, 
son  mari  : 

Sostrata.  —  Hé,  mon  mari  ! 

Chrêmes.  —  Hé,  ma  femme  ! 

Sostrata.  —  Je  vous  cherchais. 

Chrêmes.  —  Parlez,  que  voulez-vous? 

Sostrata.  —  Je  vous  prie  d'abord  d'être  bien  convaincu  que  je  n'ai 
rien  osé  faire  contre  vos  ordres. 

Chrêmes.  — Voulez-vous  que  je  croie  cela,  bien  que  ce  soit  incroya- 
ble ?  Je  le  crois. 

Syrus.  —  Cette  précaution  oratoire  nous  annonce  quelque  méfait. 

Sostrata.  — Vous  vous  rappelez  que,  dans  une  de  mes  grossesses, 
vous  m'avez  dit  formellement  que  si  j'accouchais  d'une  fille,  vous  ne 
vouliez  pas  l'élever? 

Chrêmes.  —  Je  devine  ce  que  vous  avez  fait.  Vous  l'avez  élevée. 

Syrus.  —  Serait-ce  vrai,  maîtresse?  Voilà  mon  maître  avec  une  nou- 
velle charge  ! 

Sostrata.  —  Point  du  tout.  Il  y  avait  ici  une  vieille  femme  de  Co- 
rinthe,  d'une  conduite  honorable  :  je  lui  donnai  l'enfant  à  exposer... 

Chrêmes. —  Jupiter!  quelle  absurdité...  Que  de  fautes  dans  une 
seule  action  !  Et  d'abord,  si  vous  aviez  commencé  par  exécuter  mes 
ordres,  il  fallait  tuer  cette  enfant,  et  non  pas  prononcer  un  faux  arrêt  de 
mort,  qui  lui  laissait  l'espoir  réel  de  la  vie. 


sance  ».  Un   auteur,  qui  s'est  rendu  justice  en  gardant  l'anonyme,  a  décrit  cette 
épreuve  dans  les  mauvais  vers  que  voici  : 

C'est  grâce  au  Ehin  jaloux  que  le  Celte  indompté 

Constate  de  ses  fds  la  légitimité, 

Et  de  l'enfant  qui  naît  nul  ne  se  croit  le  père, 

Qu'il  ne  l'ait  vu  baigné  par  le  fleuve  sévère. 

A  peine  l'embryon  hors  du  sein  maternel 

A,  par  son  premier  cri,  salué  l'existence, 

Que  sur  un  bouclier,  d'un  air  d'indifférence, 

Le  mari  le  dépose,  et  son  cœur  paternel 

Ne  s'ouvrira  pour  lui  que  quand  l'onde  amicale 

Aura  justifié  la  couche  conjugale. 

Mais  la  mère  qui,  chaste  et  fidèle  à  l'honneur, 

Doit,  même  dans  ce  cas,  voir  succéder  pour  elle 

Aux  tourments  de  Lucine  une  douleur  nouvelle, 

De  l'eau  mobile  attend  l'arrêt  avec  terreur. 


MOEURS   ET   COUTUMES  485 


Les  enfants  abandonnés  servaient  à  faciliter  la  «  supposition  »  qui 
existait  aussi  dans  les  habitudes  des  Romains.  Voici  ce  que  Plaute 
fait'dire,  dans  une  de  ses  pièces,  à  Phronésie  qui  veut  simuler  un  ac- 
couchement: «  Ma  mère,  voyant  approcher  le  dixième  mois,  charge 
nos  servantes  de  chercher  un  enfant,  garçon  ou  fille,  pour  aider  à  la 
supposition  ». 

Souvent  la  femme  qui  s'était  fait  avorter  par  coquetterie,  en 
cachette  de  son  mari,  simulait  l'accouchement  au  terme  normal,  et 
présentait  à  son  époux  un  enfant  d'emprunt,  toujours  un  garçon. 

B.  — MOYEN  AGE  ET  TEMPS  MODERNES. 

La  battue  des  étangs.  — ■  Voici  ce  que  nous  lisons  dans  le 
Je  ne  sais  quoi  de  Cartier  de  Saint  Philippe  :  «  J'ai  ouï  parler  d'un 
Droit  seigneurial  quelque  part  en  France;  quand  la  Dame  du  lieu 
est  en  couche,  les  païsans  sont  obligés  de  remuer  l'eau  du.  fossé  qui 
entoure  son  château,  afin  d'empêcher  les  grenouilles  d'oter,  par  leur 
coassement,  le  repos  à  la  Dame  ». 

Cette  coutume  semble  bien  singulière  et  on  pourrait  se  demander 
si  ce  n'était  pas  plutôt  les  plaintes  bruyantes  de  l'accouchée  qui  trou- 
blaient le  repos  de  ces  inoffensifs  batraciens  ;  mais  il  en  existait  une 
toute  pareille  en  faveur  des  abbés,  aussi  douillets  que  les  femmes  en 
couches.  On  battait  l'eau  des  étangs  ou  des  douves,  autour  des  châ- 
teaux où  dormait  l'indolent  prélat,  et  d'anciens  chroniqueurs  nous 
ont  transmis  la  cantilène  que  fredonnaient  à  mi-voix  les  paysans,  en 
agitant  leurs  gaules  : 

Pâ,  pâ,  pâ,  rainette,  pâ, 

Pour  monsieur  l'abbé  que  Dieu  gâ. 

(Paix,  paix,  paix,  rainette,  paix, 
Pour  monsieur  l'abbé  que  Dieu  garde.) 

Les  fées  et  leurs  attributs.  —  Nous  savons  tous  quel  rôle 
important  jouent  les  fées  à  la  naissance  de  Riquet  à  la  Houppe  ou  de 
la  Belle  au  bois  dormant.  Leur  nom  môme,  dérivé  de  fata,  indique 
qu'elles  présidaient  à  la  destinée  des  mortels.  «  Un  des  traits  les  plus 
caractéristiques  des  fées  »,  dit  A.  Maury,  «  c'était  le  soin  qu'elles  pre- 
naient d'assister  à  la  naissance  des  enfants  auxquels  elles  dispen- 
saient à  leur  gré  les  défauts  et  les  qualités,  le  bonheur  et  la  mauvaise 
fortune.  Nous  reconnaissons  dans  cette  présence,  près  du  berceau  des 


486  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


nouveau-nés,  un  des  attributs  des  Parques,  dont  une  des  fonctions 
était  d'assister  Ilithyia  et  de  se  trouver  à  la  naissance  des  enfants, 
pour  prononcer  sur  leur  avenir.  »  C'est  ainsi  que  les  légendes  du 
moyen  âge  nous  montrent  les  fées,  assistant,  le  plus  souvent  au  nom- 
bre de  trois,  comme  les  Parques  antiques,  à  la  naissance  d'Ogier  le 
Danois,  de  Brun  de  la  Montagne,  du  fils  de  Maillefer.  Cette  supers- 
tition ne  serait  pas  entièrement  perdue  :  dans  le  canton  de  Rhétiers, 
aux  environs  de  la  Roche-aux-Fées,  les  paysans  croiraient  encore 
aux  fées  qui  prennent,  disent-ils,  soin  des  petits  enfants,  dont  elles 
pronostiquent  le  sort  futur  ;  elles  descendent  dans  les  maisons  par  les 
cheminées  et  ressortent  de  même  pour  s'en  aller. 

Ces  braves  gens  leur  offrent-ils  encore  un  repas,  comme  leurs  an- 
cêtres du  XIIIe  siècle?  Nous  lisons,  en  effet,  ce  qui  suit  dans  le 
roman  de  Guillaume  au  Court-Nez  : 

«  Il  y  avoit  alors  en  Provence,  et  dans  plusieurs  autres  pays,  une 
coutume  qui  consistoità  placer  sur  la  table  trois  pains  blancs,  trois 
pots  de  vin,  et  trois  hanaps  ou  verres,  à  côté;  on  posoit  le  nouveau-né 
au  milieu,  puis  les  matrones  reconnaissoient  le  sexe  de  l'enfant,  qui 
ensuite  étoit  baptisé. 

«  Le  fils  de  Maillefer  fut  donc  ainsi  exposé,  et  les  matrones,  après 
l'avoir  vu,  s'éloignèrent.  Tout  dormoit  dans  la  chambre  quand  cette 
aventure  eut  lieu.  Le  temps  étoit  beau,  la  lune  brillante.  Alors,  trois 
fées,  entrèrent,  prirent  l'enfant,  le  réchauffèrent,  le  couvrirent  et  le 
placèrent  dans  son  berceau.  Prenant  ensuite  le  pain  et  le  vin,  elles 
soupèrent,  et  chacune  d'elles  fit  au  nouveau-né  présent  d'un  beau 
souhait...» 

A  la  naissance  d'Obéron,  les  fées  furent  invitées,  à  l'exception  d'une 
seule  qui,  pour  se  venger,  condamna  Obéron  à  ne  jamais  dépasser  la 
taille  d'un  nain. 

Aujourd'hui,  sauf  peut-être  dans  le  canton  de  Rhétiers,  les  fées 
sont  bien  déchues  de  leurs  antiques  prérogatives.  Perrault  s'en  va 
chassé  par  Jules  Verne  ;  nos  enfants  connaissent  mieux  le  capitaine 
Hatteras  que  la  fée  Carabosse  ;  les  pauvres  dames  n'ont  plus  guère 
d'autres  fonctions  que  d'amener  des  changements  à  vue  sur  nos  théâ- 
tres. Et  encore  remplace-t-on,  le  plus  souvent,  leur  baguette  par  un 
pied  de  mouton  ou  la  queue  d'un  chat  : 

Sunt  lacrymœ  rerum. 

Soins  donnés  à  l'enfant  au  moyen  âge.  —  Maillot  et 
berceaux.  —  Au  moyen  âge,  comme  dans  tous  les  temps  et  chez 


MOEURS   ET   COUTUMES  487 

tous  les  peuples,  sauf  cependant  chez  les  Turcs,  plus  arriérés  à  cet 
égard  que  les  sauvages,  on  nettoyait  le  nouveau-né  dans  un  bassin 
d'eau  chaude  (fig.  365),  aussitôt  après  la  section  du  cordon.  «  L'on 
doit  commancer  par  le  baing  tost  après  avoir  couppé  le  nombril  de 
l'enfant  »,  dit  Simon  de  Vallambert  (1).  Cette  section  se  faisait  avec 
un  rasoir,  les  forcettes  ou  un  couteau.  Souvent,  avant  de  baigner 
l'enfant,  on  l'enveloppaitdans  une  peau  d'agneau  récemment  écorché, 
pour  soulager  le  nouveau-né  des  souffrances  qu'il  avait  endurées  au 
passage  ;  ou  bien  on  retendait  sur  un  lit  de  paille  chaude  dont  on  le 
frictionnait  par  tout  le  corps  ;  d'autres   fois,  on  le  saupoudrait  de 


Fig.  365.  —  Nettoiement  du  nouveau-né  au  moyen  âge. 

farine,  comme  un  merlan,  ou  bien  on  le  frottait  avec  une  couenne  de 
lard  pour  renforcer  ses  membres. 

Le  bain  pris,  on  enlevait  la  matière  sébacée  qui  s'accumule  dans 
certaines  régions,  soit  avec  un  linge,  soit  par  des  succions  répétées, 
comme  le  font  encore  aujourd'hui  quelques  peuplades  de  l'Océanie. 
Quand  le  filet  existait,  on  le  coupait  avec  l'ongle  du  pouce.  Gordon 
conseille  que  «  tost  après  que  l'enfant  ha  esté  baigné,  nettoyé  et 
formé  comme  il  appartient,  la  nourrice  doit  l'envelopper  de  beaux 
linges  nets,  et  estendre  ses  bras  sur  les  costes,  et  les  bander  médio- 
crement d'une  bande  largette  et  non  rude  ;  puis  estendre  aussi  les 
cuisses  et  les  iambes  ;  et  si  c'est  un  masle,  mettre  sa  pisne  et  ses 
deux  petits  dessus  les  cuisses  :  et  si  c'est  une  fille,  laisser  engrossir 


(1)  Cinq  livres  de  la  manière  de  nourrir  et  gouverner  les  en/ans  dès  leur  nais- 
sance, 1565. 


488 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


les  anches,  lâchant  un  peu  la  bande  en  cest  endroit.  »  On  se  servait 
de  drapeaux  en  linge  usé  et  de  langes  ou  langeolz  en  laine  fine. 

Le  maillot  étant  bien  assujetti  avec  des  bandelettes,  à  la  mode  anti- 
que, on  couchait  l'enfant  dans  son  berceau.  Cette  coutume  de  ficeler 
ainsi  les  nouveau-nés  dura  longtemps  :  dans  un  manuscrit  latin  du 
IXe  siècle  (1),  contenant  une  miniature  (fig.  103)  qui  représente  la  nais- 
sance du  Sauveur,  nous  voyons  l'enfant  Jésus  ainsi  fagoté  ;  certaines 
autres  miniatures  des  siècles  Suivants  (fig.  104),  nous  montrent  le 
même  maillot. 

Les  premiers  berceaux  figurés  dans  les  manuscrits  du  IXe  siècle, 
semblent  faits  d'un  simple  tronc  d'arbre  coupé  longitudinalement  et 


Fig.  3GG.  —  Miniature  du  X°  siècle.  (Figure  tirée  du  Diction,  du  Mobilier,  de  Viollet-Ie-Duc/ 


creusé  en  forme  de  lit  ;  le  bord  était  percé  de  trous  par  lesquels  pas- 
saient des  bandelettes  destinées  à  empêcher  l'enfant  de  tomber;  la  con- 
vexité de  la  partie  reposant  à  terre  facilitait  le  bercement. 

Plus  tard,  les  berceaux  eurent  la  forme  de  petits  lits  disposés  sur  des 
morceaux  de  bois  courbes  (fig.  366,  368)  ;  ce  n'est  guère  que  vers  le 
XVe  siècle  (fig.  367),  que  l'on  commence  à  faire  usage  de  berceaux  pou- 
vant se  mouvoir  au  moyen  de  tourillons  placés  sur  deux  montants 
fixes.  Au  XVIe  siècle,  les  berceaux  furent  munis  de  rideaux;  jusque- 
là  ils  étaient  enveloppés  la  nuit  sous  les  amples  courtines  qui  entou- 
raient le  lit  des  parents. 

Tout  cela  est  de  bien  mauvaise  hygiène  ;  ce  qui  valait  mieux,  c'était 
la  coutume,  généralement  répandue  même  dans  les  hautes  classes, 
d'être  la  nourrice  de  son  enfant.  On  sait  que  la  reine  Blanche  voulut 


(1)  Biblioth.  Nation.,  Astronom.,  fonds  Saint-Germaiu,  n°  434. 


MOEURS    ET   COUTUMES 


489 


allaiter  elle-même  son  fils,  qui  fut  Saint  Louis.  Malheureusement  cette 
louable  habitude  n'eut  qu'un  temps;  déjà  en  1464,  Pierre  des  Gros, 
de  l'ordre  des  Frères  Mineurs,  gourmande  ses  contemporaines  qui 
confiaient  leurs  enfants  à  des  nourrices  mercenaires.  «  N'y  a»,  dit-il, 
«  ne  (1)  royne  ne  princesse  qui  de  son  let  ne  doive  norrir  ses  enfans 
se  (2)  le  let  ele  peut  avoir.  Considérant  en  vérité  les  nobles  dames  et 
bourgoyses  pourquoy  c'est  que  eles  ne  norrissent  pas  leurs  enfans, 
eles  trouveront  que  c'est  pour-  l'une  des  trois  causes,  communément  ou 
pour  pluseurs.  La  première  pour  ce  qu'eles  auroyent  honte  de  les  norrir, 
veu,  que  ce  n'es  pas  la  coustume;  et  c'est  orguel.  La  seconde,  pour 


Fig.  367.  —  Berceau  du  XV<=  siôcle,  d'après  une  miniature  reproduite  par  Yiollet-le-Due. 

plus  garder  leur  beauté  et  frescheté;  et  c'est  vanité.  La  tierce,  pour 
plus  prendre  esbastemens  à  leurs  maris  ;  et  c'est  incontinence.  »  Un 
siècle  plus  tard,  Simon  de  Vallambert  constate  encore  que  «  es  mai- 
sons des  grands,  communément  quand  uue  femme  grosse  s'approche 
de  son  terme,  on  tient  la  nourrice  preste,  qui  ha  esté  choisie  pour  nour- 
rir et  gouverner  l'enfant,  si  tost  qu'il  sera  né  ». 


(1)  Ni. 

(2)  Si. 


490  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


Nobles  et  bourgeoises  au  XVe  siècle.  —  Aliénordc  Poitiers, 
vicomtesse  de  Furnes,  rapporte,  dans  les  Honneurs  de  la  Cour,  ouvrage 
du  quinzième  siècle,  des  détails  intéressants  sur  les  coutumes  en  usage 
dans  la  noblesse,  au  moment  des  couches  : 

«  J'ai  vu,  »  dit-elle,  «  plusieurs  grandes  dames  faire  leurs  couches 
à  la  cour  ;  elles  avoient  un  grand  lit  et  deux  couchettes,  dont  l'une 
étoit  à  un  coin  de  la  chambre,  et  l'autre  devant  le  feu.  La  chambre 
étoit  tendue  de  tapisseries  à  verdure  ou  à  personnages,  mais  les  rideaux 
du  lit  et  le  ciel  étoient  de  soie,  les  couvertures  du  grand  lit  et  des  cou- 
chettes fourrées  de  menu  vaîr;  le  drap  étoit  de  crêpe  bien  empesé;  le 
dressoir,  à  trois  degrés,  tout  chargé  de  vaisselle  :  on  l'éclairé  avec 
deux  grands  flambeaux  de  cire,  on  garnit  d'un  tapis  de  velours  le  plan- 
cher de  la  chambre  ;  les  oreillers  du  grand  lit  et  des  couchettes  doivent 
être  de  velours  ou  de  drap  de  soie,  aussi  bien  que  le  dais  du  dressoir; 
à  chaque  bout  de  ce  dressoir,  il  faut  placer  un  drageoir  tout  plein,  cou- 
vert d'une  serviette  fine.  Les  femmes  de  simples  seigneurs  bannerets 
ne  devroient  pas  avoir  de  couchette  devant  le  feu  ;  toutefois,  depuis 
dix  ans,  quelques  dames  du  pays  de  Flandres  l'y  ont  eue.  L'on  s'est 
moqué  d'elles, et  avec raison,car  du  temps  de  Madamelsabelle, nulle  ne 
le  faisoit;  mais  aujourd'hui,  chacun  agit  à  sa  guise.  Aussi  est-il  à  crain- 
dre que  tout  n'aille  mal,  car  le  luxe  est  trog  grand,  comme  chacun  dit. 

«  Dans  la  chambre  d'une  accouchée,  le  plus  grand  prince  du  monde 
s'y  trouvât-il,  nul  ne  peut  servir  vin  ou  épices,  excepté  une  femme 
mariée.  Si  quelque  princesse  vient  rendre  visite  à  la  malade,  c'est  à  la 
première  dame  d'honneur  de  sa  suite  qu'il  appartient  de  lui  présenter 
le  drageoir.  » 

Si  nous  en  croyons  Christine  de  Pisan,  dans  son  Trésor  de  la  Cité 
des  Dames,  les  bourgeoises  de  l'époque  enchérissaient  encore  sur  le 
luxe  de  la  noblesse  : 

«  Ce  n'est  mie  (1)  »,  dit-elle,  «  comme  aux  marchands  de  Venise  ou 
de  Gennes,  qui  vont  oultre-mer  et  par  tous  pays  ont  leurs  facteurs, 
achaptent  (2)  en  gros  et  font  grandz  fraiz,  et  puis  semblablement 
envoyent  leurs  marchandises  en  toutes  terres  à  grandz  fardeau lx,  et 
ainsi  gaignent  grandz  richesses,  et  tels  sont  appelez  nobles  marchantz  ; 
mais  celle  dont  nous  disons  achapte  en  gros  et  vend  en  détail  pour 
quatre  souz  de  denrées,  se  besoing  est,  ou  pour  plus  ou  pour  moins, 
quoiqu'elle  soit  riche  et  portant  trop  grand  estât.  Elle  fit  une  gésine  (3) 


(1)  Négation,  Pas. 

(2)  Achètent. 

(3)  Couche. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


491 


d'ung  enfant  qu'elle  eut  n'a  pas  longtemps.  Ainsi  qu'on  entrast  dans 
sa  chambre,  on  passoit  par  deux  autres  chambres  moult  belles,  où  il 
y  avoit  en  chascune  un  grand  lict,  bien  et  richement  encourtiné  ;  et, 
en  la  deuxiesme,  ung  grand  dressoir,  couvert  comme  ung  autel,  tout 
chargé  de  vaisselle  d'argent  ;  et  puis,  de  celle-là  on  entroit  en  la 
chambre  de  la  gisante,  laquelle  estoit  grande  et  belle,  toute  encour- 


FiG.  36S.  —  L'enfant  nouveau-né,  d'après  une  miniature  de  l'histoire  de  la  Delle-IIéléne,  manuscrit 
du  quinzième  siècle,  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris. 


tinée  de  tapisserie  faicte  à  la  devise  d'elle,  ouvrée  très  richement  de 
fin  or  de  Chippre  ;  le  lict  grand  et  bel,  encourtiné  d'ung  moult  beau 
parement,  et  les  tappis  d'entour  le  lict  mis  par  terre,  sur  quoy  on  mar- 
choit,  tous  pareilz  à  or.  Et  estoient  ouvrez  les  grandz  draps  de  pare- 
ment, qui  passoient  plus  d'un  espan  par  soubz  la  couverture,  de  si  fine 
toille  de  Reims,  qu'ils  estoient  prisez  à  trois  cens  frans;  et  tout  par 
dessus  le  dict  couvertouer  à  or  tissu  estoit  ung  autre  grand  drap  de 


492  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

lin  aussi  délié  que  soye,  tout  d'une  pièce  et  sanscousture,  qui  est  une 
chose  nouvellement  trouvée  à  faire  et  de  moult  grand  coust,  qu'on  pri- 
soit  deux  cens  frans  et  plus,  qui  estoit  si  grand  et  si  large  qu'il  cou- 
vroit  de  tous  lez  le  grand  lict  de  parement,  et  passoit  le  bort  du  dict 
couvertouer  qui  traisnoit  de  tous  les  costez  ;  et  en  celle  chambre  estoit 
ung  grand  dressoir  tout  paré,  couvert  de  vaisselle  dorée;  et  en  ce  lict 
estoit  la  gisante,  vestue  de  drap  de  soye  tainct  en  cramoisy,  appuyée 
de  grandz  oreillez  de  pareille  soye,  à  gros  boutons  de  perles,  atournée 
comme  une  damoyselle.  Et  Dieu  scet  les  autres  superfluz  despens  de 
festes,  baigneries,  de  diverses  assembleez,  selon  les  usaiges  de  Paris 
à  accouchées,  les  unes  plus  que  les  autres,  qui  là  furent  faictes  en  cette 
gesine  !  Et  pour  ce  que  cest  oultraige  passa  les  autres  (quoy  qu'on  en 
face  plusieurs  grandz),  il  est  digne  d'estre  mis  en  livre.  Si  fust  ceste 
chose  rapportée  en  la  chambre  de  la  Royne,  dont  aucuns  dirent  que 
les  gens  de  Paris  avoient  trop  de  sang,  dont  l'abondance  aucunes  fois 
engendroit  plusieurs  maladies.  C'estoitàdireque  la  grand  habondance 
de  richesses  les  pourroit  bien  faire  desvoyer  ;  et  pour  ce  seroit  le 
mieulx  que  le  Roy  les  chargeast  de  aucun  ayde,  emprunt  ou  taille  ; 
par  quoy  leurs  femmes  ne  se  allassent  plus  comparer  à  la  royne  de 
France,  qui  guères  plus  n'en  feroit.  » 

Toutes  les  bourgeoises  ne  pouvaient  cependant  pas  déployer  un  luxe 
pareil  et  plus  d'une  devait  se  contenter  d'un  confortable  plus  strict, 
ainsi  que  l'indique  la  figure  368. 

Visites  et  caquetages.  —  En  tout  temps,  en  tout  pays,  les 
femmes  ont  aimé  aller  remuer  la  langue  auprès  d'une  amie,  d'une 
voisine  en  couches.  Au  quinzième  siècle,  l'auteur  des  Quinze  joyes  du 
mariage  exerce  là-dessus  sa  verve  satirique  :  «  Or  approche  le  temps 
de  l'enfantement;  or  convient  qu'il  ait  compères  et  commères  à  l'or- 
donnance de  la  dame  ;  or  a  grand  soussy  pour  quérir  ce  qu'il  faut  aux 
commères  et  nourrisses  et  matrones,  qui  y  seront  pour  garder  la 
dame  tant  comme  elle  couchera,  qui  beuvront  de  vin  autant  comme 
l'en  en  bouteroit  en  une  bote.  Or  double  sa  peine  ;  or  se  voue  la  dame 
en  sa  douleur,  en  plus  de  vingt  pèlerinages,  et  le  pauvre  homme 
aussi  la  voue  à  tous  les  saincts.  Or  viennent  commères  de  toutes  pars  ; 
or  convient  que  le  pauvre  homme  face  tant  que  elles  soient  bien  aises. 
La  dame  et  les  commères  parlent  et  raudent  et  dient  de  bonnes 
chouses,  et  se  tiennent  bien  aises,  quiconques  ait  la  peine  de  le 
quérir,  quelque  temps  qu'il  face  ;  et  s'il  pleut,  ou  gelle,  ou  grelle,  et 
le  mary  soit  dehors,  l'une  d'elle  dira  ainsi  :  Hellas  !  mon  compère, 
qui  est  dehors,  a  maintenant  mal  endurer  !  Et  l'autre  répond  qu'il 


MOEURS   ET   COUTUMES  493 

n'y  a  force  et  qu'il  est  bien  aise.  Et  s'il  avient  qu'il  faille  aucune 
chose  qui  leur  plaise,  l'une  des  commères  dira  à  la  dame  :  Vraiment, 
ma  commère,  je  me  merveille  bien,  si  font  toutes  mes  commères,  qui 
cy  sont,  dont  vostre  mary  fait  si  petit  compte  de  vous  et  de  vostre 
enfant  !  Or,  regardez  qu'il  feroit  si  vous  en  aviez  cinq  ou  six.  Il 
appert  bien  qu'il  ne  vous  ayme  guères  :  si  lui  feistes-vous  le  plus  grand 
honneur  de  le  prendre  qu'il  avenist  oncques  à  pièce  de  son  lignage.  — 
Par  mon  serment,  fait  l'autre  des  commères,  si  mon  mary  le  me  faisoit 
ainsi,  je  ameroye  mieux  qu'il  n'eust  œil  en  teste.  —  Ma  commère,  fait 
l'autre,  ne  lui  accoustumez  pas  ainsi  à  vous  lesser  mettre  sous  les 
piez,  car  il  vous  en  feroit  autant  ou  pis,  l'année  à  venir,  à  vos  autres 
accouchemens,  etc.,  etc.,»  et  tant  d'autres  discours  du  même  genre. 
Le  mari  n'en  était  pas  quitte  pour  avoir  la  tête  rompue,  il  fallait 
encore  qu'il  ouvrit  aux  commères  le  buffet  et  le  cellier  : 

«  Or  de  sa  part,  le  proudomme  fait  aprester  à  diner  selon  son  estât, 
et  y  travaille  bien,  et  y  mettra  plus  de  viande  la  moitié  que  au  com- 
mencement propousé  n'avoit,  par  les  ataintes  que  sa  femme  lui  a 
dites.  Et  tantoust  viennent  les  commères,  et  le  proudomme  va  au 
devant,  qui  les  festoyé  et  fait  bonne  chière,  et  est  sans  chapperon  par 
la  meson,  tant  est  jolis,  et  semble  un  foui,  combien  qu'il  ne  l'est  pas. 
Il  maine  les  commères  devers  la  dame  en  sa  chambre  et  vient  le  pre- 
mier devers  elle,  et  lui  dit  :  M'amie,  voyez  cy  vos  commères  qui  sont 
venues.  —  Ave  Maria,  fait-elle,  je  amasse  mieulx  qu'elles  fussent  à 
leur  meson,  etc.  Lors  les  commères  entrent;  elles  desjunent,  elles 
disnent,  elles  menjent  à  raassie  ;  maintenant  boivent  au  lit  de  la  com- 
mère, maintenant  à  la  cuve,  et  confondent  des  biens  et  du  vin  plus 
qu'il  en  entreroit  en  une  bote  ;  et  à  l'aventure  il  vient  à  barrilz  où 
n'en  y  a  que  une  pipe.  Et  le  pouvre  homme,  qui  a  tout  le  soussy  de 
la  despense,  va  souvent  voir  comment  le  vin  se  porte  quand  il  voit 
terriblement  boire.  L'une  lui  dit  ung  brocart,  l'autre  li  gelte  une 
pierre  dans  son  jardin.  Briefvement,  tout  se  despend;  les  commères 
s'en  vont  bien  coiffées,  parlant  et  janglant,  et  ne  s'esmoient  point 
dont  il  vient. . .  » 

Le  passage  suivant,  des  Ténèbres  de  Mariage,  complète  le  tableau  : 

Quand  vient  à  l'enfant  recevoir, 
Ilfault  la  sage-femme  avoir, 
Et  des  commères  un  grand  tas. 
L'une  viendra  au  cas  pourvoir; 
L'autre  n'y  viendra  que  pour  veoir 
Comme  on  entretient  telz  estatz. 


494  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


Vous  ne  vistes  oncq  tel  caquet  : 
Çà  ces  drapeaux,  ça  ce  paquet, 
Çà  ce  baing,  ce  cremeau,  ce  laict 
Et  voilà  le  povre  Jaquet 
Qui  luy  servira  de  naquet, 
De  chamberière  et  de  varlet. 

Cette  dernière  citation  est  tirée  de  l'introduction  aux  Quinze  joyes 
du  mariage,  par  Leroux  de  Lincy  ;  le  savant  éditeur  nous  fournira 
encore  d'autres  médisances. 

Vers  la  même  époque,  le  Rémois  Guillaume  Coquillart,  chanoine 
assez  cynique,  a  tracé  un  tableau  peu  flatté  de  ces  conciliabules  fémi- 
nins. La  muse  de  Coquillart  est  haut  troussée,  mais  elle  est  d'Eglise, 
et  en  cette  qualité  emprunte  volontiers  à  la  maison  du  Seigneur  ses 
termes  de  comparaison  : 

Dieu  scet  se  bien  sont  esplucbées 

Paroles  et  menus  fatras, 

Aux  chambres  de  ces  accouchées  ; 

Les  fenestres  [ne  sont  bouchées 

Que  à  faulx  et  à  manches  d'estrilles  ; 

Les  couches  ne  sont  attachées 

Que  de  grands  lardons  pour  chevilles  ; 

Les  carreaux  sur  quoy  seent  les  filles, 

Sont  pains  d'ung  tas  de  semi-dieux  ; 

Les  tapis,  ce  sont  évangilles 

Et  vies  à  povres  amoureux. 

Au  chevet  du  lict,  pour  tous  jeux, 

Pend  ung  benoistier  qui  est  gourd, 

Avec  ung  aspergés  joyeulx, 

Tout  plain  d'eaue  benoiste  de  court  ; 

La  garderobbe,  c'est  la  court 

Là  où  on  traicte  noz'mignons  ; 

Là  on  n'espargne  sot  ne  sourt  ; 

C'est  là  où  on  les  tient  sur  fons. 

L'une  commence  les  leçons 

Au  coing  de  quelque  cheminée, 

Et  l'autre  chante  les  responz 

Après  la  légende  dorée. 

Sitost  que  mâtine  est  sonnée, 

Il  n'y  a  ne  quignet  ne  place 

Que  on  n'y  carillonne  à  journée  ; 

Il  est  toujours  la  Dédicace. 

En  la  messe  il  y  a  Préface, 


MOEURS   ET   COUTUMES  495 

Mais  de  Confiteor  jamais. 
Oncques  puis  le  temps  Boniface 
Aussi  on  n'y  bailla  la  paix, 
Car  il  y  a  entre  deux  ais 
Toujours  quelqu'une  qui  grumelle 
D'entre  sa  voisine  d'emprès, 
Qui  veult  dire  qu'elle  est  plus  belle 
Bref,  c'est  une  droicte  chapelle, 
Et  si  n'y  a  prélat  d'honneur 
Qui  ne  tâche  bien,  sans  séquelle, 
D'avoir  place  d'enfant  de  cueur. 
L'une  comptera  de  Monsieur, 
Et  l'autre  d'une  créature 
Qui  a  cul  de  bonne  grosseur, 
Mais  il  ne  vient  pas  de  nature. 
L'une  dict  que  c'est  enfanture, 
L'autre  dira  qu'il  n'en  est  rien, 
Et,  pour  oster  la  conjecture, 
Chascune  faict  taster  le  sien, 
S'il  est  fagotté,  s'il  est  bien, 
S'il  est  troussé,  s'il  est  serré. 
S'il  est  espais,  quoy  et  combien  ; 
S'il  est  rond,  ou  long,  ou  carré. 
Tel  y  a,  s'il  estoit  paré, 
Et  qu'on  lui  vist  un  peu  la  cuisse, 
On  le  trouveroit  bigarré 
Comme  un  hocqueton  de  Souysse. 
Celuy-si,  me  semble,  est  bien  nice 
Qui  fonde  dessus  une  maison, 
Car,  quelque  chose  que  on  bastisse, 
Le  fondement  n'en  est  point  bon. 
Après  qu'on  a  dit  ce  jargon, 
Tantost  après  arrivera 
Une  grande  procession 
Qui  d'aultre  matière  lira. 
L'une  d'elles  commencera 
A  resgaudir  ses  esperitz  ; 
Dieu  scet  s'elle  praticquera 
Le  tiltre  De  injuriis  ! 
Quelqu'une,  par  moyens  subtilz, 
Ira  semer  de  sa  voysine 
Qu'elle  suborne  les  amys 
Et  les  chalans  de  sa  cousine  ; 
D'une  autre  on  dira  que  c'est  signe 
D'une  parfaicte  mesnagière 


496  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Prester,  pour  garder  sa  cuisine, 

Son  cul  plustost  que  sa  chaudière. 

S'on  touche  de  quelque  compère, 

L'une  dit  qu'il  est  trop  faschant, 

L'autre  qu'il  a  belle  manière, 

Mais  il  se  panche  un  peu  devant, 

D'ung  tel,  il  sent  son  entregent  ; 

Et  si  luy  siet  bien  à  dancer, 

Mais  il  n'a  pas  souvent  argent, 

Il  ne  scet  que  c'est  que  foncer. 

Quelque  vieille  va  commencer 

A  Aller,   qui  empongnera 

Sa  quenoille  de  Haut  tancer, 

Son  fuzeau  de  Tout  se  dira, 

Les  estoupes  de  On  le  sçaura, 

Le  rouet  de  J'ay  bec  ouvert, 

Le  vertillon  de  On  verra 

Le  pot  aux  roses  descouvert. 

Le  fil  de  la  quenoille  est  vert 

Et  si  délié  pour  s'enfiler, 

Que  le  grand  diable  de  Vauvert 

A  peine  s'en  peut  desmesler. 

Pour  mieux  à  l'aise  vaneler. 

On  met  estoupes  par  dedans 

La  saincture  de  trop  parler, 

Et  là  couche  l'un  des  plus  grans. 

On  empesche  langues  et  dents, 

Et  mettentleurs  soings  etleurs  cures 

Par  lardons,  broquars,  motz  piquans, 

A  exposer  les  escriptures. 

C'est  ainsy  que  telz  créatures, 

En  parlant  de  l'autre  et  de  l'ung, 

Lisent  le  titre  Des  injures. 

Nos  pères  étaient  intarissables  sur  ce  sujet  :  Jean  du  Castel,  abbé 
de  Saint-Maure,  dans  le  Miroir  des  Pécheurs,  décrit  aussi,  mais  en 
termes  plus  convenables,  la  chambre  d'une  accouchée  : 

«  Il  y  a  là  caquetoire  (1)  paré,  tout  plein  de  fins  carreaux  pour 
asseoir  les  femmes  qui  surviennent,  et  près  du  lit  une  chaise  ou 
faudesteuil  garni  de  fleurs.  L'accouchée  est  dans  son  lit,  plus  parée 


(1)  Henry  Estienne  dit  qu'on  avoit  donné  à  Paris  le  nom  de  caquctoires  «  aux 
sièges  sur  les  quels  estans  assises  les  dames  (et  principalement  si  c'estoit  autour 
d'une  gisante),  chacune  vouloit  monstrer  n'avoir  point  le  bec  gelé  ». 


MOEURS    ET   COUTUMES  497 


qu'une  épousée,  coiffée  à  la  cocarde,  tant  que  diriez  que  c'est  la  tête 
d'une  marote  ou  d'une  idole.  Au  regard  des  brassières,  elles  sont  de 
satin  cramoisi,  paille  ou  blanc,  de  velours  ou  de  toile  d'or  et  d'argent, 
que  les  femmes  excellent  à  choisir.  Elles  ont  colliers  autour  du  cou, 
bracelets  d'or,  et  sont  plus  couvertes  de  bijoux  que  des  idoles  ou  des 
reines  de  cartes;  leur  lit  est  garni  de  draps  de  Hollande  ou  de  toile 
de  coton  de  la  plus  grande  finesse,  et  si  bien  apreté  que  pas  un  pli  ne 
passe  l'autre;  le  bois  est  taillé  à  l'antique  et  orné  de  marqueteries  et 
de  devises.  » 

Le  Languedocien  Gratien  du  Pont,  sieur  de  Drusac,  auteur  des 
Controverses  des  sexes  masculin  et  féminin  (1534),  un  des  livres  les 
plus  bizarres  de  notre  littérature,  n'a  pas  oublié  ce  trait  dans  ses  dia- 
tribes contre  les  femmes.  Il  reproduit  les  discours  que  les  muguettes 
ou  femmes  à  la  mode  avaient  entre  elles,  et  leur  fait  tenir  ces  propos  : 

L'aultre  dira,  comme  trop  médisante  : 

Hélas  !  commère,  d'une  telle  gesante 

Si  vous  voyiez  la  pompe  et  braguerie, 

Vous  jugeriez  qu'est  vraye  mocquerie  ; 

Elle  a  ses  lictz,  la  popine  accouchée, 

Et  mesmemeut  où  la  dicte  est  couchée, 

Si  bien  garniz  et  si  très  bien  à  poinct, 

Que  mieulx  en  ordre  ne  sçauroit  estre  poinct. 

Ung  lict  d'anticque  peint  d'or,  d'asur  et  d'acre, 

Au  bort  du  quel,  pour  servir  de  soubdiacre, 

Maint  ung  muguet,  trouvères  et  causeur, 

Prothonotaire,  ou  bien  aultre  jaseur. 

Qu'entretiendra  icelle  dicte  dame 

Sans  honte  avoir,  en  cestuy  monde  deame. 

Sur  une  chaire  le  gallant  est  assis 

Qui  de  pareilles  aura  bien  cinq  ou  six, 

De  fin  velours,  de  drap  d'or  ou  broché  ; 

Sur  celles  chaires  par  grand  gloire  couché  ; 

Lict  et  couchette,  et  chambre  ou  morte  soye, 

Sont  tous  garniz  de  drap  d'or  ou  de  soye. 

Si  la  chambre  est  parfumée  et  parée, 

N'en  faut  parler  ;  elle  est  équiparée, 

Ou  bien  y  a  encor  plus  de  richesse 

Qu'en  nulle  chambre  de  grande  dame  ou  duchesse, 

Et  si  n'ay  paour  que  disse  chose  vaine 

Quand  je  diroys  qu'est  plus  fort  d'une  Royne. 

Du  demeurant,  s'il  est  bien,  Dieu  le  sçait! 

Dessus  son  corps  elle  porte  un  corset 

HISTOIRE    DES    .VCCOUCHEME.NrS.  32 


498  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


D'ung  fin  drap  d'or  frizé,  pour  vray  le  diz  ; 
Fourré  de  martres  ils  ont  veu  plus  de  dix  ; 
Et  qui  pis  est,  sans  que  du  propos  sorte, 
Tous  les  dimanches  en  a  changé  de  sorte. 
De  mcnestriers,  puisqu'il  faut  que  le  dye, 
Et  d'instrument  y  a  telle  mélodie, 
Tant  de  chansons  d'orgues  et  de  plaisir, 
Que  vous  n'auriez  certes  aultre  désir 
Que  d'escouter  leurs  accords  et  cadences, 
Et  compasser  maintes  sortes  de  dances. 


Un  contemporain  de  Gratien  du  Pont,  le  fameux  Roger  Bontemps, 
maislre  Hoger  de  Collerye,  dans  un  Dyalogue  comp  ose\  Van  mil  cinq 
cent  douze  pour  jeunes  enfants,  nous  montre  les  chambres  d'accou- 
chées devenues  de  véritables  salons  de  réception  : 


LE    FRERE. 

....  Voirement 
Que  dit-on  de  nos  accouchées  ? 

LA    SEUR. 

Qu'on  en  dict  ?  Tout  premièrement, 
Les  unes  sont  trop  longuement 
En  leur  lict  mollement  couchées. 

LE    FRÈRE. 

Elz  sont  bouchées. 

LA  SEUR. 

Elz  sont  touchées. 

LE    FRÈRE. 

Hz  leur  fault  tant  mirlifîcques. 

LA    SEUR. 

Elz  sont  visitées  et  preschées, 
Et  bien  souvent  plus  empeschées 
Qu'on  est  à  baiser  les  reliques. 

LE  FRÈRE. 

Les  brasseroles  magnifiques... 

LA    SEUR. 

Riches  carcans, 

LE    FRÈRE. 

Tapisserye... 


MOEURS   ET   COUTUMES  499 


LA    SEUR. 

Do  peur  qu'elz  ne  soient  fleumatiques, 
Ou  trop  mègres  ou  trop  eticques, 
On  vous  les  sert  d'espicerye. 

LE    FRÈRE. 

Hypocras... 

LA     SEUR. 

La  pâtisserie. 

LE   FRÈRE. 

Couliz  de  chapons... 

LA    SEUR. 

Tant  de  drogues. 

LE  FRÈRE. 

Arrière  la  rôtisserie  I 

LA   SEUR. 

Fy  !  fy  !  Ce  n'est  quernincerie. 

LE    FRÈRE. 

En  leur  lict,  pompeuses  et  rogues... 

LA    SEUR. 

Bendées... 

LE    FRÈRE. 

Comme  les  synagogues 
Qu'on  voit  au  portail  de  Féglise. 

LA   SEUR. 

Accouchées  ont  le  temps. 

LE    FRÈRE. 

Les  vogues... 

LA  SEUR. 

Je  ne  deuil  que  de  vielles  dogues 
Qui  fout  les  sucrées. 

LE     FRÈRE. 

C'est  la  guyse. 

LA    SEUR. 

Mon  frère,  il  est  temps  qu'on  savise 
Daller  autre  part  caqueter. 


)00  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Estienne  Pasquier,  dans  ses  Ordonnances  générales  d'amour  (1618), 
n'oublie  pas  de  parler  des  caqueteuses  qui  bourdonnent  autour  du  lit 
des  accouchées.  En  sage  législateur  qui  permet  ce  qu'il  ne  peut  em- 
pêcher, il  leur  donne  licence  pour  toutes  sortes  de  commérages  : 

«  17.  —  Detïendons  de  faire  le  procès  extraordinaire  à  quelques 
personnes  que  ce  soit,  si  ce  n'est  chez  les  accouchées  ou  autres  bu- 
reaux solennels  à  ce  expressément  dédiez, ausquels  lieux  seront  traictez 
et  décidez  tous  affaires  d'Estat,  et  signamment  ceux  qui  concernent 
les  mariages  inégaux,  soit  pour  le  regard  de  l'aage,  des  mœurs  ou 
des  biens;  et  pareillement  les  bons  ou  mauvais  traictementsdes  ma- 
ris à  l'endroict  de  leurs  femmes,  et  au  réciproque,  des  femmes  envers 
leurs  maris  ;  les  entreprises  qui  se  font  par  unes  et  autres  dames 
'au  pardessus  de  leurs  puissances  et  dignitez,  et,  à  peu  dire,  toutes 
telles  matières  qui  regardent  tant  la  police  que  le  criminel.  En  quoi 
nous  enjoignons  et  très  expressément  commandons  à  toutes  dames, 
damoiselles  et  bourgeoises,  de  quelque  état  et  condition  qu'elles 
soient,  vuider  sommairement  et  de  plein  telles  matières,  sans  aucun 
respect  ou  acception  de  personnes.  » 

Le  Satirique  Th.  de  Courval-Lounet  fait,  en  1622,  allusion,  dans 
une  pièce  dirigée  contre  le  mariage,  au  luxe  déployé  par  les  femmes 
en  cette  circonstance  : 

Les  toilettes  de  nuict  et  les  coiffes  de  couche, 
Brassières  de  satin,  quand  Madame  est  en  couche, 
Sans  oublier  encor  les  coiffes  de  velours, 
La  robbe  de  damas  avec  tous  ses  atours. 

Enfin  un  anonyme  du  XVIIe  siècle  a  composé,  sous  le  titre  de  Re- 
cueil général  des  caquets  de  V accouchée,  une  satire  sur  cette  coutume, 
sacrée  pour  les  femmes,  d'aller  bavarder  autour  du  lit  des  accouchées  : 

«  L'auteur  »,  dit  Leroux  de  Lincy,  «  suppose  que,  relevé  naguère 
d'une  grande  maladie,  il  va  consulter  deux  médecins  différents  d'âge 
et  d'humeur,  afin  de  savoir  quel  régime  il  doit  suivre  pour  retrouver 
toute  sa  santé.  Le  plus  jeune  lui  donne  le  conseil  de  s'en  aller  souvent 
à  sa  maison  des  champs,  de  s'y  livrer  au  jardinage,  de  boire  un  peu 
de  vin  clairet,  puis  de  remonter  sur  sa  mule  et  de  s'en  revenir  sou- 
per à  Paris.  Le  plus  vieux  l'engage  à  se  rendre  souvent  à  la  comédie 
ou  bien,  s'il  le  préfère,  à  chercher  une  parente,  une  amie  ou  une  voi- 
sine récemment  accouchée,  à  lui  demander  la  permission  de  se  glisser 
dans  la  ruelle  de  son  lit,  afin  d'y  écouter  tous  les  propos  tenus  par 
les  commères  réunies  autour  de  l'accouchée.   Ce  dernier  conseil  est 


MOEURS   ET   COUTUMES  501 


celui  qui  sourit  le  plus  à  notre  auteur.  Dès  le  lendemain,  il  s'empresse 
de  le  mettre  à  exécution.  Il  s'en  va  donc  rue  Quincampoix,  autrement 
dit  rue  des  Mauvaises  Paroles,  chez  une  de  ses  cousines,  où  il  esl  bien- 
tôt installé  sur  une  chaise  tapissée,  caché  sous  les  rideaux  de  la 
ruelle.  Incontinent  après,  à  une  heure  attendant  deux,  arrivèrent  de 
toutes  parts  toutes  sortes  de  belles  dames,  damoiselles,  jeunes,  vieilles, 
riches,  médiocres,  de  toutes  façons,  qui,  après  avoir  fait  le  salut  ordi- 
naire, prirent  place,  chacune  selon  son  rang  et  dignité,  puis  commen- 
cèrent à  caqueter  comme  il  le  rapporte  par  la  suite.  » 

Le  bain  de  l'accouchée  au  XVIe  siècle.  —  Il  existait  une 
singulière  coutume  dans  certaines  parties  de  la  France,  au  XVIe 
siècle.  Un  bourgeois  de  Douai,  Jacque  Le  Saige  [i)3  nous  rapporte  ce 
qu'il  vit,  étant  en  voyage,  dans  une  hôtellerie  de  la  Tour-du-Pin,  non 
sans  que  sa  pudeur  en  fût  très  fortement  offensée  :  «  Et  ainssy  que  en- 
tray  en  la  cuisine,  pour  scavoir  se  nostre  disner  estoit  prest,  trouvay 
l'hostesse  que  se  baignoit  dedans  une  cuve  baignoire  engourdinée(2), 
et  y  avoit  tout  plain  de  houpeaux  autour  d'elle.  Je  fus  tout  esbahis. 
Car  on  la  veoit  nue  sans  nul  affuloir  jusqu'au  ventre,  et  avoit  devant 
elle  une  petite  table,  où  elle  sortissoit  ses  plats  pour  ses  hostes.  Il  nous 
fut  dit  que,  durant  la  gésine  d'une  femme,  on  les  veoit  tous  les  jours 
baignant  nue,  et  les  voisins  viennent  souvent  faire  le  banquet  de  près 
ladite  gizante.  J'en  fus  tout  honteux  et  vuiday  soubit  de  ladite  cuisine 
et  m'en  allay  disner.  Je  le  comptay  à  mes  compagnons  :  ils  l'avoient 
vue  une  heure  devant.  » 

De  même  dans  le  Morbihan,  jusqu'à  la  fin  du  XVIIe  siècle,  les  fem- 
mes, aussitôt  après  leur  couches,  venaient  se  baigner  dans  une  vaste 
cuve  de  pierre  placée  aux  pieds  de  la  statue  de  la  Vénus  de  Quinipily, 
pour  la  remercier  de  leur  heureuse  délivrance  et  les  préparer  à  une 
nouvelle  grossesse. 

Coutumes  au  XVIIe  siècle.  —  Une  gravure  d'Abraham  Boss, 
que  nous  avons  reproduite,  figure  230,  nous  fait  assister  à  un  accou- 
chement au  XVIIe  siècle.  Une  autre  gravure  du  même  artiste  (fig.  105) 
représente  la  façon  dont  on  emmaillotait,  ou  plutôt  dont  on  ligotait, 
les  enfants  à  la  même  époque. 

Ajoutons  qu'on  donnait  alors  le  surnom  temporaire  de  Godard  ou 


(1)  Voyage  de  Jacques  Lesaige,  de   Douai  à  Ihnni.  Xotre-Damc  de  Lorettc,  Ve- 
nise, Jérusalem  et  autres  saints  lieux,  L520. 

(2)  Encourtiuée,  entourée  de  courtines  ou  rideaux. 


502  HISTOIRK   DES   ACCOUCHEMENTS 


Godart,,  aux  maris,  pendant  les  couches  de  leurs  femmes.  C'est  sans 
doute  pour  celte  raison  que  l'auteur  de  Y  Embarras  de  Godard,  pièce 
du  XVIIIe  siècle,  dont  nous  avons  parlé  (1),  désigne  par  le  môme  nom 
son  personnage  principal.  Quant  à  la  cause  de  cette  appellation,  nous 
l'ignorons  complètement;  nous  savons  seulement  que  Godard  était 
le  nom  familier  du  cygne,  mais  il  nous  est  difficile  de  distinguer  le 
rapport  qui  pouvait  exister  entre  l'oiseau  dont  Jupiter  prit  la  forme 
pour  séduire  Léda  et  le  mari  d'une  femme  en  gésine. 

Il  nous  sera  tout  aussi  difficile  d'établir  pourquoi,  après  l'accouche- 
ment, les  femmes  observent  habituellement  un  repos  de  neuf  jours  et 
non  pas  un  autre  nombre  de  jours.  Peut-être  est-ce  par  analogie  avec 
les  neuf  mois  de  la  grossesse?  Quant  à  l'époque  où  remonte  celte 
coutume,  elle  paraît  appartenir  au  XVIIe  siècle;  du  moins  nous  ne  la 
trouvons  signalée  pour  la  première  fois  que  clans  les  auteurs  de  cette 
époque  :  «  Chez  les  dames  du  premier  rang  »,  dit  Dionis,  «  personne 
n'entre  dans  leur  chambre  pendant  les  neuf  premiers  jours,  pas 
même  le  jour,  car  toutes  les  fenêtres  en  sont  fermées,  et  il  n'y  a 
qu'une  bougie  allumée  jour  et  nuit  ».  Pour  faire  passer  cette  déplo- 
rable prose  médicale,  nous  citerons  les  lignes  suivantes  de  Mme  de 
Sévigné;  elle  écrit  à  sa  fille  :  «  II- arrive  tant  d'accidents  aux  femmes 
en  couches,  et  vous  avez  la  langue  si  bien  pendue,  à  ce  que  me  dit 
M.  de  Grignan,  qu'il  me  faut  pour  le  moins  neuf  jours  de  bonne  santé 
pour  me  faire  partir  joyeusement  ». 

L'accouchée  au  XVIIIe  siècle.  —  Le  Tableau  de  Paris,  par 
Sébastien  Mercier,  nous  la  représente  comme  suit  : 

«  Etendue,  à  demi  couchée  sur  une  chaise  longue,  enveloppée 
dans  le  plus  beau  linge,  elle  se  perd  dans  une  infinité  d'oreillers 
grands  et  petits.  On  ne  voit  que  dentelles  artislement  plissées  et  de 
grosses  touffes  de  rubans.  Elle  attend  sur  ce  trône  les  visites  de  tout 
le  monde;  elle  a  tout  préparé  pour  qu'on  admire  jusqu'à  son  couvre- 
pied. 

«  Une  garde  se  tient  assise  près  de  la  porte  et  flaire  tous  ceux  qui 
arrivent.  Elle  répète  incessamment:  «  N'avez-vous  point  d'odeurs?» 
Une  femme  de  qualité  s'écrie  en  passant  :  «  Non,  je  dois  sentir  la 
graisse.  »  Elle  entre;  une  atmosphère  de  parfums  l'environne  et  rem- 
plit toute  la  chambre. 

«  Il  est  dit  qu'on  ne  doit  pas  parler  à  l'accouchée;  mais  l'intérêt 
qu'on  prend  aux  douleurs  qu'elle  a  souffertes  est  si  grand,  qu'on  ne 

(1)  V.  page  201. 


MOEURS    ET    COUTUMES  503 

peut  s'empêcher  de  lui  dire  qu'on  n'en  a  pas  dormi  toute  la  nuit.  Ce 
compliment  est  renouvelle  par  toutes  les  femmasqui  arrivent.  Après 
qu'on  a  loué  le  courage  de  l'accouchée,  on  fait  l'éloge  de  ses  dentelles, 
et  de  la  façon  dont  elle  est  mise.  On  dit  à  chaque  instant  :  «  Parlons 
bas  »;  et  celle  qui  vient  de  donner  le  conseil,  est  la  première  à  élever 
la  voix  fort  haut. 

«  Les  hommes  n'entroient  pas  autrefois;  aujourd'hui  ils  sont  du 
cercle;  ce  n'est  pas  dans  ces  circonstances  que  les  hommes  disent 
encore  des  douceurs.  L'accouchée  reçoit  mille  complimens  sur  son 
teint,  dont  les  roses  n'ont  fait  que  pâlir.  Sa  langueur  la  rend  plus 
belle;  mais  quand  le  mari  vient  à  entrer,  il  sourit  d'une  façon  si  par- 
ticulière, il  a  un  air  toujours  si  étrange,  que  malgré  toutes  les  mi- 
nauderies de  l'accouchée,  il  ne  sauroit  soutenir  les  regards  de  l'assem- 
blée; et  s'y  dérobe  promptement. 

«  Chaque  fois  que  l'accouchée  porte  la  main  à  son  front,  une  femme 
décampe.  Chacun  défile  pour  attraper  encore  quelques  fragmens  de 
l'opéra,  et  l'on  se  plaint  dehors  d'être  victime  des  bienséances. 

«  Il  manque  à  l'accouchée  de  la  capitale  le  charme  le  plus  intéres- 
sant et  qui  donneroit  à  son  état  un  air  plus  respectable  :  l'enfant  dans 
son  berceau  et  attendant  du  sein  maternel  sa  première  nourriture. 
Pendant  un  tems,  les  femmes  ont  nourri  elles-mêmes,  mais  ce  n'étoit 
qu'une  mode,  elle  a  passé.  La  vie  de  Paris  sera  toujours  un  obstacle 
à  l'accomplissement  de  ce  devoir  sacré.  J'ai  remarqué  que  personne 
n'osoit  parler  du  nouveau-né  ni  au  père  ni  à  la  mère. 

«  Quand  une  femme  se  porteroit  assez  bien  pour  être  relevée  de  cou- 
ches au  bout  du  douzième  jour,  elleattendroit  jusqu'au  vingt-unième 
jour  pour  reparoître.  Jusqu'alors  elle  doit,  quand  il  entre  quelqu'un, 
retomber  sur  sa  chaise  longue,  jouer  la  langueur  et  l'abattement,  rece- 
voir trente  visites,  au  lieu  de  se  promener  dans  un  jardin,  et  d'y  jouir 
des  douces  influences  de  l'air. 

«  Il  est  encore  dit  aujourd'hui,  qu'une  femme  malade  doit  recevoir 
du  monde  jusqu'au  moment  où  elle  expire.  On  ne  laisse  entrer,  il  est 
vrai,  qu,e  les  amis  de  la  malade;  mais  elle  en  a  tant  que  l'apparte- 
ment est  toujours  plein. 

«  Le  protocole  d'un  mourant  est  de  n'être  jamais  seul;  et  c'est  un 
devoir  d'étiquette,  que  d'aller  chez  lui  en  foule. 

«  Il  faut  être  entouré  de  parens  et  d'amis,  clans  toutes  les  crises 
d'une  fièvre  ;  on  vient  jusques  sous  vos  rideaux.  Il  faut  que  les  têtes 
soient  devenues  beaucoup  plus  fortes,  puisqu'autrefois  nos  pères, 
lorsqu'ils  étoient  malades,  se  trouvoient  incommodés  seulement  par 
le  mouvement  indispensable  du  service. 


504  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

«  Ceux  qui  ne  visitent  pas,  envoient  deux  fois  par  jour  demander  des 
nouvelles,  et  surtout  le  nom  du  médecin.  Il  devient  un  pronostic,  et 
les  gens  du  monde  savent  combien  de  jours  une  duchesse  pourra  ré- 
sister sous  les  ordonnances  de  tel  docteur.  Il  est  des  maladies  où  le 
médecin  expédie  son  malade  infailliblement,  et  le  cocher  lui-même 
sait  qu'au  bout  de  huit  jours,  il  n'aura  plus  besoin  d'arrêter  les  che- 
vaux à  la  porte  de  l'hôtel;  aussi  sïnforme-t-il  du  genre  de  la  ma- 
ladie. Alors  il  secoue  la  tête  et  prédit  l'événement  ». 

La  comtesse  de  Genlis  nous  fournit  un  autre  document  sur  les 
mœurs  des  accouchées  vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle  et  au  com- 
mencement du  dix-neuvième.  La  vertueuse  comtesse  constate  tout 
d'abord,  non  sans  amertume,  que  nos  grand'mères  étaient  accouchées 
par  des  sages-femmes,  surtout  par  celles  de  l'IIôtel-Dieu,  et  que  de 
son  temps,  même  dans  les  villages,  on  préfère  des  chirurgiens  ;  puis 
elle  ajoute:  «  Les  femmes  des  particuliers  après  leurs  couches,  rece- 
voient  leurs  visites  sur  une  chaise  longue.  Alors  quoiqu'on  fut  habillée, 
sur  une  chaise  longue  on  avait  toujours  un  couvre-pieds.  La  décence 
l'exigeait  ;  car,  ainsi  couchée,  le  moindre  mouvement  peut  découvrir 
les  pieds  et  même  les  jambes.  D'ailleurs,  un  beau  couvre-pieds  était 
une  sorte  de  parure  très  élégante  :  on  s'en  passe  communément  au- 
jourd'hui, et  rien  n'a  plus  mauvaise  grâce.  »  Une  gravure  de  modes 
de  l'époque  (fig.  369),  nous  représente,  en  effet,  une  accouché  étendue 
sur  sa  chaise  longue,  mais  sans  couvre-pieds  et  dans  une  posture 
quelque  peu  légère. 

Nous  reproduirons  dans  un  autre  volume  (1),  une  suite  d'estampes 
où  Moreau  a  peint,  avec  art  et  vérité,  le  foyer  de  la  jeune  mère  ;  ces 
différents  sujets  ont  pour  titres  :  La  déclaration  de  la  grossesse  ;  Les 
précautions;  J'en  accepte  V heureux  présage  ;  N'ayez  pas  peur  ma 
bonne  amie;  C'est  un  fils/  monsieur.  Les  de  Goncourt  se  sont  ins- 
pirés de  ces  charmants  «  tableaux  de  la  vie  »,  dans  la  description 
qu'ils  donnent  des  Mœurs  de  la  femme  au  dix-huitième  siècle  et  où 
nous  trouvons  des  détails  qui  nous  intéressent  : 

«  D'abord,  écrivent-ils,  ce  sera  la  femme  en  toilette  du  matin  sou- 
riant comme  on  sourit  à  un  songe,  aux  paroles  du  docteur  qui  va 
prendre  sa  canne  à  bec  à  corbin,  et  lui  annonce  qu'elle  est  mère.  Ici, 
la  voilà  dans  son  costume  lâche  et  flottant,  tout  entourée  et  soutenue 
d'oreillers,  à  demi  couchée  sur  le  lit  de  repos  dont  le  fond  est  une 
glace.  Elle  ne  descend  plus  l'escalier  qu'appuyée  sur  le  bras  de  son 
mari  ;  elle  ne  va  plus  à  l'église,  aux  Tuileries  que  portée  doucement 

(1)  Anecdotes  et  curiosités  sur  les  accouchement*. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


505 


dans  sa  chaise  par  deux  grands  valets  picards.  En  dépit  de  Tronchin 
qui  veut  qu'elle  marche  et  coure  seule,  qui  la  plaisante  si  par  hasard 
il  la  rencontre,  elle  ne  fait  plus  qu'une  courte  promenade  où,  pour  un 
petit  caillou  qui  lui  roule  sous  le  pied,  son  mari  devient  pâle.  Nulle 


Ssf^X 


II 


Fig.369.  —  Une  accouchée  au  XVIIIe  siècle,  d'après  les  Costumes  et  Mœurs  de  France,  tome  XXII. 

de  lalJibl.  Nat. 


privation  ne  coûte  au  mari  ni  à  la  femme  pour  faire  venir  au  monde, 
en  bonne  santé,  cet  enfant  auquel  ils  commencent  à  s'attacher  par 
les  sacrifices,  et  pour  lequel  la  femme  est  heureuse  de  souffrir  déjà. 


506  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Parties  charmantes  de  jeu,  de  veille,  de  courses,  amusements,  ré- 
créations, la  femme  quitte  tout,  elle  renonce  au  monde  pour  se  vouer 
à  sa  grossesse  ;  elle  fait  contraste  avec  ces  femmes  qui  portent  si  im- 
patiemment cet  état,  et  qui,  avec  tant  d'ennui,  tant  de  fatigue,  tant 
de  regret  d'un  plaisir  dérangé,  ou  d'un  souper  abrégé,  donnent  le 
jour  à  un  être  «  économisé  dès  sa  conception  »  :  elle  est  mère,  du  jour 
où  elle  le  devient.  —  Bientôt  la  lingère  apporte  la  layette  dans  un 
grand  coffret  de  dentelles,  et  fait  l'étalage  de  sa  belle  lingerie,  de  ses 
layettes  en  point  d'Argentan.  Après  l'accouchement,  la  femme  reste 
quatorze  jours  sur  sa  chaise  longue,  les  pieds  et  les  jambes  couverts 
d'un  de  ces  couvre-pieds  qui  sont  la  coquetterie  des  accouchées  ;  et 
le  quatorzième  jour,  elle  sort  pour  une  visite  à  l'église  et  un  remer- 
cîment  à  Dieu.  » 

C'est  vers  le  milieu  du  XVIIIe  siècle,  qu'on  commença  à  imprimer 
et  à  envoyer  les  billets  de  faire  part  de  naissance  ;  avant  cette  époque, 
on  annonçait  une  célébration  nuptiale  et  aussi  une  naissance,  par  une 
visite  ou  une  lettre  manuscrite.  Les  auteurs  que  nous  venons  de  citer 
possèdent  un  billet  de  la  fin  du  siècle,  sortant  de  chez  Demaisons, 
peintre,  rue  Galande,  et  où  se  voit  entête,  un  enfant  nu,  un  hochet  à 
la  main,  dans  une  corbeille  de  fleurs  ;  la  naissance  de  l'enfant  est  ainsi 
annoncée  : 

M. 

J'ay  Vhonnew  de   vous  faire  part  de  l'heureux  accouchement 
de  mon  épouse, 

Le        [la  date),        la  mère  et  V enfant  se  portent  bien, 

J'ay  l'honneur  d'être. 

La  formule  a  peu  varié  depuis,  à  part  certains  libellés  fantaisistes 
dont  on  trouvera  plusieurs  spécimens  dans  notre  troisième  volume. 

Les  nourrices  au  XVIIIe  siècle.  —  Au  temps  de  Louis  XIV, 
les  enfants  mis  en  nourrice  étaient  mieux  protégés  que  de  nos  jours, 
comme  le  prouvent  les  articles  suivants,  extraits  des  Déclarations  du 
roi  portant  règlement  pour  les  recommandaresses  et  les  nourrices. 
Donnés  à  Versailles  le  29  janvier  1743,  le  /er  mars  1721,  le  22  août 
1761  et  l'ordonnance  de  police  de  1762  : 

«  ...Le  bien  de  l'Etat  étant  toujours  intéressé  à  la  conservation  et  à 
l'éducation  des  enfants  ;  nous  n'avons  pas  cru  qu'il  fût  indigne  de  notre 
attention  de  pourvoir  nous- même  à  une  partie  si  importante  de  la 


MOEURS   ET   COUTUMES  507 

police...  Ordonnons  qu'au  lieu  de  deux  bureaux  qui  sont  établis  pour 
les  recommandaresses,  il  y  en  ait  quatre  dorénavant. 

«  Qu'elles  fassent  bourse  commune  entre  elles  des  droits  qui  leur 
seront  payés,  à  raison  de  trente  sous  pour  chaque  nourrisson  par  les 
pères  et  mères.  Défendons  aux  meneurs  et  meneuses  de  nourrices, 
d'emporter  ou  faire  emporter  des  enfants,  sans  être  accompagnés  des 
nourrices  qui  les  doivent  allaiter.  ...Ordonnons  que  les  nourrices  qui 
viendront  à  Paris  chercher  des  nourrissons  seront  visitées  par  le 
médecin  et  le  chirurgien  que  nous  avons  commis  à  cet  effet.  ...Ne  pour- 
ront lesdites  nourrices  se  charger  d'aucun  nourrisson  que  leur  dernier 
enfant  ne  soit  sevré,  et  âgé  de  sept  mois,  à  moins  qu'elles  ne  l'aient 
confié  à  une  autre  nourrice  pour  l'allaiter,  ce  qui  sera  attesté  par  le 
certificat  du  curé  ;  leur  défendons  de  prendre  un  nourrisson  deux  ans 
après  être  accouchée,  le  tout  à  peine  d'être  privées  de  leurs  salaires  et 
de  cinquante  livres  d'amende  contre  le  mari. 

«  Faisons  défense  aux  nourrices  d'avoir  en  même  temps  deux  nour- 
rissons (1),  à  peine  de  fouet  contre  la  nourrice,  et  de  50  livres  d'amende 
contre  le  mari,  et  d'être  privées  du  salaire  qui  leur  sera  dû  pour  l'un  et 
l'autre  enfant. 

«  Faisons  défense,  sous  peine  de  punition  corporelle,  à  toutes  nour- 
rices qui  se  trouveront  grosses,  de  prendre  des  enfants  pour  les  nourrir, 
et  à  peine  de  50  livres  d'amende  pour  les  maris.  ...Enjoignons  aux  nour- 
rices d'avoir  soin  des  enfants  qu'elles  allaiteront;  et  en  cas  qu'il  se 
trouvât  qu'ils  eussent  péri  par  leur  faute,  voulons  qu'elles  soient 
punies  suivant  la  rigueur  de  nos  ordonnances.  ...Afind'ovier  à  l'abus 
pratiqué  par  quelques  nourrices,  de  mettre  coucher  leurs  nourrissons 
dans  leur  lit,  dont  plusieurs  se  sont  trouvés  étouffés  et  estropiés,  leur 
enjoignons  d'avoir  chez  elles  un  berceau  pour  y  mettre  l'enfant,  et 
d'en  faire  apparoir  à  leur  curé  ;  défendons  aux  dites  nourrices  de  mettre 
dorénavant  leurs  nourrissons  à  côté  d'elles  dans  leur  lit,  ou  de  mettre 
plusieurs  nourrissons  ou  autres  enfants  dans  le  même  berceau,  à 
peine  de  50  livres  d'amende,  ou  même  de  punition  corporelle  s'il  y 
échoit.  » 

Vers  la  fin  du  XVIIIe  siècle,  nous  trouvons,  dans  les  Mémoires  de 
Bachaumont,  la  preuve  de  la  sollicitude  qu'on  avait  alors  pour  les 
bonnes  nourrices.  Voici  ce  passage  :  «  Le  mercredi  (26  janvier  1786), 
M.  le  lieutenant  général  de  police  s'est  rendu  au  bureau  des  nourrices 


(1)  Une  ordonnance  du  roi  Jean,  en  date  du  30  janvier  1350,  la  première  qui  con- 
cerne les  nourrices,  leur  fait  déjà  la  même  défense,  sous  peine  d'une  amende  de 
dix  koIs  et  du  pilori,  pour  la  recommanderesse. 


508  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


et  y  a  donné  le  prix  à  la  nommée  Anne  Bouvet,  femme  d'IIildevert 
Diet,  de  la  paroisse  de  Trilbardou,  près  Meaux,  terre  dont  M.  Le  Noir 
a  fait  depuis  peu  l'acquisition.  Ce  prix,  suivant  l'intention  du  fonda- 
teur, consistait  en  une  médaille  d'or  et  un  gobelet  d'argent,  sur  lequel 
l'historique  du  prix  avait  été  tracé.  La  médaille  portait  d'un  côté  le 
portrait  de  la  reine  et  de  l'autre  ces  mots  :  A  la  bonne  nourrice. 
M.  Le  Noir,  en  couronnant  cette  femme  comme  bonne  nourrice,  lui  a 
dit  :  «  Il  reste  à  vous  récompenser  comme  bonne  citoyenne  et  mère  de 
famille;  vous  avez  .donné  sept  enfants  à  l'Etat,  ce  prix  me  regarde  et 
je  m'en  charge  ».  Cette  cérémonie  a  fait  spectacle  et  il  a  été  récité  des 
pièces  de  vers  y  relatives.  » 

Un  accouchement  sélect  au  XIXe  siècle.  —  C'est  le  magis- 
ter  elegantiarum,  le  Figaro  pour  tout  dire,  qui  nous  renseignera  sur 
ce  sujet  :  «  Il  est  d'usage,  dit  le  moniteur  de  la  haute  société,  que  des 
espérances  de  quatre  à  cinq  mois  soient  communiquées  à  la  famille. 
Cela  ne  s'écrit  que  dans  les  cas  exceptionnels.  »  Dans  les  cas  excep- 
tionnels? Sans  doute  quand  la  jeune  marquise  annonce,  contre  toute 
attente,  un  héritier  du  nom  au  noble  octogénaire  qu'elle  a  pris  pour 
époux?  Cas  exceptionnels  ?...  Nous  nous  perdons  dans  les  hypothèses. 
Quoi  qu'il  en  soit,  Figaro  prévient  les  parents  et  amis  intimes  qu'ils 
aient  à  verser  dans  les  mains  du  domestique,  porteur  de  la  bonne  nou- 
velle, un  respectable  pourboire.  Dès  lors,  il  est  probable  que  MM.  les 
gens  de  maison  prennent,  avant  d'entrer  au  service  d'un  ménage 
high-life,  de  sérieuses  informations  sur  ses  chances  de  fécondité. 

Continuons:  «  Dans  le  faubourg  Saint-Germain,  quand  une  jeune 
femme  a  l'heur  de  mettre  au  monde  l'héritier  du  titre  de  la  famille,  un 
dauphin,  elle  reçoit  du  chef  de  la  maison,  son  beau-père  ou  son  mari, 
quelque  cadeau  remarquable,  c'est  un  rubis,  un  saphir  ou  une  fleur  en 
diamants.  Pour  une  fille  ou  un  cadet,  le  mari  seul  offre  un  présent 
proportionné  à  ses  moyens  et  à  son  contentement  ».  Proportionné  à 
ses  mogens,  soit  :  le  noble  faubourg  est  pauvre,  dit-on.  Mais  à  son 
contentement  ?  Dame,  s'il  est  mécontent,  à  qui  la  faute  ?  ou  si  la  nais- 
sance d'une  fille  lui  déplaît,  que  n'étudiait-il  Y  Art  de  procréer  les  sexes 
à  volonté  par  Procope  Copeau  ? 

La  visite  des  parents  et  des  intimes  est  admise  au  bout  d'une  dizaine 
de  jours;,  après  trois  semaines  écoulées,  tout  Paris  reçoit  un  petit  bil- 
let l'avisant  de  la  naissance  de  l'enfant  :  sommation  à  venir  féliciter, 
de  deux  à  cinq  heures.  Sur  une  chaise  longue,  s'étale  la  jeu»e  accou- 
chée, couverte  de  satins,  de  dentelles,  portant  quelques  diamants,  et 
coiffée  «  d'un  soupçon  de  bonnet  qui  friseen  toquet,  placé  sur  le  côté  de 


MOEURS   ET   COUTUMES  509 


la  tête  «.Tout  comme  au  vieux  temps,  on  mange  et  on  bavarde;  le  lunch 
se  compose  de  sandwichs  et  la  conversation  doit  être  «  languissante  ». 
Naturellement  on  exhibe  le  baby.  «  Une  sonnette  tinte  souvent,  sur 
la  requête  des  visiteuses,  et  la  garde,  vêtue  d'une  superbe  robe  de 
soie  qu'il  est  d'usage  de  lui  donner  pour  l'occasion,  apporte  le  baby. 
La  nourrice  emboîte  le  pas.  Elle  aussi  porte  la  livrée  de  l'enfant. 
Pour  un  garçon  on  met  tout  en  bleu,  la  toilette  de  la  mère,  le  berceau 
de  l'enfant,  les  rubans  de  la  nourrice.  Pour  une  fille  tout  en  rose.  Le 
baby  lui-même  est  toujours  vêtu  de  blanc.  Ce  n'est  qu'après  son  bap- 
tême qu'apparaît  une  ceinture  ou  une  pelisse  bleue.  » 

Les  neuf  jours  traditionnels  de  repos  ne  sont  observés  que  dans  la 
classe  laborieuse  ;  mais  dans  la  classe  aisée,  on  reste  volontiers  jus- 
qu'à trois  semaines  au  lit  et  la  première  sortie  n'a  lieu  qu'au  bout  d'un 
mois.  Les  Anciens  avaient,  à  ce  sujet,  des  habitudes  plus  en  rapport 
avec  les  fonctions  utérines,  en  ne  permettant  pas  à  la  femme  de  sortir 
avant  le  quarantième  jour.  En  effet,  la  matrice  ne  reprend  son  volume 
primitif  que  six  semaines  environ  après  l'accouchement  ;  c'est  aussi 
l'époque  à  laquelle  apparaît  la  menstruation  ou  le  retour  des  couches  ; 
logiquement,  la  nouvelle  accouchée  ne  devrait  donc  se  livrer  à  ses  occu- 
pations qu'au  bout  de  ce  temps. 

Dès  sa  première  sortie,  la  mère  se  rend  à  l'Eglise  pour  accomplir  la 
cérémonie  des  relevailles  ;  elle  s'agenouille  devant  l'autel,  et  le  prêtre 
lui  pose  son  étole  sur  la  tête,  en  prononçant  les  paroles  consacrées  : 
elle  offre,  suivant  sa  fortune,  une  pièce  d'or  ou  d'argent  attachée  au 
cierge  qu'elle  tient  à  la  main  ;  dans  les  campagnes,  on  se  contente 
d'envoyer  au  curé  de  la  volaille  ou  des  fruits. 

A  l'occasion  des  relevailles,  les  parents  de  la  nouvelle  accouchée  se 
réunissent  dans  un  repas.  Autrefois,  à  la  Cour,  on  donnait  à  ce  sujet 
certaines  réjouissances  (1)  ;  c'est  ainsi  que  Voltaire  fut  chargé  d'im- 
proviser une  pièce  pour  célébrer  les  relevailles  de  Madame  la  Dauphine. 

Soins  donnés  à  l'enfant  au  XIXe  siècle.  —  Maillot  et 
berceaux.  —  L'enfant  vient  d'être  séparé  de  sa  mère;  il  a  été  net- 
toyé; son  cordon,  enveloppé  dans  une  compresse  (fig.  370,  371),  a  été 
fixé  à  l'aide  d'une  bande  de  toile  ou  de  flanelle  (fig.  372)  et  cela  du  côté 
gauche,  afin  de  ne  pas  comprimer  le  foie;  il  s'agit  maintenant  de 
l'emmailloter.  En  France,  le  maillot  se  compose  ordinairement  des 
pièces  suivantes  :  trois  petits  bonnets  ou  béguins,  le  premier  en  toile, 
mousseline  ou  baptiste,  le  second  en  flanelle  et  l'autre  en  coton  piqué 


(1)  Voir  notre  ouvrage  sur  Les  Accouchements  à  la  Cour 


510 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


ou  à  dentelles,  selon  la  fortune  des  parents  :  une  chemisette  en  toile, 
une  brassière  en  coton  et  souvent  une  seconde  brassière  en  laine  ; 


Fig.  370. —  Compresse    Fig.  371. —  Compresse    Fig.  372.  —  Ceinture  en  flanelle  pour  maintenir 
fendue.  percée  d'un  trou  central.  la  pansement  du  cordon. 


une  couche  de  toile,  un  lange  de  coton  et  un  lange  de  laine.  Dans  un 
grand  nombre  de  familles,  on  agit  plus  sagement  en  se  contentant 


Fig.  373.  — Le  maillot  modifié. 
(Figure  tirée  de  la  Vie  du  Dr  Rengade). 


Fig.  374.  —  Epingle  de  nourrice. 


£ 


Fig.  375.  —  Epingle  fermée. 


d'un  bonnet,  d'une  chemisette  recouverte  d'une  seule  brassière  ;  d'une 
couche  de  toile  et  d'un  simple  lange  de  coton  ou  de  laine,  suivant  la 
saison  fig.  373  .  Vers  le  sixième  mois,  on  emploie  le  maillot  anglais 
dont  nous  parlerons  bientùt.  Pour  assujettir  les  diverses  pièces  du 


MOEURS   ET   COUTUMES 


.11 


maillot,  on  ne  doit  se  servir  que  de  rubans  ou  d'épingles  à  broches, 
dites  épingles  de  nourrice  (fig.  374,  375),  afin  d'éviter  les  piqûres  si 
préjudiciables  aux  enfants.  Le  maillot  modifié  n'entrave  pas.  comme 


Fig.  376.  —  Petit  matelas  sur  lequel  les  nourrices  Vandales  portaient  l'enfant. 

l'ancien,  le  développement  des  membres,  et  il  permet  de  soutenir  faci- 
lement l'enfant.  En  Provence,  on  porte  l'enfant  sur  un  petit  matelas,  ap- 
pelé la  pièce  piquée,  ainsi  que  faisaient  autrefois  les  nourrices  du  duché 


Fig.  377.  —  Enfant  bien  porté. 


de  Vandalie  (fig.  376).  Ce  support  change  de  nature  et  de  nom  suivant 
les  régions  :  à  Nîmes,  il  constitue  le  feutre;  en  Alsace,  le  portefeuille. 


512 


HISTOIRE    DES    ACCOUCIIE.M  ENTS 


Quand  l'enfant  est  asssez  fort  pour  être  porté  à  bras,  il  faut  avoir 
soin  de  l'asseoir  d'aplomb,  comme  sur  une  chaise  (fîg.  377),  et  d'éviter 


Fig.  378.  —  Berceau  rustique,  en  bois. 

la  compression  des  membres  en  contact  avec  le  corps  de  la  nourrice, 


Fig.  379.  —  Berceau  d'osier. 


pour  ne  pas  nuire  à  la  liberté  de  ses  mouvements.  On  changera  aussi 


MOEURS    ET   COUTUMES 


513 


fréquemment  l'enfant  de  bras  :  «  l'oubli  de  cette  précaution  impor- 
tante »,  dit  justement  le  docteur  Brochard,  «  est  cause  qu'un  grand 
nombre  d'enfants  ont  une  jambe  et  une  cuisse,  quelquefois  même  la 
colonne  vertébrale  de  travers.  » 

Les  berceaux  où  l'on  couche  l'enfant  sont  de  différentes  formes  : 
dans  les  campagnes,  on  emploie  souvent  des  lits  en  bois  (fig.  378), 
véritables  nids  à   punaises,  ou    des  corbeilles   d'osier  incommodes 


Fig.  380.  —  Bercelonnette  garnie. 


(fig.  379),  dont  les  secousses  violentes  ébranlent  le  cerveau  délicat 
du  nouveau-né  et  troublent  sa  digestion.  Les  oscillations  de  la  ber- 
celonnette en  fer  (fig.  380)  sont  plus  douces  ;  on  a  donc  raison  de  la 
préférer  dans  les  villes.  Les  familles  aisées  utilisent,  le  jour,  des 
berceaux  Moïses  (fig.  381)  que  l'on  peut  facilement  porter  d'une  pièce 
à  une  autre.  Pour  les  enfants  trop  remuants,  qui  sont  exposés  à  tom- 
ber de  leur  couchette,  on  a  imaginé  les  berceaux  parachutes  (fig.  382) 
ou  munis  de  filets;  dans  le  midi,  ils  sont  enveloppés  d'une  moustiquaire. 


HISTOIRE    DES    ACCOU'JHI  ME. M  s. 


514 


HISTOIRE    DES  ACCOUCHEMENTS 


Enfin  on  aie  berceau  pose-bébé  (fig.  110,  383)  pour  se  rendre  compte 


Fig.  381.  —  Carcasse  de  berceau  Moïse. 


de  la  quantité  de  lait  prise  à  chaque  tetée  et  des  variations  journa- 
lières du  poids  de  l'enfant. 


Fig.  382.    —  B  rccau  parachute  fermé. 


MOEURS    ET   COUTUMES 


515 


Allaitement.  Nourrices.  —  Si  la  mère  se  décide  à  nourrir 
son  enfant,  elle  commence  à  donner  le  sein  quatre  ou  cinq  heures 
après  la  délivrance  ;  mais  trop  souvent  l'indifférence  et  l'égoïsme 


Fig.  383.  —  Berceau  pèse-bébé  du  docteur  Groussin. 

l'emportent  sur  les  raisons  physiologiques  et  sociales  qui  comman- 
dent l'allaitement  maternel  ;  les  femmes  préfèrent  suivre  les  conseils 
de  l'Armande  des  Femmes  savantes,  et 

Laissant  aux  gens  grossiers,  aux  personnes  vulgaires, 
Les  bas  amusements  de  ces  sortes  d'affaires, 


confient  leurs  enfants  à  des  nourrices  sur  lieu,  ou  à  des  nourrices 
de  campagne. 

Comment  les  nourrices  remplissent-elles  leurs  devoirs  ?  Avec  des 
femmes  à  demeure,  placées  sous  la  surveillance  directe  des  parents, 
il  semblerait  qu'on  dût  avoir  toute  garantie.  Combien,  cependant,  au 
lieu  de  donner  le  sein  à  leurs  nourrissons,  trouvent  moyen,  presque 
sous  les  yeux  de  la  mère,  de  les  gorger  d'aliments  autres  que  leur 
lait  !  Et  quand  la  nourrice  est  au  loin  !  Le  sein  quelquefois,  plus  sou- 
vent le  biberon.  Et  notez  que  de  leur  part,  il  n'y  a  pas  inconscience  ; 
ces  petites  bouteilles  auxquelles  les  Robert  et  les  Monchovet  ont  atta- 
ché leur  nom,  le  bon  sens  campagnard  les  appelle  la  petite  rente 
du  médecin.  Trop  souvent,  en  effet,  nous  sommes  appelés  à  constater 
des  décès,  résultant  d'une  biberonite,  plus  ou  moins  aiguë. 


516  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Le  23  décembre  1874,  fut  promulguée  la  loi  Roussel  qui  place  les 
nourrices  de  profession  sous  la  surveillance  de  médecins  et  de  per- 
sonnes notables,  chargés  d'inspecter  les  enfants  âgés  de  moins  de 
deux  ans  ;  en  voici  quelques  dispositions  : 

«  Le  refus  de  recevoir  la  visite  du  médecin  inspecteur,  du  maire 
de  la  commune,  ou  de  toutes  autres  personnes  déléguées  ou  auto- 
risées en  vertu  de  la  présente  loi,  est  puni  d'une  amende  de  cinq 
à  quinze  francs.  Un  emprisonnement  de  un  à  cinq  jours  peut  être 
prononcé,  si  le  refus  dont  il  s'agit  est  accompagné  d'injures  ou  de 
violences.  —  Toute  personne  qui  veut  se  placer  comme  nourrice  sur 
lieu,  est  tenue  de  se  munir  d'un  certificat  du  maire  de  sa  résidence, 
indiquant  si  son  dernier  enfant  est  vivant,  et  constatant  qu'il  est  âgé 
de  sept  mois  révolus,  ou,  s'il  n'a  pas  atteint  cet  âge,  qu'il  est  allaité 
par  une  autre  femme.  —  Si,  par  suite  d'une  négligence  de  la  part 
d'une  nourrice  ou  d'une  gardeuse,  il  est  résulté  un  dommage  pour  la 
santé  d'un  ou  de  plusieurs  enfants,  l'emprisonnement  de  un  à  cinq 
jours  peut  être  prononcé.  En  cas  de  décès  d'un  enfant,  l'application 
des  peines  portées  à  l'article  319  du  Code  pénal,  peut  être  pro- 
noncée. » 

Un  règlement  du  27  février  1877,  complète  les  obligations  imposées 
aux  nourrices,  en  leur  interdisant  d'allaiter  un  autre  enfant  que  leur 
nourrisson  et  en  défendant  aux  sevreuses  ou  gardeuses  de  se  charger 
de  plus  de  deux  enfants  à  la  fois. 

On  doit  remercier  l'autorité  de  sa  bonne  volonté  ;  mais  ces  pré- 
cautions sont  bien  insuffisantes  et  ne  donnent  que  de  médiocres  ré- 
sultats. Quoi  qu'on  fasse,  il  sera  bien  difficile  de  remédier  à  l'incurie 
des  nourrices  et  aux  vices  de  leur  organisation.  Ainsi  pour  avoir  une 
nourrice  sur  lieu,  on  va  la  choisir  dans  des  bureaux  spéciaux.  «  Le 
choix  d'une  nourrice  »,  dit  Lorain,  «  est  chose  délicate  et  il  n'existe 
pas  de  branche  de  l'industrie  humaine  où  la  tromperie  soit  plus  fré- 
quente. Les  nourrices  trompent  sur  leur  âge,  sur  l'âge  de  leur  lait, 
sur  leur  provenance;  elles  doivent  être  surveillées  avec  soin,  et  suivies, 
pour  ainsi  dire,  pas  à  pas.  L'institution  des  bureaux  de  nourrices  ne 
protège  pas  suffisamment  le  public  et  les  médecins  contre  certaines 
fraudes.  Ainsi  les  nourrices  à  Paris  font  souvent  usage  de  faux  pa- 
piers ou  de  papiers  empruntés  qu'elle  se  prêtent  les  unes  aux  autres; 
elles  arrivent  de  la  sorte  à  réaliser  l'idéal  de  toutes  ces  femmes,  qui  est 
de  se  donner  pour  des  nourrices  de  Bourgogne,  mariées,  accouchées 
depuis  trois  ou  quatre  mois  fréquemment  elle  produisent  et  montrent 
comme  leur,  un  enfant  de  belle  mine  qui  ne  leur  appartient  pas.  Elles 
font  souvent  venir  à  Paris  leur  mari  comme  ouvrier  terrassier   ou 


MOEURS  ET   COUTUMES  517 

homme  de  peine,  et  entretiennent  en  secret  des  relations  avec  lui, 
alors  que  la  chasteté  leur  est  imposée.  » 

Ces  remarques  sont  fort  justes;  nous  en  avons  trouvé  la  confir- 
mation dans  une  étude  curieuse  sur  les  bureaux  de  nourrices,  qu'un 
rédacteur  anonyme  a  écrite  pour  le  journal  le  Temps.  Nous  donnons 
en  entier  ce  document  de  moeurs,  parfois  amusant  dans  les  détails,  au 
fond  navrant  : 

«  Que  de  fois,  allant  guetter  le  retour  d'un  ami  aux  gares  de  Lyon 
ou  d'Orléans,  vous  avez  été  témoins  du  spectacle  suivant  : 

«  A  la  queue  des  voyageurs,  pressés  de  franchir  le  tourniquet  et  de 
sauter  dans  les  fiacres,  apparaissait,  loin  sur  le  quai  de  la  voie,  un 
bataillon  de  paysannes,  coiffées  du  petit  bonnet  blanc  des  Morvan- 
diottes,  conduites  par  un  personnage  très  important,  haute  casquette 
et  blouse  neuve,  ayant  une  chaîne  d'or  autour  du  cou  et  à  la  main  un 
de  ces  bâtons  ferrés  du  bout,  à  manche  de  cuir,  que  l'on  voit  au  poi- 
gnet des  maquignons  dans  les  foires.  Arrivé  à  la  barrière,  ce  compa- 
gnon clignait  familièrement  de  l'œil  à  l'employé.  Lentement,  de  des- 
sous sa  blouse,  il  tirait  les  billets  enfouis  dans  sa  sacoche  ;  puis,  ayant 
compté  son  monde,  il  reprenait  la  tète  de  la  caravane  et  traversait  la 
gare  avec  l'air  victorieux  d'un  pacha  menant  son  sérail  à  la  prome- 
nade. Les  paysannes  le  suivaient  à  la  queue  leu  leu  ;  d'étranges  miau- 
lements de  petits  chats  sortaient  de  dessous  leurs  capes  jetées  sur 
l'épaule.  Enfin,  au  bas  des  marches,  toute  la  troupe  s'empilait  dans 
une  tapissière  et  s'éloignait,  cahotée,  au  trot  d'un  bidet. 

«  Involontairement,  vous  avez  souri  et  vous  vous  êtes  souvenus 
d'une  vieille  lithographie  en  trois  couleurs,  qui  s'étale  à  toutes  les 
devantures  de  marchands  d'estampes  :  la  Voiture  de  nourrices,  avec 
sa  charretée  de  marmots  pendus  aux  seins  maternels  et  son  meneur, 
assis  sur  le  brancard,  la  pipe  aux  dents. 

«  Depuis  l'invention  des  chemins  de  fer,  les  carrioles  des  meneurs 
se  rouillent,  les  bras  en  l'air,  sous  d'antiques  remises;  mais  le  type 
pittoresque  du  conducteur  de  nourrices  n'a  guère  varié.  C'est  un  être 
tout  à  fait  à  part  et  fort  complexe.  Il  joint  à  la  rouerie  finaude  du 
marchand  de  bœufs,  à  son  mépris  du  bétail,  l'élégance  spéciale  du 
camelot  enrichi.  Enfin,  il  a  je  ne  sais  quelle  vague  ressemblance  avec 
l'ancien  racoleur  de  conscrits,  ce  terrible  sergent  à  langue  dorée,  resté 
si  vivant  dans  les  complaintes  paysannes.  L'administration,  qui  exige 
aujourd'hui  du  meneur  des  certificats  de  bonne  vie  et  mœurs,  et  une 
autorisation  préfectorale,  en  a  fait  un  personnageofficiel.il  n'a  jamais 
porté  sa  coiffure  aussi  haute  ni  son  ventre  aussi  en  avant.  Celui  qui 
m'a  donné  quelques  renseignements  sur  la  façon  dont  les  meneurs  re- 


518  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

crutent  leur  personnel  m'a  dit  :  «  J'opérions  chacun  dans  not'  dio- 
çaise  ».  Voulait-il  vraiment  dire  dans  le  sien,  comme  Henri  IV  décla- 
rait sienne  «  sa  bonne  province  de  Normandie  »  ?  Il  est  certain  que 
le  meneur  est  aussi  connu  que  monseigneur  dans  les  paroisses  et  qu'il 
surveille  de  très  près  son  troupeau.  Que  les  autres  guettent  la  moisson 
qui  germe,  la  vigne  qui  bourgeonne,  lui,  dans  ses  tournées  de  cam- 
pagne, surveille  les  couples  qui  s'égarent  les  soirs  de  vendange  et, 
d'après  ses  observations,  se  livre  à  des  calculs  de  probabilités  tout  à 
fait  divertissants. 

«  J'ai  eu  entre  les  mains  un  carnet  de  meneur  —  un  vieux  carnet 
relié  en  toile  cirée,  avec  des  taches  de  café  répandu  et  de  grosses  mar- 
ques de  pouce  au  bas  des  pages.  Toutes  les  pages  étaient  à  demi 
pleines.  D'une  part,  les  femmes  qui  s'étaient  promises  à  date  fixe.  De 
l'autre,  les  filles,  celles  qui  ne  disaient  rien  encore,  mais  sur  qui  le 
meneur  avait  l'œil  ouvert.  Celles-ci  étaient  de  beaucoup  les  plus  nom- 
breuses. Et  cela  est  logique.  Dans  un  pays  où  le  commerce  de  la 
«  nourriture  »  est  devenu  une  industrie  réglée,  la  source  à  peu  près 
unique  de  la  prospérité  des  ménages,  les  gars  ne  se  soucient  pas  du 
tout  d'épouser  une  femme  stérile,  et  ils  lui  préfèrent  beaucoup  des  filles 
qui  «  avions  fait  leurs  preuves  »,  comme  disait  mon  meneur. 

«  Quand  le  meneur  a  formé  sa  troupe,  ou,  pour  parler  l'argot  du 
métier,  quand  il  «  a  noué  sa  botte  » ,  il  va  prendre,  à  quelque  station  de 
grande  ligne,  le  chemin  de  fer  de  Paris.  Presque  toutes  les  femmes 
emmènent  leurs  enfants  avec  elles.  Et  tout  ce  monde,  été  comme 
hiver,  voyage  en  wagon  de  troisièmes,  assis  sur  le  bois,  presque  au 
lendemain  des  relevailles.  Et  il  est  bien  entendu  que  le  meneur  ne  se 
gêne  point  pour  fumer  sa  pipe,  pas  plus  que  les  camarades  qui  mon- 
tent en  route.  Pourtant  les  pauvres  bébés  sont  encore  moins  à  plain- 
dre à  l'aller,  serrés  contre  les  seins  maternels  et  bien  protégés  par  la 
cape  ou  un  vieux  châle,  qu'au  retour,  où  ils  sont  confiés  «  aux  bons 
soins  »  du  meneur. 

«  L'administration  a  fait  pour  eux  ce  qu'elle  a  pu.  Elle  a,  par 
exemple,  sévèrement  défendu  aux  conducteurs  de  nourrices  de  ra- 
mener plus  d'un  enfant  à  la  fois.  On  n'a  plus  le  spectacle  lamentable 
de  ces  maillots  vagissants  rapportés  à  la  botte,  trois,  quatre,  roulés 
dans  une  couverture,  par  un  marchand  de  bœufs  ou  une  vieille  com- 
mère. Les  conséquences  de  cette  ancienne  pratique,  c'étaient  :là  mort 
en  masse,  les  échanges  d'enfants,  une  foule  d'incidents  tragiques  qui 
nous  semblent  relever  uniquement  du  mélodrame  et  que  la  loi  de  1874 
sur  la  protection  de  l'enfance  a  rendus  infiniment  rares.  Mais  a-t-elle 
pu  remédier  à  tout,  cette  belle  loi  de  pitié?  Pourra-t-elle  empêcher 


MOEURS   ET   COUTUMES  519 

le  meneur  de  considérer  le  marmot  qu'il  rapporte  comme  un  paquet 
incommode,  adoucir  sa  main  lourde  et  faire  que  ce  mauvais  lait 
de  Paris,  acheté  au  départ  dans  une  crémerie,  secoué  dans  la  bouteille 
par  le  tressautement  du  chemin  de  fer,  ne  descende  pas  bien  froid  et 
presque  empoisonné  dans  ce  pauvre  petit  estomac  qui  crie  famine? 
«  Il  est  expressément  défendu,  dit  une  ordonnance  du  préfet  de  police 
(1er février  1878),  aux  meneurs  ou  meneuses  et  à  toutes  personnes  s'oc- 
cupant  dans  le  département  de  la  Seine  du  placement  d'enfants  en 
nourrice,  d'emporter  des  nouveau-nés,  sans  que  ces  enfants  puissent 
être,  pendant  le  transport,  entourés  de  soins  dont  ils  ont  besoin,  et  de 
nature  à  rendre  impossibles  les  substitutions  d'enfants  ». 

«  Voilà  tout  ce  que  la  loi  pouvait  faire;  quant  à  la  pratique,  la 
surveillance  doit  être  bien  malaisée,  et  l'ordonnance  conclut  par  cet 
article  instructif  :  «  Dans  le  cas  où  les  enfants  ainsi  transportés  vien- 
draient à  mourir  en  route,  il  est  enjoint  aux  meneurs  d'en  faire  aus- 
sitôt que  possible  la  déclaration  devant  un  officier  de  l'état  civil  ». 

«  Mais  pour  le  moment  ils  sont  bien  vivants,  ces  petits  Morvan- 
diots,  et  ils  emplissent  du  concert  bruyant  de  leurs  cris  les  voûtes 
sévères  de  la  préfecture  de  police.  » 

Déclaration  de  naissance.  —  La  naissance  de  l'enfant,  dit  le 
Code  civil,  sera  déclarée  par  le  père  ou,  à  son  défaut,  par  les  docteurs 
en  médecine,  sages-femmes,  officiers  de  santé,  ou  autres  personnes 
qui  auront  assisté  à  l'accouchement.  L'acte  de  naissance  sera  rédigé 
de  suite,  en  présence  de  deux  témoins.  A  la  campagne  (fig.  384)  et  en 
province,  la  présentation  de  l'enfant  devant  l'officier  de  l'état  civil  a  tou- 
jours été  facultative;  à  Paris,  elleétait  obligatoire  avant  1868  (fig.  385). 
Mais  depuis  cette  époque,  en  raison  des  dangers  que  courait  le  nou- 
veau-né, exposé  aux  intempéries  de  l'air,  la  constatation  des  nais- 
sances se  fait  à  domicile  par  un  médecin  de  l'état  civil.  Cette  visite 
ne  dispense  pas  le  père  ou  les  autres  personnes  désignées  ci-dessus, 
de  la  déclaration  qui  doit  être  faite  dans  les  délais  légaux,  c'est-à-dire 
dans  les  trois  jours  de  l'accouchement,  non  compris  celui  de  la  nais- 
sance, sous  peine  d'un  emprisonnement  de  six  jours  à  six  mois  et 
d'une  amende  de  seize  francs  à  trois  cents  francs.  Le  secret  profes- 
sionnel autorise  l'accoucheur  à  faire  la  déclaration  de  naissance  sans 
indiquer  les  noms  ni  la  demeure  des  parents. 

Quand  une  femme  accouche  sur  la  voie  publique,  en  voiture,  en 
omnibus,  voire  même  en  ballon  captif,  comme  le  cas  s'est  présenté  à 
l'Exposition  de  1878,  la  déclaration  de  naissance  doit  avoir  lieu  à  la 
mairie  de  l'arrondissement  où  réside  l'accouchée.  Si  l'accident  arrive 


520 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


en  chemin  de  fer,  la  déclaration  se  fait  à  la  mairie  de  l'endroit  où  la 
femme  a  été  transportée.  Sur  un  vaisseau,  la  formalité  est  remplie  au 
port  d'attache  du  bâtiment. 

D'après  une  récente  ordonnance  du  préfet  de  la  Seine  (Fé- 
vrier 1882),  on  est  tenu  de  déclarer  à  la  mairie,  aux  fins  d'enlève- 
ment, les  embryons   à  partir  de   six   semaines  ;  un  employé  des 


ïfKiv-'i'Nï'ï  --"-^^:  ^Mi 


llflljfilhi'.j  ;  M|M 


Fjg.  384.  —    La    déclaration    de   naissance   à    la    campagne,   d'après    un    almanach  de  la  Ville  de 

Saint-Denis. 


pompes  funèbres  passe  les  prendre  sans  frais  au  domicile  de  l'accou- 
chée. Cette  sage  mesure  empêche  de  jeter  dans  les  latrines  ou  sur  les 
ordures  des  petits  cadavres  ayant  déjà  forme  humaine. 

L'avorteraient  en  France.  —  La  loi  franque  admettait  le 
ivehrgeli  ou  rançon  en  argent  pour  l'avortement  comme  pour  toute 
autre  violence;  la  compensation  était  de  cent  sols  (1)  et  de  sept 
cents,  si  la  femme  succombait  (2).  Plus  tard,  sous  le  régime  féodal,  ce 


(1)  Monnaie  d'or  dont  la  valeur  a  beaucoup  varié. 

(2)  Il  en  était  de  même  chez  tous  les  peuples  de   race  germanique,  Wisigoths, 
Bavarois,  etc. 


MOEURS   ET  COUTUMES 


521 


fut  le  gibet  ou  la  confiscation  totale  des  biens  qui  punit  les  mauvais 
traitements  ayant  pour  suite  l'avortement  ou  la  mort  d'une  femme 
enceinte.  Les  rois  de  France  et  leurs  Parlements  se  montrèrent  tou- 
jours impitoyables  pour  les  crimes  de  ce  genre;  non  seulement  tout 
attentat  à  la  vie  de  l'enfant,  mais  la  simple  célation  de  grossesse  en- 
traînait le  dernier  supplice.  On  connaît  là-dessus  un  édit  porté  par 


Fig.  3S5. —  La  déclaration  de  naissance  dans  une  mairie  de  Paris,  d'après  le  tableau  de  Blanchon, 
acheté  par  la  Ville  pour  la  mairie  des  Buttes-Chaumont,  XIXe  arrondissement. 


Henri  II  en  1556  et  confirmé  par  les  ordonnances  de  Henri  III, 
Louis  XIV  et  Louis  XV  (1)  ;  il  était  ordonné  aux  curés  d'en  lire  le 
texte  aux  prônes,  et  cela  tous  les  trois  mois.  Un  tel  excès  de  rigueur 
amena  les  protestations  des  philosophes,  de  Voltaire,  de  Rousseau, 
de  Beccaria,  leur  émule  d'Italie,  et  la  Révolution  anéantit  celte  légis- 


(1)  L'ancienne  législation  lorraine  était  tont  aussi  monstrueuse;  en  1711,  fut 
publié,  au  bailliage  du  marquisat  de  Mogueville,  un  édit  obligeant  les  femmes 
veuves  et  les  filles  enceintes  à  dire,  sous  la  foi  du  serment,  pendant  les  douleurs  de 
l'enfantement,  quel  était  l'auteur  de  leur  grossesse. 


522  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

lation  féroce.  Le  code  de  1791  ne  prononçait  plus  que  vingt  ans  de 
fers  contre  «  quiconque  serait  reconnu  coupable  d'avoir  par  breu- 
vages, par  violences  ou  par  tous  autres  moyens  provoqué  l'avorte- 
ment  d'une  femme  enceinte  ».  Aucune  peine  n'atteignait  la  femme 
qui  avait  consenti  au  crime.  Cette  anomalie  a  disparu  dans  le  Gode 
pénal,  dont  l'article  317  frappe  de  la  réclusion,  non  seulement  celui 
qui  pratique  ou  tente  de  pratiquer  l'avortement,  mais  la  femme  qui 
s'y  prête. 

La  statistique  a  établi  que  le  nombre  des  avortements  jugés  en 
France  était  à  peu  près  stationnaire.  Faudrait-il  en  conclure  que 
l'avortement  ne  fait  aucun  progrès  chez  nous?  Malheureusement 
non  :  le  nombre  d'affaires  laissées  sans  poursuite  augmente  effroya- 
blement, clans  les  grandes  villes  surtout  et  dans  les  agglomérations 
ouvrières.  Les  agents  habituels  du  crime,  ce  sont,  il  faut  bien  le  dire, 
les  sages-femmes,  celles  surtout  dont  les  réclames  sont  si  tapageuses 
et  les  volets  si  bien  clos.  «  Un  des  professeurs  de  notre  Ecole,  rap- 
porte le  Dr  Verrier  (1),  «  a  dit  cette  année  (1886)  en  plein  cours,  qu'une 
sage-femme  lui  avait  avoué  faire  en  moyenne  cent  avortements  par 
an....  A  cent  francs  au  minimum,  on  peut  déjà  se  rendre  compte  du 
chiffre  !  Certes,  cette  sage-femme,  comme  trop  d'autres  de  ses  col- 
lègues, gagne  plus  à  tuer  des  enfants  qu'elle  ne  gagnerait  à  les 
mettre  au  monde,  si  on  peut  appeler  cela  gagner.  » 

Nous  finirons  en  faisant  remarquer,  avec  les  docteurs  Galliot  et 
Lacassagne,  que  l'avortement  criminel  se  produit  en  général  vers  les 
quatrième  et  cinquième  mois  et  qu'ils  sont  plus  fréquents  en  octobre, 
novembre,  décembre,  époques  correspondant  aux  conceptions  des 
mois  génésiques,  mai,  juin,  juillet.  Quant  aux  moyens  employés  pour 
procurer  l'avortement,  ils  sont  nombreux  ;  ce  n'est  pas  le  cas  de  les 
examiner  ici  ;  on  en  trouvera  rénumération  détaillée  dans  notre  Géné- 
ration humaine. 

Maternités  de  Paris.  —  Avant  Louis  XVI,  les  femmes  en 
couches  étaient  reçues  à  l'Hôtel-Dieu,  quand  elles  étaient  parvenues 
au  neuvième  mois.  Celles  qui,  avant  ce  terme,  demandaient  un  refuge 
secret,  étaient  admises  à  la  Salpêtrière  ;  aucun  étranger  ne  pouvait 
pénétrer  dans  leur  salle.  Il  y  avait  une  autre  salle  secrète,  pour  les 
femmes  qui  voulaient  allaiter  leur  enfant. 

Mauriceau  raconte  que  dès  le  début  des  douleurs,  on  envoyait  la 
patiente  dans  la  salle  d'accouchements,  appelée  le  Chau/foy,  «  auquel 

(1)  Loc.  cit. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


523 


lieu  on  les  accouche  toutes,  sur  un  petit  lit  fort  bas  et  fait  exprès,  où 
on  les  met  devant  le  feu  ».  Aussitôt  l'accouchement  terminé,  les  fem- 
mes, au  grand  détriment  de  leur  santé,  s'en  allaient  à  pied  rejoindre 
leur  lit  dans  une  pièce  souvent  fort  éloignée. 

Les  conditions  hygiéniqnes  de  l'ancien  Hôtel-Dieu  (fig.  386)  étaient 
déplorables  :  pour  le  prouver,  il  nous  suffira  de  citer  quelques  extraits 
du  rapport  de  Bailly,  Tenon,  Lavoisier,  sur  l'état  de  cet  hôpital 
en  1789. 


Fig.  386.  —  Une  salle  de  l'Hôtel-Dieu  de  Paris.  (Fac-similé  d'une  gravure  sur  bois  du  XVIe  siècle.) 


«  Ils  ont  remarqué  que  la  disposition  générale  de  l'Hôtel-Dieu, 
disposition  forcée  par  le  défaut  d'emplacement,  est  d'établir  beaucoup 
de  lits  dans  les  salles,  et  d'y  coucher  4,  o  et  9  malades  dans  un  même 
lit.  Us  ont  vu  les  morts  mêlés  avec  les  vivants  ;  des  salles  où  les  pas- 
sages sont  étroits,  où  l'air  croupit  faute  de  pouvoir  se  renouveler,  et 
où  la  lumière  ne  pénètre  que  faiblement  et  chargée  de  vapeurs  humides. 
Les  commissaires  ont  encore  vu  les  convalescents  mêlés  dans  les 
mêmes  salles  avec  les  malades,  les  mourants  et  les  morts,  et  forcés 


524  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

de  sortir  les  jambes  nues,  été  comme  hiver,  pour  respirer  l'air  exté- 
rieur sur  le  pont  Saint-Charles  ;  ils  ont  vu  pour  les  convalescents, 
une  salle  au  troisième  étage,  à  laquelle  on  ne  peut  parvenir  qu'en  tra- 
versant la  salle  où  sont  les  petites  véroles  ;  la  salle  des  fous  contiguu 
à  celle  des  malheureux  qui  ont  souffert  les  plus  cruelles  opérations, 
et  qui  ne  peuvent  espérer  de  repos  dans  le  voisinage  de  ces  insensés, 
dont  les  cris  frénétiques  se  font  entendre  jour  et  nuit  ;  souvent,  dans 
les  mêmes  salles,  des  maladies  contagieuses  avec  celles  qui  ne  le  sont 
pas;  les  femmes  attaquées  de  la  petite  vérole,  mêlées  avec  des  fébri- 
citantes.  La  salle  des  opérations  où  l'on  trépane,  où  l'on  taille,  où 
l'on  ampute  les  membres,  contient  également  et  ceux  que  l'on  opère 
et  ceux  qui  doivent  être  opérés,  et  ceux  qui  le  sont  déjà.  Les  opérations 
s'y  font  au  milieu  de  la  salle  même  ;  on  y  voit  ces  préparatifs  de  sup- 
plices, on  y  entend  les  cris  du  supplicié  ;  celui  qui  doit  l'être  le  len- 
demain a  devant  lui  le  tableau  de  ses  souffrances  futures,  et  celui  qui 
a  passé  par  cette  terrible  épreuve,  qu'on  juge  combien  il  doit  être  pro- 
fondément remué  par  ces  cris  de  douleurs  !  .Ces  terreurs,  ces  émotions, 
il  les  reçoit  au  milieu  des  accidents  de  l'inflammation  ou  de  la  suppu- 
ration, au  préjudice  de  son  rétablissement  et  au  hasard  de  sa  vie.  La 
salle  Saint-Joseph  est  consacrée  aux  femmes  enceintes.  Légitimes 
ou  de  mauvaises  mœurs,  saines  ou  malades,  elles  y  sont  toutes 
ensemble.  Trois  ou  quatre  en  cet  état  couchent  dans  le  même  lit, 
exposées  à  l'insomnie,  à  la  contagion  des  voisines  malsaines,  et  en 
danger  de  blesser  leurs  enfants.  Les  femmes  accouchées  sont  aussi  réu- 
nies quatre  ou  plus  dans  un  lit,  à  diverses  époques  de  leurs  couches. 
Le  cœur  se  soulève  à  la  seule  idée  de  cette  situation,  où  elles  s'in- 
fectent mutuellement.  La  plupart  périssent  ou  sortent  languissantes. 
Mille  causes  particulières  et  accidentelles  se  joignent  chaque  jour 
aux  causes  générales  et  constantes  de  la  corruption  de  l'air,  et  forcent 
de  conclure  que  l'Hôtel-Dieu,  est  le  plus  insalubre  et  le  plus  incom- 
mode de  tous  les  hôpitaux,  et  que  sur  neuf  malades  il  en  meurt 
deux.  » 

La  Révolution  modifia  heureusement  cet  état  de  choses,  et  créa  la 
Maternité  dans  l'ancienne  abbaye  de  Port-Royal,  où  elle  existe  encore. 
Plus  tard,  on  consacra  une  partie  de  l'hôpital  des  Cliniques  aux 
femmes  en  couches,  et  dans  différents  hôpitaux  existaient  des  salles 
spéciales  pour  les  accouchées. 

On  trouvera  dans  le  tableau  ci-contre,  dressé  par  le  Dr  Nicaise,  la 
liste  des  services  d'accouchements,  en  1878,  le  nombre  de  lits  qu'ils 
renfermaient  et  le  nombre  d'accouchements  faits  à  cette  époque. 


MOEURS    ET    COUTUMES 


525 


TABLEAU  DES  SERVICES  D'ACCOUCHEMENT  (1878) 


HOPITAUX 


Maison  d'Accouchement. 

Clinique 

Cochin 


Lariboisière , 

Saint-Louis 

Charité , 

Lourcine 

Pitié 

Beaujon , 

Saint- Antoine 

Necker 

Total  des  Maternités, 


I.  —  Maternités 


1321  28  2.12  Chirurgien  des  hôpitaux. 
627  21  3.34  Professeur.  Chir. des hôp. 
761       5    0.65  Chirurgien  des  hôpitaux. 


190    154  2700      54    1.99 

1         I  I 

II.  —  Services  annexés 


28 

2S 

890 

17 

1.09 

28 

28 

750 

23 

3.06 

18 

18 

268 

3 

1.11 

18 

1S 

72 

» 

»i 

17 

16 

351 

12 

3.41 

1C 

16 

'  254 

20 

7.87 

6 

6 

95 

3 

3.15 

6 

6 

53 

7 

13.20 

137 

136 

2733 

85 

3.11 

190 

154 

2709 

54 

» 

327 

290 

5442 

139 

» 

Médecin  des  hôpitaux. 

Id. 

Id. 


»  Chirurgien  des  hôpitaux. 

3.41  .Médecin  des  hôpitaux. 

Id. 

Id. 

Id. 


En  1880,  la  Clinique  qui  existait  place  de  l'Ecole-de-Médecine,  a 
été  reconstruite  près  du  Luxembourg,  dans  de  meilleures  conditions 
hygiéniques  ;  seules  les  chambres  d'isolement  laissent  encore  à  désirer  ; 
elles  ont  l'inconvénient  de  communiquer  de  plain-pied  avec  les  ser- 
vices des  accouchées. 

Depuis  1882,  les  services  annexés  ont  été  transformés  :  ceux  de 
Saint-Louis,  Lariboisière,  la  Charité,  Beaujon,  Tenon  et  la  Pitié, 
ont  été  confiés  à  des  accoucheurs  des  hôpitaux  reçus  au  concours  ;  les 
salles  d'accouchement  de  Saint-Antoine  et  Lourcine  sont  restées 
attachées  temporairement  à  leurs  anciens  services  de  médecine  ou  de 
chirurgie  ;  de  même  les  maternités  de  la  Maison  d'accouchement  et  de 


526  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

Cochin  ont  continué  a  être  comprises  dans  le  roulement  des  chirur- 
giens des  hôpitaux. 

Le  personnel  de  chaque  service  spécial  d'accouchementr  comprend 
un  accoucheur  titulaire,  un  interne,  deux  externes  et  deux  sages-fem- 
mes ;  les  services  annexés  n'ont  qu'une  sage-femme  surveillante. 

Les  femmes  assistées  peuvent  en  outre  accoucher  à  leur  domicile 
ou  chez  des  sages-femmes  agréées,  placées  dans  le  voisinage  des 
hôpitaux. 

On  sera  peut-être  curieux  de  connaître  les  émoluments  attribués 
au  personnel  chargé  des  accouchements  par  l'Assistance  publique. 
Voici  quelques  chiffres  :  L'accoucheur  des  hôpitaux  reçoit,  comme 
ses  collègues  les  médecins  et  les  chirurgiens,  1,500  fr.  par  an  ;  celui 
de  Tenon,  en  raison  de  l'éloignement  de  cet  hôpital,  touche  3,000  fr.; 
les  accoucheurs  des  hôpitaux  ont  en  outre  5  francs  par  chaque  femme 
placée  chez  les  sages-femmes  agréées, pour  la  double  visite  au  moment 
de  l'accouchement  et  à  la  sortie. 

Les  sages-femmes  internes  des  hôpitaux  gagnent  800  fr.  la  lro  an- 
née ;  1,000  fr.  la  2me  et  1,200  fr.  la  3me  ;  la  sage-femme  en  chef  de  la 
Maternité  touche  2,700  fr.  et  celle  de  la  Clinique  2,400  fr.  Les  sages- 
femmes  agréées.ont  10  fr.  par  accouchement  et  6  fr.  par  chaque  jour- 
née de  présence  de  l'accouchée,  la  durée  du  traitement  n'est  pas  moin- 
dre de  dix  jours  ;  moyennant  ce  prix  modique,  elles  doivent  fournir  le 
linge  et  les  médicaments,  sauf  les  substances  antiseptiques,  le  sulfate 
de  quinine,  le  laudanum  et  le  sirop  de  morphine.  A  domicile,  les  sa- 
ges-femmes touchent  une  indemnité  de  15  fr. 

Jusqu'à  ces  derniers  temps,  la  mortalité  des  femmes  en  couches 
était  très  élevée  dans  les  établissements  hospitaliers.  «  En  réunissant  » 
dit  le  Dr  Léon  Lefort,  «  toutes  les  maternités,  tous  les  hôpitaux  où 
sont  reçues  les  accouchées,  tant  en  France  que  clans  le  reste  de  l'Eu- 
rope, on  arrive  au  résultat  suivant  :  il  meurt  en  moyenne  1  femme  sur 
29  dans  les  maternités  et  les  hôpitaux;  en  ville,  il  n'en  meurt  que  1 
sur  212  ».  De  là  l'indication  de  remplacer  ces  centres  meurtriers  par 
les  accouchements  à  domicile.  Ce  desideratum  est  en  partie  acquis  de 
nos  jours.  On  réserve  surtout  les  hôpitaux  pour  les  cas  graves  et 
compliqués,  les  autres  accouchements  ont  lieu  chez  les  sages-femmes 
agréées  ou  à  domicile.  Ainsi,  sur  20,000  accouchements  d'indigentes, 
il  s'en  fait  aujourd'hui  10,000  à  domicile,  5,000  chez  les  sages-femmes 
agréées  et  5,000  dans  les  hôpitaux.  Ce  dernier  chiffre  est  encore  trop 
élevé,  mais  les  maternités  ne  présentent  plus  les  mêmes  dangers 
qu'autrefois  ;  la  mortalité  y  a  diminué  dans  de  notables  proportions  : 
elle  était  de  10  0/0  en  1861,  et  elle  est  descendue  en  1883  à  1  1/2  0/0; 


MOEURS   ET   COUTUMES 


527 


à  Cochin,  pendant  l'année  1878,  service  de  M.  Lucas-Championnière, 
il  n'y  a  eu  que  cinq  décès  sur  761  accouchements. 

Ces  heureux  résultats  sont  dûs  aux  mesures  hygiéniques  et  pré- 
ventives prises  pour  éviter  la  contagion.  Parmi  ces  précautions,  la 
méthode  antiseptique  joue  le  principal  rôle.  Tous  les  pansements  se 
font  à  l'acide  phénique  ou  au  sublimé  ;  aucun  toucher  ne  doit  être  pra- 
tiqué sans  que  la  main  n'ait  été  préalablement  plongée  dans  une  solu- 
tion aseptique  et  que  le  doigt  ne  soit  enduit  de  vaseline  au  sublimé. 
En  outre,  dès  qu'une  accouchée  est  prise  d'accidents,  on  la  trans- 


Fig.  387.  —  Pavillon  Tarnier.  Rez-de-chaussée. 


porte  immédiatement  dans  un  service  de  médecine.  Les  chambres  de 
travail  sont  grandes  et  aérées.  Pour  éviter  les  refroidissements,  un  lit 
roulant  sert  au  transport  des  accouchées,  comme  à  Lariboisière.  Les 
salles  sont  vastes,  les  lits  espacés,  sauf  à  l'hôpital  St-Louis  ;  à  Cochin, 
il  y  a  toujours  une  salle  inoccupée  pendant  trois  semaines  ;  à  Tenon, 
le  service  d'accouchement  est  placé  dans  un  bâtiment  spécial,  cons- 
truit sur  le  modèle  du  pavillon  d'isolement  que  le  professeur  Tarnier 


528 


HISTOIRE     DES    ACCOUCHEMENTS 


a  fait  établir  à  la  Maternité,  et  dont  le  docteur  Pinard  a  donné  la  des- 
cription détaillée  dans  les  Annales  de  gynécologie  (1)  : 

«  Le  nouveau  pavillon  d'accouchements  est  situé  à  l'extrémité  des 
vastes  jardins  de  la  Maternité  de  Paris.  Ce  pavillon  comprend  un  rez- 


0  1  2  3  •f  i  6  7  B.9  iÇMètres 

Fig.  388.  —  Premier  étage. 

de-chaussée  et  un  premier  étage.  Il  a  la  forme  d'un  parallélogramme 
rectangulaire  et  mesure  14m,  20  de  longueur,  7m,  80  de  largeur.  Ses 
deux  façades  sont  orientées  au  nord  et  au  midi  ;  les  deux  pignons 
regardent  le  levant  et  le  couchant.  Deux  murs  de  refend,  allant  du  sol 
au  comble  et  d'une  façade  à  l'autre,  séparent  le  bâtiment  en  trois  par- 
ties :  l'une  médiane,  les  deux  autres  terminales.  Chacune  de  celles-ci 
est  divisée  en  deux  moitiés  par  une  cloison  parallèle  aux  façades,  de 
sorte  que  chaque  étage  se  trouve  divisé  en  cinq  compartiments,  l'un 
central  et  les  autres  dispersés  au  quatre  coins  du  pavillon.  Les  qua- 
tre derniers  compartiments  sont  destinés  à  être  occupés  par  les  fem- 
mes en  couches. 
«  Rez-de-chaussée.  —  Au  rez-de-chaussée,  le  compartiment  placé 


(1)  Juin  1880,  p.  144  et  suivantes. 


MOEURS   ET   COUTUMES  529 

au  centre  du  pavillon  a  été  séparé  en  deux  parties  communiquant 
entre  elles;  l'une  sert  de  vestibule,  l'autre  sert  de  chambre  de  surveil- 
lance et  d'office.  Dans  le  vestibule  se  trouve  l'escalier  conduisant  au 
premier  étage;  on  y  voit,  indépendamment  de  la  porte  principale,  trois 
portes  intérieures  qui  conduisent  :  la  première  à  un  cabinet  d'aisan- 
ces, la  deuxième  à  un  vidoir,  la  troisième  à  l'office.  Ce  vestibule  est 
éclairé  par  deux  fenêtres  donnant  sur  la  façade  exposée  au  nord.  L'of- 
fice ou  chambre  de  surveillance,  habituellement  occupé  par  le  per- 
sonnel nécessaire  au  service,  contient  un  fourneau,  une  baignoire  mo- 
bile, une  table,  des  chaises,  des  armoires.  Elle  est  éclairée  par  deux 
fenêtres  s'ouvrant  sur  la  façade  regardant  au  midi.  A  ses  deux  ex- 
trémités se  trouve  une  porte  qui  conduit  soit  au  vestibule,  soit  au  de- 
hors. Les  quatre  chambres  d'accouchement  sont  indépendantes  l'une 
de  l'autre;  elles  ne  communiquent  ni  avec  le  vestibule,  ni  avec  l'office. 
Chacune  d'elles  a  une  porte  et  une  fenêtre.  La  porte  s'ouvre  sur 
l'une  des  façades,  la  fenêtre  sur  l'un  des  pignons.  Cette  fenêtre  des- 
cend jusqu'au  niveau  du  sol. 

a  Premier  étage.  —  Le  premier  étage  offre  les  mêmes  dispositions 
que  le  rez-de-chaussée  ;  mais  les  portes  des  chambres  d'accouche- 
ment donnent  sur  un  large  balcon  qui  sert  de  voie  de  communica- 
tion. Les  deux  étages  sont  protégés,  sur  chaque  façade,  par  une  mar- 
quise vitrée  qui  met  les  gens  de  service  à  l'abri  de  la  pluie.  Cette 
marquise  monte  jusqu'à  l'avant-toit,  mais  elle  n'est  pas  appliquée  di- 
rectement contre  le  mur,  dont  elle  reste  séparée  par  un  intervalle,  suf- 
fisant pour  amener  le  renouvellement  de  l'air  placé  sous  le  vitrage  de 
la  marquise  et  chauffé  par  les  rayons  du  soleil.  Les  chambres  d'ac- 
couchement sont  au  nombre  de  huit,  quatre  par  étage.  Chacune 
d'elles  mesure  en  hauteur  3  mètres  ;  en  largeur  4m,30,  en  longueur 
3m,50.  Le  cubage  de  l'air  y  est  de  45m,  15.  Aurez-de-chaussée,  les 
quatre  chambres  ont  leur  sol  recouvert  d'asphalte.  Au  premier  étage, 
deux  chambres  sont  dallées  en  pierre,  les  deux  autres  en  ardoises  cou- 
pées en  larges  plaques.  L'usage  a  montré  que  l'asphalte  devait  être 
rejeté.  Dans  les  huit  chambres,  les  murs,  les  cloisons  et  le  plafond 
sont  recouverts  de  stuc  et  peints  à  l'huile.  On  peut  donc,  avec  une 
grande  facilité,  nettoyer  et  laver  toutes  les  chambres  à  grande  eau, 
car  le  pavage  y  est  incliné  vers  un  caniveau  aboutissant  à  une  ouver- 
ture qui  conduit  l'eau  dans  un  tuyau  relié  à  l'égout.  Pour  prévenir 
les  amas  de  poussière  ou  l'infiltration  de  l'eau,  tous  les  angles  formés 
à  la  réunion  des  murs,  des  cloisons  et  du  plafond  sont  à  courbes  ar- 
rondies. Dans  chaque  chambre  se  trouve  une  cheminée  et  une  glace 
sans  tain,  enchâssée  dans  le  mur  de  refend  répondant  à  l'office.  Cette 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS  Si 


530  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

glace  permet  aux  personnes  placées  dans  l'office  de  surveiller  ce  qui 
se  passe  dans  les  chambres,  et,  réciproquement,  les  femmes  en  cou- 
ches peuvent,  de  leur  lit,  voir  ce  qui  se  passe  dans  l'office  et  faire 
signe  aux  gens  de  service.  De  cette  façon  la  surveillance  est  sauvegar- 
dée sans  nuire  au  principe  de  l'isolement.  L'éclairage  se  fait  à  l'aide 
du  gaz  dont  les  becs  sont  placés  en  dehors  des  chambres,  au  niveau 
des  glaces  sans  tain. 

«  Le  mobilier  de  chaque  chambre  se  compose  :  1°  d'un  lit  en  fer  ; 
2°  d'un  sommier  fait  uniquement  de  lames  métalliques  ;  3°  d'un  oreil- 
ler, d'un  traversin  et  d'un  matelas  remplis  de  balle  d'avoine  ;  4°  de 
couvertures  de  laine  et  de  coton  ;  5°  d'une  table  de  nuit  en  fer  ;  6°  d'un 
fauteuil  en  fer  ;  7°  d'une  chaise  en  fer  ;  8°  d'un  tabouret  en  fer  ; 
9°  d'une  table  ronde  en  fer  ;  10°  d'un  berceau  en  fer  avec  la  literie 
nécessaire  pour  le  garnir. 

«  A  chaque  lit  aboutit  un  cordon  de  sonnette,,  dont  le  fil,  après  avoir 
passé  sous  la  marquise,  reste  dans  l'office.  Cette  sonnette  permet  aux 
femmes  d'appeler  les  gens  de  service.  Dans  chaque  chambre  se  trou- 
vent, au-dessus  d'un  lavabo,  deux  robinets,  l'un  d'eau  froide,  l'autre 
d'eau  chaude;  les  robinets  sont  alimentés  par  des  réservoirs  placés 
sous  les  combles.  L'eau  chaude  provient  des  fourneaux  des  offices. 
Le  personnel  attaché  au  service  du  pavillon  est  logé  dans  un  bâtiment 
séparé.  Chaque  femme  admise  au  pavillon  accouche  dans  la  chambre 
et  dans  le  lit  qui  lui  sont  destinés  pour  tout  le  temps  de  ses  couches. 
Quand  elle  est  convalescente,  elle  peut  se  promener  dans  le  jardin  ré- 
servé qui  entoure  le  pavillon.  Dès  qu'une  chambre  est  vide,  on  la 
ventile  et  on  la  remet  pour  ainsi  dire  à  neuf.  Pour  cela  on  la  vide  de 
tout  son  mobilier,  et  toutes  les  parois,  sol,  murs,  cloisons  et  plafond, 
sont  lavés  à  grande  eau.  Le  mobilier,  qui  est  tout  en  fer,  subit  un 
lavage  analogue  fait  avec  le  plus  grand  soin.  La  balle  d'avoine,  qui 
remplissait  les  matelas,  le  traversin  et  l'oreiller  de  la  mère  et  de  l'en- 
fant, est  brûlée.  La  literie  et  les  couvertures  sont  lavées  à  la  buan- 
derie. Rien  ne  doit  échapper  au  lavage  et  au  lessivage.  Quand  une 
femme  accouchée  devient  malade,  sa  porte  est  rigoureusement  inter- 
dite au  personnel  ordinairement  chargé  du  service.  Un  médecin  de 
l'hôpital  du  Midi  soigne  cette  malade  qui  a,  par  exception,  une  garde 
spéciale,  avec  défense  pour  celle-ci  de  pénétrer  dans  les  autres  cham- 
bres. 

«  En  résumé,  ce  pavillon  est  disposé  de  telle  sorte  que  chaque  fem- 
me a  sa  chambre  et  chaque  chambre  sa  fenêtre  et  sa  porte  ouvrant 
directement  au  dehors,  sans  aucune  communication  avec  les  autres, 
même  par  un  corridor,  ce  qui  fait  que  le  personnel  pour  y  entrer  est 


MOEURS   ET   COUTUMES  531 

obligé  de  passer  sous  la  galerie  extérieure  et  d'y  prendre  pour  ainsi 
dire  un  bain  d'air,  suivant  l'expression  de  M.  Tarnier.» 

Coutumes  et  croyances  morvandelles.  —  M.  de  Mari- 
court  a  communiqué  à  la  Société  d'anthropologie  une  série  de  cou- 
tumes et  croyances  observée  aux  environs  d'Arleuf,  canton  de  Châ- 
teau-Chinon  :  ces  pratiques  ont  pour  but  de  rendre  le  nouveau-né 
aussi  heureux  et  aussi  honnête  homme  que  possible  :  «  Quand  les 
premières  douleurs  se  font  sentir,  la  femme,  en  attendant  sa  déli- 
vrance, doit  boire  un  grand  verre  d'eau,  afin  que,  sortant  de  la  vie 
intra-utérine  pour  entrer  dans  le  monde,  l'enfant  s'y  présente  bien 
nettoyé.  Dans  la  suite,  il  sera  toujours  propre  et  soigneux.  La  femme, 
qu'elle  en  ait  envie  ou  non,  avalera  une  forte  soupe  au  lait  pour  que 
l'enfant  soit,  à  tout  jamais,  préservé  de  la  gourmandise.  Aussitôt 
après  l'accouchement,  la  sage-femme  pose  sous  la  langue  de  l'enfant 
une  pièce  d'argent,  ce  qui  fera  de  lui  un  bon  avocat,  soit  un  homme 
à  l'élocution  facile  et  assez  avisé  pour  n'être  jamais  dupé.  Sur 
la  langue,  mettez  un  petit  morceau  de  pomme  cuite;  il  aura  la 
voix  claire,  sera  capable  de  chanter  au  lutrin,  avantage  précieux, 
car  : 

Un  enfant  de  chœur 
N'est  jamais  voleur. 

«  La  sage-femme  introduit  et  maintient  dans  la  main  de  l'enfant, 
une  pièce  d'un  centime  (percée,  si  faire  se  peut).  Il  ne  sera,  plus  tard, 
ni  avare  ni  prodigue.  Lorsque  le  morceau  de  cordon  ombilical  se  déta- 
chera du  ventre,  la  mère  le  recueillera  et  le  mettra  précieusement 
dans  une  boîte,  pratique  rappelant  celle  des  musulmanes,  qui  con- 
servent le  prépuce  de  leur  enfant  après  la  circoncision.  Ce  bout  de 
cordon  est  destiné  à  plusieurs  usages.  Lorsque  l'enfant  commence  à 
jouer  avec  un  couteau  ou  des  ciseaux,  le  premier  objet  qu'il  coupera 
doit  être  ce  même  cordon  ombilical.  Je  ne  sais  si  c'est  dans  le  but  de 
le  préserver  des  blessures  à  l'arme  blanche.  Il  faut  bien  se  garder  de 
laisser  taillader,  en  menues  pièces,  ce  morceau  de  cordon.  On  ra- 
massera le  bout  respecté  par  les  ciseaux  ou  le  couteau,  parce  que  : 
«  lorsque,  arrivé  à  l'âge  d'homme,  le  jeune  paysan  ira  tirer  au  sort, 
s'il  ne  porte  pas  ce  talisman  dans  la  poche  de  son  gilet,  il  risquera 
fort  d'amener  un  mauvais  numéro.  Si  l'on  taillait  les  ongles  d'un  en- 
fant avant  l'année  révolue,  il  aurait  les  doigts  crochus,  c'est-à-dire 
serait  avare  et  voleur.  » 


532  HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 

La  Gouvade  (1).  —  Aux  Arianées,  fêtes  célébrées  dans  l'île  de 
Naxos  en  l'honneur  d'Ariane,  que  Thésée  avait  abandonnée  près  du 
terme  de  sa  grossesse,  on  pratiquait  la  cérémonie  suivante  :  un  jeune 
homme,  sur  un  lit,  contrefaisait  tous  les  efforts  d'une  femme  en  tra- 
vail. Serait-ce  l'origine  de  la  couvade,  cette  coutume  bizarre  qui  a  été 
observée  chez  quelques  paysans  de  notre  midi?  Sacombe  la  décrit 
d'une  façon  assez  exacte,  sinon  poétique  : 

Au  pays  Navarrois,  lorsqu'une  femme  accouche, 

L'épouse  sort  du  lit  et  le  mari  se  couche, 

Et  quoiqu'il  soit  très  sain  et  d'esprit  et  de  corps, 

Contre  un  mal  qu'il  n'a  point,  l'art  unit  ses  efforts; 

On  le  met  au  régime,  et  notre  faux  malade, 

Soigné  par  l'accouchée,  en  son  lit  fait  couvade. 

On  ferme  avec  grand  soin  portes,  volets,  rideaux  : 

Immobile,  on  l'oblige  à  dormir  sur  le  dos, 

Pour  étouffer  son  lait  qui,  gêné  dans  sa  course, 

Pourrait  en  l'étouffant  remonter  vers  sa  source. 

Un  mari  dans  sa  couche,  aux  médecins  soumis, 

Reçoit,  en  cet  état,  parents,  voisins,  amis, 

Qui  viennent  l'exhorter  à  prendre  patience, 

Et  font  des  vœux  au  ciel  pour  sa  convalescence. 

Quelques  auteurs  anciens  avaient  déjà  signalé  chez  certains  peuples 
une  coutume  analogue.  Strabon  disait  des  femmes  espagnoles  :  «  Dès 
qu'elles  sont  délivrées  des  douleurs  de  l'accouchement,  elles  font 
mettre  leur  mari  dans  le  lit,  tandis  qu'elles  vaquent  elles-mêmes  aux 
affaires  du  dehors,  et  elles  le  servent  comme  s'il  était  l'accouchée  (2)  ». 
Diodore  de  Sicile  attribue  la  même  extravagance  aux  habitants  de  la 
Corse  :  «  On  ne  prend,  dit-il,  aucun  soin  de  la  femme  pendant  sa 

(1)  Dans  ce  paragraphe,  nous  ferons  voyager  le  lecteur;  c'est  que  nous  avons 
voulu  réunir  ensemble  les  détails  'concernant  cette  coutume  singulière  et  quelque 
peu  cosmopolite. 

(2)  Les  Basques  sont  signalés  comme  ayant,  plus  que  tous  les  autres,  pratiqué  la 
couvade;  Cbabo,  dans  ses  Histoires  Basques,  1847,  fait  remonter  l'origine  de  cette 
coutume  à  la  légende  d'Aïtor  ;  il  raconte  que,  dans  une  circonstance  solennelle,  en 
241  avant  notre  ère,  le  barde  cantabre  Lara  déclama,  comme  étant  de  sa  composi- 
tion, la  légende  d'Aïtor,  père  de  la  race  basque,  où  il  est  dit  :  «  Quand  les  cris  de  notre 
nouveau-né  égayèrent  l'écho  de  ma  caverne  humide,  la  mère  ne  voulut  point  me 
permettre  d'aller  à  la  nourriture  ;  ce  fut  cette  femme  forte  qui  se  chargea  de  pour- 
voir à  notre  subsistance,  tandis  que  j'étais  dans  le  lit  de  peaux,  réchauffant,  sur 
ma  poitrine  velue,  le  fruit  de  nos  amours  ».  Ce  conte  n'a  évidemment  aucune  va- 
leur scientifique;  nous  ajouterons  même  que,  comme  il  paraît  sorti  de  l'imagination 
de  Cbaho,  il  n'a  même  pas  d'intérêt  légendaire. 


MOEURS   ET    COUTUMES  533 

couche,  mais  aussitôt  qu'elle  est  accouchée,  son  mari  la  remplace  au 
lit,  où  il  reste  un  certain  nombre  de  jours,  comme  s'il  était  souffrant 
d'être  accouché.  »  Apollonius  de  Rhodes  et  son  imitateur  Valérius 
Flaccus  en  disent  autant  de  certains  peuples  de  Pont-Euxin  :  «  Dès 
que  les  femmes  sont  accouchées  »,  écrit  Apollonius,  «  leurs  maris  gé- 
missent en  se  couchant  dans  les  lits,  et  en  entourant  leur  tête,  et 
celles-là  leur  donnent  une  bonne  nourriture  et  leur  préparent  des 
bains  qui  conviennent  aux  accouchées.  »  «  Chez  les  Cypriens  »,  rap- 
porte de  son  côté  Plutarque,  «  un  homme  se  met  au  lit  et  imite  les 
cris  et  les  contorsions  d'une  femme  en  couches  ».  Pison,  dans  son 
Histoire  naturelle  du  Brésil,  dit  que  les  indigènes  de  ce  pays  agis- 
saient de  même,  pour  rétablir  leurs  forces  épuisées,  toutes  les  fois 
qu'ils  devenaient  pères.  «  Apparemment  »,  objecte  un  auteur  mo- 
derne, «  les  femmes  trouvaient  dans  ces  soins  officieux,  du  plaisir  à 
disposer  leurs  maris  à  le  devenir  encore  » .  Suivant  le  père  Du  Tertre, 
les  Caraïbes,  quand  leurs  femmes  ont  accouché,  restent  au  lit  un 
mois  entier,  sans  manger  ni  boire  pendant  les  dix  premiers  jours; 
«  au  bout  du  mois,  les  parents  et  amis  de  la  famille  viennent  rendre 
visite  au  prétendu  malade,  lui  font  des  incisions  dans  la  peau  et 
tirent  du  sang  de  toutes  les  parties  de  son  corps,  sans  qu'il  profère 
une  seule  plainte,  pour  ne  pas  être  accusé  de  lâcheté  (1)  ».  Cette  cou- 
tume a  été  observée  encore  chez  les  Ghaktas  de  l'Amérique  du  Nord, 
chez  les  Arawaks  du  Surinam,  chez  les  Abipones  de  l'Amérique  du 
Sud,  en  Tartarie,  dans  les  Indes,  à  Madras,  au  Malabar;  de  nos 
jours,  elle  existe  au  Congo,  et  le  Dr  Crevaux  dit  l'avoir  retrouvée  en 
Guyane.  Chez  les  Chiriguanes,  le  mari  se  contente  de  se  soumettre 
pendant  trois  ou  quatre  jours  à  un  jeûne  absolu. 

Tels  sont  les  renseignements  fournis  par  les  auteurs  sur  la  cou- 
vade.  Quant  aux  raisons  invoquées  pour  expliquer  cette  singulière 
coutume,  elles  sont  aussi  nombreuses  que  variées  :  Boulanger,  dans 
l'Antiquité  dévoilée  par  ses  usages,  émet  l'étrange  idée  que  c'est  la 
honte  d'avoir  donné  le  jour  à  un  être  de  son  espèce  qui  fait  ainsi 
agir  le  chef  de  la  famille  !  L'abbé  Rouboud  n'a  rien  trouvé  de  mieux 
que  de  faire  coucher  le  père  pour  réchauffer  son  enfant.  L'abbé 
Raynal,  dans  ses  Recherches  philosophiques  sur  les  Américains, 
suppose  qu'en  agissant  ainsi  les  maris  veulent  prouver  qu'ils  ont 
eu  autant  de  part  à  la  génération  que  les  femmes.    Pour  d'autres, 


(1)  Le  P.  Du  Tertre  ajoute  que,  pendant  les  six  premiers  mois,  le  père  n'osait 
manger  des  oiseaux,  ni  des  poissons,  dans  la  crainte  de  communiquer  à  son  enfant 
les  défauts  naturels  de  ces  animaux. 


534  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

c'est  [en  quelque  sorte  la  cérémonie  de  l'adoption,  la  prise  de  pos- 
session de  l'enfant  par  le  père;  Mùller  n'y  voit  qu'une  superstition 
ridicule;  enfin,  d'après  le  Dr  Reclus,  elle  semble  marquer  la  recon- 
naissance de  l'enfant  par  le  père,  reconnaissance  exprimée  par  la  si- 
mulation naïve  de  l'accouchement  et  de  l'allaitement.  Peut-être  se 
rattache-t-elle  au  préjugé  que  combat  Primerose  et  qui  veut  que  le 
mari  ressente,  pendant  la  grossesse  de  sa  femme,  les  mêmes  indispo- 
sitions qu'elle. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  explications  plus  ou  moins  fantaisistes, 
l'existence  de  la  coutume  en  elle-même  ne  saurait  être  niée;  elle  est 
attestée  par  des  témoins  dignes  de  foi. 

Coutumes  anglaises.  —  Après  les  ignominies  dénoncées  par 
la  Pall  Mail  Gazette,  et  qui  montrent  les  mœurs  de  nos  voisins  sous 
leur  vrai  jour,  on  est  étonné  du  luxe  de  précautions  hypocrites  qu'ils 
affectent  dans  la  vie  privée  pour  sauvegarder  les  lois  de  la  pu- 
deur. 

Nous  avons  déjà  indiqué  la  position  bizarre  que  la  trop  pudique 
Albion  prend  pour  accoucher.  John  Burns  (1)  recommande  au  méde- 
cin qui  pratique  le  toucher  de  faire  une  obscurité  complète  dans  la 
chambre,  de  fermer  les  rideaux  du  lit  et  d'introduire  l'index  avec 
promptitude.  En  outre,  il  est  interdit  au  mari  d'entrer  dans  la  cham- 
bre de  sa  femme  pendant  toute  la  durée  de  l'accouchement;  mais  en 
revanche,  la  pudibonde  anglaise  n'hésite  pas  à  recevoir  un  accou- 
cheur de  préférence  à  une  sage-femme.  En  cela,  on  reconnaît  le  côté 
pratique  de  nos  voisines  d'outre-Manche  :  leur  sécurité  avant  la  pu- 
deur. Puis  après  l'accouchement,  tout  danger  ayant  disparu,  elles  se 
confient  à  une  personne  de  leur  sexe;  la  monthy  nurse  «  la  nourrice 
au  mois  ».  Ces  sortes  de  gardes-malades  sont  retenues  longtemps  à 
l'avance,  quelquefois  six  mois  avant  le  terme.  Dans  la  bourgeoisie, 
elles  touchent  en  moyenne  200  francs  par  mois  ;  de  plus,  elles  sont 
logées  et  nourries,  en  échange  des  soins  qu'elles  donnent  à  la  mère 
et  à  l'enfant.  La  classe  ouvrière  a  aussi  recours  aux  monthy  nurse 
quand  une  parente  ne  peut  remplir  leur  office;  mais  elles  ne  restent 
qu'une  huitaine  auprès  de  l'accouchée  et  à  des  prix  plus  modérés. 

Les  médecins  qui  se  conforment  à  la  tradition,  font  prendre  à  leurs 
clientes  une  potion  de  spermaceti  ou  blanc  de  baleine,  «  remède  sou- 
verain »  dit  Shakespeare  (2)  «  pour  les  blessures  intérieures  »  ;  c'est 

(1)  Principles  of  Midnifery . 

(2)  Henri  IV,  acte  I,  scène  III. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


535 


une  précaution  très  prisée  des  commères  et  qui  met  le  praticien  en 
grande  estime  dans  leur  esprit. 

A  peine  né,  l'enfant  est  plongé  dans  l'eau  froide,  à  la  façon  d'Achille, 
trempé  dans  l'eau  du  Styx  pour  le  rendre  invulnérable.  Puis  on  panse 
le  cordon  avec  un  chiffon  perforé  et  fortement  roussi  que  l'on  main- 


Fig.  389.  —   Triangle  de  flanelle. 


FiG.  390.   —  Corset  anglais,  vu  de  dos 


tient  avec  une  bande  de  flanelle.  On  procède  ensuite  à  son  habillement 
qui  se  compose  d'une  chemisette,  d'une  couche  de  flanelle  triangu- 
gulaire  (fig.  389)  destinée  à  recevoir  les  excréments  et  d'une  longue 
robe  en  flanelle,  qui  remplace  la  brassière  et  le  lange  du  maillot  fran- 
çais. Le  torse  est  soutenu  par  un  corset  (fig.  390)  ;  les  pieds  sont  pro- 
tégés par  des  chaussons  tricotés,  et  la  tête  est  nue  ou  recouverte  d'un 
léger  bonnet.  Ce  vêtement  favorise,  il  est  vrai,  le  développement  de 
l'enfant,  en  n'apportant  aucune  entrave  au  libre  exercice  des  mou- 
vements ;  il  permet,  en  outre,  de  changer  l'enfant  aussitôt  qu'il  se  salit, 
mais  il  a  le  grave  inconvénient  de  ne  pas  suffisamment  protéger  le 
corps  contre  les  influences  atmosphériques  et  d'exposer  aux  affections 
des  voies  respiratoires  qui  font  de  si  nombreuses  victimes  en  Angleterre. 

Quand  la  mère  n'allaite  pas,  elle  a  recours  ordinairement  au  bibe- 
ron ;  et  si  une  nourrice  est  jugée  indispensable,  comme  il  n'en  existe 
pas  en  Angleterre,  on  la  fait  venir  de  France. 

Une  tradition  intéressante  à  signaler,  veut  que  la  Reine  donne  aux 
parents  nécessiteux,  sur  recommandation  d'un  curé,  une  livre  par 
tête  de  nouveau-né,  lorsque  leur  nombre  dépasse  la  paire  dans  une 
même  couche.  Ainsi  au  mois  d'août  1884,  la  femme  d'un  ouvrier  at- 
taché à  l'usine  à  gaz  de  Carlisle  est  accouchée  de  quatre  enfants  du 
sexe  féminin  ;  elle  a  reçu  de  la  reine  quatre  livres  sterling. 

Dans  le  Yorkshire,  au  nord  de   l'Angleterre,  nous  trouvons  une 


536  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

singulière  coutume  obstétricale:  la  patiente  accouche  revêtue  de  tous 
ses  vêtements,  et  si  le  travail  la  surprend  pendant  son  sommeil,  le 
premier  soin  de  ses  parents  est  de  la  faire  habiller  complètement;  elle 
ne  retire  ses  vêtements  qu'après  la  délivrance.  Question  de  pudeur 
sans  doute. 

L'avorteraient  en  Angleterre.  —  Les  indiscrétions,  désor- 
mais fameuses,  de  la  Pall  Mail  Gazette,  et  les  révélations  scandaleuses 
des  procès  Crawford  et  Campbell,  ont  fortement  noirci  la  robe  d'in- 
nocence dont  vertueusement  s'enveloppait  la  pudique  Albion.  D'ail- 
leurs, depuis  longtemps,  les  naïfs  seuls  s'y  laissaient  prendre.  Per- 
sonne n'ignore  que  nos  maisons  d'accouchement  comptent,  dans  leur 
clientèle,  un  nombre  considérable  d'Anglaises  ;  faut-il  en  conclure  que, 
sur  les  bords  même  de  la  Tamise,  les  blondes  misses,  ayant  flirté  de 
trop  près  avec  de  respectables  gentlemen,  ne  sauraient  trouver  remède 
à  leur  embarras  ?  Taylor  (1)  convient,  d'un  ton  maussade  et  embar- 
rassé, que  nombre  de  sages-femmes  tirent  de  l'avortement  leurs 
moyens  d'existence. 

Et  à  qui  fera-t-on  croire  que  les  cerlificatrices  et  les  raccommo- 
deuses  de  virginité,  dont  la  Pall  Mail  Gazette  nous  a  révélé  le  honteux 
métier  (2),  n'ont  pas  dans  quelque  armoire  de  ces  pilules  ou  gouttes 
pour  les  femmes,  de  cette  essence  persane  de  roses  dont  parle  Taylor  ? 
Que,  sur  une  demande,  appuyée  de  quelques  schellings,  ces  habiles 
manieuses  d'aiguilles  hésiteraient  à  pratiquer  une  ponction  ? 

Quant  aux  pénalités  dont  la  loi  anglaise  frappe  Tavortement,  Taylor 
nous  les  indique  ainsi  :  «  Dans  le  statut  pour  la  consolidation  de  la 
loi  criminelle  (24  et  25  de  Victoria,  ch.  G.,  paragraphes  58  et  59),  la 
nature  du  crime  et  les  preuves  médicales  exigées  pour  l'établir  ont 
été  fixées  plus  explicitement;  il  est  ordonné  que  toute  femme  enceinte 
qui,  dans  l'intention  de  se  procurer  à  elle-même  une  fausse  couche, 
s'administrera  illicitement  un  poison  ou  une  autre  substance  nuisible, 
ou  qui  emploiera  un  instrument  ou  un  moyen  quelconque  dans  ce 
même  but,  et  quiconque,  dans  l'intention  de  procurer  la  fausse  cou- 
che d'une  femme,  enceinte  ou  non,  administrera  illicitement,  etc., 
sera  coupable  de  crime... 


(1)  Médecine  légale,  trad.  Coutagne. 

(2)  Ce  journal  parle  d'une  maison  «  tenue  en  apparence  par  une  sage-femme  très 
respectable,  et  où  les  entremetteuses  conduisaient  les  enfants  pour  faire  constater 
leur  virginité  avant  le  viol,  et  où,  après  le  viol,  on  les  ramenait  pour  être  raccom- 
modées (patchcd  up)  et  où,  au  besoin,  on  pouvait  se  faire  avorter.  L'existence  de 
cette  maison  n'était  pas  un  secret.  Elle  était  bien  connue  dans  le  métier  ». 


MOEURS    ET   COUTUMES  537 

«  Le  nouveau  Code  criminel  proposé  contient  des  dispositions  sem- 
blables, mais  il  assigne  pour  punition  la  servitude  pénale  perpétuelle 
à  toute  femme  coupable  d'avoir  employé  des  moyens  pour  se  faire 
avorter,  et,  en  outre,  cinq  ans  de  servitude  pénale  à  quiconque  fournit 
ou  procure  illicitement  un  poison,  une  chose  nuisible  ou  un  instru- 
ment ou  un  objet  quelconque  qu'il  sait  qu'on  peut  employer  dans  l'in- 
tention de  produire  la  fausse  couche  d'une  femme,  qu'elle  soit  enceinte 
ou  non,  qu'elle  soit  ou  non  avertie  d'une  intention  semblable.  » 

Maternités  de  Londres.  —  Il  n'y  a  pas  à  proprement  parler 
de  Maternités  à  Londres;  les  accouchements  des  indigentes  se  font  à 
leur  domicile,  sous  la  surveillance  du  professeur  de  gynécologie  de 
l'hôpital  le  plus  voisin, qui  conduit  ses  élèves,  par  séries,  auprès  delà 
patiente.  Cependant  une  heureuse  innovation  a  été  faite  en  1886  à 
l'hôpital  de  Queen  Charlotte  ;  le  prince  et  la  princesse  de  Galles  ont 
inauguré  une  annexe  de  cet  hôpital  réservé  exclusivement  aux  femmes 
en  couches,  et  qui  peut,  à  juste  titre,  être  considéré  comme  un  modèle 
du  genre.  «  Quatre  chambres  spacieuses  »,dit  la  Semaine  médicale, 
«destinées  aux  femmes  en  travail,  contiennent  chacune  un  grand  lit 
qu'on  roule  dans  la  salle  adjacente,  une  fois  l'accouchement  terminé. 
Les  égouts  de  ces  quatre  chambres  sont  complètement  indépendants 
de  ceux  des  autres  salles  ;  les  médecins,  étudiants  et  infirmières 
doivent  tous  se  laver  les  mains  avec  de  l'acide  phénique  à  5  0/0  en  en- 
trant dans  la  chambre.  Pendant  la  seconde  période  de  l'accouche- 
ment, et  après  l'expulsion  du  placenta,  on  administre  à  la  femme  une 
douche  vaginale  au  sublimé  (1/2,000),  et  lorsque  l'enfant  est  mort  ou 
qu'on  a  dû  se  servir  d'instruments,  on  pousse  l'injection  jusque  dans 
la  cavité  utérine  ;  les  tubes  vaginaux,  en  verre,  sont  conservés  dans 
une  solution  faible  d'acide  sulfureux.  Le  linge  sali  pendant  l'accou- 
chement est  immédiatement  transporté  dans  un  petit  bâtiment  séparé, 
où  on  le  place  d'abord  dans  un  bassin  d'eau  courante  contenant  un 
sac  de  sel  ;  on  le  comprime  ensuite  à  la  machine  et  on  l'envoie  à  la 
buanderie  où  il  est  soumis  aux  vapeurs  d'eau  surchauffée  ;  on  se  sert 
pour  la  désinfection  des  objets  de  literie  d'un  fourneau  système  Ran- 
som. 

«  Toutes  les  salles  de  l'hôpital  sontmunies  de  fenêtres  qui  s'ouvrent 
en  se  renversant  sur  un  axe  horizontal.  Les  water-closets  sont  placés 
dans  une  tour  adjacente  aux  salles  et  le  soubassement  contient  deux 
salles  pour  les  cas  à  isoler.  On  se  sert  après  l'accouchement,  non  pas 
de  linges  ordinaires,  mais  de  coussinets  antiseptiques  qu'on  brûle  à 
mesure,  deux,  fois  par  jour,  dans  des  brasiers  spéciaux.  Enfin,  une 


538  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

salle  de  l'hôpital  est  réservée  aux  étudiants  qui  sont  appelés  à  tour 
de  rôle  dans  les  salles  d'accouchement.  » 

Il  existe,  en  outre,  plusieurs  asiles  qui  ne  reçoivent  que  des  femmes 
mariées,  et  sur  recommandation.  Quelques-uns,  les  Workhouse  in- 
firmanj,  acceptent  des  filles-mères  ayant  une  bonne  conduite  ;  mais 
elles  ne  sont  pas  admises  en  cas  de  récidive.  «  Pour  donner  à  cette 
exclusion  regrettable  des  filles-mères  sa  juste  valeur,  »  dit  le  Dr  Léon 
Lefort  (1),  «  il  faut  tenir  compte  de  ce  fait  que  les  naissances  illégi- 
times sont  beaucoup  moins  nombreuses  à  Londres  qu'à  Paris.  Elles 
sont  au  moins  de  25  0/0  du  nombre  des  naissances  pour  Paris  et  seule- 
ment de  5  0/0  pour  Londres.  Môme  en  tenant  compte  de  ce  fait,  qu'il 
suffit  en  Angleterre,  pour  faire  inscrire  l'enfant  comme  légitime, 
que  la  mère  déclare  sous  serment  qu'elle  est  légitimement  mariée  au 
père  de  l'enfant  (ce  qui  doit  amener  un  certain  nombre  de  fausses  dé- 
clarations), on  peut  affirmer  que  la  différence,  même  en  tenant  compte 
des  erreurs,  est  encore  considérable.  En  effet,  la  loi  anglaise,  nous  le 
savons,  autorise  la  recherche  de  la  paternité;  le  père,  déclaré  tel  par 
l'accouchée,  est  tenu  (s'il  ne  fait  pas  opposition,  suivie  alors  d'une 
enquête)  à  faire  à  l'enfant  une  pension  payée  à  la  mère,  et  dans  la  gé- 
néralité des  naissances  illégitimes,  la  femme  ne  manque  pas  de  se 
mettre,  elle  et  son  enfant,  à  l'abri  de  l'abandon.  »  Déjà  au  XVIIIe 
siècle,  Picard  signalait  cet  abus  au  sujet  du  serment  de  la  fille  en- 
ceinte (fig.  391)  :  «  Si  une  fille  se  trouve  enceinte,  »  écrit  cet  auteur, 
«  et  qu'elle  désire  se  débarrasser  du  soin  de  nourrir  l'enfant  auquel 
elle  doit  donner  le  jour,  elle  jette  les  yeux  sur  quelque  homme  riche 
du  voisinage  et  le  désigne  comme  son  complice.  Souvent  elle  accuse 
une  personne  qu'elle  n'a  jamais  vue;  elle  fait  comparaître  le  prétendu 
coupable  devant  le  juge  de  paix  et  jure  sur  la  bible  qu'il  est  réelle- 
ment le  père  de  son  enfant.  Séance  tenante,  un  jugement  est  rendu 
contre  ce  malheureux  qui  est  déclaré  le  père  authentique,  malgré  ses 
protestations,  et  est  condamné  au  payement  d'une  somme  d'argent 
destinée  à  l'entretien  de  l'enfant  »  (2). 

Avortements  en  Allemagne.  —  Naturellement,  les  Alle- 
mands élèvent  leur  moralité  bien  au-dessus  de  la  nôtre  ;  cependant 
un  des  leurs,  C.  Hoberland,  déclare  que,  dans  certains  pays  bava- 
rois, la  Basse-Franconie  et  le  Palatinat,  par  exemple,  les  paysans  à 
leur  aise  prennent  soin  de  n'avoir  qu'un,  ou  deux,  ou  trois  enfants 

(1)  Les  Maternités  en  Europe. 

(2)  D'après  le  D^  Galliot,  op.  cit. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


539 


au  plus. Y  a-t-il,  en  ces  contrées,  moins  d'avortements  qu'en  France? 
En  réalité,  nous  pouvons  dire  avec  le  docteur  Corre  :  «  Dans  la  ver- 
tueuse Allemagne  elle-même  l'avortement  est  pratiqué  sur  la  plus 


Fig.  391.  —  Le  serment  de  la  fille  enceinte,  d'après  Picard. 

large  échelle  (1),  et  les  coupables  échappent  d'autant  plus  aisément 
aux  rigueurs  de  la  loi  qu'une  condamnation  ne  peut  avoir  lieu  sans  la 
production  d'un  corps  de  délit  toujours  facile  à  détruire  où  à  cacher.  » 


(1)  C'est  aussi  l'avis  de  l'auteur  anonyme  des  Bas-fonds  de  Berlin  :  «  Les  sages- 
femmes  font  paraître  périodiquement  des  annonces  qui  indiquent  <(  Affections  des 
femmes,  soins  et  discrétion  ».  Les  soins  et  la  discrétion  qu'elles  offrent  ont  trait 
spécialement  aux  manœuvres  abortives.  On  ne  sait  point  assez  combien  ces  ma- 
nœuvres sont  en  usage  dans  toutes  les  classes  de  la  société,  chez  les  jeunes  filles 
et  les  femmes  mariées.  » 


540  HISTOIRE  DES   ACCOUCHEMENTS 

Le  code  pénal  de  l'empire  allemand  punit  de  l'emprisonnement  le 
crime  d'avortement  ;  le  code  pénal  spécial  à  la  Prusse  est  plus  sé- 
vère, il  prononce  de  cinq  à  vingt  ans  de  travaux  forcés  contre  la  femme 
qui  se  fait  avorter  volontairement  et  contre  son  complice;  la  peine 
des  travaux  forcés  à  perpétuité  est  appliquée,  si  les  pratiques  abor- 
tivesont  eu  pour  conséquence  la  mort  de  la  femme  (1). 

Etudes  obstétricales  et  Maternités  en  Allemagne.  — 

Un  point  par  lequel  les  Allemands  l'emportent  incontestablement  sur 
nous,  ce  sont  les  facilités  données  aux  étudiants  pour  s'instruire  dans 
l'obstétrique.  Moyennant  un  droit  semestriel  de  cinquante  francs 
environ,  chaque  élève  reçoit,-  avec  sa  quittance,  un  numéro  correspon- 
dant à  celui  de  la  place  qui  lui  sera  réservée  à  la  salle  des  leçons 
cliniques.  En  outre,  il  trouve  dans  les  maternités  un  confortable  qui 
lui  permet  d'y  passer  une  partie  de  la  journée  ou  de  la  nuit  sans 
fatigue  :  ainsi  à  la  Maternité  de  Halle,  plusieurs  pièces  sont  réser- 
vées aux  étudiants;  ils  ont  des  sophas  moelleux  pour  se  reposer, 
des  bureaux  munis  de  leurs  accessoires  et  des  bibliothèques  pour 
travailler. 

Ed.  Von  Siebold,dans  ses  Lettres  obstétricales,  raconte  que  c'est  son 
père  qui,  le  premier,  en  1817,  fonda  à  ses  frais  un  hôpital  d'accouche- 
ment. «  Jusqu'à  lui,  l'Université  de  Berlin  ne  possédait  pas  d'établis- 
sement de  ce  genre  à  elle  appartenant.  Pour  les  études  spéciales  de 
cette  nature,  il  fallait  recourir  à  la  division  d'accouchements  établie  à 
la  Charité.  »  Aujourd'hui,  les  maternités  de  Prusse  sont  nombreuses; 
toutes  sont  régies  par  le  même  règlement,  où  nous  relevons  ces  deux 
articles  : 

Art.  9.  —  Chaque  naissance  est  annoncée,  par  le  "directeur  et  le  curé 
de  la  localité  où  se  trouve  l'établissement,  au  curé  de  la  commune  à 
laquelle  appartient  la  femme. 

Art.  11.  —  Si  la  femme  enceinte  veut  être  admise  sans  dire  son  nom, 
le  directeur  doit,  avant  de  l'admettre,  demander  des  instructions  au 
gouvernement. 

Voici  quelques  extraits  du  règlement  qui  concerne  la  maternité  de 
Munich,  en  Bavière  : 

Art.  9.  —  La  direction  prévient  la  police  ou  le  magistrat  de  chaque 
admission,  en  remettant  un  imprimé  dont  les  formules  ont  été  remplies. 

(1)  Galliot,  loc.  cit. 


MOEURS   ET   COUTUMES  541 

Quand  il  s'agit  d'une  femme  payante,  on  se  contente  d'envoyer  le 
numéro  de  son  lit.  Lorsque  le  secret  paraît  nécessaire,  on  peut,  même 
à  la  police,  annoncer  l'admission  d'une  autre  façon  qu'à  la  manière 
ordinaire;  mais  on  ne  peut  se  dispenser  tout  à  fait  de  faire  connaître 
qu'une  admission  nouvelle  a  eu  lieu. 

Art.  11.  —  S'il  n'y  a  pas  de  motif  contraire,  l'accouchée  est  renvoyée 
le  neuvième  jour  ainsi  que  son  enfant. 

Art.  18.  —  Le  directeur  doit  veiller  à  ce  que  la  femme  enceinte  ne  lise 
pas  de  livres  immoraux,  ne  possède  pas  de  gravures  obscènes  ;  qu'elle 
ne  se  livre  pas  au  jeu  pour  de  l'argent;  qu'elle  fasse  consciencieusement 
ses  dévotions. 

Les  six  premiers  jours  après  l'accouchement,  on  doit  donner  le  bassin 
aux  femmes  qui  en  ont  besoin  ;  on  peut,  après  cette  époque,  leur  per- 
mettre l'usage  de  la  chaise  percée. 

Art.  38.  —  Si  une  femme  enceinte  ou  accouchée,  ou  si  ses  parents 
désirent  avoir  l'avis  d'un  médecin  étranger,  on  peut  le  permettre  ;  mais 
il  faut  en  prévenir  le  directeur,  et  les  honoraires  de  la  consultation  ne 
sont  pas  aux  frais  de  la  Maternité. 

Entre  autres  instructions  pour  les  infirmières,  nous  relevons  la 
suivante  : 

«  Elle  doit  être  très  consciencieuse  ;  car  elle  en  sera  récom- 
pensée dans  le  paradis.  Ce  que  tu  veux  qu'on  te  fasse,  fais-le  à  ceux 
qui  souffrent,  est  le  principe  d'une  infirmière.  » 

Avortements  en  Autriche.  —  Une  statistique  de  l'autrichien 
Hausner  tendrait  à  établir  que,  dans  son  pays,  il  y  a  cinq  fois  moins 
d'avortements  découverts  qu'en  Angleterre,  trois  fois  moins  qu'en 
Prusse  et  en  France.  Si  les  chiffres  de  Hausner  étaient  exacts,  il  fau- 
drait en  conclure  qu'en  Autriche  la  police  est  bien  mal  faite.  Et 
cependant,  nulle  part  ailleurs  les  coupables  n'ont  moins  d'intérêt  à  se 
cacher;  le  Code  pénal  autrichien  revisé  ne  fixe  une  peine  sévère  que 
si  le  coupable  a  provoqué  l'avortement,  moyennant  paiement,  ou  à 
l'insu,  ou  contre  la  volonté  de  la  mère. 

Maternités  en  Autriche.  —  La  Maternité  de  Vienne  se 
compose  de  trois  sections  :  l'une  où  les  femmes  sont  reçues  en  payant, 
les  deux  autres  où  elles  sont  admises  gratuitement,  mais  où  elles 
sont  utilisées  pour  l'enseignement  de  l'obstétrique. 

Dans  la  maternité  payante,  suivant  la  quotité  du  paiement,  qui 
varie  de  4  à  6  florins  par  jour,  les  femmes  sont  réparties  en  trois 


542  HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 

classes.  «  Les  femmes  enceintes  payantes,  «  dit  le  Dr  Lefort  (1),  »  peu- 
vent cacher  leur  nom  et  leur  nationalité;  elles  doivent  seulement 
écrire  leur  nom  sur  un  billet  cacheté  qu'elles  remettent  à  l'accou- 
cheur. Celui-ci  écrit  sur  l'enveloppe  le  numéro  de  la  chambre  et  du 
lit.  En  cas  de  décès,  le  billet  est  ouvert;  dans  le  cas  contraire,  il  est 
remis  intact  à  la  femme  lors  de  sa  sortie.  La  mère  peut  abandonner 
son  enfant  moyennant  120  florins  si  elle  est  viennoise  et  le  double  si 
elle  n'habite  pas  la  capitale. 

«  Les  femmes,  surtout  celles  de  la  première  classe,  peuvent  être 
reçues  masquées;  elles  peuvent  se  refuser  à  tout  examen  fait  par  le 
médecin  et  nul  ne  peut  entrer  chez  elles  sans  leur  autorisation. 

«  Les  femmes  de  la  deuxième  et  de  la  troisième  classe  ont  un  par- 
loir particulier,  pour  que  nul  ne  puisse  voir  les  femmes  couchées  dans 
les  lits  voisins,  en  venant  visiter  une  accouchée  dans  la  salle  même.  » 

Les  garanties  d'hygiène  et  de  discrétion  offertes  aux  femmes 
payantes  sont  donc  satisfaisantes,  mais  cette  section  est  la  moins 
nombreuse  de  beaucoup  et  il  n'en  est  pas  de  même  dans  les  sections 
gratuites,  surtout  en  ce  qui  regarde  les  soins  hygiéniques.  Ainsi  les 
mères  n'ont  pas  de  berceaux  ;  elles  prennent  leur  enfant  à  côté  d'elles  ; 
il  y  a  même  des  lits  réunis  deux  à  deux  où  couchent  trois  femmes 
enceintes.  D'après  le  Dr  J.  Rendu,  si  la  femme  veut  faire  adopter  son 
enfant,  il  faut  qu'elle  aille  donner  son  lait  trois  ou  quatre  mois  à 
l'hôpital  des  Orphelins,  après  quoi  son  enfant  est  nourri  au  biberon 
et  élevé  jusqu'à  l'âge  de  dix  ans  aux  frais  de  l'Assistance.  Une  parti- 
cularité assez  curieuse  à  noter,  c'est  qu'un  fourneau  brûle  tous  les 
placentas  ;  on  en  consume  ainsi  plus  de  neuf  mille  par  an. 

A  Prague,  le  décret  annonçant  la  création  de  la  Malernité,  ren- 
fermait une  phrase  qui  mérite  d'être  citée.  «  D'une  philanthropie 
éclairée,  »  observe  le  Dr  Lefort,  «  sachant  que  ce  n'est  pas  moraliser 
les  femmes  que  de  les  pousser  à  l'infanticide  et  à  l'avortement  en 
les  forçant,  pour  être  secourues,  à  divulguer  leur  faute,  Joseph  II 
disait:  «  La  maison  d'accouchements  offre  aux  femmes  enceintes  et 
malheureuses  les  secours  nécessaires  et  prend  l'enfant  sous  sa  pro- 
tection. Désormais  le  manque  d'asile  et  la  peur  de  la  honte  ne  servi- 
ront plus  d'excuse  aux  mères  pour  tuer  leur  enfant.  L'asile  pour  les 
femmes  enceintes  et  malheureuses  existe;  elles  sont  invitées  à  y  venir, 
et  l'on  ne  s'inquiétera  ni  de  leur  religion,  ni  de  leur  position  sociale, 
ni  même  de  leur  nationalité.  »  Toute  femme  paye  2  florins  par  jour  et 
laisse  200  florins,  avec  un  pli  cacheté  si  elle  le  désire,  en  abandonnant 

(1)  Luc.  cit. 


MOEURS   ET   COUTUMES  543 

son  enfant.  La  maison  a  deux  issues  :  la  grande  porte  et  la  porte 
secrète. 

Une  coutume  bien  en  rapport  avec  l'origine  slave  de  ces  popula- 
tions a  frappé  le  Dr.  J.  Rendu,  en  visitant  la  Maternité  de  Prague. 
Le  professeur  Weber  était  à  tout  moment  arrêté  dans  les  corridors 
par  les  élèves  sages-femmes  qui  lui  prenaient  la  main  pour  la  baiser, 
en  signe  de  respectueuse  soumission. 

Coutumes  italiennes.  Avortement.  —  Autrefois,  en  Italie, 
on  offrait  des  présents  aux  femmes  en  couches  sur  des  plateaux  spé- 
ciaux. «  Un  de  ces  plateaux,  dit  l'auteur  des  Curiosités  de  V archéo- 
logie, conservé  dans  la  galerie  du  chevalier  Artaud  de  Montor,  repré- 
sente sainte  Elisabeth,  au  moment  où  elle  vient  de  mettre  au  jour 
saint  Jean-Baptiste  ;  outre  le  grand  nombre  de  personnes  occupées  à 
servir  la  mère,  trois  femmes  s'occupent  de  l'enfant  :  une  fait  des 
signes  pour  apaiser  ses  cris,  une  autre  pince  d'une  espèce  de  guitare. 
Au  bas  du  tableau  est  la  date  25  avril  1428.  Derrière  ce  tableau  est 
un  enfant  dans  un  bosquet  d'orangers  ;  autour  est  écrit  : 

Faccia  Iddio  sana  ogni  dona,  che  figlia, 

E  padri  loro... 
Sia  senza  noia  o  rischia. 

Dieu  fasse  bien  portante  toute  femme  ou  fille 

Et  ses  parents... 
Qu'elle  soit  quitte  de  douleurs  et  de  périls. 

L"enfant  tient  à  la  main  un  jouet  du  temps.  A  droite  et  à  gauche, 
les  armoiries  de  deux  familles  distinguées  de  Florence.  »  Ces  ana- 
chronismes  sont  constamment  reproduits  dans  les  œuvres  d'art  du 
moyen  âge  et  servent  de  documents  pour  étudier  les  mœurs  de 
l'époque.  Ainsi  la  description  que  nous  venons  de  donner  peut  être 
considérée  comme  la  peinture  d'une  scène  d'accouchement  chez  une 
riche  florentine  du  quinzième  siècle. 

Le  maillot,  avec  bandelettes  emprisonnant  tous  les  membres,  que 
l'on  voit  figurer  sur  plusieurs  monuments  anciens  (fîg.  102,  351,  392) 
est  encore  en  usage  en  Italie,  surtout  dans  le  sud  et  dans  les  pays 
montagneux  de  la  Péninsule. 

A  Florence,  on  employait  un  berceau  appelé  arcuccio  qui  empê- 
chait les  enfants  d'être  étouffés  et  dont  les  nourrices  étaient  obligées 
de  se  servir,  sous  peine  d'excommunication.  «  Cet  instrument,  »  dit 


544  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

Sue,  «  est  composé  d'une  pièce  de  bois  demi-circulaire,  ou  d'un  che- 
vet qui  a  un  pied  et  un  pouce  de  diamètre;  à  chaque  côté  est  attachée 
une  planche  qui  a  trois  pieds  deux  pouces  et  demi  de  longueur.  Il  y 
a  à  chacune  de  ces  planches,  vers  l'extrémité  supérieure,  ou  du  côté 
du  dossier,  un  trou  pour  recevoir  le  teton  de  la  nourrice,  et  ces  deux 
planches  sont  arrêtées,  vers  l'autre  extrémité,  par  un  arc  demi-circu- 
laire de  fer,  du  sommet  du  chevet,  ou  de  la  pièce  de  bois  qui  y  est 
fixée,  et  sur  laquelle  la  nourrice  peut  s'appuyer,  lorsqu'elle  donne  à 
têter  à  l'enfant.  On  peut,  pendant  l'hiver,  mettre  en  toute  sûreté 
l'enfant  sous  les  couvertures,  sans  craindre  qu'il  soit  étouffé  »  (1). 

En  Italie,  comme  en  Suède  et  en  Norwège,  la  mère  allaite  habi- 
tuellement son  enfant  ;  il  n'y  a  que  la  classe  aisée  qui  prenne  des 
nourrices.  Celles-ci  offrent  leurs  services  à  des  prix  relativement  mi- 
nimes ;  ainsi  à  Turin,  on  leur  donne  30  fr.  par  mois,  tandis  qu'en 
France,  elles  gagnent  de  50  à  80  francs. 

A  la  Maternité  de  Rome,  la  femme  peut  cacher  son  nom  et  même 
son  visage.  Elle  est  autorisée  à  conserver  un  masque  d'étoffe  sur  la  fi- 
gure, pendant  toute  la  durée  de  son  séjour.  Ce  masque  n'est  pas  même 
enlevé  du  visage  de  la  morte.  Nous  verrons  qu'à  Venise  on  était  loin 
d'observer  autrefois  la  même  réserve. 

Quant  à  l'avortement  en  Italie,  si  l'on  en  croit  la  Médecine  légale 
de  Ziino,  ce  crime  serait  assez  commun  dans  la  péninsule.  Il  existe- 
rait même,  à  Naples,  des  maisons  spéciales  où  l'on  aurait  trouvé  ran- 
gées, dans  d'élégantes  vitrines,  des  séries  de  bocaux  contenant  des 
fœtus  conservés  dans  l'alcool.  Manie  de  collectionneuse  ou  réclame 
impudente. 

Luxe  des  Vénitiennes.  —  On  sait  combien  jadis  le  commerce 
avait  enrichi  Venise  ;  cette  aisance  y  avait  introduit  tous  les  raffine- 
ments de  luxe  ;  nos  plus  nobles  accouchées  de  France  auraient  rougi 
de  dépit  en  voyant  la  pompe  déployée  par  ces  marchandes  d'Italie. 
L'écrivain  milanais  Casola,  conduit  par  le  cavalier  Zorzi  chez  la  si- 
gnora  Dolfin,  nous  a  laissé  ses  impressions,  reproduites  dans  la  17e 
privée  à  Venise,  de  Molmenti  : 

«  La  reine  de  France,  ni  autre  seigneur  de  France,  n'aurait  eu  en 
pareil  cas  tant  de  pompe.  Et  l'ambassadeur  du  duc  dit  la  même  chose 
en  assurant  que  notre  très  illustre  duchesse  n'aurait  pas  eu  à  ce  dé- 
gré  tous  ces  ornements.  Et  le  dit  ambassadeur  du  duc  me  choisit  pour 
entrer  avec  lui,  par  faveur  (car  l'endroit  ne  pouvait  pas  contenir  plu- 

(1)  Ces  détails  sont  tirés  des  Transactions  philosophiques. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


545 


(1)  Cette  gravure  répond  au  proverbe  suivant  : 

Altro  non  trovo  in  vero  che  sia  mio, 
Se  non  qvello  clïio  godo,  o  do  per  Dio. 

Je  ne  trouve  rien  qui  m'appartienne  vraiment, 
Sinon  ce  dont  je  jouis,  ou  ce  que  je  donne  pour  Dieu. 

HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS. 


546  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

sieurs  personnes)  afin  que  je  visse  et  que  je  puisse  ailleurs  raconter. 
Et  étant  dans  cet  endroit,  souvent  il  me  demandait  ce  qu'il  me  sem- 
blait tantôt  d'une  chose,  tantôt  d'une  autre.  Je  ne  sus  jamais  lui  ré- 
pondre autrement  qu'en  serrant  les  épaules  [stringendo  le  spalle)}  car 
on  estimait  que  la  chambre  où  nous  étions,  et  où  était  l'accouchée,  je 
parle  de  la  construction  qui  ne  peut  s'enlever,  avait  coûté  2,000  du- 
cats et  plus.  Et  cependant  le  lieu  ne  dépassait  pas  en  longueur  douze 
bras.  Il  y  avait  une  cheminée  tout  en  marbre  de  Carrare  luisant  com- 
me l'or,  avec  ses  figures  et  ses  feuillages,  si  finement  travaillée  que 
Praxitèle  ni  Phidias  n'y  pourraient  ajouter.  Et  le  ciel  de  la  chambre 
d'or  et  de  bleu  d'outremer,  et  les  murs  étaient  d'un  si  beau  travail  que 
je  ne  puis  le  redire. 

«  Une  boiserie  de  lit  estimée  seule  500  ducats,  immobile  et  fixe  à  la 
vénitienne  ;  tant  de  belles  figures  et  si  naturelles,  et  tant  d'or  partout 
que  je  ne  sais  pas  si,  au  temps  de  Salomon,  qui  fut  roi  des  Juifs,  au- 
quel temps  l'argent  était  réputé  chose  vile,  il  s'en  soit  jamais  vu  l'a- 
bondance qu'on  en  voyait  là.  Pour  les  ornements  du  lit  et  de  la  fem- 
me, c'est-à-dire  les  couvertures  et  les  oreillers  qui  étaient  six,  et 
autres  draperies,  j'ai  pensé  de  les  taire  plutôt  que  de  les  dire  d'autant 
qu'on  les  croie.  C'était  en  vérité  admirable.  Je  veux  dire  une  autre 
chose,  qui  est  vraie  et  que  peut-être  on  ne  croira  pas,  mais  l'ambas- 
sadeur ducal  ne  me  laisserait  pas  accuser  de  mensonge.  II  y  avait 
dans  la  dite  chambre  XXV  damoiselles  vénitiennes,  et  l'une  plus  jo- 
lie que  l'autre,  qui  étaient  venues  visiter  l'accouchée.  Leur  vêtement 
très  honnête,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  à  la  vénitienne  :  elles  ne 
montraient  que  quatre  ou  six  doigts  de  nu  sous  les  épaules  par  de- 
vant et  par  derrière.  Elles  avaient,  ces  damoiselles,  tant  de  joyaux 
sur  la  tête,  sur  le  cou  et  dans  la  main,  c'est-à-dire  de  l'or,  des  pierres 
précieuses  et  des  perles,  que  c'était  l'opinion  de  ceux  qui  étaient  là 
qu'il  y  avait  la  valeur  de  100  mille  ducats.  Leurs  visages  étaient 
fort  bien  peints  (molto  bene  dépend),  et  aussi  le  reste  du  nu  qu'on 
voyait.  » 

Les  baptêmes  étaient  une  autre  occasion  de  dépenses  tout  aussi  rui- 
neuses :  dentelles,  langes  frangés  d'or  et  d'argent,  rafraîchissements 
coûteux,  et  trente  parrains  !  Le  Sénat,  s'en  émut;  en  1537,  défense 
fut  faite  aux  patriciennes  et  aux  bourgeoises  de  recevoir  des  visites 
pendant  leurs  couches,  les  parents  exceptés,  sous  peine  d'une  amende 
de  30  ducats.  En  1634,  les  magistrats  de  la  Sérénissime  République 
renouvelaient  cette  défense;  de  plus,  l'édit  limitait  le  nombre  des  par- 
rains à  douze  dont  chacun  ne  pouvait  envoyer  en  présent  que  quatre 
pains  de  sucre;  pour  les  baptêmes,  il  interdisait,  en  outre,  l'apparatdans 


MOEURS  ET   COUTUMES  547 

l'Eglise,  la  musique,  les  dais,  toutes  les  inventions  d'une  sotte  vanité. 
Le  même  auteur  que  nous  venons  de  citer  raconte  qu'à  Venise, 
une  amende  de  dix  ducats  était  infligée  aux  sages-femmes  qui  n'a- 
vaient pas,  dans  le  terme  de  trois  jours,  notifié  au  bureau  des  Pompe 
le  nom  elle  domicile  du  mari.  «  Pour  s'assurer  de  l'exécution  de  la  loi, 
dit-il,  le  notaire  ordonnait  au  capitaine  et  aux  valets  des  Pompe  de 
visiter  les  maisons,  dans  lesquelles  ils  avaient  le  droit  de  pénétrer 
partout  et  nommément  dans  la  chambre  de  l'accouchée.  Ceux  qui  s'y 
opposaient,  nobles  ou  bourgeois,  étaient  condamnés  à  une  amende  de 
dix  ducats.  Quant  aux  plébéiens,  ils  encouraient  la  peine  de  la  prison, 
du  bannissement  ou  des  galères.  » 

Règlements  de  l'ancien  royaume  de  Sicile.  —  Sous  le 
règne  de  Charles  IV, de  Sicile,  de  nombreux  règlements,  concernant  la 
naissance  des  enfants  et  des  femmes  en  couches,  furent  élaborés  sous 
l'inspiration  du  Dr  Onufre  Melazzo,  «  conseiller  du  roi  en  ce  qui 
concerne  la  santé,  et  premier  médecin  général  du  royaume  de  Sicile 
et  des  îles  adjacentes  ».  Nous  donnerons,  à  titre  de  curiosité,  le  plus 
important  :  Pragmatique  touchant  l'opération  césarienne  et  les  avor- 
tements  (1). 

Charles,  Par  la  grâce  de  Dieu,  roi  des  Deux-Siciles  et  de  Jérusa- 
lem, etc.,  Infant  d'Espagne,  Duc  de  Parme,  de  Plaisance,  etc. 

Le  Vice-Roi  et  Gouverneur  Général  dans  ce  Roiiaume  de  Sicile,  aux 
Vénérables  Archevêques,  Evêques,  Abbés,  Prieurs,  Curés  ;  aux  Prési- 
dents des  Tribunaux  Roiiaux,  etc.;  aux  Princes,  Ducs,  Marquis,  Comtes; 
aux  Commissaires  Généraux  dans  tous  le  Roiiaume  de  la  Sicile,  et  à 
tous  ceux  qui  verront  ces  présentes  lettres  :  Salut. 

Il  a  régné  jusqu'à  présent  dans  plusieurs  Villes  et  Terres  de  ce  Roiiaume 
une  négligence  au  sujet  des  accouchemens,  qui  fait  horreur  :  plusieurs 
femmes  enceintes  y  sont  mortes,  sans  qu'on  ait  pris  le  moindre  soin  du 
fœtus  qu'elles  avoient  dans  leur  sein,  et  qui  ordinairement  survit  à  la 
mère,  comme  il  est  démontré  par  une  infinité  d'expériences  ;  ne  faisant 
pas  attention  qu'il  est  facile  de  tirer  l'enfant  du  sein  de  la  mère  par 
Fopération  césarienne,  ordonnée  même  par  les  Loix  civiles,  et  qu'on 
peut  par  ce  moiien  le  sauver  d'une  mort  prématurée,  ou  du  moins  lui 
donner  le  baptême,  et  le  mettre  par-là  en  état  d'entrer  dans  la  vie  éter- 
nelle. Cependant  il  est  arrivé  plus  d'une  fois  qu'on  a  enterré  inhumaine- 
ment la  mère  avec  l'enfant  qu'elle  avoit  conçu,  mais  auquel  on  ne  faisoit 
aucune  attention. 

Pressés  donc  par  plusieurs  personnes  zélées,  qui  Nous  ont  représenté 
ce  désordre,  Nous  crûmes  devoir  commettre  l'examen  de  cette  impor- 

(1)  Extrait  de  V Embryologie  sacrée  de  l'abbé  Dinouart. 


548  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

tante  affaire  à  l'Assemblée  des  Présidens  et  du  Consulteur,  qui,  après 
y  avoir  réfléchi  avec  toute  l'attention  qu'elle  mérite,  Nous  a  fait  son 
rapport  par  écrit,  portant  qu'il  falloit  nécessairement  établir  une  Prag- 
matique perpétuelle,  et  y  prescrire  la  forme  qui  doit  être  observée  en 
pareil  cas.  En  conséquence  de  ce  rapport,  Nous  adressâmes,  par  la  voie 
de  la  Secrétairerie  Roiiale,  un  Billet  au  Sacré  Conseil,  pour  que  ce  qui 
Nous  avoit  été  proposé  par  ladite  Assemblée  fût  mis  en  exécution.  Pour 
se  conformer  à  la  teneur  de  notre  Billet,  le  même  Sacré  Conseil  aiiant 
fait  aussi  de  sérieuses  réflexions  sur  le  projet  dont  il  s'agit,  a  trouvé 
qu'il  étoit  juste  que  l'Autorité  publique  remédiât  à  de  pareils  désor- 
dres ;  c'est  pourquoi  s'agissant  d'une  affaire  si  considérable  et  si  pres- 
sante, qui  intéresse  la  gloire  de  Dieu,  le  service  de  Sa  Majesté  et  le  bien 
public,  il  a  jugé  à  propos  d'établir  et  de  faire  publier  la  présente  Prag- 
matique. 

Nous  exhortons  donc,  en  vertu  de  cette  Pragmatique,  les  Révéren- 
dissimes  et  Vénérables  Archevêques,  Evêques,  Abbés,  Prieurs,  Vicai- 
res, les  Curés,  Bénéûciers,  Chapelains,  et  autres  Ecclésiastiques  consti- 
tués ou  non  constitués  en  dignité,  ou  dans  l'exercice  de  quelque  Emploi, 
ou  Jurisdiction  Ecclésiastique  propre  ou  déléguée,  ou  dans  un  état 
privé,  de  contribuer  tous  de  leur  côté  à  l'exécution  des  Règlements  qui 
y  sont  prescrits.  Nous  ordonnons  également  à  tous  les  Officiers  Laïcs, 
Majeurs  ou  Mineurs,  tant  à  ceux  qui  sont  sujets  à  la  Juridiction  Roiiale 
ordinaire  qu'à  ceux  qui  jouissent  de  quelque  privilège  que  ce  soit, 
d'exécuter,  chacun  dans  la  partie  qui  le  regardera,  la  même  Pragmati- 
que exactement,  et  sous  les  peines  qui  sont  marquées  ci-après. 

I.  Dès  qu'une  femme,  de  quelque  grade  et  de  quelque  condition 
qu'elle  soit,  sera  expirée,  le  mari,  les  parens  ou  les  domestiques,  s'ils 
la  croient  probablement  enceinte,  seront  tous  et  chacun  d'eux  obligés, 
après  s'être  assurés  qu'elle  est  véritablement  morte,  de  lui  faire  faire 
l'opération  césarienne,  pouf  en  extraire  l'enfant  qu'elle  a  dans  son  sein 
et  lui  donner  le  baptême.  Il  faut  pour  cela  qu'on  avertisse  auparavant 
le  Chirurgien  ou  quelqu'autre  Expert,  comme  on  expliquera  ci-après, 
qui  doit  faire  l'incision,  afin  qu'il  se  tienne  prêt  avec  tout  ce  qui  est 
nécessaire  pour  cette  opération.  Et  si  par  hasard  on  ne  pouvoit  pas 
avoir  dans  le  moment  ledit  Expert,  ils  auront  soin,  en  attendant  qu'il 
vienne,  d'entretenir  chaudement  le  ventre  de  la  défunte  avec  des  linges 
qu'on  aura  présentés  au  feu. 

II.  Nous  voulons  que  l'opération  césarienne  se  fasse  principalement 
par  les  Chirurgiens  ;  à  leur  défaut,  nous  en  chargeons  les  Sages- Fem- 
mes ou  les  Barbiers;  et  si  ceux-ci  n'étoient  pas  en  état,  ce  seront  les 
Médecins  Physiciens,  ou  autres  qu'on  jugera  plus  à  propos  d'emploiier 
qui  la  feront.  Nous  ordonnons  en  conséquence  à  tous  ceux  qu'il  appar- 
tient, de  n'approuver  à  l'avenir  pour  l'office  de  Barbier  ou  de  Sage- 
Femme  que  des  personnes  qui  soient  instruites,  et  qui  aient  été  aupara- 
vant examinées  sur  la  manière  très  facile  de  faire  en  cas  de  besoin 


MOEURS   ET   COUTUMES  549 


l'opération  césarienne  sur  les  femmes  mortes.  Nous  ordonnons  pour 
cela  au  premier  Médecin  du  Roi  de  prescrire  brièvement  et  clairement, 
et  de  faire  publier  dans  toutes  les  Villes  et  dans  tous  les  endroits  du 
Roiiaume  la  méthode  de  procéder  à  ladite  opération  ;  à  laquelle  mé- 
thode nous  voulons  que  tous  les  Opérateurs  se  conforment,  en  obser- 
vant en  même  temps  les  autres  règles  et  avertissemens  nécessaires 
qu'on  donnera  à  cet  égard  pour  l'instruction  de  ceux  qui  ne  sont  pas 
bien  au  fait,  et  pour  que  les  enfants  qui  ne  sont  pas  encore  nés  soient 
secourus  à  propos. 

III.  Les  Chirurgiens  ou  autres  chargés  de  faire  l'opération  césarienne 
ne  pourront  exiger  aucune  rétribution,  lorsque  le  mari  ou  les  parens, 
en  cas  qu'ils  doivent  faire  les  frais,  ou  la  défunte  elle-même,  seront 
pauvres  ;  et  quand  même  ils  seroient  en  état  de  faire  quelque  gratifica- 
tion, les  Chirurgiens,  etc.,  ne  pourront  demander  que  ce  qui  est  taxé 
par  les  ordonnances  du  premier  Médecin,  et  il  ne  sera  jamais  permis 
d'en  traiter  ni  d'en  parler  qu'après  l'opération.  En  sorte  que  si  lesdits 
Chirurgiens,  Médecins,  Barbiers,  et  les  Sages-Femmes,  ou  autres  qui, 
à  leur  défaut,  seront  emploiiés  par  les  Officiers  de  Justice,  faisoient  diffi- 
culté d'obéir  pour  quelque  raison  que  ce  soit  à  cette  loi,  et  qu'en 
conséquence  ils  retardassent  tant  soit  peu  l'opération,  les  Officiers  de 
Justice  du  lieu  leur  intimeront  la  peine  qiie  nous  leur  imposons  de  deux 
ans  de  prison,  outre  les  autres  peines  qu'il  plaira  à  Nous  et  à  nos 
Successeurs  de  leur  faire  subir.  Les  Officiers  de  Justice  seront  pareille- 
ment chargés  d'engager  les  parens  de  la  défunte  ou  les  héritiers  à 
satisfaire,  sans  aucune  formalité  de  jugement,  mais  directement  et  le 
plus  tôt  qu'il  sera  possible,  celui  qui  aura  fait  l'opération. 

IV.  Si  une  femme  qui  est  morte  enceinte  n'avoit  ni  mari,  ni  parens, 
ni  domestiques,  les  voisins  et  autres  qui  sauront  qu'elle  est  grosse, 
surtout  s'il  s'agit  d'une  grossesse  illégitime,  seront  obligés  sur  cette 
prévention  d'en  avertir  les  Officiers  de  Justice,  afin  qu'ils  aient  soin,  en 
vertu  de  leur  office,  de  faire  faire  au  plus  tôt  l'incision  césarienne,  ou 
qu'ils  en  chargent  l'Hospitalier,  s'il  y  a  un  Hôpital  dans  le  lieu,  ou 
qu'ils  prennent  tel  autre  expédient  qu'ils  jugeront  à  propos  pour  que 
l'opération  ne  souffre  aucun  retardement  :  et  également  si  la  femme 
enceinte  avoit  son  mari,  ou  des  parens  ou  des  domestiques,  et  que 
ceux-ci  négligeassent  de  faire  exécuter  l'opération,  surtout  quand  la 
grossesse  est  illégitime,  les  mêmes  voisins  seront  tenus  de  s'adresser 
aux  Officiers  de  Justice  afin  qu'ils  y  pourvoient. 

V.  Les  Recteurs  de  tous  les  Hôpitaux  de  ce  Roiiaume  seront  aussi 
chargés  de  faire  faire  l'opération  césarienne  sur  les  femmes  enceintes 
qui  mourront  dans  leurs  Hôpitaux. 

VI.  Lorsqu'on  n'a  pas  de  preuves  certaines  (étant  très  difficile  d'en 
avoir)  que  le  fœtus  enfermé  dans  le  sein  de  la  défunte  est  mort,  on  doit 
toujours  présumer  qu'il  est  vivant,  et  par  conséquent,  celui  qui  est 
chargé  de  faire  faire  l'opération  césarienne  ne  doit  rien  négliger  pour 


550  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

qu'elle  soit  observée,  quand  même  il  se  seroit  déjà  écoulé  un  temps 
considérable  depuis  la  mort  de  la  mère  :  puisqu'il  est  certain,  comme 
on  l'a  remarqué  dans  plusieurs  occasions,  que  l'enfant  survit  quelque- 
fois à  la  mère,  plus  d'un  jour. 

VII.  Nous  défendons  au  mari  et  aux  parens  d'une  femme  qui  meurt 
enceinte,  et  à  toute  autre  personne  sans  exception,  de  jamais  empêcher 
qu'on  lui  fasse  l'opération  ;  et,  en  cas  de  résistance  de  leur  part,  les 
Officiers  locaux  seront  obligés,  en  vertu  de  la  Pragmatique  perpétuelle, 
d'y  mettre  ordre,  de  manière  que  ladite  opération  se  fasse  sans  perdre 
de  temps.  Quant  à  ceux  qui  y  mettent  obstacle,  ils  seront  soumis  aux 
peines  qu'on  marquera  ci-après.  Les  Officiers  qui,  dès  qu'ils  ont  eu 
connoissance,  quoique  privée  et  extrajudiciaire,  n'y  auront  point  porté 
les  secours  nécessaires,  comme  ils  y  étoient  obligés  en  vertu  de  cette 
Pragmatique,  seront  censés  avoir  encouru  la  peine  des  Arrêts  pendant 
trois  ans  dans  un  Fort,  s'ils  sont  nobles,  et  celle  de  trois  ans  de  prison, 
s'ils  sont  roturiers,  outre  les  autres  peines  réservées  par  Nous  et  nos 
Successeurs. 

VIII.  Comme  il  peut  arriver  qu'une  femme  morte  soit  grosse  d'une 
manière  illégitime,  sur  laquelle  cependant,  en  vertu  de  la  présente 
Pragmatique  qui  n'admet  exception  de  personne,  il  faudra  faire  la  sec- 
tion sous  les  peines  exprimées  ci-dessus  et  qu'on  dira  ci-après,  et  qu'il 
est  à  craindre  que  les  parens,  pour  éviter  le  deshonneur  qu'ils  croiroient 
leur  arriver  à  l'occasion  de  l'opération  césarienne,  ne  voulussent  cacher 
la  grossesse  et  empêcher  l'opération,  Nous  ordonnons  à  tous  et  à  chacun 
des  Officiers  de  Justice,  et  à  tous  ceux  à  qui  il  appartiendra  d'avoir 
quelque  part  à  l'opération  qui  se  doit  faire  aussi  sur  les  femmes  illégiti- 
mement grosses,  de  l'effectuer  malgré  la  répugnance  et  la  contrainte 
des  parens  ;  mais  cependant  avec  tant  de  prudence,  de  précaution  et  de 
secret,  que  ceux  qui  ne  doivent  point  s'ingérer  dans  l'opération  ne  puis- 
sent en  avoir  aucune  connoissance.  Nous  les  prévenons  que,  si  par 
malice  ou  par  négligence,  ils  ne  se  comportoient  pas  comme  il  faut  et  de 
la  manière  que  nous  venons  de  marquer  dans  une  affaire  de  cette 
nature,  nous  les  punirons  de  leur  désobéissance  et  de  leur  lâcheté,  et 
ceux  qui  voudroient  empêcher  l'opération  demeureront  soumis  aux 
peines  portées  contre  les  transgresseurs,  et  qui  sont  marquées  à  la  fin 
de  la  présente  Pragmatique. 

IX.  Nous  exhortons  tous  les  Curés  de  ce  Roiiaume  de  ne  jamais  per- 
mettre qu'on  enterre  les  femmes  qui  meurent  enceintes,  avant  qu'on  leur 
ait  fait  l'opération  césarienne;  ils  ne  souffriront  point  à  cet  effet  qu'on 
les  porte  à  la  sépulture,  ni  qu'on  leur  jette  de  l'eau  bénite;  ils  emploi- 
ront  eux-mêmes,  en  cas  de  résistance  de  la  part  des  parens,  le  secours 
des  Officiers  locaux  qui  en  sont  responsables,  comme  on  a  dit  ci-dessus. 
Nous  exhortons  également  tous  les  Révérendissimes  Archevêques, 
Evêques  et  Abbés,  qui  exercent  quelque  Juridiction  Ecclésiastique  en 
ce  Roiiaume,  de  faire  en  sorte  que  les  Curés  qui  leur  sont  soumis  s'ac- 


MOEURS   ET   COUTUMES  551 

quittent  de  leur  devoir  au  sujet  de  ce  qui  vient  d'être  statué,  sous  telles 
peines  qu'ils  jugeront  à  propos  de  décerner  dans  leurs  Mandemens  et 
dans  les  Synodes  de  leurs  Diocèses  contre  les  Curés  et  autres  personnes 
Ecclésiastiques,  suivant  l'importance  et  la  gravité  de  la  matière. 

X.  Nous  défendons  encore,  sous  les  formes  les  plus  rigoureuses  et 
sous  les  peines  qu'on  dira  ci-après,  non-seulement  à  toutes  les  femmes 
enceintes  de  s'exciter  de  quelque  manière  que  ce  soit  à  l'avortement, 
mais  aussi  à  toute  autre  personne  d'y  coopérer,  ni  donner  le  moindre 
secours  ni  aucun  conseil  à  cet  égard  sous  les  mêmes  peines.  Il  est 
également  défendu  aux  Médecins,  aux  Chirurgiens,  aux  Sages-Femmes, 
aux  Barbiers  et  à  qui  que  ce  soit  de  prescrire,  donner,  faire  et  vendre 
des  médecines  ou  d'autres  remèdes  propres  à  produire  un  si  pernicieux 
effet.  Nous  leur  ordonnons  en  conséquence  de  se  tenir  sur  leur  garde, 
et  d'agir  avec  précaution,  lorsqu'ils  soupçonneront  que  des  femmes 
enceintes  ou  d'autres  personnes  ne  demandent  de  ces  sortes  de  drogues 
ou  remèdes  que  dans  le  mauvais  dessein  de  s'en  servir  pour  faire  avor- 
ter; car,  en  pareil  cas,  les  Médecins,  Chirurgiens,  etc.,  ne  doivent  point 
en  préparer  ni  en  donner.  Lorsque  les  Médecins  traiteront  des  femmes 
enceintes  et  malades,  ils  seront  obligés  de  prendre  toutes  les  précau- 
tions que  la  loi  de  la  charité  prescrit  pour  que  les  remèdes  qu'ils  don- 
neront ne  contiennent  rien  qui  puisse  nuire  au  fœtus,  et  le  mettre  en 
danger  de  mort  ou  d'avortement.  Nous  exhortons  pour  la  même  raison 
tous  ceux  qui  sauroient  qu'on  veut  procurer  quelque  avortement,  et  qui 
ne  pourroient  l'empêcher,  d'en  donner  secrettement  avis  au  Capitaine 
ou  à  quelqu'autre  Officier  de  Justice,  afin  qu'ils  emploient  les  moiiens 
propres  pour  en  arrêter  le  danger. 

XI.  Dans  les  grossesses  illégitimes,  les  Chefs  de  la  Justice  et  les 
autres  Officiers  qui  en  seront  instruits  et  auront  lieu  de  craindre  quelque 
avortement  violent,  seront  tenus  de  veiller  sur  l'accouchement,  et  de 
prendre,  en  secret  et  avec  précaution,  toutes  les  mesures  nécessaires 
pour  que  la  femme  et  les  parens  soient  obligés  de  répondre  de  l'enfant 
quand  il  sera  temps.  Si  la  femme  est  pauvre,  les  Officiers  de  Justice 
lui  assigneront  une  Sage-Femme  ou  quelque  autre  personne  pour  en 
avoir  soin  ;  ce  qu'on  fera  avec  le  secret,  la  circonspection,  la  charité  et 
le  zèle  qu'exigent  des  affaires  de  cette  espèce. 

XII.  Nous  voulons  et,  en  vertu  de  la  présente  Pragmatique,  ordonnons 
que  lorsqu'il  arrivera  quelque  fausse  couche,  les  parens,  les  domesti- 
ques et  autres  qui  se  trouveront  présens  aient  la  précaution  de  ne  pas 
jetter  inconsidérément  le  fœtus  ni  de  le  laisser  à  l'abandon,  mais 
d'examiner  avec  toute  l'attention  possible  s'il  est  vivant,  afin  qu'on 
puisse  d'abord  délibérer  sur  ce  qu'il  y  aura  à  faire  par  rapport  au 
baptême. 

XIII.  Nous  voulons  pareillement  que  dans  les  fausses  couches,  de 
même  que  dans  les  accouchements  naturels,  il  ne  soit  permis  à  personne 
de  détruire  le  fœtus  quelque  difforme  qu'il  soit,  comme  on  a  eu  la  cruauté 


552  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

de  faire  plus  d'une  fois  ;  mais  si  c'est  véritablement  un  monstre,  on 
appellera,  le  Curé  afin  qu'il  décide  suivant  les  loix  de  l'Eglise  insérées 
dans  le  Rituel,  s'il  faut  lui  donner  ou  lui  refuser  le  baptême,  et,  si  la 
chose  l'exige  et  que  le  temps  le  permette,  il  consultera  l'Evêque  ou 
quelques  autres  personnes  expertes. 

XIV.  Nous  ordonnons  enfin  que  quiconque  transgressera  la  présente 
Pragmatique  qui  doit  être  perpétuelle,  soit  mari,  parent  ou  parente  de 
la  femme  enceinte,  ou  tout  autre  qui  par  fraude  ou  par  négligence,  ou 
par  quelqu'autre  empêchement  de  sa  part  sera  cause  que  l'opération 
césarienne  ne  soit  effectuée,  ou  qu'elle  soit  retardée  au  préjudice  du 
fœtus,  ou  qui  par  malice  occasionnera  quelque  avortement  violent,  soit 
censé  avoir  commis  le  crime  d'homicide.  Nous  chargeons  les  Officiers 
de  Justice  de  prendre  dans  la  forme  la  plus  rigoureuse  des  informations 
contre  ces  criminels,  de  les  faire  arrêter,  et  de  procéder  contre  eux  en  la 
manière  accoutumée,  et  suivant  les  Usages  et  les  Loix  du  Roiiaume, 
pour  être  ensuite  condamnés  par  qui  de  droit  à  subir  les  peines  dont  on 
punit  le  crime  d'homicide,  à  proportion  tant  de  la  qualité  du  délit  et  de 
ses  circonstances,  que  de  la  fraude  et  de  la  négligence  des  coupables. 
Le  cas  venant  à  écheoir,  les  susdits  Officiers  de  Justice  nous  en  donne- 
ront avis,  comme  ils  sont  obligés  à  l'égard  de  tout  autre  délit,  par  la 
voie  du  Tribunal  de  la  Grande  Cour  Roiiale  Criminelle,  que  nous  char- 
geons de  procéder  contre  lesdits  transgresseurs  privativement,  lorsque 
les  Officiers  locaux  ne  jouissent  pas  de  l'exercice  de  pur  et  mixte  em- 
pire, n'admettant  point  pour  ces  sortes  de  délits  aucun  bénéfice  de  For 
même  très  privilégié  dont  les  coupables  se  trouveroient  munis,  parce  que 
nous  voulons  qu'en  pareils  cas  ils  soient  soumis  uniquement  et  priva- 
tivement à  la  Juridiction  ordinaire  de  Sa  Majesté,  et  que  le  Fisc  Roiial 
puisse,  au  défaut  de  partie  accusante,  se  porter  accusateur,  pour  qu'on 
fasse  le  procès  aux  coupables  et  qu'ils  soient  punis.  Nous  voulons  enfin 
que  la  présente  Pragmatique  soit  exécutée  dans  toutes  ses  parties  et 
suivant  sa  teneur,  comme  loi  inviolable  et  perpétuelle  de  ce  Roiiaume. 
C'est  pourquoi,  afin  que  chacun  en  ait  connoissance,  nous  ordonnons 
qu'elle  soit  publiée  dans  les  formes  accoutumées  et  qu'elle  soit  enregis- 
trée par  qui  de  droit,  et  où  il  convient  et  non  autrement.  Donné  à 
Palerme  le  9  Août  1748. 

Le  duc  de  la  Viefville. 

Nous  terminerons  ces  pratiques  obstétricales  de  Sicile  par  la  Lettre 
circulaire  que  le  même  Onufre  Melazzo  adresse  à  tous  les  substituts 
du  Royaume,  au  sujet  de  la  taxe  pour  l'opération  césarienne  : 

Monsieur, 

Comme  il  arrive  souvent  des  disputes  au  sujet  de  l'honoraire  que 
l'on  doit  donner  au  Chirurgien  pour  avoir  fait  l'opération  césarienne  sur 


MOEURS   ET   COUTUMES  553 


une  femme  morte  enceinte,  et  considérant  que  cette  opération  est  facile 
par  elle-même  et  triviale,  et  que  si  l'honoraire  était  un  peu  haut,  plu- 
sieurs s'abstiendroient  d'appeler  les  Chirurgiens  au  préjudice  irrépa- 
rable de  la  vie  temporelle  et  éternelle  des  petits  enfans  ;  considérant 
encore  que  ces  enfans,  de  l'intérêt  desquels  il  s'agit,  méritent,  dans  cet 
état,  nos  soins  et  notre  compassion,  quand  même  ils  auroient  des  parens 
riches,  j'estime  que  la  taxe  de  l'opération  césarienne  doit  être  modérée 
de  manière  que  le  Chirurgien  soit  attiré  par  une  honnête  récompense, 
mais  elle  ne  doit  pas  être  si  forte  qu'elle  rende  difficile  une  affaire  de  si 
grande  conséquence  pour  l'Eglise  et  pour  l'Etat.  Je  vous  préviens  donc, 
Monsieur,  que  quand  il  s'agira  de  taxe  pour  l'opération  césarienne  qu'on 
aura  exécutée  sur  une  femme  morte,  vous  fassiez  paiier  au  Chirurgien, 
à  raison  de  la  section,  douze  tarins  (1)  ;  et  si,  au  défaut  de  Chirurgien 
c'est  un  Médecin  qui  opère,  vous  lui  ferez  donner  la  même  paie  ;  mais 
si  c'est  un  Barbier  ou  une  Sage-Femme,  vous  leur  ferez;donner  six  tarins. 
Et  comme  il  faut  quelquefois  outre  l'opération  avoir  égard  à  la  peine 
extraordinaire  que  prend  le  Chirurgien  quand  il  assiste  la  malade,  on 
doit  alors  augmenter  l'honoraire  de  cette  sorte  :  s'il  a  assisté  depuis  le 
matin  jusqu'au  soir,  ou  depuis  le  soir  jusqu'au  matin,  on  lui  donnera 
douze  autres  tarins  ;  s'il  a  été  appelle  le  soir  avant  minuit,  ou  le  jour  à 
une  heure  incongrue  entre  midi  et  le  soir,  il  aura  trois  autres  tarins. 
On  en  agira  de  mêmeà  l'égard  du  Médecin,  et,  proportion  gardée  comme 
ci-dessus,  à  l'égard  du  Barbier  et  de  la  Sage-Femme.  Dans  les  autres 
cas,  ils  se  contenteront  de  la  paie  qu'on  donne'pour  la  section. 

S'il  arrivoit  qu'à  cause  de  l'impossibilité  où  seroit  une  femme  d'ac- 
coucher, d'où  suit  ordinairement  la  mort  de  la  mère  et  du  fœtus,  qu'on 
dût  pour  la  délivrer  de  la  mort  lui  faire  l'opération  césarienne,  suivant 
que  l'art  le  prescrit,  et  comme  il  est  marqué  dans  l'Edit  perpétueHn  vim 
Pragmatica,  dans  ce  cas  la  paie  du  Chirurgien  pour  la  section  sera  deux 
onces,  outre  ce  qui  lui  sera  dû  à  raison  des  visites  qu'il  aura  faites  pour 
la  cure.  Dans  les  cas  néanmoins  où  la  femme  et  son  mari  seroient  véri- 
tablement pauvres,  tant  les  Chirurgiens  que  les  autres,  en  vertu  du 
devoir  inné  de  la  charité  et  du  serment  qu'ils  ont  fait  de  servir  gratis 
les  pauvres,  se  tiendront  pour  très  satisfaits  de  la  souveraine  récom- 
pense que  Dieu  a  préparée  dans  le  Ciel  à  la  véritable  charité. 

A  Palerme,  ce  30  Septembre  1761. 

■  Monsieur, 
Votre  très  affectionné  Serviteur,  Melazzo,  Premier  Médecin  du  Eoiiaume. 

Coutumes  Hollandaises.  —  En  Hollande,  comme  ailleurs,  les 

(1)  L'once  de  Sicile  vaut  douze  livres  seize  sols  sis  deniers,  monnaie  de  France. 
L'once  vaut  trente  tarins  de  Sicile. 


554 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


amis  des  deux  sexes  viennent  rendre  visite  à  l'accouchée  ;  comme  ail- 
leurs, on  bavarde,  mais  plus  qu'ailleurs  on  boit  :  chacun  présente  à 
la  mère,  ainsi  qu'au  nouveau-né,  un  gobelet  de  vin  du  Rhin  avec 
beaucoup  de  sucre  et  un  bâton  de  cannelle.  Cette  cérémonie  se  renou- 
velle autant  de  fois  que  la  malade  reçoit  de  visites  :  elle  s'appelle 
van-behre,  c'est-à-dire  le  gobelet  de  l'accouchement. 

Les  visites  à  l'accouchée  étaient  sans  doute  nombreuses,  car  il  était 
d'usage,  dans  les  Pays-Bas,  d'entourer  d'un  linge  blanc  le  marteau 
de  la  porte,  afin  de  ne  pas  réveiller  par  le  bruit  l'enfant  endormi. 


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Fig.  393.  —  Claie  hollandaise. 


La  figure  393  nous  montre  la  claie  sur  laquelle  était  assise  la  mère 
pour  procéder  à  la  toilette  de  l'enfant  ;  nous  retrouverons  le  même 
siège  employé  dans  les  Flandres  (fig.  394). 


Coutumes  belges.  —  Les  visites  à  l'accouchée,  en  Belgique, 
donnaient  lieu  aussi  à  de  fréquentes  libations,  ainsi  que  l'indique  une 
scène  d'un  vieux  tableau  flamand,  tiré  de  la  collection  de  M.  Léon 
Dewez  (fig.  394). 

Le  Dr  Didot,  de  Liège,  a  préconisé  une  «  berceuse  »  de  son  inven- 
tion (fig.  395)  qui  a  été  adoptée  dans  quelques  familles  belges.  C'est 
une  espèce  de  berceau  d'osier  muni  d'un  tablier  à  charnière  et  dans 
lequel  l'enfant  est  enfermé.  Deux  anses,  disposées  en  arrière,  reçoi- 
vent le  bras  droit  de  la  nourrice,  tandis  que  la  main  gauche  tient  une 
anse  antérieure. 


MOEURS     ET    COUTUMES 


555 


Le  docteur  Henriette,  de  Bruxelles,  jaloux  des  lauriers  de.son  con- 
frère de  Liège,  a  imaginé  le  cadre-hamac  (fig.  396),  pour  donner  de 
l'exercice  à  l'enfant  ;  cet  appareil  se  compose  d'un  bâti  de  fer  muni  de 
deux  paires  de  montants  d'inégale  hauteur  et  sur  lequel  est  lacée  une 
petite  toile  de  hamac.  Une  simple  couverture  pliée  et  étendue  sur  le 
sol  peut  remplir  le  même  but  et  à  moins  de  frais. 

A  la  Maternité  de  Bruxelles,  nous  signalerons  une  coutume  fort 
charitable  que  nous  voudrions  bien  voir  suivie  chez  nous;  au  con- 


Vt^^s> 


Fig.  394.  —  L'accouchée. 


traire  de  l'usage  adopté  à  Paris,  où  l'administration  ne  craint  pas  d'ex- 
poser publiquement,  sur  la  pancarte  fixée  à  la  tête  du  lit,  l'état-civil 
des  femmes  en  couches,  les  pensionnaires  de  l'hôpital  belge,  comme, 
du  reste,  en  Italie  et  en   Russie,  ont  le  droit  de  cacher  leur  nom  et 


556 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


leur  qualité,  sauf  toutefois  au  directeur,  lequel  est  tenu  au  secret. 
Quant  aux  avortements,  ils  sont  aussi  nombreux  dans  la  catho- 
lique Belgique  que  partout  ailleurs,  et  ils  semblent  être,  comme  dans 


Fig.  395.  —  Promeneuse  d'osier  du  Dr  Didot. 


les  autres  pays,  l'apanage  des  sages-femmes.  La  femme  Rodelet,  ac- 
coucheuse à  Bruxelles,  mérite  une  mention  spéciale  pour  la  manière 
originale  dont  elle  se  débarrassait  des  clientes  qui  avaient  succombé 


Fig.  396.  —  Cadre-hamac. 


chez  elle  à  la  suite  de  ses  manœuvres  maladroites;  elle  les  coupaient 
en  morceaux,  à  la  façon  de  Billoir,  et  les  expédiait  en  chemin  de  fer 
comme  un  simple  colis. 


MOEURS    ET    COUTUMES  557 


Coutumes,  préjugés  et  pratiques  superstitieuses  par- 
ticulières à  l'empire  russe.  —  Les  renseignements  nous  man- 
quent sur  la  fréquence  des  avortements  dans  l'empire  russe;  nous 
remarquerons  seulement  qu'en  Russie,  plus  qu'ailleurs,  ce  crime  se- 
rait injustifiable.  Nulle  part,  en  effet,  on  n'observe  une  telle  discrétion 
vis-à-vis  des  femmes  enceintes,  et  le  pays  de  l'absolutisme  pourrait, 
sur  ce  point,  servir  de  modèle  à  l'Europe  libérale.  L'entrée  de  la  Ma- 
ternité est  gratuite  à  celles  qui  veulent  y  venir  accoucher  secrète- 
ment. Elles  peuvent  taire  leur  nom,  entrer  voilées  ou  masquées  et 
conserver  leur  voile  ou  leur  masque  pendant  toute  la  durée  de  leur 
séjour.  On  donne  à  chacune  une  chambre  particulière  et  la  sage- 
femme  seule  est  autorisée  à  y  pénétrer.  L'empereur  Nicolas  qui  visi- 
tait souvent  les  hôpitaux,  respecta  toujours  cette  consigne. 

A  Kazan  et  dans  plusieurs  villes  importantes  de  la  Russie  d'Eu- 
rope, quand  le  travail  est  trop  laborieux,  on  a  recours  à  la  pratique 
du  pot.  Voici,  d'après  le  Dr  Alex.  Salowieff,  en  quoi  elle  consiste  : 
Dans  une  grande  jatte  en  grès,  ayant  une  capacité  de  deux  à  trois  li- 
tres, on  jette  un  peu  d'étoupe  enflammée  et  on  applique  l'ouverture 
du  vase  sur  le  ventre  de  la  femme.  Cette  ventouse  d'un  nouveau  genre 
détermine  souvent  des  brûlures  très  profondes. 

En  Sibérie,  suivant  Malthus,  quand  le  travail  se  ralentit,  un  cer- 
tain nombre  d'hommes,  postés  autour  de  la  demeure  de  la  femme, 
font,  à  un  signal  convenu,  une  décharge  d'armes  à  feu  qui  effraye 
beaucoup  la  parturiente  et  passe  pour  activer  les  douleurs. 

Le  comte  F.  de  Gramont  rapporte  qu'en  venant  visiter  une  accou- 
chée, en  Russie,  on  doit  lui  glisser  dans  la  main  une  pièce  de  monnaie 
qui  varie  suivant  la  position  de  fortune  des  visiteurs.  Les  gens  aisés 
ne  peuvent  donner  moins  d'un  ducat.  Les  personnes  mariées  sont 
seules  assujetties  à  cet  usage.  Il  paraît  qu'à  Saint-Pétersbourg  cet 
impôt  est  aboli,  mais  qu'il  est  toujours  prélevé  à  Moscou  et  dans  les 
provinces. 

Dans  les  chaumières  des  mougicks,  les  berceaux  sont  fixés  au 
bout  d'une  longue  perche,  de  façon  qu'on  berce  les  enfants  de  haut 
en  bas.  En  Finlande,  le  berceau  est  composé  d'une  petite  caisse  en 
bois,  suspendue  au  plafond  et  disposée  à  une  distance  du  sol  telle  que 
la  mère  puisse  donner  le  sein  sans  déranger  l'enfant  (fig.  397). 

Chez  les  peuples  de  l'Esthonie,  quand  un  jeune  homme  a  obtenu 
la  main  d'une  fille,  et  qu'il  se  rend  à  l'église  pour  célébrer  son  union, 
il  se  garderait  bien  de  monter  une  jument  :  sa  femme  ne  donnerait 
naissance  qu'à  des  filles.  Dès  que  le  fiancé  arrive,  on  relâche  la 
sangle  du  cheval  de  sa  femme,  pour  qu'elle  ait  des  couches  faciles. 


558 


HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 


Les  femmes  enceintes  de  cette  tribu  changent  de  chaussures  toutes  les 
semaines,  pour  dérouter  le  diable  qui  est  censé  les  poursuivre,  avec 
l'espoir  de  s'emparer  de  l'enfant  à  sa  naissance. 


Fig.  397.  —  Berceau  finlandais,  d'après  un  dessin  de  M.  Charles  Giraud,  attaché  à  la  dernière 
expédition  de  la  Recherche. 


Dans  la  tribu  des  Samoyèdes,  les  femmes  n'accusent  aucune  plainte 
en  accouchant.  «  Quand  le  contraire  arrive  »,  raconte  Sue,  «  leurs 
maris  les  soupçonnent  d'infidélité  avec  quelque  étranger;  ils  les  bat- 
tent pour  leur  faire  avouer  leur  faute  :  si  la  femme  se  reconnaît  cou- 


MOEURS   ET   COUTUMES 


559 


pable,  ils  la  renvoient  sur  le  champ  à  ses  parents,  après  avoir  repris 
tout  ce  qu'ils  avaient  donné.  Cette  conduite  est  cependant  opposée  à 
ce  que  dit  Buffon,  qui  assure  que  ces  peuples,  non  seulement  ne  con- 
naissent pas  la  jalousie,  mais  même  offrent  leurs  femmes  et  leurs 
filles  au  premier  venu  ».  Nous  avons  déjà  signalé  une  coutume 
analogue,  observée  dans  d'autres  tribus  du  nord  de  la  Russie  :  pour 
faciliter  le  travail,  le  mari  et  la  femme  confessent  à  la  sage-femme 
leurs  méfaits  conjugaux  et,  s'il  survient  un  accident  ou  si  l'accouche- 
ment tarde  trop  à  se  terminer,  ils  en  concluent  que  l'un  des  époux  a 
fait  de  fausses  déclarations. 

En  Laponie,  aussitôt  après  l'accouchement,  on  fait  boire  à  la  femme 
de  l'huile  de  baleine.  On  plonge  d'abord  l'enfant  dans  la  neige,  puis 
dans  l'eau  chaude.  Comme  les  Lapons  ne  connaissent  pas  l'usage  du 


Fig.  3ô8.  —  Lapone  et  son  enfant  (Figure  extraite  du  Costume  historique,  de  Racinet). 


linge,  ils  n'emmaillottent  pas  leurs  enfants  ;  ils  les  enfouissent,  sans 
langes,  dans  un  berceau  en  forme  de  sabot,  appelé  Katkem,  rempli  de 
mousse  et  de  duvet.  Cette  sorte  de  nid  est  coquettement  orné  de  four- 
rures aux  nuances  variées  et  de  chaînettes  de  laiton  terminées  par 
des  anneaux  ou  des  plaquettes  de  même  métal.  Quand  la  mère  sort 
elle  emporte  avec  elle,  accroché  sur  son  dos,  ce  précieux  fardeau 
(fig.  398)  et  fait  résonner  à  chaque  pas  les  ornements  métalliques  qui 


560  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

l'entourent.  Sous  Ja  tente,  le  berceau  est  attaché  à  une  traverse  et 
on  y  suspend,  si  c'est  un  garçon,  un  petit  arc  et  des  flèches  de  chas- 
seur, des  rames  et  des  filets  de  pêcheur;  si  c'est  une  fille,  on  y  fixe 
des  ustensiles  de  ménage  et  les  ailes  blanches  du  lagopède,  symbole 
de  la  diligence  et  de  la  pureté. 

D'après  M.  de  Saint-Blaize,  quand  une  Lapone  accouche  en  voyage, 
son  mari  improvise  un  berceau,  en  creusant  un  morceau  de  sapin  ou 
de  bouleau,  auquel  il  adapte  un  grillage  en  fer  pour  protéger  l'enfant 
contre  les  bêtes  féroces.  La  mère  continue  sa  marche  en  portant  cette 
bûche  sur  son  dos,  à  l'aide  de  courroies,  et,  dès  qu'elle  s'arrête,  elle 
l'accroche  aux  branches  d'un  arbre  (fîg.  399). 

Chez  les  Tartares  Nogaïs,  répandus  au  sud  de  l'Empire  russe,  à 
chaque  naissance,  les  parents  et  les  amis  viennent  à  la  porte  du  père 
frapper  sur  des  chaudrons  et  des  marmites  ;  ils  veulent  ainsi  effrayer 
et  mettre  en  fuite  le  diable,  pour  qu'il  n'ait  aucun  pouvoir  sur  l'esprit 
de  l'enfant. 

Doutchenko,  dans  le  Monde  inconnu,  prétend  que,  chez  les  Juifs  du 
Caucase,  quand  les  couches  sont  difficiles,  on  délaie  dans  de  l'eau 
quelque  peu  de  terre  tirée  d'une  fosse  récente  ;  on  ingurgite  ce  breu- 
vage à  la  patiente  et,  si  les  douleurs  ne  cessent  pas,  on  recommence, 
mais  avec  de  la  terre  prise  plus  profondément. 

Suivant  Landowski,  certains  Kalmoucks,  ainsi  que  les  Bourouts, 
riverains  du  lac  Baïkal,  adressent,  au  moment  de  l'accouchement, 
des  prières  à  leurs  divinités  de  cuivre;  si  elles  sont  exaucées,  les  dieux 
sont  récompensés  :  on  leur  barbouille  la  bouche  avec  du  lait  ou  du 
beurre  ;  si  l'opération  n'a  pas  marché  à  souhait,  on  les  fustige  et  on 
les  met  à  la  porte,  où  ils  attendent  dans  la  neige  tant  qu'ils  n'ont  pas 
accordé  ce  qu'on  leur  a  demandé. 

Le  voyageur  Gmelin  attribue  aux  Yakouts  une  coutume  dégoû- 
tante :  aussitôt  après  l'accouchement,  le  père  prend  le  placenta,  le 
fait  cuire  et  s'en  régale  avec  ses  parents  et  ses  amis. 

Au  Kamtschatka,  suivant  C.  Hoberland  cité  parle  Dr  Galliot,  «  les 
femmes  cherchent  souvent  par  des  conjurations  et  des  herbes  ma- 
giques à  prévenir  la  conception  :  lorsqu'elles  sont  enceintes,  plutôt 
que  de  supporter  les  incommodités  de  la  grossesse  et  les  douleurs  de 
l'enfantement,  elles  se  livrent  aux  mains  de  grossières  sages-femmes 
qui  les  soumettent  aux  traitements  les  plus  effrayants  :  elles  pétris- 
sent le  globe  utérin  avec  leurs  poings  pour  briser  les  membres  du 
fœtus  et  en  provoquer  l'expulsion.  Nous  n'avons  pas  besoin  d'ajouter 
que  de  pareilles  tortures  sont  souvent  suivies  de  la  mort  de  la  mère.  » 
Au  même  pays,  dès  qu'une  femme  est  en  travail,  tous  les  habitants 


MOEURS    ET    COUTUMES 


561 


du  village,  prévenus  par  le  mari,  accourent  pour  assister  à  l'accou- 
chement. La  femme  se  délivre  elle-même,  coupe  le  cordon  avec  un 
caillou  tranchant,  le  lie  avec  un  fil  d'ortie  et  jette  le  placenta  aux 
chiens...  à  moins,  sans  doute,  qu'elle  n'ait  pour  hôte  quelque  Yakout. 
Dès  que  l'enfant  est  né,  on  se  le  passe  de  main  en  main  pour  l'exa- 
miner et  le  caresser,  et  chacun  adresse  ses  félicitations  au  père  et  à  la 
mère.  Les  femmes  Kamtschadales  accouchent  avec  la  plus  grande 
aisance,  sans  autre  aide  que  celle  de  leurs  mères  ou  de  quelques  pro- 
ches parentes.  «  On  en  voit»,  dit  le  comte  F.  de  Gramont,  «  qui,  pen- 
dant le  temps  qu'elles  sont  en  travail,  vaquent  encore  aux  soins  de 


Fio.  399.  —   Berceau  lapon. 


leur  ménage,  et  qui,  un  quart  d'heure  après  leur  délivrance,  sortent 
avec  leur  enfant  dans  les  bras,  sans  en  être  le  moins  du  monde  incom- 
modées ».  Autrefois,  il  était  de  règle  dans  le  pays  que,  quand  une 
femme  mettait  au  monde  deux  jumeaux,  l'un  des  deux  devait  périr  ; 
il  en  était  de  même  d'un  enfant  né  pendant  un  orage.  L'influence 
russe  a  fait  disparaître  ces  coutumes  barbares. 

Après  leurs  couches,  les  femmes  Ostraks  vivent  complètement  iso- 
lées pendant  près  de  cinq  semaines.  Au  bout  de  ce  temps,  on  allume 
un  grand  feu  ;  elles  se  purifient  en  sautant  par  dessus;  après  quoi 
elles  vont  présenter  le  nouveau-né  à  son  père. 

Depuis  les  récentes  conquêtes  de  la  Russie,  on  peut  ranger  les 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


36 


562  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

Tadjiks  (1)  parmi  les  sujets  du  tsar.  Ujt'alvy  raconte  que  ce  peuple, 
pourtant  assez  civilisé,  a  coutume  de  tenir  allumée,  pendant  quarante 
nuits,  au-dessus  du  berceau  du  nouveau-né,  une  chandelle  qui  doit 
brûler  jusqu'à  l'aube  pour  écarter  les  esprits  malins. 

Usages  au  Monténégro.  —  Les  Monténégrines  accouchent 
où  elles  se  trouvent,  dans  les  champs,  dans  les  bois,  seules,  sans  se- 
cours, sans  proférer  la  plus  légère  plainte,  sans  faire  entendre  le 
moindre  murmure.  Quand  elles  ont  repris  leurs  sens,  elles  envelop- 
pent l'enfant  dans  un  tablier,  et  vont,  suivant  un  ancien  usage  de 
leur  pays,  le  laver  à  la  fontaine  la  plus  proche^;  après  quoi  elles  re- 
tournent vaquer  à  leurs  travaux. 

«  Quand  la  naissance  d'un  enfant  est  connue  »  dit  F.  de  Grammont, 
«  les  parents  et  les  amis  de  la  famille  s'empressent  d'apporter  en 
présent  à  l'accouchée  toutes  sortes  de  gâteaux,  dont  celle-ci  compose 
un  repas  qu'on  appelle  babineh,  et  qui  est  toujours  des  plus  agréables 
par  la  quantité,  la  qualité  et  la  variété  des  mets.  La  proposition  de 
tenir  un  enfant  sur  les  fonts  du  baptême  est  regardée  comme  un 
grand  honneur,  et  la  refuser  serait  faire  aux  parents  une  injure  grave. 
Dans  ce  pays,  on  donne  à  l'enfant  deux  parrains,  l'Eglise  grecque 
n'admettant  pas  le  concours  d'un  homme  et  d'une  femme  au  sacre- 
ment du  baptême.  On  l'administre,  du  reste,  comme  dans  l'église 
romaine,  excepté  que  les  prières  sont  d'une  longueur  excessive,  et 
qu'on  inonde  le  nouveau-né  sous  l'abondance  et  la  multiplicité  des 
aspersions. 

«  Au  retour  de  l'église,  quand  on  remet  l'enfant  dans  son  berceau, 
on  place  à  côté  de  lui  les  attributs  de  son  sexe  qui  sont,  pour  les  gar- 
çons, le  fusil,  les  pistolets  et  le  ganzard  (coutelas).  Le  père,  avant  de 
déposer  là  ses  armes,  les  baise,  et  les  donne  à  baiser  aux  assistants, 
et  même  au  nouveau-né  ;  tout  cela  avec  un  sérieux  et  une  gravité  qui 
attestent  l'importance  attachée  par  ce  peuple  à  de  pareilles  cérémo- 
nies, où,  pour  notre  part,  nous  ne  trouvons  rien  de  puéril. 

«  Pendant  ce  temps,  on  entend  au  dehors  le  bruit  des  cloches,  les 
détonations  des  boîtes  d'artifices  et  le  feu  de  la  mousqueterie.  Un 
repas,  plus  ou  moins  splendide,  termine  la  journée.  Dans  ce  repas,  on 
forme  à  l'envi  des  vœux  pour  le  nouveau-né.  Voici  ceux  qui  sont  le 
plus  en  usage;  ils  font  à  la  fois  l'éloge  et  la  peinture  du  caractère 
monténégrin  : 


(1)  Ceux  de   Boukharie  du  moins  ;  il  y  a  des   Tadjiks  dans  la  Perse  et  dans  le 
Kaboul. 


MOEURS   ET   COUTUMES  563 

«  Que  la  sagesse  soit  son  héritage  !  Qu'il  brille  comme  l'étoile  du 
matin  !  Que  son  âme  soit  douce  comme  la  clarté  de  la  lune  !  Que  le 
miel  coule  de  son  cœur!  Qu'il  soit  toujours  sain  comme  le  plus  beau 
chêne  de  nos  forêts  !  Qu'il  soit  à  jamais  irréconciliable  avec  les  Turcs  ! 
Qu'il  se  batte  comme  moi  !  Qu'il  reste  toujours  libre,  et  qu'il  meure 
hors  de  son  lit  !  » 

En  Turquie.  —  Turpin,  dans  Histoire  de  VAlcoran,  signale  une 
coutume  turque  que  nos  collégiens  verraient  sans  peine  s'établir  chez 
nous  :  «  L'époux  et  ses  amis  se  rendent,  lorsqu'une  femme  est  en  tra- 
vail, dans  les  écoles  publiques  et  font  un  présent  au  maître  pour  l'en- 
gager à  donner  congé  à  ses  disciples,  ou  pour  en  obtenir  la  grâce 
de  celui  qui  est  tombé  dans  quelque  faute...  C'est  par  ce  même 
motif,  que  les  pères  achètent  des  oiseaux  pour  leur  donner  la  liberté, 
persuadés  que  cette  liberté  rendue  est  un  gage  que  leurs  femmes 
seront  bientôt  affranchies  des  maux  qu'elles  souffrent  dans  l'enfan- 
tement. » 

Comme  nous  le  verrons  plus  loin,  la  femme  turque  n'accepte  l'in- 
tervention d'un  accoucheur  que  lorsque  sa  vie  est  réellement  en 
danger;  dans  ce  cas,  le  praticien  peut  découvrir  la  partie  géni- 
tale et  manœuvrer  à  son  aise,  mais,  avant  son  entrée  dans  la  cham- 
bre de  la  patiente,  celle-ci  a  eu  le  soin  de  se  couvrir  entièrement  la 
tête,  at  telle  façon  qu'il  n'est  même  pas  possible  de  voir  ses  che- 
veux (1). 

Pour  tout  accouchement,  principalement  en  province,  les  familles 
musulmanes  ont  donc  recours  à  une  sage-femme  (2).  Celle-ci  se 
place  à  genoux  devant  la  patiente  qui  est  assise  sur  le  fauteuil 
dont  nous  avons  déjà  parlé  (fig.  257).  D'ailleurs,  le  rôle  de  la  ma- 
trone, en  raison  de  son  ignorance,  est  essentiellement  passif;    il 


(1)  La  pudeur  de  la  femme  turque,  on  le  sait,  ne  concerne  guère  que  le  visage.  Et 
encore,  si  l'on  en  croyait  les  voyageurs  qui  ont  passé  par  certaines  maisons  de 
Péra  !...  Quoi  qu'il  en  soit,  le  docteur  Zambaco,  à  qui  nous  devons  nombre  de  ren- 
seignements utilisés  dans  cet  ouvrage,  nous  a  raconté  à  ce  propos  uu  incident  assez 
amusant.  Un  de  ses  amis  passe  en  barque  à  quelque  distance  de  plusieurs  femmes 
en  train  de  se  baigner.  Grand  émoi.  Se  cacher  la  tête  ?  Mais  où  trouver  un  voile  ? 
La  plonger  sous  l'eau  ?  Mais  le  giaour  est  loin  de  se  presser,  bien  au  contraire.  Le 
parti  fut  vite  pris  ;  les  naïades  de  la  Corne  d'or  se  couvrirent  pudiquement  la 
figure  avec  les  mains,  tournant  vers  l'étranger,  accidentellement  indiscret,  la  région 
méconnaissable  de  leur  individu. 

(2)  Tous  les  détails  concernant  l'accouchement  en  Orient  et  les  soins  donnés  ù  la 
mère  et  à  l'enfant,  sont  empruntés  à  la  communication  intéressante  faite  par  le 
docteur  Zambaco  au  cougrèsde  Copenhague. 


564  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

se  borne  à  attendre  l'expulsion  naturelle  de  l'enfant,  puis  à  cou- 
per le  cordon  et  à  attendre  encore  que  le  délivre  veuille  bien  se 
présenter  de  lui-même.  Toute  présentation  vicieuse,  si  le  méde- 
cin n'intervient  pas,  coûte  la  vie  fatalement  à  la  mère  et  à  l'en- 
fant. 

«  Dans  bien  des  villages,  la  femme  travaille  aux  champs  jusqu'au 
dernier  moment.  Surprise  par  le  travail  de  l'accouchement,  elle 
rentre  chez  elle,  si  elle  en  a  le  temps.  De  toute  façon  le  lendemain 
elle  reprendra  son  ouvrage  comme  d'habitude.  Dans  d'autres  endroits 
la  femme  accouche  volontiers  dans  le  bain. 

«  Chez  le  peuple,  on  ne  lave  point  la  nouvelle  accouchée,  et  ce  n'est 
que  le  40e  jour  qu'elle  ira  au  hamam.  Couchée  dans  son  lit,  elle  y 
restera  de  9  à  12  jours. 

«  La  mère  ne  doit  boire  que  de  l'eau  de  riz  pendant  trois  jours  ;  puis 
on  lui  accorde  des  graines  de  riz  et  des  compotes  étendues  de  pruneaux 
ou  d'abricots.  Elle  ne  prend  des  potages  au  bouillon  de  viande  qu'a- 
près le  quatrième  ou  le  cinquième  jour  ;  sa  boisson  habituelle  sera  de 
la  décoction  de  capillaire. 

«  Les  croisées,  qui  pouvaient  être  ouvertes  pendant  l'accouchement, 
sont  fermées  aussitôt  après,  et  restent  cleses  pendant  au  moins  huit 
jours,  quelle  que  soit  la  saison.  11  en  est  de  même  de  la  porte,  de 
sorte  que  l'accouchée  reste  dans  une  atmosphère  infecte.  Le  linge, 
imprégné  de  tous  les  liquides  de  l'accouchement  et  des  lochies,  doit 
rester  dans  la  chambre  de  l'accouchée  pendant  trois  jours  au  moins. 
Les  Djinns  ou  mauvais  esprits,  nous  le  savons,  joueraient  de  mauvais 
tours  à  la  femme,  si  l'on  agissait  autrement.  Dans  la  même  crainte 
des  esprits,  l'accouchée  n'est  jamais  seule,  et  on  n'ouvre  plus  la  porte 
de  la  maison  dans  les  villages,  à  partir  du  coucher  du  soleil  jusqu'à 
l'aube;  si  l'on  déroge  à  cette  habitude  pour  un  cas  exceptionnel,  on 
fumige  la  personne,  quand  même  ce  serait  le  maître  de  la  maison, 
avec  de  l'encens. 

«  Les  hémorrhagies,  pendant  ou  après  la  couche,  sont  combattues 
avec  des  cataplasmes  de  tranches  de  citron  ou  de  pommes  de  terre, 
ou  même  avec  du  kaviar  appliqué  sur  la  vulve.  Dans  certaines  pro- 
vinces, après  l'accouchement,  pour  prévenir  l'hémorrhagie  et  fa- 
voriser l'expulsion  du  placenta,  on  applique  sur  le  ventre  le  trognon 
d'un  vieux  balai  et  on  le  bande.  La  femme  conserve  ce  bandage, 
même  après  avoir  quitté  le  lit.  Cette  pratique  s'observe  encore  à 
Stanza,  ville  située  sur  la  mer  Noire,  à  huit  heures  de  distance  de 
Constantinople. 

a  Les  relations  conjugales  ne  recommencent,  en  général,  qu'après  le 


MOEURS   ET   COUTUMES  565 

quarantième  jour,  au  retour  du  hamam  (1)  et  après  purification  par 
les  prières  de  l'imam  ou  la  bénédiction  du  prêtre. 

«En  Orient,  l'enfant  n'est  lavé,  comme  la  mère,  que  le  quarantième 
jour.  A  sa  naissance,  il  est  essuyé  simplement  avec  un  linge  sec, 
puis  on  saupoudre  tout  son  corps  avec  du  sel  fin,  pour  l'empêcher  de 
sentir  mauvais.  Avant  d'emmailloter  l'enfant,  la  sage-femme  ou  le  bar- 
bier pratique  avec  un  rasoir,  le  long  de  son  dos  et  aux  mollets,  de 
nombreuses  scarifications,  pour  tirer  «  le  mauvais  sang  »  et  le  préser- 
ver des  maladies  ;  on  recommence  cette  opération  quinze  ou  vingt 
jours  après  la  naissance.  Ces  incisions,  longues  de  2  à  5  centimè- 
tres, sont  superficielles,  il  est  vrai,  mais  elles  n'en  laissent  pas 
moins  des  traces  indélébiles,  très  visibles  sur  le  dos  des  femmes 
décolletées. 

«  Les  musulmans  ont  l'habitude  de  fagoter  les  enfants  d'une  manière 
fort  curieuse.  La  tête  est  couverte  par  un  morceau  de  flanelle,  de  coton 
cardé  ou  de  linge,  selon  la  saison,  par-dessus  lequel  on  met  un  bonnet 
en  coton  ou  en  laine  avec  une  mentonnière.  On  roule  autour  du  bon- 
net deux  fois  un  mouchoir  plié  en  bande  large,  de  quatre  traveisde 
doigt  environ,  et  dont  les  chefs  sont  attachés  en  avant;  un  autre  mou- 
choir carré  et  plié  en  triangle  est  appliqué  par  sa  base  sur  le  frcnt  ; 
les  angles  latéraux  sont  croisés  en  arrière  et  ramenés  en  avant  pour 
être  attachés.  Un  troisième  mouchoir,  plié  encore  en  triangle,  est 
placé  sur  la  tête  et  ses  chefs,  croisés  sous  le  menton  et  fortement 
serrés,  se  nouent  sur  le  sinciput,  de  manière  à  fixer  la  mâchoire  in- 
férieure sur  la  supérieure. 

«  Pour  préserver  les  enfants  turcs  des  esprits  malins,  on  pend 
à  la  partie  supérieure  du  front  un  petit  paquet  composé  d'une 
gousse  d'ail,  d'une  pierre  bleue,  de  quelques  perles  enfilées  et  d'une 
pièce  d'or  sur  laquelle  est  écrit  :  Ma  cha  Allah  (ce  que  veut  Dieu). 
Puis,  suivant  la  pratique  jadis  répandue  dans  toute  l'Europe,  on 
enveloppe  fortement  l'enfant,  depuis  les  pieds  jusqu'au  cou,  les  bras 
appliqués  le  long  du  corps,  avec  un  bandage,  appelé  fasskia,  long  de 
deux  à  trois  mètres.  On  en  fait  ainsi  une  sorte  de  momie  que  l'on  dé- 

(1  )  «  D'ailleurs  le  bain  est  de  rigueur  après  chaque  période  menstruelle  chez  les 
musulmanes  et  les  israélites  et  même  chez  les  chrétiennes  qui  habitent  les  centres 
turcs  où  les  habitudes  musulmanes  ont  prévalu.  Il  y  a  même  plus,  le  lendemain 
des  relations,  les  époux  doivent  aller  au  bain.  Aussi  le  vendredi,  voit-on  tous  les 
ménages  accourir  au  hamam,  car  le  jeudi  soir  est  consacré  à  l'accomplissement  des 
devoirs  conjugaux.  Les  chrétiens  s'y  rendent  le  dimanche.  Cette  purification  par  le 
hamam  le  lendemain  du  coït  est  si  générale  que  la  périphrase  dont  on  se  sert  d'ha- 
bitude pour  conseiller  la  continence  est  la  suivante  :  <£  il  ne  faut  pas  aller  au  bain, 
ou  bien  rarement»  (Zambaco). 


5GG 


HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 


bande  deux  ou  trois  fois  par  jour.  Les  Orientaux  compriment  de  cette 
façon  barbare  leurs  enfants,  pour  qu'ils  deviennent  «  tout  droits,  com- 
me des  bougies.  »  Mais  ils  obtiennent,  le  plus  souvent,  un  résultat  in- 
verse, à  en  juger  par  le  nombre  considérable  d'enfants  cagneux  que 
l'on  rencontre  dans  les  rues. 

«  Chez  les  riches,  les  préparatifs  pour  l'enfant  à  naître  sont  aussi 
importants  que  ceux  que  l'on  ferait  «  pour  un  général  revenant  vic- 
torieux de  quelque  expédition  ».  Les  amis,  les  voisins  se  pressent 
pour  venir  admirer  les  petits  linges  de  l'enfant  et  leurs  rubans  multi- 
colores, visiter  les  berceaux  et  les  mille  bagatelles  destinées  au  futur 


Fig.  400.  —  Berceau  turc. 


fils  de  Mahomet.  A  peine  est-il  né,  on  l'emmaillote  et  on  l'expose  sur 
le  sofa  de  la  chambre  au  regard  des  curieux. 

«  Non  content  de  comprimer  ces  pauvres  petits  êtres  avec  des  bandes 
serrées,  on  les  maintient,  en  outre,  dans  leur  berceau  avec  une  sorte 
de  bandage  de  corps  qui  les  empêche  même  de  remuer.  Dans  la  classe 
ouvrière,  le  berceau  est  souvent  remplacé  par  un  simple  matelas  étendu 
à  terre  ;  dans  la  classe  aisée,  on  se  sert  de  berceaux  en  forme  d'auges 
ou  semblables  à  ceux  dont  on  trouve  encore  quelques  spécimens  dans 
nos  campagnes  :  les  deux  pieds  recourbés  placés  sur  le  sol,  permet- 
tent de  balancer  facilement  les  enfants.  Pendant  que  la  mère  est  au 
lit,  elle  se  passe  au  poignet  le  bout  d'une  ficelle  attachée  à  l'un  des 
coins  pour  bercer  l'enfant,  dès  qu'il  crie.  On  chante  toujours  en  ber- 
çant l'enfant,  surtout  chez  les  sujets  turcs  de  race  grecque,  des  mélo- 


MOEURS    ET    COUTUMES  5G7 

pées  plaintives,  si  monotones  qu'elles  finissent  par  endormir  celles- 
mêmes  qui  les  chantonnent. 

«  Les  berceaux  sont  plus  ou  moins  ornés,  suivant  la  position  de  for- 
tune des  parents  ;  il  en  est  qui  sont  artistement  sculptés  ;  les  couver- 
tures sont  souvent  brodées  d'or,  de  perles  et  même  de  pierres  fines. 
Tous  sont  percés  d'un  trou  où  s'adapte  un  vase  dans  lequel  tombent 
les  déjections  (fig.  400). 

«  Au-dessus  de  la  tête  de  l'enfant,  on  pend  une  amulette  composée 
d'une  pièce  en  os  ou  en  bois  sous  forme  de  fourche,  accompagnée  de 
ces  mêmes  talismans  que  nous  avons  déjà  vu  placer  sous  la  calotte  du 
nouveau-né.  » 

Les  tribus  nomades  de  la  Turquie  d'Asie  ;se  servent  d'un  berceau 
beaucoup  plus  primitif.  Dans  l'hiver  de  1856,  le  D1'  Eram,  traversant 
une  plaine  déserte  de  cette  région,  vit  un  tableau  tout  différent  de  ce- 
lui que  nous  venons  d'esquisser.  Une  femme  nomade  accoucha  le  long 
d'un  cours  d'eau  ;  aussitôt  après  s'être  délivrée,  elle  plongea  le  nou- 
veau-né dans  l'eau  froide  pour  qu'il  devint  robuste,  puis  le  transporta 
dans  une  grotte  où  elle  avait,  au  préalable,  creusé  une  fossette  couverte 
de  terre  fine  et  assez  large  pour  pouvoir  l'y  coucher.  L'enfant  fut 
placé  dans  ce  berceau  économique  et  recouvert  de  terre  surtout  le 
corps,  sauf  la  tête.  La  terre  était  renouvelée  chaque  jour,  et  la  fos- 
sette s'agrandissait  à  mesure  que  l'enfant  croissait. 

Virey  pense  que  les  femmes  de  l'Orient  accouchent  facilement  à 
cause  de  leur  habitude  de  s'asseoir  les  jambes  croisées  et  les  cuisses 
écartées,  ce  qui  tend  à  élargir  leur  bassin.  Les  femmes  destinées  aux 
sérails  auraient,  au  contraire,  des  couches  laborieuses,  parce  que, 
paraît-il,  ceux  qui  en  trafiquent  prennent  soin,  dès  leur  jeune  âge, 
de  leur  comprimer  les  hanches  pour  rétrécir  les  organes  sexuels. 

Les  mœurs  obstétricales  de  l'Albanaise  diffèrent  notablement  de 
celles  de  la  femme  turque.  «  L'Albanaise,  »  dit  le  Dr  Zambaco,  «  ré- 
putée et  par  le  fait  très  courageuse,  ne  doit  pas  crier  en  accouchant  ; 
c'est  lâche  »  dit-elle,  «  que  de  ne  savoir  supporter  sa  douleur  ». 
Elle  fait  ses  couches  en  cachette,  peut-être  pour  ne  pas  faire  entendre 
les  cris  qui  lui  échapperont  malgré  elle.  Toujours  est-il  que  l'enfant 
arrive  au  monde  à  l'insudu  mari,  qui  n'apprend  l'événement  qu'après. 
C'est  la  mère  de  la  femme  et,  à  son  défaut,  la  plus  âgée  de  la  famille 
qui  fait  fonction  de  sage-femme. 

«  11  y  a  beaucoup  de  réserve  en  Albanie  (1).  Ainsi  il  est  honteux  de 

(1)  «  Dans  tout  l'Orient,  au  contraire,  la  femme  est  considérée,  à  cause  du  flux  pé- 
riodique auquel  elle   est  soumise,   comme  un  être  impur.  En  Mésopotamie,  si  l'on 


538  HISTOIRE  -DES    ACCOUCHEMENTS 


parler  de  grossesse.  La  femme  la  dissimule  autant  qne  possible.  Une 
femme  enceinte  a  toujours  sur  elle  un  canif  pour  couper  le  cordon  au 
besoin. 

«  Le  nouveau-né  est  lavé  tous  les  jours;  sa  tête  reste  découverte, ses 
membres  ne  sont  pas  condamnés  à  l'immobilité  par  des  maillots  trop 
serrés,  ils  sont  libres;  l'enfant  pousse  à  l'aise.  Aussi  les  Albanais 
ont-ils  les  jambes  droites  et  non  cagneuses  comme  la  plupart  des  Os- 
manlis  ». 

En  Orient,  la  femme  du  peuple  allaite  ses  enfants  ou  donne  le  bi- 
beron ;  dans  la  classe  aisée,  on  a  recours  aux  nourrices.  Pour  éviter 
les  tracas  et  ennuis  de  ces  tyrans  domestiques,  dans  les  maisons  tur- 
ques, on  achète  souvent  une  esclave  enceinte,  avant  les  couches  de  la 
maîtresse,  afin  de  l'avoir  en  réserve  au  moment  opportun.  L'allaitement 
dure  pendant  deux  (1)  et  même  trois  ans  ;  il  n'est  pas  rare  de  voir  des 
enfants,  âgés  de  quatre  ans,  teter  leur  mère  en  rentrant  de  l'école. 
Le  Dr  Zambaco  a  vu,  chez  le  prince  Halim,  une  femme  de  soixante- 
cinq  ans  qui  donnait  le  sein  à  une  enfant  de  trois  ans  et  demi,  la 
fille  de  son  fils  Ibrahim  bey.  La  grand'mère  pour  l'endormir  avait 
l'habitude  de  lui  donner  ses  seins,  dépourvus  de  lait  ;  mais  à  la  suite 
des  succions  répétées  de  l'enfant,  la  sécrétion  lactée  finit  par  s'établir 
régulièrement. 

A  Chio,  la  mère  ne  consent  jamais  à  laisser  prendre  le  sein  d'une 
étrangère  à  son  enfant  ;  elle  le  nourrit  elle-même,  et  si  le  lait  fait 
défaut,  l'enfant  sera  allaité  par  une  parente. 

Arabes   asiatiques  et.  algériens.    Egypte.    Maroc.  — 

Si  l'on  en  croyait  certains  auteurs,  les  anciens  Arabes  auraient  eu 
une  coutume  assez  singulière  :  le  jour  même  du  couronnement  du  nou- 
veau roi,  on  aurait  dressé  une  liste  de  toutes  les  femmes  enceintes 
de  huit  ou  neuf  mois  ;  elles  étaient  enfermées  dans  un  palais  et 
soigneusement  traitées  ;  l'enfant  de  celle  qui  accouchait  la  première, 
si  c'était  un  garçon,  était  dès  lors  désigné  comme  héritier  présomp- 


prononce  le  mot  femme,  on  s'empresse  d'ajouter  «  que  Dieu  vous  préserve  de  cette 
impureté  ».  Pour  le  Druse  aussi  c'est  une  inconvenance  de  dire  femme.  Aussi  en 
parlant  de  son  épouse,  il  dira  ma  maison.  Le  Syrien  chrétien  en  désignant  sa  femme 
dira  la  fille  de  mon  oncle,  et  le  Syrien  musulman  dira  Vhabitant  (le  la  maison.  Les 
Turcs  disent  les  enfants  lorsqu'il  s'agit  de  leurs  femmes.  Jamais  on  ne  peut  question- 
ner un  musulman  sur  l'état  de  santé  de  Madame,  c'est  commettre  une  inconvenance 
insigne.  » 

(1)  Le  Coran  dit  à  ce  sujet  :  «  Femmes,  la  loi  de  Dieu  vous  conseille  d'allaiter 
vos  enfants  pendant  deux  ansentiers.  Si  vous  vous  dispensez  d'allaiter,  Dieu  n'en  sera 
point  offensé,  pourvu  que  vous  soyez  exactes  à  payer  à  la  nourrice  son  juste  salaire.» 


MOEURS   ET   COUTUMES  569 

tif.  La  royauté,  disait-on,  ne  doit  pas  être  dévolue  à  une  seule 
famille  ;  elle  appartient  à  toute  la  nation.  11  nous  faudrait  de 
sérieuses  autorités  pour  nous  faire  accepter  le  fait. 

En  Asie,  les  femmes  Arabes,  suivant  le  docteur  Godard,  useraient 
d'une  pratique  bizarre  pour  ne  pas  avoir  d'enfants  ;  elles  passent  un 
chiffon  sur  la  sole  du  four  comme  pour  la  nettoyer.  Elles  expri- 
ment alors  le  chiffon  et  boivent  l'eau  qui  s'en  écoule.  Elles  n'ont  plus 
ensuite  ni  règles  ni  enfants.  Nous  conseillerions  de  ne  pas  trop  s'y 
fier.  Nous  n'aurions  pas  plus  de  confiance  dans  le  talisman,  le  hajeb, 
que  la  femme  arabe  porte  constamment  sur  la  tête  pour  ne  pas  avoir 
d'enfants.  Plus  pratique  est  le  procédé  de  la  femme  turque  qui,  pour 
prévenir  toute  conception,  s'introduit  dans  le  vagin  des  mèches 
imbibées  de  teinture  de  safran,  de  rue,  d'aloès,  ou  d'une  solution 
concentrée  d'alun.  Ces  corps  étrangers  agissent  à  la  façon  des  petites 
éponges  de  nos  coquettes  parisiennes,  mais  elles  donnent  lieu,  en 
raison  de  l'obstruction  incomplète  du  conduit  vaginal,  à  de  fréquentes 
déceptions. 

Nous  sommes  encore  chez  les  Arabes  asiatiques.  «  La  naissance 
d'un  enfant  arabe  d'une  certaine  classe,»  dit  F.  de  Grammont,  «  est 
fêtée  avec  beaucoup  de  solennité.  Les  réjouissances  se  prolongent 
pendant  sept  jours,  avec  plus  ou  moins  d'éclat,  suivant  le  sexe  de 
l'enfant.  Nous  n'avons  pas  besoin  d'expliquer  que  le  plus  est  tou- 
jours pour  le  sexe  masculin.  De  tous  les  peuples  barbares,  les  Géor- 
giens et  les  Circassiens  sont  les  seuls  qui  ne  regardent  pas  la  venue 
d'une  fille  comme  une  affliction,  parce  que  c'est  pour  eux  une 
denrée,  et,  comme  on  sait,  fort  lucrative. 

«  Quand  l'enfant  arabe  a  été  placé  dans  son  berceau,  on  met  sous 
sa  tête  du  sel  mêlé  avec  de  la  graisse  de  fenouil.  C'est  un  préser- 
vatif contre  les  maléfices  qui  sont,  en  toute  circonstance,  la  grande 
préoccupation  des  musulmans.  Une  femme  répand  ensuite  ce 
mélange  sur  le  sol,  en  prononçant  diverses  imprécations  contre 
le  méchant  et  l'infidèle,  et  souhaitant  que  ce  sel  puisse  les  aveugler; 
à  quoi  l'assislance  répond  :  «  Que  Dieu  et  son  prophète  Mahomet 
soient  avec  nous  !  » 

«  C'est  trois  ou  quatre  jours  après  sa  naissance  que  l'enfant  est  pro- 
clamé dans  le  harem,  en  présence  de  la  famille  et  des  femmes  amies 
de  la  mère.  Des  jeunes  filles  portent  sur  un  plateau  des  bougies  de 
couleurs  diverses  et  maintenues  par  des  morceaux  de  pâte  de  henné. 
On  sert  aux  personnes  présentes  des  gâteaux  de  miel  et  d'épices, 
des  noisettes  et  des  amandes  grillées  et  d'autres  friandises  de  ce 
genre.  On  fait  ensuite  circuler  un  plateau,  dans  lequel  chacune  des 


570  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

femmes  de  l'assemblée  dépose  successivement  son  offrande,  consis- 
tant d'ordinaire  en  un  mouchoir  brodé,  avec  une  pièce  d'or  nouée  à 
l'un  des  coins.  C'est,  comme  en  Russie,  à  charge  de  revanche. 
La  remise  de  ce  présent  est  accompagnée  de  souhaits  de 
bonheur,  à  l'adresse  de  l'enfant  et  de  sa  mère,  invariable- 
ment précédés  et  suivis  de  la  formule  religieuse  :  «  0  Dieu  !  protège 
notre  seigneur  Mahomet!  »  On  place  les  mouchoirs  sur  le  berceau 
du  nouveau-né.  Les  pièces  d'or  sont  destinées  à  orner  sa  coiffure 
pendant  ces  premières  années.  Il  est  d'usage  aussi  que  chaque  per- 
sonne fasse  un  cadeau  à  la  sage-femme  qui  a  présidé  à  l'accouche- 
ment. Pendant  que  ces  formalités  s'accomplissent  à  l'intérieur,  des 
danseurs  ou  des  danseuses  exécutent  des  pas  dans  la  cour  de  la 
maison.  Le  sixième  jour,  on  place  près  de  la  tête  de  l'enfant,  pendant 
qu'il  est  endormi  dans  son  berceau,  une  carafe  remplie  d'eau,  et  dont 
l'ouverture  est  recouverte  d'un  mouchoir  brodé.  La  sage-femme  offre 
un  verre  de  cette  eau  à  chacune  des  femmes  qui  viennent  visiter  l'ac- 
couchée, et  reçoit  en  retour  quelques  pièces  de  monnaie. 

«  Ainsi  que  chez  les  sauvages,  la  femme  est  regardée  comme 
impure  pendant  les  quarante  jours  qui  suivent  son  accouchement. 
Après  ce  temps  légal,  qui  est  appelé  nifa  par  les  Arabes,  elle  se 
rend  au  bain,  d'où  elle  revient  purifiée.  » 

Le  docteur  Goguel  fut  un  jour  appelé  à  donner  ses  soins  à  la 
femme  d'un  cheik  d'une  tribu  nomade,  sur  les  confins  de  la  Tunisie  ; 
il  remarqua  autour  de  la  tente  de  la  patiente  toutes  les  femmes  du 
douar  qui  poussaient  de  profonds  gémissements  à  chaque  douleur  de 
la  parturiente. 

Chez  les  indigènes  de  l'Algérie,  comme  d'ailleurs  dans  tout  l'Orient, 
quand  le  fœtus  a  franchi  la  vulve,  on  déchire  le  cordon  assez  près  de 
l'insertion  ombilicale.  D'après  le  capitaine  Villot,  une  des  accou- 
cheuses dispose  sur  ses  genoux  six  ou  huit  pièces  d'étoffe,  elle  étend 
le  nouveau-né  sur  cette  layette  et  procède  au  lavage,  qui  se  fait  avec 
de  l'huile  ou  du  beurre  fondu  mêlé  de  henné;  puis  elle  emmaillote 
l'enfant  et  le  coud  dans  son  maillot.  La  femme  se  couvre  l'abdomen 
avec  des  chiffons  de  laine  ;  dans  quelques  tribus,  avec  une  peau  de 
mouton.  On  ne  s'occupe  pas  le  moins  du  monde  de  la  sortie  du  délivre  ; 
elle  est  toujours  abandonnée  à  la  nature. 

Après  avoir  emmailloté  l'enfant,  la  matrone  le  prend  par  les  pieds 
et  le  tient  un  moment  suspendu  la  tête  en  bas.  «  Les  uns,  »  ajoute 
Villot,  «  prétendent  que  cette  opération  a  pour  effet  d'accélérer  le 
vomissement  des  matières  que  contient  l'estomac  de  l'enfant,  les 
autres  assurent  que  ce  procédé  est  employé  à  l'effet  d'obtenir  une 


MOEURS   ET   COUTUMES  571 

croissance  rapide.  Ensuite  la  matrone  enduit  le  palais  d'une  couche 
légère  de  henné,  pour  empêcher,  dit-on,  la  perforation  de  la  voûte 
palatine.  Elle  lave  une  seconde  fois  la  tête  avec  de  l'huile  ou  du 
beurre  fondu  mêlé  de  henné  ;  elle  lui  malaxe  la  tête  et  lui  pince  le 
nez  pour  lui  donner  une  forme  aquiline.  » 

Le  sein  est  présenté  à  l'enfant  arabe  aussitôt  après  sa  naissance. 
Les  femmes  arabes  nourrissent  elles-mêmes  leurs  enfants  ;  mais, 
les  fatigues  et  les  travaux  domestiques  les  empêchant  souvent 
de  les  alimenter  d'une  manière  régulière,  elle  chargent  tempo- 
rairement de  ce  soin  une  voisine  ou  une  amie;  l'enfant  ayant 
ainsi  sucé  le  lait  de  plusieurs  femmes  du  douar,  n'en  appartient 
que  plus  complètement  à  sa  tribu  (1).  «  La  durée  de  deux  ans 
et  deux  ou  trois  mois  est  le  temps  pendant  lequel  l'enfant  se 
nourrit  d'abord  exclusivement  de  lait  ;  à  cette  limite,  il  ne  peut 
pas  encore  s'en  passer  entièrement  (2).  »  Le  Docteur  E.  Ber- 
therand  pense  que  la  misère  et  les  privations  qui  pèsent  si  lour- 
dement sur  la  population  arabe,  expliquent  la  longue  durée  de 
l'allaitement.  Généralement,  pendant  le  jour,  les  petits  enfants 
sont  portés  au  dos  de  leurs  mères,  enveloppés  dans  de  grandes 
pièces  d'étoffes.  Ils  n'ont  point  de  berceaux  analogues  aux  nôtres. 
Dans  les  maisons  Kabyles  ou  Zibaniennes,  une  sorte  de  boîte  en  bois 
est  suspendue  au  plafond  parades  cordes  végétales  ;  chez  les  Nomades, 
on  les  couche  simplement  dans  un  haïk  dont  les  extrémités  sont  atta- 
chées aux  bâtons  de  la  tente.  D'ailleurs,  les  femmes  arabes  bercent 
très  peu  leurs  nourrissons. 

La  naissance  d'un  enfant  mâle  est  un  jour  de  fête  pour  la  famille, 
chez  les  Arabes,  et  pour  toute  la  tribu,  chez  les  Kabyles.  La  venue 
d'une  fille  semble  à  peine  remarquée.  Autrefois,  on  enterrait  vivantes 
les  enfants  du  sexe  féminin  ;  c'est  Mahomet  qui  abolit  ce  cruel  usage 
ainsi  que  celui  de  sacrifier  des  enfants  aux  idoles.  «  Nous  vous  avons 
délivrés,  dit  le  Koran,  de  la  famille  de  Pharaon,  qui  vous  infligeait  de 
cruels  supplices  ;  on  immolait  vos  enfants  et  l'on  n'épargnait  que  vos 
filles...  »  Si  l'on  se  rappelle,  ajoute  M.  Kasimirski  dans  la  traduction 
du  Koran,  «  que  les  Arabes  idolâtres  regardaient  comme  une  calamité 


(l)Une  coutume  analogue  s'observait  autrefois  sur  les  bords  de  la  mer  Caspienne: 
quand  le  prince  des  Cbaitakis  noirs,  appelé  Usmei  a  un  fils,  dit  Sue,  «on  l'envoie 
dans  tous  les  villages  pour  teter  cbaque  femme  qui  allaite  en  ce  moment  et  on 
continue  ainsi  jusqu'à  son  sevrage.  Par  là  les  habitants  se  croient  obligés  de  le 
défendre  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  leur  sang,  puisqu'ils  ont  eu  le  même  sein  que 
leurs  princes  ». 

(2)  Sidi  KMlil,  III,  10. 


572  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

la  naissance  d'une  fille,  on  avouera  qu'on  ne  pouvait  jeter  plus  de 
défaveur  sur  un  prince  idolâtre  et  impie  (dont  Pharaon  est  le  type) 
qu'en  insistant  sur  cette  espèce  de  préférence  donnée  aux  filles  sur 
les  garçons  ». 

Les  mœurs  obstétricales  de  nos  Arabes  d'Algérie  ont  été  curieuse- 
ment observées  et  décrites  par  le  Dr  E.  Bertherand.  Dans  le  Sud  et  à 
Biskra,  on  lui  a  assuré  le  fait,  les  matrones  brûlent  sous  le  nez  des 
femmes  en  couches  des  poils  pris  à  la  région  occipitale  du  lion  : 
«  L'odeur  de  cette  substance  est  tellement  infecte  que  les  nausées 
surviennent  aussitôt  avec  une  violence  qui  favorise  la  sortie  du  fœtus. 
Des  marabouts  profitent  largement  des  vertus  infaillibles  de  ce  re- 
mède, et  parcourent  les  tribus  avec  de  jeunes  lions  au  moyen  des- 
quels ils  exploitent,  avantageusement  pour  eux,  la  confiance  et  la 
crédulité  publiques.  »  Dans  certaines  tribus,  raconte  le  même  auteur, 
on  provoque  le  vomissement  en  présentant  brusquement  à  la  partu- 
riente  des  matières  fécales  et  des  substances  en  putréfaction.  Si  ces 
procédés  sont  inefficaces,  on  jette  du  fumier  de  vache  sur  des  char- 
bons ardents  et  on  expose  les  parties  génitales  au-dessus  des  vapeurs 
qui  s'en  dégagent.  La  femme  d'ailleurs  peut,  par  certaines  précau- 
tions antérieures,  faciliter  ses  couches,  quand,  instruite  par  le  passé, 
elle  pense  devoir  accoucher  avec  peine.  Elle  doit,  trois  jours  avant 
l'époque  de  la  parturition,  porter  dans  les  plis  de  son  haik  un  mé- 
lange d'huile  et  de  cendres  de  glands,  ou  bien  s'attacher  sur  l'une  des 
cuisses  une  pierre  à  fusil,  enveloppée  dans  un  chiffon,  soit  encore  sur 
la  cuisse  droite  son  propre  peigne  sur  lequel  on  aura  écrit  ces  mots  : 
«  Celui  dont  le  nom  est  véritable,  a  parlé  en  faveur  de  celui  qui  est 
dans  ton  ventre,  et  tout  sera  promptement  fini.  Salut  sur...  (ici  le 
nom  de  la  mère).  »  Quand  on  suppose  que  l'enfant  est  mortj  on  fera 
boire  à  la  mère  un  mélange  de  miel  et  de  lait  de  vache  bien  chaud, 
dans  lequel  on  aura  pulvérisé  du  vitriol  ;  ou  bien,  pendant  dix  jours 
entiers  et  cinq  fois  par  jour,  un  mélange  de  lait  et  de  sel.  Si  l'enfant 
n'est  pas  descendu  au  bout  de  dix  jours,  que  la  femme  boive  du  lait 
aigre  et  du  lait  doux  de  deux  vaches  mêlés  avec  du  vinaigre.  Le  fœtus 
persiste-t-il  à  séjourner  dans  la  matrice  ?  Rien  n'est  encore  déses- 
péré. On  a  le  lait  aigre  de  chienne  dans  lequel  on  a  pilé  de  la  pulpe 
de  coing,  et  l'on  fait  prendre  à  la  mère,  pendant  trois  jours,  une  dé- 
coction de  racines  d'asperges  et  de  racines  de  garance;  on  peut  rem- 
placer la  garance  par  de  la  farine  mouillée  dans  l'eau,  faire  cuire  et 
manger  pendant  trois  jours  cette  galette  à  la  racine  d'asperges,  tout 
en  l'arrosant  d'une  eau  dans  laquelle  on  aura  dissous  les  mots  sui- 
vants écrits  au  fond  d'un  plat,  d'une  assiette  :  «  Par  Dieu,  Djbrahil 


MOEURS   ET   COUTUMES  573 

(nom  d'un  ange)  !  par  Dieu,  mon  ange  (ici  le  nom  de  l'ange  de  la 
femme)  I  par  Dieu,  Srafd  (nom  d'un  ange)  !  par  Dieu,  Azratl  (nom 
d'un  ange)!  par  Dieu,  Mohammed  (le  Prophète)!  salut  sur  lui,  deux 
fois  salut!  c'est  lui  qui  ressuscite,  qui  par  sa  puissance  rappelle  en- 
core de  la  mort.  Il  a  dit  :  il  vivra,  celui  qu'elle  a  conçu  la  première 
fois,  il  l'a  dit,  si  elle  boit  pendant  trois  jours  la  couleur  mise  dans 
l'assiette.  »  Enfin  la  femme  pourra  demander  au  taleb  d'écrire  au  fond 
d'une  tasse  deux  mots  du  Koran,  puis  piler  elle-même  dans  la  tasse 
un  mélange  d'eau,  d'huile,  de  cumin,  de  rue  puante  et  de  raifort,  et 
avaler  le  tout  trois  jours  durant.  Alors  nécessairement,  le  fœtus 
se  décidera,  s'il  n'est  pas  complètement  mort,  à  sortir  sans  retard; 
s'il  est  mort,  il  sera  expulsé;  s'il  ne  tombe  pas,  c'est  que  la  femme 
n'est  pas  enceinte. 

La  jurisprudence  mahométane  applique  la  physiognomonie  à  la 
recherche  de  la  paternité  : 

«  Si  la  femme  d'un  individu  et  l'esclave  d'un  autre,  ou  la  femme  et 
l'esclave  du  même  individu  accouchent  ensemble  et  que  les  deux  enfants 
se  trouvent  ensuite  confondus,  on  s'en  rapporte  aux  physionomistes  [ka~ 
feh\  pluriel  de  kai'f)  pour  déterminer  la  filiation  ;  car  la  physiognomonie 
est une  science  vraie  et  positive.  On  s'en  rapporte  donc  au  jugement 
des  physionomistes  sur  la  ressemblance  de  l'enfant  avec  le  père,  si  le 
père  n'est  pas  enterré,  ou  si,  étant  inhumé,  il  était  parfaitement 
connu  d'eux.  Le  jugement  d'un  seul  physionomiste  suffit,  car  il  pro- 
nonce sur  une  similitude,  c'est-à-dire  sur  un  fait  saisissable  pour  tous. 
Si  l'enfant  est  mort-né,  il  n'y  a  plus  lieu  à  la  consultation  physiogno- 
monique;  la  science  ne  peut  rien  prononcer  sur  un  mort  qui  n'a  pas 
vécu  de  la  vie  ordinaire.  —  Si  deux  propriétaires  ont  copule  avec 
leur  esclave  communale  pendant  la  même  période  de  pureté  mens- 
truelle, et  si  cette  esclave  a  accouché  ensuite  à  un  intervalle  d'au 
moins  six  mois  à  partir  de  la  dernière  des  deux  copulations  et  que 
chacun  des  deux  associés  prétende  être  le  père  de  l'enfant,  on  a  re- 
cours aux  physionomistes,  lesquels  prononcent  alors  du  droit  de  pa- 
ternité en  faveur  de  tel  des  deux  prétendants.  Un  des  deux  meurt-il 
avant  que  l'on  ait  consulté  les  physionomistes,  et  a-t-il  été  parfaite- 
ment connu  d'eux,  la  déclaration  de  ceux-ci  a  la  même  valeur  que  s'il 
était  vivant.  » 

Au  contraire  de  notre  théologie,  la  loi  musulmane  défend  absolu- 
ment d'ouvrir  une  femme  enceinte  qui  vient  de  mourir,  lors  même, 
dit  le  moudaoueneh,  que  l'enfant  s'agiterait  encore  dans  le  sein  de  sa 
mère;  seulement,  on  n'enterrera  pas  la  mère  avant  que  le  fœtus  ne 
soit  mort.  Toutefois  il  y  a  désaccord  entre  les  légistes;  il  en  est  qui 


57'i  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

permettent  de  pratiquer  l'ouverture  au  niveau  des  hanches,  sur  le 
côté  gauche,  si  l'enfant  est  du  sexe  féminin  et,  sur  le  côté  droit,  si 
l'enfant  est  mâle.  Les  légistes  en  turban  se  chargent-ils  de  déterminer 
le  sexe? 

Dans  le  sud  algérien,  chez  les  M'zabites,  l'application  du  principe 
romain  :  Is  pater  est  quem  nuptiœ  démonstratif-,  a  lieu  même  pour 
des  naissances  survenues  quinze,  dix-huit  mois,  et  même  davantage 
après  le  départ  du  mari;  «  en  effet,  »  dit  C.  Amat,  «  il  est  admis  que 
l'enfant  peut  s'endormir  dans  le  sein  de  sa  mère  pour  ne  se  réveiller 
qu'au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins  long  ». 

En  Egypte,  dans  la  classe  riche,  l'accouchée  est  mise  au  lit  après 
sa  délivrance  et  y  reste  généralement  de  trois  à  six  jours;  les  femmes 
du  peuple  se  contentent  d'un  jour  ou  deux.  Quarante-huit  heures 
après  la  naissance,  la  sage-femme,  pour  fortifier  le  nouveau-né  et  lui 
enlever  le  mauvais  sang,  s'arme  d'un  rasoir,  comme  en  Turquie,  et 
pratique  sur  le  corps  du  petit  malheureux  une  série  d'entailles  en 
forme  de  croissant.  On  allaite  les  enfants  mâles  pendant  deux  ans  ; 
pour  les  filles,  toujours  sacrifiées,  un  an  suffit;  beaucoup  de  mères 
vont  jusqu'à  trois  ans  pour  les  garçons,  deux  ans  pour  les  filles. 
Quelques  enfants  tètent  plus  longtemps  encore;  il  y  en  a  qui  mar- 
chent et  qui  ne  sont  pas  encore  sevrés. 

On  emploie  deux  préparations  pour  narcotiser  les  enfants  trop 
criards.  Ce  sont  le  talhyzé,  composé  de  beurre  et  de  têtes  de  pavots, 
et  le  chamerch,  formé  de  bulbes  desséchées  de  colchique,  de  têtes  de 
pavot  et  de  beurre.  La  mère  prend  un  peu  de  ces  préparations  sur 
l'index,  et  le  passe  dans  la  bouche  de  l'enfant. 

En  Egypte  et  en  Arabie,  dans  la  société  musulmane,  on  circon- 
cit les  jeunes  filles,  vers  l'âge  de  sept  ans,  en  excisant  le  clitoris  (1)  avec 
des  ciseaux  ou  en  l'écrasant  avec  des  pinces,  comme  à  Mossoul. 
Quand  la  femme,  par  sa  situation  officielle,  a  été  obligée  de  se  sou- 
mettre aux  habitudes  européennes  qui  repoussent  celte  opération,  le 
mari  profite  du  premier  accouchement  pour  charger  la  sage-femme 
d'exciser  le  clitoris,  aussitôt  après  l'expulsion  du  fœtus. 

Au  Maroc,  nous  pouvons  signaler  un  usage  bizarre  :  «  On  va  cher- 
cher à  l'école,  »  dit  Gorre,  «  cinq  petits  garçons,  qu'on  envoie  courir 
par  les  rues  en  chantant  des  prières,  tenant  un  drap  aux  coins  du  quel 


(1)  Les  jeunes  filles  réclament  elles-mêmes  cette  opération  barbare,  parce  que 
les  hommes  pensent  qu'épouser  une  femme  qui  a  son  clitoris,  c'est  comme  si  l'on 
se  mariait  à  un  homme.  Le  clitoris  excisé  est  séché  avec  soin  et  réduit  en  poudre,  il 
jouit  chez  le  peuple  de  la  réputation  de  guérir  certaines  ophthalmies  I  (Dr  Zambaco.) 


MOEURS   ET   COUTUMES  575 

sont  attachés  quatreœufs  et  sur  lequel  les  grandes  personnes  crachent 
et  jettent  des  bouteilles  d'eau  au  milieu  du  drap  ».  Les  cérémonies 
qui,  dans  ce  pays,  accompagnent  les  circoncisions  des  enfants  mâles 
ne  sont  pas  moins  curieuses.  Ces  opérations  s'accomplissent  de  pré- 
férence le  Anouloud  (naissance  du  prophète)  ;  chaque  néophyte  se 
rend  à  la  mosquée  où  en  revient  avec  un  cortège  des  plus  pittoresques  : 
«  L'enfant,  dit  un  des  correspondants  du  Temps,  dont  l'âge  varie 
entre  deux  et  cinq  ans,  traverse  la  ville  juché  sur  un  cheval  ou  une 
mule,  harnaché  aussi  richement  que  possible;  les  membres  de  la  fa- 
mille l'entourent  et  le  soutiennent  tout  en  l'éventant  avec  des  foulards 
de  soie  :  en  avant  marchent  des  porte-bannières  et  l'inévitable  mu- 
sique arabe  qui,  quel  que  soit  le  nombre  des  exécutants,  se  compose 
invariablement  d'une  sorte  d'alto-clarinette  et  de  tambours.  La 
marche  est  ouverte  par  des  hommes  armés  de  fusils,  qui,  de  temps  à 
autre,  s'arrêtent  et  se  livrent  à  une  sorte  de  danse  guerrière  qui  ne 
manque  pas  de  caractère  et  qui  se  termine  par  une  décharge  géné- 
rale, après  laquelle  le  cortège  reprend  sa  marche  pour  faire  une 
nouvelle  halte  un  peu  plus  loin.  » 

Les  avortements  en  Orient.  —  En  règle  générale,  la  femme 
musulmane  n'aime  pas  à  avoir  d'enfants,  et  cela  pour  plusieurs  mo- 
tifs :  la  crainte  d'être  délaissée  pour  une  rivale  pendant  la  grossesse  et 
les  suites  de  couches  ;  celle  des  souffrances  de  l'accouchement  et  sur- 
tout celle  de  la  déformation  de  sa  taille  et  de  la  perte  de  ses  attraits. 
Pour  toutes  ces  raisons,  elle  cherche  à  éviter  la  conception  par  l'in- 
troduction de  la  mèche  et  par  les  autres  procédés  dont  nous  avons 
parlé,  et  si  ces  moyens  échouent,  elle  n'hésite  pas  à  se  faire  avorter^ 
souvent  au  péril  de  sa  vie.  Aussi  est-il  rare  de  voir  une  femme  mé- 
riter la  pension  accordée  par  le  gouvernement  à  toute  musulmane  qui 
accouche  de  trois  enfants,  lors  même  qu'ils  ne  vivraient  pas. 

La  loi  religieuse,  il  est  vrai,  défend  l'avortement,  mais  il  est  avec 
Mahomet  des  accommodements  et,  comme  la  jurisprudence  musul- 
mane reste  muette  pour  ce  genre  de  crime,  il  s'exerce  sur  une  grande 
échelle.  En  Turquie,  à  Constantinople  surtout,  la  sensualité  dans  es 
hautes  classes,  dans  les  basses  classes  la  misère,  tout  y  pousse 

«  Il  ne  se  passe  pas  de  semaines,  »  dit  le  Dr  Zambaco,  «  sans  qu'une 
dame  turque,  accompagnée  de  quelque  parente  à  elle  ou  de  son  mari, 
vienne  me  demander,  sans  périphrase  aucune,  un  moyen  pour  avorter  ; 
parfois  la  demande  est  faite  devant  le  mari  ou  par  lui-même,  allé- 
guant que  la  conception  est  de  quelques  semaines  seulement  et  que 
l'enfant  n'étant  pas  suffisamment  développé,  il  n'y  a  aucun  inconvé- 


576  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

nienl.  Le  préambule  est  parfois  curieux:  «  Je  me  suis  faite  avorter 
déjà,  docteur,  trois  ou  cinq  fois,  mais  c'était  par  des  sages-femmes 
ignorantes  qui  m'ont  fait  courir  des  dangers  ;  si  vous  vouliez  le  faire 
scientifiquement  il  n'y  en  aura  aucun.  » 

«  Autre  trait  de  mœurs  sur  le  même  sujet  :  Un  musulman  répu- 
die sa  femme  pour  une  raison  futile.  Le  père,  la  mère  et  la  jeune 
femme  viennent  me  consulter  pour  leur  fille  désolée  de  ce  divorce. 
Elle  était  enceinte  de  trois  mois  et  avait  un  enfant  de  trois  ans.  La 
mère  console  sa  fille  devant  moi  en  lui  disant  :  «  Je  te  remarierai;  » 
celle-ci  répète  :  «  Mais  je  suis  enceinte  !»  —  «  Ce  n'est  pas  cela  qui 
m'embarrasse,  »  répond  la  mère,  «  c'est  l'enfant  de  trois  ans  dont  je 
ne  pourrai  me  défaire,  c'est  là  l'obstacle  ». 

Le  cynisme  est  si  grand  que,  suivant  le  docteur  Pardo,  on  voyait 
encore,  il  y  a  quelques  années,  dans  une  pharmacie  de  Stamboul, 
un  fœtus  dans  un  bocal  qui  servait  d'enseigne  à  l'industrie  qu'on  y 
pratiquait.  D'ailleurs  l'exemple  vient  de  haut.  Jusqu'au  règne  du  sul- 
tan Medjid,  aucun  prince  n'a  eu  d'enfant  mâle.  «  Encore  en  décem- 
bre 1875,  »  dit  Ploss,  «  la  mère  du  sultan  Abdul-Asis,  donna  une 
ordonnance  dans  laquelle  elle  rappela,  à  tous  les  habitants  du 
palais  du  grand  Prince,  une  loi  qui,  dans  les  derniers  temps, 
semblait  avoir  été  oubliée  ;  chaque  fois  qu'une  femme  du  palais 
est  grosse,  on  doit  prendre  le  soin  de  la  faire  avorter.  Si  l'opé- 
ration ne  réussit  pas,  il  est  défendu,  à  la  naissance  de  l'enfant,  de 
lier  le  cordon  ombilical  :  quant  aux  enfants  qui  étaient  déjà  au  palais, 
ils  ne  pouvaient  pas  se  faire  voir.  Pour  l'exécution  de  cette  barbarie, 
il  existe  une  classe  de  mégères  connues  sous  le  nom  de  Kanlii  ebe 
«  sages-femmes  sanglantes  »,  qui  font  leur  métier  dans  les  palais  des 
riches  ». 

En  Turquie,  les  moyens  employés  pour  provoquer  l'avortement 
sont  nombreux.  D'abord,  on  se  sert  des  breuvages  préparés  avec  la 
rue  et  le  safran.  Sj  le  but  n'est  pas  atteint,  on  a  recours  aux  aiguilles 
à  tricoter,  à  de  petites  branches  de  lierre  que  l'on  introduit  dans  l'o- 
rifice du  col,  à  des  rameaux  de  balais  imprégnés  de  l'huile  empyreu- 
matique  qui  tapisse  les  pipes  à  tabac,  et  enfin  au  seigle  ergoté.  Les 
matrones  réussissent  après  quelques  tâtonnements  à  crever  l'œuf  par 
l'introduction  d'une  pointe  jusque  dans  l'utérus.  Les  femmes  le  font 
elles-mêmes  aussi,  lorsqu'elles  en  ont  acquis  l'expérience.  Il  est  vrai 
que  ces  manœuvres  occasionnent  des  inflammations  dangereuses  et 
souvent  mori  elles.  Mais,  chose  curieuse,  les  femmes  mêmes  dont  la 
vie  a  couru  les  plus  grands  dangers  n'hésitent  pas  à  recommencer  à 
la  première  occasion. 


MOEURS   ET   COUTUMES  577 

«  J'ai  vu,  »  ajoute  le  Dr  Zambaco,  «  des  femmes  qui  dégringolent  à 
dessein  les  escaliers  ;  d'autres  qui  se  serrent  l'abdomen  avec  de  larges 
plastrons  en  cuir  dur  qui,  comprimant  fortement  les  organes,  amène 
l'expulsion  du  fœtus.  » 

Une  autre  cause  fréquente  d'avortements,  c'est  l'habitude  qu'ont 
les  femmes  turques  de  s'introduire  l'index  jusqu'au  col  pour  faire  leur 
toilette  intime,  au  moment  des  ablutions  religieuses  précédant  la  prière 
qui  se  répète  cinq  fois  par  vingt-quatre  heures  ;  ces  attouchements 
répétés  du  col  provoquent  souvent  les  contractions  utérines  et,  par 
suite,  l'expulsion  du  produit  de  la  conception. 

Nos  algériennes  ne  sont  ni  plus  scrupuleuses,  ni  plus  prudentes. 
Leur  position  sociale  les  rendrait  peut-être  excusables.  «  En  effet,  » 
dit  le  docteur  Bertherand,  «  si,  d'un  côté,  elles  tardent  à  manifester 
l'aptitude  à  concevoir,  elles  ont  la  répudiation  en  perspective.  Si, 
d'autre  part,  elles  deviennent  enceintes,  elles  se  voient  spectatrices 
obligées,  pendant  de  longs  mois,  des  caresses  conjugales  adressées 
de  préférence  à  une  de  leurs  rivales  ;  entre  ces  deux  situations  elles 
ne  trouvent  qu'une  planche  de  salut,  l'avortement.  » 

Les  moyens  employés  sont  bizarres  :  le  docteur  Pengrueber  si- 
gnale l'inoculation  variolique,  mais  le  procédé  est  rare  ;  le  plus  sou- 
vent, ce  sont  des  breuvages  ;  suivant  Kocher,  le  verdetou  legarouont 
la  préférence.  Si  elles  en  réchappent  et  si  l'avortement  n'a  pas  eu 
lieu,  on  se  sert  du  moulin  portatif  en  pierre  (fig.  260)  que,  d'après  le 
capitaine  Devaux,  on  tourne  sur  le  ventre  de  la  patiente  jusqu'à  ce 
que  les  ébranlements  aient  déterminé  le  résultat  attendu.  «  Un  autre 
procédé  plus  efficace,  »  dit  le  docteur  H.  Galliot,  «  consiste  à  intro- 
duire dans  la  matrice  une  tige  de  bois  degarou  ou  de  queue  de  feuille 
de  mauve.  » 

En  Egypte,  les  temps  ont  changé  depuis  l'époque  où,  suivant  Dio- 
dorede  Sicile,  on  attachait  les  coupables  d'infanticide,  pendant  trois 
jours  et  trois  nuits,  au  corps  de  leur  victime  ;  aujourd'hui,  là,  comme 
dans  les  autres  pays  musulmans,  l'avortement  est  fort  en  usage  et  ne 
semble  pas  y  constituer  un  crime. 

Coutumes  persanes.  —  L'accouchement  d'une  Persane  est 
loin  de.se  passer  dans  la  plus  stricte  intimité.  Cette  scène  a  pour 
témoins  un  nombreux  personnel  féminin  s'occupant  à  lire  le  Coran 
et  à  brandir  des  sabres  pour  éloigner  le  Div  qui  porterait  malheur. 

L'avortement  est  fréquemment  pratiqué  en  Perse  par  les  sages- 
femmes  ;  elles  opèrent  la  rupture  des  membranes  avec  un  crochet. 
«  Les  femmes  mariées,»  raconte  le  Dr  Polak,  «  ne  le  font  guère  que 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS.  37 


578  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

poussées  par  la  jalousie,  car  leur  religion  leur  défend  toute  cohabi- 
tation avec  leur  mari  pendant  la  gestation.  Quant  aux  grossesses 
illégitimes,  elles  se  terminent  presque  toujours  par  l'avortement,  ce 
qui  s'explique,  si  l'on  considère  que  les  accouchements  en  dehors  du 
mariage  sont  punis  de  mort.  » 

L'avortement  aux  Indes.  —  Dans  les  Indes,  c'est  aussi  la 
rigueur  des  lois  contre  l'adultère  et  contre  les  grossesses  illégitimes 
qui  a  rendu  communes  les  pratiques  abortives.  Ajoutez  à  cette  cause 
le  célibat  forcé  que  le  bouddhisme  impose  à  bon  nombre  de  jeunes 
veuves,  dont  quelques-unes,  étant  données  les  coutumes  locales,  sont 
vierges  encore.  Les  peines  les  plus  sévères  attendent  celles  qui 
transgressent  les  lois  de  la  chasteté  à  laquelle  on  les  force  ;  elles  ont 
dès  lors  recours  aux  mainates  ou  femmes  de  blanchisseurs  ;  celles-ci 
provoquent  l'expulsion  du  fœtus,  soit  à  l'aide  du  cumin  noir,  comme 
à  Karikal,  soit  par  d'autres  procédés  plus  redoutables,  en  introdui- 
sant, par  exemple,  dans  l'utérus  un  jonc  taillé  en  pointe.  La  tige  de 
lall-chitra,  enduite  ou  non  de  substances  irritantes,  paraît  être  le 
moyen  abortif  le  plus  habituellement  employé  aux  Indes  anglaises. 
Les  matrones  se  contentent  de  procurer  cette  tige  à  la  femme  qui 
pratique  sur  elle-même  l'opération,  ou  se  confie  aux  soins  de  ses 
amies  ou  de  son  amant;  "souvent  la  mort  arrive  par  perforation  du 
péritoine.  A  ces  différentes  manœuvres,  joignez  les  sortilèges  et 
autres  moyens  ridicules  par  lesquels  les  femmes  cherchent  à  prévenir 
la  conception,  en  portant  certains  anneaux,  en  avalant  de  l'urine  de 
bélier,  du  sang  de  lièvre,  etc.  Suivant  C.  Hoberland,  les  Mundas, 
dans  l'Inde  orientale,  seraient  moins  naïfs;  ils  chercheraient  à  pré- 
venir la  conception  par  des  déplacements  et  des  pressions  de  la 
matrice,  bien  qu'ils  disent  que  le  ventre  maternel  de  Singbongas, 
leur  principal  dieu,  est  le  symbole  de  la  fécondité  et  de  la  culture,  et 
qu'on  ne  doive  pas  déranger  son  œuvre. 

A  l'éloge  des  lois  de  Manou,  nous  devons  reconnaître  qu'elles 
condamnent  formellement  toutes  ces  abominables  pratiques;  elles 
retirent  aux  femmes  coupables  d'avortement  l'ablution  d'eau,  lors  de 
leur  enterrement  ;  elles  défendent  d'accepter  de  la  nourriture  d'un 
homme  qui  a  causé  la  mort  d'un  fœtus,  de  manger  d'un  mets  souillé 
par  son  regard  ;  ce  serait  partager  son  crime.  Si  les  parents  sont  de  la 
caste  sacerdotale,  l'expiation  pour  le  coupable  est  la  même  que  s'il 
avait  tué  un  brahme. 

Signalons  une  pratique  brutale  et  inutile,  généralement  adoptée  par 
les  sages-femmes  hindoues  pour  faciliter  l'accouchement  ;  elles  intro- 


MOEURS    ET    COUTUMES 


570 


duisent  les  deux  poings  fermés  dans  l'orifice  vulvaire  et  les  maintien- 
nent ainsi  jusqu'à  l'expulsion  du  fœtus. 

Un  peuple  philosophe.  —  Si  l'on  en  croit  Barchou  de 
Penhoën  (1),  les  Ghauts,  tribu  de  l'Inde,  donneraient  à  leurs  nou- 
veau-nés une  véritable  leçon  de  philosophie  pratique.  A  peine  nés, 


Fig  401.  —  Présentation  du  sein  au  nouveau -né,  chez  les  Banians,  d'après  Picard. 

leurs  enfants  sont  habitués  à  la  dure  vie  qu'ils  doivent  mener.  Dès 
le  lendemain  de  leurs  couches,  obligées  de  se  mettre  à  la  recherche 


(1)  Histoire  de  la  fondation  de  Venipire  anglais  dam  Vlndc. 


580  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


de  leur  nourriture,  les  femmes,  avant  de  s'éloigner  de  leurs  nou- 
veau-nés, commencent  par  les  allaiter  :  elles  creusent  ensuite  en 
terre  un  trou  qu'elles  garnissent  de  feuilles  de  teck,  feuilles  si  rudes, 
si  revêtues  d'aspérités,  qu'elles  enlèvent  1  epiderme  et  font  couler  le 
sang  pour  peu  qu'on  les  manie  sans  précaution.  Or,  c'est  sur  cette 
couche  que,  jusqu'au  retour  de  la  mère,  c'est-à-dire  jusqu'au  soir, 
est  déposé  le  petit  être  humain  qui  vient  de  naître  à  la  vie  et  à  la 
douleur.  Dès  le  cinquième  ou  le  sixième  jour  de  sa  naissance,  on  l'ha- 
bitue à  prendre  des  aliments  solides,  à  se  laisser  laver  tous  les  malins 
dans  la  rosée  glacée  qui  baigne  les  plantes.  Il  est  ainsi  abandonné 
tous  les  jours,  seul  et  nu,  exposé  au  soleil,  au  vent  et  à  la  pluie,  jus- 
qu'à ce  qu'il  soit  en  état  de  marcher. 

Mœurs  des  Banians.  —  Parmi  les  Hindous,  les  Banians  ou 
Vaïcias  forment,  nous  le  savons,  une  caste  de  marchands  et  de  culti- 
vateurs. Chez  eux,  à  la  naissance  d'un  enfant,  la  mère  présente  le 
sein  au  nouveau-né  (fig.  401);  s'il  refuse  de  le  prendre,  il  est  exposé, 
et,  si  ce  refus  persiste  pendant  trois  jours,  il  est  jeté  dans  le  Gange. 
Notez  que  ces  pieux  personnages  se  feraient  scrupule  de  manger  un 
poulet. 

Les  Banians  imposent  le  nom  à  leurs  enfants  dix  jou»s  après  la 
naissance.  Un  de  leurs  brahmes  étale  sur  une  nappe  une  certaine 
quantité  de  riz;  sur  ce  riz,  on  met  le  nouveau-né.  Une  douzaine  d'au- 
tres enfants  prennent  chacun  un  bout  de  cette  nappe,  la  secouent  de 
toutes  leurs  forces,  et  font  sauter  en  même  temps  l'enfant  et  le  riz  sur 
lequel  il  est  couché.  Après  cette  cérémonie  ridicule,  la  sœur  du  nou- 
veau-né, s'il  en  a  une,  lui  donne  le  nom  qu'elle  juge  à  propos  de  choi- 
sir (fig.  402). 

Chez  les  adorateurs  du  feu.  —  On  sait  que,  dans  la  Perse  et 
dans  l'Hindoustan,  les  Guèbres  ou  Parsis,  sectateurs  de  Zoroastre, 
ont  gardé  précieusement  ses  livres  :  ils  observent  encore  pour  les 
accouchements  les  prescriptions  contenues  dans  le  Boundehec  :  c'est 
ainsi  qu'on  appelle  la  deuxième  partie  du  Zend-Avesta,  rédigée  en 
pehlvi. 

Lorsqu'une  femme  doit  accoucher,  elle  est  placée  sur  un  lit  de  fer  ; 
parce  que  les  métaux  souillés  se  lavent  et  qu'un  lit  de  bois  ne  pourrait 
plus  servir.  Il  doit  y  avoir  dix  femmes  ou  au  moins  cinq  dans  sa  cham- 
bre. Leur  office,  selon  le  recueil  pehlvi,  est  de  préparer  ce  qui  est  néces- 
saire pour  l'enfant,  de  secourir  la  mère  et  de  faire  les  fonctions  de  sage- 
femme. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


581 


Pendant  trois  jours  et  trois  nuits,  on  allume  dans  cette  chambre  un 
^rand  feu  pour  éloigner  les  démons  corrupteurs  ;  on  doit  aussi  en  inter- 


dire l'approche  aux  pêcheurs.  Quand  le  travail  commence,  le  prêtre  ou 
mobed  récite  des  prières  pour  la  femme  ;  une  fois  que  celle-ci  est  déli- 
vrée, elle  se  lave  et  lorsqu'elle  ne  se  ressent  plus  de  ses  couches,  elle 


582  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


s'acquilte  de  trente  ablutions  prescrites  par  la  loi.  Elle  passe  ainsi 
quarante  jours  séparée  du  commerce  des  hommes,  et  son  mari  ne  peut 
la  voir  qu'au  bout  de  ce  temps. 

Nous  avons  déjà  exposé  les  obligations  imposées  aux  femmes  en 
couches  par  le  Sad-der.  Voici,  d'après  Anquetil  Duperron,  les  usages 
suivis  par  les  Parsis  à  l'égard  des  femmes  qui  se  blessent  :  «  Lors- 
qu'une femme  est  grosse  de  quatre  mois  dix  jours,  son  mari  ne  doit 
plus  la  voir.  C'est  alors  que  l'enfant  est  formé,  et  que  l'âme  est  unie  au 
corps;  et  si  en  la  voyant  il  blesse  l'enfant,  c'est  un  crime  qui  mérite 
la  mort.  Celle  qui  est  accouchée  d'un  enfant  mort,  ne  peut  prendre 
jusqu'au  quatrième  jour  ni  eau  ni  sel;  elle  mange  seulement  des  fruits 
secs,  du  pain  fait  sans  eau  et  de  la  viande  cuite  sans  sel  que  lui  pré- 
sentent deux  personnes  unies  l'une  à  l'autre  par  le  kosti.  Le  quatrième 
du  jour,  on  lui  donne  de  l'urine  avec  laquelle  elle  lave  son  corps  et  ses 
vêtements,  ensuite  deux  mobeds  unis  comme  par  le  baraschnom  (le 
baraschnom  est  la  purification  la  plus  efficace  des  Parses)  lui  présen- 
tent du  nereng,  mêlé  de  cendre;  elle  le  boit  et  prononce  ensuite 
les  prières  ordonnées.  Cette  femme  passe  de  cette  manière  quarante 
et  un  jours,  séparée  du  monde.  Ce  terme  expiré,  si  son  état  le  lui  per- 
met, elle  se  lave  trois  fois  avec  du  nereng,  fait  ensuite  le  baraschnom 
no  schalé,  et  met  un  vêtement  propre  :  mais  elle  ne  rentre  dans  la 
société  que  lorsqu'elle  est  entièrement  délivrée  des  suites  de  ses  cou- 
ches. »  Suivant  les  lois  de  Manou,  une  femme  qui  a  fait  une  fausse 
couche  était  purifiée  en  autant  de  nuits  qu'il  s'était  écoulés  de  mois 
depuis  la  conception. 

Chez  les  Parsis,  la  femme  qui  meurt  pendant  sa  grossesse  est  portée 
par  quatre  hommes,  au  lieu  de  deux  qui  conduisent  ordinairement  les 
autres  personnes  à  leur  dernière  demeure;  c'est  qu'ils  considèrent  une 
femme  enceinte  comme  un  être  double. 

L'abbé  J.-A.  Dubois  nous  donne  d'intéressants  détails  sur  les  céré- 
monies qui  suivent  l'accouchement  des  femmes  chez  les  peuples  de 
l'Inde.  «  Lorsqu'une  brahmady  ressent  les  douleurs  de  l'enfantement, 
son  mari  doit  se  trouver  auprès  d'elle  et  être  attentif  à  noter  le  quan- 
tième du  mois,  le  jour,  l'étoile  du  jour,  le  youga,  le  carna,  l'heure  et 
le  moment  où  l'enfant  vient  au  monde  ;  et  pour  ne  rien  oublier  de  tout 
cela,  il  le  met  par  écrit. 

«  La  maison  où  accouche  une  femme  et  tous  ceux  qui  l'habitent  sont 
souillés  pour  dix  jours  :  avant  ce  terme,  ils  ne  peuvent  communiquer 
avec  personne.  Le  onzième  jour,  on  donne  au  blanchisseur  tous  les 
linges  et  vêtements  qui  ont  servi,  durant  cette  période,  et  la  maison 
est  purifiée  par  des  femmes  qui  y  emploient  deux  choses  principales, 


MOEURS   ET   COUTUMES  583 

la  fiente  de  vache  et  l'herbe  darba.  Avec  la  première,  délayée  dans 
l'eau,  elles  composent  un  enduit  dont  elles  appliquent  avec  la  main 
une  couche  sur  le  parquet,  en  décrivant  avec  leurs  doigts  des  zig- 
zags ou  d'autres  figures  ;  elles  tracent  par-dessus  de  larges  zones 
blanches  et  rouges  alternativement  ;  elles  y  répandent  ensuite  de 
l'herbe  darba  ;  cela  fait,  le  sol  se  trouve  parfaitement  pur. 

«  On  fait  ensuite  venir  un  brahmepourohita(l).  L'accouchée,  tenant 
son  enfant  dans  les  bras  et  ayant  à  côté  d'elle  son  mari,  va  s'asseoir 
sur  une  espèce  d'estrade  en  terre,  dressée  au  milieu  de  la  maison,  et 
couverte  d'une  toile.  Le  pourohita  s'approche  d'eux,  fait  le  san- 
calpa  (2),  offre  le  poudja  (3)  au  dieu  Vignessaoura,  et  fait  lepounia- 
avatchana  ou  la  consécration  d'eau  lustrale.  Il  verse  un  peu- de 
cette  eau  dans  le  creux  de  la  main  du  père  et  de  la  mère  de  l'enfant, 
qui  en  boivent  une  partie  et  répandent  l'autre  sur  leur  tête.  11  asperge 
avec  cette  même  eau  la  maison  et  tous  ceux  qui  l'habitent,  puis  va 
jeter  dans  le  puits  ce  qui  en  reste.  Enfin  on  donne  au  pourohita  du 
bétel  et  quelque  présent,  et  il  se  retire. 

«  Par  cette  cérémonie,  qui  se  nomme  djatta-carma,  toute  trace 
de  souillure  disparaît  :  mais  l'accouchée  ne  recouvre  son  état  parfait 
de  pureté  qu'au  bout  du  mois  ;  jusque-là  elle  doit  vivre  dans  un  lieu 
isolé  et  n'avoir  de  communication  avec  personne  (4).  » 

Voyage  en  Chine.  —  La  Chinoise  en  quête  de  progéniture  s'a- 
dresse à  la  déesse  Tse-souen-niang-niang  (fig.  403).  Elle  vient,  ra- 
conte Fellmann,  déposer  à  ses  pieds  une  petite  poupée  en  carton, 
représentant  un  enfant  nouveau-né,  du  sexe  masculin  ou  féminin, 
suivant  qu'elle  désire  un  garçon  ou  une  fille.  A  la  droite  de  la  déesse, 
se  tient  son  serviteur  Song-tchen-lang-chun,  tout  courbé  sous  le  poids 
de  ces  petites  poupées  de  carton.  Une  fois  ses  vœux  exaucés,  l'accou- 
chée se  rend  à  la  pagode  faire  les  sacrifices  d'usage  à  la  déesse,  sans 
oublier,  naturellement,  les  aumônes  aux  bonzes. 

Pendant  sa  grossesse,  la  Chinoise  se  préoccupe,  en  outre,  de  s'as- 


(1)  Prêtres  officiant  dans  les  cérémonies  publiques  ou  particulières.  D. 

(2)  Sorte  de  préparation  mentale  qui  doit  précéder  tous  les  actes  religieux  des 
brahmes.  D. 

(3)  Différentes  offrandes  faites  à  la  divinité,  suivant  l'importance  du  sacrifice.  D. 
(•1)  Cet  usage  a  beaucoup  de  ressemblance  avec  celui  des  femmes  juives  dans  les 

mêmes  circonstances  (Léo.  c.  12);  cependant  les  Hindous  ne  font  pas  attention, 
ainsi  que  le  voulaient  les  Israélites,  à  la  différence  du  sexe,  par  rapport  au  temps 
de  la  souillure  de  la  mère  ;'  la  durée  en  est  la  même,  qu'elle  accouche  d'un  garçon 
ou  d'une  fille.  D. 


58-^ 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


surer  de  la  protection  des  Ancêtres;  aussi  leur  prodigue- t-elle  l'invo- 


Fig.  103.  —  La  déesse  Tse-souen-niang-niang,  d'après  Felhuann. 


cation  suivante  :  «  Une  telle  doit  accoucher  bientôt;  elle  vient  vous  en 


MOEURS  ET    COUTUMES  585 

rendre  compte.  0  nobles  esprits,  nous  vous  prions  de  l'aider  et  de  lui 
donner  un  heureux  accouchement!  »  Mais  qu'elle  s'abstienne  de  man- 
ger des  tourterelles  ou  du  canard;  malgré  toute  la  bonne  volonté  des 
Ancêtres,  l'enfant  serait  muet;  qu'elle  s'abstienne  de  lapin,  il  aurait 
un  bec-de-lièvre! 

Au  moment  du  travail,  tout  homme,  même  le  mari,  est  exclu  de  la 
chambre,  comme  en  Angleterre.  On  fait  des  inhalations  de  vapeur 
afin  d'empêcher  le  refroidissement  de  l'accouchée;  car  c'est  là,  pour 
la  médecine  de  l'extrême  Orient,  la  cause  de  toutes  les  maladies  à  la 
suite  de  couches  :  survienne  une  péritonite,  et  elle  vous  affirmera 
gravement  que  la  femme  n'a  pas  été  assez  cuite.  Voici,  d'après  Hu- 
reau  de  Villeneuve,  la  manière  de  pratiquer  ces  fumigations.  Sur  une 
brique  chauffée  dans  .un  foyer  voisin,  on  verse  de  l'eau  pure  ou 
chargée  d'essences  aromatiques  et  l'on  forme  ainsi,  autour  de  la 
femme,  une  atmosphère  de  vapeur  que  plusieurs  feux  allumés  entre- 


wtmmjsmam 


Fie.  404.  —  Aiguille  et  maillet  servant  à  l'acupuncture,  d'après  Dujardin. 

tiennent  chaude.  Le  costume  se  composant  d'une  sorte  de  camisole  et 
d'une  jupe  fendue  par  devant,  permet  à  la  parturiente  de  rester  pres- 
que complètement  vêtue.  Dabry  raconte  de  plus  que,  pour  activer  le 
travail,  on  lui  fait  boire  une  décoction  de  cheveux  d'homme.,  préala- 
blement torréfiés  et  pulvérisés;  la  délivrance  se  faisant  encore  at- 
tendre, on  administre  un  peu  de  vin  et  de  l'urine  d'enfant.  En  déses- 
poir de  cause,  la  sage-femme  extrait  l'enfant,  Fo  sait  en  quel  état, 
avec  un  crochet  de  fer  à  deux  branches.  La  section  du  cordon  se  fait 
par  les  mains  de  l'accoucheuse  qui  lie  cet  organe  avec  un  fort  fil  en 
coton.  «  Quand  la  délivrance  est  difficile,  »  dit  le  Tat-Shang-Pin, 
«  il  faut  attacher  au  cordon  un  fil  de  chanvre  auquel  on  suspend  un 
poids  pour  l'empêcher  de  remonter,  et,  au  bout  de  trois  à  cinq  jours, 
le  placenta  se  ratatine.  »  C'est  un  peu  trop  prendre  à  la  lettre  le  pré- 
cepte de  Pajot  pour  la  délivrance,  tendre  et  attendre.  Une  autre  par- 
ticularité des  pratiques  obstétricales  chinoises,  c'est  le  cong-fou.  On 
appelle  ainsi  une  sorte  d'hypnotisme  obtenu  par  des  attouchements 


586  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

légers  sur  les  parties  dont  on  veut  obtenir  l'insensibilité;  la  patiente 
doit  être  immobile,  le  regard  fixé  sur  un  objet  déterminé.  «  Les  sages- 
femmes,  »  dit  Hureau  de  Villeneuve,  «  ne  se  contentent  donc  pas, 
comme  chez  nous,  de  frictionner  l'abdomen  avec  la  main,  elles  tou- 
chent aussi  les  aines,  les  lombes,  les  hypochondres  et  la  région  dia- 
phragmatique.  Grâce  à  ces  attouchements,  tantôt  réguliers,  tantôt 
inattendus,  accompagnés  de  respirations  faites  par  la  patiente  au 
commandement  et  en  mesure,  on  prétend  que  les  femmes  chinoises 
n'éprouvent  que  très  peu  de  douleurs  en  accouchant  »  (1). 

L'accouchement  a  lieu  sur  un  baquet  retourné;  le  Tat-Shang-Pin 
conseille  à  la  femme  de  se  mettre  sur  le  ventre,  mais  seulement  au 
moment  où  la  tête  apparaît;  l'enfant  ayant  alors  effectué  sa  culbute, 
il  n'y  a  plus  crainte  de  présentation  vicieuse. 

Après  la  délivrance,  la  femme  est  mise  au  lit,  la  tête  appuyée  sur 
une  planche,  le  bassin  élevé,  les  jambes  fléchies;  elle  ne  doit  ni  se 
mettre  sur  le  côté  ni  dormir.  Pour  faciliter  la  sortie  des  lochies,  on 
lui  fait  avaler  plusieurs  tasses  d'un  grog  odieux,  composé  de  chao- 
tsiou,  eau-de-vie  de  sorgho,  mélangé  avec  de  l'urine  d'enfant.  Puis 
on  brûle  du  vinaigre  dans  la  chambre  et,  en  cas  de  défaillance,  on  en 
fait  respirer  à  la  nouvelle  accouchée. 

Celle-ci  doit  rester  trois  jours  au  lit  et,  pendant  ce  temps,  pour  ne 
pas  se  fatiguer  l'estomac,  elle  ne  prend  que  du  millet  et  du  bouillon 
de  poulet;  les  œufs  et  la  viande  de  porc  «  pouvant  occasionner  une 
obstruction  de  vaisseaux  »  sont  interdits  pendant  un  mois.  Les  Chi- 
nois ont  une  supériorité  sur  certains  occidentaux  :  au  lieu  de  ces  vi- 
sites interminables,  de  ces  caquetages  sans  fin,  ils  recommandent  le 
plus  grand  calme  à  la  jeune  mère  ;  on  peut  venir  la  visiter,  mais  il 
faut  s'abstenir  de  tout  bruit;  la  politesse  défend,  en  outre,  de  se  grat- 
ter la  langue  et  de  demander  si  l'enfant  est  un  garçon  ou  une  fille. 
Injonction  expresse  est  faite  à  l'accouchée  de  ne  faire  aucuns  frais  de 
toilette  pour  ses  visiteurs  :  pendant  douze  jours,  elle  ne  doit  se  pei- 
gner ni  se  laver. 

L'allaitement  commence  trois  ou  quatre  jours  après  l'enfantement, 
dès  que  la  mère  se  lève.  Sa  première  sortie  ne  peut  avoir  lieu  qu'au 
bout  de  deux  mois  ;  elle  se  rend  tout  d'abord  à  la  pagode  des  Ancê- 
tres, pour  leur  présenter  son  enfant  et  les  remercier  de  leur  protection 

(1)  Dans  les  indispositions  des  femmes  enceintes,  médecins  et  sages-femmes 
usent  volontiers  de  l'acupuncture.  Ils  enfoncent  leurs  aiguilles,  appelées  tchang- 
tchin  (fig.  404),  longues  de  0,22  cent,  à  pointe  très  acérée,  dans  la  partie  doulou- 
reuse, même  dans  l'utérus,  et  lorsque  le  fœtus  est  trop  agité,  ils  le  calment  avec 
quelques  piqûres. 


MOEURS   ET   COUTUMES  587 

pendant  ses  couches.  L'enfant  est  ordinairement  porté  sur  le  dos  de  sa 
mère  (fîg.  405).  Son  habillement  est  des  plus  simples  :  l'été,  le  petit 
Chinois  est  presque  nu;  l'hiver,  il  est  enveloppé  dans  une  couverture 
ouatée.  Quant  aux  soins  de  propreté,  ils  sont  presque  nuls,  au  grand 
préjudice  de  la  santé  de  l'enfant. 

En  Chine,  on  ne  connaît  ni  les  nourrices,  ni  les  biberons;  l'allaite- 


y 


Fie  405.  —  Chinoise  portant  son  enfant. 

ment  maternel  est  seul  pratiqué,  mais  il  dure  trop  longtemps,  et  l'en- 
fant n'en  retire  que  peu  de  bénéfice. 

Après  le  sevrage,  surtout  dans  la  bourgeoisie,  on  comprime  les 
pieds  des  petites  filles  avec  des  bandelettes  huilées,  pour  les  réduire 
à  l'état  de  moignons  informes  qui  rendent  plus  tard  la  marche  extrê- 
mement difficile  ;  elles  s'avancent  en  sautillant  et  étendent  les  bras  en 
guise  de  balanciers.  C'est,  paraît-il,  une  garantie  de  fidélité  pour  les 
fils  du  ciel,  dont  la  jalousie  est  proverbiale  ;  ils  empêchent  ainsi  leur 
femme  de  «  courir  ». 

Par  contre,  cette  vie  sédendaire  pousse  les  Chinoises  aux  plaisirs 
solitaires;  elles  s'y  livrent  avec  fureur.  Pour  satisfaire  leur  passion, 
elles  emploient  le  harikala,  instrument  qui  rappelle  le  classique  olis- 


588  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

bos  des  Milésiennes.  C'est  un  phallus  en  cuir  doux  ou  en  corne  mince, 
rempli  de  coton,  auquel  les  dames  à  petits  pieds  donnent  amicale- 
ment le  surnom  de  ta-siang-koeng  (grand  seigneur).  Quelques-unes, 
plus  raffinées,  ont  recours  à  Y ikiridama  rinnotama,  autrement  dit 
au  hérisson.  Sans  insister  sur  ces  détails  scabreux,  nous  remarque- 
rons que  ces  détestables  pratiques  produisent  nécessairement  de 
fréquentes  fausses  couches  chez  les  femmes  enceintes. 

Quant  aux  avortements  volontaires,  il  ne  faudrait  rien  exagérer  : 
«  A  Pékin  »,  dit  Morache  (1),  «  ils  se  font  sur  une  vaste  échelle;  les 
substances  abortives  en  vogue  sont  publiquement  affichées,  à  côté 
des  aphrodisiaques,  sous  le  nom  de  remèdes  pour  faire  dégager  le 
ventre,  rendre  la  virginité.  L'avortement  est  surtout  pratiqué  pour 
cacher  des  liaisons  adultères,  incestueuses  ou  irrégulières  ;  il  est 
commun  parmi  les  veuves,  que  la  loi  oblige  à  une  éternelle  chasteté.  » 
Suivant  le  docteur  Ernest  Martin  (2),  dans  la  capitale  de  la  Chine  et 
dans  les  autres  grandes  villes,  les  murailles  seraient  couvertes  de  pe- 
tites annonces  indiquant  des  drogues  infaillibles  pour  provoquer  l'is- 
sue difficile  du  sang  menstruel;  en  réalité,  ces  prétendus  emména- 
gogues  ne  sont  que  des  abortifs.  De  tels  placards  s'étalent  en  toute 
liberté,  et  si  les  mandarins  se  livrent  à  quelque  enquête,  ils  la  font 
porter  moins  sur  le  crime  d'avortement  en  lui-même,  que  sur  le  fait 
de  relations  illicites. 

Le  Si-Yen-lu,  étudié  par  le  Dr  Ernest  Martin,  renferme  cependant 
un  certain  nombre  de  procédés  pour  reconnaître  ravortement.  Sans 
avoir  rien  de  scientifique,  ils  n'en  sont  pas  moins  curieux  :  «  Pour 
voir  si,  dans  une  autopsie  de  femme  ayant  succombé  à  un  avorte- 
ment,  un  breuvage  en  a  été  la  cause,  on  introduit  dans  les  voies  géni- 
tales une  certaine  quantité  de  mercure  ;  si  cette  substance  se  ternit, 
il  faut  penser  à  des  manœuvres  abortives.  Quand  les  magistrats  qui 
ont  des  soupçons,  pensent  qu'il  s'agit  bien  d'un  avortement,  la  sage- 
femme  est  appelée,  elle  s'informe  avec  soin  de  l'époque  à  laquelle 
remonte  la  grossesse.  Elle  voit  si  la  forme  est  celle  d'un  fœtus  ou 
bien  d'un  caillot  de  sang  ;  ce  dernier  se  décompose  et,  après  un  cer- 
tain temps,  il  devient  une  masse  qui  exhale  une  mauvaise  odeur; 
dans  ce  cas,  on  a  affaire  à  un  avortement   criminel  (3).  Si  l'entrée 


(1)  Pékin  et  ses  habitants. 

(2)  Exposé  des  principaux  passages  contenus  dans  le  Si-yen-lu. 

(3)  On  examine  la  forme  du  fœtus  en  le  comparant  aux  états  suivants 
1°  Après  un  mois,  le  fœtus  ressemble  à  une  goutte  d'eau. 

2*  Après  le  2e  mois,  il  est  comparable  à  une  fleur  de  pêcher. 
3°  Après  le  3e  mois,  le  sexe  peut  être  discerné. 


MOEURS   ET   COUTUMES  589 

des  parties  est  obstruée  par  un  amas  de  sang  qui  donne  une  mau- 
vaise odeur,  on  voit  si  la  mort  de  la  femme  vient  de  la  non-expulsion 
du  fœtus,  ou  si  elle  est  causée  par  une  drogue  abortive.  Le  magistrat 
commis  à  cette  enquête  devra  noter  avec  soin  toutes  les  circonstances 
relatives  au  fait.  Il  existe  une  méthode  d'investigation  qui  consiste  à 
se  servir  d'une  aiguillle  d'argent  servant  à  la  coiffure  des  femmes  ; 
on  l'introduit  dans  les  parties  ;  si  elle  se  ternit,  on  présumera  qu'il 
a  été  fait  usage  de  drogues  abortives;  cependant,  il  ne  faut  pas  su- 
bordonner cette  conséquence  à  la  méthode  ;  souvent  l'avortement 
peut  entraîner  la  mort  par  lui-même,  par  une  grande  secousse  ; 
il  faut  donc  procéder  avec  prudence  et  faire  un  examen  appro- 
fondi. » 

En  réalité,  les  avortements  semblent  être  rares  dans  les  ménages 
légitimes  ;  le  Chinois  a  un  si  grand  désir  de  laisser  une  postérité  que, 
quand  sa  femme  est  stérile,  il  l'engage  à  simuler  une  grossesse  et 
s'en  va  acheter  un  enfant  qu'il  fait  passer  pour  sien.  Que  croire,  dès 
lors,  de  cette  mystification  des  petits  Chinois  jetés  en  pâture  à  ces 
cochons  violets  qui  ont  valu  tant  d'injures  à  Francisque  Sarcey?  Ce 
n'est  rien  autre  chose  qu'un  piège  tendu  à  l'argent  naïf.  Le  témoi- 
gnage récent  du  comte  d'Hérisson  (1)  est  formel  à  cet  égard  :  «  Une 
erreur  grossière,  qui  a  généralement  cours  dans  notre  pays,  nous 
a  fait  admettre  que  les  Chinois  se  débarrassent  volontiers  de  leurs 
enfants  vivants,  soit  en  les  jetant  dans  des  puits,  soit  même  en  les 
donnant  à  manger  aux  pourceaux.  C'est  absolument  faux.  Il  y  a, 
sans  doute,  en  Chine  des  infanticides,  comme  il  y  en  a  en  France  ; 
mais  il  faut  bien  peu  connaître  le  culte  que  le  Chinois,  lorsqu'il  est 
honnête,  voue  à  la  vie  de  famille,  pour  supposer  une  pareille  hor- 
reur. Et  quand  le  Chinois  n'est  pas  retenu  par  ce  sentiment  élevé,  la 
cupidité  l'empêcherait  encore  de  tuer  ses  enfants,  puisqu'il  peut  les 
vendre  et  en  obtenir  un  prix  rémunérateur.  »  On  ne  saurait  tirer  un 
argument  d'une  vieille  coutume  signalée  chez  les  habitants  de  For- 
mose  ;  ceux-ci  ne  sont  pas  Chinois  et  se  rapprocheraient  plutôt  de 


4°  Après  le  4e  mois,  il  a  une  forme  humaine. 

5°  Après  le  5e  mois,  les  os  et  les  jointures  se  distinguent  aisément. 

6°  A  la  fin  du  6°  mois,  les  cheveux  ont  acquis  un  certain  développement. 

7°  Après  le  7e  mois,  la  main  droite  remue  à  gauche  du  sein  maternel,  quand  c'est 

un  garçon. 
8°  Après  le  8e  mois,  la  main  gauche  remue  à  droite,  si  c'est  une  fille. 
9°  A  la  fin  du  9°  mois,  quand  on  palpe  le  ventre,  on  voit  qu'il  s'est  produit  trois 

changements  dans  la  position  du  fœtus. 
10°  Au  commencement  du  10'  mois,  l'enfant  est  complètement  développé. 
(1)  Journal  d'un  interprète  en  Chine. 


590  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

certains  Polynésiens.  Dans  cette  île,  il  était  défendu  aux  femmes  d'ac- 
coucher avant  trente-cinq  ans  ;  on  craignait,  sans  doute,  que  la  popula- 
tion ne  fût  trop  considérable  pour  les  ressources  de  l'île.  Les  femmes, 
cependant,  étaient  libres  de  se  marier  à  tout  âge.  Un  voyageur  hol- 
landais Rechteren,  cité  par  Buffon,  parle  aussi  de  cette  coutume  : 
«  D'abord  que  les  femmes  sont  mariées,  elles  ne  mettent  point  d'en- 
fants au  monde  :  il  faut  au  moins  pour  cela  qu'elles  aient  trente-cinq 
ou  trente-sept  ans.  Quand  elles  sont  grosses  avant  ce  temps,  leurs  Prê- 
tresses vont  leur  fouler  le  ventre  avec  les  pieds,  s'il  le  faut,  et  les  font 
avorter  avec  autant  ou  plus  de  douleurs  qu'elles  n'en  souffriraient  en 
accouchant.  Ce  serait  non  seulement  une  honte,  mais  même  un  gros 
péché,  de  laisser  venir  un  enfant  avant  l'âge  prescrit.  J'en  ai  vu  qui 
avaient  déjà  fait  périr  quinze  ou  seize  fois  leur  fruit,  et  qui  étaient 
grosses  pour  la  dix-septième  fois,  lorsqu'il  leur  était  permis  de  mettre 
un  enfant  au  monde.  »  Les  Chinois,  tout  en  ayant  conquis  Formose, 
sont  toujours  restés  étrangers  à  de  telles  horreurs. 

Coutumes  japonaises.  —  Aimé  Humbert,  dans  le  Japon  il- 
lustré, nous  donne  les  détails  suivants  sur  l'obstétrique  japonaise  : 
«  Aussitôt  que  l'épouse  a  l'espoir  de  devenir  mère,  le  ban  et  l'arrière- 
ban  de  la  parente  se  réunissent  à  son  domicile,  et  la  proclamation  de 
l'heureuse  nouvelle  est  saluée  par  un  concert  de  félicitations  bour- 
rues, de  questions  indiscrètes  et  de  confidences  hygiéniques,  absolu- 
ment intraduisibles  dans  nos  idiomes  de  l'occident,  à  moins  que  l'on 
ne  veuille  recourir  au  latin.  La  jeune  femme,  à  dater  de  ce  moment, 
passe  sous  la  direction  d'une  matrone  expérimentée,  Vobassan  ou  la 
samba-san,  vrai  personnage  de  comédie,  dont  toute  la  science  con- 
siste à  se  rendre  indispensable  pour  le  reste  de  ses  jours  dans  la  mai- 
son où  elle  a  su  faire  agréer  ses  services.  Le  troisième  mois  atteint, 
nouvelle  solennité,  non  moins  difficile  à  décrire  que  la  précédente. 
L'obassan  en  fait,  les  honneurs  ;  elle  déploie  avec  dignité,  étale  aux 
yeux  des  témoins,  décrit  en  long  et  en  large,  et  finalement  applique 
à  sa  protégée  la  ceinture  traditionnelle  de  crêpe  rouge,  qui  ne  sera 
plus  déposée  qu'après  l'accouchement.  »  Cette  ceinture  mesure  trente 
centimètres  de  large  sur  deux  mètres  de  long;  elle  doit  empêcher 
l'enfant  de  prendre  un  trop  grand  développement,  pour  que  l'accou- 
chement soit  plus  facile.  Mais  comme  la  légende  ne  perd  jamais  ses 
droits,  on  fait  remonter  cette  coutume  à  l'époque  où  l'impératrice 
Djin-go-Kôgu,  à  la  tôle  de  son  armée,  partit  en  guerre  contre  la  Co- 
rée. Etant  enceinte  et  sa  cotte  de  maille  ne  pouvant  se  fermer,  elle  fut 
obligée  de  l'ajuster  avec  une  ceinture  de  soie.  Elle  parvint  ainsi,  sans 


MOEURS   ET   COUTUMES 


591 


accident,  au  terme  de  sa  grossesse  et,  après  la  conquête  de  la  Corée, 
elle  mit  au  monde  un  fils,  au  milieu  de  l'allégresse  générale.  Depuis, 
les  femmes  enceintes,  pour  perpétuer  cet  heureux  événement,  firent 
usage  de  la  ceinture  ventrale.  Kangawa  conteste  cette  origine  et  fait 
remonter  l'usage  de  ce  bandage  au  moyen  âge,  lorsque  la  femme 
de  Youtomo  fut  enceinte  et  s'appliqua  la  ceinture  ventrale  avec  des 
cérémonies,  encore  observées  aujourd'hui  dans  le  palais  du  Shio- 
Gumet  du  Daimios,  et  qui  varient  suivant  les  temps  et  les  lieux. 

Kangawa  s'élève  avec  raison  contre  l'application  de  cette  constric- 
tion  du  ventre  durant  la  grossesse  ;  elle  peut  empêcher,  suivant  lui,  le 
développement  du  fœtus.  «  Si  l'on  plaçait  »,  dit-il  assez  majestueuse- 
ment, «  une  pierre  sur  la. racine  d'un  chou,  ce  chou  ne  pourrait  se 


Fig,  4)6.  —  Massage  pratiqué  par  un  médecin  japonais. 


développer  même  si  la  racine  persistait  dix  mille  ans.  Enlevez  la 
pierre,  et  aussitôt  la  force  vitale  de  la  racine  se  développe.  »  Cet 
auteur  blâme  encore  une  vieille  coutume  obligeant  la  femme  enceinte 
à  se  tenir  couchée,  lesjambes  croisées  et  maintenues,  même  pendant 


592  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

le  sommeil,  par  une  bande  appliquée  autour  des  genoux  et  des  fesses. 
Et  pourquoi  cette  pratique?  On  craignait  que  l'enfant  ne  pût  engager 
ses  propres  jambes  dans  celles  de  sa  mère,  en  les  y  enfournant  comme 
dans  une  culotte! 

L'examen  du  pouls  joue  un  grand  rôle  dans  l'établissement  du  dia- 
gnostic et  du  pronostic  de  la  parturition;  quant  à  l'accouchement  lui- 
même,  il  est  le  plus  souvent  abandonné  aux  seules  forces  de  la  na- 
ture. On  se  contente  de  certains  massages  assez  bizarres;  ainsi, 
d'après  le  New-York  médical  Record,  les  praticiens  japonais,  pour 
corriger  la  mauvaise  position  dans  laquelle  l'enfant  pourrait  se  pré- 
senter, font  tenir  la  femme  debout,  les  bras  passés  autour  de  leur 
cou;  ils  lui  pressent  ensuite  la  poitrine  contre  la  leur  et  compriment 
fortement  les  genoux  entre  les  siens,  de  façon  à  la  bien  soutenir.  Dans 
cette  position  (fig.  406),  ils  opèrent  un  massage  énergique  avec  les 
paumes  des  mains,  en  les  dirigeant  d'arrière  en  avant  sur  les  han- 
ches. Ce  mouvement  est  répété  une  soixantaine  de  fois  chaque  matin, 
à  partir  du  sixième  mois  de  la  grossesse.  Joignez  à  ces  manœuvres 
quelques  médicaments  sans  valeur  et  certains  moyens  magiques. 
«  On  achète  dans  les  temples  »,  dit  le  Dr  Millier  (1),  «  des  Sitzu- 
Bun,  c'est-à-dire  des  papiers  sur  lesquels  sont  deux  signes  cabalis- 
tiques empruntés  à  l'écriture  chinoise.  Une  fois  que  l'argent  néces- 
saire a  été  jeté  clans  le  tronc  du  temple,  on  voit  aussitôt  les  papiers 
voltiger  en  l'air,  maintenus  perpétuellement  par  un  prêtre,  à  l'aide 
d'un  éventail.  C'est  une  véritable  chasse  aux  papillons;  quand  on  en 
tient  un,  on  sépare  les  deux  signes  l'un  de  l'autre  et  on  coupe  le  se- 
cond en  tout  petits  morceaux  qu'on  avale  aussitôt  :  cela  hâte  l'accou- 
chement. » 

Arrivons  aux  soins  à  donner  durant  le  travail.  «  Les  anciens»,  dit 
Kangawa,  «  voulaient  que  la  chambre  d'une  accouchée  fût  absolu- 
ment à  l'abri  du  froid  et  du  vent;  aussi  toutes  les  portes  étaient-elles 
fermées  et  toutes  les  ouvertures  bouchées  et  obturées,  et  comme  en 
plus  on  chauffait  la  chambre  avec  le  Hi-batzi  (bassin  à  charbon),  il 
en  résultait  que  la  chaleur  mettait  la  femme  dans  un  état  de  conges- 
tion violent  et  dangereux.  Il  faut  éviter  cette  méthode  ;  l'accouchée 
n'a  pas  besoin  de  précautions  particulières  en  ce  qui  concerne  son 
habitation  et  sa  nourriture.  Il  faut  seulement  ne  pas  découvrir  la 
moitié  inférieure  du  corps.  La  femme  doit  rester  simplement  sur  son 
lit  avec  des  coussins  élevés  et  se  coucher  du  côté  droit.  »  C'est  assez. 


(1)  Traduction  du  Dr  Charpentier,  dans  les  Archives  de  Tocologie  et  son  Traité 
(V  accouchement. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


593 


sage,  mais  malheureusement  les  Japonais  ont  conservé  la  coutume 
d'accueillir,  au  moment  de  l'accouchement,  tout  un  cercle  de  parents  et 
d'amis  dont  les  conseils  officieux,  joints  à  ceux  de  l'obassan,  mettent 
à  la  torture  la  malheureuse  patiente.  «  L'événement  même,  »  dit 
Aimé  Humbert,  «  ne  fait  que  redoubler  leurs  obsessions.  Un  incon- 
cevable préjugé  refuse  à  la  femme-mère  le  repos  réparateur  que  tout 
son  être  sollicite  ;  elle  ne  le  trouve  que  lorsque  son  enfant,  après  avoir 
reçu  les  premiers  soins  nécessaires,  est  enfin  déposé  dans  ses  bras.  » 
Nous  avons  déjà  dit  que  la  femme  reste  appuyée,  pendant  les  trois 


Fig.  407.  —  Sage-femme  portant  le  délivre  enfermé  dans  un  vase. 


premiers  jours  qui  suivent  la  délivrance,  à  la  pile  de  coussins  placés 
derrière  elle;  puis  on  retire  chaque  jour  un  coussin  jusqu'à  ce  que  la 
tête  repose  sur  le  dernier;  le  corps  est  alors  dans  la  position  horizon- 
tale. Le  délivre  se  met  dans  un  vase  spécial  (fig.  407)  et  le  tout  est 
enterré  par  la  sage-femme. 

L'arsenal  obstétrical  des  sages-femmes  et  des  accoucheurs  japo- 
nais ne  se  composait  jadis  que  de  deux  crochets,  l'un  aigu,  l'autre 
mousse.  L'aigu,  beaucoup  plus  petit,  était  particulièrement  barbare 
et  pouvait  causer  des  dégâts  considérables  ;  on  l'implantait  dans  la 
partie  qui  se  présentait,  et  il  servait  alors  d'instrument  de  traction. 

Gomme  son  emploi  détermine  toujours  une  blessure  du  cuir  che- 
velu, et  qu'on  ne  devait,  dans  aucun  cas,  produire  une  semblable 
lésion  sur  l'enfant  de  l'empereur,  Mitzu  Sada  Kangawa,  accoucheur 


HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS. 


594 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


de  la  cour,  inventa,  en  1812,  les  instruments  suivants  :  1°  Une  longue 


Fk;.  408-415.  — Instruments  japonais,  PI.  I. 

anse  de  baleine  mince,  de  4  pieds  de  long  et  large  de  une  ligne  1/2 


MOEURS   ET   COUTUMES 


595 


(voy.  PI.  I,  fig.  1)  ;  2°  Une  lame  de  baleine  plate  (Pi.  I,  fig.  2),  longue 


Fig.  416-420.  —  Inslrumen's  japonais,  PI.  II. 


de  11  pouces,  large  de  1  pouce  plus  1  ligne  1/2  à  son  extrémité,  de  10 


59G  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

lignes  à  son  milieu,  dont  la  partie  supérieure,  repliée  sur  le  plat,  est 
percée  de  deux  trous  ;  3°  Une  poignée  en  bois  (PI.  I,  fig.  3Ï,  longue 
de  3  pouces,  épaisse  de  9  lignes,  percée  de  plusieurs  trous. 

Ces  instruments,  moins  barbares,  firent  abandonner  le  double  cro- 
chet. Voici  la  manière  de  les  employer  : 

«  On  trempe  d'abord  l'anse  de  baleine  (fîg.  1)  dans  de  l'eau  chaude 
pour  la  ramollir  et  la  rendre  flexible,  puis  on  la  graisse  avec  de 
l'huile.  On  la  conduit  alors  progressivement  dans  le  vagin  et  on  l'in- 
troduit, suivant  les  cas,  jusqu'au-dessus  du  menton  ou  de  l'occiput. 
A  ce  moment,  ayant  fait  passer  les  deux  extrémités  de  l'anse  à  tra- 
vers les  deux  trous  de  la  baleine  plate  (fîg.  2),  on  tire  à  soi  l'anse  jus- 
qu'à ce  qu'elle  prenne  un  point  d'appui  solide,  sur  le  menton  ou  l'oc- 
ciput (PI.  II,  fîg.  3).  Alors  on  enlève  la  baleine  plate  et  on  introduit 
les  deux  extrémités  de  l'anse  dans  les  deux  trous  internes  de  la  poignée 
(PI.  I,  fîg.  2),  puis  on  les  fait  repasser  par  en  haut  par  les  deux  trous 
externes.  Le  médecin  saisit  alors  la  poignée  de  la  main  droite,  de  fa- 
çon à  maintenir  solidement  les  extrémités  de  l'anse  doublement  re- 
pliées, et,  pendant  que  de  la  main  droite  il  exerce  une  forte  traction,  il 
comprime  doucement  avec  la  main  gauche  l'anse  de  baleine,  de  façon 
que  la  direction  de  la  traction  s'accommode  à  la  courbure  du  vagin, 
car  sans  cela  la  direction  delà  traction  serait  perpendiculaire  au  vagin. 

«  Cette  découverte  a  comblé  les  lacunes  essentielles  que  comportait 
l'emploi  exclusif  du  crochet.  Mais  l'anse  de  baleine  laissait  sur  le 
menton  et  la  nuque  des  traces  sanglantes.  Pour  éviter  cela,  Mitzu 
Sada  Kangava  imagina  un  autre  procédé  qu'il  employa  lors  de  l'ac- 
couchement d'un  prince  impérial,  eu  mars  1832. 

«  Ce  procédé  exige  les  instruments  suivants  :  1°  Deux  iielites  tiges 
de  baleine  (PI.  I,  fig.  4)  de  1  pied  1  pouce  3  lignes  de  long.  Leur  extré- 
mité porte  un  bouton,  car  la  tige  est  mince  et  va  en  grossissant  jus- 
qu'à l'extrémité  inférieure  quia  4  lignes  d'épaisseur;  2°  Une  fine  ser- 
viette de  soie,  large  de  six  pouces,  longue  de  3  pieds.  Ordinairement  la 
serviette  n'est  pas  fixée  après  les  tiges,  comme  le  montre  la  figure  4  ; 
on  l'y  attache  au  moment  de  s'en  servir  ;  3°  Une  spatule  de  fer  (PI.  I, 
fig.  8)  qui,  à  son  extrémité,  est  percée  d'un  trou  quadrangulaire.  A  ses 
deux  extrémités  elle  est  large  de  10  lignes,  au  milieu  de  6  lignes,  elle 
est  légèrement  courbe. 

«  Lorsqu'on  veut  procédera  l'opération,  on  commence  par  ramollir 
les  tiges  de  baleine,  on  les  graisse  bien  avec  de  l'huile,  et  on  les  réu- 
nit à  la  serviette  de  soie  comme  le  montre  la  Fig.  4,  mais  de  telle  fa- 
çon que  la  moitié  de  la  serviette  soit  roulée  autour  de  chaque  tige.  Le 
médecin  alors  introduit  tout  l'appareil  dans  le   vagin,  en  longeant, 


MOEURS    ET    COUTUMES 


597 


suivant  les  cas,  la  paroi  antérieure  ou  postérieure  du  vagin  jusqu'à  ce 
que  l'extrémité  de  l'appareil  soit  parvenue  à  la  hauteur  du  menton. 
Alors  le  médecin  déroule  les  deux  tiges  en  sens  inverse,  de  telle 
façon  que  la  serviette  enveloppe  toute  la  tête.  Il  laisse  alors  libre  le 
reste  des  deux  bouts  de  la  serviette  et  les  dégage  des  tiges  de  baleine. 
Il  les  fait  alors  passera  travers  le  trou  de  la  spatule  de  fer  (Fig.  8), 
et  en  même  temps  qu'il  pousse  celle-ci  en  avant,  il  tord  les  deux  bouts 
de  la  serviette  (PI.  II,  fig.  2).  Il  retire  alors  la  spatule,  saisit  la  serviette 
solidement  de  la  main  droite  et  extrait  la  tête,  comme  d'habitude,  en 
suivant  la  direction  du  vagin  »  (1). 

Enfin,  en  février  1869,  Mizu  Nori  Kangawa  a  inventé  un  procédé, 


Fig.  421.  —  Une  couche  au  Japon.  Délivrance  avec  le  treuil. 

le  plus  récent  de  tous,  mais  qui  n'a  guère  été  employé  jusqu'ici  ;  il 
est  applicable  à  la  version  dans  les  présentations  transversales. 

«  Les  instruments  nécessaires  sont  :  «  1°  Deux  petites  tiges  de  ba- 
leine (PL  I,  fig.  S),  longues  de  I  pied  3  pouces  1/2  ;  elles  sont  percées 
d'un  trou  à  leur  sommet;  2°  Un  fort  filet  de  soielong  de  4  pieds  ;  3°  Une 
petite  lige  de  fer  (PL  I,  fig.  6)  de  même  longueur  que  les  tiges 
de  baleine.  Elle  doit  être  en  fer  mou  et  flexible.  L'extrémité  supérieure 
est  coudée  à  angle  droit  et  percée  d'un  trou  ;  4°  Une  lame  de  baleine 
ploie  (PL  I,  fig.  7).  Elle  est  longue  de  10  pouces,  large  dans  son  mi- 
lieu de  10  lignes.  L'extrémité  inférieure  est  large  de  1  pouce  1  ligne. 
L'extrémité  supérieure,  excavée  en  demi-lune,  est  large  de  1  pouce  1/2. 

«  Lorsqu'on  veut  remédier  à  une  présentation  transversale,  on  ra- 
mollit les  deux  petites  tiges  et  on  y  enfile  le  lacs  de  soie.  On  pousse 
alors  les  deux  petites  tiges  dans  le  vagin  et  on  se  sert  de  la  petite 


(1)  D'  Charpentier,  ïoc.  cit. 


m 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


tige  de  fer  pour  tendre  le  lacs  et  le  conduire  autour  du  corps  de  l'en- 
fant (PI.  II,  fig.  5).  Lorsqu'on  y  a  réussi,  on  retire  les  petites  tiges 
de  baleine,  et,  pendant  que  l'on  tire  sur  les  deux  extrémités  du  lacs,  on 
refoule  avecla'Jame  plate  (n°  7)  le  creux  axillaire  de  l'enfant  (PL  II, 
fig.  4),  jusqu'à  ce  que  la  version  soit  opérée.  Une  fois  celle-ci  faite, 
on  tire  sur  le  lacs  seul  et  on  extrait  l'enfant  »  (1) . 
Les  médecins  japonais  connaissent  aussi  l'usage  du  forceps  (fig.  422); 
mais  ils  l'appliquent  d'une  façon  toute  spéciale,  comme 
le  montre  la  Fig.  421. 

Il  y  a  dans  toutes  ces  inventions  une  ingéniosité 
compliquée  qui  est  bien  de  la  race  ;  il  est  juste  cepen- 
dant de  remarquer  que,  même  avant  d'avoir  brusque- 
ment transporté  l'Europe  dans  l'extrême  Orient,  les 
praticiens  japonais  s'étaient  déjà  dégagés  des  préjugés 
vulgaires  :  plus  d'un  devait  rire  en  entendant  les  bon- 
nes gens  assurer  qu'au  moment  de  la  naissance,  le 
garçon  se  place  sur  le  ventre  et  la  fille  sur  le  dos,  sans 
doute  pour  rappeler  la  position  de  l'un  et  l'autre  sexe 
dans  l'acte  copulatif,  ou  bien  serait-ce  un  sentiment  de 
pudeur  précoce  qui  porte  le  garçon  à  prendre  une 
attitude  qui  lui  cache  les  organes  maternels? 

Quand  on  éprouve  quelque  difficulté  à  extraire  le 
placenta,  on  attache  le  cordon  à  la  jambe  de  la  femme, 
ou,  comme  en  Chine,  on  y  suspend  quelque  objet  un 
peu  lourd  pour  l'empêcher  de  remonter.  Kangawa  con- 
damne cettedernièrepratiqueet  défend  aussi  de  masser 
le  ventre  pour  aider  à  l'expulsion  du  délivre.  On  ne  doit,  suivant  lui, 
agir  que  sur  la  région  lombaire  :  «  Car,  »  dit-il,  «  si  on  massait  le 
ventre,  le  placenta  se  contracterait  avec  tant  de  violence  qu'il  se  dé- 
chirerait et  que  le  bout  de  la  rupture  pourrait  rentrer  dans  le  ventre.  » 
Kangawa  avait  tort  de  défendre  l'expression  utérine,  elle  rend  sou- 
vent de  réels  services  quand  elle  est  indiquée  et  bien  appliquée. 

La  délivrance  donne  lieu  chez  les  Japonais  à  quelques  coutumes 
curieuses  :  ainsi  le  bassin  où  est  reçu  le  délivre  d'un  garçon  contient 
un  bâton  d'encre  de  Chine  et  un  pinceau  pour  écrire  ;  celui  qui  reçoit 
le  délivre  d'une  fille  est  vide,  sa  naissance,  comme  dans  toutes  les 
autres  nations,  étant  vue  d'un  mauvais  œil.  On  conserve  précieuse- 
ment le  cordon  enveloppé  dans  du  papier  blanc  où  se  trouvent  ins- 
crits les  noms  des  père  et  mère,  et,  ainsi  desséché,  il  est  porté  par 


Fig.  422.  —  Forceps 
japonais. 


(1)  D'  Charpentier,  loe.  cit. 


MOEURS    ET   COUTUMES 


599 


celui  à  qui   il   appartient  jusqu'à  sa  mort  et  on  l'enterre  avec  lui. 

Pour  couper  le  cordon,  les  Japonais  se  servent  de  couteaux  en  os 
et  non  en  acier,  parce  qu'ils  attribuent  une  influence  pernicieuse  aux 
sections  pratiquées  avec  les  instruments  tranchants. 

Une  ancienne  coutume  voulait  qu'au  Japon  la  femme  prît  un  bain 
chaud  le  sixième  jour  après  l'accouchement  et  se  fît  transpirer,  au 
sortir  du  bain,  en  s'enveloppant  de  couvertures  chaudes.  Kangawa 
conseille  de  ne  pas  donner  de  bains  avant  le  quinzième  jour.  «  Au  bout 


<j.£Wj 


Fig.  423.  —  Japonaise  à  la  promenade, 
portant  un  enfant  sur  son  dos. 


Fig.  424.  —  Autro  manière  de  porter 
les  enfants  au  Japon. 


de  huit  jours,  »  dit-il,  «  il  faut,  avec  une  serviette  trempée  dans  l'eau, 
enlever  toutes  les  souillures  aussi  bien  de  la  partie  inférieure'du  corps, 
qui  est  restée  couverte,  que  de  la  partie  supérieure».  Si  le  lait  ne  monte 
pas  aussitôt  après  l'accouchement,  on  attendra  pendant  trente  jours, 
jusqu'à  ce  que  le  sang  ancien  et  altéré  soit  remplacé  par  le  nouveau. 
Un  préjugé  encore  vivace  défend  aux  Japonaises  de  manger  des 


600  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


prunes  blanches  et  des  haricots  noirs  :  les  premières  par  leur  acidité 
troubleraient  les  lochies,  et  les  seconds  empêcheraient  l'action  des  mé- 
dicaments qui  pourraient  être  ordonnés. 

Les  Japonaises,  comme  les  Chinoises,  allaitent  deux  ou  trois  ans  ; 
il  n'est  pas  rare  de  voir  des  enfants  venir  teter  debout  après  avoir 
joué.  Pendant  ce  temps,  les  règles  de  la  civilité  obligent  de  combler 
de  largesses  les  enfants  de  ses  amies.  Et,  «  par  un  échange  de 
courtoisie,  les  grandes  filles  du  voisinage  se  disputeront  la  faveur  de 
porter  le  nouveau-né  à  la  promenade  (fig.  423,  424),  non  point  dans 
une  pensée  de  puérile  ostentation,  mais  afin  de  s'exercer  plus  sérieuse- 
ment qu'on  ne  peut  le  dire,  à  le  combler,  entre  leurs  bras  et  sur  leur 
poitrine, de  tous  les  soins,  réels  ou  simulés,  qui  concernent  l'appren- 
tissage de  leur  future  profession  (1)  ». 

Gorre  raconte,  d'après  Nieuhof,  qu'au  Japon,  il  est  permis  aux  fem- 
mes enceintes  de  se  faire  avorter,  pour  éviter  les  charges  d'une  trop 
nombreuse  famille,  quand  elles  ne  se  croient  pas  en  état  d'y  satis- 
faire. Assurément  au  Japon,  la  liberté  des  mœurs  est  très  grande  ; 
mais,  tout  au  moins  dans  les  hautes  classes,  l'avortement  provoqué 
est  regardé  comme  un  déshonneur  (2).  Les  femmes  du  bas-peuple 
s'adressent  quelquefois,  dans  ce  but,  aux  sages-femmes  qui  leur  in- 
troduisent, en  se  servant  des  doigts  comme  guides,  de  longues  racines 
d'achyrantes  aspera,  entre  la  paroi  utérine  et  les  membranes  de  l'œuf. 
Ces  racines,  préalablement  enduites  de  musc,  sont  laissées  environ 
deux  jours  en  place,  ce  qui  amène  infailliblement  l'avortement.  D'au- 
tres introduisent  dans  le  col  des  mèches  de  soie,  imprégnées  de  musc, 
ou,  ce  qui  est  plus  dangereux,  des  tiges  de  bambou  aiguisées,  de 
grosses  épines,  etc. 

Signalons,  en  terminant,  une  coutume  japonaise  qui  n'a,  il  est  vrai, 
qu'un  rapport  assez  éloigné  avec  notre  sujet.  Nous  voulons  parler  de 
la  manière  de  placer  les  morts  dans  le  cercueil.  Après  avoir  lavé  et  rasé 
le  défunt, vêtu  de  blanc,  les  croque-morts  le  font  entrer,  ou,  pour  mieux 
dire,  l'accroupissent  dans  une  étroite  caisse  carrée,  les  jambes  repliées 
sous  le  corps  et  les  bras  croisés  sur  la  poitrine,  attitude  semblable  à 
celle  de  l'enfant  dans  le  sein  maternel  :  symbole  d'une  vie  future. 

Pratiques  et  usages  annamites.  —  Dès  que  la  femme  an- 
namite sent  son  enfant  remuer,  elle  s'empresse  de  l'annoncer,  avec  la 
plus  vive  satisfaction,  à  toutes  ses  voisines,  en  disant  à  chaque  mou- 

(1)  Aimé  Humbert,  op.  cit. 

(2)  Stricker  et  Dr  Galliot,  op.  cit. 


MOEURS    ET  COUTUMES  601 

vement  du  fœtus  :  Cô,  côt  «  il  va  s'amusant  ou  plus  exactement,  il 
s'amuse  en  se  balançant  (1)  ».  Elle  cherche  aussitôt  à  connaître  le  sexe 
de  l'enfant  qu'elle  porte  dans  son  sein.  «  Elle  y  parvient,  »  raconte 
Paul  Lefebvre  (2),  «  au  moyen  de  baguettes  cueillies  sur  un  jeune 
bambousier,  auxquelles  on  adapte  les  pattes  d'un  coq  ou  d'une  poule 
offertes  en  sacrifice.  Ces  baguettes  se  fixent  aux  murs  de  la  maison,  et, 
à  certains  signes  caractéristiques,  l'enfant  se  trouve  être  mâle  ou 
femelle  ». 

L'Annam  est  riche  en  superstitions  obstétricales.  Ainsi  la  femme 
enceinte  doit  éviter,  dansla  conversation,  toute  allusion  ayant  rapport 
à  une  fausse  couche  ou  à  l'accouchement  d'un  enfant  mort-né;  pen- 
dant la  durée  de  sa  grossesse,  il  lui  est  interdit  d'approcher  de  la 
demeure  d'une  femme  en  travail  et  d'assister  aux  cérémonies  des 
demandes  en  mariage;  sa  présence,  dans  ces  circonstances,  porterait 
malheur. 

L'Indo-Chine  a,  pour  les  accouchements,  tout  un  olympe  spé- 
cial dont  les  divinités  sont  fort  respectées.  A  partir  du  mo- 
ment où  sa  grossesse  est  certaine,  la  femme  invoque  l'esprit 
des  accouchements,  Thap  ni  nuong,  pour  la  conduire  à  son 
terme  et  lui  donner  des  couches  heureuses.  Dès  les  premières 
douleurs,  elle  se  met  sous  la  protection  des  déesses  accou- 
cheuses, qui  sont  les  douze  heures  du  jour  et  de  la  nuit  pendant  les- 
quelles l'enfantement  est  possible.  Il  arrive  souvent  que  la  sage- 
femme,  abandonnant  l'accouchement  à  la  nature,  se  contente  durant 
le  travail  d'unir  ses  prières  à  celles  de  la  patiente  :  que  nul  accident 
survienne,  elle  ne  manquera  pas  de  vanter  l'excellence  de  ses  oraisons. 
Enfin,  après  la  délivrance,  on  rend  grâce  au  dieu  de  la  médecine  en 
brûlant  à  son  intention  des  baguettes  odoriférantes. 

L'extrême  Orient  (3)  a  de  plus  imaginé  une  Mère  des  morts  pré- 
maturées, quelque  chose  comme  la  Lilith  des  Hébreux.  C'était,  suivant 
la  légende,  une  femme  de  haut  rang  qui,  ayant  perdu  successivement 
six  enfants,  mourut  en  couches  du  septième.  «  Elle  est  représentée,  » 
dit  Paul  Lefebvre  (4),  «  vêtue  de  longs  vêtements  de  deuil,  et  cachant 
ses  enfants  dans  les  plis  de  son  manteau.  Les  endroits  retirés  et  les 
campagnes  solitaires  sont  les  lieux  qu'elle  habite  de  préférence.  Mal- 
heur à  la  jeune  fille,  malheur  à  la  femme  mariée  qui  fait  la  rencontre 
de  ce  lugubre  fantôme  au  coin  d'un  bois,  au  détour  du  chemin,  à  cer- 

(1)  Dr  Mondière. 

(2)  Souvenirs  de  l'Indo- Chine. 

(3)  Cette  croyance  semble  répandue  dans  toute  l'Asie  orientale. 
[1)  Loc.  cit. 


602 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


taines  époques  de  l'année!  »  Une  autre  superstition  se  rattache  à  cette 
croyance.  Si  une  femme  vient  à  accoucher  d'un  enfant  mort-né,  c'est 
la  preuve  que  le  mauvais  esprit  s'attache  à  elle  et  à  sa  descendance. 


Fig.  425.   —  Massage  du    ventre  avec    les  pieds,  d'après    un    croquis   communiqué 
par  le  Dr  Mondière. 


Dans  ce  cas,  on  coupe  l'enfant  en  plusieurs  morceaux  que  l'on  enterre 
séparément  pour  dérouter  le  génie  de  la  mort.  Les  Annamites  jettent 
les  vêtements  de  la  mère  sur  la  voie  publique,  afin  de  les  faire  porter 
par  une  mendiante  qui  sera  hantée  par  le  mauvais  esprit. 

La  femme  annamite  ne  peut  accoucher  dans  sa  maison.  Les  gens 


MOEURS   ET   COUTUMES 


G03 


aisés  font  construire  dans  leur  cour,  à  proximité  du  logis  prin- 
cipal, une  petite  maisonnette  en  bambous  percée  d'une  porte  et  d'une 
fenêtre  fort  étroites  ;  quant  aux  femmes  d'artisans,  aux  servantes, 
elles  accouchent  dans  un  appentis  à  ordures  plus  ou  moins  balayé. 
«  J'ai  vu,  »  dit  le  docteur  Mondière,  à  qui  nous  empruntons  ces  ren- 
seignements, «j'ai  vu  de  malheureuses  filles  couchant  pour  ainsi  dire 
à  la  corde,  et  à  qui,  le  moment  de  leurs  couches  venu,  l'on  faisait  au 
milieu  de  la  rue,  avec  cinq  nattes  trouées  et  huit  vieux  bambous,  un 


Fig.  426. 


•  Annamite  sur  le   brasier.   Fac-similé  d'une   aquarelle  faite  par  le   peintre  de  la  cour 
de  Hué  et  communiquée  par  le  Dr  Mondière. 


abri  sous  lequel  elles  enfantaient  pour  ainsi  dire  coram  populo.  » 
D'ailleurs  l'installation  ne  peut  être  que  sommaire,  car  la  case,  s'il  y 
en  aune,  le  sommier  et  les  piquets  de  bambous  doivent  être  détruits. 
Nous  avons  déjà  donné  les  détails  relatifs  à  la  position  que  la  femme 
annamite  prend  pour  accoucher  et  au  rôle  que  joue  la  ba-mu  ou 
sage-femme  dans  cette  circonstance  (1). 


(1)V.  page  401,  fig.  27G. 


604  HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 

Une  fois  le  fœtus  expulsé,  on  le  laisse  tranquillement  sur  la  natte, 
tenant  toujours  au  placenta  par  son  cordon.  «  La  ba-mu  alors  se  lève 
s'accroche  parles  mains  à  une  traverse  du  toit  (fig.  425),  pose  un 
pied  au  niveau  de  l'ombilic  et  pèse  de  toute  sa  force  de  manière  à 
aplatir  la  matrice  et  à  la  vider  du  placenta  et  des  caillots  ;  la  ma- 
nœuvre se  répète  de  proche  en  proche  jusqu'au  niveau  de  la  symphyse 
où  le  pied  agit  avec  la  dernière  violence,  au  point  de  disparaître  en 
entier  dans  la  cavité  que  lui  fait  sa  pression. 

«  La  ba-mu  se  baisse  alors,  relire  avec  les  mains  tout  ce  qui  a  pu 
rester  engagé  dans  la  partie  antérieure  du  vagin,  en  tirant  sur  le  tout, 
mais  sans  faire  de  recherches  minutieuses.  Elle  répète  encore  une 
fois  ou  deux,  si  elle  les  juge  utiles,  ces  pressions  avec  le  pied  pour 
chasser  le  reste  des  caillots,  et  puis  laisse  la  mère  pour  s'occuper  de 
l'enfant.  Elle  essuie  celui-ci  avec  un  chiffon  sec,  ensuite  elle  saisit  le 
cordon  à  1  centimètre  de  l'anneau  et,  par  des  pressions  répétées, 
refoule  son  contenu,  sang  et  gélatine  de  Wharton,  sur  une  longueur 
de  15  centimètres  environ  du  côté  du  placenta.  Quand  le  dégagement 
du  cordon  lui  semble  suffisant,  elle  le  coupe  à  petits  coups  et  en 
sciant,  avec  sa  lame  de  bambou,  voire  même  à  la  rigueur  avec  un 
tesson  de  porcelaine.  Elle  pose  alors  vers  la  moitié  de  la  longueur  de 
la  partie  restante,  c'est-à-dire  à  6  ou  7  centimètres  du  nombril,  une 
ligature  de  fil  non  ciré,  entortille  tout  le  cordon,  12  à  15  centimètres, 
dans  un  morceau  de  papier  chinois,  ciré  ou  verni,  passe  autour  des 
reins  de  l'enfant  une  petite  bande  d'étoffe  qui  se  noue  par  devant  pour 
assujettir  le  tout.  » 

L'enfant,  roulé  dans  un  vieux  chiffon  (1),  est  quitte  pour  l'ins- 
tant des  attouchements  de  la  ba-mu.  C'est  le  tour  de  la  mère. 
La  sage-femme  se  suspend  encore  à  la  traverse  et  piétine  à  nou- 
veau le  ventre  de  la  malheureuse  pour  en  chasser  les  caillots. 
L'accouchée  se  retourne  ensuite,  et  la  même  opération  est  pratiquée 
sur  les  épaules  jusqu'au  niveau  des  vertèbres  lombaires.  Enfin,  pour 
remettre  l'accouchée  de  toutes  ces  pénibles  manœuvres,  on  lui  fait 
boire  un  grand  bol  d'urine  toute  chaude,  fournie  par  son  mari  ou,  s'il 
est  absent,  par  un  jeune  garçon,  puis  elle  est  essuyée  tant  bien  que 
mal  avec  un  linge  trempé  dans  l'eau  à  la  température  ambiante  ;  elle 
se  replace  sur  le  dos,  et  on  coupe  de  la  natte  et  du  vêtement  tout  ce 
qui  a  été  taché  de  sang  ou  mouillé.  Pendant  et  après  le  travail,  des 


(1)  On  a  eu  soin  de  mettre  de  côté  les  hardes  les  plus  usées  et  les  plus  mal- 
propres pour  envelopper  l'enfant  ;  les  Annamites  prétendent  que,  sans  cela,  l'enfant 
serait  malheureux  dans  l'avenir. 


MOEURS   ET   COUTUMES  605 

fourneaux  pleins  de  charbon  ou  de  bois  sont  restés  allumés  au-dessous 
de  la  claie  (fig.  426)  qui  sert  de  lit  à  l'accouchée,  assez  ardents  pour 
causer  parfois  aux  fesses  des  brûlures  du  premier  et  même  du  second 
degré.  Ce  feu  doit  empêcher  le  refroidissement  que  l'on  considère 
comme  funeste  aux  femmes  en  couches.  Nous  avons  déjà  parlé  de  ce 
préjugé  en  Chine;  mais,  chez  les  Annamites,  il  est  tellement  enraciné 
que,  quand  une  de  ces  malheureuses  accouche  dans  la  rue,  la  charité 
publique  entretient  du  feu  sous  les  quelques  lattes  qui  lui  ont  servi 
de  lit.  Au-dessus  de  ces  brasiers,  sur  cette  claie,  dans  cette  hutte,  la 
femme  restera  vingt,  trentejourssans  rien  manger  que  du  riz  à  l'eau  for- 
tement salé, sans selaver  qu'un  peu  l'extérieur  des  parties  génitales  (1). 

La  sage-femme,  ayant  terminé,  fait  du  placenta  et  des  caillots  san- 
guins un  paquet  qu'elle  enveloppe  dans  les  lambeaux  des  vêtements 
et  de  la  natte  coupés,  parce  qu'ils  étaient  tachés  de  sang.  Elle  place 
le  tout,  caché  sous  un  peu  de  sable,  près  du  fourneau,  au  pied  du  lit 
de  la  mère.  Le  soir,  à  la  nuit  faite,  elle  viendra  prendre  ce  paquet  et 
ira  l'enterrer  dans  un  endroit  qu'elle  seule  doit  connaître,  sous  peine 
de  grands  accidents  pour  la  femme. 

Elle  revient  alors  à  l'enfant  :  après  lui  avoir  passé  le  doigt  clans  la 
bouche  pour  la  débarrasser  du  sang  et  des  mucosités  qu'elle  pourrait 
contenir,  elle  lui  frotte  le  corps  avec  de  l'eau-de-vie  de  riz,  puis  lui 
passe  une  petite  veste  de  soie  ou  de  coton  et  le  couche  sur  le  gril  à 
côté  de  sa  mère. 

Ce  n'est  pas  le  lait  de  sa  mère  qu'il  prend  dans  les  deux 
premiers  jours  ;  les  voisines  viennent  deux  ou  trois  fois  par  jour 
exprimer  de  leur  lait  dans  une  petite  tasse;  sinon,  on  envoie  une 
femme  étrangère  à  la  famille  quémander  çà  et  là  du  lait  de  femme, 
sous  prétexte  de  lotionner  les  yeux  d'un  malade.  Quant  à  donner  le 
sein  au  nouveau-né,  aucune  étrangère  n'y  consentira  si,  au  préalable, 
l'enfant  n'a  déjà  teté  sa  mère.  Ce  serait  s'exposer  à  une  foule  de 
maladies.  «  Je  n'ai  jamais  pu,  »  ajoute  le  docteur  Mondière,  «  avoir 
la  raison  de  cette  croyance  qui,  du  reste,  n'empêche  pas  les  femmes 
annamites  d'élever  volontiers  au  même  sein  que  leur  enfant  un  petit 
cochon  né  treizième  d'une  portée  ».  Vers  la  fin  du  deuxième  ou  du 
troisième  jour,  la  mère  commence  à  allaiter  son  enfant.  En  même 
temps,  elle  lui  frotte  le  ventre  avec  du  fiel  de  porc  [mât  heo),  pour  le 
préserver  des  coliques. 

«  Lachutedu  cordonalieu,  comme  partout  ailleurs,  vers  le  cinquième 

(l)  Rien  d'étonnant  si,  comme  le  constate  le  docteur  Mondière,  le  nombre  des 
décès  est  effrayant. 


G06 


HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 


jour.  La  sage-femme  met  sur  la  petite  plaie  qui  résulte  de  cette  chute 
du  poivre  en  poudre  fine,  et,  s'il  se  développe  un  peu  d'inflammation, 
elle  recouvre  la  partie  avec  une  pommade  formée  de  bile  de  porc  et 
d'eau-de-vie  de  riz. 

«  Si  l'enfant  est  robuste,  on  lui  donne  à  manger  vers  le  vingtième 
jour  après  sa  naissance  ;  si,  au  contraire,  il  est  chétif,  on  attend 
un  mois  ou  six  semaines.  Cette  première  nourriture  se  compose  d'eau 


Fig,  427.  —  Femme  annamito  portant  son  enfant        Fig.  428.  —  Cambodgienne  portant  son  enfant 
sur  la  hanche.  sur  le  bras  gauche. 

de  riz  épaisse  et  quelquefois  même  de  riz  cuit,  avec  un  peu  de  poisson 
fumé,  le  tout  mâché  préalablement  par  la  mère.  Dans  le  peuple, 
l'enfant  tette  et  mange  ainsi  tout  ensemble  pendant  deux  ans,  en 
moyenne,  à  moins  qu'il  ne  survienne  une  nouvelle  grossesse  chez  la 
mère,  ce  qui  est  rare  avant  la  fin  de  la  seconde  année  (1).  »  Naturel- 
lement, dans  la  classe  mandarine,  il  y  a  des  nourrices  mercenaires  ; 
alors  l'enfant  tette  à  la  fois  sa  mère  et  l'une  des  nourrices  qui, 
souvent,  donne  en  même  temps  le  sein  à  un  de  ses  frères  plus  âgé. 
Le  docteur  Mondière  raconte  avoir  vu  chez  lui  un  garçon  de  huit  ans, 


(1)  Dr  Mondière,  h  c,  cit. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


607 


parent  du  roi,  qui,  debout,  s'en  allait  ouvrir  la  robe  de  sa  mère  et 
était  obligé  de  se  baisser  pour  atteindre  le  sein  auquel  il  restait  fixé 
pendant  quelques  minutes.  Les  enfants  des  Annamites  ont  la  tête 


Fig.  429.  —  Domestique  à  Panama  portant  un  enfant. 

rasée  ;  ils  sont  complètement  nus  et  portés  à  cheval  sur  la  hanche  de 
la  mère  ou  de  la  nourrice  (fig.  427),  comme  à  Panama  (fig.  429).  Au 
Cambodge,  les  femmes  portent  les  enfants  sur  le  bras  gauche  (fig.  428). 
Nous  avons  vu  qu'en  Chine,  comme  au  Japon,  les  enfants  étaient 
ordinairement  placés  sur  le  dos  de  leur  mère  (fig.  405,  423). 
«  La  loi  annamite  ne  semble  pas  reconnaître  l'avortement  simple 


608  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

et,  en  tous  cas,  s'il  est  pratiqué  avant  la  fin  du  troisième  mois  de  la 
grossesse,  tfest  un  simple  accident.  Elle  ne  s'en  occupe  que  dans 
deux  cas  :  1°  quand  une  femme  adultère,  se  trouvant  enceinte  à  la 
suite  de  sa  faute,  et  redoutant  que  son  mari  s'en  aperçoive,  se  fait 
avorter  au  moyen  de  drogues,  le  marchand  de  drogues  et  la  femme 
sont  punis  de  cent  coups  et  de  l'exil  à  2.000  lis  ;  2°  si  la  femme  s'est 
faitavorter  seule,  lapeine  est,d'unemanière  générale,  de  quatre-vingts 
coups  et  de  deux  ans  de  fers.  Puis,  vient  une  cause  étrangère,  c'est- 
à-dire  en  dehors  de  la  volonté  de  la  femme.  Quand,  par  la  suite  d'un 
coup  ou  d'une  blessure,  quelqu'un  détermine  l'avortement  d'une 
femme,  le  fait  est  considéré  comme  blessure  ordinaire  si  la  grossesse 
ne  remonte  pas  à  trois  mois  »  (1). 

Birmanie,  Siam,  Laos,  Cambodge  et  Tonquin.  —  L'u- 
sage d'exposer  les  nouvelles  accouchées  à  un  foyer  plus  ou  moins 
ardent  se  retrouve  dans  presque  toute  l'Inde  transgangétique,  au 
Cambodge,  en  Birmanie,  dans  le  royaume  de  Siam.  Le  procédé  des 
Birmans  diffère  un  peu  de  celui  dont  usent  les  Annamites  ;  ils  allu- 
ment un  feu  qui  répand  une  si  grande  chaleur  que  peu  de  gens  bien 
portants  pourraient  la  supporter.  La  malheureuse  accouchée  est 
étendue  à  côté  de  ce  brasier  ardent,  nuitet  jour,  pendantune  quinzaine. 

En  Birmanie,  les  femmes  enceintes,  vers  les  deux  ou  trois  derniers 
mois  de  leur  grossesse,  se  sanglent  fortement  la  taille  pour  s'opposer 
au  développement  de  l'utérus  en  hauteur;  elles  pensent  ainsi  abréger 
d'autant  le  chemin  que  doit  parcourir  l'enfant  au  moment  de  la  nais- 
sance. Un  usage  ancien  veut  que  le  premier  de  l'an  soit  célébré  par 
de  grandes  réjouissances  publiques  ;  or,  entre  autres  manifestations 
de  la  joie,  on  est  autorisé  à  jeter  de  l'eau  à  tous  les  passants  que  l'on 
rencontre;  les  femmes  enceintes  sont  seules  respectées,  et  celles  dont 
la  grossesse  n'est  pas  encore  très  visible  n'ont  qu'à  faire  un  signe 
pour  être  obéies. 

Après  l'accouchement,  la  Siamoise  se  couche  sur  le  côté,  le  ventre 
tourné  vers  un  grand  feu  de  bois  (fig.  430).  A  quiconque  la  demande, 
on  répond  :  «  Elle  est  au  feu.'y>  De  plus,  pendant  trois  jours,  elle  ne 
se  soutient  qu'avec  des  épices  excitantes^  elle  ne  peut  sortir  que  le 
trentième  jour.  C'est  encore  le  décubitus  latéral  qu'elle  prend  de  pré- 
férence pour  donner  le  sein  (fig.  431). 

Les  femmes  du  Laos  restent,  elles  aussi,  exposées  pendant  un  mois 
à  une  chaleur  intense.  Les  Laotiens  sont  très  superstitieux;  pouréloi- 

(1)  Dr  Mondière,  loo.  cit. 


MOEURS    ET  COUTUMES 


609 


gner  les  mauvais  esprits  et  les  maléfices  des  sorciers,  on  s'assemble 
dans  la  maison  de  l'accouchée,  et,  pendant  un  mois,  on  s'y  divertit  en 
y  menant  grand  bruit.  Cari  Bock  nous  donne  d'autres  détails  assez 
curieux  : 

«  A  la  naissance  d'un  enfant,  comme  ils  croient  qu'il  peut  être  le 
fils  d'un  esprit,  ou  bien  celui  de  son  père,  la  plus  vieille  femme  de  la 
famille  porte  le  nouveau-né  sous  la  vérandah  de  la  maison,  appelle 
l'esprit  et  secoue  l'enfant,  frappe  le  plancher...  Si  l'enfant  reste  coi, 
c'est  l'enfant  d'un  esprit;  si,  au  contraire,  il  crie,  ce  qui  est  la  règle, 


*•  A.v.  E .  S  IN  «  e  ft .  Korp  e  />  c. 

Fig.  430.  —  Siamoise  après  l'accouchement  (Ploss). 


il  est  bien  le  fils  de  son  père.  Pour  éloigner  aussi  les  mauvais  génies, 
on  donne  à  l'enfant  un  nom  de  chose  malpropre  ou  désagréable...  Si 
une  femme  meurt  en  couches  ou  pendant  le  mois  qui  les  suit,  son  ca- 
davre ne  doit  pas  sortir  par  la  porte  de  la  maison,  mais  par  une  ou- 
verture pratiquée  dans  le  plancher  et  elle  ne  reçoit  pas  les  honneurs 
de  la  crémation,  même  si  elle  était  de  famille  royale.  » 

Dans  le  pays  de  Gia-Dinh,  au  Cambodge  (1),  dès  que  la  femme  est 
accouchée,  on  plante  devant  la.  maison  une  longue  perche  à  l'extré- 
mité de  laquelle  est  attaché  un  bambou  allumé.  Si  le  côlé  enflammé 


(1)  Aubaret,  Description  du  pays  de  Gia-Dinh,  et  Paul  Lefebvre,  Faces  jaunes. 

HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS.  39 


610 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


regarde  la  maison,  il  indique  la  naissance  d'un  garçon,  s'il  est  tourné 
vers  l'extérieur,  ce  qui  est  le  cas  le  plus  fréquent  (1),  il  annonce  une 
fille  (2).  Ce  signe  indique,  en  outre,  l'entrée  de  la  maison  à  toute  femme 
qui  a  eu  un  accouchement  laborieux  ou  qui  est  atteinte  d'affections 
utérines,  contractées  à  la  suite  des  couches. 

«  Quand  plusieurs  bâtons  parfumés,  »  dit  Lefebvre,  «  se  dressent 


Fig.  431. 


Siamoise  allaitant  son  enfant. 


ainsi  devant  la  porte  des  maisons,  se  consumant  tous  à  la  fois,  avec 
un  mince  filet  de  fumée  odorante,  ces  plantations  bizarres  ont  pour 
but  de  conjurer  le  sort  et  de  chasser  le  mauvais  esprit  ». 

La  nouvelle  accouchée  ne  peut  reprendre  ses  occupations  qu'à  la 
fin  de  la  quatrième  semaine;  jusque  là  c'est  le  mari  qui  se  livre  exclu- 


ci)  En  extrême  Orient,  contrairement  à  ce  qu'on  observe  en  Europe,  il  naît  plus 
de  filles  que  de  garçons. 

(2)  La  condition  inférieure  de  la  femme  est  consacrée  mieux  encore  par  la  maxime 
suivante,  du  livre  de  la  Sagesse  (C/u-ku/i/)  : 

«  Il  naît  un  fils  :  II  eBt  posé  sur  [un  lit,  et  enveloppé  d'étoffes  brillantes.  On  lui 
donne  un  demi-sceptre.  On  revêt  d'étoffes  rouges  les  parties  inférieures  de  son 
corps.  Le  maître,  le  cbef,  le  souverain  est  né,  on  lui  doit  l'empire. 

«  Il  naît  une  fille  :  On  la  pose  à  terre,  on  l'enveloppe  de  langes  communs  :  on 
met  auprès  d'elle  une  toile  (emblème  du  tissage  de  la  toile,  principale  occupation 
des  femmes).  Il  n'y  a  en  elle  ni  bien  ni  mal.  Qu'elle  apprenne  comment  se  prépare 
le  vin,  se  cuisent  les  aliments  :  voilà  ce  qu'elle  doit  savoir.  Surtout,  il  faut  qu'elle 
s'efforce  de  n'être  pas  à  cbarge  à  ses  parents.  » 


MOEURS    ET    COUTUMES  611 

sivement  aux  soins  du  ménage.  A  sa  sortie,  la  première  visite  de  la 
femme  est  pour  la  pagode  où  elle  va  rendre  grâce  à  la  divinité  des 
accouchements  ;  avant  son  départ,  son  mari  a  la  précaution  de  la 
peindre  des  pieds  à  la  tête  avec  du  safran  afin  de  la  préserver  des 
refroidissements. 

Au  Tonkin,  d'après  Pinabel,  chez  quelques  peuplades  sauvages,  à 
la  naissance  de  l'enfant,  on  lui  met  plusieurs  grains  de  riz  dans  la 
bouche  en  disant  :  «  Si  tu  viens  du  diable,  que  le  diable  t'enlève,  si 
tu  viens  du  ciel,  que  le  ciel  te  protège  !  »  Ils  étendent  un  filet  près  de 
la  mère  et  de  son  enfant  dans  la  crainte  que  le  diable  ne  vienne  en- 
lever le  nouveau-né.  La  mère  ne  reste  que  cinq  ou  six  jours  exposée 
à  la  chaleur  du  foyer;  après  quoi,  elle  va  se  baigner  à  la  rivière  voi- 
sine. 

Pratiques  et  coutumes  africaines.  —  Au  Sénégal,  après 
l'accouchement,  les  femmes  restent  sept  jours  à  la  case;  mais  quel- 
ques heures  après  la  délivrance,  elles  reprennent  leurs  occupations 
journalières  (1).  L'habitude  qu'elles  ont  de  porter  leurs  enfants  sur  le 
dos  (fig.  432)  est  facilitée  par  la  saillie  des  fesses  qui  leur  sert  de  point 
d'appui.  Béranger-Féraud  rapporte  que,  chez  les  diverses  peuplades 
de  cette  région,  le  mari  reste  séparé  de  sa  femme  pendant  toute  la 
durée  de  la  grossesse  et  ne  peut  remplir  ses  devoirs  conjugaux  qu'a- 
près le  sevrage  de  l'enfant  ;  il  est  vrai  que,  durant  cette  période  qui 
se  prolonge  quelquefois  deux  ou  trois  années,  la  femme  l'autorise  à 
patienter  avec  une  concubine;  mais  elle  la  lui  choisit  elle-même,  et 
il  est  probable  que,  pour  ne  rien  perdre  à  la  comparaison,  elle  se 
donne  bien  garde  de  prendre  le  dessus  du  panier.  C'est  du  reste  une 
coutume  générale  chez  les  sauvages,  de  voir  les  deux  époux  séparés 
l'un  de  l'autre  jusqu'à  l'époque  du  sevrage;  c'est  aussi  ce  qui  explique 
l'universalité  de  la  polygamie  chez  les  peuples  primitifs. 

Dans  la  race  ouolove,  d'après  0.  Rochebrune,  on  recueille  avec 
soin  le  bout  de  cordon  à  sa  chute,  on  le  laisse  dessécher  et  on  le  coud 
dans  un  morceau  quadrangulaire  d'étoffe,  entre  deux  plaques  de  cuir 
plus  ou  moins  ornementées,  puis  on  le  suspend  au  cou  de  l'enfant, 
comme  gri-gri  (dombo-boum),  afin  de  le  préserver  des  maladies.  C'est 
une  bulle  romaine,  mais  assez  malpropre.  Nous  avons  signalé 
une  coutume   analogue  dans  la    race  jaune.  Le  même  auteur  ra- 

(1)  Cette  coutume  s'observait  autrefois  en  Suisse,  si  l'on  en  croit  Montaigne,  qui, 
en  parlant  des  femmes  de  ce  pays,  dit  :  «  Vous  leur  veoyez  aujourd'huy  porter  au  col 
l'enfant  qu'elles  avoient  hier  au  ventre.  » 


612 


HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 


conte  que   lorsque  les  femmes  ouoloves  sont  enceintes,  elles  se  li- 
vrent avec  frénésie  à  certaines  danses  tournantes,  pour  se  faire 
avorter. 
Au   Gabon,  rapporte  le  Dr  Huard,  les  matrones  ont  une  manière 
assez  singulière  de  remplacer  la  ligature  du. 
cordon;  après  avoir  coupé  le  cordon  du  nou- 
veau-né, elles  saisissent  entre  deux  doigts 
l'extrémité  des  vaisseaux,  et  refoulent  l'enve- 
loppe membraneuse  vers  l'ombilic,  où  elle 
forme  une  sorte  de  bourrelet  qui  comprime 
ceux-ci  et  rend  inutile  toute  ligature. 

Chez  lesM'Bengas  du  Gabon,  quand  il  naît 
deux  enfants  le  même  jour  dans  la  tribu,  on 
plante  deux  arbres  de  même  âge  et  de  même 
essence;  si  l'un  ou  l'autre  de  ces  arbres  vient 
à  mourir  ou  à  être  brisé  par  le  vent,  c'est  un 
signe  qui  annonce  la  mort  prochaine  de  l'en- 
fant pour  lequel  l'arbre  détru  it  a  été  planté  (1) . 
Les  femmes  de  la  Côte  d'Or  (2),  dès  les  pre- 
miers temps  de  la  grossesse,  sont  conduites 
sur  le  bord  de  la  mer  où  des  enfants  les  cou- 
vrent d'ordures;  après  quoi  elles  se  baignent 
et  se  lavent  avec  soin.  Les  indigènes  sont  per- 
suadés qu'il  arriverait  malheur  à  quelqu'un 
de  la  famille  si  cette  précaution  n'était  pas 
prise.  L'accouchement  a  lieu  devant  un  grand 
nombre  de  curieux  des  deux  sexes  ;  la  pa- 
tiente se  garde  bien  de  proférer  aucune  plainte  de  peur  d'être  tournée 
en  ridicule  par  la  trop  nombreuse  assistance  qui  l'entoure.  Celle-ci  ne 
se  retire  de  la  case  qu'après  la  délivrance  de  la  femme,  pour  lui  per- 
mettre de  dormir  trois  ou  quatre  heures,  après  lesquelles  elle  se  lève 
et  reprend  ses  occupations  ordinaires.  Le  Konfor  ou  prêtre  vient 
attacher  sur  différentes  parties  du  corps  de  l'enfant  des  petits  paquets 
d'écorce  de  l'arbre  fétiche,  qui  passe  pour  un  préservatif  contre  toutes 
sortes  de  maladies  et  de  fâcheux  accidents. 

A  la  Côte  des  Esclaves,  suivant  Féris,  les  accouchements  gémel- 
laires sont  fréquents;  si  l'un  des  jumeaux  meurt,  le  survivant  con- 
serve une  poupée  en  bois  qui  représente  son  frère  ;  le  plus  souvent, 


Fig.  432.  —  Sénégalaise  portant 
un  enfant. 


(1)  Duloup,  Revue  d?  ethnographie,  1883. 
{!)  Histoire  générale  des  voyages,  t.  XV. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


613 


il  la  porte  attachée  derrière  le  dos.  En  revanche,  on  tue  tout  enfant 
venant  au  monde  avec  des  dents. 

Au  Bénin,  nous  l'avons  dit,  la  naissance  des  jumeaux  est  célébrée 
par  des  réjouissances  publiques,  et  le  roi  fournit  à  l'un  des  enfants 


Fig.  433.  —  Bain  après  l'accouchement,  en  Guinée,  d'après  Picard. 


une  nourrice  ;  c'est  ordinairement  une  femme  qui  vient  de  perdre  son 
enfant.  Dans  la  ville  d'Arebo,  dépendant  du  même  royaume,  les 
mères  qui  mettent  au  monde  des  jumeaux  sont,  au  contraire,  sacri- 
fiées avec  leurs  enfants.  Le  mari,  il  est  vrai,  est  libre  de  racheter  sa 
femme,  en  offrant  une  esclave  à  sa  place;  mais  les  enfants  sont  lou- 


614 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


jours  égorgés  sans  pitié;  un  grand  nombre  de  femmes,  par  crainte 
de  cette  loi  barbare,  vont  accoucher  dans  les  pays  voisins.  Artus  nous 


Fig.  434.  —  Accouchement  en  Guinée,  d'après  Picard. 

apprend  (I)  qu'au  Bénin,  on  pratique,  sur  le  corps  du' nouveau-né, 
trois  grandes  incisions,  depuis  les  épaules  jusqu'au  nombril;  c'est 
sans  doute  une  marque  distinclive  comme  à  Biafra,  où  l'on  a  cou- 
tume de  brûler  le  front  avec  un  fer  rouge,  pour  faire  une  cicatrice  qui 


(1)  Daniell,  Desc.  qt  Guinea. 


MOEURS   ET   COUTUMES  615 

permet  aux  guerriers  de  se  reconnaître  dans  les  combats.  Les  habi- 
tants du  Bénin  pensent  que  sept  jours  après  l'accouchement,  tout 
danger  a  disparu  pour  la  mère  et  l'enfant,  aussi  le  père  manifeste-t-il 
sa  joie  par  une  petite  fête  de  famille  et,  dans  l'espoir  de  bien  disposer 
les  esprits  à  l'égard  des  siens,  il  expose  sur  les  chemins  qui  avoisinent 
sa  case,  quantité  de  liqueurs  et  d'aliments  à  leur  intention. 

En  Guinée,  comme  d'ailleurs  dans  la  plupart  des  peuplades  sau- 
vages, aussitôt  après  la  délivrance,  la  femme  va  laver  son  enfant 
dans  la  rivière  (fig.  433).  De  retour  à  sa  case,  elle  reçoit  la  visite  des 
habitants  de  la  tribu  (fig.  434)  qui,  en  signe  de  joie,  entonnent  un 
chant  monotone  accompagné  de  claquements  de  main  cadencés,  et 
s'enivrent  abominablement. 

Au  Loango  (1),  lorsque  le  mari  a  quelque  raison  de  soupçonner  la 
fidélité  de  sa  femme  devenue  enceinte,  on  fait  subir  à  un  esclave 
l'épreuve  du  poison.  S'il  meurt,  la  femme  est  brûlée  vive,  et  son 
amant  prétendu  est  enterré  vif.  Ces  deux  malheureux,  comme  on 
le  voit,  sont  à  la  merci  des  prêtres  qui  préparent  la  boisson  d'é- 
preuve. 

Heureux  les  Ouatatourous,  s'ils  connaissent  leur  bonheur  !  M.  Du- 
trieux  nous  apprend  que,  dans  cette  tribu  fortunée,  une  belle-mère  ne 
se  permettrait  pas  de  parler  à  son  gendre  ni  même  de  le  regarder.  Si 
elle  désire  lui  faire  une  communication  quelconque,  elle  lui  tourne 
le  dos  et  s'adresse  à  lui  par  l'intermédiaire  d'un  tiers.  «  Les  peuples 
sauvages,»  fait  observer  à  ce  sujet  le  Dr  Cyrnos,  «  ont  trouvé  là  un 
moyen  assez  curieux  d'assurer  leur  tranquillité  domestique.  Que  d'es- 
prits mal  faits,  dans  nos  pays  civilisés,  seraient  tentés  de  faire  à  cet 
égard  l'essai  loyal  des  mœurs  africaines  !  » 

Les  guerriers  Zoulous,  au  dire  de  Hoberland,  doivent  rester  céli- 
bataires, et  il  leur  est  enjoint  d'extraire  du  sein  de  leur  mère  les  en- 
fants qu'ils  pourraient  avoir.  Les  nègres  de  l'intérieur  de  l'Afrique 
ont  aussi  l'habitude  de  faire  avorter,  par  des  coups  de  poing  sur  l'ab- 
domen, la  femme  qui  devient  enceinte  pendant  qu'elle  allaite  encore. 

Quand  une  Hottentote  est  sur  le  point  d'accoucher,  le  mari  se  retire 
et  va  prévenir  la  sage-femme,  que  chaque  kraal  doit  entretenir  à  ses 
frais.  Si  le  travail  se  ralentit,  on  donne  à  la  femme  une  décoction  de 
tabac  dans  du  lait.  L'accouchement  se  fait  sur  un  krais  ou  mante  qui 
sert  aux  femmes  pour  cet  office  et  que  l'on  enterre  aussitôt  après  la 
délivrance,  dans  la  crainte  de  quelque  sortilège.  Dès  que  l'enfant  est 
venu  au  monde,  on  commence  par  le  coucher  à  terre  sur  la  peau  de 

(1)  Histoire  générale  des  Voyages,X.YI. 


616  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


quelque  animal,  après  avoir  lié  le  cordon  avec  une  artère  de  mouton; 
on  lui  frotte  ensuite  tout  le  corps  avec  de  la  fiente  de  vache,  et  on 
l'expose  ainsi  dans  la  campagne  aux  injures  de  l'air. 

Le  soleil  dessèche  peu  à  peu  les  ordures  dont  l'enfant  est  couvert, 
et  les  convertit  en  une  croûte  difficile  à  enlever.  Les  femmes  lavent 
alors  le  corps  du  nouveau-né  avec  le  jus  de  certaines  feuilles,  broyées 
entre  deux  pierres.  Après  quoi,  elles  l'enduisent  de  graisse  de  brebis 
ou  d'agneau,  et  le  saupoudrent  de  bukku.  Les  parents  lui  donnent 
ensuite  le  nom  de  quelque  animal,  âne,  bœuf,  cheval,  etc.,  dont  les 
qualités  sont  louables  aux  yeux  des  Hottentots.  Si  une  femme 
accouche  d'un  enfant  mort,  le  mari  est  forcé  de  se  purifier  avant  d'être 
admis  de  nouveau  dans  la  société  des  hommes.  Nous  avons  déjà  parlé 
du  sort  des  jumeaux,  nous  n'y  reviendrons  que  pour  décrire, 
d'après  Corre,  la  bizarre  méthode  employée  par  les  Hottentots  pour 
faire  la  castration  d'un  testicule  sur  les  garçons,  vers  l'âge  de  neuf  à 
dix  ans,  opération  qu'ils  pratiquent  dans  la  crainte  où  ils  sont  de  pro- 
créer des  jumeaux,  s'ils  ont  deux  testicules  : 

«  Le  jeune  homme,  après  avoir  été  frotté  de  graisse  fraîche  de 
mouton,  est  étendue  terre,  sur  le  dos,  les  pieds  et  les  mains  liés;  ses 
amis  se  couchent  sur  lui  pour  le  rendre  immobile.  Dans  cette  situa- 
tion, l'opérateur  lui  fait,  avec  un  couteau,  une  ouverture  au  scrotum, 
d'un  pouce  et  demi  de  largeur.  Il  fait  sortir  le  testicule  et  met  à  la 
place  une  petite  boule  de  la  même  grosseur,  composée  de  graisse  de 
mouton  et  d'un  mélange  d'herbe  pulvérisée;  ensuite  il  recoud  la  bles- 
sure avec  un  petit  os  d'oiseau  aussi  pointu  qu'une  alêne  ;  une  artère 
de  mouton  sert  de  fil.  Cette  opération  se  fait  avec  une  adresse  qui 
surprendrait  nos  plus  habiles  anatomistes,  et  jamais  elle  n'a  eu  de 
suites  fâcheuses.  Lorsqu'elle  est  achevée,  l'opérateur  recommence 
les  onctions  avec  de  la  graisse  de  mouton  qu'on  a  tué  pour  la  fête.  Il 
tourne  le  patient  sur  le  dos,  sur  le  ventre,  comme  un  cochon  de  lait 
qu'on  disposerait  à  rôtir  :  enfin  il  urine  sur  toutes  les  parties  du  corps 
et  le  frotte  soigneusement  de  son  urine.  Après  cette  monstrueuse 
cérémonie,  le  jeune  homme  se  traîne  dans  une  petite  hutte  bâtie 
exprès  pour  cet  usage;  il  y  passe  deux  ou  trois  jours,  au  bout  des- 
quels il  sort  parfaitement  rétabli  »  (1). 

Chacun  sait  que  la  Vénus  Holtentote  a  les  seins  très  développés: 
«  Rien  n'est  plus  commun,  dit  Topinard  au  sujet  des  Hottentotes, 
que  la  description,  par  les  voyageurs,  de  négresses  rejetant  leurs  seins 

(1)  Verrier,  De  V accouchement  comparé  dans  les  races  humaines. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


617 


sur  leurs  épaules,  pour  allaiter  un  enfant  suspendu  sur  leur  dos  (1)  ; 


Fig.  435.  —  Femme  boschimane  allaitant  son  enfant. 

une  femme  boschimane  (fig.  435),  examinée  par  Flower  et  Murrie, 
les  faisait  rejoindre  en  arrière  au-dessus  delà  région  fessière.  » 


(i)  Les  Boschiruanes  se  distinguent  encore  des  autres  négresses  par  la  longueur 
de  leurs  petites  lèvres  qui  atteignent  15  à  18  centimètres  de  long  et  prennent  le 
nom  de  Tablier  des  Hottentotes,  L'allongement  de  ces  replis  muqueux  est  d'ailleurs 
la  règle  dans  la  race  nègre  et  est  considéré  comme  un  agrément.  «  On  dit,  »  raconte 
le  Dr  Corre,  «  que  la  reine  de  Madagascar  est  très  fière  de  la  longueur  de  ses  nym- 
phes, et  que,  dans  ses  moments  de  repos,  elle  entretient  de  jeunes  esclaves  chargées 
de  la  singulière  mission  de  les  tiraillerafin  de  leur  donner  encore  plus  de  longueur.  » 


618 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Une  femme  cafre  qui  oserait  crier  en  accouchant  serait  déshonorée, 
répudiée  par  son  mari,  reniée  de  sa  famille.  On  prétend  d'ailleurs 
qu'en  ce  pays  l'enfant  vient  au  monde  sans  pousser  de  cri;  serait-ce 
en  raison  de  la  faible  différence  entre  la  température  de  la  mère  et 
celle  de  l'air   extérieur?  Aussitôt  après  la  naissance,    on  procède 


Fig.  436.  —  Purification  et  exposition  des  enfants,  chez  les  Cafres,  d'après  Picard. 


à  une  sorte  de  purification  (fig.  436)  ;  s'ils  remarquent  quelque 
défaut  sur  le  corps  de  l'enfant,  ils  l'exposent,  comme  autrefois  à 
Rome. 

Les  Nubiennes,  une  fois  l'accouchement  terminé,  sont  lavées  trois 
ou  quatre  fois  par  jour  avec  une  décoction  amère  de  graines  de  garad  ; 
elles  se  reposent  sept  jours. 

A  la  naissance  de  chaque  enfant  mâle,  chez  les  Chaykyes,   on 


MOEURS   ET   COUTUMES 


619 


mange  en  famille  un  mouton  tout  entier,  dont  on  conserve  les  os  dans 
un  sac  pendu  au  plancher.  Cailliaud  (1)  a  vu  jusqu'à  cinq  de  ces  sacs 
suspendus  dans  la  même  habitation,  qui  attestaient  que  la  maîtresse 
de  la  maison  avait  donné  le  jour  à  cinq  garçons. 

«  Les  nègres  du  Soudan  occidental  et  du  centre  de  l'Afrique  se  sont 
toujours  opposés  »,  raconte  le  Dr  Verrier  d'après  Archibald  Hervan, 
«  à  ce  que  leurs  femmes  et  leurs  filles  missent  des  robes  qui  leur 
cachassent  le  sein,  dont  la  turgescence  et  la  coloration  du  mamelon 
leur  permettent  de  se  rendre  compte,  par  la  vue,  du  commencement 
d'une  grossesse  ».  Dans  la  région  soudanienne  que  Felkin  (2)  appelle 
le  district  du  mahdi,  «  aussitôt  qu'une  femme  sent  qu'elle  est  près 
d'accoucher,  elle  s'abstient  de  viandes  et  se  met  à  manger  beaucoup 
de  légumes  ;  elle  nettoyé  sa  hutte,  confie  les  enfants  à  des  voisines, 


&-  o.^'^: 


Fig.  437.  —  Accouchement  en  musique  chez  les  Nyam-Nyam. 

puis  quand  le  travail  commence,  elle  marche  des  heures  entières. 
Chez  les  Nyam-Nyam,  les  femmes  sont  autant  que  possible  délivrées 
auprès  d'une  eau  courante.  Accompagnée  de  ses  amies,  la  patiente 
se  met  à  la  recherche  d'un  endroit  retiré  et  s'installe  sur  un  tronc 
d'arbre,  pendant  que  tout  son  entourage  joue  du  tambour  ou  sonne 
avec  une  espèce  de  cornet  (fig.  437).  Aussitôt  après  la  naissance, 
l'enfant,  dont  le  cordon  est  coupé  immédiatement,  est  plongé  dans 
l'eau  ». 


(1)  Voyage  à  Méroé. 

(2)  D'après  sa  communication  faite  à  YEdimb.  mcd.  Journ.  (avril  1884)  et  traduite 
dans  la  France  médicale  par  le  Dr  Bouclier. 


620 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Au  pays  de  Bongo,  c'est  un  usage  de  conduire  au  bain  la  mère  et 
l'enfant  aussitôt  après  la  délivrance.  Une  bande  d'amis  poussant  des 
cris  joyeux  les  accompagne,  et  une  femme  qui  danse  en  tête,  après 
avoir  détaché  le  placenta,  le  jette  dans  le  courant  du  fleuve,  aussi 
loin  que  possible. 

Chez  les  Wanickas  et  dans  d'autres  tribus  du  centre,  on  pratique 
la  section  du  cordon  avec  des  couteaux  de  silex  emmanchés  sur  des 
cornes  de  vache  d'une  forme  originale.  Ces  cornes  ont  un  autre  usage, 
elles  servent  encore  de  verre  à  ventouse  que  l'on  applique  sur  diffé- 
rentes parties  du  corps  de  l'accouchée,  préalablement  scarifiées  à 
l'aide  du  même  couteau  en  silex,  pour  en  retirer  le  mauvais  sang. 

En  général,  dans  l'Afrique  centrale,  les  hommes  n'assistent  pas 
aux  accouchements.  «  Chose  singulière  »,  ajoute  Felkin,  «  moins  la 
tribu  est  vêtue,  plus  la  conduite  est  décente  en  cette  circonstance. 
Ainsi,  dans  l'Uganda,  la  loi  punit  de  mort  tout  adulte  qui  se  pro- 


Fig.  438.—  Mamelons  d'une  négresse  de  Loango. 


mènerait  nu.  Quand  la  femme  est  en  travail,  ses  amies  chantent  un 
air  lent  et  plaintif,  encourageant  la  patiente  de  toutes  les  façons  pos- 
sibles. Le  cordon  est  coupé  à  4  pouces  du  corps  de  l'enfant  avec  un 
couteau  de  pierre,  quelquefois  aussi  il  est  rompu  par  traction.  Vient- 
il  à  saigner,  une  femme  le  saisit  dans  sa  bouche  et  le  mordille  jusqu'à 
ce  que  l'hémorrhagie  se  soit  arrêtée.  Dans  aucun  cas,  je  n'ai  vu  pra- 
tiquer la  ligature.  Le  placenta  est  brûlé  en  dehors  de  la  hutte  de  côtés 
différents,  suivant  qu'il  s'agit  d'un  garçon  ou  d'une  fille. 


MOEURS   ET    COUTUMES 


621 


«  Quand  la  délivrance  a  eu  lieu,  l'accouchée,  conduite  auprès  d'un 
grand  feu,  est  étendue  sur  des  fourrures,  et  le  vernis  caséeux  est 
enlevé  avec  beaucoup  de  précautions  du  corps  de  l'enfant,  qui  est 
ensuite  frictionné  avec  de  l'huile  et  enveloppé  dans  une  peau  moel- 
leuse, avant  d'être  présenté  à  son  père  et  aux  amis  de  la  famille.  Une 
heure  environ  après  la  naissance,  on  lui  donne  le  sein,  et,  pour  faci- 
liter l'allaitement,  les  femmes  de  presque  toutes  les  tribus  d'Afrique 
ont  coutume,  pendant  les  quelques  jours  qui  précèdent  l'accouche- 
ment, d'exercer  des  tractions  et  des  tiraillements  sur  le  mamelon 
(fig.  438).  Puis  trois  ou  quatre  jours  se  passent  et  la  mère  reprend 
ses  occupations  habituelles,  non  sans  être  restée  un  certain  temps  à 
la  porte  de  sa  hutte  pour  recevoir  les  félicitations  de  toutes  ses  com- 
pagnes. Pendant  une  semaine  et  plus,  elle  est  obligée  de  vivre  seule- 
ment de  légumes  et  elle  doit  rester  six  mois  sans  avoir  de  rapports 
avec  son  mari.  L'enfant  est  nourri  au  sein  pendant  deux  ans.  » 


Fig.  439.  —  Une  opération  césarienne  à  Kahura. 


Ce  même  pays  de  l'Uganda  est  le  seul  de  toute  l'Afrique  centrale 
où  l'on  pratique  l'incision  abdominale,  dans  l'espoir  de  sauver  à  la 
fois  la  mère  et  l'enfant.  «  Exécutée,»  continue  Felkin,  «par  des  hommes 
de  la  tribu,  cette  opération  est  quelquefois  suivie  de  succès,  et  j'eus 
l'occasion  d'en  constater  un  en  1879  à  Kahura.  L'instrument  employé 
est  représenté  figure  440.  Il  s'agissait  d'une  femme  très  jolie  pour  une 
négresse,  et  en  parfait  état  de  santé,  âgée  d'environ  vingt  ans^  pri- 
mipare. J'arrivais  tout  justement  dans  la  hutte  au  commencement 
de  l'opération  et  l'on  ne  me  permit  pas  de  l'examiner.  A  côté 
de  la  patiente,  déjà  à  moitié  ivre  et  entièrement  nue,  était  une  cer- 
taine   quantité  de  vin   de   bananes  ;    une  bande  de  mbugu,  étoffe 


622 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


résistante  faite  avec  l'écorce  des  arbres,  lui  fixait  le  thorax  sur  sa 
couche,  un  autre  lui  maintenait  les  cuisses  et  un  assistant  immobi- 
lisait les  pieds,  tandis  qu'à  droite  un  aide  tendait  la  peau  de  l'abdo- 
men. L'opérateur,  le  couteau  levé,  placé  à  gauche  du  lit,  marmotta 
d'abord  une  invocation.  Cette  cérémonie  préliminaire  accomplie,  il 
arrosa  abondamment  le  ventre  de  la  femme  et  ses  mains,  avec  du 
vin  de  bananes  et  de  l'eau;  puis  ayant  poussé  un  cri  perçant, 
répété  par  la  foule  qui  se  tenait  en  dehors  de  la  hutte,  il  fit  une 


Fig.  440.  —  Couteau  d'un  magicien 
pour  faire  l'opération  césarienne. 


Fig.  441.  —  Suture  de  la  paroi  abdo- 
minale après  l'opération  césarienne. 


rapide  incision  étendue  du  pubis  au  niveau  de  l'ombilic  et  un  peu 
au-dessous.  Les  parois  de  l'abdomen  et  de  l'utérus  ayant  été  traver- 
sées, le  liquide  amniotique  s'écoula  en  dehors  et,  quelques  vaisseaux 
donnant  du  sang,  un  des  assistants  arrêta  l'hémorrhagie  avec  un  fer 
rouge.  L'opérateur  finit  ensuite  de  sectionner  l'utérus,  pendant  qu'un 
aide  écartait  les  bords  de  la  plaie  avec  les  doigts  recourbés  en  cro- 
chets. L'enfant  fut  enlevé,  donné  à  des  personnes  de  l'assistance 
après  que  le  cordon  eut  été  coupé,  et  l'accoucheur,  laissant  tomber 
son  couteau,  empoigna  l'utérus  à  deux  mains,  en  le  serrant  à  plu- 
sieurs reprises  de  toutes  ses  forces.  Alors,  enfonçant  le  bras  droit 
dans  la  cavité  du  corps  par  l'ouverture,  il  alla  avec  deux  ou  trois 


MOEURS  ET   COUTUMES  623 


doigts  dilater  le  col,  ramenant  des  caillots  et  le  placenta,  pendant 
que  les  aides  essayaient  d'empêcher  la  masse  intestinale  de  faire 
hernie  à  travers  la  blessure.  Un  fer  rouge  fut  appliqué  pour  ar- 
rêter toute  hémorrhagie,  mais  très  rapidement,  pendant  que  le 
chirurgien  en  chef  exerçait  sur  l'utérus  une  compression  qu'il  con- 
tinuait jusqu'à  contraction  parfaite.  Aucune  suture  ne  fut  faite  à  ce 
moment,  et  l'aide  qui  avait  tendu  la  peau  au  commencement  de  l'opé- 
ration, plaça  ses  mains  aux  extrémités  de  la  plaie  sur  laquelle  on 
étendait  un  carré  d'herbes  tressées.  Les  bandes  d'étoffe  qui  rete- 
naient la  femme  furent  coupées,  on  la  porta  vers  le  haut  du  lit,  puis, 
les  assistants,  la  prenant  dans  leurs  bras,  la  retournèrent  de  façon  à 
faire  écouler  tout  le  liquide  que  pouvait  contenir  la  cavité  abdomi- 
nale. Elle  fut  ensuite  replacée  dans  la  première  position  et  le  carré 
d'herbes  tressées  ayant  été  enlevé,  les  bords  de  la  plaie,  la  peau  et  le 
péritoine  furent  soigneusement  adossés  au  moyen  de  sept  pointes 
bien  polies,  comme  des  épingles  à  acupressure  et  réunies  ensuite  par 
une  ficelle  (fig.  441).  Une  pâte  composée  de  deux  racines  différentes, 
préparée  par  la  mastication  et  recueillie  ensuite  dans  un  vase,  fut 
appliquée  en  guise  d'emplâtre  sur  la  blessure,  par  dessus  une  feuille 
de  bananier  préalablement  chauffée,  et  enfin  une  bande  solide  de 
mbugu. 

«  Jusqu'au  moment  où  les  pointes  furent  enfoncées,  la  patiente  ne 
poussa  pas  le  moindre  cri,  et  une  heure  après  l'opération,  elle  sem- 
blait tout  à  fait  à  l'aise.  Sa  température  ne  s'éleva  jamais  au-dessus 
de  99°, 6  Farenheit  (37°,5),  excepté  la  nuit  qui  suivit  l'opération  où  elle 
fut  à  101°  F.,  son  pouls  étant  108. 

«  L'enfant  fut  mis  au  sein  deux  heures  après  l'opération,  mais  au 
bout  d'une  dizaine  de  jours,  le  lait  manquant,  il  fut  nourri  par  une 
autre  femme  de  la  tribu.  La  plaie  fut  pansée  le  matin  du  troisième  jour 
et  une  des  pointes  enlevée.  Le  cinquième  jour,  trois  autres  pointes 
furent  retirées  et  le  reste  le  sixième.  A  chaque  pansement,  de  la 
pulpe  fraîche  était  appliquée  et,  avec  un  petit  tampon  de  la  même 
pulpe,  le  pus  essuyé,  puis  un  bandage  très  solide  était  toujours  remis 
par  dessus  le  tout.  Neuf  jours  après  l'opération,  la  blessure  était 
cicatrisée  et  la  femme  paraissait  entièrement  rétablie.  L'écoulement 
vaginal  était  normal;  quant  à  l'enfant,  il  avait  reçu  une  très  légère 
blessure  sur  l'épaule  droite,  elle  fut  pansée  avec  la  pulpe  et  guérit  en 
quatre  jours.  » 

Colons  et  indigènes  d'Amérique.  —  Buffon  raconte  que 
les  femmes  des  Esquimaux,  tout  comme  les  Hottentotes,  donnaient 


624 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


le  sein  par  dessus  les  épaules,  coutume  qui  serait  peu  pratique  en 
des  climats  aussi  froids.  Ce  qui  a  pu  causer  l'erreur,  c'est  que  l'enfant 
demeure  enfermé  deux  ou  trois  ans  derrière  le  dos  de  sa  mère,  dans 
une  espèce  de  capuchon  fort  ample,  qui  permet  à  la  mère  de  faire 
passer  l'enfant  par  dessous  les  bras  jusque  sur  la  poitrine  et  de  lui 
donner  le  sein,  sans  le  tirer  de  son  sac  (fig.  442). 
Les  femmes  des  Chipiouyans  allaitent  aussi  leurs  enfants  de  la 


Fig.  442.  —  Esquimaux  de  la  péninsule  Melville. 


môme  façon  et  portent,  à  cet  effet,  des  camisoles  très  amples  par  le 
haut.  Elles  ont,  comme  dans  beaucoup  d'autres  peuplades,  l'étrange 
coutume,  à  la  naissance  de  leur  enfant,  de  couper  un  morceau  du 
cordon,  et  de  le  porter  attaché  à  leur  cou  dans  un  sachet  qu'elles 
ornent  de  piquants  de  porc-épic  et  de  grains  de  verroterie. 

Au  Canada,  les  courses  sont  longues;  obligées  de  porter  leurs 
enfants,  les  femmes  canadiennes  les  emmaillotent  dans  un  petit 
berceau  où  ils  ne  peuvent  remuer  ni  bras  ni  jambes;  ce  berceau  est 


MOEURS    ET   COUTUMES 


625 


ensuite  emboîté  dans  une  sorte  de  hotte  élevée  (fîg.  443),  dont  elles 
se  passent  les  courroies  autour  des  épaules  ;  ainsi  chargées,  elles 
cheminent  lestement.  Le  dos  du  nourrisson  est  appuyé  contre  la' 
mère;  sa  figure  est  au  grand  air.  La  hotte  est  détachée  aux  stations 
et  posée  contre  un  arbre,  contre  une  pierre,  ou  accrochée  à  une 
branche.  Les  mères  mettent  la  plus  grande  coquetterie  à  bien  décorer 
leur  panier  à  poupon  :  il  est  artistement  tressé  et  les  courroies  en 
sont  soigneusement  travaillées. 

La  fécondité  des  Canadiennes  est  proverbiale  dans  le  Nouveau- 


Fig.  443.  —  Berceaux  canadiens. 


Monde.  D'après  une  vieille  coutume,  le  vingt-sixième  de  toute  ré- 
colte appartient  au  prêtre  canadien.  Le  vingt-sixième  enfant  de  chaque 
famille  appartient  donc  au  prêtre  qui  le  prend  dès  sa  naissance  et 
l'élève  à  ses  frais.  Il  n'est  pas  dans  tout  le  Bas-Canada  un  seul  vil- 
lage dont  le  curé  n'ait,  de  la  sorte,  trois  ou  quatre  enfants  chez  lui. 
Celte  fécondité  n'étonnera  personne  quand  on  saura  que  les  Acadiens 
réfugiés  il  y  a  deux  siècles  dans  l'île  d'Anticosti,  où  ils  fondèrent 
400  foyers,  représentent  actuellement  une  population  de  125,000  âmes. 
Suivant  le  docteur  Coates,  de  Puebla,  quand  le  placenta  tarde  trop 


HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS. 


1) 


G  26 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


à  sortir,  les  Espagnoles  du  bas-peuple  mexicain  avalent  un  verre  de 
savon,  qui  produit  des  vomissements  toujours  suivis  de  l'expulsion  de 
l'arrière-faix.  Chez  les  Indiens  de  l'Est,  si  le  travail  est  trop  labo- 
rieux, la  sage-femme  souffle  une  préparation  spéciale  dans  la  bouche 
de  la  patiente  pour  la  faire  vomir  (fig.  444).  Les  Gros-Ventres  activent 
l'accouchement,  en  faisant  éternuer  la  patiente  avec  une  poudre  spé- 
ciale, et,  si  l'effet  se  fait  attendre,  ils  administrent  un  vomitif.  Certaines 
tribus  indiennes,  dans  les  cas  de  délivrance  tardive,  provoquent  le 


*ïx. 


Fig.  444.  —  Sage-femme   kiowa   soufflant  une  poudre  émélique  dans   la  bouche  de  la  patiente. 


vomissement  avec  le  doigt  ;  d'autres  font  avaler  à  la  patiente  une 
grande  quantité  de  fèves  sèches  qui,  sous  l'influence  des  sucs  de 
l'estomac,  augmentent  considérablement  de  volume  et  exercent  une 
compression  interne  sur  le  fond  de  l'utérus.  Ces  moyens  ne  sont  em- 
ployés que  lorsque  le  massage  abdominal,  comme  on  l'observe  chez 
les  Penimonees  (fig.  445),  n'a  pas  donné  de  résultats.  On  remarquera 
que  la  méthode  par  expression  de  Kristeller  (fig.  446),  est  en  tout 
semblable  à  celle  qui  est  mise  en  pratique  par  ces  primitifs. 


MOEURS    ET    COUTUMES 


627 


Dans  son  Voyage  en  Amérique,  Chateaubriand  décrit  ainsi  les  cou- 
tumes des  Peaux-Rouges  :  «  Vers  la  fin  du  neuvième  mois  de  sa 


F:g.445.  —  Massage  employé  par  les  Penimonees  pour  la  délivrance  (Engelmann). 


grossesse,  la  femme  se  retire  à  la  hutte  des  purifications  où  elle  est 


Fig.  44G.  —   Méthode  par  expression  de  Kristeller. 

assistée  par  les  matrones.  Les  hommes,  sans  en  excepter  le  mari,  ne 


628  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

peuvent  entrer  dans  cette  hutte.  La  femme  y  demeure  trente  ou  qua- 
rante jours  après  ses  couches,  selon  qu'elle  a  mis  au  monde  une 
fille  ou  un  garçon. 

«  Lorsque  le  père  a  reçu  la  nouvelle  de  la  naissance  de  son  enfant, 
il  prend  un  calumet  de  prix,  dont  il  entoure  le  tuyau  avec  des  pampres 
de  vigne  vierge,  et  court  annoncer  l'heureuse  nouvelle  à  tous  les 
membres  delà  famille.  Il  se  rend  d'abord  chez  les  parents  maternels, 
parce  que  l'enfant  appartient  exclusivement  à  la  mère.  S'approchant 
du  sachem  le  plus  âgé,  après  avoir  fumé  vers  les  quatre  points  car- 
dinaux, il  lui  présente  la  pipe  en  disant  :  «  Ma  femme  est  mère.  »  Le 
sachem  prend  la  pipe, .fume  à  son  tour  et  dit,  en  ôtant  le  calumet  de 
sa  bouche  :  «  Est-ce  un  guerrier  ?  »  Si  la  réponse  est  affirmative, 
le  sachem  fume  trois  fois  vers  le  soleil  ;  si  la  réponse  est  négative,  le 
sachem  ne  fume  qu'une  fois.  Le  père  est  reconduit  en  cérémonie  plus 
ou  moins  loin,  selon  le  sexe  de  l'enfant.  Un  sauvage  devenu  père 
prend  une  tout  autre  autorité  dans  la  nation;  sa  dignité  d'homme 
commence  avec  sa  paternité. 

«  Après  les  trente  ou  quarante  jours  de  purification,  l'accouchée 
se  dispose  à  revenir  à  sa  cabane  :  les  parents  s'y  rassemblent  pour 
imposer  un  nom  à  l'enfant.  On  éteint  le  feu  ;  on  jette  au  vent  les 
anciennes  cendres  du  foyer  ;  on  prépare  un  bûcher  composé  de  bois 
odorants.  Le  prêtre  ou  jongleur,  une  mèche  à  la  main  se  tient  prêt  à 
allumer  le  feu  nouveau.  On  purifie  les  lieux  d'alentour  en  les  asper- 
geant avec  de  l'eau  de  fontaine.  Bientôt  s'avance  la  jeune  mère;  elle 
vient  seule,  vêtue  d'une  robe  nouvelle  ;  elle  ne  doit  rien  porter  de  ce 
qui  lui  a  servi  autrefois.  Sa  mamelle  gauche  est  découverte;  elle  y 
suspend  l'enfant  complètement  nu  ;  elle  pose  le  pied  sur  le  seuil  de 
la  porte.  Le  prêtre  met  le  feu  au  bûcher;  le  mari  s'avance,  et  reçoit 
son  enfant  des  mains  de  sa  femme.  Il  le  reconnaît  d'abord  et  l'avoue 
à  haute  voix.  Chez  quelques  tribus,  les  parents  du  même  sexe  que 
l'enfant  assistent  seuls  aux  relevailles.  Après  avoir  baisé  les  lèvres 
de  son  enfant,  le  père  le  remet  au  plus  vieux  sachem;  le  nouveau-né 
passe  ainsi  entre  les  bras  de  toute  la  famille  :  il  reçoit  la  bénédiction 
du  prêtre  et  les  vœux  des  matrones. 

«  On  procède  ensuite  au  choix  d'un  nom  :  la  mère  reste  toujours  sur 
le  seuil  de  la  cabane.  Chaque  famille  a  ordinairement  trois  ou  quatre 
noms  qui  reviennent  tour  à  tour  ;  mais  jamais  il  n'est  question  que  de 
ceux  du  côté  maternel.  Selon  l'opinion  des  sauvages,  c'est  le  père  qui 
crée  l'âme  de  l'enfant,  la  mère  n'en  engendre  que  le  corps  :  on  trouve 
juste  que  le  corps  ait  un  nom  qui  vienne  de  la  mère.  Quand  on  veut 
faire  un  grand  honneur  à  l'enfant,  on  lui  confère  le  nom  le  plus  ancien 


MOEURS   ET   COUTUMES  629 

dans  sa  famille  :  celui  de  son  aïeule,  par  exemple.  Dès  ce  moment, 
l'enfant  occupe  la  place  de  la  femme  dont  il  a  recueilli  le  nom  ;  on 
lui  donne,  en  lui  parlant,  le  degré  de  parenté  que  son  nom  fait  revivre  : 
ainsi  un  oncle  peut  saluer  un  neveu  du  titre  de  grand"1  mère. 

«  Après  l'imposition  du  nom,  la  mère  entre  dans  la  cabane  ;  on  lui 
rend  son  enfant  qui  n'appartient  plus  qu'à  elle.  Elle  le  met  dans  un 
berceau.  Ce  berceau  est  une  petite  planche  du  bois  le  plus  léger  qui 
porte  un  lit  de  mousse  ou  de  coton  sauvage  :  l'enfant  est  déposé  tout 
nu  sur  cette  couche;  deux  bandes  d'une  peau  moelleuse  l'y  retiennent 
et  préviennent  sa  chute,  sans  lui  ôter  le  mouvement.  Au-dessus  de  la 
tête  du  nouveau-né  est  un  cerceau  sur  lequel  on  étend  un  voile  pour 
éloigner  les  insectes  et  pour  donner  de  la  fraîcheur  et  de  l'ombre  à  la 
petite  créature.  »  Tout  cela  est  superbement  dit  ;  malheureusement, 
avec  Chateaubriand  ilfaut  toujours  faireuneforte  part  à  l'imagination. 

Ce  qui  est  certain  c'est  que,  tout  au  contraire  des  Asiatiques,  chez 
qui  on  peut  observer  une  répugnance  marquée  de  la  part  de  l'époux 
à  secourir  sa  moitié,  les  Peaux-Rouges  aident  leurs  femmes  en  travail 
avec  la  plus  grande  sollicitude.  Ils  offrent  cependant  un  trait  de  res- 
semblance avec  les  indigènes  de  nos  colonies  asiatiques  ;  si  l'on  en 
juge  par  les  Peaux-Rouges  que  nous  avons  vus  au  Jardin  d'acclima- 
tation, ils  enterrent  le  placenta  à  l'endroit  même  où  l'accouchement 
a  eu  lieu.  La  coutume  suivante  semble  aussi  importée  d'Asie.  Le 
docteur  Reeve,  dans  les  Comptes  rendus  de  la  Société  gynécologique 
d'Amérique  de  1881,  raconte  que,  chez  les  aborigènes  de  l'Ohio, 
aussitôt  que  l'enfant  est  né,  le  père  urine  dans  un  vase  et  lui  fait 
prendre  quelques  gorgées  de  ce  liquide. 

Chez  les  Comanches,  d'après  la  relation  du  Dr  Forwood,  rapportée 
par  Engelmann  (1),  pendant  qu'une  femme  accouche,  le  sorcier  de  la 
tribu  chasse  les  esprits  malfaisants  par  des  cris  sauvages,  des  danses 
autour  d'un  foyer  ardent  et  des  jongleries  avec  des  couteaux;  quand 
l'enfant  vient  au  monde,  il  semble  tirer  quelque  chose  de  son  estomac 
en  faisant  des  mouvements  de  déglutition,  puis  il  lui  souffle  dans  la 
bouche,  avec  force,  comme  s'il  faisait  pénétrer  ce  quelque  chose  dans 
le  corps  du  nouveau-né.  Si  le  travail  est  laborieux,  la  patiente  est 
conduite  en  plaine  :  un  guerrier  enfourche  un  cheval  fougueux  et  se 
dirige  à  toute  vitesse  sur  la  parturiente,  mais,  arrivé  auprès  d'elle, 
il  tourne  la  bride  de  côté  et  l'évite  (fig.  447).  Cette  pratique  bizarre,  par 
la  peur  qu'elle  provoque  serait  souveraine  pour  déterminer  l'expul- 
sion rapide  du  fœtus. 

(1)  Loc.  cit. 


630 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 


Une  coutume  analogue  a  été  observée  par  le  P.  Charlevoix  :  il  dit, 
dans  son  Histoire  de  la  Nouvelle  France,  que  quand  une  Indienne  de 
l'Amérique  du  Nord  a  un  accouchement  difficile,  on  réunit  en  silence 


les  jeunes  gens  autour  de  la  case  de  la  patiente,  puis,  à  un  signal 
donné,  et,  sans  que  la  femme  s'en  doute,  ils  poussent  des  cris  effroya- 
bles ;  souvent  la  peur  termine  l'accouchement.  Cette  pratique  rappelle 
la  fusillade  faite  à  la  porte  de  l'accouchée,  en  Sibérie. 


MOEURS    ET   COUTUMES 


631 


Il  est  du  reste  fréquent  chez  les  peuples  primitifs,  de  les  entendre 
faire  un  bruit  infernal  autour  de  l'accouchée,  comme  nous  l'avons  vu 
dans  le  centre  de  l'Afrique,  pour  en  chasser  les  mauvais  esprits. 
C'est  en  particulier  ce  qui  se  passe,  d'après  Orélie-Antoine  Ier,  chez 
les  Araucaniens,  où  les  indigènes  se  tiennent  autour  de  la  case  de  la 
patiente  et  font  entendre  un  concert  assourdissant  de  cymbales.  Une 
coutume  analogue  s'observe  dans  la  tribu  des  Umpguas.  Le  Dr  Vol- 


Fig.  448.  —  Le  percement  de  l'oreille  des  enfants  chez  les  Patagons. 

lum,  appelé  pour  délivrer  la  femme  d'un  chef  de  cette  tribu,  assista 
à  la  scène  survante  dont  il  communiqua  le  récit  à  Engelmann  (1). 
«  La  patiente  était  dans  une  case  grossièrement  construite  de  fatras 
et  de  bois  amenés  par  les  eaux.  Cette  case  était  remplie  d'hommes  et 
de  femmes  qui  s'étouffaient.  L'odeur  repoussante  de  la  sueur,  de  la 
fumée,  et  l'odeur  infecte  de  l'huile  de  baleine,  rendaient  cette  case 
inhabitable  au  bout  de  quelques  minutes.  La  femme  en  couches,  au 
milieu  de  cette  cohue,  était  toute  nue,  à  l'exception  d'une  mauvaise 
couverture  jetée  sur  ses  hanches.  Une  vieille  femme  lui  soutenait  la 


(1)  Loc.  cit. 


632  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

tête  et  les  épaules  sur  ses  genoux,  tandis  qu'une  autre  femme,  de  cha- 
que côté,  lui  maintenait  fortement  les  cuisses  contre  le  bassin,  tout  en 
manipulant  l'utérus  par  en  bas  d'une  manière  brutale  avec  les  poings 
fermés.  Une  autre  femme,  assise  entre  les  genoux,  les  mains  sous  la 
couverture,  attendait  l'arrivée  de  l'enfant. 

«  La  foule  dans  la  case,  pendant  ce  temps-là,  faisait  un  tapage  in- 
fernal en  criant,  hurlant,  tapant  sur  des  casseroles  de  fer-blanc  et 
frappant  au  plafond  avec  des  perches.  De  temps  en  temps  une  des 
femmes  assistant  la  patiente  lui  faisait  des  passes  magnétiques  et 
l'aspergeait  de  gouttes  d'eau,  comme  les  blanchisseuses  chinoises  le 
font  pour  le  linge.  » 

Les  Patagons  ont  aussi  l'habitude  de  faire  le  même  charivari  au- 
près des  femmes  en  travail.  Ils  ont,  de  plus,  la  coutume  singulière  de 
perforer  le  lobule  de  l'oreille  à  leurs  enfants,  en  les  couchant  sur  un 
cheval  renversé  par  le  chef  de  la  famille  (fîg.  448).  Cette  opération  est 
une  véritable  solennité  analogue  à  celle  du  baptême  ;  elle  s'effectue  au 
moment  du  sevrage  de  l'enfant,  c'est-à-dire  vers  sa  quatrième  année. 

Chez  les  Cheyennes,  les  Araphahoes,  les  Apaches  de  l'Est  et  chez 
beaucoup  d'autres  tribus  indiennes,  la  femme,  près  de  son  terme,  se 
cache  dans  les  bois.  Un  Anglais,  rapporte  le  D1*  Legros,  d'après  les 
Voyages  de  Long,  demanda  où  était  la  femme  d'un  Indien  :  «  Elle  est 
allée  sans  doute  dans  le  bois  tendre  un  piège  à  une  perdrix,  »  lui  répon- 
dit-on. Un  instant  après,  la  femme  revient  avec  un  nouveau-né 
qu'elle  présente  à  l'Anglais  en  lui  disant  :  «  Monsieur,  voici  un  jeune 
guerrier.  » 

A  Haïti,  d'après  le  Dr  Muller,  pendant  la  grossesse,  on  maintient 
le  ventre  et  la  taille  fortement  bandés  avec  une  serviette  très  ten- 
due, pour  empêcher  l'enfant  de  remonter  et  de  manger  les  aliments 
contenus  dans  l'estomac  de  la  mère.  Au  moment  de  l'accouche- 
ment, on  relâche  peu  à  peu  la  serviette  par  en  bas  pour  faciliter  sa 
sortie. 

Wafer  raconte,  dans  son  Voyage  à  l'isthme,  que  les  Indiennes  du 
pays,  aussitôt  après  la  délivrance,  sont  portées  à  la  rivière  sur  le  dos 
d'une  autre  femme,  et  qu'après  quelques  ablutions  elles  retournent  à 
leurs  travaux.  Le  cordon  est  coupé  avec  une  sorte  de  couteau  en  bam- 
bou. Durant  les  premiers  mois,  ajoute-t-il,  l'enfant  est  attaché  sur 
une  planche,  ou  plutôt  sur  une  pièce  de  bois  refendu,  et  on  l'emmail- 
lote avec  ce  bois,  sur  lequel  il  a  le  dos  appuyé. 

Les  femmes  des  Chimehwhuebes,  à  défaut  de  linge,  enveloppent 
leurs  nourrissons  jusqu'à  un  certain  âge,  dans  des  bandes  d'écorce, 
et  les  portent  ainsi  partout  avec  elles. 


MOEURS   ET   COUTUMES  633 

Au  temps  où  Cbamplain  vint  en  Amérique,  les  indigènes  liaient  déjà 
leurs  enfants  sur  une  planche  bien  unie  et  les  enveloppaient  dans  une 
simple  fourrure  en  castor  ou  les  emmaillotaient  avec  de  larges  lanières 
de  peau.  Pour  les  préserver  du  contact  de  leurs  excréments,  on  pla- 
çait entre  leurs  cuisses  une  feuille  de  blé  d'Inde  ou  une  gouttière 
d'écorce  de  bouleau. 

Les  Moxos,  dans  les  Andes  de  Bolivie,  ont  des  coutumes  assez 
barbares  :  si  la  femme  vient  à  avorter,  le  mari  la  tue  ;  si  elle  meurt 
en  couches,  cet  étonnant  père  de  famille  enterre  le  nouveau-né;  enfin, 
si  elle  enfante  deux  jumeaux,  elle  enterre,  elle-même,  l'un  d'eux,  al- 
léguant pour  raison  que  deux  enfants  ne  peuvent  être  nourris  par  la 
même  femme. 

Autrefois,  chez  les  indigènes  brésiliens,  le  père  coupait  le  cordon 
avec  ses  dents,  lavait  l'enfant  et  le  peignait  de  rouge  et  de  noir. 
Raynal  prétend  même  que  les  Topinambous  et  les  Tapuyas  d'Amé- 
rique, après  la  délivrance,  se  régalent  avec  les  enveloppes  fœtales  et 
le  cordon  ombilical. 

M.  le  Dr  Boussenard  a  communiqué  à  la  Revue  scientifique  des  dé- 
tails bien  curieux  sur  la  parturition  des  femmes  Galibis  qui  habitent 
dans  les  Guyanes  française  et  hollandaise,  sur  les  rives  du  Maroni. 
«  Quand  la  femme  ressenties  premières  douleurs,  elle  quitte  sa  hutte, 
se  traîne  vers  la  crique  la  plus  rapprochée,  s'accroupit  sur  le  sol  et 
attend,  sans  pousser  une  plainte,  l'instant  de  la  délivrance. 

«  Les  douleurs  paraissent  être  fort  vives,  mais  leur  durée  dépasse 
rarement  deux  heures.  Aussitôt  que  l'enfant  a  poussé  son  premier 
vagissement,  la  mère,  qui  dans  ce  douloureux  moment  n'a  eu  per- 
sonne pour  l'assister,  se  plonge  dans  les  eaux  glacées  de  la  crique, 
se  baigne  largement,  baigne  son  nouveau-né  et  reprend  le  chemin  de 
sa  primitive  demeure. 

«  Cependant,  les  commères  se  pressent  tumultueusement  autour  de 
la  maison  de  laquelle  s'échappent  d'effroyables  vociférations.  Le  mé- 
decin indigène  frappe  à  tour  de  bras  sur  un  tambour  pour  chasser  le 
malin  esprit.  Nul  ne  semble  faire  attention  à  l'accouchée  qui,  à  peine 
rentrée  dans  son  humble  réduit,  couche  l'enfant  dans  son  hamac  de 
coton  et  se  met  en  devoir  de  prodiguer  des  soins  à  un  autre  person- 
nage qui  hurle  et  se  démène  dans  un  autre  hamac.  Ce  personnage 
n'est  autre  que  le  mari  !...  Elle  lui  prépare  un  breuvage  réconfortant 
appelé  maléte\  remplaçant  probablement  «  la  rôtie  au  vin  de  l'ac- 
couchée »  que  prescrivent  nos  Lucines  campagnardes  (1).  Le  Peau- 

(1)  V.  page  532,  ce  que  nous  avons  déjà  dit  de  la  eouvade. 


634  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Rouge  absorbe  sa  drogue,  pousse  de  nouveaux  gémissements,  et 
s'endort  au  milieu  d'une  fumée  épaisse  produite  par  la  combustion 
d'herbes  odorantes,  répandues  à  profusion  par  la  femme  sur  le  sol 
de  la  hutte.  Puis  elle  vaque,  comme  par  le  passé,  aux  soins  du  mé- 
nage et  accomplit,  sans  la  moindre  défaillance,  les  rudes  corvées 
imposées  par  sa  condition.  Pendant  dix  jours  consécutifs,  le  mari  se 
fait  ainsi  dorloter  sans  quitter  un  moment  sa  couche,  se  lamente, 
répond  d'une  voix  entrecoupée  aux  doléances  des  visiteurs  et  affecte 
toutes  les  minauderies  d'une  petite  maîtresse. 

«  J'ai  été  personnellement  témoin  de  ce  fait  à  deux  reprises  diffé- 
rentes chez  les  Trouagues  et  les  Galibis.  Le  Dr  Leblond,  Schombùrck, 
le  commandant  Vidal  et  le  regretté  Crevaux  l'avaient  également  cons- 
taté chez  les  Emerillons,  les  Pioucouyènes  et  les  Oyampis. 

«  Il  ne  paraît  pas  d'ailleurs  que  cette  singulière  infraction  aux  règles 
les  plus  élémentaires  de  l'hygiène  ait  la  moindre  influence  sur  la 
mère  et  l'enfant.  Au  bout  de  dix  jours,  le  mari  quitte  sa  couche,  et 
tout  est  pour  le  mieux  dans  le  meilleur  des  mondes  équatoriaux. 
Quant  au  nouveau-né,  je  n'ai  pas  remarqué  la  moindre  exiguïté  dans 
sa  conformation.  Il  m'a  semblé  absolument  proportionné  aux  dimen- 
sions de  ses  parents.  » 

D'après  le  Dr  Hahn,  chez  les  Fuégiens  du  Sud,  il  n'y  a  que  deux 
ou  trois  femmes  qui  assistent  la  patiente.  Le  mari  est  présent  ;  mais 
tous  les  autres  hommes  doivent  se  retirer.  «  Après  l'accouchement,  le 
nouveau-né  est  immédiatement  nettoyé  avec  des  copeaux  de  menu 
bois.  Le  cordon  est  coupé  entre  deux  ligatures  faites  avec  des  tendons 
de  baleine  ou  avec  un  petit  jonc  (mappi).  Le  premier  instrument  venu 
sert  à  faire  la  section,  couteau,  coquille  de  moule,  etc.  Le  délivre, 
aussitôt  après  son  extraction,  est  porté  hors  de  la  case  et  enterré  sous 
un  amas  de  coquilles  ou  de  détritus.  Peu  après  sa  naissance,  l'en- 
fant est  plongé  clans  l'eau  de  mer  ou  dans  l'eau  douce.  Ce  lavage  par 
immersion  se  répète  jusqu'à  deux  fois  par  jour,  pendant  un  ou  deux 
mois,  dans  le  but  de  donner  des  forces  à  la  petite  créature.  Après 
l'accouchement  (qui  n'est  suivi  d'aucune  cérémonie),  la  mère  est  con- 
sidérée comme  impure  :  elle  entre  dans  la  période  de  gimbana,  qui 
dure  de  cinq  à  six  mois,  et  pendant  laquelle  elle  est  soumise  à  un  ré- 
gime particulier  et  demeure  privée  de  relations  avec  son  mari  ;  elle 
reste  dans  une  hutte  avec  d'autres  femmes.  Si  elle  est  bien  consi- 
dérée, on  lui  épargne  pendant  quelque  temps  tout  travail;  dans  le 
cas  contraire,  elle  reprend  le  jour  môme  ses  occupations  habituelles. 
Le  mari  est  aussi  considéré  comme  impur,  mais  à  un  degré  moindre 
que  sa  femme.  Les  enfants  sont  allaités  jusqu'à  l'âge  de  deux  ans. 


MOEURS   ET   COUTUMES  G35 

Souvent  les  Fuégiennes  élèvent  des  nourrissons  qui  sont  regardés 
comme  à  elles  et  leur  devront  l'obéissance  et  le  respect  de  vrais 
fils  »  (1). 

L'avortement  est  souvent  mis  en  pratique  en  Amérique.  Les  femmes 
Guyacurus,  du  Brésil,  si  l'on  en  croit  Hoberland,  provoquent  l'ex- 
pulsion du  fœtus  dans  toutes  les  grossesses  survenues  avant  trente  ans 
et  cela  dans  le  but  de  plaire  à  leurs  maris.  Au  Paraguay,  d'après  le 
récit  de  Azara,  rapporté  par  le  Dr  Galliot,  la  malheureuse  femme  en- 
ceinte se  couche  sur  le  dos,  et  les  matrones  lui  piétinent  le  ventre 
avec  leurs  poings  et  leurs  pieds  jusqu'à  ce  qu'il  s'écoule  du  sang  du 
vagin.  Les  Payaguas  de  la  Plata  font  avorter  leurs  femmes,  par  le 
même  moyen,  dès  qu'elle  leur  ont  donné  deux  garçons. 

Aux  Etats-Unis,  les  avortements  se  pratiquent  sur  une  large 
échelle.  «  J'ai  en  ce  moment  sous  les  yeux,  »  dit  Gaillard-Thomas, 
«  l'un  des  journaux  les  plus  populaires  et  les  mieux  rédigés  de  New- 
York,  qui  se  lit  dans  les  plus  hautes  classes  de  la  société  et  qu'on 
voit  entre  les  mains  des  jeunes  filles  et  des  dames  de  tout  le  pays. 
Dans  ses  colonnes,  se  trouve  une  série  d'annonces  bien  connues 
comme  étant  celles  d'individus  qui  font  métier  de  provoquer  l'avorte- 
ment. Il  se  peut  que  la  police,  il  se  peut  que  les  éditeurs,  qui  ont  la 
réputation  d'honnêtes  gens,  ignorent  ces  faits;  mais  il  est  difficile  de 
le  croire,  lorsque  tant  d'avis  annoncent  clairement  les  chambres  où 
les  malades  peuvent  être  logées  et  où  une  seule  entrevue  suffit  pour 
obtenir  le  résultat  désiré,  sans  danger  pour  la  vie  ni  pour  la  santé  !  » 

Coutumes  océaniennes.  —  Les  Indiens  des  îles  de  la  Sonde 
croient  que  les  femmes,  en  accouchant,  mettent  souvent  au  monde  un 
petit  crocodile,  jumeau  deleur  enfant.  «Ils  imaginent,  »ditF.deGram- 
mont,  «  que  la  sage-femme  reçoit  cet  animal  avec  beaucoup  de  soin, 
et  le  porte  sur-le-champ  à  la  rivière  voisine,  où  elle  le  met  à  l'eau.  La 
famille,  dans  laquelle  on  suppose  que  cette  naissance  merveilleuse  est 
arrivée,  porte  constamment  des  aliments  à  la  rivière  pour  ces  parents 
amphibies;  le  jumeau  surtout  y  va  à  certaines  époques,  pendant  tout 
le  cours  de  sa  vie,  accomplir  ce  devoir  fraternel  :  on  est  unanime- 
ment persuadé  que  s'il  y  manquait,  il  en  serait  puni  par  la  mort  ou  la 
maladie.  Cette  croyance  semble  avoir  pris  naissance  dans  les  îles  de 
Célèbes  et  de  Bouton,  où  plusieurs  des  habitants  nourrissent  des 
crocodiles  dans  leurs  familles,  et  elle  s'est  répandue  de  là  jusqu'à  Ti- 
mor et  Geram,  et,  à  l'ouest,  jusqu'à  Java  et  Sumatra,  où  jamais  ce- 

(1)  Bulletin  de  lu  Société  d'anthropologie. 


G36  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

pendant  on  n'a  entretenu  de  ces  crocodiles  domestiques.  Ces  étranges 
jumeaux  ont  reçu  le  nom  de  sudaras  ». 

Chez  les  Nœfoures  de  la  Nouvelle-Guinée,  une  croyance  populaire 
donne  au  regard  une  puissance  génératrice  capable  d'opérer  la  fécon- 
dation, par  foudroiement,  à  distance.  Voici  dans  quelle  circonstance 
M.  Van  Hasselt  a  fait  cette  remarque  :  Un  jour  qu'il  instruisait  de 
jeunes  indigènes,  un  des  garçons  se  jeta  tout  à  coup  sous  la  table,  où 
il  resta  sans  mouvement.  Effrayé,  ne  sachant  que  penser,  le  maître 
se  précipite  vers  l'enfant.  Mais  les  camarades  le  retiennent  :  —  Ce 
n'est  rien,  c' est  seulement  la  future  belle-mère  de  son  frère  qui  passe. 
—  Quoi  !  la  belle-mère  de  son  frère  !  Eh  bien  !  qu'est-ce  que  cela  lui 
fait?  —  Ça  lui  fait,  expliquent  les  bambins,  que, s'il  regardait  seule- 
ment la  belle-mère  de  son  frère,  sa  fiancée  ferait  un  enfant  avant 
qu'ils  soient  mariés. 

En  Nouvelle-Guinée,  comme  dans  l'Australie  et  la  terre  de  Diémen, 
d'après  Virey,  la  section  du  cordon  se  fait  avec  le  feu,  ce  qui  dis- 
pense aussi  de  la  ligature. 

Nous  avons  raconté,  d'après  Sue,  la  singulière  opinion  qu'ont  les 
Molucquois  au  sujet  des  femmes  qui  meurent  en  couches, dont  ils  font 
de  véritables  loups-garous  ;  ils  sont  en  outre  persuadés  que  si  une 
femme  enceinte  mange  un  fruit  double,  comme  deux  cerises  accolées, 
elle  accouchera  infailliblement  de  deux  enfants. 

Aux  îles  Carolines,  les  maris  ont  les  plus  grandes  attentions  pour 
leurs  femmes,  pendant  la  grossesse;  ils  leur  épargnent  les  travaux 
pénibles  et  se  livrent  même  aux  soins  du  ménage,  tandis  que  leurs 
épouses  restent  une  grande  partie  de  la  journée  étendues  sur  des 
nattes.  Au  moment  de  l'accouchement,  les  femmes  qui  entourent  la 
patiente  poussent  des  cris  assourdissants  pour  que  le  mari  n'entende 
pas  les  plaintes  de  sa  femme.  «  Deux  jours  après  la  naissance  de  l'en- 
fant, elle  va  se  baigner  dans  l'eau  douce.  Ces  endroits  où  les  femmes 
se  baignent  sont  sacrés,  les  hommes  ne  peuvent  s'en  approcher  et 
surtout  s'y  désaltérer;  s'ils  le  faisaient,  leur  religion  leur  dit  qu'ils 
ne  pourraient  jamais  plus  prendre  de  poissons  dans  la  mer  »  (1). 
C'est  d'ailleurs  une  coutume  générale  chez  les  femmes  des  peuples 
primitifs,  de  prendre  un  bain  dans  le  cours  d'eau  le  plus  voisin,  aussi- 
tôt après  l'accouchement,  et  de  vaquer  à  leurs  occupations  dès  le  len- 
demain des  couches.  Cependant  aux  Carolines,  la  femme,  paraît-il, 
ne  reprend  ses  travaux  que  six  à  dix  mois  après  la  délivrance. 

Quand  les  tranchées  qui  suivent  l'accouchement  sont  trop  vives,  la 

(1)  Revue  scientifique. 


MOEURS   ET   COUTUMES  637 

Néo-Calédonienne  prend  des  fumigations  prolongées,  en  se  plaçant  sur 
une  pierre  chauffée,  couverte  de  plantes  aromatiques  et  de  troncs 
de  bananiers  dont  les  sucs  abondants  sont  vaporisés  par  la  cha- 
leur. 

L'avortement  et  l'infanticide  se  pratiquent  enOcéaniesur  une  vaste 
échelle.  Cependant  ces  crimes  sont  à  peu  près  inconnus  aux  Mar- 
quises. L'infanticide  est  très  commun  dans  les  îles  de  la  Société,  au 
point  qu'il  était  légal  autrefois.  En  Australie,  les  nouveau-nés  sont 
souvent  sacrifiés  et  servent  d'aliments  à  leurs  parents  ;  si  une  femme 
accouche  de  deux  enfants,  le  plus  faible  est  écrasé  sous  des  pierres  ; 
on  agit  de  même  pour  les  enfants  qui  perdent  leur  mère  en  couches. 
«Quand  la  mère  est  jeune», dit  Elie  Reclus  (1),«  on  ne  tient  pas  à  con- 
server son  fruit,  qui  passe  pour  manquer  de  consistance  et  de  vigueur. 
Quant  aux  enfants  décidément  malingres  et  chétifs,  ils  viennent  à 
maie  heure.  Ceux  qui  naissent  avant  que  leur  aîné  puisse  marcher, 
sont  le  plus  souvent  étranglés  en  un  tour  de  main  (2). La  règle  est  d'ex- 
pédier tous  ceux  qu'on  ne  pense  pas  mener  à  bien,  et,  dans  les  pays  fa- 
méliques, une  deuxième  fille  passe  pour  difficile  à  nourrir  ;  pour  une 
troisième,  il  n'est  même  pas  discuté. 

«  De  l'enfant  tué  il  y  a  piété  à  se  nourrir.  Comme  les  Chavantes  de 
l'Uruguay  et  tant  d'autres  primitifs,  ils  sont  persuadés  que  l'àme  en- 
fantine réintègre  alors  le  corps  de  ses  parents.  La  mère  pense  récu- 
pérer ainsi  la  force  et  la  vigueur  que  la  grossesse  lui  aurait  coûtées. 
Et  si  un  garçon  ne  profite  pas,  il  gaillardira  si  on  lui  donne  son  ca- 
det à  dévorer. 

«  On  se  débarrasse  du  nouveau-né  qui  a  coûté  de  trop  grandes  dou- 
leurs à  l'accouchée,  car  il  importe  de  ne  pas  mal  commencer  l'exis- 
tence. On  expédie  aussi  le  mioche  qui  vagit  longtemps  ou  bruyamment 
parait  protester.  Tu  ne  veux  pas  de  la  vie  ?  Tu  rechignes  à  ses  tra- 
vaux et  fatigues,  à  ses  peines  et  amertumes  ?  Comme  tu  voudras.  Paf! 
D'après  les  antiques  prescriptions,  la  tête  va  au  père  et  à  la  mère,  le 
corps  aux  frères  et  aux  sœurs,  dans  l'organisme  desquels  il  est  censé 
revivre.  De  la  sorte  rien  ne  se  perd  et  tout  reste  dans  la  famille. 

«  À  côté  de  cela,  grande  est  leur  tendresse  pour  la  petite  ou  le  petit 
échappé  aux  terribles  risques  de  la  première  heure  ;  qu'un  marmot  se 
fasse  mal  ou  se  réveille  la  nuit,  sa  mère  crie  avec  lui  et  plus  fort  que 


(1)  Contribution  à  la  sociologie  des  Australie: 

(2)  D'après  M.  Howitt,  les  Australiens  ne  tuent  pas  leurs  enfants  ;  mais,  quand  ils 
en  ont  un  nombre  un  peu  considérable,  à  leur  naissance  ils  «  les  laissent  derrière  », 
autrement  dit  ils  les  abandonnent  aux  bêtes  dans  le  camp  qu'ils  viennent  de  quitter. 


638  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

lui.  Qu'il  soit  indisposé,  elle  souffre  plus  que  le  malade;  qu'il  vienne  à 
mourir,  sa  perte  est  suivie  de  vifs  regrets.  » 

Le  même  auteur  raconte  que  les  femmes  Nœfoures,  à  la  quatrième 
grossesse,  sinon  plus  tôt,  se  mettent  en  devoir  de  provoquer  un  avor- 
tement  par  des  breuvages  ou  par  un  moyen  dangereux  autant  que 
brutal;  elles  serrent  leur  corps  dans  une  cuirasse  de  roseaux  et  sefon 
piétiner  jusqu'à  l'expulsion  violente  du  produit. 

D'après  Williams,  ce  il  n'y  aurait  pas  à  Viti  une  seule  femme%'qui  n'ait 
débuté  par l'avortement  ou  par  l'infanticide».  Les  naturelles  de  cette 
île,  comme  du  reste  celles  de  la  Nouvelle-Calédonie,  agissent  ainsi, 
par  pure  coquetterie,  pour  conserver  leurs  formes  et  plaire  à. leurs 
maris.  Dans  les  Nouvelles-Hébrides,  on  n'élève  que  deux  ou  trois  en- 
fants, les  autres  sont  tués  à  leur  naissance  ;  de  même  à  Taïti,  on  fait 
périr  les  trois  premiers  et  on  ne  conserve  que  les  deux  ou  trois  qui 
suivent  ;  à  Hawaï,  il  est  défendu  d'élever  plus  de  trois  enfants,  et  une 
loi  qui  oblige  les  filles  enceintes  de  travailler  aux  routes,  augmente 
encore  le  nombre  des  avortements. 

En  Océanie,  l'avortement  se  pratique,  le  plus  souvent,  par  des  vio- 
lences extérieures  ou  par  l'introduction  dans  les  voies  génitales  d'un 
morceau  de  bois  pointu  qui  doit  produire  de  graves  accidents. 

Les  Dayaks  de  Bornéo  provoquent  l'avortement  en  cherchant  à 
augmenter  chez  leurs  épouses  la  sensation  voluptueuse,  par  un  moyen 
digne  de  figurer  au  premier  rang  des  raffinements  erotiques,  imagi- 
nés par  les  peuples  civilisés.  Ils  se  perforent  le  pénis  d'une  ou  de  plu- 
sieurs tiges  de  métal,  dont  les  extrémités  libres  sont  destinées  à  ex- 
citer vivement  les  parois  vaginales,  mais  elles  agissent  en  même 
temps  sur  le  col  de  la  matrice  et  provoquent  souvent  l'expulsion  du 
produit  de  la  conception.  Les  femmes  de  ces  sauvages  se  montrent, 
paraît-il,  fort  satisfaites  de  cette  étrange  coutume,  et  elles  disent  que 
cet  instrument  est  au  coït  ce  que  le  sel  est  à  la  viande.  Cette  pratique 
rappelle  celle  du  hérisson,  employée  dans  les  ménages  chinois. 

Bien  que  les  Néo-Calédoniens  cherchent  fréquemment,  par  des 
manœuvres  abortives,  à  éluder  les  charges  de  la  paternité,  il  en  est 
qui  s'adressent  au  sorcier  pour  obtenir  de  la  progéniture.  «  Celui-ci,» 
raconte  Patouillet  (1),  «  leur  vend  une  informe  poupée  qu'il  leur  con- 
seille de  mettre  coucher  avec  eux,  roulée  dans  leur  natte.  Le  moyen, 
dit  on,  réussit  souvent.  Le  bon  sens  indique  que  le  contact  de  ce 
corps  embarassant  et  aux  dures  arêtes  doit  procurer  aux  deux  époux 
une  insomnie  de  toute  la  nuit,  et  alors, 

(1)  Trois  ans  en  Nouvelle-Calédonie. 


MOEURS   ET   COUTUMES  G39 


Que  faire  dans  un  lit,  à  moins  que  l'on  n'y  cause  ? 

«  Si  le  vœu  est  exaucé,  la  femme  attache  cette  poupée,  comme  un 
ex  voto  dans  l'intérieur  de  sa  case  ou  à  l'avant  de  sa  pirogue. 

«  Le  sorcier,  du  reste,  se  vante  de  produire  à  volonté  des  mâles  ou 
des  femelles.  Un  naturel  qui  voit  sa  femme  enceinte  et  qui  veut  avoir 
un  garçon  va  trouver  le  devin  avec  sa  femme,  une  monnaie  à  la  main, 
et  plutôt  deux  qu'une,  car  là,  comme  partout,  point  d'argent,  point 
d'oracles.  Celui-ci  va,  de  ce  pas,  sacrifier  dans  le  cimetière,  puis  fait 
prendre  à  la  femme  une  boisson, —  de  l'eau  claire,  sans  doute.  —  De 
plus,  il  lui  défend  de  se  livrer,  tout  le  temps  de  la  gestation,  à  aucun 
des  travaux  de  femmes  ;  il  lui  conseille  de  porter  une  sagaie,  et  de 
ne  jamais  manquer  à  la  moindre  de  ses  indications. 

«  Chose  bizarre!  la  femme  accouche  souvent  d'une  fille. Chez  nous, 
on  lui  dirait  infailliblement  :  C'est  que  la  foi  lui  a  manqué.  Mais  le 
sorcier  n'est  pas  en  peine  de  lui  prouver  que,  dans  les  neuf  mois,  elle 
a  commis  quelque  infraction  à  son  ordonnance. 

«  Quand  une  femme  voit  ses  flancs  s'arrondir,  comme  elle  ignore, 
ainsique  toutes  les  autres,  la  durée  et  le  terme  de  la  gestation,  elle  va 
s'adresser  à  la  matrone  la  plus  experte  de  l'endroit,  qui,  dès  lors,  et  bien 
entendu  après  avoir  empoché  le  prix  de  ses  bons  offices,  ne  la  quittera 
plus  d'un  instant.  Dès  que  les  premières  douleurs  se  font  sentir,  elle 
emmène  la  patiente  dans  une  case  où  l'on  a  eu  le  soin  d'allu- 
mer un  grand  feu,  et  où  se  réunissent  un  grand  nombre  de 
femmes.  Les  hommes,  sans  exception,  sont  sévèrement  éloignés  de 
cette  case,  à  moins  qu'il  ne  s'agisse  de  l'accouchement  d'une  femme 
de  chef.  Dans  ce  cas,  le  plus  proche  parent  reste  dans  l'intérieur  de 
la  case,  s'appliquant  à  chanter  assez  haut  pour  couvrir  les  cris  de  la 
mère.  La  raison  de  cette  exception  a  sans  doute  été  primitivement  de 
rendre  impossible  les  substitutions  d'enfants. 

«  Pendant  les  manœuvres  obstétricales,  qui  se  réduisent  à  un  mas- 
sage prolongé,  la  femme  se  tient  à  quatre  pattes.  Si  l'accouchement 
est  pénible,  les  matrones  vont  acheter  à  grands  frais  des  sortilèges 
aux  sorciers  voisins,  et  en  couvrent  la  patiente.  Le  fait  est  rare,  du 
reste,  et  fort  heureusement,  car  chez  ces  peuplades  d'une  ignorance 
primitive,  personne  ne  connaît  les  moyens  de  venir  à  bout  des  diffi- 
cultés d'une  parturition  laborieuse. 

«  Une  des  plus  grandes  tribulations  de  la  femme  qui  accouche  péni- 
blement, c'est  d'être  mise  à  la  question  par  les  commères  qui  l'en- 
tourent, et  qui,  voulant  expliquer  par  l'adultère  les  longueurs  de 


G40  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

l'opération,  tourmentent  la  patiente,  la  torturent,  pour  ainsi  dire,  afin 
de  la  forcer  à  leur  déclarer  le  nom  du  vrai  père  de  l'enfant.  Menacée 
de  cruelles  souffrances  si  elle  s'obstine  à  ne  pas  avouer,  la  femme  fait 
quelquefois  de  plaisantes  révélations.  J'ai  entendu  parler  d'une,  entre 
autres,  qui,  poussée  à  bout  par  les  questions  et  les  sommations  de 
tant  de  commères,  répondit  :  Timeto  meto ;  en  français  :  «  Ma  foi! 
je  ne  sais  pas.  »  Fort  heureusement,  celle-ci  n'était  pas  mariée;  c'était 
une  de  ces  impures  qu'entretient  chaque  tribu,  qui  vont  errant  de 
case  en  case  et  de  village  en  village,  égayant  les  populations  et 
sachant  leur  rendre  une  foule  de  petits  services.  Aussi,  comme  les 
bayadères  de  l'Inde,  elles  trouvent  partout  faveur  et  protection.  Elles 
sont  invitées  à  toutes  les  fêtes,  et  leurs  enfants,  adoptés  par  les  chefs, 
deviennent  les  fils  de  la  Iribu. 

«  Lorsque  l'enfant  est  venu,  le  cordon  est  coupé  avec  une  coquille 
d'huître  perlière  (pintadine)  ou  une  éclisse  de  bambou,  puis  noué  sur 
lui-même  et  longuement  mâché.  La  mère  se  lève  presque  immédiate- 
ment, lave  le  nouveau-né  et  va  se  baigner  dans  la  rivière  voisine.  Dès 
le  lendemain,  elle  a  repris  tous  ses  travaux  habituels,  sans  que 
jamais,  à  ma  connaissance,  aucun  accident  ait  suivi  un  accouchement 
de  Canaque. 

«  Les  naissances  gémellaires  sont  inconnues  dans  ce  pays. 

«  La  mère  allaite  son  enfant  pendant  un  an,  le  portant  partout  avec 
elle,  abrité  d'un  simple  lambeau  d'étoffe  indigène.  Aussi  la  peau  du 
petit,  qui  n'est  d'abord  que  légèrement  cuivrée,  se  bronze-t-elle  en 
très  peu  de  temps.  Point  de  langes,  point  d'entraves  aux  premiers  pas 
de  la  faible  créature  ;  aussi,  les  difformités  sont-elles  rares  parmi  les 
Canaques.  » 

Le  docteur  Clavel,  qui  a  fait  un  séjour  de  plusieurs  mois  aux  Mar- 
quises, en  1882,  nous  fournit,  dans  son  intéressante  étude  des  habi- 
tants de  ces  îles,  quelques  détails  relatifs  à  notre  sujet.  Aussitôt  qu'une 
femme  est  enceinte,  des  parents  ou  des  amis  adoptent  à  l'avance  son 
enfant  et  en  prennent  soin  à  sa  naissance  ;  c'est  une  coutume  qui  unit 
dans  une  étroite  solidarité  les  membres  de  la  tribu,  elle  en  fait  ainsi 
une  seule  et  même  famille. 

«Lorsque  les  premières  douleurs  se  fontsentir,lesparentsetquelques 
voisins  complaisants  se  réunissent  pour  assister  la  patiente.  Celle-ci, 
quand  l'accouchement  est  imminent,  s'assied  à  terre  ou  sur  une  natte, 
le  dos  appuyé  contre  un  objet  dur  ou  soutenu  par  une  personne 
accroupie  derrière  elle.  Une  femme,  qui  est  ordinairement  la  mère  ou 
une  parente,  se  tient  en  face,  prête  à  intervenir.  Cette  aide,  dès  que  la 
tête  du  fœtus  apparaît  à  la  vulve,  s'assied  entre  les  jambes  de  la 


MOEURS   ET   COUTUMES  641 

patiente,  entoure  son  gros  orteil  droit  d'un  morceau  de  tapa,  et  l'ap- 
plique fortement  sur  le  périnée  de  celle-ci,  manœuvre  ayant  pour  but 
de  prévenir  la  rupture  de  cette  région  au  moment  du  dégagement  de 
la  tête.  Si  l'aide  est  la  mère  ou  une  proche  parente,  elle  déchire  le 
cordon  ombilical  avec  ses  dents  ;  dans  le  cas  contraire,  elle  le  lie 
solidement  avec  de  la  tapa,  et  le  sectionne  ensuite  avec  un  instrument 
tranchant  quelconque. 

«  M.Radiguet  a  recueilli  les  renseignements  suivants:  si  la  patiente 
est  une  atapéia  (1),  une  matrone  sépare,  d'un  coup  de  dent,  les  liens 
du  nouveau-né;  les  assistants  reçoivent  sur  la  tête  le  sang  qui  en  sort 
et  qui  ne  doit  toucher  qu'un  objet  sacré.  On  court  ensuite  enterrer  le 
placenta  au  milieu  d'un  passage  fréquenté  qui,  suivant  les  croyances 
du  pays,  dès  lors,  acquiert  la  vertu  de  disposer  à  la  fécondité  les 
femmes  qui  le  traversent. 

«  Les  choses  ont  lieu  comme  je  l'ai  indiqué  quand  l'accouchement 
est  naturel.  Mais  il  n'en  est  pas  toujours  ainsi,  les  cas  de  dystocie 
étant  assez  fréquents  aux  Marquises. 

«  Quand  l'accouchement  tarde  à  se  faire,  au  bout  de  deux  ou  trois 
jours  de  souffrances,  par  exemple,  la  famille  se  désole  et  ses  lamen- 
tations, jointes  aux  cris  de  la  patiente,  ameutent  les  voisins  autour 
de  la  case.  Dans  cette  circonstance,  un  chef  avait  autrefois  le  triste 
privilège  d'ordonner  des  sacrifices  humains  pour  aider  à  la  délivrance 
de  sa  femme.  C'est  ainsi  que  cinq  Canaques,  d'après  M.  Eyriaud 
des  Vergnes,  furent  mis  à  mort  à  l'occasion  des  couches  de  la  mère 
de  Témoana,  le  dernier  roi  de  Nuka-Hiva. 

«  De  nos  jours,  les  choses  se  passent  d'une  façon  moins  tragique.  Le 
mari  confectionne  un  bouquet  avec  des  fleurs  et  des  feuilles  spéciales, 
et  se  rend,  muni  de  cadeaux,  auprès  d'une  matrone  ou  sorcière  répu- 
tée experte  en  l'art  des  accouchements.  Celle-ci  examine  avec  atten- 
tion le  bouquet,  interrogeant  surtout  les  fleurs.  Elle  reconnaît  à  la 
disposition  des  corolles  si  l'accouchement  doit  avoir  une  issue  funeste 
ou  heureuse.  Dans  le  premier  cas,  elle  congédie  sans  pitié  le  mari 
désolé,  tout  en  acceptant  le  cadeau  (2)  ;  dans  le  second,  elle  se  rend, 
sans  mot  dire  et  en  affectant  des  airs  importants,  auprès  de  la  patiente 
qu'elle  assiste,  en  opérant  une  sorte  de  massage  sur  la  région  abdomi- 
nale, massage  accompagné  de  tours  de  passe-passe  variés,  de  paroles 
plus  ou  moins  cabalistiques  et  d'onctions  avec  le  suc  du  mahi  ou 


(1)  Femme  de  haut  rang. 

(2)  Il  est  probable  que  la  détermination  prise  par  la  sorcière  dépend  de  l'impor- 
tance du  cadeau. 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS.  41 


642  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

cresson  commun.  Malgré  l'intervention  de  la  sorcière,  les  insuccès 
sont  fréquents,  mais  elle  trouve  toujours  une  explication  assez  valable 
pour  ne  pas  perdre  de  son  prestige. 

«  Immédiatement  après  l'accouchement,  la  mère  va  prendre  un  bain 
général  dans  un  ruisseau  voisin.  Elle  y  lave  à  grande  eau  son  enfant, 
puis  le  barbouille  des  pieds  à  la  tête  avec  le  noir  de  fumée,  provenant 
de  la  combustion  de  la  noix  du  bancoulier.  Elle  le  frictionne  ensuite 
avec  le  suc  du  paku,  herbe  spéciale  râpée  sur  un  caillou  rugueux.  Cet 
enduit,  sorte  de  savon  dirigé  contre  le  smegma  fœtal,  est  maintenu 
pendant  quelques  heures  sur  la  surface  cutanée  de  l'enfant  qui  est 
alors  reconduit  à  la  rivière  et  nettoyé. 

«  L'alimentation  du  nouveau-né  consiste  tout  d'abord  en  eau  de  coco 
et  en  jus  de  canne  à  sucre  ;  le  sein  n'est  donné  qu'un  jour  ou  deux 
après  la  naissance.  Au  troisième  jour  de  l'allaitement  maternel,  un 
breuvage  purgatif  est  administré  au  nourrisson  ;  ce  breuvage  est  un 
mélange  d'eau  de  coco  et  d'un  liquide  provenant  de  l'expression  de 
divers  crustacés  préalablement  cuits  :  crabes,  tourlourous,  camarons 
et  langoustes. 

«  La  durée  de  l'allaitement  est  on  ne  peut  plus  variable  et  dépend 
d'un  grand  nombre  de  circonstances.  A  propos  de  la  constitution  de  la 
famille,  nous  verrons  que  les  vrais  père  et  mère  ne  gardent  jamais 
leur  enfant,  mais  qu'ils  le  donnent  ou  l'échangent  contre  un  autre.  Il 
est  facile  de  comprendre  l'influence  que  peut  avoir  cette  bizarre  façon 
de  procéder  sur  la  durée  de  l'allaitement  du  nouveau-né.  Pour  le 
remettre  de  bonne  heure  à  l'adoptant,  la  mère  ne  s'empresse  pas  pré- 
cisément de  sevrer  son  nourrisson,  mais,  quelques  jours  après  la 
naissance  et  tout  en  lui  donnant  le  sein,  elle  le  gorge  de  popoï  et  de 
poisson  cru  qu'elle  mâche  au  préalable.  On  saisit  les  inconvénients  de 
ce  mode  d'alimentation  mixte,  à  une  époque  où  les  organes  digestifs 
du  nouveau-né  ne  sont  pas  encore  aptes  à  s'accommoder  d'un  pareil 
régime.  Aussi  les  affections  intestinales  ne  sont  rien  moins  que  rares 
chez  les  jeunes  Canaques  et  ne  contribuent  pas  peu  à  produire  la 
grande  mortalité  que  je  signalerai  chez  les  enfants  en  bas-âge.  Il 
arrive  cependant  que  la  femme  de  l'adoptant  se  trouve  quelquefois 
dans  les  mêmes  conditions  que  la  mère  de  l'adopté;  de  sorte  que  s'il  y 
a  eu  échange  d'enfants,  ces  derniers  bénéficient  de  cette  heureuse 
circonstance  :  ils  ne  font  que  changer  de  nourrice.  C'est  ce  qui  expli- 
que l'allaitement  prolongé  de  certains  enfants  et  les  réponses  contra- 
dictoires que  les  voyageurs  recueillent  à  ce  sujet  lorsqu'ils  ne  font 
que  passer  aux  Marquises. 

«  A  la  naissance  et  jusqu'au  moment  où  lejeune  Canaque  essaye  ses 


MOEURS   ET   COUTUMES  643 

premiers  pas,  la  mère  a  soin,  par  un  massage  bien  ménagé,  de  favo- 
riser le  développement  de  certaines  régions.  Elle  porte  surtout  son 
attention  du  côté  des  masses  deltoïdienne,  brachiale  antérieure,  fes- 
sière  et  jambière  postérieure  qu'elle  cherche  à  arrondir  de  son  mieux, 
après  immersion  de  son  enfant  dans  une  eau  fraîche  et  courante.  Ce 
massage  et  ces  bains  sont  renouvelés  deux  ou  trois  fois  dans  la  même 
journée.  Habitué  d'aussi  bonne  heure  à  de  semblables  manœuvres, 
l'enfant  s'y  prête  avec  la  meilleure  grâce  du  monde.  Il  paraît  heureux 
lorsque  sa  mère,  après  lui  avoir  obturé  la  bouche,  les  yeux  et  les 
narines  avec  une  main,  pour  éviter  l'introduction  de  l'eau  dans  ces 
orifices,  le  soumet  à  un  plongeon  de  courte  durée. 

«  Les  Marquisiens  considèrent  les  bains  de  sable  comme  un  excellent 
moyen  de  favoriser  le  développement  du  système  musculaire  de  l'en- 
fant. Vers  trois  heures  du  soir,  alors  que  la  plage  a  été  fortement 
échauffée  par  les  rayons  du  soleil,  un  trou  est  pratiqué  dans  le  sable 
et  le  jeune  Canaque  y  est  enfoui  jusqu'au  niveau  des  aisselles.  L'agi- 
tation de  ses  petits  bras  et  les  efforts  qu'il  fait  pour  sortir  de  ce  trou 
déterminent  un  certain  déploiement  de  forces  :  c'est,  en  somme,  une 
gymnastique  à  la  fois  commode  et  utile. 

«  Aux  approches  de  la  nuit,  on  songe  à  protéger  l'enfant  contre  les 
agressions  incessantes  des  nonos  et  des  moustiques;  La  racine  de 
l'éka  fournit  un  suc  aromatique  avec  lequel  la  mère  frictionne  son 
nourrisson  des  pieds  à  la  tête  ;  il  paraît  que  c'est  la  façon  de  procéder 
la  plus  sûre  pour  éviter  les  piqûres  de  ces  terribles  insectes.  »  Ils 
couvrent  en  outre  la  tête  de  l'enfant  avec  une  étoffe  quelconque, 
pendant  son  sommeil,  pour  obéir  à  une  idée  superstitieuse  qui  veut 
qu'un  esprit  malfaisant  et  toujours  aux  aguets  le  prendrait  à  la  ligne, 
en  introduisant  un  hameçon  dans  sa  bouche. 

On  voit  que  l'enfant  est  l'objet  de  soins  continuels  et  attentifs.  Nous 
avons  déjà  signalé  les  manœuvres  exercées  sur  la  tête  du  nouveau- 
né,  pour  donner  à  son  crâne  la  forme  en  pain  de  sucre,  et  celles  que 
subit  son  nez  dont  ils  s'appliquent  à  corriger  l'aplatissement  de  la 
race  et  qu'ils  façonnent  à  l'image  de  l'appendice  nasal  d'un  parent 
affectionné. 

Rappelons  enfin  une  coutume  assez  étrange  qui  concerne  les  Mar- 
quisiennes  :  quelques  heures  après  la  délivrance,  le  mari  doit  accom- 
plir ses  devoirs  conjugaux  pour  aider  la  nouvelle  accouchée  à  se  réta- 
blir promptement. 

Dans  la  plupart  des  îles  de  l'Océanie  et  principalement  aux  îles 
Sandwich  et  à  Taïti,  d'après  M.  E.  Lesson,  quand  on  coupe  le  cor- 
don, on  a  la  précaution  de  le  laisser  toujours  très  long  comme  présage 


644  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

d'une  longue  existence;  nous  avons  déjà  dit  que  les  circulaires  autour 
du  cou  du  nouveau-né  étaient  du  meilleur  augure  et  que  les  débris 
du  cordon  sont  conservés  avec  soin  comme  un  précieux  porte-bonheur 
que  l'on  jette  à  la  mer  en  cas  de  guerre,  pour  rendre  favorable  le  sort 
des  armes. 

«  Aux  îles  Sandwich,  les  enfants  indigènes  naissent  avec  facilité  ; 
mais  lorsque  le  bébé  résiste  et  fait  des  histoires  pour  sortir,  alors  la 
mère  sait  que  son  enfant  sera  un  métis,  cette  dernière  espèce  de  fœtus 
ayant  le  crâne  plus  développé  que  le  noir  pur  sang.  Il  est  bien  malin 
l'enfant  qui  connaît  son  père  dans  ce  pays-là.  Ce  fait  est  si  bien  connu 
des  insulaires  qu'on  ne  demande  jamais  à  un  enfant  :  quel  est  ton 
père  ?  mais  seulement  :  quelle  est  ta  mère  ?  lorsqu'on  désire  quelque 
renseignement  sur  sa  généalogie  »  (1). 

A  Honolulu,  quand  la  délivrance  tarde  trop  à  se  faire,  l'accoucheur 
saisit  la  langue  de  la  patiente  et  la  tire  jusqu'à  ce  qu'il  ait  provoqué 
des  vomissements  dont  les  efforts  passent  pour  faciliter  l'expulsion 
du  placenta.  Aux  Philippines,  on  active  le  travail  ou  la  délivrance 
en  massant  le  ventre  avec  un  instrument  spécial  en  brique  (fig.  449), 
dont  on  peut  voir  un  spécimen  au  Musée  d'ethnographie  du  Troca- 
déro.  Pour  empêcher  l'air  de  pénétrer  dans  le  corps  de  l'accouchée, 
la  sage-femme  enfonce  le  pied  sur  le  bas-ventre,  et  si  la  patiente 
éprouve  une  syncope  ou  une  hémorrhagie,  on  la  traîne  par  les  che- 
veux ou  on  les  attache  à  une  table,  traitement  barbare  dont  Mallat  (2) 
a  constaté  l'efficacité  :  on  place  ensuite  le  biguis  ou  tampon  qui  com- 
prime fortement  la  vulve. 

Après  l'accouchement,  on  donne  à  la  femme  un  verre  d'eau  fraîche 
et  on  lui  fait  manger  du  basa  basa  ou  riz  sucré. 

Chez  les  Montescas  et  les  Négritas,  l'enfant  est  reçu  dans  la  cendre 
chaude  ou  la  mère  se  couche  à  côté  de  lui  ;  elle  coupe  le  cordon  à  l'aide 
d'un  bambou  affilé  ou  d'une  coquille  d'huître,  et  va  prendre  un  bain 
avec  son  enfant,  puis  elle  revient  se  coucher  en  se  couvrant  de 
feuilles. 

Terminons  par  les  pratiques  bizarres  observées  à  Taïti,  et  dont  le 
Journal  de  Médecine  de  Paris  a  donné  la  description,  d'après  des  notes 
communiquées  par  M.  E.  Lesson  à  M.f.Rodet  :  «  Une  fois  la  ligature  du 
cordon  faite,  on  lave  l'enfant  dans  le  suc  qu'on  obtient  en  grattant  le 
cœur  du  bananier.  Après  avoir  été  ainsi  lavé,  on  le  couche  sur  des 
nattes.  Puis  on  môle  du  jus  de  canne  à  sucre  avec  celui  qu'on  relire  de 


(1)  British  rneâi cal  journal,  trad.  J.  Viard. 

(2)  Les  Philippines,  1846. 


MOEURS   ET  COUTUMES  645 

l'intérieur  du  coco  râpé,  et  on  donne  ce  liguide  comme  nourriture  à 
l'enfant,  jusqu'à  ce  que  la  sécrétion  lactée  de  la  mère  soit  établie. 
Puis,  dès  le  lendemain  de  la  naissance,  on  le  laisse  tout  nu. 

«  Il  existe  cependant  encore  aujourd'hui  une  coutume  particulière. 
Tout  en  pratiquant  un  lavage  général  du  nouveau-né,  on  respecte  l'en- 
duit sébacé  qui  se  trouve  aux  oreilles  et  aux  narines,  car  il  ne  doit 
être  enlevé  qu'en  suçant  fortement  ces  parties.  Et  même  il  y  a  des 
hommes  et  des  femmes  qui  se  sont  fait  une  spécialité  de  cette  prati- 
que, exerçant  ainsi  la  profession  original'e  de  «suceurs  d'oreilles  et  de 
narines  »  à  l'usage  des  nouveau-nés. 

«  Quand  une  femme  est  stérile,  elle  va  consulter  le  prêtre,  qui  ne 


Fig.  449.  —  Instrument  qui  sert  à  masser  le  ventre  des  femmes  en  couches. 

trouve  rien  de  mieux  que  de  pratiquer  la  cérémonie  bizarre  suivante, 
appelée  te  uruuruavaou  e  maro  piipii.  Pendant  la  nuit,  accompagnée 
du  prêtre,  la  femme  se  rend  devant  le  marae,  tenant  à  la  main  un 
maïra  (gaule  pour  pêcher)  auquel  est  attachée  une  ligne  d'environ 
deux  mètres,  à  l'extrémité  de  laquelle  pendent  des  plumes  rouges  en 
guise  d'hameçon.  C'est  à  cet  appas  que  doit  venir  se  prendre  rame, 
l'esprit  qui  doit  amener  l'enfant,  dont  elle  espère  être  enceinte.  Aussi 
elle  agite  la  gaule,  comme  lorsqu'on  pêche  à  la  ligne,  et  ne  cesse 
que  lorsqu'elle  croit  avoir  réussi.  En  même  temps,  elle  récite  une 
prière. 

«  Quand,  au  contraire,  une  femme  a  une  famille  nombreuse  qu'elle 
désirerait  ne  plus  voir  s'accroître,  c'est  encore  aux  oromalua  qu'elle 
s'adresse.  Cela  s'appelle  le  faaore  raa  et  te  puno  no  ete.  Elle  com- 
mence par  prendre  le  crâne  de  son  grand-père  (car  les  crânes  de  toute 
la  famille  sont  conservés  avec  soin)  et  se  rend  auprès  du  marae.  Là, 
elle  s'assied  sur  le  crâne  de  son  aïeul  et  adresse  aux  dieux  la  prière 
suivante  :  «  Que  ce  crâne  serre  à  jamais  mon  sein  de  façon  à  l'empê- 
cher de  concevoir.  » 


6Î6  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


III.    SAGES-FEMMES    ET   ACCOUCHEURS 


Les  sages-femmes  dans  l'antiquité.  —  De  nombreux  pas- 
sages de  l'Écriture,  déjà  cités,  prouvent  que  les  Hébreux  avaient  re- 
cours aux  sages -femmes  pour  la  pratique  des  accouchements. 
L'Exode  (1)  donne  même  le  nom  de  deux  accoucheuses  israélites, 
Sciphra  et  Puha,  sans  doute  les  plus  renommées  de  l'époque,  qui  ne 
craignirent  pas  d'enfreindre  les  ordres  de  Pharaon. 

Nulle  part  dans  la  Bible,  il  n'est  fait  mention  de  la  pré- 
sence d'accoucheurs,  même  pour  les  cas  les  plus  graves.  Cepen- 
dant, le  rôle  des  sages-femmes  que  l'on  désignait  sous  le  nom  de 
mejalledeth  ou  meialdoth,  était  essentiellement  passif.  «  Au  lieu  de 
porter  secours,  »  ditOsiander,  «  elles  prodiguaient  leurs  consolations 
aux  parturientes  jusqu'à  ce  que  mort  s'ensuivit».  En  effet,  la  ma- 
trone qui  assista  Rachel  se  contenta  de  l'encourager,  en  lui  annon- 
çant qu'elle  accoucherait  d'un  garçon,  et  ne  put  l'empêcher  de  suc- 
comber entre  ses  mains. 

Les  Egyptiens  appelaient  aussi  des  sages-femmes  auprès  de  leurs 
femmes  en  couches,  mais  il  est  probable  que,  comme  plus  tard  chez 
les  Arabes,  dans  les  cas  difficiles,  des  spécialistes  intervenaient  pour 
sacrifier  l'enfant  et  l'extraire  à  l'aide  d'instruments  que  nous  retrou- 
verons dans  notre  Arsenal  obstétrical. 

Chez  les  Grecs,  les  sages-femmes  étaient  appelées  [juxTai,  grand? ma- 
mans ou  o[j.9aÀoio[jLO'.,  coupeuses  de  cordon  (2)  ;  les  anciens  médecins 
nous  sont  garants  que  les  accouchements  ordinaires  leur  étaient 
confiés:  «Ceux  qui  n'en  ont  pas  l'expérience,»  dit  Hippocrate,  «  s'éton- 
nent qu'un  enfant,  né  au  terme  de  sept  mois,  vive  :  je  l'ai  vu  plusieurs 
fois.  Si  l'on  veut  s'en  assurer,  on  le  peut  facilement,  en  s'en  informant 
auprès  des  accoucheuses».  D'autre  part,  Soranus  d'Ephèse,  le  plus 
ancien  accoucheur  connu,  dit:  «  Appelé  pour  un  accouchement  diffi- 
cile, le  médecin  devra  interroger  la  sage-femme,  sur  la  nature  de  la 


(1)  1. 15. 

(2)  Ou  o[i.-ùOi\r\zo[j.o<..  Quelques  lexiques  donnent  le  composé  iaTpou.a-.ai  ;  il  ne  de- 
vait pas  être  d'un  usage  bien  fréquent, car  V  Onomasticon  de  Pollux  ne  le  cite  pas.  Quant 
au  mot  poétique  «xscruptç  il  ne  signifie  pas  sage-femme  ;  c'est  tout  simplement  le 
féminin  de  âx^OTcop,  guérisseur. 


MOEURS   ET   COUTUMES  647 

résistance.  »  Ce  passage  indique  bien  que  la  matrone  était  appelée 
tout  d'abord,  et  que,  dans  les  cas  difficiles,  on  recourait  à  l'assistance 
des  médecins. 

Il  paraît,  d'après  le  témoignage  peu  récusable  de  Platon  (1),  que 
les  sages-femmes  n'exerçaient  que  parvenues  à  un  âge  assez  avancé  : 
«  Rappelle-toi  bien,  »  dit  Socrate  à  Théétète,  «  tout  ce  qui  concerne 
les  sages-femmes.  Tu  vois  qu'aucune  d'elles  ne  se  mêle  d'accoucher 
les  autres  femmes  tant  qu'elle  peut  elle-même  avoir  des  enfants  et 
qu'elles  ne  font  ce  métier  que  lorsqu'elles  ne  sont  plus  capables  de 
concevoir.  »  Et  plus  loin  :  «  On  attribue  cet  usage  à  Artémis  ;  c'est  du 
moins  ce  que  l'on  dit,  parce  que,  sans  enfanter  elle-même,  elle  pré- 
side aux  accouchements.  Elle  n'a  pas  pu  confier  cet  emploi  aux 
femmes  stériles,  la  nature  humaine  étant  trop  faible  pour  pratiquer 
un  art  dont  elle  n'aurait  aucune  expérience,  mais  la  déesse  a  confié 
ce  soin  à  celles  qui,  par  leur  âge,  ne  sont  plus  en  état  de  concevoir, 
honorant  en  elles  cette  ressemblance  avec  elle-même.  » 

Moschion  est  exigeant  dans  les  qualités  qu'il  demande  à  la  sage- 
femme  :  «  Qu'elle  est  la  sage-femme  la  plus  capable  que  l'on  puisse  sou- 
haiter? —  Celle  qui  a  fait  des  études  littéraires,  qui  a  de  l'intelligence 
et  une  mémoire  assez  fidèle;  elle  doit  être  studieuse,  active,  forte,  ne 
présenter  aucune  infirmité,  aucune  maladie,  ne  pas  être  colère,  ni 
tracassière.  Il  faut  qu'elle  soit,  en  outre,  compatissante,  sobre,  pu- 
dique, pénétrante,  tranquille,  prudente  et  non  avare.  »  Enfin,  elle  ne 
songera  pas  à  la  coquetterie  :  Moschion  la  veut  «  troussée  comme  un 
homme».  Y  avait-il  en  Grèce  beaucoup  de  coupeuses  de  cordon  ré- 
pondant à  un  tel  idéal?  Reconnaissons  que  Platon,  dans  le  dialogue 
dont  nous  avons  déjà  cité  un  passage,  ^semble  reconnaître  leur  hon- 
nêteté et  leur  répugnance  à  se  mêler  de  transactions  un  peu  lou- 
ches : 

Socrate.  —  N'as-tu  pas  aussi  entendu  dire  qu'elles  sont  de  très 
habiles  négociatrices  en  affaires  de  mariages,  parce  qu'elles  savent 
parfaitement  distinguer  quel  homme  et  quelle  femme  il  convient  d'unir 
ensemble  pour  avoir  les  enfants  les  plus  accomplis. 

Théétète.  —  Non,  je  ne  le  savais  pas  encore. 

Socrate.  —  Eh  bien,  sois  persuadé  qu'elles  sont  plus  fières  de  ce 
talent,  que  même  de  leur  adresse  à  couper  le  cordon  ombilical...  Mais 
à  cause  des  unions  illégitimes  et  mal  assorties  dont  se  chargent  des 
entremetteurs  corrompus,  les  sages-femmes,  par  respect  pour  elles 

(1)  Dans  le  dialogue  intitulé  Théétète. 


648  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

mêmes,  ne  veulent  point  se  mêler  des  mariages,  dans  la  crainte  qu'on 
ne  les  soupçonne  aussi  de  faire  un  métier  déshonnêtc. 

Cet  éloge,  il  est  vrai,  est  mis  par  le  philosophe  dans  la  bouche  du 
fils  de  Phénarète,  «  sage-femme  habile  et  renommée»  ;  il  peut  donc 
être  déclaré  suspect. 

D'ailleurs,  dans  un  autre  passage,  Platon  fait  allusion  aux  pra- 
tiques abortives  qui,  en  réalité,  semblent  avoir  été  la  principale  préoc- 
cupation des  matrones  grecques.  C'est  par  des  recettes  abortives  que 
nous  sont  parvenus  les  noms  de  la  Thébaine  Olympias,  d'Aspasie  (1), 
dont  quelques  fragments  ont  été  conservés  dans  le  Tétrabiblos 
d'Aétius,  le  médecin  sage-femme.  On  peut  aussi  ranger  dans  la  cor- 
poration la  fameuse  pornographe  Eléphantis,  dont  les  ouvrages  fai- 
saient les  délices  de  Tibère  à  Caprée  ;  elle  avait  écrit  sur  les 
abortifs. 

Enfin,  les  sages-femmes  devaient,  pour  la  clientèle,  avoir  quelques 
connaissances  pharmaceutiques  et  magiques,  et  pouvoir,  soit  par  des 
remèdes,  soit  par  des  enchantements,  hâter  la  délivrance  et  adoucir 
les  douleurs. 

La  sage-femme  continuait  ses  soins  à  l'enfant  et  à  la  nouvelle  ac- 
couchée jusqu'au  cinquième  jour;  elle  recevait  alors  ses  gages,  aux- 
quels on  ajoutait  un  présent  qui,  du  moins  à  Athènes,  était  assez 
maigre;  il  consistait  en  un  pain  tout  sec. 

Chez  les  Romains,  comme  chez  les  Crées,  les  médecins  n'interve- 
naient que  dans  les  opérations  difficiles;  c'est  ainsi  que,  d'après 
Suétone,  le  fameux  Antonius  Musa  fut  appelé  auprès  de  Livie.  Le 
premier  auteur  latin  qui  fasse  mention  des  sages-femmes  est  Plaute, 
dans  le  Soldai  fanfaron,  où  le  héros  Pyrgopolinice  dit  :  «  La  sage- 
femme  se  plaignit  de  n'avoir  pas  été  suffisamment  payée.  »  UAn- 
drienne  de  Térence  nous  prouve  que  les  sages-femmes  romaines  ne 
jouissaient  pas  d'une  réputation  excellente  :  Glycérie  est  prise  des 
douleurs  de  l'enfantement;  Archyllis,  une  vieille  esclave,  donne  à  la 
camériste  Mysis  l'ordre  d'aller  quérir  une  sage-femme  du  nom  de 
Lesbie  :  «  Oui,  dit  Mysis,  j'amènerai  cette  Lesbie,  mais  à  coup  sûr 
c'est  une  ivrognesse,  une  tête  sans  cervelle  qui  ne  mérite  pas  qu'on 
lui  confie  une  femme  à  sa  première  grossesse.  »  Et  Mysis  s'éloigne 
maugréant  à  la  fois  contre  Archyllis  et  Lesbie  :  «  Voyez  l'entêtement 
de  cette  vieille,  c'est  que  Lesbie  se  grise  avec  elle.  Dieux,  accordez  à 

(1)  Est-ce  la  célèbre  Aspasie,  femme  de  Pénclès?  C'est  peu  vraisemblable.    . 


MOEURS   ET   COUTUMES  649 

ma  maîtresse  une  heureuse  délivrance,  et  que  la  sage-femme  aille 
faire  aileurs  ses  maladresses.  » 

Nous  voudrions  ici  chercher  une  petite  querelle  à  un  de  nos  con- 
frères, le  Dr  Rouyer  :  «  En  arrivant  à  une  époque  plus  rapprochée  de 
nous,  »  dit  cet  auteur,  dans  ses  intéressantes  études  médicales  sur 
l'ancienne  Rome,  «  on  trouve  des  détails  plus  complets  sur  les  sages- 
femmes.  Il  existait  à  Rome  des  obstelrices  (1),  ou  accoucheuses,  des 
adstelrices,  mot  qui  semble  désigner  les  aides  des  sages-femmes  ; 
nous  trouvons  enfin  un  autre  ordre  de  femmes  intervenant  dans  la 
pratique  de  la  médecine  :  ce  sont  les  sagœ,  et  c'est  ici  que  nous  trou- 
vons l'étymologie  du  mot  sage-îemme  indiquée  d'une  manière  claire, 
et  sans  qu'on  soit  obligé  de  recourir  aux  subtilités  de  la  philologie 
fantaisiste.  Les  fonctions  de  la  saga  étaient  assez  mal  définies.  Fastus 
nous  apprend  que  les  prêtresses  chargées  des  expiations,  piatrices 
(expiatrices)  étaient  aussi  désignées  par  quelques  auteurs  sous  le 
nom  de  sagœ;  mais  ce  mot  avait  d'autres  significations,  et  était  em- 
ployé également  pour  désigner  les  magiciennes,  les  entremetteuses  et 
les  sag es- femmes  ;  mais  cette  expression  n'est  jamais  prise  qu'en 
mauvaise  part  a. 

Nous  ne  sommes  d'accord  avec  notre  confrère,  ni  sur  l'interprétation 
de  saga,  ni  sur  l'étymologie  de  sage-femme.  Saga  n'a  jamais  signifié 
en  latin  que  devineresse,  magicienne,  et  postérieurement  entremetteuse. 
M.  Rouyer  ajoute  sage-femme  :  dans  quel  texte,  dans  quel  grammai- 
rien a-t-il  trouvé  cette  signification?  Ni  dans  Cicéron  qui  emploie  ce 
terme  à  plusieurs  reprises  dans  le  traité  de  la  Divination,  ni  dans 
Nonius,  ni  dans  Festus  qu'il  cite.  Que  ces  magiciennes,  ces  entre- 
metteuses fussent  en  même  temps  des  avorteuses,  nous  le  croyons 
volontiers.  Mais  cette  induction  n'a  aucune  valeur  pour  établir  le  sens 
du  vocable.  Quant  à  l'étymologie  de  sage-femme  (sapiens  femina) 
elle  est  analogue  à  celle  de  prud'homme  [prudens  homo).  Si  sage  n'é- 
tait pas  l'adjectif  bien  connu,  comment  expliquer  l'addition  de  femme? 
Dites,  confrère,  si  nous  laissions  la  philologie  aux  robes  jaunes  de  la 
Sorbonne  ? 

(1)  De  ob,  devant  et  ut  air,  Be  tenir,  ou  opstatrices,  ainsi  que  l'indiquent  plusieurs 
inscriptions  sépulchrales,  telle  que  la  suivante  : 

SALLVSTIA.   Q.L.  IMEEITA 
OPSTETRIX. 

Q.    SALLUSTIUS.    Q.L. 

ARTEMIDORUS 

ARESCUSA  FECIT. 

On  sait  que  dans  la  phonétique  latine,  le  p  est  l'équivalent  du  b. 


650  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

Les  sages-femmes  romaines,  comme  leurs  collègues  de  Grèce,  res- 
taient pendant  cinq  jours  dans  la  maison  de  l'accouchée  à  veiller  sur 
la  mère  et  le  nouveau-né.  On  les  payait  alors,  on  leur  faisait  un  ca- 
deau ;  puis,  après  s'être  solennellement  lavé  les  mains,  elles  remet- 
taient l'enfant  à  la  nourrice. 

Lorsqu'il  y  avait  doute  sur  l'existence  d'une  grossesse,  on  les 
réunissait  en  consultation  au  nombre  de  cinq,  ainsi  que  l'indique  le 
passage  d'une  lettre  d'Aicanus  à  Paul  :  Quolies  de  mulieris  prœgna- 
tione  dubitatur,  quinque  obstetrices,  id  est  medicœ,  ventrem  jubentur 
inspicere  (1) . 

Aucun  auteur  ancien  n'a  parlé  des  enseignes  de  sages-femmes,  et 
cependant  à  Rome  toutes  les  professions  s'annonçaient  par  une  en- 
seigne. René  Ménard  (2)  reproduit  des  sculptures  antiques  du  musée 
du  Vatican,  qui  représentent  des  petits  nids  d'enfants  placés  sur  des 
branches  d'un  arbre  (fig.  450,  451),  et  il  se  demande  si  ces  nids  n'au- 
raient pas  eu  une  signification  analogue  à  celle  que  l'on  accorde,  de 
nos  jours,  aux  enseignes  représentant  des  choux  sur  lesquels  poussent 
les  enfants.  «  C'est,  »  dit-il,  «  la  seule  explication  qui  me  paraisse 
plausible  pour  ce  curieux  monument.  Et  voyez  comme  cet  usage 
facilitait  la  réponse  à  certaines  questions  embarrassantes  que  les 
enfants  font  quelque  fois.  Rien  de  plus  simple  avec  les  nids  d'enfants  : 
on  invoque  Junon,  la  déesse  des  mariages,  on  va  dans  le  bois  sacré, 
dont  les  arbres  ne  sont  jamais  coupés,  et  portent  des  petits  nids 
pleins  d'enfants;  c'est  ainsi  que  le  gamin,  dont  la  curiosité  s'est 
éveillée,  trouve  tout  naturel  que  ses  parents  lui  aient  apporté  un  petit 
frère  ou  une  petite  sœur  ».  L'explication  est  ingénieuse,  mais  bien 
qu'elle  vienne  d'un  maître  en  archéologie,  le  silence  des  anciens  nous 
oblige  à  ne  l'accepter  qu'avec  la  plus  grande  réserve, 

Les  Sages-Femmes  en  France  jusqu'en  1789.  —  Avant 
la  création  de  la  Faculté  de  médecine,  qui  remonte  à  l'an  1200, 
la  pratique  médicale  était  aux  mains  des  ecclésiastiques  ;  c'est  dire 
que  les  accouchements  appartenaient  exclusivement  aux  matrones. 
Dans  les  cas  graves,  mais  seulement  après  l'établissement  de  la 
Faculté,  on  appelait  auprès  des  femmes  en  gésine  les  cirurgiens;  les 
mires  ou  physiciens  ne  s'occupaient  que  des  soins  médicaux  relatifs  à 
la  grossesse  et  aux  suites  de  couches.  Mais,  au  moyen  âge,  même 


(1)  Peyrilhe,  dans  son  Histoire  de  la  cltirurr/ie,  cite  le  même  passage  comme  un 
extrait  du  Code  publié  par  Alaric  II,  roi  des  Visigoths. 

(2)  La  famille  dam  l'antiquité. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


651 


pour  les  cas  ordinaires,  les  femmes  préféraient  s'adresser  aux 
personnes  de  leur  sexe  qui  exerçaient  alors  la  médecine,  voire 
même  la  chirurgie.  Ainsi  la  physicienne  Hersend  partit  avec  les 


FlG.  450. 


Fig.  451. 


croisés  en  Terre  sainte,  pour  donner  ses  soins  aux  femmes  qui 
suivaient  les  armées  et  à  la  reine  elle-même,  qui  accompagnait  le 
roi.  Le  livre  delà  Taille  de  1292,  relève  dans  Paris  huit  miresses  (1)]; 
si  nous  consultons  les  taxes  dont  elles  sont  frappées,  l'art  semble 


(1)  En  1601,  le  rôle  qui  était  entre  les  mains  du  plus  ancien  des  chirurgiens 
jurés,  indique  que  les  sages-femmes  de  Paris,  faisant  partie  de  la  confrérie  de  Saint- 
Côme,  étaient  au  nombre  de  59,  pour  une  population  d'environ  150,000  habitants 
De  nos  jours,  en  1886,  sur  2,344,550  habitants,  on  compte  environ  750  sages- 
femmes  et  2750  médecins  pouvant  se  livrer  à  la  pratique  des  accouchements. 


652  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

avoir  été  peu  lucratif  pour  elles  ;  par  exemple,  dame  Améline  la 
miresse  ne  doit  au  fisc  que  8  deniers,  un  tiers  en  moins  que  maître 
Joce,  le  pauvre  praticien  de  la  rue  au  Fuarre.  Les  sages-femmes  ou 
ventrières  étaient  peu  nombreuses  :  le  livre  de  la  Taille  dont  nous 
venons  de  parler  n'en  cite  que  deux  seulement,  ce  qui  indique  bien 
que  les  miresses,  cirurgiennes  ou  saineresses  devaient  intervenir 
habituellement  dans  les  opérations  obstétricales. 

Les  ventrières  étaient  chargées  au  Châtelet  de  Paris  de  toutes 
les  questions  médico-légales  ayant  rapport  aux  avortements  ;  elles 
faisaient  aussi  les  enquêtes  sur  les  virginités  douteuses  (1), 
ce  sont  elles  qui  constatèrent  la  virginité  de  Jeanne  Darc.  Elles 
assistaient  les  médecins  dans  l'épreuve  du  congrès,  ainsi  que 
le  constate  le  curieux  plaidoyer  d'Anne  Robert,  célèbre  avocat  au 
Parlement  de  Paris,  à  la  fin  du  seizième  siècle,  contre  la  «  Visitation 
et  congrès  »  (2)  :  «  Pardonnez-moi,  chastes  oreilles,  si,  en  une  chose 
honteuse,  mes  paroles  ressentent  je  ne  sais  quoi  de  peu  chaste  et  de 
honteux.  On  fait  coucher  une  jeune  fille  tout  de  son  long,  étendue 
sur  le  dos,  les  cuisses  équarquillées,  l'une  deçà,  l'autre  delà  :  on  voit 
clairement  les  parties  honteuses,  lesquelles  la  nature  a  voulu  cacher 
pour  le  plaisir  et  contentement  des  hommes.  Les  matrones  qui  sont 
sages-femmes  et  vieilles,  et  les  médecins,  les  regardent  attentive- 
ment, les  manient,  les  ouvrent.  Le  juge  qui  est  là  présent  fait  bonne 
mine  et  s'empêche  de  rire.  Les  matrones  qui  assistent  se  ressou- 
viennent de  leurs  anciennes  chaleurs  qui  sont  dès  longtemps  refroi- 
dies. Les  médecins,  selon  leur  âge,  se  ressouviennent  de  leurs 
premières  forces.   Les  autres,  faisant  des  empêchés,  se  repaissent 


(1)  Nous  trouvons  un  curieux  pastiche  de  ces  rapports  dans  une  pièce  comique, 
publiée  en  1G16  sous  le  titre  de  :  Le  Réveil  dît  chat  qui  dort,  par  la  cognoissance 
de  la  perte  du  pucellage  de  la  plus  part  des  chambrières  de  Paris,  etc. 

ce  Nous,  Marie  Teste,  Jane  de  Meaux,  Jane  de  la  Guignans  et  Magdelaine  la 
Lippue,  matrones  jurées  de  la  ville  de  Paris,  certifions  à  tous  qu'il  appartiendra, 
que  le  quatorzième  jour  de  juin  dernier,  par  ordonnance  de  ladicte  ville,  nous 
nous  sommes  transportées  en  la  rue  Frepaul,  où  pend  pour  enseigne  la  Pantoufle  où 
avons  vu  et  visité  Henriette  Pellicière,  jeune  fille,  aagée  de  dix-huict  ou  environ, 
sur  la  plaincte  par  elle  faite  à  justice  contre  Simon  le  Bragard,  duquel  elle  dict 
avoir  été  forcée  et  déflorée,  et,  le  tout  veu  et  visité  au  doigt  et  à  l'œil,  avons 
trouvé  que  la  babole  estoit  abatue,  l'arrière -fosse  ouverte,  l'entre-fesson  ridé,  le 
guillevart  eslargi,  le  braquemard  escrouté,  la  badaude  relancée,  le  ponnant  débiffé, 
le  halleron  démis,  le  quilbuquet  fendu,  le  lipion  recoquillé,  la  dame  du  milieu 
retirée,  les  toutons  desvoyez,  le  lipondis  pilé,  les  barres  froissées,  l'enchenart 
retourné  ;  bref,  pour  le  faire  court,  qu'il  y  avait  trace  de  viol  ;  d'où  vieut  que  la  cure 
que  nous  y  avons  pu  apporter,  et  nonobstant  la  peine  que  nous  y  ayons  prise  à 
recoudre  son  canipani  brodimaujoin,  elle  est  demeurée  despucellée.  » 

(2)  Renom  judicatarum  libri  quatuor,  1596. 


MOEURS   ET   COUTUMES  653 


d'un  vain  et  inutile  spectacle.  Le  chirurgien,  ou  bien  tenant  un 
instrument  fait  tout  exprès,  qu'ils  appellent  le  spéculum  ou 
miroir  de  la  matrice,  ou  avec  un  membre  viril  fait  de  cire  ou  d'autre 
matière,  sonde  le  gué  de  l'entrée  de  l'antre  vénérien;  il  fait  l'ouver- 
ture, dilate,  étend  et  élargit  les  lieux.  La  fille  couchée  tout  de  son 
long,  sent  la  partie  qui  la  démange  tellement,  qu'encore  qu'elle  se 
soit  fait  visiter  étant  vierge,  elle  ne  sort  point  toutefois  de  là  qu'elle 
ne  soit  corrompue  et  gâtée.  C'est  honte  d'en  dire  davantage.  » 

On  ne  connaît  aucun  statut,  concernant  les  sages-femmes,  anté- 
rieur à  1560;  cette  pièce  est  pour  ainsi  dire  la  charte  constitution- 
nelle qui  régira  la  profession.  Ces  dispositions  furent  reproduites, 
avec  quelques  additions,  en  1587;  voici  le  texte  publié  alors  : 

Statuts  et  reiglemens  ordonnez  pour  toutes  les  Matronnes,  ou  Saiges- 
Femmes  de  la  Ville,  Faulxbourgs,  Prévostez,  et  Vicomte  de  Paris, 
accoustumez  de  tout  temps,  estre  gardez  et  jurez  par  les  dictes 
Matronnes,  avant  d'estre  admises  a  l'exercice  de  leur  estât,  par 
devant  M.  le  Prévost  de  Paris,  ou  Monsieur  le  lieutenant  criminel, 
sur  ce  au  préalable  en  le  consentement  de  Monsieur  le  Procureur 
du  Roy,  au  Chastellet  de  Paris.  Ce  26  avril  1587  : 

Comme  ainsi  soit  qu'avant  tout  œuvre,  chacun  des  chrestiens  ou 
chrestiennes  soyent  obligez  avoir  pour  but  Fhonneur  de  Dieu  et  de 
ses  Saints  :  Seront  à  ceste  occasion  premièrement  admonestées  toutes 
les  matronnes  ou  saiges-femmes,  de  la  ville,  faulxbourg  et  des  envi- 
rons d'icelles,  visiter  tous  les  ans  une  fois,  sans  empeschement  de 
maladie,  de  prison  ou  de  travail  pressé,  l'église  parrochiale  des  véné- 
rables martyrs,  Saint-Cosme  et  Saint-Damian,  soit  de  ceste  dite  ville 
de  Paris,  rue  de  la  Harpe,  ou  de  la  ville  de  Luzarches,  la  vigile  ou 
jour  de  la  solennité  des  dicts  martyrs,  qui  eschet  toujours  le  27  sep- 
tembre, et  là  supplier  la  bonté  de  nostre  Sauveur,  par  l'intercession 
desdicts  Martyrs,  de  leur  donner  grâce  de  bien  fidellement  et  charita- 
blement exercer  leur  vocation  de  matronne,  ou  saige-femme,  à  l'en- 
droit de  toutes  femmes,  soyent  pauvres,  médiocres  ou  riches. 

Secondement  pour  l'entretien  du  saint  sacrifice  qui  se  célèbre  en 
ladite  paroisse,  s'acquitteront  de  la  redevance  et  rente  qu'elles  doivent, 
soit  le  jour  de  la  solennité  d'iceux  martyrs,  ou  tous  les  premiers 
lundys  de  chaque  moys  non  festé,  auxquels  tous  les  maistres  chirur- 
giens jurez  à  Paris,  s'assemblent,  pour  après  ledit  sainct  sacrifice  célé- 
bré, visiter,  et  conseiller,  sans  salaire,  tous  les  pauvres  malades  qui  s'y 
trouvent,  suivant  l'ancienne  institution  de  la  Confrairie  fondée, 
esdictes  églises  par  les  Très-Chrestiens  Roys  de  France,  qui  ont 
voulu  estre  escrits  au  nombre    et   Catalogue  des  Confrères  d'icelle. 


654  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

comme  est  contenu  es  Chartres  de  leurs  Majestez,  confirmées  de  Roy 
en  Roy,  et  vérifiées  par  ce  Très-Auguste  Sénat  de  Messieurs  de  la 
Cour  de  Parlement,  de  ceste  fameuse  ville  de  Paris,  registrées  au 
registre  des  Bannières  du  dict  Chastellet. 

Que  lors  qu'il  y  aura  une  femme  ou  fille  qui  désirera  estre  reçeue 
saige  femme  en  ceste  dicte  ville,  faulxbourgs  d'icelle,  ou  ailleurs,  autant 
que  ce  faire  feront  paroistre  de  leur  demeure,  de  leur  vie,  conservation 
vertueuse,  et  soubs  qu'elles  maistresses,  ou  mères,  elles  auront  appris 
Testât  de  matronne,  ou  saige-femme,  et  ce  par  escrit,  ou  verbalement, 
ou  par  personnes  et  femmes  d'honneur.  Et  la  mort  advenant  de  l'une 
des  deux  jurées  du  dict  Chastellet,  ne  pourront  le  médecin,  ny  les  deux 
chirurgiens  jurez  du  Roy  en  présenter,  qui  n'ayent  esté  de  long  tems 
reçeue,  et  preste  le  serment,  ainsi  que  sera  dit,  et  que  on  a  coustume 
de  faire. 

Qu'elles  seront  tenues  se  faire  interroger  par  le  médecin,  et  les  deux 
chirurgiens  jurez  du  Roy  au  Chastellet  de  Paris,  et  les  deux  matronnes 
jurées  du  Chastellet  (1)  seulement,  mandées  par  iceux  médecin,  et  deux 
chirurgiens  jurez  du  Roy  au  dict  Chastellet. 

Qu'estant  examinées  elles  seront  tenues  faire  porter  leur  rapport,  à 
fin  de  prester  serment  devant  Monsieur  le  Prévost  de  Paris,  ou  Monsieur 
le  Lieutenant  criminel,  ouy  sur  ce  Monsieur  le  Procureur  du  Roy  audict 
Chastellet,  suivant  la  coustume. 

Seront  tenues  retirer  lettre  du  dit  sieur  Prévost  de  Paris,  huict  jours 
après  le  serment  preste  du  greffe  criminel,  et  la  faire  après  signer  du 
greffe  du  dit  Chastellet  et  y  faire  apposer  le  sceau  de  la  dite  pre- 
vosté. 

Que  lors  qu'elles  auront  fait  et  preste  le  dict  serment  au  rapport 
des  dicts  médecin,  et  de  deux  chirurgiens  jurez  par  le  Roy  au  dict 
Chastellet  de  Paris  ;  qu'elles  pourront  mettre  et  apposer  au  devant  de 
leurs  maisous,  enseignes  de  saiges-femmes,  comme  ont  les  autres, 
qui  sont  une  femme  portant  un  enfant,  et  un  petit  garçon  portant 
un  cierge,  ou  un  berceau,  avec  une  fleur  de  lys,  suivant  bon  leur 
semble. 

Que  s'il  y  a  quelque  femme  garde  d'accouchées,  ou  autre  qui  soit 
descouverte,  exercer  le  dict  estât  de  matronne  et  saige-femme  en  ceste 
ville  ou  faulxbourgs  de  Paris,  et  qui  n'aura  suby  le  dict  examen,  et  preste 
le  dict  serment  comme  elles,  incontinent  en  donneront  advis  auxdicts 
médecins  et  deux  chirurgiens  du  Roy,  jurez  au  dict  Chastellet,  ou  l'un 
d'eux. 

Que  lors  qu'elles  seront  appelées  à  la  délivrance  et  travail,  soit  de 


(l)  Dans  son  livre  sur  La  naissance  des  enfants  de  France,  la  célèbre  Loyse  Bour- 
geois raconte  que  le  12  novembre  1598,  époque  de  sa  réception,  les  deux  matrones 
qui  firent  partie  de  son  jury  d'examen  furent  Marguerite  Thomas,  dite  du  Puy, 
et  Péronne  Bayadan,  reçues  en  1576. 


MOEURS   ET   COUTUMES  655 

royne,  princesses,  dames,  demoyselles,  bourgeoyses,  ou  pauvres  femmes, 
elles  s'y  comporteront  sagement,  honnestement,  et  vertueusement,  et 
n'useront  de  paroles  n'y  gestes  dissolus,  et  qu'au  préalable  elles  n'ayent 
aussi  osté  leurs  bagues  de  leurs  doigts,  si  elles  en  ont,  et  lavé  leurs 
mains. 

Qu'elles  seront  aussi  diligentes  à  secourir  les  pauvres  que  les  riches, 
à  fin  que  Dieu  par  ceste  charité  aye  agréable  leur  travail. 

Que  si  elles  cognoissent  que  l'enfant  se  présente  autrement  que  le 
chef  devant,  qui  est  l'accouchement  naturel,  ou  par  les  pieds,  qui  est 
un  autre  accouchement,  le  premier  après  le  naturel  ;  qu'avant  qu'une 
femme  soit  en  extrémité,  elles  seront  tenues  appeler  conseil,  soit  de 
médecins,  ou  maistres  chirurgiens  jurez  au  Chastellet  de  Paris,  ou  des 
anciennes  maîtresses  et  matronnes  jurées  au  dict  Paris,  et  non  d'igno- 
rans  en  ce  fait. 

Qu'elles  n'ordonneront,  n'y  donneront  aucun  breuvage,  n'y  autre  sorte 
de  médicament  à  femme,  soit  mariée,  ou  non  mariée,  pour  provoquer 
l'avortement  de  leur  fruict,  à  peine  de  la  vie. 

Qu'elles  ne  délivreront  aucunes  femmes,  qu'elles  ne  les  advertissent 
du  devoir  de  chrestien,  et  aussi  de  la  nécessité  à  toutes  créatures  rai- 
sonnables, du  sacrement  de  baptême,  qui  se  doit  conférer  à  l'enfant 
nouveau  nay. 

Qu'elles  n'oublieront  à  undoyer  les  enfans,  si  elles  cognoissent  qu'ils 
ne  puissent  parvenir  au  dict  Saint-Sacrement  de  baptême,  et  qu'elles 
ne  s'ingéreront  trop  tost  de  ce  faire,  si  elles  n'y  cognoissent  une  grande 
nécessité. 

Que  s'il  y  a  un  homme,  et  notamment  un  homme  d'église,  au  logis 
ou  adviendra  la  dicte  nécessité  de  undoyer,  qu'elles  lui  défèrent  cet 
honneur,  si  c'est  après  l'enfantement,  et  non  autrement. 

Que  sur  toutes  choses  elles  vivent  en  femmes  de  bien,  et  d'honneur, 
ainsi  que  le  nom  de  matronne  et  saige-femme  honorable  les  y  con- 
vie. 

Que  si  elles  cognoissent  quelques  unes  de  celles  qui  ont  ja  esté  exa- 
minées, et  preste  le  serment  comme  dit  est  pardevant  le  dict  sieur 
Prévost,  de  Paris,  tenir  mauvais  train,  soit  pour  recevoir,  enseigner, 
ou  livrer  mauvaises  et  dissolues  compagnes,  elles  seront  tenues  les 
déclarer  au  dict  médecin,  aux  dicts  deux  chirurgiens  jurez  du  Roy,  ou 
matronnes  jurées,  pour  et  afin  qu'ils  y  façent  donner  ordre,  et  les  façent 
priver  de  l'exercice  de  cet  estât  de  matronnes,  et  saiges-femmes  jurées, 
par  jugement  de  Monsieur  le  Prévost  de  Paris,  ou  Messieurs  les  Lieu- 
tenans. 

Qu'elles  ne  recevront  enfans  de  femmes  desbauchées,  qu'aussi  tost 
elles  ne  soyent  soigneuses  les  faire  baptiser;  mesmes  qu'elles  en  adver- 
tiront  le  commissaire  du  quartier  s'il  en  est  besoin. 

Que  tous  les  ans  se  fera  par  l'un  des  dicts  deux  jurez  du  Roy  au  dit 
Chastellet,  anatomie  de  femme,  pour  l'instruction  de  ce  qui  est  de  la 


65G  HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 

practique  desdites  saiges-femmes,  où  elles  seront  adverties  se  trouver, 
si  elles  en  ont  commodité. 

Que  s'il  advient  qu'aux  cimetières  des  saints  innocens,  es  rues,  ou 
en  Chastellet,  il  ait  esté  exposé  quelque  enfant  vif  ou  mort,  qu'estant 
mandées  par  ledict  sieur  lieutenant,  ou  commissaires  du  quartier,  ou 
l'un  des  dicts  médecins  ou  chirurgiens,  ou  matronnes,  elles  seront 
tenues  le  venir  trouver,  pour  voir  si  elles  le  recognoistront,  pour  en 
faire  leur  rapport  à  justice. 

Que  toutes  les  dites  matronnes  et  maîtresses  jurées  seront  tenues  se 
trouver  au  mandement  des  dicts  médecin,  ou  de  deux  chirurgiens  jurez 
pour  sa  majesté,  lors  qu'il  se  présentera  occasion  de  ce  faire,  sur  peine 
de  l'amende,  ou  envoyer  excuse  légitime,  qui  est  de  maladie,  prison, 
ou  travail  pressé. 

Qu'elles  ne  mesdiront  les  unes  des  autres,  et  ne  se  provoqueront 
d'injures,  ny  de  paroles,  ains  se  comporteront  saigement  et  comme 
prudentes  femmes. 

Que  les  dictes  matronnes  ou  saiges-femmes  jurées,  ne  feront  estant 
seules,  rapport  de  la  pudicité,  corruption,  ou  grossesse  de  filles,  ou 
femmes,  sans  le  médecin,  les  deux  chirurgiens  jurez  du  Roy  au  dict 
Chastellet,  ou  l'un  d'eux,  à  l'occasion  des  maladies  qui  souvent  accom- 
pagnent leur  grossesse,  n'y  estant  instruites  ;  joint  qu'est  besoin  escrire 
et  signer  les  dicts  rapports,  et  peu  d'icelles  sçavent  escrire. 

Que  les  dicts  matronnes  seront  registrées  au  catalogue  et  roolle  des 
saiges-femmes,  qui  est  par  devers  l'ancien  des  deux  chirurgiens  jurez 
de  Sa  Majesté  au  dict  Chastellet,  avec  les  présens  statuts  et  règlemens, 
desquels  chaque  saige-femme  sera  tenue  avoir  coppie  imprimée. 

Qu'elles  jureront  garder  et  observer  tout  ce  que  dessus,  à  peine  d'un 
escu  d'amende,  ou  plus  grande,  qui  sera  taxée  par  mon  dit  sieur  le 
lieutenant  criminel,  en  cas  de  grande  contravention,  ainsi  qu'il  jugera 
estre  raisonnable. 

Ce  statut  nous  apprend  qu'à  Paris  le  serment  professionnel  était 
prêté  par  les  sages-femmes,  entre  les  mains  du  prévôt  de  Paris  ou  du 
lieutenant  criminel.  Dans  beaucoup  de  villes,  c'était,  comme  à  Paris, 
le  magistrat  qui  recevait  ces  promesses  solennelles  de  la  future  ma- 
trone. Certaines  formules  sont  assez  curieuses.  Nous  avons  relevé 
la  suivante  dans  un  livre  fort  rare  (1),  imprimé  à  Metz  en  1583,  et 

(1)  Manualc  curatorum  civitatis  et  diœcesis  Metensium  quo  qvAsqw  curam  an!- 
inarum  habens  :  que  circa  sacramentorum  adminixtrationcm  agenda  xuntjacile  eom- 
periet  ;  pluribus  hattd  in  connu  «dix  additionibus  (aliis  agendis  minime  appositis) 
adauctum.Venundantur  que  in palatio  ipsius  civitatis per  Joannem  PelutiJ  nnium . 
Impressum  in  clarissima  civitate  Metensi,  solerti  cura  venerahilis  domina  lluaonis 
Nicolai  al's  des  Tauars,  catwnicl  Metensis.  Anno  Domini  millésime  quingentisximo 
quadragesimo  tertio  die  vero  XV  Julii,  in-4  goth. 


MOEURS   ET   COUTUMES  657 

contenant  le  serment  que  devait  prêter  les  sages-femmes  de  cette 
ville  : 

Juramentum  quod  prestare  tenentur  obstetrices  in  earum  elec* 
tione. 

Primo  vous  iures  sur  les  sainctes  evangilles  que  exerceres  vostre  of- 
fice le  plus  fidellinentet  loyalrnent  que  poures  sans  faire  tort  ne  force  à 
la  mère  ne  a  lenffant. 

Item  que  ne  prendrez  cherge  de  mettre  main  a  femme  si  ne  penses  en 
venir  au  bout. Et  si  voyez  qu'il  y  a  dangier  ny  mettrez  la  main  sinon  par 
le  conseil  d'autre  saige-femme  à  ce  experte. 

Semblablement  que  ne  baptiseres  enfant  s'il  ny  a  vie  apparente.  Et 
pourtant  que  plusieurs  fois  ce  commettent  beaucoup  dabus  des  enfans 
mornes  qui  se  portent  aucune  fois  à  Nostre  Dame  ou  à  aultre  sainct. 
Vous  iures  que  ny  commettereznuly  abus  et  que  ne  ferez  chose  enlen- 
tour  desdis  enffanspar  quoy  sembleroit  y  avoir  vie  et  elle  ny  seroit.  Ne 
baptiserez  lesdis  enffans  ne  parmettrez  baptiser  si  donc  ne  voit  apparen- 
tement qu'il  aye  vie . 

Item  quant  aux  enfans  qui  viennent  souvent  effois  au  monde  lung  le 
bras  devant,  l'autre  la  iambe,  l'autre  vient  tout  courbe  à  la  porte,  ou 
comme  il  plaist  à  Dieu  :  tournerez  le  dict  enffant  en  façon  que  la  mère  et 
lenffant  seront  saulvez  de  péril.  Semblablement  que  en  recuyllant  les- 
dis enffans  ny  userez  de  superstition  quelconque  ne  daultre  abus  en 
aucune  manière. 

Item  que  ne  mettrez  la  main  à  femme  contre  laquelle  antiens  couroux, 
bagne,  ou  rancune,  si  donc  nestez  appelée  de  ladicte  femme.  Et  en  tel 
cas  ne  userez  de  vindication  assçavoir  les  tenir  en  peines  (et  travailles 
plus  longuement)  mais  y  besongnerez  le  plus  expediemment  qu'il  vous 
sera  possible. 

Voici,  d'autre  part,  un  serment  plus  récent  prêté  par  les  sages- 
femmes  de  Saint-Quentin  : 

Art.  1er  —  Vous  jurez  de  vous  bien  et  fidèlement  comporter  dans 
l'exercice  et  fonctions  de  sage-femme  en  cette  ville,  faubourgs  et  ban- 
lieues.—  A.  2.  De  ne  pas  toucher,  ni  délivrer  aulcune  femme,  que  jugerez 
être  gastée  et  entachée  de  mal  vénérien  sans  avoir  auparavant  pris  les 
précautions  nécessaires  tant  devant  qu'après  la  délivrance  et  l'accou- 
chement. — A.  3.  Que  vous  advertirez  les  maris  ou  parents  de  celles  que 
vous  délivrez,  si  vous  jugez  qu'il  y  ayt  péril  ou  danger  de  vie,  afin  de  se 
pourvoir  de  secours  et  d'ayde,  tant  pour  le  salut  du  corps  que  de  l'âme. 
—  A.  4.  Que  vous  ondoyerez  l'enfant  et  lui  conférerez  le  baptême,  au  cas 
que  vous  jugerez  qu'il  soit  en  péril  de  la  vie  et  qu'il  ne  puisse  être 
porté  en  l'église. — A.  5.  Que  vous  ne  recevrez  chez  vous  aucune  fille  ou 

HISTOIRE  DES  ACCOUCHEMENTS.  42 


C58  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

femme  enceinte,  sans  la  permission  de  la  Chambre  ou  de  M.  le  Mayeur. — 
A.  G.  Qu'aussitôt  que  vous  aurez  délivré  quelques  filles  ou  femmes  étran- 
gères en  tel  endroit  de  la  ville,  faubourg  et  banlieue  que  ce  soit,  vous 
en  avertirez  messieurs  de  la  ville  ou  leur  lieutenant.  —  A.  7.  Que  quand 
vous  délivrerez  quelques  filles  ou  femmes  veuves,  qui  se  seront  laisse 
surprendre,  vous  les  exhorterez,  pendant  les  maux  de  l'accouchement, 
de  vous  dire  et  déclarer  le  véritable  auteur  de  leur  grossese  et  vous 
nommer  le  père  de  l'enfant  pour  en  faire  votre  rapport  en  justice. 

Dans  quelques  villes  et  dans  les  campagnes,  c'était  l'autorité  ecclé- 
siastique, le  curé  d'ordinaire,  qui  recevait  le  serment;  l'abbé  Dinouart 
en  a  inséré  plusieurs  formules  dans  son  Embryologie  sacrée  ;  toutes 
sont  à  peu  près  copiées  sur  le  même  modèle.  Nous  reproduisons  le 
serment  du  Rituel  de  Rouen  : 

Forma  juramenti. 

Je  (Nomeri),  promets  à  Dieu,  le  Créateur  tout-puissant,  et  à  vous 
Monsieur  (qui  êtes  mon  Pasteur)  de  vivre  et  mourir  en  la  Foi  Catholique, 
Apostolique  &  Romaine  ;  &  que  je  m'acquitterai  avec  le  plus  de  fidélité 
et  de  diligence  qu'il  me  sera  possible  de  la  charge  que  j'entreprends, 
d'assister  de  nuit  et  de  jour  dans  les  couches  les  femmes  pauvres  &  riches, 
que  j'apporterai  tous  mes  soins  pour  empêcher  qu'il  n'arrive  aucun  acci- 
dent à  la  mère  ni  à  l'enfant  :  et  que  si  je  vois  quelque  danger,  j'appelle- 
rai des  Médecins  ou  des  Chirurgiens,  ou  des  femmes  expérimentées  en 
cette  fonction,  pour  ne  rien  faire  que  par  leur  avis  &  avec  leur  secours. 
Je  promets  que  je  ne  révélerai  point  les  secrets  des  familles,  ni  des  per- 
sonnes que  j'assisterai  ;  que  je  n'userai  point  de  superstition  ni  d'aucun 
moiien  illicite,  soit  par  paroles,  soit  par  signes,  ni  de  quelqu'autre  manière 
que  ce  soit  ;  que  j'empêcherai  de  tout  mon  pouvoir  qu'on  en  use,  et  que 
je  ne  ferai  rien  par  vengeance  ou  par  mauvaise  affection  ;  que  je  ne  con- 
sentirai jamais  à  ce  qui  pourrait  faire  périr  le  fruit  ou  avancer  l'accou- 
chement par  des  voies  extraordinaires  et  contre  nature;  mais  que,  comme 
une  femme  de  bien,  vrai  Chrétienne  et  Catholique,  je  procurerai  en  tout 
et  par-tout  le  salut  corporel  et  spirituel  tant  de  la  mère  que  de  l'enfant  ; 
ainsi  Dieu  me  soit  en  aide . 

Subjunget  Parochus  : 

Vous  le  jurez  et  promettez  ainsi  ? 

Respondebit  Obstetrix  : 

Oui,  Monsieur,  je  le  jure  et  le  promets. 

Deinde  Evaiigelium  dextrâ  tanget  &  osculabitur.  Tum  nomen  Obs- 
tetricis,  diemque  prœstiti  ab  eà.  juramenti  describet  Paslor  in  Regis- 
tris  Deliberationum  Fabricœ  ;  ipsique  à  Pastore  dabuntur,  si  voluerit, 
litterae  juramenti  ab  eà  jirxstiti. 


MOEURS   ET   COUTUMES  659 

La  prestation  du  serment  et  la  réception  de  la  postulante  étaient 
officiellement  constatés  par  une  pièce.  Nos  archives  départementales 
en  contiennent  plusieurs.  M.  Albert  Babeau  (1)  nous  a  donné  le  texte 
suivant  :  «  Le  7  décembre  1722,  après  que  Jeanne  Menneret,  femme 
de  Jean  Michaux,  a  prêté  le  serment  ordinaire  sur  les  saints  évangiles, 
du  consentement  des  femmes  de  cette  paroisse,  nous  l'avons  admise  à 
la  fonction  de  sage-femme  poui'  cette  paroisse,  et  pour  celle  de  Macey 
en  cas  de  besoin  ;  et  a  ladite  Jeanne  Menneret  promis  de  s'acquitter 
fidèlement  de  cette  charge.  On  est  convenu  que  chaque  femme  lui  don- 
nerait 25  sols  pour  ses  couches.  Elle  a  déclaré  ne  pas  savoir  signer. 
Signé  Bidelet,  curé  de  Montgueux  de  Macey.  » 

Dans  un  autre  ouvrage  (2),  le  même  auteur  nous  apprend  que  la 
taxe  des  honoraires  des  sages-femmes  était  faite  par  les  officiers  mu- 
nicipaux, et,  qu'à  titre  d'encouragement,  ceux-ci  accordaient  des  indem- 
nités, il  est  vrai  peu  considérables  :  par  exemple,  Sisteron  donnait 
10  livres,  Boulogne  18,  Brioude  30.  On  attirait  encore  les  sages- 
femmes  par  des  privilèges  ;  ainsi  une  sage-dame  vient  s'établir  à 
Roubaix,  à  condition  que  son  mari  serait  exempt  des  charges  de  pau- 
vriseur  (3)  et  de  marguillier. 

Le  28  février  1680,  une  déclaration  de  Louis  XIV  portait  défense 
à  ceux  de  la  religion  réformée  de  faire  fonctions  d'accoucheurs  et  de 
sages-femmes  : 

LOUIS,  par  la  grâce  de  Dieu,  Roi  de  France  et  de  Navarre  :  à  tous 
ceux  qui  ces  présentes  Lettres  verront,  Salut.  Nous  avons  été  infor- 
més qu'il  se  commet  beaucoup  d'abus  par  ceux  de  la  Religion  prétendue 
Réformée  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  qui  se  mêlent  d'accoucher  et  faire 
les  fonctions  de  Maîtresses  Sages-Femmes  dans  l'étendue  de  notre  Roiiau- 
me,  en  ce  que,  suivant  les  principes  de  leur  Religion,  ne  croiiant  pas  le 
baptême  absolument  nécessaire,  et  ne  pouvant  pas  d'ailleurs  ondoiier  les 
enfans,  parcequ'il  n'est  libre  qu'aux  Ministres  de  baptiser,  et  même  dans 
les  Temples,  quand  il  arrive  que  des  enfans  sont  en  péril  de  la  vie,  l'ab- 
sence desdits  Ministres,  oul'éloignement  des  Temples  cause  souvent  leur 
mort  sans  qu'ils  aient  reçu  le  baptême  ;  qu'il  arrive  encore  que  lorsque 
lesdits  de  la  Religion  prétendue  Réformée  sont  emploiiés  à  l'accou- 
chement des  femmes  Catholiques,  quand  ils  connoissent  qu'elles  sont 


(1)  Le  Village  sous  l'ancien  régi  me. 

(2)  La   Ville  sous  V  ancien  régi  me . 

(3)  Très  probablement  pour  proviseurs,  par  fausse  analogie.  On  appelait  ainsi,  sui- 
vant la  Somme  rurale  de  Bouteiller,  citée  par  Littré  d'après  Lacurne  de  Sainte-Palaye, 
a  ceux  commis  à  garder  et  à  recevoir  les  biens  aux  pauvres  publics,  et  à  administrer 
les  aumosnes  qui  leur  sont  données  ou  délaissées  o. 


660  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


en  danger  de  la  vie,  comme  ils  n'ont  point  de  croiiance  aux  Sacre- 
mens,  ils  ne  les  avertissent  pas  de  l'état  où  elles  se  trouvent,  en  sorte 
qu'elles  meurent  sans  que  lesdits  Sacrements  leur  aient  été  admi- 
nistrés. A  quoi  voulant  pourvoir,  et  empêcher  en  même  temps  que 
les  enfans  illégitimes  dont  on  cache  la  naissance,  et  dont  l'éducation 
est  ordinairement  confiée  à  ceux  qui  accouchent  les  mères,  s'ils  font 
profession  de  la  Religion  prétendue  Réformée,  ne  les  instruisent  dans 
ladite  Religion,  bien  que  les  pères  et  mères  fassent  profession  de  Religion 
Catholique,  Apostolique  et  Romaine.  A  ces  causes  et  autres  à  ce  Nous 
mouvant,  de  l'avis  de  notre  Conseil  et  de  notre  certaine  science  pleine 
puissance  et  autorité  Roiiale,  avons  dit  et  déclaré,  disons  et  déclarons 
par  ces  présentes  signées  de  notre  main,  voulons  et  Nous  plaît  ;  qu'au- 
cunes personnes,  de  quelque  sexe  que  ce  soit,  faisant  profession  de 
Religion  prétendue  Réformée  ne  puissent  dorénavant  se  mêler  d'ac- 
coucher dans  notre  Roiiaume,  Pays  et  Terres  de  notre  obéissance,  des 
femmes,  tant  de  la  Religion  Catholique,  Apostolique  et  Romaine,  que 
de  la  Religion  prétendue  Réformée,  leur  faisant  très  expresses  inhibi- 
tions et  défenses  de  s'y  immiscer,  à  peine  de  trois  mille  livres  d'amende, 
et  d'être  procédé  extraordinairement  contre  les  contrevenans  ;  et  ce 
faisant,  avons  dérogé  et  dérogeons  à  l'Article  XXX  de  notre  Déclaration 
du  premier  jour  de  Février  1669,  par  laquelle  Nous  avons  ordonné  que 
nos  sujets  de  la  Religion  prétendue  Réformée  seront  admis  et  reçus  à 
tous  les  Arts  et  Métiers,  dans  les  formes  ordinaires  des  apprentissages 
et  chefs-d'ouvres  dans  les  lieux  où  il  y  a  Maîtrise.  Si  donnons  en  mande- 
ment à  nos  amés  et  féaux  Conseillers,  les  Gens  tenans  notre  Cour  de 
Parlement  à  Paris,  Baillifs,  Sénéchaux  ;  et  à  tous  autres  nos  Officiers  et 
Justiciers  qu'il  appartiendra,  que  ces  Présentes  ils  aient  à  faire  lire, 
publier  et  registrer  purement  et  simplement,  et  le  contenu  forme  et 
teneur,  nonobstant  tous  Edits,  Déclarations,  Arrêts  et  Règlemens  à  ce 
contraires.  Enjoignons  à  notre  Procureur  Général  et  à  ses  Substituts  de 
faire,  pour  l'accomplissement  de  notre  intention,  toutes  les  poursuites 
et  réquisitions  nécessaires,  et  à  tous  nos  Sujets  de  donner  avis  aux 
Juges  des  lieux  des  contraventions  qui  pourront  être  faites  à  cesdites 
Présentes  :  car  tel  est  notre  plaisir.  Donné  à  Saint-Germain-en-Laye, 
le  vingtième  jour  de  Février,  l'an  de  grâce  mil  six  cent  quatre-vingt,  et 
de  notre  Règne  le  trente-septième.  Signé  :  LOUIS  ;  et  sur  le  repli,  Par 
le  Roi,  Colbert  ;  et  scellé  du  grand  Sceau  de  cire  jaune. 

Registre  à  Paris  en  Parlement,  le  vingt-quatre  mars  mil  six  cent 
quatre-vingt.  Signé  :  Jacques. 

Nous  serions  volontiers  disposé  à  croire  que  nombre  de  femmes 
s'ingéraient  de  pratiquer  des  accouchements,  sans  avoir  subi  l'examen 
et  prêté  le  serment.  Ces  infractions  aux  règlements  avaient  lieu  tout 
au  moins  à  Paris.  Nous  n'en  voulons  pour  preuve  que  la  pièce  sui- 
vante : 


MOEURS   ET   COUTUMES  661 


SENTENCE 


RENDUE 

PAR    MONSIEUR    LE    LIEUTENANT    CRIMINEL 
AU  CHATELET  DE   PARIS 

QUI  ORDONNE  L 'EXÉCUTION  DES  ARRÊTS  DU  PARLEMENT  DES  12  DÉCEMBRE 

1726  ET  3  NOVEMBRE  1728 
ET  DES  SENTENCES  DES  7  MARS,  5  AVRIL,  12  MAI  1742,  ET  22  SEPTEMBRE 

1745 

En  conséquence,  fait  défense  à  toutes  femmes  et  filles  de  s'immiscer 
dans  la  fonction  de  Matrone  et  Sage-Femme,  dans  la  Ville,  Faux- 
bourgs  et  Banlieue  de  Paris,  et  de  prendre  Enseigne,  sans  avoir  été 
examinées  es  Ecoles  de  Saint-Côme,  et  avoir  prêté  le  serment  par- 
devant  Monsieur  le  Lieutenant-Criminel. 

Extrait  des  Minutes  du  Greffe  Criminel  du  Châtelet  de  Paris. 

Vu  le  Réquisitoire  à  nous  présenté  par  le  Procureur  du  Roi,  expositif, 
que  par  Arrêts  du  Parlement  des  12  Décembre  1726,  et  3  Septembre  1728, 
il  avoit  été  ordonné  que,  lorsque  les  Sages-Femmes  auroient  obtenu,  du 
premier  Chirurgien  du  Roi,  des  Lettres  de  capacité  à  maîtrise,  elles 
prêteroient  serment  par-devant  Nous  ;  et  par  plusieurs  Sentences  rendues 
sur  ledit  Réquisitoire  dudit  Procureur  du  Roi,  notamment  par  celles  des 
7  Mars,  5  Avril,  12  Mai  1742,  et  22  Septembre  1745,  il  avoit  été  fait 
défenses  à  toutes  femmes  et  filles  de  s'immiscer  dans  la  fonction  de 
Matrone  et  Sage-Femme,  en  cette  Ville,  Fauxbourgs  et  Banlieue  de 
Paris,  de  prendre  Enseigne,  sans  avoir  été  examinées  es  Ecoles  de 
Saint-Côme,  par  les  Chirurgiens  à  ce  commis,  avoir  prêté  serment  par- 
devant  Nous,  en  la  manière  accoutumée,  information  préalablement 
faite,  à  la  requête  dudit  Procureur  du  Roi,  de  leurs  vie  et  mœurs,  Reli- 
gion Catholique,  Apostolique  et  Romaine,  à  peine  de  trois  cens  livres 
d'amende,  pour  la  première  fois.  Comme  ledit  Procureur  du  Roi  étoit 
informé,  qu'au  préjudice  de  la  disposition  précise  desdits  Arrêts  et  Sen- 
tences, la  plupart  des  femmes  et  filles  qui,  depuis  plusieurs  années, 
s'étoient  ingérées  dans  l'exercice  de  la  profession  de  Sages-Femmes,  et 
annoncées  dans  le  Public,  Maîtresses  dudit  art,  en  faisant  pendre  des 
Enseignes  aux  maisons  qu'elles  occupoient  dans  la  Ville  et  Fauxbourgs 


662  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

de  Paris,  n'avoient  point  préalablement  subi  les  examens  ordinaires,  es 
Ecoles  de  Saint-Côme,  et  ne  s'étoient  point  présentées  pour  prêter  le 
serment  par-devant  Nous,  en  tel  cas  requis  ;  ce  qui  étoit  un  abus  con- 
traire au  bien  de  la  justice,  à  l'ordre  public  et  à  la  sûreté  des  familles  ; 
et  qu'il  étoit  du  devoir  et  du  ministère  dudit  Procureur  du  Roi,  d'en 
arrêter  le  cours,  en  prévenant  tout  ce  qui  pourroit  y  donner  lieu  ;  et  de 
veiller  et  tenir  la  main  à  l'exécution  desdits  Arrêts,  Sentences  et  Régie, 
mens.  A  ces  causes,  requéroit  le  Procureur  du  Roi,  que  les  Arrêts  du 
Parlement  des  12  Décembre  1726,  et  3  Novembre  1728,  et  les  Sentences 
des  7  Mars,  5  Avril,  12  Mai  1742,  et  22  Septembre  1745,  fussent  exécutés 
selon  leur  forme  et  teneur;  en  conséquence,  que  défense  seroient  faites 
à  toutes  femmes  et  filles  de  s'immiscer  dans  la  fonction  de  Matrone  et 
Sage-Femme,  en  cette  Ville,  Fauxbourgs  et  Banlieue  de  Paris  ;  de 
prendre  Enseigne,  sans  avoir  été  examinées  es  Ecoles  de  Saint-Côme, 
par  les  Chirurgiens  à  ce  commis,  avoir  prêté  le  serment  par-devant 
Nous,  en  la  manière  ordinaire  et  accoutumée;  information  préalable- 
ment faite,  à  la  requête  dudit  Procureur  du  Roi,  de  leurs  vie  et  mœurs, 
Religion  Catholique,  Apostolique  et  Romaine,  à  peine  de  trois  cens 
livres  d'amende,  pour  la  première  fois  ;  et  qu'il  fût  ordonné,  que  celles 
qui  en  avoient  fait  la  fonction  jusqu'à  présent,  sans  avoir  été  ainsi 
examinées  et  reçues,  seroient  assignées  par-devant  Nous,  à  la  requête 
dudit  Procureur  du  Roi,  pour  se  voir  condamner  en  telle  amende  qu'il 
appartiendroit,  et  qu'il  fût  enjoint  à  tous  les  Commissaires  du  Châtelet, 
de  se  transporter  chacun  dans  leur  quartier,  es  lieux  où  il  y  auroit  des 
Enseignes  de  Sages-Femmes  attachées,  pour  se  faire  représenter,  par 
celles  qui  les  auroient  fait  attacher,  leurs  Sentences  de  réception  au 
Châtelet;  et  faute  de  les  représenter,  qu'elles  seroient  assignées  par- 
devant  Nous,  pour  répondre  sur  leur  rapport,  dont  ils  dresseroient  leurs 
Procès-verbaux,  et  en  donneroient  avis  au  Procureur  du  Roi,  pour,  sur 
ses  conclusions,  être  ordonné  ce  que  de  raison  :  et  que  la  Sentence  qui 
interviendroit  sur  son  dit  Réquisitoire,  seroit,  à  la  diligence  du  Procureur 
du  Roi,  imprimée,  lue,  publiée,  et  affichée  dans  tous  les  lieux  et  carre- 
fours accoutumés  de  la  Ville,  Fauxbourgs  et  Banlieue  de  Paris,  et  par- 
tout où  besoin  seroit. 

Nous,  faisant  droit,  sur  le  réquisitoire  du  Procureur  du  Roi,  disons 
que  les  Arrêts  du  Parlement  des  12  Décembre  1726,  et  3  Novembre  1728, 
et  les  Sentences  des  7  Mars,  5  Avril,  12  Mai  1742,  et  22  Septembre  1745, 
seront  exécutés  selon  leur  forme  et  teneur  :  en  conséquence,  faisons 
défenses  à  toutes  femmes  et  filles,  de  s'immiscer  dans  la  fonction  de 
Matrone  et  Sage-Femme,  en  cette  Ville,  Fauxbourgs  et  Banlieue  de 
Paris,  et  de  prendre  Enseigne,  sans  avoir  été  examinées  es  Ecoles  de 
Saint-Côme,  par  les  Chirurgiens  à  ce  commis  ;  avoir  prêté  serment, 
par-devant  Nous,  en  la  manière  ordinaire  et  accoutumée,  information 
préalablement  faite,  à  la  requête  du  Procureur  du  Roi,  de  leurs  vie, 
mœurs  et  Religion  Catholique,  Apostolique  et  Romaine,  à  peine  de  trois 


MOEURS   ET   COUTUMES  663 

cens  livres  d'amende,  pour  la  première  fois.  Ordonnons  que  celles  qui 
en  ont  fait  la  fonction  jusqu'à  présent,  sans  avoir  ainsi  été  examinées  et 
reçues,  seront  assignées  par-devant  Nous,  à  la  requête  du  Procureur 
du  Roi,  pour  se  voir  condamner  en  telle  amende  qu'il  appartiendra. 

Mandons  à  tous  les  Commissaires  du  Châtelet,  de  se  transporter 
chacun  dans  leur  quartier,  es  lieux  où  il  y  aura  des  Enseignes  de  Sages- 
Femmes  attachées,  pour  se  faire  représenter,  par  celles  qui  les  auront 
fait  attacher,  leur  Sentence  de  réception  au  Châtelet  ;  et  faute  de  les 
représenter,  qu'elles  seront  assignées  par-devant  Nous,  pour  répondre, 
sur  leur  rapport,  dont  ils  dresseront  leurs  Procès-verbaux,  et  en  donne- 
ront avis  au  Procureur  du  Roi,  pour,  sur  ses  conclusions,  être  ordonné 
ce  que  de  raison. 

Disons  en  outre,  que  notre  présente  Sentence  sera,  à  la  diligence  dudit 
Procureur  du  Roi,  imprimée,  lue,  publiée  et  affichée,  dans  tous  les  lieux 
et  carrefours  accoutumés  de  la  Ville,  Fauxbourgs  et  Banlieue  de  Paris, 
et  par-tout  où  besoin  sera. 

Ce  fut  fait  et  donné  par  Nous,  Charles-Simon  BACHOIS  DE  VILLE- 
FORT,  Chevalier,  Conseiller  du  Roi  en  ses  Conseils,  Lieutenant-Cri- 
minel de  la  Ville,  Prévôté  et  Vicomte  de  Paris,  le  3  Août  mil  sept  cent 
soixante-dix-neuf. 

BACHOIS.  ,  MOREAU. 

CARRE. 

Charles-Simon  Bachois  de  Villefort  avait  raison;  mais  en  réalité 
quelles  garanties  de  savoir  offraient,  même  dans  la  capitale,  les  ma- 
trones associées  à  la  confrérie  de  Saint-Côme?  Tous  les  ans,  un  des 
deux  chirurgiens  jurés  du  Châtelet  était  tenu  de  leur  démontrer 
l'anatomie  sur  un  cadavre  de  femme.  Dès  1664,  il  y  a  progrès  :  une 
déclaration  du  mois  de  septembre  de  cette  année  et  des  arrêts  de  la 
Cour  du  19  août  1666  et  29  mars  1732  «  défendent  à  la  communauté 
des  chirurgiens  de  Paris  et  aux  démonstrateurs  anatomiques  de  faire 
aucune  dissection  des  corps  de  femmes,  sans  y  avoir  appelle  les  sages- 
femmes  par  des  billets  de  convocation  ».  Seulement  ces  spectacles, 
auxquels  Thomas  Diafoirus  invitait  Angélique,  n'avaient  guère  lieu 
qu'à  Paris.  Mais  en  province,  mais  dans  les  campagnes  surtout? 

Dans  les  campagnes,  si  nous  en  croyons  M.  Babeau,  l'ignorance 
des  sages-femmes  était  incroyable.  L'acte  de  réception  de  Jeanne 
Menneret  contient  cette  clause  :  du  consentement  des  femmes  de  cette 
paroisse;  c'est  qu'en  effet,  la  nomination  des  sages-femmes  était  une 
des  singularités  de  la  vie  rurale  à  cette  époque.  Toutes  les  femmes 
s'assemblaient  chez  le  curé  pour  la  choisir;  assez  souvent  même  la 
promotion  se  faisait  en  chaire;  celle  qui  avait  été  honorée  de  ce  choix, 
n'avait,  peut-être  jamais,  été  témoin  d'un  accouchement.  Au  fond,  cet 


664  HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 


usage  avait  été  motivé  par  le  désir  d'empêcher  les  enfants  de  mourir 
sans  baptême.  On  essaya  de  remédier  aux  accidents  causés  par  ces 
sages-femmes  improvisées,  en  créant  des  écoles  d'accouchement  dans 
les  chefs-lieux  d'élection,  à  Moulins  par  exemple,  à  Rouen,  à  Alen- 
çon.  D'ordinaire,  les  cours  duraient  deux  mois,  et,  pendant  ce  temps, 
les  pensionnaires,  le  plus  souvent  désignées  parle  suffrage  universel, 
recevaient  huit  sous  par  jour.  Mais,  malgré  les  certificats  qu'on  leur 
délivrait  et  les  exemptions  de  corvée  royale  qu'on  accordait  à  leurs 
maris,  beaucoup  de  jeunes  femmes  refusaient  de  s'y  rendre  parce 
qu'elles  ne  pouvaient  ni  ne  voulaient  quitter  leur  ménage. 

La  valeur  scientifique  des  anciennes  matrones  nous  paraît  donc 
fort  contestable.  Quelle  était  leur  valeur  morale,  tout  au  moins  à 
Paris?  Les  anecdotiers  des  siècles  passés  nous  ont  laissé  le  récit  de 
quelques  aventures  compromettantes  pour  leur  réputation.  Sans 
parler  de  la  Voisin,  célèbre  empoisonneuse,  qui  jeta  un  fâcheux  reflet 
sur  la  corporation  des  sages-femmes  du  XVIIe  siècle,  dont  elle  faisait 
partie.  Nous  savons  que,  déjà  au  siècle  précédent,  elles  prêtaient  vo- 
lontiers leur  ministère  à  des  accouchements  clandestins.  Nous  en 
avons  une  preuve  dans  ce  passage  d'Henry  Estienne  :  «  La  manière 
est  aujourd'huy  d'aller  quérir  les  sages-femmes  en  leurs  maisons,  et 
après  leur  avoir  bandé  les  yeux,  les  mener  au  logis  où  est  la  femme 
qui  en  a  besoin,  et  est  alors  masquée  ou  autrement  bouchée,  de  peur 
d'estre  cognuë  par  elles,  ausquelles  il  est  force  de  desbander  alors  les 
yeux.  Quant  à  moy  j'ay  oiiy  parler  d'une  qui  racontoit,  ne  luy  avoir 
été  faict  ce  tour  seulement  (qui  est  aujourd'huy  assez  commun,  si  on 
vouloit  faire  la  recherche),  mais  aussi  l'enfant  avoir  été  mis  à  mort  en 
sa  présence,  incontinent  après  être  sorti  du  ventre  maternel.  Et  qu'elle 
n'eut  pas  plustost  ouvert  la  bouche  pour  remonstrer  l'énormité  de 
l'acte  qu'on  vouloit  commettre,  qu'elle  fut  en  danger  de  sentir  sa  part 
de  la  cruauté  des  personnes  qui  commettoient  ce  meurtre,  et  de  celles 
aussi quiy  consentoient.Et  entr'autres  choses  ajoustoitquela  chambre 
en  laquelle  ceci  se  faisoit,  estoit  toute  tapissée  de  draps  blancs,  pour 
oster  mieux  tout  moyen  de  remarquer  rien.  Elle  fut  puis  ramenée 
jusques  au  lieu  où  on  l'avait  prise,  ayant  les  yeux  bandez  comme  au 
paravanl.  Par  ceci  pouvons-nous  conjecturer  quels  courages  ont  au- 
cunes femmes.  Il  est  bien  vray  qu'aujourd'huy  maintes  dames  n'ont 
besoin  d'en  venir  jusques-là,  par  le  moyen  de  plusieurs  préservatifs 
qui  les  gardent  de  devenir  grosses.  » 

En  1660,  l'avortement  volontaire  de  Mlle  deGuerchy,  opération  à  la- 
quelle succomba  cette  malheureuse  fille  d'honneur  de  Marie-Thérèse 
d'Autriche,  mena  au  gibet,  dressé  à  la  Groix-du-Trahoir,  la  Cons- 


MOEURS   ET   COUTUMES  •      665 

tantin,  matrone  qui  l'aida  à  commettre  son  crime  et  la  blessa  mor- 
tellement ;  et  à  ce  propos,  si  l'on  en  croit  les  Mémoires  d'Amelot  de 
la  Houssaye,  le  comte  de  Grammont  disait  à  Louis  XIV,  lui  deman- 
dant ce  qu'il  avait  appris  de  nouveau  à  Paris  :  «  Pas  autre  chose, 
Sire,  sinon  que  j'ai  vu  pendre  la  sage-femme  des  filles  d'honneur  de 
la  reine  »  (1). 

(1)  MUe  de  Guerchy  était  la  maîtresse  du  duc  de  Vitry;  elle  eut  recours  à  la 
Constantin  parce  que  sa  grossesse,  qu'elle  tenait  secrète,  l'empêchait  d'accompagner 
la  reine  en  voyage.  Son  amant  la  voyant  perdue,  la  fit  confesser,  pms,  pour  abréger 
son  agonie  douloureuse,  lui  fracassa  la  tête  d'un  coup  de  pistolet  et  s'enfuit  en  Ba- 
vière. Dans  une  lettre  du  22  juin  1660,  Guy  Patin  dit  :  «  On  fait  ici  grand  bruit  de 
la  mort  de  MUe  de  Guerchy. . .  Le  curé  de  Saint- Eustache  a  refusé  la  sépulture  au 
corps  de  cette  dame  ;  on  dit  qu'on  l'a  porté  dans  l'hôtel  de  Condé,  et  qu'il  y  a  été 
mis  dans  la  chaux  afin  de  le  consumer  plus  tôt,  et  qu'on  n'y  puisse  rien  reconnaître 
si  on  venait  à  la  visiter.  » 

C'est  cette  aventure  qui  donna  lieu  au  fameux  sonnet  de  l'Avorton;  l'auteur 
J.  Hesnault,  fait  ainsi  parler  la  mère  : 

Toi  qui  meurs  avant  que  de  naître, 
Assemblage  confus  de  l'être  et  du  néant, 
Triste  avorton,  informe  enfant, 
Rebut  du  néant  et  de  l'être. 

Toi  que  l'amour  fit  par  un  crime, 
Et  que  l'honneur  défait  par  un  crime  à  son  tour, 
Funeste  ouvrage  de  l'amour, 
De  l'honneur  funeste  victime. 

Donne  fin  au  remords  par  qui  tu  t'es  vengé, 
Et  du  fond  du  néant  où  je  t'ai  replongé 
N'entretiens  point  l'horreur  dont  ma  faute  est  suivie. 

Deux  tyrans  opposés  ont  décidé  ton  sort  : 
L'amour,  malgré  l'honneur,  t'a  fait  donner  la  vie, 
L'honneur,  malgré  l'amour,  te  fait  donner  la  mort. 

En  réplique,  on  fit  la  Réponse  de  V Avorton  : 

Mère,  qui  veux  cesser  de  l'être, 
Qui  défais  ton  ouvrage  après  l'avoir  formé, 
Et  fais  un  sépulcre  animé 
De  ce  sein  où  je  devais  naître  ! 

Toi  qui,  dan3  tes  propres  entrailles, 
Attaques  la  nature  ;  et,  par  un  coup  fatal, 
Fais  précéder  mon  jour  natal, 
Par  celui  de  mes  funérailles! 

Laisse-moi  le  loisir  de  déplorer  mon  sort. 
L'hoimeur  pour  se  venger  a  conspiré  ma  mort  : 
Dans  ton  sein  malgré  lui,  je  m'ouvris  le  passage. 

Cet  honneur  offensé  m'en  punit  en  ce  jour; 
Il  me  rend  maintenant  outrage  pour  outrage, 
Et  lui,  que  j'ai  détruit,  me  détruit  a  son  tour  I 


666  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Dans  son  Tableau  de  Paris,  publié  à  la  veille  de  la  Révolution, 
l'observateur  Mercier  nous  peint  comme  suit  les  sages-femmes  de  son 
temps  :  «  Quand  une  fille  est  devenue  mère,  elle  n'avertit  personne 
malgré  l'édit  de  Henri  II.  Elle  dit  qu'elle  va  à  la  campagne  ;  mais  elle 
n'a  pas  besoin  de  sortir  de  la  ville,  même  du  quartier  pour  se  cacher 
et  faire  ses  couches.  Chaque  rue  offre  une  sage-femme  qui  reçoit  les 
filles  grosses.  Un  même  appartement  est  divisé  en  quatre  chambres 
égales  au  moyen  de  cloisons,  et  chacune  habite  sa  cellule  et  n'est 
point  vue  de  sa  voisine.  L'appartement  est  distribué  de  manière 
qu'elles  demeurent  inconnues  l'une  à  l'autre  pendant  deux  ou  trois 
mois  ;  elles  se  parlent  sans  se  voir. 

«  On  ne  peut  forcer  la  porte  d'une  sage-femme  que  par  des  ordres 
supérieurs.  La  fille  attend  là  le  moment  de  sa  délivrance;  un  mois  ou 
six  semaines,  selon  qu'elle  a  bien  ou  mal  calculé. 

«  Elle  sort  après  la  quinzaine  et  rentre  dans  sa  famille  et  dans  la  so- 
ciété. Elle  a  pu  accoucher  dans  une  rue  voisine,  voyant  de  sa  fenêtre 
celles  de  son  père,  sans  que  celui-ci  s'en  doute;  et  voilà  ce  que  la  pro- 
vince ne  sauroit  concevoir. 

«  La  sage-femme  se  charge  de  tout,  présente  l'enfant  au  baptême, 
le  met  en  nourrice,  ou  aux  Enfants-Trouvés,  selon  la  fortune  du  père 
ou  les  craintes  de  la  mère.  Combien  ces  réduits  secrets  ont-ils  vu  de 
malheureuses  et  tendres  amantes,  quelquefois  trahies,  abandonnées, 
et  mouillant  de  leurs  larmes  tardives  leur  couche  solitaire  !  Quelle 
situation  affreuse  que  celle  de  la  jeune  beauté  qui,  pressée  entre  le 
remords,  le  désespoir  et  la  honte,  paie  avec  usure  un  moment  de  fai- 
blesse! Elle  ne  peut  nommer  ni  son  amant  ni  son  fils  en  les  chéris- 
sant tous  deux  ;  fugitive  de  la  maison  paternelle,  elle  se  trouve 
isolée  dans  cette  immense  ville,  et  obligée  de  vendre  des  petits  bijoux 

Citons  enfin  YEpitaplie  faite  sur  MllQ  de  Guerchy  : 

Passant,  sur  ce  tombeau  daigne  arrêter  tes  pas. 

Tu  sauras  la  triste  aventure 
D'une  rare  beauté  qui,  devant  son  trépas, 
Se  faisait  admirer  de  toute  la  nature. 

Dès  qu'elle  parut  à  la  Cour, 

Elle  sut  donner  de  l'amour, 

Et  cette  belle  en  prit  de  même. 
Mais  son  cœur  en  prit  tant,  qu'à  son  amour  extrême 
Elle  sacrifia  jusques  à  son  bonneur. 
Mais  l'honneur  à  son  tour  voulant  un  sacrifice  ; 
La  belle  Iris,  pour  fuir  le  déshonneur, 

Immola  le  fruit  de  son  vice. 
Et  pour  le  faire  avec  plus  de  splendeur, 
Ce  n'était  pas  assez  de  l'Avorton  d'un  crime, 
Elle-même  en  fut  la  victime. 


MOEURS   ET   COUTUMES  G67 

pour  obtenir  le  lit  où  elle  déposera  le  fruit  de  ses  amours.  On  la  cher- 
che de  tous  côtés  ;  elle  ne  sortira  de  cette  prison  clandestine  que  quand 
elle  pourra  reparaître.  La  faute  sera  oubliée  et  même  pardonnée, 
pourvu  qu'il  n'y  ait  point  de  publicité. 

«  Ces  sages-femmes  tirent  le  plus  d'argent  qu'elles  peuvent  des 
infortunées  qui  viennent  chercher  leur  secours  ;  ils  ne  sont  pas 
désintéressés  ;  il  n'en  coûte  guère  moins  de  douze  livres  (1)  par 
jour. 

«  On  a  vu  plusieurs  filles  assez  habiles  pour  cacher  leur  grossesse 
jusqu'au  dernier  instant,  assez  heureuses  pour  accoucher  prompte- 
ment,  assez  intrépides  pour  revenir  dans  leur  foyer  domestique  sans 
éveiller  les  soupçons  de  leurs  père,  mère,  frère  et  sœur.  Quel  inconce- 
vable chef-d'œuvre  d'habileté,  de  présence  d'esprit  et  de  courage  ! 
Ainsi  les  sages-femmes  sauvent  la  réputation  des  amantes  infortunées, 
elles  sont  vouées  à  la  discrétion;  le  plus  souvent,  il  est  vrai,  elles  ne 
connoissent  pas  les  personnes  qu'elles  accouchent.  L'enseigne  d'une 
sage-femme  est  parlante  ;  elle  offre  une  femme  portant  un  nouveau-né. 
Sans  décrier  une  maison,  cette  enseigne  empêche  que  des  demoiselles 
bien  nées  y  viennent  demeurer,  parce  que  ce  voisinage  paroîtroit  trop 
commode  aux  yeux  de  la  malignité.  La  fille  prend  la  peine,  quand 
l'accident  lui  arrive,  de  traverser  la  rue,  et  alors  tout  est  dans 
l'ordre. 

«  Le  prêtre  qui  baptise  est  accoutumé  avoir  arriver  la  sage-femme, 
et  il  distingue  ainsi  du  premier  coup  d'œil  l'enfant  de  l'amour  de  l'en- 
fant de  l'hymen.  Les  droits  du  prêtre  ayant  été  fraudés,  il  punit  le 
fils  de  l'infracteur  dans  l'extrait  baptistaire,  et  le  déclare  enfant  natu- 
rel, c'est-à-dire,  bâtard.  Qui  voudra  écrire  des  anecdotes  singu- 
lières, intéressantes,  piquantes,  savoir  et  le  bien  et  le  mal  que 
l'amour  fait  dans  ce  monde,  toutes  les  ruses  qu'il  invente,  toute 
la  force  et  tout  le  courage  dont  il  est  susceptible,  qu'il  fasse  la 
connaissance  de  quatre  ou  cinq  sages-femmes;  il  apprendra  des  aven- 
tures uniques  presque  incroyables,  et,  les  noms  des  personnages  y 
manquant,  le  lecteur  sera  intéressé,  sans  que  les  acteurs  soient  trahis. 
Ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable,  c'est  de  voir  quelquefois  la  fille 
d'une  sage-femme  servir  sa  mère  dans  des  fonctions  qui  réveillent 
certaines  idées,  et,  au  milieu  de  tant  d'exemples  de  faiblesse,  conserver 

(1)  Douze  livres  tournois  représentent  environ  11  francs  8o  centimes.  De  nos 
jours,  la  sage-femme  est  moins  exigeante,  et,  comme  nous  l'apprend  une  enseigne 
reproduite  plus  loin,  se  contente  de  60  francs  pour  neuf  jours.  Il  est  vrai  d'ajouter 
que  la  matrone  qui  nous  a  autorisé  à  reproduire  son  enseigne,  nous  a  prévenu  que 
ses  prix  étaient  augmentés. 


668  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

sa  chasteté  intacte.  Si  elle  tombe  dans  le  piège,  ce  ne  sera  pas  faute 
d'avoir  eu  sous  les  yeux  des  motifs  propres  à  la  retenir  sur  le  bord  du 
précipice. 

«  Plusieurs  filles  qui  ont  visité  une  ou  deux  fois  l'appartement  obscur 
et  impénétrable  de  la  sage-femme,  n'en  trouvent  pas  moins  un  époux, 
en  jouant  le  rôle  d'Agnès,  rôle  que  presque  toutes  les  filles  et  même 
les  plus  sottes  possèdent  par  instinct.  Puis  dans  cette  ville  immense 
qui  peut  conter  l'histoire  de  tel  ou  tel  individu  ?  Le  changement  de 
quartier  suffit  pour  dérouter  le  plus  habile,  le  plus  curieux  investiga- 
teur. 

«  Les  filles  pauvres  et  sans  ressources  vont  faire  leurs  couches  à 
l'Hôtel-Dieu;  on  les  y  reçoit  dès  le  sixième  mois.  Cette  partie  de  l'ad- 
ministration est  très  bien  soignée;  rien  ne  manque  à  ces  femmes  de 
ce  qu'exige  leur  état.  Les  maîtres  de  l'art  y  inspectent  journellement 
la  manière  dont  elles  sont  traitées  jusqu'à  leur  parfait  rétablisse- 
ment. La  chose  vue  en  grand  me  paraît  exempte  de  reproches. 

«  Ces  sages-femmes  qui  reçoivent  toutes  celles  qui  se  présentent, 
sans  s'enquérir  de  leur  nom  et  qualité,  etl'hôpital  des  Enfants-Trouvés 
font  que  l'infanticide  est  un  crime  inouï  dans  la  capitale.  Ce  forfait 
n'était  pas  rare  avant  ce  sage  établissement,  et  voyez  s'il  n'est  pas 
plus  commun  en  Suisse  que  dans  toute  la  France. 

«  L'édit  de  Henri  II  est  tombé  en  désuétude  ;  et  sur  cent  filles  qui 
accouchent  clandestinement,  à  peine  il  y  en  a-t-il  une  seule  qui  sache 
qu'une  vieille  loi  la  condamne  à  la  mort  pour  n'avoir  pas  révélé  sa 
grossesse. 

«  On  compte  à  Paris  deux  cents  maîtresses  sages-femmes  ;  il  y  naît 
environ  vingt  mille  enfants  :  divisez.  » 

La  sage-femme  au  XIXe  siècle.  —  En  France,  d'après  la 
loi  du  19  ventôse  an  XI,  toute  élève  sage-femme  doit  être  âgée  de 
18  ans  au  moins  et  de  35  ans  au  plus.  Il  y  a  deux  classes  de  sages- 
femmes  dont  les  épreuves  diffèrent  peu  ;  la  principale  distinction  existe 
dans  les  droits  à  payer  :  ils  sont  de  130  francs  pour  la  sage-femme 
de  lro  classe  et  seulement  de  25  francs  pour  la  sage-femme  de  2e  classe. 
De  plus,  leur  diplôme  donne  droit,  à  la  première,  d'exercer  sur  tout  le 
territoire  français,  tandis  que  la  seconde  ne  peut  s'éloigner  de  la  cir- 
conscription où  elle  a  été  reçue.  Ainsi,  une  femme,  précédemment  ac- 
couchée en  Seine-et-Oise  par  une  matrone  de  2e  classe,  et  qui  vient 
ensuite  demeurer  dans  un  département  limitrophe,  ne  peut  réclamer 
les  soins  de  la  même  sage- femme;  celle-ci  en  est  reconnue  inca- 
pable de  par  la  loi.  Bizarre  jurisprudence  que  celle  qui  fait  dépendre 


MOEURS   ET   COUTUMES 


669 


l'instruction  et  l'habileté  professionnelles  d'une  question  de  topo- 
graphie. 

A  Paris,  nos  aspirantes  sages-femmes  sont  instruites  dans  deux 
écoles  ;  les  unes  restent  internées  à  la  Maternité,  un  an  ou  deux  ans  à 
leur  gré:  les  autres  sont  libres  et  suivent  un  cours   théorique  à  la 


Fig.  452.—  Fac-similé  d'une  vignette  de  H.  Dauraier,  tirée  de  la  Némisis  médicale. 


Clinique  des  accouchements  ;  elles  passent,  en  outre,  un  jour  et  une 
nuit  par  semaine  dans  les  salles  de  cet  hôpital,  pendant  six  mois  seu- 
lement. Il  va  sans  dire  que  les  premières,  en  raison  de  la  direction  de 
leurs  études  et  surtout  du  vaste  champ  d'expériences  qu'elles  ont  à 
leur  portée,  offrent  des  garanties  de  capacité  beaucoup  plus  grandes 
-que  toutes  leurs  autres  collègues. 

Dans  les  départements,  les  élèves  sages-femmes  suivent  un  cours 


670  HISTOIRE  DES   ACCOUCHEMENTS 

annuel  qui  leur  est  spécialement  destiné  dans  l'hospice  principal  ou 
dans  une  faculté.  Mais  leurs  études,  comme  celles  des  élèves  de  la 
Clinique  de  Paris,  laissent  trop  à  désirer. 

Le  niveau  intellectuel  des  sages-femmes,  exerçant  actuellement 
dans  les  villes,  est  certainement  plus  élevé  que  celui  de  leurs  sœurs 
en  obstétrique  du  siècle  précédent  ;  cependant,  sans  trop  ravaler  leur 
mérite,  il  est  permis  de  reconnaître  que  si  elles  sont  parfois  habiles, 
elles  sont  rarement  instruites  (1).  Faut-il  parler  des  campagnes  ?  Là, 
dit  le  Dr  Montagnet,  leur  niveau  scientifique  est,  le  plus  souvent, 
tellement  bas,  qu'il  est  presque  nul  ;  le  plus  grand  mérite  de  ces  fem- 
mes est  de  savoir  bien  emmailloter  un  enfant. 

Dans  sa  Némésis  médicale,  François  Fabre,  qui  n'est  pas  des  plus 
aimables  pour  les  accoucheurs  femelles  de  notre  époque,  dépeint  leurs 
travers,  non  sans  quelque  vérité  : 


LES  SAGES-FEMMES 


De  l'accoucheur,  que  font  le  sexe  et  l'âge  ? 

L'âge  et  le  sexe  ont,  à  mérite  égal, 

Un  égal  titre  au  beau  surnom  de  sage. 

Du  même  fief,  châtelain  féodal. 

Tout  esprit  docte  à  son  gré  se  l'arrogé; 

Soit  qu'à  longs  plis  descendent  sur  sa  toge, 

Incessamment  par  l'amour  caressés, 

D'épais  cheveux  artistement  tressés  ; 

Que  sur  sa  bouche  erre  au  milieu  des  charmes 

Le  doux  souris  qui  va  sécher  les  larmes  ; 

Soit  qu'aux  ennuis  où  son  front  s'est  moulé, 

Encor  flétri  de  morgue  scholastique, 

L'œil  mâle  et  fier,  ou  sévère,  ou  caustique, 

Dans  le  travail  sa  foi  d'homme  ait  doublé  ; 

La  foule  accourt  et  ma  voix  la  rallie  ; 

Non  cette  foule  où  domine  la  lie 

A  nos  besoins  insuffisant  fretin, 

Faible  soutien  d'une  école  affaiblie, 

Où  s'étendront  Moreau,  Dubois,  Hatin, 

(1)  Voici,  comme  échantillon  du  savoir  de  quelques  sages-femmes,  une  lettre  publiée 
dans  la  Gazette  des  Hôpitaux,  du  13  février  1836  :  «  Ma  bonne  peutite,  ci  vous  nave 
pas  de  parti  prémédite  pour  ce  coire,  je  vous  zin  vite  à  veu  nire  in  ci  que  made- 
moiselle X...  bonne  man  et  cen  pleman  promené  cure  leu  boulevare.  » 


MOEURS   ET   COUTUMES  671 

D'autres  encor  que  ma  mémoire  oublie  ; 
Mais  bien  la  foule  où  d'un  meilleur  renom 
Vivent  Dugès,  Gardien,  Capuron, 
Et  Villeneuve,  espoir  de  Massillie  ; 
Et  mille,  mille  à  qui  manque  un  essor, 
Dont  l'aile  bat,  quoique  sur  terre  encor, 
Qu'un  souffle  d'air,  une  brise  qui  passe 
Au  moindre  choc  lancerait  dans  l'espace. 
Mais,  dira-t-on,  laissez  vos  ventriers, 
Gent  secourable  aux  secrètes  faiblesses, 
Accoucheurs-nés  de  reines,  de  princesses, 
Se  disputer  ou  chardons  ou  lauriers  ; 
Chardons,  lauriers  ont  des  branches  rameuses  ; 
A  vous  des  mets  faciles  à  broyer, 
De  la  science  à  docile  espalier, 
A  vous,  enfin,  à  vous  les  accoucheuses. 

Oh  !  comme  ici,  sous  mon  vers  indiscret 

Dans  son  éclat  FEcole  reparaît  ; 

De  quels  chefs-d'œuvre  elle  se  pare  et  brille  ; 

Quel  linge  sale  à  laver  en  famille  ; 

Et  pour  blanchir  de  jaunissants  fleurons 

Quelle  lessive  à  chauffer  aux  chaudrons'  ! 

Non  que  soudain  de  mes  justes  critiques, 

Prompt  à  jeter  d'inopportuns  éclats, 

J'aie  à  flétrir  cet  hôtel  des  cliniques 

Bâti  naguère  avec  tant  de  fracas, 

Où,  resserrés  comme  aux  étroites  stalles, 

On  ose  encor  du  nom  pompeux  de  salles 

Y  décorer  d'étouffants  galetas  ; 

Que  coup  sur  coup  d'une  haleine  ennemie 

A  quatre  fois  souillé  l'épidémie  ; 

Et  que  la  fièvre  aux  retours  malfaisants 

A  quatre  fois  fait  fermer  en  trois  ans. 

Qu'on  ose  encor  l'ouvrir,  et  de  ma  bouche 

S'échappera  l'irrévocable  arrêt; 

Ma  voix  est  forte  et  l'anathème  est  prêt  : 

Malheur  à  ceux  que  la  mitraille  touche 

Quand  la  justice  amorce  les  canons  ! 

En  mille  éclats  elle  brise  leurs  noms  ; 

Un  mot  suffit  :  de  hideux  cabanons 

Heurtent  les  yeux  de  leurs  femmes  en  couche. 

Ecartons-nous  de  ce  double  charnier. 

Loin  du  cloaque  où  la  mort  a  son  trône, 

Sur  un  coteau  que  plus  d'air  environne, 


672  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

Et  qu'Arago  nous  rendit  familier, 
Est  un  palais  qu'une  piété  divine 
Au  siècle  d'or  a  bâti  pour  Lucine  ; 
Penser  d'amour,  œuvre  de  charité, 
A  juste  droit  nommé  Maternité. 
C'est  un  refuge  à  des  larmes  amères  ; 
Aux  orphelins  on  y  garde  des  mères, 
Et  tout  écho  qui  réfléchit  des  sons 
Des  Baudelocque  y  redit  les  leçons. 
Naguère  encore  Boivin  et  Lachapelle 
Ont  illustré  la  Salerne  nouvelle, 
Et  maintes  fois  sur  le  divin  trépied, 
Ange  de  paix,  aux  douleurs  qu'elle  veille, 
De  Trotula  l'ombre  fraîche  et  vermeille 
Près  d'un  chevet,  souriante  s'assied, 
Belle  d'attraits,  de  vertu,  de  science, 
Belle  surtout  de  son  expérience. 
Telle,  échappant  à  d'injustes  mépris, 
D'un  culte  saint,  consolante  prêtresse, 
Dans  l'art  si  cher  aux  dames  de  la  Grèce, 
Malgré  les  lois,  Agnodice  eut  le  prix. 
Telle  Perrette,  hélas  !  mélancolique, 
En  robe  simple,  en  simple  capuchon, 
Calme,  subit  sur  la  place  publique 
L'auto-da-fé  d'une  sentence  inique, 
Et  dont  un  roi  la  releva,  dit-on. 

Qu'ai-je  entendu  ?  Perrette  ventrière, 

Qu'un  parlement  transformait  en  sorcière; 

Ah!  qu'elle  garde  un  insultant  pardon; 

Fi  de  son  aide  et  même  de  son  nom  ! 

Fi  des  talents,  des  vertus  de  bricole  ! 

Quel  Orfila  de  sa  puissante  main 

A  déposé  la  griffe  d'une  école 

Au  sceau  menteur  de  leur  faux  parchemin? 

Est-ce  au  sortir  d'examens  de  parade 

Qu'on  leur  transmit  la  sagesse  et  le  grade, 

Fruits  sans  saveur  qui  vont  sécher  demain? 

Ah  !  dans  ce  siècle,  est-il  rien  que  l'on  n'ose? 

La  convoitise  y  gâte  toute  chose  ; 

En  cette  école  aux  fréquentes  rumeurs, 

Plus  d'un  élu  que  le  pouvoir  révère 

Met,  en  dépit  de  son  maintien  sévère, 

Sous  ses  deux  pieds  la  justice  et  les  mœurs. 

Pourquoi  baisser  votre  paupière  humide? 


MOEURS   ET    COUTUMES  673 

De  vos  regards,  je  suis  fier  et  jaloux  ; 
Levez  ces  yeux  dont  l'éclat  est  si  doux; 
Est-ce  bien  vous  que  ma  robe  intimide? 
Ah!  croyez-moi,  que  vous  disiez  ou  non 
De  vos  auteurs  la  matière  et  le  nom, 
N'eussiez-vous  fait  qu'une  croix  pour  paraphe, 
La  langue  admet  parfois  certain  écart, 
Montesquieu  même  en  a  commis  sa  part  : 
Honte  aux  pédants  qui  savent  Forthographe  ! 
L'écho  redit  ce  propos  engageant 
De  halle  en  halle  aux  provinces  voisines; 
Vingt  Jeannetons  à  l'œil  encourageant 
L'ont  entendu  jusque  dans  leurs  cuisines; 
L'impur  graillon  en  tout  sens  le  transmet, 
Mais  au  dehors  cette  odeur  ne  se  borne, 
L'Ecole  en  hume  un  odorant  fumet  ; 
Et,  sous  la  toque,  à  plus  d'un  nez  gourmet 
Monte  un  parfum  de  quelque  maritorne. 

A  qui  la  faute  et  le  mal  tout  entier?... 
A  vous,  régents  des  classiques  royaumes 
Qui  trafiquez  de  vos  honteux  diplômes 
Comme  on  ferait  d'un  impôt  maltôtier. 
Sous  vos  jurys  la  récolte  est  facile, 
Mais  sans  soleil  avortent  les  moissons, 
Et  du  scrutin  au  flanc  large  et  docile 
Un  cuivre  impur  dénature  les  sons. 
Pédants  titrés,  prodigues  de  couronnes, 
Dont  les  lauriers  sont  à  peine  tressés, 
De  source  impure,  à  flots  longs  et  pressés 
Sortent  encor  mille  et  mille  matrones  ; 
Mais  s'il  en  est  qui,  de  toute  hauteur, 
Fermes  d'esprit,  fortes  de  conscience, 
Osent  briguer  un  brevet  de  science, 
Et  marchent  droit  au  bonnet  de  docteur, 
De  vos  moulins  remettant  l'aile  en  panne, 
Au  candidat  vous  jetez  le  harpon, 
Emerveillés  que  le  public  profane, 
Qui  rit  parfois  des  docteurs  en  soutane, 
Ne  siffle  pas  un  docteur  en  jupon. 

Qui  donc  siffler?  répondez,  est-ce  Stone, 
Ou  Saint-André  qu'elle  grime  en  Scapin, 
Et  voue  aux  ris  dont  la  plèbe  bretonne 
Suit  Godalmine  accouchant  d'un  lapin? 
Est-ce  Nihell  dont  la  main  impolie 

HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS.  43 


674  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

D'un  coup  de  fouet  désarçonna  Smellie  ? 
O  sacrilège  !  à  l'élève  ébahi 
L'habileté  du  docteur  diplomate 
Développait  un  informe  automate; 
Il  lui  faisait  un  ventre  en  cuir  bouilli  ; 
Une  vessie  y  singeait  la  matrice, 
Chaste  utérus  où  dans  la  bière  glisse 
Une  poupée  à  cire  molle  et  lisse  ; 
Et  le  bouchon  tamponnant  l'orifice 
Sous  la  ficelle  obéissait  au  doigt  ; 
L'eau  jaillissait  du  factice  détroit, 
Mais  Nihell  rit  d'un  rire  de  mégère; 
Rire  fatal  qui,  malgré  le  bouchon, 
A  fait  jaillir  un  dernier  flot  de  bière, 
Et  dont  l'éclat  a  brisé  le  cruchon. 

Quel  sel  mordant,  quelle  épigramme  fine, 
Pourrait  atteindre  en  ces  indignes  jets 
Ou  Lachapelle,  ou  Legrand,  ou  Dugès, 
Docteurs  de  fait  sous  le  seing  de  Lucine  ! 
Et  Siéboldt,  double  greffe  germain, 
Boivin  encor,  lustre  de  sa  patrie, 
Et  Wittembach,  d'un  sang  français  nourrie, 
Toutes  docteurs  par  droit  de  parchemin!... 
Et  maintenant,  comme  un  fer  qui  se  rouille, 
Renverrez-vous  la  femme  à  sa  quenouille, 
Et  d'une  trame  aux  dévorants  ennuis 
Enchevêtrant  et  ses  jours  et  ses  nuits, 
Aigres  de  ton  et  de  voix  bien  amère, 
La  livrez-vous  aux  seuls  devoirs  de  mère? 
Mais  sa  santé  lui  défend  tous  les  mois 
A  jours  égaux,  dites-vous,  les  émois; 
Neuf  mois  durant,  une  ardeur  imprudente 
Nuit  aux  progrès  d'une  grossesse  lente  ; 
L'insouciance  au  fruit  qu'elle  a  porté 
Eût  mis  obstacle  à  sa  fécondité, 
Et  dans  le  sein  d'une  docte  nourrice 
Un  rien  suffît  pour  que  le  lait  tarisse. 
Travaux  de  nuit  sont  alors  sans  attraits; 
Comment  se  plaire  encore  aux  œuvres  rudes, 
Interrompant  de  douces  habitudes  ? 
Comment  offrir  à  des  esprits  distraits 
D'après  labeurs,  de  sévères  études? 
Coupez  donc  court  à  tout  nouvel  effort  ; 
Plus  de  docteur  à  titre  hermaphrodite  ; 


MOEURS   ET  COUTUMES  675 

Du  Grec  jaloux  pour  la  race  maudite 
Renouvelez  l'ostracisme  et  la  mort... 
Sinon,  cessez  d'injurieuses  plaintes, 
Et  des  pleurs  feints,  et  des  alarmes  feintes  ; 
On  peut  se  faire  à  des  profits  moins  grands  ; 
Pour  qu'un  étal  prospère  et  s'achalande 
Ne  faut-il  pas  qu'au  public  qui  marchande 
Chaque  commère  offre  ses  prix  courants? 

Quittez  l'air  sombre  et  le  regard  farouche; 

Que  la  colère,  amoindrissant  vos  cils, 

Ne  fronce  pas  de  sévères  sourcils  ; 

Laissez  le  rire  errer  sur  votre  bouche; 

Dût  une  enseigne,  à  chaque  carrefour, 

Intercepter  la  lumière  du  jour, 

Ah!  qu'à  son  gré,  saigne,  vaccine,  accouche 

Toute  matrone...  Au  fœtus  arrêté, 

Que  toute  voie  à  main  harde  pétrie 

D'un  vin  bien  chaud  soit  promptement  flétrie; 

Partout  déjà  l'utérus  contracté, 

Hâtive  proie  à  la  douleur  hâtive, 

Comme  accusé  de  faiblesse  rétive, 

Convulsé  et  meurt,  grâce  au  seigle  ergoté.  ' 

Toute  pitié  serait  et  vaine  et  folle  ; 

N'a-t-on  pas  vu  certain  pédant  d'école 

D'un  fer  rapide  au  tranchant  inhumain, 

Sans  cesse  armer  son  homicide  main? 

Prompt  à  creuser  tous  les  jours  une  tombe, 

Il  recommence  encor  le  lendemain  : 

La  vanité,  du  crime  est  sœur  jumelle  ! 

Et  quand,  hélas  !  sans  méthode  et  sans  frein, 

L'insanité  succède  à  Dupuytren, 

Qu'attendra-t-on  d'un  Sangrado  femelle  ? 

Le  temps  n'est  plus  des  charitables  soins; 
Les  hôpitaux  manquent  à  nos  besoins; 
Et  de  nos  jours,  d'une  intendance  avide, 
Mieux  que  le  fer  du  stylet  assassin 
Qui  du  fœtus  a  labouré  le  sein, 
L'esprit  étroit  pousse  à  l'infanticide. 
Des  innocents  le  meurtre  est  ordonné  : 
Les  voyez-vous  ces  mères  à  l'œil  morne!.. 
Ah!  révoquez  un  flrman  erroné. 
Ou  voulez-vous,  par  l'honneur  condamné, 
Qu'en  nos  cités,  au  pied  de  chaque  borne, 
Gise  sanglant  et  meure  un  nouveau-né  ? 


676  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Et  vous,  régents  d'études  imparfaites, 
Dont  les  leçons  sont  un  constant  larcin, 
Des  nourrissons  qu'aux  deux  sexes  vous  faites, 
L'un  est  manœuvre  et  n'est  pas  médecin, 
L'autre  docteur,  mais  en  pratique  ignare  ; 
Pour  lui  du  temple  on  a  fermé  le  seuil, 
Et  de  tous  deux  quand  l'orgueil  les  égare, 
Du  vrai  savoir  dont  vous  fûtes  avare 
L'humanité  porte  seule  le  deuil. 

Si,  comme  certains  de  nos  confrères,  nous  savions  tendre  entre  les 
branches  du  forceps  les  cordes  de  la  lyre,  peut  être  exprimerions-nous 
aussi  notre  opinion  personnelle  :  le  poète,  dit  Horace,  peut  tout  oser. 
L'alexandrin  ou  le  décassyllabique  nous  serait  commode  pour  chanter, 
sur  le  ton  élégiaque,  certains  malheurs  causés  par  la  présomption  et 
l'ignorance;  puis,  passant  au  ton  didactique,  nous  montrerions  à  nos 
praticiennes  qu'elles  en  feraient  assez  si  elles  voulaient  se  contenter 
d'un  rôle  purement  passif.  Il  nous  suffira  de  rappeler,  en  prose,  que 
les  sages-femmes  ont  tort  de  traiter  les  maladies  de  leur  sexe,  et, 
sans  diplôme,  de  donner  des  consultations.  Où  ont-elles  fait  les  études 
que  demandent  ces  cas  toujours  délicats?  Comment,  sans  crainte  de 
l'amende  et  de  la  prison,  osent-elles  annoncer  nettement,  par  leurs 
enseignes,  cette  infraction  à  la  loi,  opérer  et  médicamenter  au  hasard 
les  personnes  naïves  ou  trop  pudiques  qui  se  confient  à  elles  ? 

Le  Dr  Barry  explique,  avec  esprit,  celte  tendance  de  la  sage- 
femme  à  se  substituer,  en  toute  occasion,  au  médecin  :  «  Créée  pour 
assister  à  la  sortie  des  mortels  qui  font  leur  entrée  sur  cette  vallée 
de  larmes,  son  rôle  devait  se  borner  là.  Mais  que  nenni  !  de  déduc- 
tions en  déductions,  la  Lutine  moderne  s'est  dit  :  ayant  des  droits 
sur  le  contenu,  je  puis,  je  dois  en  avoir  sur  le  contenant  :  la  matrice; 
j'en  ai  donc  sur  le  porteur  du  contenant  :  la  femme.  Et  toujours  par 
déduction,  eu  égard  sans  doute  à  la  relation  lointaine,  immédiate  ou 
médiate  qui  existe  entre  ce  contenu  et  l'auteur  de  ce  contenu,  elle 
s'est  arrogé  le  droit  de  médeciner  l'auteur  du  contenu  :  l'homme. 
De  là  à  traiter  n'importe  quoi  :  rhumes,  coliques,  rhumatismes  de  la 
plus  belle  et  de  la  plus  laide  moitié  du  genre  humain,  il  n'y  avait 
qu'un  pas  ;  ce  pas  a  été  franchi.  Voilà  comme  :  Madame  Placenta, 
sage-femme  jurée,  traite  les  maladies  des  femmes,  des  hommes,  des 
enfants,  etc.,  etc.  D'où  je  conclus  que  :  sage-femme  et  femme  sage 
ne  sont  point  deux  termes  synonymes.  » 

Les  sages-femmes  du  temps  de  Proudhon  possédaient  déjà  cet 
esprit  d'imitation  et  d'accaparement  qui  les  ont  toujours  portées  à 


MOEURS    ET   COUTUMES  677 

étendre  le  domaine  de  leurs  attributions  :  «  J'ai  connu,  »  dit  le  pen- 
seur Jurassien,  «  un  entrepreneur  de  remplacements  militaires,  à 
l'époque  où  les  remplacements  militaires  étaient  objet  de  commerce, 
dont  la  femme,  en  l'absence  de  son  mari,  faisait  la  visite  corporelle 
des  sujets.  Elle  auscultait,  palpait  sa  marchandise,  la  faisait  mar- 
cher. Toussez!  leur  disait-elle...  Du  reste,  une  très  brave  femme,  que 
jamais  on  ne  soupçonna  de  galanterie.  Elle  exerçait  son  métier  phi- 
losophiquement, les  remplaçants  à  ses  yeux  n'étaient  pas  des 
hommes  :  c'était  de  la  chair  à  canon  ». 

Rendons  cependant  justice  à  nos  honorables  matrones,  et  recon- 
naisons  que  si,  de  nos  jours,  leur  rôle  doit  se  borner  à  celui  de  gardes- 
malades  prudentes  et  dévouées,  avant  l'organisation  de  l'enseigne- 
ment pratique  des  accouchements  par  Paul  Dubois,  en  183o,  quel- 
ques-unes rendaient  de  réels  services  dans  les  grands  centres,  en 
utilisant  leur  clientèle  pour  l'instruction  des  étudiants,  comme  le 
prouve  cette  enseigne  de  sage-femme,  relevée  par  Siebold  lors  de  son 
voyage  à  Paris,  en  1831  : 

«  MADAME  DUTILLEUX,  maîtresse  sage-femme  jurée,  reçue 
par  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  enseignant,  avec  autorisation, 
depuis  nombre  d'années,  la  chirurgie  des  accouchements  pour  mes- 
sieurs les  élèves  en  médecine,  tant  nationaux  qu'étrangers,  continue 
ses  cours  journaliers  de  théorie  et  de  pratique  pendant  toute  l'année 
scolaire.  Madame  Dutilleux  continue  aussi  de  recevoir  comme  pen- 
sionnaires les  dames  enceintes  à  toutes  les  époques  de  la  grossesse. 
Elle  est  visible  tous  les  jours  dans  son  cabinet,  rue  du  Paon,  n°  2, 
depuis  dix  heures  du  matin  jusqu'à  une  heure.  » 

Enseignes  et  prospectus  des  sages-femmes.  —  Pour 
servir  d'indication  au  public  intéressé  et  souvent  pris  au  dépourvu,  la 
corporation  des  sages-femmes  a,  depuis  longtemps,  adopté  des  em- 
blèmes extérieurs  qui  jouent  le  rôle  indicateur  de  la  carotte  du  mar- 
chand de  tabac  et  de  la  lanterne  rouge  du  commissaire  de  police. 
Ainsi  les  statuts  de  1587  nous  apprennent  qu'à  cette  époque,  le  ta- 
bleau de  la  sage-femme  représentait  soit  une  femme  portant  un 
nouveau-né  et  un  petit  garçon  ayant  un  cierge  à  la  main,  soit  un  ber- 
ceau orné  d'une  fleur  de  lys.  Nous  savons,  par  Mercier,  qu'au  dix- 
huitième  siècle,  l'enseigne  habituelle  était  une  toile  ou  un  panneau 
en  bois  représentant  une  femme  avec  un  enfant  dans  les  bras;  on 
trouve  encore  de  ces  enseignes,  surtout  en  province.  Aujourd'hui,  la 
sage-femme  arbore  fièrement  l'écusson  en  tôle  vernie;  pour  la  nuit, 
elle  allume  une  lanterne  peinte,  phare  des  jeunes  filles  en  détresse. 


678 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


De  même  que  beaucoup  de  médecins  ont  supprimé  la  plaque  indiquant 
leur  profession,  les  sages-femmes  huppées  ont  fait  disparaître  l'en- 
seigne traditionnelle;  rien,  sinon  cette  mention  aristocratique,  et 
souvent  suspecte  :  Maison  d'accouchement. 

Toutefois,  les  armes  parlantes  n'ont  pas  été  abandonnées;  particu- 
lièrement dans  les  quartiers  populaires,  on  retrouve  le  ponctif  bien 
connu  (fig.  453)  où  se  profile  une  sage-femme  tenant,  d'un  air  recueilli, 


TRAITEMENT  SPECIAL  DES   MALADIES    DES  DAMES 
V     CONSULTATIONS    TOUS    LES  JOURS  DE        ^ 


Fig.  453. 


un  poupon  dans  ses  bras,  et  où  l'on  aperçoit  le  clocher  d'une  église 
lointaine. 

On  trouve  aussi  le  chou  tantôt  simple,  tantôt  donnant  passage  à  un 
nouveau-né.  Le  chou  étant  vulgaire,  il  arrive  parfois  que  l'enfant  sort 
d'une  rose  (fig.  454)  ou  d'un  rosier  (fig.  455).  Cet  emblème  a,  sans 
doute,  pour  origine  la  vague  ressemblance  qui  existe  entre  l'aspect 
extérieur  des  organes  de  la  mère  et  les  replis  multiples  des  feuilles 
du  chou  ou  des  pétales  de  la  rose.  Quoi  qu'il  en  soit,  un  vieux  dicton 


MOEURS   ET    COUTUMES 


679 


veut  que  les  garçons  naissent  sous  les  choux,  les  filles  sous  les  roses, 
comme  le  rappellent  les  couplets  du  Grand-Mogol,  que  l'on  trouvera, 
paroles  et  musique,  dans  notre  Luciniana. 

Une  enseigne  du  faubourg  Montmartre  raffine  sur  l'idée  :  Une 
jeune  personne,  fort  agréable  d'aspect,  tire  d'une  rose  des  amours 
qu'elle  lance  dans  l'espace;  devise  :  J'ouvre,  mais  ne  ferme  jamais 
(fig.  456). 

Balzac,  dans  le  Dictionnaire  des  enseignes  de  Paris,  qu'il  composa 


Fig.  454. 


et  imprima  lui-même  sous  le  pseudonyme  d'un  «  Batteur  de  pavés  », 
décrit  quelques  enseignes  originales  de  son  temps.  Il  est  d'abord 
question  de  l'enseigne  ordinaire  de  l'époque  :  «  Les  sages-femmes 
bornent  leurs  annonces  extérieures  à  un  tableau  sur  lequel  elles  sont 
dessinées,  soit  au  chevet  du  lit  de  la  malade  qui  paraît  constamment 
jouir  de  la  meilleure  santé,  soit  l'enfant  sous  le  bras,  comme  le  diri- 
geant vers  une  maison  de  dépôt  où  le  nouveau-né  ignorera  le  nom  de 
sa  mère. 

«  Comme  de  nos  jours  tout  semble  se  perfectionner,  les  dames  accou  • 
cheuses  s'offrent  toujours  aux  regards  du  public,  en  toilette  et  cons- 
tamment jolies,  constamment  fraîches,  aussi  avenantes  enfin  que  si 
elles  avaient  besoin  de  plaire.  » 


GSO 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


Puis  il  signale  celles  qui  se  distinguent  par  leur  originalité  :  «  Rue 
J.-J.  Rousseau,  n°  23  :  une  belle  accouchée  de  bonne  mine,  elle  n'a 
pas  encore  la  fièvre  de  lait;  un  papa  bien  réjoui,  il  a  vu  éclore  sa 
progéniture;   un  petit  frère  caressant  le  nouveau  venu,  il  ignore 


Fig.  455. 


qu'un  jour  il  partagera  son  patrimoine;  une  sage-femme  élégante  et 
jeune,  elles  le  sont  toutes,  formant  un  groupe  très  attendrissant;  mais 
ce  qu'il  y  a  de  plus  sublime  encore,  ce  sont  les  deux  vers  suivants  qui 
se  trouvent  en  tête  du  tableau  : 


Grâce  à  l'art,  ô  mon  fils,  enfin  tu  vois  le  jour, 
Nos  vœux  sont  exaucés;  je  dois  bénir  l'amour! 

«  C'est  donc  un  enfant  de  l'amour  que  le  petit  poupon  ?  Non  cer- 
tainement, non,  nous  a-t-on  répondu,  bien  que  la  scène  se  passe  rue 
J.-J.-Rousseau.  Mais  voyez  la  maladresse  du  copiste  que  j'avais 
chargé  de  recueillir  ces  deux  vers,  il  les  avait  écrits  ainsi  :  Grasse  à 


MOEURS   ET   COUTUMES 


681 


lard  (1).  Le  culte  que  nous  vouons  à  la  vérité  nous  a  fait  les  rétablir 
tels  qu'ils  se  trouvent  sur  le  tableau  de  Madame  l'accoucheuse.  » 


Fig.  456. 


Une  autre,  celle  de  Madame  Vachée  (2),  rue  de  Bussy,  n°  2  :  «  Parmi 
toutes  les  dames  qui  ouvrent  les  portes  de  la  vie  à  l'honnêteté,  il  n'en 
est  pas  qui  offrent  aux  regards  ébahis  une  enseigne  aussi  remarquable 


(1)  On  cite  dans  les  Ana  certaines  enseignes  remarquables  par  leurs  fautes  d'or- 
thographe. Une  garde  alsacienne  avait  fait  écrire  à  sa  porte  :  «  Madame  X... 
Carde  les  femmes  en  couches.  »  Mais  rien  ne  vaut  l'annonce,  bien  connue  d'ail- 
leurs, d'une  maîtresse  d'école  qui  venait  de  déménager  ;  par  le  genre  de  l'équivoque, 
elle  se  rapporte  à  notre  sujet.  Dans  la  rue  Chartière,  près  du  Collège  de  France, 
les  passants  se  seraient  ébaudis,  paraît-il,  de  ce  renseignement  mirifique  :  «  Made- 
moiselle Prudent  est  maintenant  enceinte  du  Panthéon))  ;  justement  le  contraire 
de  la  Montagne  enceinte  de  la  souris. 

(2)  Le  nom  peu  poétique  de  Madame  Vachée  nous  rappelle  une  anecdote  dont  le 
sel  est  un  peu  gros,  mais  tant  pis  1  On  a  pu  lire  longtemps,  rue  Monsieur-le-Prince, 
presqu'au  coin  du  boulevard  Saint-Michel,  l'enseigne  suivante  : 

Mesdames  MITTELLAUSSER  et  TUVACHE 
Sages- Femmes  de  lre  classe 
Une  petite  dame  du  quartier  latin,  ayant  eu  une  distraction  malheureuse,  encore 


682 


HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


que  celle  de  Madame  Vachée.  Cette  dame  voit  s'échapper  d'une 
machine  qu'on  ne  peut  mieux  comparer  qu'à  un  four,  une  nuée 
d'enfants  habillés  des  costumes  des  états  différents,  et  elle  leur  adresse 
ces  vers  : 

Sortez,  mes  chers  enfants,  et  d'une  ardeur  commune, 
Par  des  chemins  divers  courez  à  la  Fortune. 

«  Dans  le  lointain,  la  déesse  elle-même,  un  pied  sur  une  roue, 
emblème  de  sa   mobilité,  semble  inviter  à  la  suivre  la  foule  des 


J'OUVRE  LA  PORTE  ATOUT 
LE  MONDE 


Fig,  457.  —  Figure  tirée  des  Enseignes  de  Paris  d'Edouard-Foumier  (1). 

jeunes  mortels  auxquels  Madame  Vachée  vient  de  donner  la  lumière. 
Mais  des  juifs,  des  usuriers,  des  nymphes  folâtres  les  séparent  : 

grossie  par  le  temps,  voulut  consulter  une   sage-femme.    Elle  se  rendit  donc  à  la 
maison  indiquée  plus  haut  et  sonna  : 

—  C'est   ici,  dit-elle  à   la  bonne  qui  vint  lui   ouvrir,  que  demeure  Madame 
Mittellausser  ? 

—  Et  Tuvache,  ajouta  la  servante 

La  petite  dame  court  encore.  La   malheureuse  n'avait  pas  lu  le  nom  en  entier  et 
avait  pris  pour  une  injure  l'addition  faite  par  la  bonne. 
(1)  E.  Dentu,  éditeur. 


MOEURS    ET   COUTUMES 


683 


atteindront-ils  la  volage  déité?  Madame  Vachée  le  souhaite,  que 
peut-elle  de  mieux  !  » 

Nous  rappellerons  encore  qu'il  y  a  une  vingtaine  d'années,  les 
enseignes  figuraient  assez  souvent  la  sage-femme  saignant  au  bras 
une  cliente  alitée;  c'était,  en  effet,  une  coutume  très  répandue.  On 


M"  POMAREDE  If EPOUGNAND 

5AGEKHNEDE  UWSL 


LES  <)  .JOURS 

\Traite  les  maladies  des  femmes 

Fig.  458. 

s'imaginait  que  le  sang  menstruel,  qui  pendant  neuf  mois  cessait  de 
s'écouler,  devait  s'accumuler  dans  l'économie  et  déterminer  des 
congestions.  On  a  renoncé  à  ces  saignées  depuis  qu'il  est  démontré 
que  le  sang,  durant  la  grossesse,  était  plus  pauvre  en  globules  rouges 
qu'à  l'état  normal.  Par  suite,  les  enseignes  de  ce  genre  ont  disparu. 
En  dehors  des  poncifs,  les  sages-femmes  ont  quelquefois  accroché 
à  leur  étage  des  enseignes  facétieuses,  parfois  même  équivoques  . 
C'était  une  manière  d'annoncer  :  la  maison  n'est  pas  au  coin  du 


684 


HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 


quai.  Justement  quai  Saint-Paul,  on  a  pu  voir  une  enseigne  re- 
présentant une  sphère,  sur  laquelle  grimpaient  des  personnes 
de  toutes  qualités;  ce  monde  sortait  d'une  ouverture  munie  d'une 
porte  que  la  sage-femme  tenait  ouverte  :  J'ouvre  la  porte  à  tout  le 
monde  (fig.  457).  De  nos  jours,  une  matrone  de  la  rue  des  Petits- 


■!:: 


Fig.  459. 


Carreaux  fait  sortir  les  enfants  d'une  corne  d'abondance  dorée 
(fig.  458).  Si  les  clientes  comprenaient  l'allusion,  plus  d'une  dévisa- 
gerait la  facétieuse  Madame  Pomarède;  née  Pougnand. 

Une  autre,  plus  lettrée,  mais  non  moins  facétieuse,  fait  sortir  un 
amour  d'un  ovale  significatif;  en  exergue,  un  vers  de  Musset  bien 
connu  complète  cette  polissonnerie  spirituelle.  Remarquez  le  cordon, 


MOEURS   ET  COUTUMES 


685 


sorte  d'armes  parlantes,  mis  en  évidence  à  cette  porte  enseigne  ;  il 
n'y  manque  que  le  traditionnel  :  Poussez  S.  V.  P. 

Enfin,  les  progrès  de  la  physiologie  aidant,  certaines  n'ont  pas 
craint  de  rompre  avec  les  anciennes  traditions  et  de  se  rapprocher, 
tout  au  moins  sur  leur  enseigne,  de  la  vérité  scientifique.  Ainsi 
plusieurs  praticiennes  ont  indiqué  leur  profession  par  la  copie  de  la 


Fig.  460. 


gravure  qui  figure  sur  le  titre  de  notre  Génération  humaine 
(fig.  460).  C'est  la  reproduction  d'une  statuette  exposée  par  Boisseau 
au  salon  de  1880  :  un  enfant  sortant  d'un  œuf  et,  sur  le  socle,  l'apho- 
risme d'Harvey  :  «  Omne  vivum  ex  ovo  !  » 

La  sage-femme  use  aussi  du  prospectus.  Nous  rappellerons 
d'abord  cette  étonnante  conception  d'une  accoucheuse  offrant  ses  ser- 
vices à  45  francs  pour  une  seule  opération,  à  35  francs  par  abonne- 
ment !  Donnait-t-elle  des  cachets  comme  les  établissement  de  bains 
ou  certains  restaurants  que  nous  connûmes  en  notre  jeunesse  ? 

Il  y  a  mieux;  lisez  l'extrait  suivant  des  Causeries  du  docteur  Joulin  : 


686  HISTOIRE   DES  ACCOUCHEMENTS 

«  On  reçoit  des  cartes  bien  singulières  ;  mais  je  doute,  chers  lec- 
teurs, qu'aucun  de  vous  en  possède  une  aussi  curieuse  que  celle  que 
je  vais  vous  lire,  et  que  je  copie  avec  une  scrupuleuse  exactitude  sans 
y  changer  une  simple  virgule.  Seulement,  pour  des  motifs  que  vous 
comprendrez  facilement,  le  numéro  et  le  nom  seront  supprimés.  Je 
dois  avouer,  du  reste,  que  si  j'ai  reçu  cette  carte,  elle  ne  m'était  point 
destinée.  La  voici  : 


MAISON    IDE    CONFIANCE 
RUE  ST"HONORÉ  N°. . . 

entre  l'Assomption  et  la  Rue  St-Florentin 

S'adresser  directement  au   3a  où    c'est  indiqué. 
®iv  u,e  aie  ttouve  que  etoes  uioi 


Mme ,  MAITRESSE  SAGE-FEMME,  reçue  à  la  Maternité,  Membre  de  plusieurs 

sociétés  savantes,  la  Maternité  du  Dispensaire,  et  les  Dames  réunies,  Saigne,  Vaccine  et  reçoit 
des  Pensionnaires,  reconnais  la  grossesse  à  six  semaines  ou  deux  mois.  Consulta- 
tions Gratuites  et  Payantes  tous  les  jours,  pour  les  maladies  de  Y  Utérins,  Antéversion, 
Rétroversion,  Engorgement  linfatique,  indication  pour  ramener  le  Flux  et  le  Reflux 
sanguin,  et  pour  toutes  les  maladies  des  Dames. 

LISEZ  L'AUTRE  COTÉ  DE  LA  CARTE. 


«  Vous  pensez  que  c'est  là  tout  !  Erreur,  comme  dit  cette  bonne 
dame,  liées  l'autre  face;  cette  carte  a  été  plongée  dans  un  charlata- 
nisme si  épais,  qu'elle  en  est  couverte  des  deux  côtés. 


AVIS 

Important  et  Indispensable 

Montez  au  3e  sans  parler  à  personne,  n'écoutant  pas  si  l'on  indique  ailleurs ,  ce  ne  serait 
que  pour  vous  tromper,  savoir  ou  mentir,  je  suis  presque  toujours  chez  moi  excepté  le  Ven- 
dredi, personne  n'est  en  relation  avec  moi,  la  discrétion  étant  nécessaire.  Lisez  les  Plaques 
dans  l'allée,  pour  la  nuit  et  même  le  jour,  lirez  l'anneau  en  fer  plusieurs  fois  ou  frappez  trois 
coups,  quand  on  ne  Sonne  qu'une  fois  je  regarde  par  la  Fenêtre  du  3e,  si  l'on  vous  indiquait 
mal  je  vous  prierais  de  m'en  avertir. 

Jl<x   ptoteô6K>M/  càt  ivu)iauée<  ôu/fc  ta  pofcte,  ïoutviez  le  uoutou, 

Rue  st n°..  entre  FA. . .  et  la  Rue  St. .  . 

-o    PARIS    o- 


MOEURS   ET   COUTUMES  687 

«  Cette  carte  est  estampillée  par  le  timbre  qui  lui  sert  de  passe-port 
pour  circuler  sur  la  voie  publique,  elle  a  le  même  droit  que  l'animal 
dangereux  qui  porte  sa  muselière,  conformément  aux  ordonnances 
de  police,  seulement  elle  n'en  a  pas,  elle,  de  muselière,  qui  l'empêche 
de  contaminer  les  gens.  Elle  peut  s'introduire  dans  la  main  de  la 
jeune  fille  innocente  qui  ne  connaît  pas  encore  toutes  les  infamies 
qu'on  rencontre  dans  les  égoûts  de  la  civilisation  ;  malgré  son  inno- 
cence, elle  est  femme,  elle  questionne,  et  sait  enfin  que  péché  caché 
est  à  moitié  pardonné,  et  qu'on  peut  se  faire  assurer  contre  les  résul- 
tats trop  visibles  de  l'amour. 

«  Elle  se  glisse  aussi  dans  la  main  de  celle  qui  n'a  plus  rien  à  per- 
dre que  la  crainte  des  héritiers.  Celle-là  comprend  de  suite  l'invita- 
tion qu'on  lui  adresse. 

«  Il  faut  vraiment  examiner  à  la  loupe  ce  petit  chef-d'œuvre  d'impu- 
deur, pour  en  bien  apprécier  toutes  beautés.  Je  le  comparerais  volon- 
tiers à  ces  vins  vieillis  derrière  les  fagots,  dont  il  faut  analyser  tous 
les  parfums,  toutes  les  saveurs  pour  bien  en  juger  le  mérite.  L'ignoble 
a  ses  nuances  et  son  fumet  ;  analysons-le  donc,  malgré  la  révolte  de 
nos  sens,  ce  que  contient  cette  carte,  c'est  une  œuvre  de  chimiste  et 
non  pas  de  gourmet,  mais  je  l'ai  dit  ailleurs,  les  sens  du  médecin  ne 
sont  point  ceux  d'une  petite-maîtresse.  D'abord,  remarquons  cette 
observation  :  On  ne  me  trouve  que  chez  moi.  Une  sage-femme  qui 
n'exerce  qu'à  domicile,  cela  me  fait  l'effet  d'un  paveur  qui  ne  voudrait 
travailler  qu'en  chambre.  Je  laisse  deviner  ce  qu'une  matrone  mem- 
bresse  de  plusieurs  Sociétés  savantes  qui  ne  va  pas  en  ville  peut  faire 
chez  elle. 

«  Notez  qu'elle  reconnais  la  grossesse  à  six  semaines  ou  deux  mois. 
Mais  je  suis  persuadé  que  c'est  uniquement  aux  consultations  payan- 
tes, et  que  ses  consultations  gratuites,  comme  la  caisse  de  Robert- 
Macaire,  ouvrent  à  trois  heures  juste,  et  ferment  à  trois  heures  très- 
précises. 

«  Elle  traite  et  naturellement  guérit  toutes  les  maladies  de  Yutérius 
(en  vertu  de  quel  droit  ?  —  Cela  ne  vous  regarde  pas)  ;  mais  elle 
n'explique  point  si  elle  considère  la  grossesse  comme  une  maladie  de 
Yutérius.  J'avoue  que  j'aurais  voulu  lui  voir  couronner  son  chef- 
d'œuvre  par  une  explication  sur  ce  point  :  quant  à  moi,  je  suis  con- 
vaincu qu'elle  considère  la  grossesse  comme  une  maladie  des  plus 
graves  ;  comme  celle  qui  se  traite  avec  le  plus  grand  succès  dans 
sa  maison  de  confiance,  et  surtout  comme  celle  qui  rapporte  le  plus 
d'argent. 

«  Je  ne  dirai  rien  de  sa  prétention  de  ramener  le  flux  sanguin,  je 


688  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

comprends  que  lorsqu'une  femme  est  en  retard  de  quatre  mois,  plus 
ou  moins,  elle  possède  les  petits  moyens  pour  faire  passer  cela  ; 
même  probablement  quand  l'affection  s'accompagne  d'une  certaine 
enflure  de  l'abdomen.  Quant  au  reflux,  je  suis  un  peu  embarrassé, 
je  ne  connais  en  fait  de  reflux  que  celui  de  l'Océan,  et  à  moins  d'ad- 
mettre que  cette  femme,  si  savante,  n'ait  inventé  une  pommade  ou 
un  onguent  dont  la  puissance  merveilleuse  et  universelle  se  fait  sen- 
tir jusque  dans  les  vagues  de  l'Océan,  j'avoue  que  je  ne  trouve  point 
d'explication  vraisemblable. 

«  Passons  à  l'autre  côté,  et  ne  négligeons  pas  cet  avis  important 
et  indispensable  :  ne  parlez  à  personne,  n'écoutez  pas  ;  est-ce  que 
par  hasard  on  entendrait  autour  de  cette  honnête  maison,  comme 
dans  le  conte  de  Y  Oiseau  bleu,  les  voix  menaçantes  d'ombres  et  de 
fantômes  qui  crient  aux  malheureuses  pratiques  :  Fuyez  !  fuyez  ! 
imprudentes,  si  vous  tenez  à  la  vie,  n'approchez  pas  de  cette  maison, 
n'imitez  pas  nos  coupables  folies,  si  vous  voulez  éviter  notre  sort. 
Je  ne  voudrais  pas  l'interroger  sur  ce  point,  car  elle  le  dit,  la  discré- 
tion lui  est  très  nécessaire.  Je  suis  du  reste  complètement  de  son  avis 
à  ce  sujet  ;  si  elle  allait  raconter  toutes  ses  petites  affaires  au  premier 
venu,  cela  pourrait  avoir  de  grands  inconvénients  pour  elle. 

«  Je  me  permettrai  cependant  d'émettre  un  léger  doute,  quand  elle 
affirme  que  personne  n'est  en  relation  avec  elle.  Alors,  que  devient- 
elle  le  vendredi  ?  Moi,  je  suppose  qu'elle  est  en  relation  directe  avec 
le  club  des  sorcières,  et  que  c'est  le  vendredi  qu'elle  enfourche  le 
manche  à  balai  du  Sabbat.  Car,  enfin,  comment,  malgré  toute  sa 
science,  pourrait-elle  diagnostiquer  la  grossesse  à  six  semaines, 
quand  les  médecins  ne  le  peuvent  faire  que  vers  quatre  mois  ?  Evi- 
demment, sa  science  lui  vient  d'une  source  qui  ne  coule  pas  rue  de 
l'Ecole-de-Médecine. 

«  Maintenant,  passons  au  post-scriplum,  car  on  dit  que  c'est  là 
qu'il  faut  toujours  chercher  le  point  important  d'une  lettre.  Il  n'y  en 
a  pas  à  cette  carte,  mais  c'est  pure  politesse  pour  le  lecteur,  on 
compte  sur  son  intelligence  ;  ceux  qui  auront  besoin  du  post-scriptum 
sauront  bien  le  deviner. 

«  Ce  qui  est  sur  la  carte  n'est  que  le  boniment  du  paillasse  qui  ras- 
semble la  foule  autour  de  lui  ;  il  compte  des  histoires  bêtes,  reçoit 
avec  philosophie  les  coups  et  les  injures  du  patron,  puis,  quand  le 
cercle  est  compacte,  il  exhibe  son  post-scriptum,  sa  chose  importante, 
qui  est  une  pommade  remplie  de  vertus,  ou  simplement  du  poil  à 
gratter. 

«  Je  ne  pense  pas,  cependant,  qu'il  s'agisse  ici  d'une  invention 


MOEURS   ET    COUTUMES  G89 

pleine  de  vertus,  mais  je  voudrais  bien  connaître  le  post-scriptum, 
l'industrie  qui  se  commet  dans  cette  maison  de  confiance. 

«  Est-ce  une  fabrication  de  philtres  pour  rendre  amoureux  ? 

«  Pratique-t-on  le  nœud  de  l'aiguillette?  Est-ce  pour  les  amours  un 
refuge  hospitalier  (qui  n'a  rien  de  commun  avec  celui  des  monta- 
gnards écossais)?  Explique-t-on  les  mystères  du  grand  et  du  petit 
Albert,  ou  simplement  de  Charles  Albert  ?  Fait-on  le  grand  jeu,  les 
cartes,  les  tarots,  la  consultation  somnambulique  ou  homœopathique  ? 
Fait-on  bouillir  des  herbes  propres  à  réparer  les  défaillances  de  la  vieil- 
lesse épuisée  ?  A-t-on  le  secret  de  faire  procréer  des  sexes  à  volonté  ? 

«  Mon  esprit  hésite  à  se  prononcer  pour  l'une  ou  l'autre  de  ces  mer- 
veilles. 

«  Ah  !  si  je  pouvais  interroger  la  chauve-souris  qui  applique  son 
œil  glauque  à  la  vitre  fêlée  de  ce  troisième  étage,  peut-être  me  racon- 
terait-elle d'étranges  choses  ;  peut-être  a-t-elle  vu  quelques-uns  de 
ces  drames,  auprès  desquels  la  scène  des  sorcières  de  Macbeth  n'est 
qu'un  jeu  innocent. 

«  0  Paris  !  comme  on  te  calomnie  !  on  dit  que  tu  laisses  parfois  mou- 
rir de  faim  tes  enfants  ;  quand  de  pareilles  industries  peuvent  s'étaler 
impunément  à  ton  soleil,  il  faut  être  furieusement  honnête,  ou  bien 
dépourvu  d'Imaginative,  pour  ne  pas  trouver  dans  tes  boues,  ô  Paris  ! 
une  ceinture  dorée,  sinon  une  bonne  renommée. 

«  Nota.  L'adresse  est  tenue  à  la  disposition  des  confrères  dans 
l'embarras  qui  voudraient  avoir  recours  aux  lumières  de  cette  pra- 
ticienne. » 

Accoucheurs  en  France.  —  Jusqu'à  la  fin  du  XVIe  siècle, 
les  sages-femmes  étaient  seules  appelées  auprès  des  femmes  en  cou- 
ches. A  partir  de  cette  époque  seulement,  celles-ci  commencèrent, 
même  dans  les  cas  ordinaires,  à  recourir  aux  chirurgiens.  La  mort 
qui  suivit  la  délivrance  de  Madame,  Marie  de  Bourbon-Montpen- 
sier,  et  dont  Loyse  Bourgeois  fut  accusée  à  tort,  contribua  pour  beau- 
coup à  faire  naître  cette  révolution  dans  les  mœurs. 

Le  premier  chirurgien  qui  sut  inspirer  assez  de  confiance  aux  da- 
mes pour  les  assister  en  ces  circonstances  délicates,  fut  cet  Honoré 
qu'Henri  IV,  non  sans  ironie,  appelait  «  l'homme  de  Paris  qui  déli- 
vre les  femmes  ».  Mais  tandis  que  déjà  les  accoucheurs  étaient  récla- 
més par  la  bourgeoisie,  ils  restaient  encore  à  la  porte  des  augustes 
parturientes,  au  Louvre  et  autres  palais  royaux.  Ainsi,  dans  un  des 
accouchements  de  Marie  de  Médicis,  la  présentation  ayant  eu  lieu 
par  le  siège,  on  envoya  bien  chercher  Honoré,  mais  ce  fut  cependant 

HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS.  44 


690  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

Loyse  Bourgeois  qui,  seule,  se  chargea  des  manœuvres  nécessaires. 

L'astre  de  la  grande  accoucheuse  pâlissait  ;  Jacques  Guillemeau, 
qui  ne  fut  pas  étranger  à  son  discrédit,  eut  une  réputation  plus  grande 
qu'Honoré  lui-même,  et  son  gendre,  Marchand,  partagea  sa  vogue. 
Toutefois,  ce  ne  fut  que  bien  plus  tard  que  la  cour  se  décida  à  imiter 
les  simples  bourgeoises  :  aux  couches  de  Marie-Thérèse,  le  chirur- 
gien François  Bouchet  est  présent,  mais  il  reste  dans  l'antichambre  ; 
on  n'aura  recours  à  lui  qu'en  cas  d'extrême  nécessité.  Julien  Clément, 
le  premier,  eut  l'honneur  d'être  appelé  auprès  des  princesses  du  sang  ; 
il  assista  à  toutes  les  couches  de  la  dauphine  Anne-Marie-Victoire 
de  Bavière,  belle-fille  de  Louis  XIV  ;  il  fut  aussi  l'accoucheur  de  la 
reine  d'Espagne  et  de  presque  toutes  les  princesses  et  grandes  dames 
de  l'époque.  Il  accoucha  aussi  La  Montespan,  auprès  de  laquelle  il 
fut  conduit  les  yeux  bandés.  Astruc  prétend  que  Clément  avait  au- 
paravant assisté  La  Vallière,  et  il  cite  cette  circonstance  comme  le 
premier  exemple  de  l'intervention  d'un  accoucheur  dans  un  cas  ordi- 
naire :  double  erreur,  puisque,  d'une  part,  des  accoucheurs  étaient 
en  réputation  un  demi-siècle  avant  Clément  et  que,  d'autre  part,  ce 
chirurgien  n'avait  pas  plus  de  quinze  ans,  quand,  le  27  décembre  1663, 
La  Vallière  mit  au  monde  Louis  de  Bourbon.  D'ailleurs,  Bussy  Rabu- 
tin,  fort  au  courant  des  scandales  de  la  cour,  fait  assister  La  Vallière, 
comme  nous  le  verrons  plus  tard,  par  une  sage-femme.  Mlle  de  Mont- 
pensier,  dans  ses  Mémoires,  nous  donne  son  nom  :  c'était  Marguerite 
Boucher,  sage- femme  de  la  reine  Marie-Thérèse  d'Autriche  (1). 

Les  matrones  étaient  dès  lors  en  décadence  ;  cependant  leur 
influence  ne  fut  pas  aussilôt  ruinée.  Les  chirurgiens  avaient  beau 
laisser  croître  leur  barbe  pour  s'enlaidir,  alors  que  la  mode  voulait 
qu'on  fût  rasé  et  poudré,  la  garantie  semblait  encore  insuffisante  à  la 
pruderie  de  certaines  femmes  et  peut-être  de  certains  maris. 

De  nos  jours,  dans  toutes  les  classes,  le  préjugé  contre  les  accou- 
cheurs a  disparu  ;  déjà  du  temps  de  Mercier,  il  n'existait  plus,  et  les 


(1)  Saconibe,  comme  du  reste  la  plupart  des  auteurs,  a  naturellement  accueilli 
cette  erreur  ;  ce  rimailleur  profite  de  la  circonstance  pour  verser  une  panerée  d'in- 
jures sur  la  tête  du  malheureux  Louis  XIV  : 

Un  despote,  un  tyran,  petit-fils  d'Henri  quatre. 
Qui  triompha  saus  gloire  et  vainquit  sans  combattre, 
Qui,  sans  talents,  des  arts  devint  le  protecteur, 
Qui  du  sang  de  son  peuple  abreuva  tout  flatteur, 
Qui  de  l'Europe  enfin  prépara  la  ruine, 
Le  premier  en  Europe  a  fait  rougir  Lucine, 
Et,  changeant  en  vertu  son  impudique  ardeur, 
Au  rang  des  préjugés  a  placé  la  pudeur. 


MOEURS   ET    COUTUMES  691 

femmes,  six  semaines  après  leurs  couches  dînaient  gaiement  avec  leur 
médecin  accoucheur,  assis  à  côté  du  mari,  sans  qu'elles  songeassent 
à  rougir  de  sa  présence.  Mais  si  la  sécurité  des  femmes  a  gagné  à  ce 
changement,  si  l'on  a  moins  à  redouter  l'ignorance  et  l'excès  de 
complaisance  de  certaines  sages-femmes,  la  dignité  professionnelle 
du  médecin  n'a-t-elle  reçu  aucune  atteinte? 

En  1804,  Girouard,  dans  le  Défenseur  des  accoucheurs,  a  tracé  un 
portrait  du  praticien  en  vogue.  Plus  d'un  contemporain  pourrait  s'y 
reconnaître  :  «  L'accoucheur  en  vogue  est  mandé  avec  empressement, 
se  fait  attendre,  arrive  avec  fracas,  et  est  reçu  avec  la  confiance 
aveugle  et  fervente  que  tout  danger  pressant  inspire.  Il  adresse 
d'abord  à  la  femme  en  travail  quelques  propos  cavaliers  ou  grivois 
selon  qu'il  est  en  belle  humeur  (propos  qu'il  estime  être  des  moyens 
d'encouragement  et  de  consolation  et  qui  ne  sont  dans  le  vrai  qu'un 
prélude  de  familiarité  aussi  indécent  que  hors  de  propos).  Immédiate- 
ment et  ex  abrupto,  il  passe  à  l'examen  de  l'état  du  travail.  Cet 
examen  se  fait  ordinairement  sous  les  yeux  de  l'époux  et  des  assis- 
tants. Mais  l'accouchement  n'est  pas  près  de  se  terminer;  alors, 
monsieur  l'accoucheur  se  jette  sur  un  lit,  ou  s'enfonce  dans  un  fau- 
teuil :  là  il  nombre  et  dit  avec  emphase  les  nuits  qu'il  vient  de  passer 
sans  dormir,  les  accouchements  qu'il  a  faits  chez  les  femmes  du  plus 
haut  parage.  Notez  bien  que  ce  sont  presque  tous  accouchements  où 
il  a  été  obligé  d'employer  les  ferrements,  et  par  conséquent  laborieux. 

«  A  ce  récit,  tout  l'auditoire  s'ébahit,  en  s'écriant  :  quel  talent  !  quelle 
peine  !  quelles  obligations  on  doit  vous  avoir,  pour  vous  sacrifier  ainsi 
au  soulagement  de  l'humanité  souffrante  !  Monsieur,  voudriez-vous 
accepter  un  consommé  ?  —  Volontiers.  —  Le  pauvre  homme  le  prend, 
puis  s'endort,  après  avoir  prescrit  à  la  patiente  de  se  promener  en 
long  et  en  large.  Elle  souffre,  elle  crie,  elle  invoque  son  aide,  le  tout 
en  vain. 

«  Nous  allons  bientôt  voir  qu'il  agirait  contre  ses  intérêts,  s'il  s'avi- 
sait d'être  compatissant  :  d'ailleurs,  il  n'a  point  encore  assez  dormi. 
Cependant  les  douleurs  deviennent  conquassantes.  On  l'éveille.  Alors 
il  retrousse  ses  manches  jusqu'aux  épaules,  et  offre  aux  spectateurs 
et  à  l'Iphigénie,  le  simulacre  d'un  boucher;  mais  il  sait  bien  ce  que 
la  terreur  qu'il  inspire  lui  vaudra  d'opinion  et  d'argent.  Ainsi  donc, 
pour  donner  de  l'importance  à  une  opération  qu'il  sait  bien  n'en  point 
avoir  par  elle-même,  et  se  trouver  plus  vite  en  état  de  voler  chez  une 
autre  femme,  qui  n'accoucherait  plutôt  pas,  si  ce  n'était  par  ses 
mains,  il  jette  en  avant  la  nécessité  où  il  va  être  de  se  servir  des 
ferrements.  Si  l'accouchement  tarde  encore  un  peu,  ce  qui  a  toujours 


G92  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

lieu  au  gré  des  assistants,  et  surtout  de  celle  qui  souffre,  il  parle  plus 
sérieusement  du  grand  moyen.  En  ce  moment,  son  ton  prend  plus 
d'importance,  et  ses  expressions  plus  de  dureté  ;  il  devient  enfin 
impératif.  Bon,  la  terreur  redouble,  le  forceps  paraît,  il  est  appliqué, 
et  aussitôt  l'enfant  est  arraché  du  sein  de  sa  mère,  aux  dépens  de  qui 
il  appartiendra.  Mais  voilà  encore  un  accouchement  laborieux  de  fait, 
dont  il  s'applaudit  beaucoup,  dont  on  le  congratule,  quoi  qu'il  ne  lui 
ait  pas  plus  coûté  de  peine  et  d'art,  que  l'extraction  d'une  dent  ;  et 
que  l'époux,  par  tendresse  pour  sa  chère  moitié,  croit  ne  pouvoir  trop 
payer.  Alors  commence  le  concert  des  commères,  qui  entonnent  des 
hymnes  à  sa  louange.  Quelle  prestesse,  dit  l'une!  quel  talent,  dit 
l'autre!  En  vérité,  conclut  une  troisième,  c'est  un  homme  divin,  il 
ne  nous  donne  pas  le  temps  de  souffrir,  et  toutes,  en  chœur  :  si  nous 
faisons  des  enfants,  il  nous  accouchera. 

«  Mais  on  le  vient  chercher;  il  disparaît  comme  l'éclair,  en  cares- 
sant de  l'œil  le  conciliabule  femelle  qui  va  porter  ses  faits  et  gestes 
aux  extrémités  du  monde.  ..  » 

Il  y  a  malheureusement  quelque  chose  de  trop  vrai  dans  ce  char- 
latanisme, dans  cette  avidité  du  gain.  Nos  confrères  ne  feraient-ils 
pas  mieux  de  conseiller  à  leurs  clientes  la  présence  d'une  sage-femme 
capable,  qui  les  préviendrait  au  moment  opportun  ou  seulement  en 
cas  de  complications  ?  N'est-il  pas  pénible  de  voir  des  hommes  de 
valeur  perdre  leur  temps  et  leur  considération  en  se  ravalant  au  métier 
de  tireurs  de  cordon?  Qu'ils  interviennent  seulement  dans  les  cas  où 
ils  sont  réellement  nécessaires,  c'est-à-dire  une  fois  sur  cent,  tout  au 
plus  (1);  on  verra  moins  d'accouchements  se  terminer  par  le  forceps, 
qui  double  les  honoraires  en  faisant  gagner  quelques  heures,  et  l'on 
ne  verra  plus  des  médecins  en  renom  s'exposer  à  des  mésaventures 
comme  celle  que  nous  allons  raconter  et  dont  nous  garantissons  l'au- 
thenticité. La  comtesse  de  M...,  étant  un  beau  soir  surprise  par  des 
douleurs  qu'elle  attendait  seulement  quelques  jours  plus  tard,  fit 
mander  en  toute  hâte  le  docteur  X...,  son  accoucheur  ordinaire. 
M.  X...  était  absent  ;  on  promit  qu'aussitôt  rentré  il  irait  auprès  de 
la  noble  parturiente.  Cependant,  comme  il  est  impossible  de  transiger 
avec  la  nature,  on  prie  M.  Y...,  un  autre  accoucheur  illustre,  de 

(1)  D'après  Velpeau,  sur  20,357  accouchements  faits  à  la  Maternité  depuis  l'année 
1707  jusqu'à  la  fin  de  1811,  la  nature  en  a  terminé  seule  20,183.  Mais  il  est  si  peu 
d'accoucheurs  qui  savent  se  résigner  à  mettre  en  pratique  la  maxime  d'Hippocrate  : 
«  C'est  souvent  faire  beaucoup  que  de  ne  rien  faire  !  »  En  est-il  beaucoup  qui  pour- 
raient dire  comme  Pajot  :  «  Je  suis  resté  jusqu'à  soixante-douze  heures  auprès 
d'une  femme  en  travail,  sans  retirer  mes  bottes,  et  cependant  il  m'était  facile  de  la 
délivrer  en  cinq  minutes  !  » 


MOEURS   ET   COUTUMES  693 

vouloir  bien  se  rendre  dans  l'aristocratique  demeure.  Bonne  aubaine 
pour  le  Dr  Y...  Entre  tocologues,on  s'arrache  volontiers  la  cliente.  Et 
puisce  confrère  X.. .  qui  menace  de  tout  envahir  !  Le  Dr  Y. . .  ne  s'amuse 
pas  en  chemin. . .  Tout  va  bien  :  Madame  en  est  à  son  second  enfant,  le 
passage  a  été  frayé,  pas  de  défilé  trop  étroit  à  redouter,  un  col  com- 
plaisant, une  présentation  normale.  Que  peut-on  souhaiter  de  mieux  ? 

Ces  réflexions  faites,  l'accoucheur  songe  qu'il  est  minuit,  que  la 
dilatation  ne  fait  que  commencer,  et  qu'une  nuit  entière,  même  passée 
au  chevet  d'une  riche  comtesse,  pourrait  bien  faire  jaunir  un  tantinet 
le  teint  rosé  de  sa  coquette  personne  ;  en  conséquence,  il  déclare  que 
rien  ne  presse,  mais  comme  il  ne  veut  pas  laisser  la  place  libre,  il  se 
couchera  pendant  quelques  heures  dans  la  pièce  voisine. 

Un  lit  est  dressé  au  docteur,  et  le  docteur  s'endort  rêvant  de  fabu- 
leux honoraires. 

Sur  ces  entrefaites,  vers  deux  heures  du  matin,  le  confrère  X... 
arrive  tout  essoufflé,  il  se  précipite  en  toute  hâte  dans  la  chambre  de 
la  comtesse,  s'excuse  et  s'empresse  de  constater  où  en  est  le  travail. 

—  C'est  bien,  Madame,  je  suis  arrivé  juste  à  temps;  encore  quel- 
ques secondes  de  courage  et  vous  allez  être  délivrée...  Là,  ne  poussez 
plus  maintenant...  la  tête  a  passé.  Là!...  c'est  fini...  Vous  avez  un 
gros  garçon. 

Quelques  minutes  après,  le  cordon  était  lié,  la  mère  mise  en  place, 
l'enfant  entre  les  mains  de  la  garde,  et  le  docteur  X...  prenait  congé 
de  sa  cliente  et  du  comte  de  M...  en  promettant  de  revenir  dans  la 
matinée.  Au  moment  où  il  ouvrait  la  porte,  un  ronflement  formidable 
s'échappe  d'une  chambre  voisine. 

—  Sapristi  !  s'écrie  le  comte,  et  le  Dr  Y. . .  que  nous  avons  oublié.  Et 
il  explique  l'affaire  à  son  confrère  X...  qui  en  rit  encore.  On  laissa  le 
Dr  Y...  achever  tranquillement  sa  nuit  ;  à  son  réveil,  on  lui  offrit  une 
tasse  de  chocolat  qu'il  se  hâta  de  refuser. 

Depuis  ce  temps,  le  Dr  Y...  a  bien  juré  de  ne  plus  s'endormir  chez 
ses  clientes. 

Un  ridicule  nouveau  s'est  introduit  dans  la  pratique  actuelle  de  l'obs- 
tétrique. Les  microbes  sont  à  la  mode  :  chassons  le  microbe,  tuons, 
exterminons  le  microbe!  Assurément,  les  mesures  d'hygiène  sont 
bonnes,  excellentes.  Mais  est-il  bien  nécessaire  de  multiplier  les  injec- 
tions au  sublimé, de  ruiner  la  cliente  en  poudre  parasiticide,  de  se  grais- 
ser le  doigt,  à  chaque  exploration,  avec  de  la  pommade  antiseptique 
et,  pour  essuyer  ce  doigt,  de  réclamer  chaque  fois,  au  grand  profit  du 
blanchisseur,  une  serviette  nouvelle?  Et  ce  n'est  pas  tout;  le  praticien 
microbiomane  surveille  et  compte  les  coups  de  balai  et  de  plumeau 


G94  HISTOIRE   DES    ACCOUCHEMENTS 

avec  une  indiscrétion  affectée,  il  fait  irruption  dans  les  pièces  voisines 
de  la  chambre  où  gît  la  patiente  ;  il  ouvre,  il  force  armoires  et  pla- 
cards :  »  Ciel,  une  vieille  robe,  de  vieilles  bottines,  du  linge  sale  !  Vite 
au  grenier  tous  ces  nids  à  microbe  !  » 

Ce  sont  les  accoucheurs  aux  précautions  charlatanesques  qui,  au 
moment  critique,  se  prêtent  complaisamment  à  tous  les  caprices  de 
la  cliente,  qui  lui  soulèvent  les  reins  au  grand  dommage  des  leurs, 
qui  l'invitent  à  se  cramponner  à  leur  bras,  qui  môme  se  laissent  pren- 
dre par  les  cheveux,  s'ils  en  ont  encore.  Et  voyez-les,  entendez-les 
après  la  délivrance  !  C'est  la  garde  qui  ne  sait  pas  nettoyer  l'enfant, 
la  nourrice  qui  ne  sait  pas  l'emmailloter  ;  le  voilà  qui  met  la  main  à 
la  pâte,  qui  lave,  qui  saupoudre,  qui  habille.  Et  la  garde  reste  bouche 
bée,  la  nourrice  admire,  la  mère  le  suit  avec  attendrissement,  et  le 
brave  homme  de  père  s'écrie  :  «  Il  n'y  a  que  lui  !  il  n'y  a  que  lui  !  » 

Tu  verras  le  tarif  de  tous  ces  empressements,  ô  bourgeois  naïf,  et 
peut-être  penseras-tu  alors  que,  pour  celui  que  tu  vantes  à  tes  amis 
et  à  les  voisins,  la  plus  belle  image  de  la  grossesse  est  dans  la  cir- 
conférence d'une  pièce  de  cent  sous. 

Quelques  particularités  concernant  les  sages-femmes 
et  les  accoucheurs  dans  les  autres  parties  de  l'Europe. 

—  Les  mœurs  anglaises,  nous  l'avons  dit,  ne  brillent  point  parla 
logique  ;  John  Bull  rumine  la  Bible  et  viole  les  petites  filbs  ;  milady, 
par  horreur  de  Yimproper,  tourne  le  dos  à  l'accoucheur  et  ne  songe 
pas  à  demander  une  sage-femme  ;  si  elle  en  appelle  une,  c'est  pour  lui 
servir  d'aide,  de  garde.  Il  n'y  a  même  pas  économie  à  la  préférer  au 
médecin,  car  la  concurrence  entre  les  praticiens  anglais  portant  sur- 
tout sur  les  accouchements  qui  donnent  par  la  suite  accès  dans  les 
familles,  les  honoraires  demandés  pour  les  opérations  de  ce  genre 
sont  assez  modestes,  une  guinée  (1)  d'ordinaire;  les  ouvriers  obtien- 
nent un  rabais  des  jeunes  docteurs.  En  conséquence  de  son  rôle  su- 
balterne et  peu  lucratif,  la  sage-femme  anglaise  a  pris,  dans  les  gran- 
des villes  surtout,  des  spécialités  inavouables,  l'avortement,  par  exem- 
ple, et  la  constatation  des  virginités  douteuses,  parfois  leur  répara- 
tion, Toutefois,  dans  les  campagnes  et  en  Irlande,  les  matrones  de 
ce  genre  sont  rares  ;  les  sages-femmes  exercent  plus  honorablement 
leur  métier.  L'Angleterre  a  des  sages-femmes  militaires,  nous  vou- 
lons dire  attachées  à  l'armée  pour  accoucher  les  femmes  des  soldats 
mariés  ;  le  chirurgien-major  n'est  appelé  que  dans  les  cas  compli- 

(1)  Monnaie  d'or  valant  25  fr.  21. 


MOEURS   ET   COUTUMES  695 

qués.  Aucune  législation  ne  régit  les  sages-femmes  en  Grande- 
Bretagne  ;  un  projet  de  loi  fut  proposé  en  1813  au  Parlement  par  la 
corporation  of  apotJiecaries,  mais  la  commission,  chargée  de  l'exami- 
ner, le  rejeta  par  pruderie,  alléguant  qu'il  ne  pouvait  être  fait  men- 
tion des  sages-femmes  dans  les  textes  de  loi  ;  on  ne  saurait  être  plus 
ridicule.  La  Société  obstétricale  de  Londres  se  substitua  au  gouver- 
nement et  délivra  des  diplômes  aux  sages-femmes  qui  voulurent  bien 
se  soumettre  au  programme  de  ses  examens.  Ce  diplôme  n'a  rien 
d'officiel,  mais  il  est  une  garantie  de  capacité  pour  le  public. 

Les  sages-femmes  anglaises  et  américaines  ont  pour  toute  enseigne 
une  plaque  de  cuivre  sur  laquelle  sont  inscrits  son  nom,  ses  heures 
de  consultations  et  son  titre  de  Midivife,  dont  l'étymologie  est  le 
saxon  mit-weibe,  la  bonne  femme  qui  aide. 

Que  penser  de  la  sage-femme  allemande  :  de  la  Frau  hebamme? 
La  docte  Allemagne  semble  n'avoir  que  des  matrones  assez  ignoran- 
tes; en  quatre  ou  cinq  mois,  elles  peuvent  obtenir  leur  brevet,  après 
avoir  assisté  à  deux  accouchements  et  en  avoir  pratiqué  quatre.  Dans 
ses  Lettres  obstétricales,  Siebold  fait  de  ses  élèves  sages-femmes  un 
portrait  peu  flatteur  :  «  Souvent  »  ,dit  cet  éminent  accoucheur,  «  des  fem- 
mes de  la  plus  basse  classe,  manquant  de  l'éducation  la  plus  simple, 
sachant  à  peine  lire,  se  présentent  pour  occuper  des  emplois  vacants  : 
la  rémunération  est  trop  modique  pour  tenter  des  sujets  plus  capa- 
bles. Et  que  peut-on  attendre  de  pareilles  femmes?  Il  est  facile  de  dire: 
Ne  les  acceptez  pas  pour  vos  élèves.  Les  communes  les  ont  choisies, 
la  femme  du  pasteur  s'y  intéresse,  le  médecin  de  l'endroit  leur  a  dé- 
livré une  bonne  attestation;  on  n'en  trouve  pas  d'autres  ». 

En  Prusse,  en  Bavière,  dans  plusieurs  États  allemands,  la  sage- 
femme  prête,  une  fois  reçue,  le  serment  suivant  : 


Moi,  N...  N...,  je  jure  par  Dieu  tout-puissant  et  prête  le  vrai  ser- 
ment sans  aucune  arrière-pensée, de  faire  mes  devoirs  de  sage-femme  en 
chrétienne  consciencieuse.  Je  ne  ferai  volontairement  de  mal  à  per- 
sonne; je  fais  au  contraire  le  vœu  de  donner  tous  les  secours  possibles 
aux  femmes  accouchées,  de  leur  donner  des  soins,  ainsi  qu'à  leurs 
enfants,  tant  que  cela  sera  nécessaire  ;  de  n'épargner  ni  fatigue  ni  peine 
pour  conserver  la  vie  de  la  mère  et  de  l'enfant  ;  de  me  rendre  aussitôt 
à  l'appel  des  pauvres  comme  à  celui  des  riches  ;  de  ne  jamais  abandon- 
ner ou  négliger  une  femme  entravait  ;  de  me  soumettre  aux  règlements 
des  sages-femmes  tels  qu'ils  sont  prescrits  par  Sa  Majesté  Prussienne, 
mon  roi  et  maître,  comme  il  convient  à  une  sage-femme  fidèle  et  cons- 
ciencieuse. 


696  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Aussi  vrai  que  Dieu  m'aide,  par  Jésus-Christ  et  son  saint  Evangile. 
Amen.  (Règlement  du  1er  décembre  1825.) 

En  Hanovre,  le  serment  est  ainsi  conçu  : 

Je  jure  et  promets  devant  Dieu,  et  par  sa  sainte  parole,  d'exécuter 
exactement  et  consciencieusement  les  instructions  qui  m'ont  été  lues 
et  transmises,  et  que  j'ai  bien  comprises.  Je  jure  aussi  de  me  compor- 
ter partout,  dans  l'exercice  de  ma  profession,  comme  il  convient  à  une 
sage-femme  consciencieuse.  Que  Dieu  et  sa  sainte  parole  me  soient  en 
aide. 

Dans  presque  tous  les  pays  d'Allemagne,  une  taxe  officielle  règle,  en 
cas  de  contestations,  tout  ce  qui  touche  à  la  pratique  médicale.  Voici, 
quant  à  ce  qui  se  rapporte  aux  accouchements,  la  taxe  officielle  : 

1.  Pour  un  accouchement  naturel  et  prompt  de 7.50  à  18.75 

2.  Pour  un  accouchement  de  jumeaux 11.25    30.00 

3.  Pour  un  accouchement  naturel,  mais  lent,  et  ayant 

exigé  un  jour  et  une  nuit 15.00  37.50 

4.  Pour  un  accouchement  par  les  pieds 15.00  37.50 

5.  Pour  une  version  avec  ou  sans  application  du  forceps.  15.00  45.00 

6.  Pour  un  accouchement  par  le  forceps 15.00  37.50 

7.  Pour  un  accouchement  après  perforation 15.00  37.50 

8.  Pour  une  opération  césarienne  sur  une  femme  vivante, 

que  l'enfant  soit  mort  ou  vivant 37.50    75.00 

9.  Pour  la  même  opération  après  la  mort 15.00    30.00 

10.  Pour  extraction  du  délivre  quelques  heures  après  l'ac- 

couchement   7.50  22.50 

11.  Pour  l'extraction  d'un  môle 3.75  11.25 

12.  Pour  l'examen  d'une  femme  enceinte 1.45  7.50 

13.  Pour  rédaction  d'un  rapport  demandé 1.45  3.75 

II  est  bon  de  noter  que  ce  tarif  n'est  applicable  qu'aux  services  du 
Hebarzt,  de  l'accoucheur  ;  les  honoraires  de  la  sage-femme  ne  sont 
en  général  que  le  quart  de  ceux  que  touche  l'opérateur  à  barbe.  En 
revanche,  d'après  un  décret  de  1817,  la  sage-femme  est  libre  de  tout 
impôt  ;  dans  l'arrondissement  où  elle  exerce,  elle  perçoit  sa  taxe,  quand 
bien-même  on  aurait  appelé  une  sage-femme  étrangère.  Enfin,  dans 
les  pays  catholiques,  elle  recevait,  et  sans  doute  reçoit  encore,  à  l'oc- 
casion de  chaque  mariage  ou  baptême,  un  guten  groschen,  quelque- 
fois un  et  demi,  quelquefois  trois.  Mais  toute  sage-femme,  sortant 
d'une  école  avec  son  diplôme,  doit  exercer  cinq  ans  au  moins  dans 
la  commune  qui  l'y  a  envoyée. 


MOEURS   ET   COUTUMES 


G97 


C'est  en    Allemagne  que  le  préjugé  contre   les  accoucheurs   fut 
le  plus  tenace.  Au  XVIIe  siècle,  le  médecin  allemand  qui  intervenait 


Fig.  461.  —  L'n  accouchement  en  Hollande  au  XVII»  siècle. 


dans  un  accouchement  ordinaire  commettait  un  crime  capital.  Ainsi, 
en  1522,  le  docteur  Wertt,  fut  brûlé  vif  à  Hambourg  pour  avoir  corn- 


G98  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 


mis  ce  forfait  :  il  avait  assisté  à  un  accouchement  sous  les  habits 
d'une  sage-femme.  Cependant,  d'après  le  Dr  Garl  Schrôder,  le  duc 
Ludwig  de  Wurtemberg,  en  l'année  1580,  interdit,  par  un  décret 
particulier,  aux  bergers  de  faire  des  accouchements  ;  cette  interdiction 
semblerait  indiquer  que  l'intervention  des  hommes  avait  été  tolérée, 
au  moins  pendant  un  certain  temps;  d1ailleurs,  les  coutumes  pou- 
vaient varier  suivant  les  pays.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  femmes  alle- 
mandes se  faisaient  les  complices  des  magistrats  pour  écarter  les  mé- 
decins de  leur  lit  de  misère;  suivant  Welsch,  elles  auraient  mieux  aimé 
mourir  que  d'accepter  les  soins  d'un  chirurgien  ou  d'un  barbier.  Or, 
si  l'on  juge  des  anciennes  matrones  d'Allemagne  par  celles  de  Leip- 
zig, qui  étaient  reçues  par  la  femme  du  bourgmestre,  on  peut  con- 
clure que  cette  sotte  résistance  devait  causer  un  perpétuel  massacre 
des  innocents.  Peu  à  peu  cependant,  on  admit  les  médecins  dans  les 
cas  graves,  mais  avec  les  plus  grandes  précautions. 

Il  en  était  de  même  en  Hollande.  Dans  un  écrit  publié  en  1681  par 
un  accoucheur  de  ce  pays,  Samuel  Janson,  nous  trouvons  un  dessin 
qui  représente  un  praticien  et  une  patiente  assis  l'un  en  facede  l'autre 
(fig.  461),  entre  eux  se  trouve  un  drap  de  lit  lié  au  cou  de  l'opérateur 
et  à  la  taille  de  la  femme  ;  c'est  sous  ce  voile  protecteur,  soulevé  de 
chaque  côté  par  deux  aides,  tenant  les  jambes  de  la  patiente,  que 
l'opération  était  pratiquée. 

En  Autriche,  quand  les  sages-femmes  ont  reçu  leur  diplôme,  elles 
s'engagent,  par  serment,  à  ne  rien  négliger  de  ce  qui  est  néces- 
saire au  bien  éternel  (1)  ou  temporel,  de  la  femme  accouchée. 
Elles  sont  tenues,  pour  le  temporel,  à  garder  le  secret  aux  femmes 
mariées  ou  non,  mais  à  témoigner  fidèlement  devant  l'autorité  com- 
pétente, en  cas  de  procès  criminel.  Si  un  accoucheur  ou  une  sage- 
femme  est  appelé  à  donner  un  lavement  pour  calmer  des  douleurs  ou 
du  météorisme  chez  une  femme,  il  doit  examiner  s'il  n'y  a  pas  gros- 
sesse, et  l'annoncer,  dans  le  cas  d'affirmative,  à  la  femme  et  à  ses  pa- 
rents. Si  une  femme  leur  propose  l'avortement,  il  leur  est  enjoint  de 
la  dénoncera  la  police,  mais  le  secret  est  de  rigueur  envers  les  autres 
personnes.  Le  médecin  accoucheur  et  la  sage-femme  sont  obligés 
d'instruire  consciencieusement  le  curé  de  la  paroisse  de  tout  ce  qu'ils 
savent  de  la  mère  :  son  nom  et  son  état  civil.  S'ils  cachent  la  moindre 
chose,  ils  peuvent  être  punis  par  la  loi  et  perdre  le  droit  d'exercer 


(1)  Au  point  de  vue  du  bien  éternel,  une  ordonnance  du  14  décembre  1769,  établit, 
l>our  le  baptême  des  enfants  en  danger  de  mourir,  une  réglementation  qui  semble 
extraite  de  n'importe  quel  traité  d'embryologie  sacrée. 


MOEURS    ET    COUTUMES  699 


leur  art.  (1).  Il  est  défendu  à  une  sage-femme  de  couper  le  filet  à  un 
enfant  sous  peine  d'emprisonnement;  elle  doit  faire  appeler  le  chirur- 
gien. La  sage-femme  a  droit,  comme  dans  toute  l'Allemagne,  au 
titre  de  Frau  (Madame)  ;  il  lui  est  ordonné  de  mettre  une  enseigne, 
afin  d'indiquer  son  domicile.  Elle  obtient  l'autorisation  d'exercer 
après  avoir  suivi  un  cours  de  quatre  mois  et  fait  seulement  trois 
ou  quatre  accouchements;  c'est  dire  qu'elle  ne  sait  pas  grand'chose 
et  ne  peut  acquérir  quelque  expérience  qu'aux  dépens  de  ses 
clientes. 

En  Suisse,  l'instruction  des  sages-femmes  laisse  aussi  beaucoup 
à  désirer;  on  leur  délivre  leur  diplôme  après  avoir  suivi  un  cours  de 
six  mois  et  fait  cinq  accouchements. 

Les  Italiens  donnaient  jadis  à  leurs  sages-femmes  le  nom  de 
comare,  commère;  une  autre  désignation  familière,  buona  donna, 
est  encore  usitée;  ostelrice  est  savant,  mais  prétentieux;  levatrice, 
dont  le  sens  correspond  à  celui  de  l'allemand  hebamme  est  d'un 
emploi  plus  ordinaire.  On  appelle  encore  l'accoucheur  et  l'accou- 
cheuse raccoglitore  et  raccoglitrice,  c'est-à-dire  recueilleur  et  recueil- 
leuse;  sous-entendez  del  parto ,  recueilleur,  recueilleuse  d'enfant. 
C'est  en  Italie  que,  pour  la  première  fois,  on  admit  les  accoucheurs 
dans  les  cas  ordinaires  ;  la  France  ne  suivit  que  plus  tard  cet  exemple 
salutaire,  et  après  la  France,  vinrent  l'Espagne,  l'Angleterre,  puis 
l'Allemagne. 

Les  Espagnols  se  servaient  exclusivement  de  sages-femmes  jus- 
qu'au jour  où  Clément  fît  trois  fois  le  voyage  de  Madrid,  en  1713, 
en  1726  et  en  1770,  pour  aider  la  reine  d'Espagne,  sœur  de  la  Dau- 
phine  de  France,  dans  son  travail.  Depuis  cette  époque,  les  accou- 
cheurs sont  admis  à  faire  les  accouchements  naturels,  mais  cette 
coutume  n'est  pas  encore  aussi  répandue  qu'en  France.  Les  Espa- 
gnols, comme  du  temps  de  Mercier,  «  moins  philosophes  que  les  maris 
françois,  plus  jaloux  ou  moins  attachés  à  leurs  femmes,  conservent 
encore  pour  les  accoucheurs  une  répugnance  invincible.  L'idée  de  li- 
vrer aux  attouchements  d'un  autre  homme  des  charmes,  des  formes 
qu'eux  seuls  veulent  voir  et  palper,  est  pour  eux  l'idée  la  plus 
désespérante.  Ils  ne  réfléchissent  pas  que  quelque  séduisantes  que 
soient  la  pâleur,  la  langueur  d'une  femme  en  couches,  quelque  atten- 
drissants que  soient  ses  cris,  ces  formes  toutes  défigurées  alors  ont 
perdu  tout  leur  charme.  » 

En  Portugal,  les  élèves  sages-femmes  suivent  un  cours  de  deux 

(1)  Dr  L.  Le  Fort.  Les  Mate  mités  en  Europe, 


700  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

années,  avant  de  passer  leur  examen  ;  à  en  juger  par  la  durée  de 
leur  instruction,  elles  peuvent  faire  de  sérieuses  études  et  doivent 
être  assez  capables. 

Les  sages-femmes  danoises  reçoivent  aussi  un  enseignement  suf- 
fisant à  la  Maternité  de  Copenhague,  bien  qu'elles  n'y  demeurent 
que  pendant  neuf  mois. 

Mais  c'est  en  Russie  que  l'instruction  donnée  aux  élèves  sages- 
femmes  est  la  plus  complète.  Celles-ci  ne  sont  admises  dans  les  Ma- 
ternités que  de  dix-huit  à  trente  ans  et  elles  doivent  y  suivre  les 
cours  pendant  au  moins  trois  années.  A  l'Académie  médico-chirur- 
gicale de  St-Pétersbourg,  le  nombre  des  élèves  est  considérable. 
On  y  a  même  cherché  un  moyen  de  faire  assister  toutes  ces  élèves 
aux  accouchements,  sans  que  leur  présence  soit,  pour  la  femme,  une 
cause  d'émotion  pénible.  «  Le  lit  de  travail,  »  dit  le  Dr  Léon  Lefort, 
«  est  placé  au  milieu  de  l'amphithéâtre  ;  il  est  fortement  éclairé  au  moyen 
de  becs  de  gaz,  disposés  de  manière  à  concentrer  leur  lumière  sur  la 
partie  moyenne  du  lit.  La  femme  qui  doit  accoucher  est  amenée  dans 
l'amphithéâtre  ;  elle  n'a  alors  auprès  d'elle  que  deux  ou  trois  per- 
sonnes. Lorsque  le  travail  de  l'accouchement  est  commencé,  on  admi- 
nistre le  chloroforme  ;  et  lorsque  la  patiente  est  plongée  dans  le  som- 
meil anesthésique,  les  élèves,  qui  attendaient  dans  une  salle  voisine, 
viennent  s'asseoir  sur  les  gradins  de  l'amphithéâtre,  assistent  à  toutes 
les  périodes  de  l'accouchement,  et  se  retirent  avant  le  réveil  de 
l'accouchée.  » 

D'après  le  plus  célèbre  des  romanciers  russes  contemporains,  le 
comte  Léon  Tolstoï,  les  sages-femmes  de  son  pays  seraient  encore  de 
nos  jours  singulièrement  ignorantes  :  «  Trouves-tu  indifférent,  dit  un 
personnage  à' Anna  Karénine,  que  de  grossières  sages-femmes  fassent 
périr  les  nouveau-nés?  » 

Il  nous  est  vraiment  difficile,  surtout  connaissant  l'aptitude  de  la 
femme  russe  aux  travaux  scientifiques,  d'accepLer,  tel  quel,  le  juge- 
ment de  Tolstoï.  L'instruction  très  perfectionnée  que  les  sages-femmes 
reçoivent  vient  le  contredire  :  même  chez  les  Kirghiz  qui  vaquent 
dans  les  steppes  orientaux  de  l'empire,  les  sages-femmes  font  un  stage 
de  trois  années  dans  les  écoles  spéciales  de  la  Russie;  attachées  à 
une  tribu  errant  le  plus  souvent  dans  des  lieux  éloignés  des  villes, 
elles  doivent,  ainsi  privées  de  tout  secours,  recevoir  une  instruc- 
tion suffisante  pour  faire  toutes  les  opérations  obstétricales  et 
même  un  peu  de  médecine.  Aussi,  chez  les  Kirghiz,  pas  une  femme 
ne  permettrait  à  un  médecin  de  lui  donner  ses  soins,  encore  moins  de 
l'accoucher. 


MOEURS    ET    COUTUMES  701 

Les  sages-femmes  en  Turquie  eten  Egypte. — Les  femmes, 
en  Orient,  ont  une  extrême  répugnance  pour  le  médecin  accoucheur; 
d'ailleurs,  un  homme  quel  qu'il  soit,  nous  le  savons,  ne  doit  jamais 
regarder  ni  toucher  les  'organes  génitaux  de  la  femme.  Quand  une 
difficulté  se  présente  pendant  le  travail,  la  sage-femme  va  consulter  le 
médecin  de  la  famille,  généralement  aussi  incapable  que  la  matrone. 
«  C'est  un  spectacle  des  plus  bizarres,  »  dit  le  Dr  Eram  (1),  «  que 
l'entretien  de  ces  deux  ignorants  sur  l'état  de  la  femme  en  travail:  le 
médecin  demande  comment  était  la  matrice,  la  femme  lui  répond 
qu'elle  était  énorme  ;  le  médecin  lui  demande  encore  si  elle  a  touché 
la  femme,  elle  répond  qu'elle  a  palpé  le  ventre  et  qu'elle  l'a  trouvé 
très  dur.  Enfin  le  médecin  lui  explique  qu'il  fallait  toucher  la  femme 
afin  de  savoir  si  le  col  était  dilaté,  chose  que  la  sage-femme  n'avait 
jamais  pensé  à  faire.  Là-dessus  elle  se  met  en  route  pour  aller  toucher 
la  femme,  et,  arrivant  en  toute  hâte  auprès  d'elle,  elle  introduit  brus- 
quement son  doigt  dans  le  vagin. 

«  Si  les  assistants  lui  demandent  ce  que  le  médecin  dit,  que  voulez- 
vous  qu'elle  puisse  répondre?  Ce  qu'il  y  a' de  mieux  à  faire,  c'est  de 
ne  rien  dire  et  de  se  sauver  immédiatement  pour  retrouver  son  méde- 
cin, et  lui  expliquer  l'état  du  col  de  la  matrice  en  le  comparant  à  une 
infinité  de  choses  ;  car  enfin  c'est  difficile  de  décrire  un  organe  par  le 
langage  vulgaire.  Or,  il  est  impossible  que  le  médecin  comprenne 
exactement  la  grandeur  de  l'orifice  du  col  par  tout  ce  que  la  femme 
lui  raconte.  Alors  le  médecin  se  rappelle  qu'il  devait  y  avoir  une 
poche  des  eaux,  qu'il  avait  oublié  de  recommander  à  la  sage-femme. 
Voilà  donc  une  autre  course  que  la  bonne  femme  est  obligée  de  faire 
pour  aller  chercher  la  poche;  cette  fois-ci,  elle  est  beaucoup  plus  fa- 
tiguée que  la  précédente.  Après  s'être  reposée  un  instant,  elle  intro- 
duit de  nouveau  son  doigt,  et  elle  trouve  en  effet  la  poche  des  eaux; 
ne  la  trouvât-elle  pas,  elle  croit  tout  de  même  l'avoir  trouvée,  puisque 
le  médecin  lui  avait  dit  qu'il  devait  y  en  avoir  une;  elle  court  donc 
informer  le  médecin  de  l'existence  de  la  poche.  Enfin,  pendant  le 
temps  que  la  sage-femme  est  en  train  de  courir  la  poste,  d'aller  et 
de  venir  pour  informer  le  médecin  de  l'état  de  la  malade,  le  travail, 
de  son  côté,  fait  des  progrès,  et  l'accouchement  se  termine  au 
moment  même  où  la  sage-femme  emploie  tous  ses  efforts  pour  bien 
expliquer  au  confrère  son  col  et  sa  poche. 

«  D'autres  fois,  si  le  cas  est  plus  sérieux,  le  médecin  ne  tarde  pas  à 
arriver  à  la  maison  de  la  malade;  mais  il  se  met  dans  une  chambre 

(1)  Quelques  considérations  pratiques  sur  les  accouchements  en  Orient. 


702  HISTOIRE    DES   ACCOUCHEMENTS 

à  côté,  et  la  sage-femme  a,  par  conséquent,  double  avantage,  celui 
de  ne  pas  se  fatiguer  à  courir  après  lui  et  ensuite  celui  de  se  trouver 
au  moins  auprès  de  la  femme,  au  moment  de  l'expulsion  de  l'en- 
fant; aussi,  dans  le  troisième  et  le  quatrième  temps  du  travail,  elle 
ne  quitte  plus  la  femme  pour  aller  parler  au  médecin,  mais  elle 
crie  à  haute  voix  pour  que  le  médecin  l'entende  et  réponde  à  tra- 
vers la  muraille  de  la  chambre.  Ce  fait  paraît  avoir  une  analogie 
avec  celui  du  célèbre  Guy  de  Ghauliac  qui,  dans  le  treizième  siècle, 
exerçait  la  pratique  des  accouchements  sans  ôter  ses  gants,  et 
donnait  des  ordres  à  la  sage-femme;  mais  au  moins  il  avait  une 
sage-femme  beaucoup  plus  intelligente  et  restait  à  côté  de  sa  ma- 
lade. 

«  En  Orient,  en  effet,  à  part  le  très  petit  nombre  de  sages-femmes 
qui  ont  reçu  leur  instruction  à  la  Faculté  de  Médecine  de  Constan- 
tinople  et  qui  ont  une  certaine  capacité,  le  plus  grand  nombre 
n'a  aucune  instruction;  ce  sont  d'anciennes  prostituées  que  l'on 
appelle  ébé-caden,  et  qui  pullulent  dans  tous  les  pays  de  l'Orient. 
Un  proverbe  turc  dit  d'ailleurs  que  «  toute  femme  qui  a  commencé 
par  la  prostitution,  finit  par  se  faire  sage-femme  ».  Malheureuse- 
ment la  grande  majorité  des  femmes  sont  à  leur  merci;  elles  se  figu- 
rent que  leur  présence  seule  suffit  pour  conjurer  tout  danger.  La 
plupart  sont  Turques,  Grecques  ou  Arméniennes;  chaque  femme 
recherche  surtout  une  matrone  de  sa  nationalité,  c'est  qu'elles 
sont  intimement  liées  avec  la  famille  et  aident  les  jeunes  filles  à 
trouver  des  maris,  ce  qui  est  fort  difficile  avec  la  vie  murée  des 
femmes  en  Orient;  la  sage-femme  est  donc  surtout  un  agent  matri- 
monial. 

«  Elles  sont  en  général  d'un  âge  mûr  ;  leur  costume  simple  ne 
manque  ni  de  caractère  ni  de  gravité;  elles  sont  vêtues  de  noir  et 
portent  une  longue  canne  d'ébène  à  pomme  d'argent,  dont  le  volume 
donne  la  mesure  de  la  richesse,  et  par  conséquent  de  l'importance  de 
celle  qui  la  porte.  Ce  bâton  n'est  point  seulement  un  moyen  d'appui, 
c'est  surtout  le  signe  distinctif  de  leur  profession;  en  somme,  tout 
leur  aspect  est  convenable  et  pourrait  en  imposer.  Elles  jouent  admi- 
rablement la  modestie,  la  décence  et  la  dignité.  Malheureusement, 
fronti  nulla  fides,  l'enquête  la  moins  minutieuse  sur  leurs  antécédents 
et  sur  leur  vie  actuelle  lèverait  bien  vite  le  masque  et  dissiperait 
l'illusion.  Malgré  cela,  on  peut  dire  que  l'opinion  publique  leur  est 
favorable,  et  que  le  vulgaire  les  entoure  d'une  espèce  de  vénéra- 
tion. 

«  Quand  elle  arrive  auprès  d'une  femme  en  couches,  il  se  passe  une 


MOEURS    ET    COUTUMES  703 


scènequi  seraitd'unhautcomiquesimalheureusementelle  ne  froissait 
pas  les  sentiments  les  plus  légitimes.  Loin  de  s'inquiéter  de  la  patiente, 
elle  dépose  d'abord  sa  canne,  s'installe  commodément  dans  un 
fauteuil,  demande  la  tasse  de  café  habituelle  et  entame  la  conversa- 
tion, elle  vante  sa  nombreuse  clientèle,  se  lamente  sur  la  brièveté  du 
temps,  qui  l'empêche  de  prodiguer  ses  soins  à  tous  ceux  qui  l'ambi- 
tionnent, et  finit  par  raconter  quelle  a  abandonné  une  cliente  pour 
voler  au  secours  de  l'accouchée  chez  qui  elle  se  trouve  et  à  qui  elle 
porte  un  intérêt  tout  spécial.  Cette  fable  et  une  foule  de  contes 
analogues  produisent  toujours  leur  effet,  et  se  traduisent  par  une 
exagération  de  salaire. 

«  La  grande  question  qu'on  lui  adresse  tout  d'abord  sera  relative  au 
sexe  de  l'enfant  qui  va  naître.  Il  s'agit  en  effet  de  lui  choisir  un  nom. 
La  demande  serait  fort  embarrassante,  ainsi  qu'on  le  conçoit,  pour 
un  accoucheur  qui  ne  serait  que  savant;  il  serait  même  forcé 
d'avouer  que  c'est  un  problème  qui  est  et  demeurera  insoluble.  Mais 
notre  matrone  ne  s'embarrasse  pas  pour  si  peu;  elle  se  lève,  s'ap- 
proche de  la  femme  et  l'examine  de  près:  celle-ci  a-t-elle  la  face 
turgescente,  les  joues  colorées,  les  yeux  brillants,  le  nouveau-né 
sera  un  mâle;  si  la  femme  est  pâle,  si  les  yeux  sont  ternes,  si  la 
physionomie  est  triste,  l'enfant  ne  sera  qu'une  femelle.  Ce  grand 
problème  résolu,  la  matrone  s'essuie  le  front  et  se  rassied.  La  partie 
la  plus  ardue  de  sa  tâche  est  accomplie.  » 

En  Egypte,  ou  tout  au  moins  au  Caire,  la  valeur  professionnelle 
des  sages-femmes  semble  plus  grande.  Vers  1860,  Ernest  Godard 
écrivait  ce  qui  suit  :  «  Il  y  a  une  école  pour  les  sages-femmes  au 
Caire.  Cette  année,  elles  sont  au  nombre  de  quatre,  elles  étaient  dix 
il  y  a  quelques  mois  et  dix-sept  il  y  a  deux  ans.  On  les  reçoit  à  l'école 
à  l'âge  de  douze  ou  quinze  ans,  on  ne  leur  demande  aucune  instruc- 
tion. La  durée  des  études  est  de  douze  années.  Les  élèves  appren- 
nent la  lecture,  l'écriture,  les  accouchements,  un  peu  de  petite  chi- 
rurgie, quelques  notions  sur  les  maladies  des  femmes  et  un  peu 
d'ophtalmologie.  Site  Tamerahan  ou  madame  Tamerahan  est  pro- 
fesseur d'accouchement.  Un  vieux  cheik,  choisi  vieux  à  dessein,  en- 
seigne à  lire  et  à  écrire.  MadameTamerahan  reçoit  dix-huit  bourses 
par  an,  soit  2,000  fr.  environ.  Elle  fait  une  leçon  par  semaine.  Les 
élèves  sont  renfermées  comme  dans  un  harem;  jamais  elles  ne 
sortent;  et  chaque  mois,  la  sage-femme  en  chef  les  visite,  afin  de 
bien  constater  qu'elles   sont  toujours  vierges  (1).  Elles  sont  payées 

(1)  Cet  examen  de  la  virginité  doit  faire  partie,  depuis  longtemps,  des  attributions 


704  HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS 

et  reçoivent  de  GO  à  115  piastres  par  mois.  O.n  les  marie  à  leur  sortie 
de  l'école. 

«  Les  femmes  enceintes  accouchent  au  rez-de-chaussée,  dans  une 
salle  voisine  de  la  classe,  puis  on  les  remonte  au  premier.  Je  pénètre 
un  jour  dans  la  salle  des  cours,  au  moment  de  la  leçon;  aussitôt  la 
maîtresse  et  les  élèves  se  lèvent  pour  nous  faire  honneur,  mais  sans 
nous  saluer;  elles  se  couvrent  la  face  et  ne  montrent  que  l'œil 
droit. 

«  En  général,  les  accoucheuses  succèdent  à  leur  mère.  Pour  prix 
de  ses  soins,  la  sage-femme  reçoit,  des  personnes  peu  aisées,  un 
tabaris;  des  personnes  riches,  un  habillement  complet  qui  varie 
quant  à  la  richesse,  et  de  plus,  une  ou  deux  guinées  ;  cela  peut  aller 
jusqu'à  dix.  L'accoucheuse  doit  assister  la  malade  pendant  qua- 
rante jours.  En  général,  les  médecins  ne  voient  pas  les  femmes 
malades;  les  accoucheuses  seules  sont  chargées  de  ce  soin  »  (1). 

Sages-femmes  algériennes.  —  D'habitude,  les  Arabes  ont 
recours  à  la  sage-femme,  kabela;  le  médecin  ou  toubibe  n'intervient 
qu'après  l'impuissance  constatée  de  la  matrone  et  sur  la  demande  du 
mari.  Ces  matrones  sont  de  vieilles  malheureuses,  fort  pauvres,  faisant 
de  l'empirisme  le  plus  aveugle,  sous  prétexte  que  le  grand  nombre 
d'enfants  qu'elles  ont  mis  au  monde  pour  leur  propre  compte  a  dû 
leur  concéder  une  dose  suffisante  d'expérience,  concernant  la  patho- 
logie du  sexe  féminin. 

Leurs  prétentions  varient  suivant  la  fortune  des  clients  :  pour  les 
accouchements,  elles  demandent  aux  riches  20  à  23  francs,  aux  gens 
peu  aisés  de  2  à  6  francs,  aux  pauvres  de  l'orge. 

Les  sages-femmes  en  Chine,  au  Japon  et  dans  l'An- 
nam.  —  Chez  les  peuples  de  la  race  jaune,  la  pratique  des  accouche- 
ments est  exclusivement  réservée  aux  sages-femmes  que  l'on  appelle 
les  receveuses  de  naissance.  Le  médecin,  dont  l'ignorance  est  du 
moins  égale  à  celle  de  la  matrone,  n'est  appelé  que  dans  les  cas 
graves. 

des  sages-femmes  en  Orient,  si  l'on  s'en  rapporte  au  fait  apocryphe  que  Suidas 
raconte  au  sujet  de  Marie  «  que  la  synagogue  fit  visiter,  quinze  ou  seize  ans  après 
la  naissance  de  Jésus,  par  d'honnêtes  matrones  et  qui  fut  trouvée  vierge  ».I1  est 
bien  probable  que  l'auteur  de  ce  récit,  comme  le  fait  remarquer  Peyrilhe,  a  supposé 
qu'on  faisait  autrefois  en  Judée  ce  qui  se  passait  à  Constantinople  de  son  temps, 
c'est-à-dire  dix  siècles  après. 
(1)  Egypte  et  Palestine. 


SŒURS    ET   COUTUMES  705 

«  Il  n'y  a  à  ma  connaissance  »,  dit  le  Dr  Hureau  de  Villeneuve,  «  ni 
en  Chine,  ni  au  Japon,  ni  dans  l'Indo-Chine,  d'école  destinée  à  l'ins- 
truction des  sages-femmes.  Chaque  accoucheuse  est  suivie  d'une  aide 
qui  lui  fait  cortège,  et  porte  ses  aiguilles  à  acupuncture  et  les  drogues 
destinées  à  soulager  et  à  réconforter  la  patiente.  Au  bout  d'un  certain 
temps  de  noviciat,  ou  bien  l'aide  se  charge  à  son  tour  d'une  clientèle 
particulière,  ou  elle  reste  attachée  à  une  praticienne  célèbre  qui  lui 
fait  obtenir  des  bénéfices  plus  considérables  que  ceux  qu'elle  pour- 
rait gagner  par  elle-même. 

«  Le  salaire  des  sages-femmes  est  relativement  assez  élevé  ;  elles 
reçoivent  une  somme  variable  qui  correspond  à  4  ou  6  francs  de  notre 
monnaie.  Ces  honoraires  semblent,  au  premier  abord,  d'une  mesqui- 
nerie ridicule,  mais  il  faut  comprendre  que,  dans  l'extrême-Orient, 
le  rapport  de  l'argent  aux  salaires  est  bien  différent  de  celui  qui  existe 
chez  nous.  En  effet,  un  ouvrier  manœuvre  qui,  dans  notre  pays,  ga- 
gnerait environ  3  francs,  reçoit,  dans  la  Chine  et  l'Indo-Chine,  30  cen- 
times environ;  avec  cette  somme,  il  peut  suffire  à  tous  ses  besoins  et 
nourrir  sa  femme  et  ses  enfants.  Le  médecin  touche  60  centimes  par 
visite  chez  les  gens  de  fortune  médiocre,  et  1  franc  chez  les  gens 
aisés  ;  les  praticiens  en  renom  prennent  seuls  2  francs  par  visite.  On 
comprendra  donc  que  6  francs  d'honoraires  représentent  une  somme 
assez  forte  et  qui  peut  quelquefois  mettre  une  famille  dans  la  gêne, 
puisqu'elle  représente  vingt  journées  d'ouvrier.  » 

L'instruction  des  sages-femmes  chinoises  ou  van-pous  laisse  donc 
beaucoup  à  désirer.  Leurs  livres  ne  sont  que  des  recueils  de  sottises 
grossières.  Nous  relevons,  cependant,  un  précepte  obstétrical  fort  sensé 
dans  l'un  d'eux,  le  Sse-Tsaï-San-Chou  .■ 

-fcfo    wang,   considère. 
ivèn,     écoute. 


Fn^    loen'     interroge. 
iTl    thsieï,   touche. 

Tout  est  loin  d'être  aussi  sage.  Ainsi  dans  le  Tal-Shang-Pin,  l'ou 
vrage  classique  par  excellence,  nous  trouvons  le  moyen  de  pronosti-" 
quer,  par  l'inspection  du  visage,  le  résultat  probable  de  l'accouche- 
ment. «  Si  le  visage  de  la  mère  est  rouge  et  la  langue  verte  (1),  l'en- 

(1)  Où  il  y  a  vert,  Hureau  de  Villeneuve  dit  pourpre, 

HISTOIRE  DES  ACCOUCHEMENTS.  45 


706  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

fant  mourra  et  la  mère  sera  sauvée;  si  la  face  est  verte  et  la  langue 
rouge,  la  mère  mourra  et  l'enfant  naîtra  vivant;  si  les  deux  sont 
vertes,  tous  deux  périront  ».  Pour  indiquer  la  marche  du  travail,  le 
Tat-Shang-Pin  recommande  l'inspection  du  pouls,  et,  si  l'accouche- 
ment ne  peut  se  terminer,  déclare  qu'on  en  doit  accuser  le  mauvais 
vouloir  de  l'enfant  :  «  Les  anciens  »,  dit  ce  docte  traité,  «  rapportent 
des  cas  où  la  naissance  fut  retardée  de  trois  ou  quatre  ans,  parce  que 
l'enfant  ne  voulait  pas  sortir;  s'il  ne  veut  pas  sortir,  qui  peut  l'y  for- 
cer? et,  s'il  le  veut,  qui  peut  l'en  empêcher?  »  Le  raisonnement  est 
commode. 

Pour  parfaire  leur  instruction,    les   sages-femmes  ont  entre  les 
mains  un  autre  volume  intitulé  : 


n 


êL  i 


Pao-Tsan-Ta-Seng-Pien,  c'est-à-dire  :  Lelivre  qui  enseigne  à  protéger 
la  sortie  du  produit  vivant  (1).  Il  porte  pour  épigraphe  :  L'ignorance 
des  sages-femmes  peut  causer  la  mort  de  leurs  clientes.  Et  l'ignorance 
des  sages-femmes  est  le  résultat  de  l'ignorance  de  leurs  maîtres.  Le 
Pao-Tsan-Ta-Seng-Pien  contient  des  figures  d'anatomie  très  fantai- 
siste. La  loi  interdisant  l'ouverture  des  cadavres  en  Orient,  les  au- 
teurs de  livres  d'anatomie  en  sont  réduits  à  recourir  à  leur  imagina- 
tion. Manquant  de  fonds,  ils  se  rattrappent  sur  la  forme,  et  comparent 
poétiquement  l'utérus  «  au  bouton  d'une  fleur  de  nénuphar  placé  sur 
sa  tige  »  ;  quant  aux  trompes  et  aux  ovaires,  il  n'y  est  même  pas  fait 
une  allusion  discrète.  La  physiologie  est  aussi  obscure  que  l'anato- 
mie;  elle  ne  repose  que  sur  des  hypothèses  :  l'embryon  au  premier 
mois  ressemble  «  à  une  goutte  d'eau  »  et  au  second  «  à  un  bouton  de 
rose  »  ;  toujours  la  poésie  ! 

Au  Japon,  où  l'instruction  semble  plus  pratique,  les  sages-femmes 
ont  aussi  le  monopole  des  accouchements.  Les  médecins  n'intervien- 
nent guère  que  pour  certaines  manœuvres  spéciales  dont  nous  avons 
déjà  parlé. 

Les  femmes  Annamites  s'adressent  aussi  de  préférence  aux  sages- 
femmes,  aux  ba-mu.  Comme  ignorance,  elles  ne  le  cèdent  à  per- 
sonne ;  de  plus,  leur  aspect  est  assez  repoussant,  si  l'on  en  croit  le 
docteur  Mondière  :  «  Vieille,  maigre,  les  cheveux  gris  ou  blancs, 
souvent  coupés  ras,  quand  elle  a  retroussé  les  jambes  de  son  pan- 
talon et  relevé  les  manches  de  sa  houppelande,  on  croirait,  quand 
elle  est  dans  l'exercice  de  ses  fonctions,  avoir  devant  les  yeux  une 

(1)  Littéralement  :  Protéger,  produit,  sortie,  vivant,  livre. 


MOEURS   ET   COUTUMES  707 

des  sorcières  de  Macbeth.  Tel  est  du  moins  l'aspect  extérieur  des 
trois  plus  célèbres  de  l'empire  d'Annam.  Dès  qu'elle  est  prévenue  que 
c'est  à  elle  d'accoucher  telle  femme,  elle  vient  d'abord  la  voir  tous 
les  deux  ou  trois  jours,  puis,  dans  les  derniers  temps,  tous  les  jours. 
Elle  lui  ordonne  souvent  telle  ou  telle  espèce  d'aliments  et  surtout 
des  tisanes  dont  la  feuille  du  caidu  du  (papayer,  carica  papaya)  et 
une  sorte  de  menthe,  très  voisine  de  la  menthe  crépue,  font  la  base. 
Mais  elle  ne  touche  pas  la  femme  ;  à  peine  palpe-t-elle  le  ventre,  si 
la  femme  croit  à  quelque  phénomène  extraordinaire  pouvant  com- 
pliquer la  sortie  de  l'enfant. 

«  Dès  que  les  premières  douleurs  se  font  sentir,  on  court  prévenir  la 
ba-mu.  Elle  saisit  sa  trousse,  laquelle  consiste  uniquement  en  un  mor- 
ceau de  bambou  raclé  en  forme  de  couteau  et  destiné  à  sectionner  le 
cordon,  et  puis,  sans  se  presser,  se  rend  chez  sa  cliente  qui  lui  four- 
nira des  fils  de  soie,  d'aloès,  voire  même  du  fil  à  coudre  anglais  ou  fran- 
çais pour  faire  la  ligature,  et  de  l'huile  pour  le  pansement  consécutif.» 

Le  salaire  de  la  sage-femme,  dans  l'Indo-Chine,  varie  suivant  les  pays 
et  la  fortune  des  gens  qui  réclament  ses  services.  «  Les  pauvres,  » 
dit  Lefebvre,  «  lui  donnent  du  riz,  des  poulets,  à  moins  qu'ils  ne 
préfèrent  la  payer  en  argent.  L'accouchement  d'un  garçon  ne  dépasse 
pas  une  piastre  (quatre  francs  soixante-dix  centimes  environ  de  notre 
monnaie),  celui  d'une  fille  soixante  cents,  c'est-à-dire  trois  francs.  Les 
offrandes  des  sacrifices  peuvent  également  servir  à  sa  rémunération. 
Une  Annamite,  après  ses  couches,  tient  à  honneur  de  faire  couler 
beaucoup  de  vin,  de  sacrifier  beaucoup  de  victimes,  et  doit  avoir  les 
mains  pleines  de  présents  :  rendre  de  nombreux  hommages  aux  douze 
déesses  prouve  sa  reconnaissance  pour  les  bienfaits  reçus  et  lui  fait 
espérer  d'en  obtenir  d'autres  pour  l'avenir.  » 

Les  aides  des  peuples  primitifs.  —  Le  plus  souvent,  dans 
les  peuplades  sauvages,  la  parturiente  se  passe  d'aide  ou  réclame  les 
soins  d'une  femme  âgée  de  la  tribu, qui  a  eu  beaucoup  d'enfants  et  passe 
pour  habile  ou  se  croit  telle  ;  malheureusement,  la  haute  opinion  que 
la  vieille  a  de  son  expérience,  la  pousse  très  fréquemment  à  pratiquer 
des  manipulations  intempestives  dont  les  résultats  peuvent  être  dé- 
plorables. Dans  certaines  tribus  sauvages,  les  hommes  exercent  le 
métier  d'accoucheur  ;  Felkin  en  a  vu  des  exemples  en  Afrique,  et,  si 
l'on  en  croit  le  British  Médical  Journal,  les  sages-femmes,  aux  îles 
Sandwich,  sont  des  hommes  très  vieux  (1). 

(1)  Le  fait  reste-t-il  toujours  vrai,  maintenant  que  les  îles  Sandwich  se  sont  civi- 
lisées ? 


708  HISTOIRE   DES   ACCOUCHEMENTS 

Souvent,  dans  les  cas  embarrassants,  les  peuplades  sauvages  ont 
recours  aux  sorciers,  mais  ceux-ci  se  contentent  de  marmotter  certai- 
nes incantations  mystérieuses  qu'ils  accompagnent  de  coups  de  tam- 
tam  ;  c'est  un  moyen  d'agir  sur  l'imagination  de  la  femme.  Ils  ven- 
dent, en  outre,  le  plus  cher  possible,  des  sortilèges  dont  on  couvre  la 
patiente.  C'est  surtout  dans  les  cas  de  stérilité  que  les  Néo-Calédo- 
niennes  s'adressent  au  sorcier  ;  nous  avons  indiqué  quelques-unes  des 
pratiques  bizarres  usitées  chez  ces  lointaines  sujettes  de  notre  pays. 

Aux  Philippines,  les  sages-femmes  cherchent  à  mériter  le  litre  de 
mabutin  gilot,  bonne  accoucheuse,  en  annonçant  le  sexe  dès  les  pre- 
mières semaines  de  la  grossesse. 

Quand  les  Indiens  ont  recours  à  un  médecin,  lors  des  cas  graves,  ils 
n'oublient  jamais  de  le  payer,  dans  la  crainte  qu'il  ne  jette  un  sort  à 
la  parturiente  ;  mais  les  honoraires  ne  sont  pas  des  plus  brillants. 
Engelmann  nous  apprend  qu'au  Nord  de  Mexico,  le  médecin  reçoit, 
comme  la  sage-femme  Annamite,  un  lapin  ou  une  paire  de  poulets. 
«  L'on  voit  d'ici,  »  observe  Verrier,  «  la  figure  que  feraient  nos  grands 
accoucheurs  parisiens  dans  ce  pays».  Les  Comanches  ont  une  singu- 
lière façon  de  s'acquitter  envers  leur  médecin.  Le  Dr  Forwood  fut  ap- 
pelé auprès  d'une  femme  Comanche  en  1869,  et  l'opération  faite  : 
«  On  me  conduisit,  »  dit-il  (1),  «  à  la  tente  du  chef  où  après  beaucoup 
de  formalités,  on  me  fit  choisir  un  poney  ;  mais  comme  on  craignait 
que  le  pauvre  animal  ne  fût  bien  triste  loin  de  ses  compagnons,  on 
me  pria  de  le  laisser  rejoindre  la  troupe  des  autres  chevaux  et  de  le 
considérer  comme  mien;  il  ne  quitta  pas,  bien  entendu,  ses  compa- 
gnons ». 

Dans  l'île  de  Wallis,  au  nord-ouest  des  Navigateurs,  les  naturels 
n'ont  coutume  de  payer  les  médecins  indigènes  ou  autres  qu'en  cas 
de  guérison.  Cependant,  le  DPA.  Briquelot,  après  avoir  fait  une  appli- 
cation de  forceps  à  une  femme  qui  succomba  avec  son  enfant,  fut  fort 
étonné  de  voir  arriver  chez  lui,  quelques  jours  après,  le  mari  lui  appor- 
tant une  pièce  d'étoffe  de  pays,  de  70  pieds  de  long.  Après  avoir  remis 
son  cadeau,  il  se  retira  aussitôt  en  serrant  affectueusement  la  main 
du  docteur  et  sans  prononcer  une  parole.  La  délicatesse  et  la  recon- 
naissance de  ce  sauvage  pourraient  servir  de  leçon  à  bien  des  gens 
civilisés  de  notre  connaissance. 

(1)  Engelmann,  loe,  cit. 


IMPRIMERIE  LEMALE  ET  Cia,  HAVRE 


TABLE    ALPHABETIQUE 


Abipones.  533. 

Ablutions,  473. 

Accouchements.    Extraordinaires,    245. 

Simulés,    259.  Voies   anormales,   265. 

Post  mortem,  279. 
Accoucheurs,  176,  689,  694,  097,  698. 
Acupuncture,  585. 
Adam,  54. 
Adonis,  21. 
Aération,  216. 
Aétite,  200. 
Afrique,  191,  402. 
Agnus  Dei,  121. 
Ainos  Karafutos,  243. 
Albanie,  228,  567. 
Alcinène,  18. 
Alémona,  46. 
Algérie,  568,  577,  704. 
Allaitement,  221,  223,  462,  515,  568,  587, 

599,  605. 
Allemagne,  366,  373,  538,  540,  C95,  697. 
Amérique,  413,  419,  623. 
Amniomancie,  196. 
Amulettes,  475. 
Andamans,437. 
Anencéphales,  290. 
Angleterre,  365,  534,  536,  537,  694. 
Animation  du  fœtus,  134,  135. 
Animaux.  Mis  au  monde  par  des  femmes, 

24.",.  Donnant  le  jour  à  des  créatures 

humaines,  250. 
Annam,  155,  399,  402,  600,  704. 
Anneau  de  la  Vierge,  123. 
Anouké,  33 . 
Antilaiteux,  222. 
Antilles,  419. 

Apaches,  194,  421,427,  430,  632. 
Apollon,  15. 
Arabie,  164,  167,  168,  190,228,  385,  3S9, 

406,  452,  568,  574,  704. 
Arapahoes,  632. 
Araucanie,  681. 


Arawaks,  533. 

Ardra,  238. 

Arébo,  613. 

Ares,  9. 

Arménie,  236. 

Artémis,  15,  39. 

Asclépios,  21. 

Assyrs,  452. 

Astarté,  6. 

Astrakhan,  38  i. 

Athéna,  8. 

Australie,  437,  637. 

Autriche,  541,  698. 

Avortement,  134,  262,  464,  466,  478,  520, 

536,  538,  541,  543,  575,  577,  578,  600, 

607,  635,  638. 
Aymaras,  228. 
Aztèques,  190. 


r. 


Bacchus.  Voir  Dionysos. 

Banians,  580. 

Baptême,  136. 

Bari,  403. 

Basques,  532. 

Bastit,  33. 

Béchuanas,  238,  241. 

Belgique,  380,  554. 

Bénin,  23S,  613. 

Berceaux,   462,  472,  486,  509,  557,  558, 

559,  566,  625. 
Bermudes,  433. 
Birmanie,  193,  608. 
Blanche  Dumas,  329. 
Bois  de  vie,  81. 
Boissons  alcooliques,  194. 
Bolivie,  633. 
Bougo,  406,  620. 
Bornéo,  638. 
Boschimanes,  617. 
Botokudos,  439. 
Bbouddisme,  1. 


HISTOIRE    DES    ACCOUCHEMENTS. 


710 


TABLE    ALPHABETIQUE 


Bourouts,  560. 

Bouton,  G35. 

Brahma,  2,  23. 

Brahmanisme,  1. 

Brésil,  419,  439,  533,  633,  635. 

Bretagne,  47,  196,  240,  243,  501. 

C 

Cadre-bamac,   556. 

Cafrerie,  618. 

Calabar  (Vieux-),  406. 

Calédonie  (Nouvelle-),  193,437,637, 

640,  703. 
Californie,  430. 
Cambodge,  G07,  608. 
Canada,  415,  624. 
Canaries,  411. 
Candelifern,  46. 
Caraïbes,  228,  533. 
Carmentes,  46. 
Carolines,  190,  636. 
Castor,  17. 
Caucase,  560. 
Ceinture  de  la  Vierge,  125. 
Célèbes,  635. 
Centaures,  2S2. 
Céram,  436,  635. 
Chaises  obstétricales,  351,  355,  368, 

370,  371,  372,  382,  383,  3S4,  408. 
Chaitakis,  571. 
Chaktas,  533. 
Chang-Eng,  300,  318. 
Chavantes,  037. 
Chaykyes,  618. 
Chemise  de  la  Vierge,  123. 
Cheyennes,  632. 
Chimehwhuebes,  632. 
Chine,  155,  169,  193,  207,  240,  393, 

701. 
Chinooks,  228. 
Chipiouyans,  624. 
Chippeways,  425. 
Chirigans,  244,  533. 
Chiron,  23. 
Chrysaor,  10. 
Chypre,  351. 

Circoncision,  451,  452,  574. 
Cloche,  130. 
Coiffe,  196. 

Comanches,  238,  427,  430,  629,  708. 
Conception  pendant  les  règles,  163, 
Congo,  412,  533. 

Constantinople,  576.  Voir  Turquie. 
Constriction  du  ventre,  217. 
Convulsions,  240. 


6.38, 


369, 


Cordon  de  St-Josepb,  117. 
Cordon  ombilical,  61,  208. 
Cornes,  236. 
Corse,  532. 
Cosaques,  242. 
Côte  des  Esclaves,  612. 
Côte  d'Or,  612. 
Couvade,  218,  532. 
Couveuse,  186. 
Coyoteros,  194,  421. 
Creeks,  433. 
Cronos,  6. 
Cunina,  49. 
Cyclopes,  282,  286. 
Cynocéphale,  280. 
Cypriens,  533. 

D 

Danemark,  161,  700. 
Darfour,  404,  409. 
Dayaks,  638. 
Décima,  46. 

Déclaration  de  naissance,  519. 
Délivrance,  207,  459. 
Deus  Vagitanus,  49. 
Deverra,  47. 
Diane  Lucnfera,  48. 
Dictame,  200. 
Diémen,  636. 
Dionysos,  10. 

Divinités   invoquées  dans  les  accouche- 
ments, 30. 


E 


Eau  do  lis,  201. 

Eau  de  tête  de  cerf,  202. 

Echidna,  23. 

Ecosse,  162. 

Ectromèle,  333. 

Educa,  50. 

Egérie,  47. 

Egypte,  5,  240,  343,  389,  439,  568,  574, 

577,  701. 
Embryologie  sacrée,  133. 
Emeraude,  201. 
Emerillons,  034. 

Enseignes  des  sages-femmes,  650,  677. 
.Envies,  170. 
Erichtonios,  22. 
Esaii,  69. 

Esculape.  Voir  Asclépios. 
Espagne,  237,  532,  699. 
Esquimaux,  238,  C23. 
Esthonie,  557. 


TABLE    ALPHABETIQUE 


711 


Ethiopie,  439. 

Eve,  55,  59. 

Exorcisme,  131. 

Exposition  des  enfants,  478,  48?,  483. 

Ex  voto,  407. 


F 


Fabulinus,  50. 

Farinus,  50. 

Faunus,  49. 

Februa,  47. 

Fées,  485. 

Femmes  à  barbe,  1*1 

Fidjiens,  210. 

Fiel  d'anguille,  201. 

Fièvre  de  lait,  224. 

Finlande,  557. 

Finnois,  207,  3S3. 

Fluonia,  46. 

France,  354,  357,  361,  362,  485,  490,  501, 

502,  508,  520,  650,  689. 
Francs,  134. 
Fuégiens,  421,634. 


Gabon,  612. 

Galibis,  633. 

Gaulois,  31,  240. 

Géants,  310. 

Genita  Mana,  47. 

Géryon,  23. 

Ghauts,  579. 

Graisse  de  vipère,  201. 

Grèce,  6,  37,  155,  163,  165, 1S9,  192,  194, 
199,  207,  211,  221,  226,  228,  232,  346, 
351,  38i,  452,  459,  460,  464,  646. 

Groenlandais,  243. 

Gros-Ventres,  421,  626. 

Grossesse.  Simulée,  259.  Illusoire,  263. 

Guinée,  238,  615. 

Guyacurus,  635. 

Guy  ânes,  238,  533,  633. 

II 

Haïti,  23,  31,  632. 

Hanovre,  696. 

Harœri,  5. 

Hat-Hor,  33. 

Hawaï,  63S. 

Hébreux,  54,  71,  77,  163,  191,  341,  412. 

Hercule.  Voir  Héraclès. 

Hélène  et  Judith,  300,  316,  336. 

Héra,  9,  39,  259. 


Héraclès,  18. 
Hermaphrodites,  23,  311. 
Hollande,  380,  553,  097. 
Homme-chien,  281. 
Homme-tronc,  329. 
Honolulu,  C44. 
Horoscopes,  198. 
Horus,  G. 

Hottentots,  1G0,  239,  411,  615. 
Hydrocéphalie,  338. 


Ilithyia,  37. 

Inclusion  fœtale,  303,  306. 

Inde,  23,  30,  51,  343,  393,  578,  579,  580, 

583. 
Iutercidona,  47. 
Iphiclès,  18. 
Irlande,  161. 
Iroquois,  419. 
Isis,  5,  34. 

Italie,    188,  374,  543,  544,  547,  699. 
Ixora,  23. 


Jaooh,  09. 

Janiceps,  289. 

Japon,  23,   158,  207,  243,  394,  590,  701. 

Java,  435,  635. 

Jésus- Christ,  94. 

Jocabel,  71. 

Judas  Iscariote,  96. 

Julia  Kostroma,  281. 

Jumeaux,  70,  237,  238. 

Junon  Lucine,  41.  Voir  liera. 

Jupiter.  Voir  Zeus. 

Juventas,  50 

K 

Kabylie,  388,  452,  571. 
Kahoura,  621. 
Kaïomorts,  4. 
Kalmoucks,  210,  391. 
Kamtschatka,  207,  384,  500. 
Kazan,  557. 
Kerrie,  405. 
Kiowas,  432,  626. 
Kirghiz,  700. 
Klamaths,  193. 
Kootenais,  191,  430,  433. 
Krao,  283. 

L 

Laguna  Pueblo,  421. 


712 


TABLE    ALriIABETIOUE 


Lait  répandu,  2^3. 

Langue  de  caméléon,  202. 

Laoïsme,  i. 

Laos,  COS. 

Lao-Tsen,  4, 

Lapons,  169,  559. 

Latone.  Voir  Leto. 

Léda,   17. 

Leto,  14. 

Levana,  49. 

Lit  de  misère,  362,  3C3. 

Lilith,  81. 

Lit  génital,  353. 

Livonie,  242. 

Loango,  238,  413,  615. 

Lochies,  220. 

Locutius,  50. 

Longo,  406. 

Lucine,  41. 

M 

Madagascar,  190,  617. 

Madi,  404. 

Madras,  533. 

Magisme,  4. 

Maïas,  31. 

Maillot,  228,  471,  486,  509,  534. 

Maison   de    Notre-Dame,    à    Nazareth, 

122. 
Majeronas,  232. 
Malabar,  533. 
Malaisie,  435. 

Mamelles  supplémentaires,  287. 
Manteau  de  Saint-Martin,  115. 
Maroc,  568,  574. 
Marquises  (Iles),  227,  452,  640. 
Massage,  194,  591,  602,  626. 
Maternités,  522,  537,  540,  541,  557. 
Matuta,  49. 
Mena,  46. 
Mésopotamie,  567. 
Mexique,  160,  425,  708. 
Mexique  (Nouveau-),  421,  423. 
Micronésie,  437. 
Millie- Christine,  300,  324,  337. 
Minotaure,  23,  25. 
Missouris,  415. 
Modocs,  429. 
Moluques,  190,  436,  630. 
Mongols,  391. 
Monocoles,  282. 
Monstres,  23,  245,  335,  338. 
Monténégro,  562. 
Montescas,  435,  614. 
Moru,  i06. 


Morvan,  531. 

Moscou,  557. 

Mossoul,  384. 

Mout-em-ouat,  33. 

Moxos,  633. 

Musulmans,  168,  170,  180,  207,  384,  152, 

568,  575. 
Myrrha,  21. 
M'zabites,  574. 


N 


Nains,  310. 

Naissances.  Tardives,  178.  Précoces,  185. 

Multiples,  256. 
Natis,  47. 
Nefté,  6. 

Négritas,  435,  644. 
Neith,  33. 
Nekhab,  33. 
Nez-Percés,  421. 
Nixi  Dii,  47. 
Nœfoures,  636,  638. 
Nogaïs,  560. 

Nombril  d'Adam  et  d'Eve,  58. 
Nona,  46. 
Nornes,  47. 

Notre-Dames.  Voir  Sainte*. 
Nourrices,   71,  222,  243,  463,   476,  506, 

515. 
Nouveau-nés,   225,    226,   232,   239,  252 

27  i. 
Nouvelle-Grenade,  439. 
Nouvelle-Guinée,  636. 
Nouvelles-Hébrides,  638. 
Nubie,  389,  618. 
Nuka-Hiva,  641. 
Numeria,  47. 
Nundina,  50. 
NyamsNyams,  295,  619. 

O 

Obstétrique.  Mythologique,  1.  Biblique, 

54.  Catholique,  81. 
Océanie,  210,  434,  635. 
Œufs  pondus  par  des  femmes,  250. 
Ohio,  629. 

Ompbalomancie,  208. 
Onitcha,  412. 
Opération  césarienne,  11,  21,  148,  270, 

275,  622. 
Opigena,  46. 
Opis,  49. 
Orénoque,  432. 
Orion,  21. 


TABLE   ALPHABETIQUE 


713 


Osiris,  5. 
Ossipaga,  46. 
Ostraks,  561. 
Ottawas,  425. 
Ouatatourous,  615. 
Ounyoro,  407. 
Ouranos,  6. 
Oyatupis,  634. 


Faillites,  155. 

Panama.  607. 

Papagos,  193. 

Paraguay,  635. 

Parque?,  47. 

Parsis,  580. 

Partula,  46. 

Patagons,  632. 

Pawnees,  424. 

Payaguas,  635. 

Peaux-Rouges,  425,  629,  634. 

Pégase,  10. 

Peigne  de  la  Vierge,  130. 

Pékin,  588. 

Penimonees.  433,  626. 

Pensylvanie,  415,  419. 

Pérou.  418,432. 

Perse,  390,  444,  577,  580. 

Pesées  des  nouveautés,  235. 

Phénicie,  6. 

Philippines  (Iles',  i34,  435,  644,  708. 

Phinéès,  71. 

Phocomèle,  334. 

Pierre  d*aigle.  Voir  Aêtite. 

Pierre  d'aimant,  201. 

Pilummis,  47. 

Plume  d'aigle,  201. 

Pollux,  17. 

Polynésie,  437. 

Polyphème,  26. 

Pont-Kuxin,  533. 

Portugal,  699. 

Portuta,  47. 

Postures  prises  pendant  l'accouchement, 

343. 
Postverta,  47. 
Potina,  50. 

Poudre  de  la  reirie,  \îo  1 . 
Préjugés,  154,  176,  178,  221,  225. 
Prépuce  de  Jésus-Christ,  450. 
Prières.  Voir  Saints  et  Saintes. 
Promeneuse,  556. 
Prorsa,  47. 
Puebla,  625. 


Quanwon,  23. 
Quenevadi,  23. 


B 


Raohel,  70. 

Rébecca,  69. 

Régime  alimentaire,  214. 

Rele  vailles,  132. 

Reliques,  121. 

Rhéa,  G,  7. 

Rhinocéphales,  290. 

Rio-Nunez,  452. 

Rita-Christina,  300,  322. 

Rome,  40,  159,  180,  196,  221,  222,  240, 

241,  270,  352,  452,  466,  64S. 
Roucouyens,  433,  634. 
Humilia.  49. 
Russie,  193,  207,  224,  234,  557,  700. 

S 

Safran,  201. 

Sages-femmes, 71,  177,  188,  199,  593,  603, 
646,648,650,694^695,698,699,700,701, 
704. 

Saignée,  205. 

Saintes.Anne,  81.  Marie,  89.  Elizabeth,  89. 
Félicité.  97.  Marguerite,  98.  Notre- 
Dame  de  Mont-Serrat,  107.  Notre- 
Dame  de  l'Habit,  109.  Notre-Dame  île 
Chartres,  109.  Notre-Dame  de  Liesse, 
109.  Notre-Dame  de  Lorette.  111. 
Notre-Dame  des  Victoires,  112.  Bri- 
gide.  112.  Honorine,  112.  Livrade,  112. 
Marie  d'Oignies,  113. 

Saint-Louis-de-Potosi,  425. 

Saint-Pétersbourg,  557. 

Saints.  Nicolas,  96.  Christophe,  97,  114. 
Dominique,  97.  Drausin,  97.  François- 
d'Assise,  97. 115.  Oyan.  113.  Hyacinthe, 

114.  Greluchon,  114.  Guignolet,  114. 
Prix,  114.  René,  114.  Gilles,  114. 
Arnault,  114.  Urbic,  115.  Renaud,  115. 
Barthélémy,  115.   Nerlin,  115.  Martin. 

115.  Bernard,  115.  Ignace,  115. 
Thomas  d'Orvieto,  116.  Raymond  de 
Penafort,  116.  Dominique  d'Osuia.  116. 
Bouaventure,  116.  Robert,  116.  Udault, 

116.  André,  116.  Joseph,  117.  Charles 
Borromée,  118.  François  de  Sales,  118, 
Etienne,  122. 

Samoyèdes,  558. 

Sandwich  (Iles),  437,  643,  707. 


714 


TABLE    ALPHABETIQUE 


Sara,  77: 

Satyres,  27,  282. 

Scandinavie,  31,  47. 

Schulis,  408. 

Sciapodes,  282. 

Seins,  224. 

Sémélé,  11. 

Sénégal,  411,  611. 

Sentinus,  46. 

Sepher  Tora,  80. 

Serpents.  202,  224. 

Sexe  de  l'enfant,  163,  165. 

Siam,  194,  399,  608. 

Sibérie,  557. 

Sicile,  207,  212,  547. 

Simulation,  259. 

Sintoïsme,  4. 

Sioux,  191,  419,  421.430. 

Sirènes,  27,  282. 

Siva,  3. 

Solvizona,  41. 

Somalis,  409. 

Sommeil,  213. 

Sonde  (Iles  de  la),  635. 

Sorcières,  160. 

Sotoktais,  5. 

Soudan,  389,  619. 

Soven,  33. 

Statanus,  50. 

Succussion  hippocratique,  347. 

Suède,  161,  173. 

Suisse,  699. 

Sumatra,  635. 

Superfétation,  18 

Surinam,  533. 

Sylvain,  47. 

Syrie,  389,  568. 


Tadjiks,  562. 

Tahi tiens,  208,  210,  437,  644. 

Tartares,  391,  533. 

Têtes-Plates,  228. 

Thamar,  72. 

Timor,  635. 

Tocci,  328. 


Tonkawas  421. 

Tonquin,  608. 

Tranchées,  218,  225. 

Travail,  190,  199. 

Trouangues,  634. 

Tunisie,  570. 

Turquie,  216,  240,  384,  563,  575,  70  i 

Typhon,  6. 

U 

Uganda,  210,  410,  620. 
Umpquas,  421,  631. 
Unitah  Valley,  428,  135. 
Uranus.  Voir  Ouranos. 
Uruguay,  637. 
Uterina,  47. 


Vandales,  511. 
Vénétie,  544. 
Venus  Genitrix,  46S. 
Vermont,  415. 
Vichnou,  2. 
Visigoths,  131. 
Viti,  638. 
Vitumnus,  46. 
Volas,  31. 

W 

Wakambas,  109. 
Wallis,  437,  7U8. 
Wanikas,  410,  620. 


Yakouts,  560. 
Yorkshire,  535. 


Zemez,  31. 
Zeus,  8,  9. 
Zoroastre,  4. 
Zoulous,  615. 


ERRATA  : 

Tage  111,  ligne  8,  au  lieu  de  ;  1C67,  lisez  1687. 
Page  384,  ligne  3,  au  lieu  de  ;  Astrakan,  lisez  Astrakhan. 
Page  433,  ligne  7,  au  lieu  de  :  Kootewais,  lisez  Kootenai?. 
Page  632;  ligne  18.  au  lieu  de:  Araphahoes,  lisez  Arapahoes, 


HISTOIRE 

DES 

ACCOUCHEMENTS 

CHEZ  TOUS  LES  PEUPLES 


APPENDICE 


L'ARSENAL     OBSTETRICAL 


IMPRIMEEIE  LEMALE  ET  Cie,  HAVRE 


HISTOIRE 

DES 

ACCOUCHEMENTS 

CHEZ  TOUS  LES  PEUPLES 


APPENDICE 


L'ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


G.-J.  WITKOWSKI 

DOCTEUR    EN    MÉDECINE    DE    LA     FACULTÉ    DE    PARIS 
OFFICIER    D'ACADÉMIE 


PARIS 
G.    STEINHEIL,    ÉDITEUR 

2,  ECE  CASIMIK-DELAYIG^E,   2 


L'ARSENAL  OBSTÉTRICAL 


(i) 


Les  instruments  employés  en  obstétrique  sont  innombrables  ; 
chaque  jour  on  en  invente  de  nouveaux,  utiles  quelquefois,  le  plus 
souvent  superflus.  «  Jadis,  dit  Pajot,  le  médecin  allait  à  un  accou- 
chement portant  une  trousse  ;  maintenant  c'est  une  boîte  ;  bientôt, 
si  cela  continue,  il  faudra  une  armoire  (2).  »  L'armoire  serait  peut- 


Fig.  1.  —  Trousse  obstétricale  du  professeur  Pajot. 


(1)  Nous  reproduisons  en  entier  YArmamcntarium  LueintB  novvm  de  H.  Kilian; 
nous  adressons  tous  nos  remerciements  à  la  famille  de  cet  éminent  praticien, 
qui  a  bien  voulu  nous  y  autoriser.  Nous  remercions  aussi  le  professeur  Wasseige, 
de  Liège,  qui  nous  a  permis  de  faire  de  nombreux  emprunts  à  son  ouvrage  sur  les 

Opérations  obstétricales,  Decq  et  Lecrosnier,  éditeurs . 

(2)  Le  professeur  Pajot,  prêcbant  d'exemple,  a  fait  construire  par  M.  Cb.  Dubois, 
une  trousse  obstétricale  (fig.  1)  qui  contient,  sous  le  plus  petit  volume,  tous  les  instru- 
ments d'urgence  :  forceps,  crochet,  perce-crâne,  trocart,  embryotome,  tube  laryngien, 
sonde  uréthrale,  serres-fines,  porte-cordon  en  caoutchouc  durci,  moulin  à  ergot,  une 
paire  de  ciseaux  ;  seul,  le  céphalotribe  nécessite  une  gaine  spéciale,  mais  le  cons- 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  2,  3.  —  Trousse  obstétricale  de  Galante. 

tructeur  ne  désespère  pas  de  le  faire  tenir  dans  la  trousse,  en  coupant  en  deux 
chaque  branche,  comme  M.  Pajot  l'a  fait  pour  le  forceps.  La  trousse  obstétricale 
du  professeur  Pajot  est  beaucoup  plus  portative  que  toutes  les  autres  (fig.  2,  3). 


CLASSIFICATION 


être  nécessaire;  aussi  ne  pouvons-nous  songer  à  sortir  tout  cet  atti- 
rail pour  le  faire  passer  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs.  Nous  ne  leur 
exhiberons  que  les  pièces  principales  ;  la  quantité  en  est  encore  si 
respectable  qu'il  faudra  nous  borner  à  les  reproduire  sans  en  donner 
la  description. 

Nous  avons  divisé  en  trois  classes  tous  les  appareils  et  les  instru- 
ments utilisés  en  obstétrique  : 


I.  —  AVANT  L'ACCOUCHEMENT 

1°  Hygiène  et  pathologie  de  la   grossesse  :  Corsets  et 
Ceintures. 

2°  Exploration  :  Stéthoscopes,  Spéculums,  Mannequins,  Pelvi- 
■rnètres,  Cliséomètres,  Pelvigraphes. 

3°  Accouchement  prématuré  artificiel  et  avortement 
provoqué  :  Trocarts,  Excitateurs  utérins,  Dilatateurs,  Pinces  à 
faux  germe. 


IL  —  PENDANT   L'ACCOUCHEMENT 

1°  Pour  la  mère  :  Chaises  obstétricales,  Appareils  anesthésiques, 
Métrotomes. 

2°  Pour  le  fœtus  :  (Avant  l'extraction),  Perce-membranes, 
Porte-cordons,  Porte-lacs,  Appareils  pour  administrer  le  baptême 
intra-utérin;  (Pour  l'extraction  par  les  voies  naturelles,  sans 
mutilation)  :  Crochets  mousses,  Frondes,  Filets,  Sericeps,  Ventouses, 
Leviers,  Forceps  ;  (Pour  l'extraction  par  les  voies  naturelles,  avec 
mutilations),  Crochets  pointus  ou  tranchants,  Perforateurs,  Tire-têtes, 
Crâniotomes,  Céphalotribes,  Pinces  à  os,  Crânioclastes,  Embryolomes  ; 


8  ARSENAL  OBSTÉTRICAL 


(Pour  l'extraction  par  les  voies  artificielles),  Instruments  servant  à 
V opération  césarienne  et  à  la  symphyséotomie. 


III.  —  APRES  L'ACCOUCHEMENT 

1°  Pour  la  mère  :  Serres-fines,  Aiguilles  à  sutures,  Appareils 
contre    les    hémorrhagies,    Transfuseurs,    Sondes   pour    injections 
intra-utérines. 

2°  Pour  les  nouveau-nés  :  Tubes  laryngiens,  Instruments 
pour  le  filet,  Couveuses,  Tubes  à  gavage,  Pesons  et  Balances  pèse- 
bébés. 


I.  —   INSTRUMENTS   UTILISES   AVANT   L'ACCOUCHEMENT 


1°  —   HYGIÈNE   ET   PATHOLOGIE    DE    LA   GROSSESSE 


Corsets  et  ceintures. 


Fig.  4. —  Cor?et  de  grossesse. 


Fie.  h. —  Ceinture  de  grossesse. 


Fig.  6. —  Ceinture  contre  l'éc'artement  de  la 
ligne  blanche. 


Fig.    7. —  Ceinture  pour  remédier  au  relâchement 
des  symphyses. 


10 


ARSENAL     OBSTÉTRICAL 


Fig.  8.—  Ceinture  contre  l'éventration  complète. 


F 


Fig.  6,  10.  —  Ceinture  contre  l'antéversion  de  l'utérus,  pendant  la  grossesse. 


CORSETS   ET   CEINTURES 


11 


e,|\D0UREAU 


Fio.  11.  —  Ceinture  eutocique  du  Dr  Pinard.  Elle   a  pour  but  de  maintenir  le  fœtus  dans  une  présentation  normale, 
après  avoir  ramené  la  tête  au  niveau  de  l'aire  du  détroit  supérieur,  par  des  manœuvres  externes. 


Fio.  12,  13.  —  Ceinture  eutocique  de  Pinard,  appliqué 


12 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


2°  —    EXPLORATION 

Stéthoscopes.  —  Métroscopes. 


Fio.  14.—  Stéthoscope  de  Depaul.         Fig.  15. —  Stéthoscope  de  Pajot  (1).        Fig.  16. —  Stéthoscope  de  Pinard. 


o 


Fig.  17. —  Vaginoscope  de  Routh. 


Fig.  18.  —  Métroscope  de  Nauche  destiné  à  ausculter  la 
portion  vaginale  de  l'utérus. 


(1)  Stéthoscope   pour  l'enseignement  obstétrical.  Plus  il  est   court,  moins  il   bascule.  Pour  le 
médecin  exercé  le  choix  de  l'instrument  est  insignifiant.  (Pr.  Pajot.) 


SPECULUMS 


13 


Spéculums. 


Fio.  19,  20,  21.  —  Spéculums  trouvés  dans  les  ruines  de  Pompéi  (1). 


c: 


m 


0 


Fis.  22.  —  Spéculum  d'Albueasi?,  ayant  la  forme  de  la 
presse  qui  sert  aux  relieurs,  d'après  le  dessin  informe 
des  copistes  arabes. 


Fig.  23.  —  Le  môme  spéculum,  tel 
qu'il  devait  être. 


(1)  Le»  anciens  utilisaient  souvent  les  spéculums  dans  les  accouchements,  surtout  pour  l'extrac- 
tion des  débris  du  fœtus. 


14 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


Fig.  24.  —  Autre  spéculum  d'Albucasis,  d'après 
les  copistes  arabes. 


Vig.  25.  —  Le  même  spéculum  tel  qu'il 
devait  être  (1). 


Fig.  26.  —  Autre  modèle  de  spéculum  d'Albucasis. 


Fig.  27.  —  Spéculum 
matricis  de  Rueff. 


Fig.  28. —  Apertorium 
de  Rueff. 


(1)  Figures  23  et  25    tirées  de  La  Chirurgie  d'Albucasis,  traduction  du  Dr  L.  Leclerc,  chez 
J.-B.  Baillière  et  fils. 


SPECULUMS 


Fig.  29-32.—  Spéculums  ouverts  et  fermés  employés  du  temps  d'A.  Paré  (1). 


Fiq.  33-35.  —  Dilatatoires  à  deux  et  à  trois  branches 
employés  du  temps  de  Mauriceau. 


Fig.  36.  —  Spéculum  en  buis  de  Récamier,  ser- 
vant à  protéger  les  parois  du  vagin  pendant 
la  décollation  à  la  ficelle  ou  à  la  chaîne  (2). 


(1)  Franco  a  représenté  dans  son  édition  de  1561  un  spéculum  analogue  et  dont  il  recommande 
l'uBage  pour  l'extraction  de  l'arrière-faix. 

(2)  Tous  les  autres  spéculums  peuvent  être  employés  soit  pour  s'assurer,  dans  les  cas  douteux, 
que  la  poche  des  eaux  est  rompue,  soit  pour  diriger  les  instruments  dans  l'accouchement  prématuré. 


16 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Mannequins  et  bassins  artificiels 


Fig.  37.  —  Bassin  artificiel  de  Fabri,  de  Bologne,  modifié  par  Joulin,  pour  simuler  les  rétrécissements 

du  détroit  supérieur. 


Fig.  38.  —  Bassin  artificiel  en  fonte  avec  plaque  du  sacrum_mobile,  de  Tarnier.  Modèle  Mathieu. 


MANNEQUINS   ET   BASSINS   ARTIFICIELS 


17 


Fig.  39.  —  Mannequin  obst.Hrical  de  Budin  et  Pinard. 


Fie.  40-42.  —  Différentes  pièces  du  mannequin  précédent. 

H1ST.    DES   ACC.;      ARSENAL    OBSTÉTRICAL. 


18 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fig.  43.  —  Nouveau  mannequin  obstétrical  de  Budin  et  Pinard. 


Pelvimètres.  —   Cliséomètres.  —  Pelvigraphes. 


ô 


Fig.  44-51.  —  Telvimèlres.  —  1,  2,  3,  4,  5,  Slein.  —  C.  Coutouly.  —  7.  Compas 
d'épaisseur  de  Baudelocque.  —  8,  a,  b,  c.  Koppe. 


Fig.  62.—  Pel- 
Timètre  d'Ait- 
kcn. 


PELVIMÈTRES 


19 


FlG.  53-60.  —  Pelvimètres.  -  1.  Jumelin.  -  2.  Aitken.  —3.  Stark.  -  4.  Kurzwich. 
—  5.  Crevé.  —  6.  Pelvimètre  digital  d'Asdrubali.   —  7.  Siméon. 


l^J 


Fig.  61.  —  Pelvi- 
mètre externe  ou 
compas  d'épaisseur 
de  Chaussier. 


Fig.  62-70.  -  Pelvimètres.  -  1,  a,  b,  c.  Wigand.  -  2,  a,  b.  Salomon.  -  3,  a,  b.  Desberger, 
—  4,  a,  b,  c,  d.  Kluge. 


20 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fig.  71-77.  — Pelvimètres.  —    1.  Pclvigraphe  Martin.  —  2,  3.  Ritgen.  —  4.  îlmc  Boivin. —  5.  a,  b,  r.  WellenbergL 


Fie.  78.  —  Pelvim'ètre  universel  de  Van  Iluevel. 


PELVIMETRES 


21 


Fig.  79-83.  —  l'elvimètres.  —  1,  2.  Van  Huevel  modifié. —  3.  Beck. —  4.  Osiander-Kilian.  —  5.  Kiwisch. 


Fiq.  84-87.  —  Pelvimètre  interne         Fig.  S8.  —  Pelvimètre 
de  Ritgen.  articulé  de  E.  Hubert 

de  Louvain. 


Fig.  89.  —  Compas  d'Amand  (l). 


(1)  Wasseige,  loe.  cit. 


22 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fig.  90,  91.  —  Pelvimètre  de  Wasseige. 


F'.o.  92.—  Pelvimètre  de  Rizzoli  (1).    Fig  .  93.—  Pelvimètre  de  Fergusson  (1).    Fig.  94.  —  Pelvimètre  de  Lumley  Earle  (1). 


(1)  Catalogue  and  report  of  obstétrical  and  other  instruments  exhibited  at  the  conversazione 
of  the  obstétrical  society  of  London. 


PELVIMETRES 


23 


[nliillm^SiiJnilmllIll 


Fio.  95,  96. —  Pel 'imètro  de  Schultze. 


FlO.  98.  —  Pelvimctro  de  Lazarewitch. 

(1)  V.  note  page  22. 


g.  97.  —  Polvîmètre  de  Grcenhalgh  (1). 


Fig.  99.  —  Pelvimètrel'de 
Howitz,  do  Copenhague. 


24 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


Fig.  100.  —  Compas  pelvimètre  de  Charrière. 


Fig.  101.  —  Autre  compas  de  Charrière. 


Fio.  102.  —  Pelvimètre  Depaul,  modèle  Mathieu.  Fig.  103.  —  Pelvimètre  Depaul,  modèle  Aubry. 


PELVIMETRES 


25 


Fie  104.  —  Pelvimètre 
interne  de  Collin. 


Fig.  105.  —  Pelvimètre         Fig.  106.  —  Pelvimètre        Fio.  107.  —  Compas  do 
externe  de  Collin.  interne  et  externe  de  Stanesco. 

Collin,  dernier  modèle. 


Fig.  108.  —  Compas  crâniomètre  et  pelvimètre  de  Budin. 


26 


ARSENAL     OBSTÉTRICAL 


Fig.  109.  —  Pelvimètre  de  Kustner. 


Fig.  110. —  Pelvimètre  de  Crouzat,  1881. 


PELVIMETRES 


27 


i»i 


/; 


\  \ 


Fïg.  112. —  Cliséomètre  da  M.  Dumas,  destiné  à  la 
mesure  de  l'inclinaison  du  détroit  supérieur  (1). 


Fig.  113,  114.  —  Cliséomètres.  —   1.  Stein. 
—  2.  Osiander. 


(I)  Wasseige,  loc.  cit. 


28 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fie  115.  —  Goniomètre  de  Verrier  pour  mesurer 
l'inclinaison  des  plans  du  bassin. 


Fie  11G.  —  Pelvigraplie  de  Guillery  (1). 


Fig.  117. —  Appareil  de   Polaillon  pour  étudier  les  contractions  utérines  pendant  l'accouchement. 


(I)  "Wasseige,  loc.  cit. 


TROCARTS    ET   POMPES   ASPIRATRICES 


29 


3° — ACCOUCHEMENT   PRÉMATURÉ    ARTIFICIEL   ET   AVORTEMENT  PROVOQUÉ 


Trocarts  et  pompes  aspiratrices. 


Fig.  118-122.  —  3.  Trocart  de  Wenzel  ou  de   Messner.   —  A.  Trocart  et  sonde  aspiratrice  de  Ritgen. 
—  5.  Pompe  aspiratrice  de  Kluge.  —  6,  7.  Trocart  de  Kilian. 


Q^-^-ct;^i.i«...J)>U»j-tTTTt(~ 


=^> 


Fig.  123-124.—  Long  trocart  et  canule  de  Radford. 


30 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Excitateurs  utérins. 


Fig.  125. —  Excitateur  utérin 
de  Hyernaux  (1). 


=SflWODREWl= 

Fig.  126.  —  Grand  irrigateur  Eguisier  pour  douches  utérines. 


Fig.  127.  —  Appareil  à  douches  utérines  d'eau  chaude,  de  Kiwisch. 
(1)  Wasseige,  loc.  cit. 


DILATATEURS 


31 


Dilatateurs. 


Fig.  128.  —  Tige  de 
laminaria. 


Fig.  129.  —  Cône  d'épongé  préparée, 
pour  dilater  le  col. 


Fig.  130.  —  Porte-éponge 
de  Maw, 


Hp-.  -~^#^ 


Fig.  131. —  Porte-éponge  de  Barne? 


32 


ARSENAL     OBSTÉTRICAL 


Fig.  132.  —  Sonde  de 
Van  Huevel  pour  dé- 
coller les  membranes 
par  l'eau  (1). 


FiG.  133.  —  Dilatateur  de 
Devilliers,  1S47.  Sonde 
à  double  courant  recou- 
verte d'un  petit  sac  de 
baudruche  (1). 


Fig.  134,  135. —Dilatateur 
en  forme  de  sablier  de 
Barnes  Robert  (2). 


Fig.  136.—  Colpeu- 
rynter  de  Braun. 


Fig.  137-140.  —  Dilatateur  intra-utérin  de  Tarnier.  A.  Conducteur.  —  B.  Tube  en  caoutchouc.  —  C.  Douille  à 
robinet  destinée  à  recevoir  la  canule  d'une  seringue  à  injections.  —  A.  A.  Ressorts  servant  à  arrêter  le  fil  f. 
■ —  B.  Extrémité  dilatable  du  tube  en  caoutchouc.  —  f.  Fil  destiné  à  fixer  le  tubo  sur  le  conducteur. 

(1)  Wasseige,  loc.  cit. 

(2)  Journal  médical  d'Edimbourg,  juillet  1862. 


DILATATEURS 


33 


Fig.  141-143.  —  Dilatateur  de  Tarnior. 
premier  essai. 


Fig.  144,  145. —  Instrument  de  Tarnier, 
modifié  par  Mathieu. 


HIST.    DES    ACC.;     ARSENAL    OBSTÉTRICAL. 


34 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fig.  146.  —  Pelote  dilatatrice 
de  Mathieu,  avec  soupape 
automatique  remplaçait  ie 
robinet. 


y 


Fig.  147,  148.  —  Instrument  de  Pajot 
pour  la  provocation  de  l'accouche- 
ment. Tube  de  caoutchouc  ayant 
Bon  extrémité  supérieure  dilatable 
et  s'adaptant  à  une  canule  conduc- 
trice en  métal  (1). 


Fig.  149.  —  Double  ballon  dilatateur  de  Chassagny,  1876. 


(1)  M.  Pajot  'se  sert  aujourd'hui  d'une  simple   sonde  en    caoutchouc  [qui  agit  comme  corps 
étranger  de  l'utérus  et  en  provoque  les  contractions. 


PINCES    A    FAUX-GERME 


35 


Fig.  150.  —  Appareil  de  Poullet  pour 
l'accouchement  prématuré,  fermé 
prêt  à  être  introduit. 


Fig.  151.  —  Même  appareil  ouvert,  fixé  dans  le  col. 


Pinces  à  faux-germe. 


Fig.  152-155.  —  Pinces  à  faux-germe,  —  6.  Levret.  —  7.  Boer. 
—  8.  Forceps  do  Kilian  pour  l'extraction  des  foetus^  avant 
terme.  —  9.   Pince    à  faux-germe  de  Luer. 


Fig.  156.  -   Pince 
Levret,  à  pivot. 


Fig.  157.  —  Pince 
Levret,  à  point 
d'arrêt. 


36 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


Fig.  168.  —  Pince  Fig.  159.  —  Pince  à  cré- 

de  Simpson.  maillère  de  Charrière. 


Fig.  lfiO,  161.—  Pince 
rotation,  de  Ward. 


Fig.  162.  —  Pince  de 
Radford. 


Fig.  163.  —  Pince  à  fauï-germe,  à  branches  croisées  et  contre-croisées,  do  Pinard. 


CHAISES   OBSTETRICALES 


37 


Fig.  l#i,  165.  —  Pinces  de  Mathieu. 


L.q. 


Fio.  166.  —   Curette  articulée  de  Pajot. 


II.   —   INSTRUMENTS   UTILISES   PENDANT   L'ACCOUCHEMENT 
lo —  POUR   LA  MÈRE 

Chaises  obstétricales. 

■S 


Fi»,  167.  —  Chaise  de  Roeslin  (Eucharius  Rhodion),  1532.  Fio.  168.  —  Autre  modèle  du  môme  auteur. 


38 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  169.  —  Chaise  avec  draperie  de  Rueff, 
de  Zurich,  1554. 


Fig.  170.  —  Tabouret  de  Savonarole,  employé 
autrefois  en  Grèce  et  en  Italie. 


Fie.  171.  —  Appareil  en  bois  en  usage  autrefois  au 
Japon  pour  soutenir  les  femmes  en  couches. 


Fig.  172.  —  Siège  employé  autrefois  à  Chypre. 


Fig.  173. —Chaise  de  Deventer,  1701. 


CHAISES    OBSTETRICALES 


39 


Fig.  174.  — Lit  de  camp  pour  accoucher  les  femmes  de  Jacques  M<)=  ,ard,  1753. 


Fjg.  175.  —  Chaise  de  Hcister,  1770 


40 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  176.   —  Autre  chaise  de  Heister. 


Fie.  178.  —  Chaise  de  Stark,  1791. 


CHAISES   OBSTÉTRICALES 


41 


Fig.  179.  —  Chaise  de  Steia,  1805 


Fie.  180.  —  Chaise-lit  de  Stein. 


42 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


-'-Wk-^ 


Fig.  181.  —  Chaise  utilisée  en  Syrie. 


^  ■■■•:  +rpi<^ 


Fig.  182.—  Chaise  à  charnières,  en  usage  à 
Constantinople,  1887. 


Fig.  183.  —  Même  chaise  fermée  pour  la  J 
rendre  plus  portative. 


CHAISES   OBSTETRICALES 


43 


Fig.  184.  —  Lit  obstétrical  contrôleur  de  Chassagny  (1). 


(1)  La  malade  repose  sur  un  appareil  PP  composé  de  divers  plans  inclinés  sur  lesquels  elle  est 
placée  dans  la  position  obstétricale.  Cet  appareil  ne  repose  que  sur  deux  axes  AA'  fixés  dans  les 
pieds  antérieurs  du  lit,  axes  sur  lesquels  il  pivote  comme  le  tiéau  d'une  balance.  Ces  axes  sont 
placés  de  telle  manière  que  la  ligne  fictive  qui  les  réunit  traverse  le  bassin  dans  sa  partie  centrale. 
Cette  ligne  est  représentée  par  la  ligne  pointée  AA',  de  telle  manière  que  la  malade  pivote  en 
réalité  comme  si  ces  axes  étaient  plantés  dans  la  partie  moyenne  de  ses  os  iliaques.  Pour  com- 
penser l'inégalité  des  poids  des  parties  qui  sont  à  droite  et  à  gauche  des  axes  AA',  l'extrémité  P 
de  l'appareil  fait  mouvoir,  en  s'élevant  et  en  s'abaist-ant,  le  levier  LL'.  Sur  ce  levier  court  une 
caisse  C,  renfermant  des  poids.  On  fixe  cette  caisse  au  point  où  elle  maintient  le  levier  dans  la 
position  horizontale  LL',  de  telle  façon  que  lorsque  le  point  P  s'abaissera,  il  fera  lever  le  levier 
et  lui  donnera  la  position  L"  ;  en  s'élevant,  elle  l'abaissera  et  le  mettra  dans  la  position  L'".  Deux 
tiges  TT  s'abaissent  pendant  l'application  du  forceps  et  se  relèvent  pendant  la  traction  pour 
s'appuyer  contre  la  traverse  antérieure  du  lit  et  fournir  un  point  d'appui  au  tracteur  T'.  Ce  lit  est 
un  instrument  de  contrôle  par  ce  fait  que  la  malade  reste  immobile  tant  que  les  tractions  sont 
exercées  dans  l'axe  du  bassin  et  que  les  oscillations  qu'elle  subit,  par  suite  de  l'excentricité  de  la 
traction,  sont  enregistrées  et  mesurées  par  le  dynamomètre  D. 


44 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Appareils  anesthésiques. 


Fia.  185-187.  —  Appareil  du  Dr  Budin,  pour  l'administration  du  chloroforme. 


Fig.  188.  —  Anneau  de  Guyon  pour 
tenir  la  compresse. 


Fig.  189.  —  Inhalateur  à  chloroforme  pour 
accouchements,  de  Sansom. 


Fig.  190.  —  Appareil  de  Skinner. 


APPAREILS   ANESTHÉSIQUES 


45 


Hystérotomes. 


Fie  191.  —  Utéro-stoma- 
tome  de  Coutouly. 


Fig.  192.  —  Ciseaux        Fig.  193.  —  Ciseaux  de  Pajot 
hystérotomes    de  pourle  débridement  du  col. 

Sims. 


Fig.  104.  —   Ciseaux  de 
Kuchenmeisler. 


u 


Fio.  195.  — Ilystérotorae  d'Aveling. 


Fig.  196,  197.  —  Métrotome  de  Barnes. 


46 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


"A./: 


Fig.  198. —  Hystérotome  de  Simpson. 


Fig.  199-200.  —  Mélrotome  de  Greenhalgh. 


Fig.  201.  — Bislouri  articulé  dû  Simpson. 


Fig.  202.   —  Ciseaux  hystérotomes  s'inclinanl  à  tous  les  degrés,  de  Smith. 


HYSTEROTOMES 


47 


2°  —  pour  le  fœtus  [Avant  l'extraction) 
Perce-membranes. 


Fig.  203-216.  —  Perce-membranes.   1.  Justine  Siegemundin. —  2.  Fried.  —  3.  Fried-Rôderer.  Fig.  217. —  Ongle 

—  4.  Osiander.  —  5.  Aitken.  —   6.  Lôffler.  —  7.   Stein.  —    8.  Osiander-Steir.  —  9.  Osian-  chirurgical  du 

der.  —  10.  Carus. —  11.  Siebold.  —  12.  Busch.  —  13.  Niemeyer 14.  Kiliar..  Dr  Motais. 


Appareils  pour  administrer  le  baptême  intra-utérin. 


Fil.  218.  =  Seringue  à  baptême  de  Mauriceau. 


c'io.  219.  —  Instrument  de  Verrier. 


48 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Fio.  220.  —  Le  manche  du  levier  d'Herbiniaux  (fig.  III),  forme  !e  canon  d'une  seringue,  muni  de  son  piston  (fig.  V), 
et  sur  lequel   se  visse  une  canule  (fig.  IV)  pour  donner  le  baptême. 


Porte-cordons  et  porte-lacs  pour  la  version. 


Fig.  221.  ■ —  Impelleus  ou  repoussoir  d'Albucasis. 


ft  €    ,/.  I  V  < 


J 


Fio.  222. Re-  Fig.  223-235.  —  Porto-cordons  et  porte-lacs.  —  1.  Justine  Siegemundin.  —  2,  3,  a,  b.  Pugh. 

poussoir  de  J.  —  4.  Walbaum.  —  5,    a,  Fried.  —  6,  b.  Schinge.  —  6.  Stein.  —  7,  a.  b.   Nevermann. 

Maygrier.  —  8,  a,  b,  e.  Gerner. 


PORTE-CORDONS  ET  PORTE-LACS 


49 


Fia.  236-239.  —  1,  2,  3.  Pince  porte-lacs  de  Tréfurt.      Fus.  240.  —  Porte-     Fig.  241.  —  Porte-    Fio.  242.  —  Four 

4.  Porte-cordon  de  Braun.  cordon  de Guillon.      cordonde  Ducamp.         chette  de  Fave- 

reau  (1). 


Fig.  243. —  Omphalosoter  da  Fig.  244, 245.  —  Omphalosoter  do        Fig.  246,247.  — Repoussoir  de  Hyernaux  (1). 

Schœller,  ouvert  et  fermé.  Schoeller  modifié  par  Tarnicr. 


(1)  Wasseige,  loc.  cit. 

HIST.    DES    ACC.;    ARSENAL    OBSTÉTRICAL. 


50 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Fig.  248.  —  Porte-cordon  ou 
repositor  de  Braun. 


Fig.  249.  —  Sonde  en  gomme 
Dudan  (1). 


Fig.  250.  —  Sonde  et  mandrin 
de  Champion  (1). 


Fig.  251.— Sonde  et  Fig. 252. —  Instrument  Fig.  253. — Sonde  avec  Fig.  254.  —  Sonde  et  Fig. 255.— Porte- 
mandrin  do  Mi-  de  Braun  modifié  par  son  mandrin,  faisant  mandrin  do  Rober-  cordon  de  Hu- 
chaelis.                            Scanzoni  (1).                        office  de  porte-cordon  ton.                                        bert  père  (1). 

(Lusk). 


0)  Wasseige,  loc.  cit. 


PORTE-CORDONS  ET  PORTE-LACS 


51 


Fig.  256.  —  Tube  protecteur  du  cordon  contre  la  compression,  de  Poullet,  de  Lyon. 


Fig.  257-259.  —  Porte-lacs        Fig.  260.  —   Porte-      Fig.  261.  —  Porte-        Fie.  262,263.—  Pince  porte-lacs  de 
de  Lazarewich  (1).  cordon  de  Murphy.  cordon  en  caout-  Van  lluevel,  1857  (1). 

chouc    durci,  de 
Pajot. 


(1)  Wasseige,  loc.  cit. 


52 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Fig.  264.  —  Pince  porte-lacs 
de  Wasseige,  1857  (1). 


Fig.  265,266.  —  Pinee  porte-lac? 
de  Hyeruaux,  1857  (1). 


Fig.  267.  —  Porte-lacs  de 
Bousquet. 


Fig.  268,269.  —  Porte- 
lacs  do  Lambert  (l). 

(1)  Wasseige,  loc.  cit. 


Fig.  270,271.  —  Anneaux  porte-lacs  de  José  A.  Morales  Alpaca  (1). 


CROCHETS   MOUSSES   —    PINCES    PODALIQUES 


53 


EXTRACTION    DU    FŒTUS   PAR   LES  VOIES    NATURELLES,    SANS  MUTILATIONS 

A.  —  Présentation  du  siège. 
Crochets  mousses.  —  Pinces  podaliques. 


Fio.  272-279.  —  Crochets  mousses  pour  accrocher  les  aines.  Forceps  pour  saisir  le  siège  et  Fig.  280. Pince 

pinces  podaliques.  —  1.  Crochet  mousse  d'Osiander. —    2.  Crochet  mousse  par  une  extré-  podalique  de  Van 

mité  et  tranchant  par  l'autre  de  J.  Clarke.  —    3.    Double    crochet  mousse   de    Boër.  —  4t  Huevel    1845. 

5.  Crochets  mousses  de  Kilian.  —  6.   Forceps  pour  le  siège  de  Steidele.  —    7.  Forceps  pour 
le  siège  de  Gergens.    —  8.  Pince  podalique  de  Wegelin. 


Fig.  281.  —Crochet  articulé  duD>-\Vas- 
seige,  modèle  de  l'année  1864. 


Fig.  282.  —  Crochet  pour  l'aino 
t_  de  Lazarewitch. 


54 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


A 


a 


Fig.  283,  284.  —  Crochet  flexible  de  Delore. 


Fig.  285. — Instrument  à  ressort  Fig.  286.  —    Crochet 

deWecbecker-Sternfeld  pour  porte-lacs  d'Olivier, 

l'application  d'un  lacs  dans  le 
pli  de  l'aine. 


Fia.  287.  —  Fince  podalique  d'Auvard. 


FILETS  —  FRONDES  —   SÉRICEPS  —  VENTOUSES 


B.  —  Présentation  de  la  tête. 
Filets.  —  Frondes.  —  Sériceps.  —  Ventouses. 


55 


Fig.  288.  —  Filet  d'Amand. 


Fia.  289,  290.  —  Manière  d'appliquer  le  filet  d'Amand. 


56 


A.RSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  291.  —  Filet  monté  sur  uue  tiga    de  baleine,  de  Smellie. 


Fig.  292.  —  Fronde  de  Peau. 


Fig.  293.  —  Filet  de  Wilmot. 


FILETS   —  FRONDES  —  SERICEPS   —  VENTOUSES 


Di 


Fig.  294-302.  —  Filets  et  frondes  employés  au  Japon  (1). 


(1)  Voir  Histoire  des  Accouchements,  page  594. 


58 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fie.  303.  —  Sériceps  de  Poullet  dont  les  cordons  sont  relâchés.   On  voit  dans  les  gaines  les  tiges  propres 
à  élever  l'appareil  entre  la  tête  et  l'utérus. 


Fig.  304.  —  Extraction  de  la  tôle  fœtale  avec  le  sériceps  do  Poullet. 


FILETS 


FRONDES  —   SERICEPS   —  VENTOUSES 


59 


Fig.  305.  —  Nouveau  sériceps  de  Poullet,  ou  forceps  souple. 


Fig.  306.  —  Traotor  de  Simpson. 
Ventouse  en  caoutchouc  s'appli- 
quant  sur  la  tcte  et  munie  d'un 
corps  de  pompe  servant  à  faire 
le  vide  et  à  exercer  des  tractions. 
(Dessin  fait  d'après  le  modèle  do 
l'instrument  offert  par  l'inven- 
teur au  professeur  Pajot.) 


Fig.  307-30».  —  Appareil  du  D'  Soubliy  Saloh  pouvant  servir  de  forceps  ou 
de  céphalotribe,  après  avoir  ouvert  le  crâne  avec  un  perforateur  que  l'on 
trouvera  plus  loin.  La  ventouse  on  caoutchouc,  d  vant  s'appliquer  sur  la 
tète,  est  munie  de  petites  poches  destinéos  à  recevoir  les  doigts  de  l'accou- 
cheur. Le  vide  se  fait  par  un  ballon  adapté  à  un  robinet  inférieur  ;  la  bande 
transversale  qui  termine  l'instrument  sert  à  opérer  les  tractions. 


60 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Leviers. 


Fig.  310.  —  Levier  de  Fig.  311-317.  —  Leviers.  —    2.  Reehbcrger.  —  3.  Camper.  —  4.  Titsing.  —  5.  Bruas. 


Roonhuysen. 


—  6,  7.  Altken.  —  8.    Slark. 


Fig.  318.  —  Levier  de  Herbiniaux,  avec 
deux  spatules  de  différentes  courbures. 


Fig.  319.  —  Application  du  levier  de  Herbiniaux. 


LEVIERS 


61 


Fig.  320-323.  —  Leviers.  —  1.  Simon  Zeller. —  2.  Bland. 
—  3.  Wiedmann.  —  4.  Osiander. 


Fig.  324,325.  —  Le- 
viers de  Péan. 


Fig.  826.  —  Levier 
de  Baudelocque. 


Fia.  327.— Levier      Fig.  328.  —  Fleu-      Fig.  329,330.— Vaa      Fig.  331,332.— Rigau- 
Boom.  rant,  Wy  (1).  deaux. 


Fig.  333,334.—  J.  de 
Bree. 


(1)  Le  levier  de  Morand  présente  les  mêmes  courbures  mais  les  extrémités  sont  simples. 


62 


ARSENAL   OBSTÉTRICAL 


"> 


Fia.  336-345.—  Leviers.   —  4,  5.  B.  Sieurs.  —  6,  7.  Lowder. 
—  8,  9.  Sims.  —10, 11, 12.  Lowdor.  —  13, 14.  Dennison. 


Fig.  346,347.  —  Levier  articulé  à  trac- 
tion, de  Verardini  de  Bologne. 


Fio.  348,349.— Levier  de  Uvedale 
West. 


Fig.  350.  —  Levier 
d'Ogden. 


Fio.  351,352. —  Levier  de 
Boddaert,  avec  les  trous 
ajoutés  par  Hubert  fils 
pour  le  passage  des  lacs. 


(1)  Wasseige,  loc.  cit. 


LEVIERS 


63 


Fig.  353.  —  Levier  flamand 
plein,  de  Hubert. 


Fig.   354.  —  Levier  de  ïïubort  fils  (1). 


Fig.  355.  —  Levier  tubulé  de  Martin  D.laplagne. 


(1)  Wasseige,  loe.  cit. 


64 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Forceps  (1) 


u 

Fig.  356-358  (2). 


Fig.  359,  360  (2). 


F:c.  361-363  (2). 


Fig.  364,  365  (2). 


(1)  Ce  mot  signifie  en  latin  tenailles.  L'étymologie  en  est  fort  incertaiue.  Festus  propose  /or nuis, 
chaud,  et  capere,  prendre,  et  cite  le  passage  de  Virgile  : 

...   Versantgue  tcnaci  forcipe  /errum ; 
d'autres,  moins  vraisemblablement  encore,  dérivent  forceps  de  /ortitcr  capere.   C'est  de  la  fan- 
taisie philologique. 

(2)  Instruments  trouvés  à  Woodham,  Mortimar-Hall,  près  de  Maldon,  comté  d'Essex,  en  1818,  et 


FORCEPS 


65 


Fig.  366-370. 


Fig.  371-376. —  1,  2,  3,  4.  Forceps  da  Chamberlen, —  5.  Levior  Je  Chamberlen. —  6.   Forceps  de  Giffard. 


ayant  appartenu  aux  Chamberlen  vers  1683.  Fig.  356-35S.  Grand  forceps  étroit  à  cuillers  fenêtrées. 
—  Fig.  359,  360.  Forceps  plus  court  —Fig.  361-363.  Forceps  à  grande  courbure.  —  Fig.  364,  365 
Une  des  branches  d'un  forceps  qui  n'a  jamais  été  complété  ;  la  poignée  se  termine  par  un  crochet 
aigu.  —  Fig.  366-370.  Essai  d'un  nouveau  mode  de  réunion  des  branches  :  «  le  pourtour  de  la 
fenêtre  de  l'une  des  cuillers  a  un  de  ses  côtés  détaché  de  l'entablure,  laissant  libre  un  espace 
destiné  à  recevoir  l'entablure  de  l'autre  branche.  Ces  deux  branches  sont  maintenues  par  un  pivot 
à  pas  de  vis  ;  sur  la  branche  ni&le  se  trouve  un  petit  cylindre  en  os,  percé  d'un  trou  dans  lequel 
passe  plusieurs  fois  un  fil  qui  le  fixe  à  la  branche,  au  niveau  de  l'entablure,  et  dont  il  est  difficile 
d'indiquer  l'usage.  »  Archives  de  Tocologie,  1876. 


HIST.    DES    ACC.;      ARSENAL    OISTlTHtCAL. 


66 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Fia.  377-380.  —  4,  5,  6,  7.  Forceps  ou  maint  de  Palfyn,  1731. 


Fio,  381.  —  Forceps  de 
basée,  1733. 


Fio.  38Î-387.  —  Forcepi.  1.  Chapman.  —  2,  3.  Freke.  —  i.  Mesnard,  1741.  —  5.  Grégoire,  1746. 

—  6.  Rathlaw. 


FORCEPS 


67 


Fie.   388-393.  —  Forceps.  —  1,  2.  Bing,  1750.  —  3.  Schlichting.  ~  4,  5.  Burton,  1761.  —  6.  Wind. 


Fie.  391-400.  —  Forceps.—  1.  Pugh,  1754.  —  2.  Levret  (à  aie  ambulant),  1747  ;  premier  modèle  de  forceps  courbé 
sur  les  bords. —  3.  Levret  (à  aie  tournant).  —  4.  Smellie,  1752.  —  5.  Johnson,  1769. —  6,  7.  Fried. 


68 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Fig.  401.  —  Application  du  forceps  de  Smellie  Fio.  402,  403.  —  Forceps  d'Arnold        Fig.  404,405.  — Forceps 

dans  la  présentation  du  siège.  Van  de  Laar.  brisé  de  Coutouly. 


Fig.  406-411.  —  1,2.  Forceps  à  trois  branches  de  Leake,  1774.  —  3.  Forceps  de  J.-L.  Petit,  1774,  muni  d'une  cré- 
maillère pour  préserver  la  tête  d'une  constriction  trop  forte.  —  4.  Arnold  Van  do  Laar.  Les  cuillers  présentent 
des  fontes  pour  recevoir  des  lacs,  1777.  —  5.  Coutouly,  1777.—  6.  Péan-Baudelocque,  1781. 


FORCEPS 


69 


Pis.  412-416.  —  Forceps.  —  1.  Sieurs,  1783.—  2.  Orme.  —  3.  Lowder.  —  4.  Young.  —  5.  Evans. 


Fig.   423-428.—  Forceps.  —  1.  Court  forceps  de  Denman.  —    2.  Thynne.  —  3.  A.  Dubois,  1791. 
—  4,  Santarelli,  1794.  —  5.  Busch,  1798.  —  6.  Weisse. 


70 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fio.  429-433.  —  Forceps.  —1.  AYrisberg.—  2.  J.  Mulder.  —  3.  Eckardt,  1800.  —4,  5.  Aitken,  1784. 


Fia.  434.    -  Forceps  de  Aitken. 


Fig.  435-440.  —  Forceps,  —  1.  Aitken.  —  2.  Mayer.  —  3.  Wegelin.  —  4,  £,  6.  Mathias  Saxtorph,  1791. 


FORCEPS 


71 


Fig.  441-446.  —  Forceps.  —  1.  Boër.  —  2,  3.  Osiander,  1799. —  4.  Brûnninghausen,  1802. —  5.  Forceo» 
à  branches  juxtaposées  ou  parallèles  de  Thénance,  1801.  —  Siebold. 


Fig.  447-453.  —  Forceps.  —  1,  2.  Mursinna,  1800.  —  3.  Froriep. —  4,  5.  Fries.  —  G,  7.  Delpech-Lacroii, 
forceps  non  croisé,  1805  ;  ce  forceps  est  muni  d'une  vis  centrale  pour  préserver  la  tête  d'une  constric- 
tion  trop  forte. 


Fig.  454.  —  Forceps  croisé  de  Lauverjat. 


72 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Fig.  455-460.  —  Forcops.  —  1,  2.  Jorg.  —  3.  —  Wigand,  1812,  —  4,  5.  Veit  Kar],  1812.  —  6.  Muller 

7.  Assalini. 


4-  Ci*<rai 


Fig.  461.  —  Forceps  de  Brulatour,  de  Bordeaux,  1817.  —  A.  Cuillers.  —  B.  Union  de  la  cuiller  avec  le  manche  par 
une  queue  d'aronde.  Cette  disposition  permet  d'adapter  des  cuillers  différentes  soit  à  crochet  soit  creusées  à  leur 
face  interne  de  sillons  transversaux.  —  C.  Entablement.  —  D.  Lacs  traversant  les  branches,  pour  faciliter  les 
tractions.  —  E.  Vis  de  pression.  —  F.  Echelle  de  proportion  déployée,  destinée  à  apprécier  le  degré  de  rappro- 
chement des  cuillers. 


FiG.  462-468.  —  Forceps.—  1,  2.   Uhthoff.  —  3,  4.  Flamant.  —  6.  Carus.  —  6,  7.  Bitgor,. 


FORCEPS 


73 


Fig.  469-476. —  1,  2.  Forceps  Conquest,  non  courbé  sur. les  bords  avec  augmentation  des  dimensions  des  fenttrtt. 
—  3.  Forceps  de  Weissbrod  à  cuillers  pleines.  —  4,  S.  Maygrier.  —  6,  7.  G.  Salomon.—  8.  Guillon,  1826. 


Fig.  477-484.—  Forceps.  —  I,  2.  Horn.  —  3.  Mende.  —  4.  Busch,  1798.  —  5.  Nœgele,  1863.  —  6.  Kilia». 

—  7,  8.  Huter. 


74 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Fig.  485-493.  —  Forceps. —  1,  2,  3,  4,  5,  6.  Forceps  asymétrique  de  Davis   avec  augmentation  des  dimensions    des 
g^  fenêtres.  —  7,   8,  9.  Forceps   de  Th.  Hermann,    de  Berne,   1840,  avec  une  couibure  périnéale  concave  en  arrière, 
pour  ne  pas  léser  la  fourchette   dans    les  applications  au  détroit  supérieur.    Un  manche   supplémentaire  ou   trac- 
£.teur,  qui  pouvait  être  fixé  eoit  au-dessus  soit  en  dessous  de  l'instrument,  permettait  d'effectuer    les  tractions  sui- 
vant l'axe  des  cuillers. 


Fia.  494-499.  —  Forceps  de  Dugès,  à  cuillers  pivotantes. 


Fig.  500,  501.  —  Forceps  assemblé  de  Bernard 
d'Apt,  1836  ;  les  deux  branches  s'introduisent 
superposées  et  se  développent  dans  l'utérus. 


FORCEPS 


75 


w 


Fig.  502,  503.  —  Forceps  aide- 
mémoire  ou  indicateur  d'Au- 
dibert,  de  Vins,  1833  (1). 


Fig.  504.  —  Forceps  de  Thureaux 
de  la  Nouvelle-Orléans,  1843,  à 
branches  hermaphrodites. 


Fig.  505.  —  Articulation  du  forceps 
de  Thureaux  permettant  d'articu- 
ler dessus  ou  dessous. 


Fig.  506,507.  —  Forceps  à  double  pivot  de  Tarsitani,  de  Naples,  1843,  permettant  d'éviterMe  décroisement. 


(1)  Cet  instrument  est  ainsi  nommé  parce  que  son  inventeur  y  a  fait  graver  un  résumé  des  diffi- 
cultés de  l'accouchement,  la  représentation  des  détroits,  les  dimensions  des  diamètres  du  bassin, 
de  la  tête  fœtale,  etc. 


76 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fio.  508-515.  —  Forceps.  —  1,  2.  Kilian,  1856.  —  3,  4.  P.  Dubois  ou  Levret  modifié,  à  mortaise  latérale. 
—  5,  6.  BaudclocqiTC.  —  7,  8.  Sclioller. 


Fio.  516. —  Forceps  Dubois.  Les 
poignées  sont  dévissées  pour 
montrer  le  crochet  et  le  perce- 
crâne  qu'elles  renferment  (1). 


Fig.  517.—  Forcopi 
japonais. 


(1)  «  Souvenez-vous,  Messieurs,  disait  le  professeur  Ptijot  à  ses  cours,  en  montrant  le  crochet 
aigu  et  le  perforateur  annexés  aux  manches  du  forceps  de  Levret,  modifié  par  Duhois,  que  ce  cro- 
chet ot  ce  perforateur  ont  été  mis  là  pour  vous  rappeler  que  vous  ne  devez  jamais  vous  en  servir  !  )) 


FORCEPS 


77 


Fig.  51S. —  Forceps  élasl;que 
de  Trélat. 


Fig.  519.  —  Forceps  Dubois  à  cré- 
maillère, de  Cliarrière. 


Fig.  520.  —  Fou-eps  de  Pajot  à  clou  latéral,  pour  le  détroit  inférieur. 


78 


ARSENAL   OBSTÉTRICAL 


Fig.  £21,  522.  —  Forcepj 
démontant  de  Pajot. 


Fig.  523-525. —  Nouveau  modèle  du  forceps  brisé  de 
Pajot.  A  l'extrémité  de  la  branche  gauche,  disposés 
en  crochet  mousse,  on  peut  visser  un  perce-crâne 
ou  un  trocart  ;  l'extrémité  droito  reçoit  la  baleine 
porte-fouet,  munie  d'une  olive  conductrice  pour 
î'embrvotomie. 


Fig.  626-5Î9.  —  Forceps  articulé  Charrière  avee  perce-crâne  et  «a  gaine. 


FORCEPS 


79 


Fig.  6Z0.  —  Manche  à  charnière, 
de  Charrière. 


FiG.  631,532.  —  Forceps  démontant 
de  Mathieu. 


Fig.  533.  -  Forceps  de  Depaul  à  articulation  supérieure  ou  inférieure. 


80 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


FiG.  534,   535.  —    Petit    forceps        Fig.  536.—  Petit  forceps        Fig.  537.  —  Long  for-        Fig.  638.  —  Forceps 
de  Zeigler,  d'Ecosse.  do  Simpson.  ceps  de  Simpson.  de  Barnes. 


Fig.  539.  —  Fon  eps  Fia.  540.  —  Forceps  courbe 

de  F.  Bird.  de  Greenhalgh. 


Fia.  54 L.  —  Forceps 
de  P.  Harpor. 


Fig.  542.  —  Forceps 
de  Waller. 


FORCEPS 


81 


Fig.  543. —  Forceps      Fig.  544.—  Forceps        FiG.  545.—  Forceps 
de  Rigby.  de  Pagan.  de  Hewitt. 


Fig.  546,  547. —  Forceps  de  Vacher. 


Fig.  548.—  Forceps        Fig.  549.  —  Forceps 
d'Inglis.  de  Maddcn. 


Fig.  550,  551.  —  Forceps  de 
Braithwaite. 


Fig.  552.  —  Forceps 
de  Blundell. 


HIST.  DES  ACC.;  ARSENAL  OBSTÉTRICAL. 


82 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  553.— Forceps        Fig.  554. —  Forceps        Fig.  555. —  Forceps        Fig.  556.  —  Forceps        Fig.  557. —  Forceps 
de  Murphy.  de  Galabin.  de  Clarke.  de  Clarke.  de  Beatty. 


FiG.  558.  —  Foro.eps 
do  Ramshotham. 


Fio.  559.  —  Forcera 
de  Lever. 


Fig.  560.  —  Forceps 
de  Churchill. 


Fig.  561.  —  Forceps  de 
Draper. 


FORCEPS 


83 


Fig.  502.  —  Forceps  à  branches  étroites  de  Taylor,  pour  les  applications  au  début  du  travail. 


Fig.  563.  —  Forceps  de  HoJge. 


Fig.    564.  —  Forceps    de  Fia.  565. —  Forceps  articulé  Fig.  566. —  Forceps 

Beluzzi,  de  Bologne,  dont                     de  Hamoa.  de  Levy,  de  Copen- 

le  manche   constitue    un  hague. 
céphalotnbe. 


8  4 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  567.  —  Forceps  articulé  de  Stolz, 


Fig.  668.  —  Forceps  à 
branches  parallèles 
de  Valette,  de  Lyon, 
1857. 


Fig.  569,  570.—  Forceps  droit 
à  branches  parallèles  de  La- 
zarewich,  1866. 


FiG.  571,572. —  Forceps  de  poche  à  branches 
rotatives  de  Chassagny. 


FORCEPS 


85 


Fia.  573.  —  Forceps  de  Trélat.  Fig.  574.  —  Léniceps  de  Matteï, 

appliqué,  1853. 


Fig.  675 .  —  Branche»  du 
léniceps. 


Fig.  676.—  RétrocepsMe 
Hamon,  1867. 


Fig.  577.  —  Branches  du 
rétroceps  (1). 


Fig.  678.  —  Rétroceps  appliqué. 


(1)  Il  existe  aussi  un  rétroceps  de  Hamou,  à  branches  pliantes,  fabriqué  par  Gueride. 


86 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


FiG.  579.  —  ï'orceps  de  Mo: 
dotte. 


Fig.  580.  —  Forceps  à  branches 
parallèles  de  Pros,  de  la  Ro- 
chelle, avec  courbure  pelvienne 
légère. 


Fig.  581.  —  Autre  forceps  de 
Pros,  dont  on  peut  augmen- 
ter à  volonté  la  courbure 
pelvienne. 


Fig.  582.  —  Forceps  asymétrique 
de  Uyttcrhoven,  1805. 


FiG.  683.  —  Forceps  asymétrique  de  Baumeri 
de  Lyon,  1849. 


FORCEPS 


87 


Fig.  584.  —  Grand  forceps  asymétrique 
de  Matteï,  1855. 


Fig.  585,  586.  —  Forceps  s'allongeant  de  Campbell,  do 
Paris,  pouvant  se  raccourcir,  s'allonger  ou  devenir 
asymétrique. 


Fig.  687.  —  Forceps  droit  asymétrique  de  Radfort  ;  la  cuiller  plate  s'applique  sur  la  face. 


88 


ARSENAL  OBSTÉTRICAL 


Fig.  688-590.  —  Forceps  de  Carof, 
de  Brest. 


Fig.  591,  592.  —  Môme  forceps. 


Fig.  593.  —  Forceps  à  branches  parallèles,  pour  traction  soutenue,  de  Chassagny. 


FORCEPS 


89 


Fig.  591.  —  Autre  forceps  de  Chassagny. 


Fig.  595.  —  Forceps  de  Chassagny,  modèle  1S87  (1). 


(I)  Double  articulation  aux  extrémités  d'une  traverse  de  15  cent,  de  Ion?,  d'où  résultent  des 
pressions  perpendiculaires  à  la  tête.  Tandis  que  le  forceps  croisé  forme  un  V  ouvert  aux  extrémi- 
tés, ce  nouvel  instrument  forme  un  V  ouvert  à  l'extrémité  manuelle  ;  la  tête  trouve  la  place 
nécessaire  pour  s'allonger,  les  extrémités  arrivant  les  premières  au  contact,  une  pression  énergique 
de  la  main  fait  plier  les  branches  :  les  pressions  s'exercent  ainsi  sur  de  grandes  surfaces  etrprinci- 
palement  sur  le  point  culminant  du  diamètre  embrassé;  d'où  solidité  et  innocuité  absolue  de  la 
prise.  (Les  chiffres  indiquent  les  dimensions,  largeur,  épaisseur,  etc.,  aux  points  correspondants.) 


90 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  596.  —  Forceps  asymétrique  de  Roger,  du  Havre,  1875. 


Fig.  596  bis.  —  Forceps  à  bran- 
ches  parallèles  de  Poulbt, 
avec  manche  tracteur. 


J?i4\r 


Fig.  597,  598.  —  Forceps  angulaire  de  Poulie»,  1887. 


FORCEPS 


01 


Fig.  699.  —  Forceps  général  de  Poullet. 


FiG.  600.—  Forceps  à  trois 
courbures  de  José  Morales 
Alpaea,  ou  forceps  Hatin 
modifié,  1868. 


F,G   601. Forceps  à  courbure  pénnéale  de 

Hubert  fils,  1877. 


Fig.  602.  —  Forceps  à 
courbure  périnéale  et  a 
traction  dans  l'aie  des 
cuillers,  de  Mathieu. 


r,  603,  604.  -  Premier  el  deuxième  modèle  du  forceps  deL.-J.  Hubert  père,  de  Lou.ai»,  a.ec 
ru*,  bus,  ou*.  manche  supplémentaire. 


92 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  605.  —  Forceps  de  Hartmann,  avec  manche 
supplémentaire,  1870, 


Fig.  606.  —  Forceps  de 
Barnes  avec  tracteur 
de  With  Morgans. 


Fia.  607.  —  Forceps   Tarnier,    modèle  1877.  —  I.  Tiges   de  traction,  —  S.  Branches  de  préhension. 
—  0,  O.  Oreilles  abaissées.  —  P.  Poignée.—  Vis  de  pression. 


FORCEPS 


93 


Fig.  608.  —  Forceps  Tarnier,  à  branches  parallèles. 


Fig.  609.  —  Forceps  Tarnier,  à  poignées  mobiles  et  &  doubles  fenêtres  pour  le  passage  de  lacs. 


Fio.  610.  —   Branche  mâle  du  forceps  à  poignées  mobiles  ;  chaque  poignée  est  terminée  par  un  bouton  sur  lequel 

on  peut  fixer  un  tracteur. 


94 


ARSENAL     OBSTÉTRICAL 


Fis.  11.  —  Forceps  Tarnier  dont  les  branches  de  préhension  et  les  tiges  de  traction  sont  parallèles  comme  dans  le 
forceps  de  Thenance.  —  SS.  Branches  de  préhension.  —  III.  Tiges  de  traction.  —  AB.  Ligne  de  traction.  — 
A.  Centre  de  la  cuiller.  —  C.  Coupe  de  la  poignée  transversale  dans  laquelle  s'implantent  les  tiges  de  traction. 
—  D.  Extrémité  des  tiges  de  traction  débordant  en  bas  de  la  poignée.  —  E.  Espace  de  1  centimètre  environ  séparant 
les  tiges  de  traction  des  branches  do  préhension.  —  0.  Oreille  pouvant  s'abaisser  et  se  relever  à  volonté.  — 
P.  Crochet  destiné  à  recevoir  la  vis  de  pression.  —  R.  Articulation  des  deux  branches  de  préhension. —  Z.  Arti- 
culation de  la  tige  de   traction  avec  la  branche  de  préhension. 


Fio.  612. —  Forceps  Tarnier,  à  branches  croisées  et  à  manches  immobiles.  Une  barre  transversale  traverse  les  manches 
et  sert  à  faire  les  tractions.  Une  vis  assure  le  rapprochement  des  branches  et  la  pression  des  cuillers  sur  la  tête 
fœtale. 


Fio.  613.  —  Forceps  Tarnier,  à  branches  parallèles.  Ces  branches  se  prolongent  au  delà  de  l'articulation  et  se 
terminent  au  niveau  do  la  ligne  de  traction  par  ua  anneau  destiné  à  recevoir  une  barre  T,  qui  sert  à  faire  les 
tractions. 


FORCEPS 


95 


Fio.  614.  —  Forceps  ordinaire  sur  lequel  Tarnier  a  ajusté  une  tige  de  traction  et  un  tracteur.  —  AB.  Axe  du  bassin. 
—  AF.  Direction  des  tractions  faites  sur  les  manches  de  l'instrument.  —  C.  Tige  de  traction.  —  D.  Articulation 
d'un  tracteur  avec  la  tige  de  traction.  —  00.  Oreilles  faisant  suite  à  la  tige  de  traction  et  suivant  la  direction  de 
l'axe  du  bassin.  —  L.  Manche  du  tracteur.  —  L'.  Manche  du  tracteur  dans  une  autre  situation.  —  T.  Tige  du 
tracteur  lorsque  les  tractions  sont  dirigées  suivant  l'axe  du  bassin.  —  T'.  Tige  du  tracteur  sortant  des  oreilles  0 
quand  les  tractions  sont  mal  dirigées. 


Fio.  616.  —  Forceps  Tarnier,  modèle  1881. 


96 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fie  616.  —  Forceps  à  tractions  normales  de  Tarnier. 


Fie.  617.  —  Le  même  avec  les  branches  de  traction  montées  sur  la  roignée  mobile. 


Fig.  618.  —  Branche  de  trastion  démoulée  à  moitié. 


FORCEPS 


97 


Fig.  619-622.  —  Forceps  de  Tarnier  avec  aiguilles  de  Mathieu. 


FiG.  623.  —  Forceps  de  Tarnier  modifié 
par  Lusk. 


Fig.  624.  —  Forceps  de  Mathieu  avec  vis  d'arrêt 
ou  de  pression  et  ouvertures  spéciales  pour  fiser 
les  lacs  de  traction. 


HIST.    DES    ACC.;      ARSENAL    OBSTETRICAL. 


\)6 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


FlG.  625. —  Forceras  à  branche  de  tra" 
tion  mobile,  de   lJarmentier. 


FlG.  626.  —  Forceps  axis- traction.  FlG.  627.  —  Forceps  da 

d'Alex.  IUissel  Simpson,  1880.  Breus,  1882. 


Fig.  628.  —    Forceps  de  Vcdder. 


Fie.  629.  —  Forceps  de  Sanger. 


FORCEPS 


99 


Fig.  630,  631. —  Forceps  à  poignée  rigide  cl  à  attaches  souples  de  Poullet. 


Fig.  632.  —  Cordons  de  traction,  de  Laroycnne,  de  Lyon,  passés  au  centre   des  cuillers  d'un  forcops  ordinaire,  1875. 


100 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Appareils  pour  tractions  soutenues. 


FiG.  C33.  —  Tracteur  de  Cliassagny,  premier  modèle. 


APPAREILS  POUR  TRACTIONS  SOUTENUES 


101 


Fig.  634.  —  Autre  modèle  du  tracteur  de  Chassagny. 


Fig.  635.—  Tracteur  de  Chassagny,  modèle  1887  (1). 


(1)  Points  d'appui  pris  sur  deux  plaques  PP',  appliquées  sur  les  racines  des  cuisses  ;  une  four- 
che F,  articulée  sur  ces  plaques  aux  points  AA',  tourne  sur  ces  articulations  pour  se  placer  tou- 
jours dans  la  direction  des  axes  du  bassin,  suivant  les  différentes  phases  de  l'accouchement;  les 
tiges  d'appui  et  les  cordons  de  traction  sont  toujours  parallèles  ;  deux  tiges  TT  continuent  la 
fourche;  la  traction  se  fait  de  très  loin  et  laisse  ainsi  à  la  tête  la  plus  grande  liberté  pour  exécuter 
les  mouvements  par  lesquels  elle  s'accommode  à  la  filière.  Lorsque  le  périnée  commence  à  bom- 
ber, on  place  au  devant  de  lui  un  mouchoir  de  poche,  sur  lequel  on  lace,  au  moyen  des  boutons 
BBBB,  un  fort  cordon  de  caoutchouc  qui,  dépassant  le  rebord  du  périnée,  l'exonère  de  toute 
distension  et  le  soutient  de  la  manière  la  plus  efficace  contre  toute  déchirure. 


102 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


, 


Fig.  C36.  —  Tracteur  de  Matteï. 


Fig.  637.  —  Disposition  du  lacs  de  traction 
dans  l'aide-forceps  de  Joulin,  1867. 


Fig.  638.  —  Aide-forceps  de  Joulin  appliqué  (l). 


(1)  Wasseige,  loc.  cit. 


APPAREILS    POUR    TRACTIONS    SOUTENUES 


103 


104 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  640.  —  Tracteur  aide-forceps^du  D''  Roussel,   de   Genève. 


Fia.  641.  —  Tracteur  de  Pros,  de  la  Rochelle,  1874. 


APPAREILS  POUR  TRACTIONS  SOUTENUES 


105 


Fia.  642,  643.  —  Pièces  du  tracteur  de  Pros. 


FlG.  844.  —  Tracteur  employé  au  Japon. 


106 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


Ji         1* 


Fia.  645.  —  Branches  symétriques  du  Dr  Hamon 
munies  de  leurs  cordons  de  tirage. 


Fio.  646.  —  Aide-forceps  du  Dr  Hamon, 
nouveau  modèle. 


Fia.  646  bis.  —  Tracteur  du  Dr  Hamon,  sans  dynamomètre. 


APPAREILS   POUR   TRACTIONS    SOUTENUES 


101 


*•/   /7<- 


/    fi 
•'        /■' 


108 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


EXTRACTION    DU  FŒTUS   PAR    LES  VOIES   NATURELLES,   AVEC   MUTILATIONS  (1). 


Crochets  aigus  ou  tranchants. 


FlG.  648-651.  —  Crochets  employés  par  les  anciens  Arabes, 
d'après  Albucasis. 


Fig.  652,  653.  —  Crochets  trouvés 
dans  les  ruines  de  Pompei. 


(1)  Les  anciens,  comme  on  sait,  croyaient  que  l'enfant  était  l'agent  actif  de  l'accouchement  : 
s'il  ne  sortait  pas,  c'est  qu'il  était  mort.  Et  ils  se  donnaient  raison,  en  achevant  de  le  tuer,  au 
cas  où  il  aurait  été  encore  vivant.  A  cet  usage,  les  Grecs,  race  ingénieuse,  avaient  imaginé  une 
collection  variée  :  iAxuanfp  et  iu,6puouÀx<Jç>  crochets  mousses  ;  p.avaipiov,  crochet  courbe  à  pointe 
tranchante,  destiné  à  ouvrir  le  crâne  ;  !u,6puoTOfJidç,  scalpel  servant  au  même  objet;  a/oXo-op-a^ai'piov, 
autre  scalpel  dont  un  côté  était  mousse  et  l'autre  tranchant  ;  7tuaxoov,  instrument  pour  broyer  le 
fœtus  dans  la  matrice  ;  ôruaypa,  pince  pour  enlever  les  éclats  d'os,  etc. 

Les  crochets  n'étaient  pas  seulement  funestes  à  l'enfant,  mais  ils  faisaient  aussi  courir  les  plus 
grand  s  dangers  à  la  mère  ;  c'est  à  propos  des  résultats  meurtriers  de  ces  crochets  que  Hugh  Cham- 
berlen,  l'inventeur  du  forceps,  rappelait  l'axiome  suivant  :  Sur  un  individu  qui  vient  au  monde, 
il  y  en  a  un  ou  deux  qui  meurent  nécessairement . 


CROCHETS  AIGUS    OU    TRANCHANTS 


109 


Fia.  654-656.  —  Crochets  employés  du 
temps  d'Ambroise  Paré. 


Fig.  657.  —  Autre  cro- 
chet d'A.  Paré  (1). 


Fia.  658.  —  Double  crochet'à 
chaîne  des  anciens,  d'après 
André  De  La  Croix. 


FlG.  659,  660.  —  Pieds  de  griffon 
d'A.  Paré. 


FlG.  661.  —  Autres  pieds  de 
griffon  d'A.  Paré  «  pour 
extraire  la  mole  ». 


(1)  «  Petit  cousteau  courbé  à  fendre  le  ventre  et  la  teste  d'un  enfant  mort  dedans  la  matrice, 
afin  que  les  excrementz  se  puissent  évacuer.  » 


110 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


1 


I 


Fia.  662-667.  —  Crochets  aigus  et  leviers  terminés  par  des  crochets,  trouvés  dans  la  propriété  ayaut 
appartenu  aux  Chamberlen,  de  16S3  à  1715  (1). 


Fia.  6C8. — ":  Crochets  courbes 
Ae  Jacqncs  Mesnard. 


Fia.  6G9,  670.  —  Crochet  de 
Levret. —  7-  Sans  sa  gaine. 


Fia.  671.  —  Crochets  paral- 
lèles de  Levret. 


(1)'_  Figures  tirées  des  Archives  de  Tocologic,  1876. 


CROCHETS   AIGUS    OU    TRANCHANTS 


11 


Fia.  672. —  Forceps  à  dents  de  Coutouly 
•  pour  l'extraction  de  l'enfant  mort.  » 


Fig.  673.  —  Crochets   à  dent» 
de  Coutoulv. 


3 


!<s 


Fig.  674-681.  —  1.  Crochet  de  Mauriceau.  — •  2.  Perforateur  de  Mauriceau.  —  3.  Crochet  simple  de  Smellie.  — 
4.  Peu. —  5.  Peterrnann.  —  6.  Saxtorph.  —  7.  Crochet  double  de  Smellie.  —  8.  Gaine  en  cuir  qui  s'adapte  à  l'une 
des  branches  de  7. 


112 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fia.  682.  —  Branche  du  crochet  de  Smellie  opérant  l'extraction 
de  la  tète  laissée  dans  la  matrice. 


Fig.  683,  684.  — 1.  Crochets 
de  Peu.  —  2.  Crochet  de 
Fried. 


Fig.  685,  686.  —  2.  Crochet- 
forceps  de  Dawis. —  3.  Bran- 
che du  crochet  vue  de  face. 


Fig.  687.  —  Levier-forceps  à 
crochets  de  Herbiniaux, 
avec  lacs. 


PERFORATEURS   ET   TIRE-TÈTES 


113 


Fig.  688.   —  Crochets-forceps  de 
Brulatour,  avec  lacs,  1817. 


Fia.  689.'— "Crochet  à  pointe 
cachée  de  Bessard. 


Perforateurs   et  tire-têtes. 


Fig.  690-693.—  Tire-tête  et  perce-crâne  de  Mauriceau. 

HIST.    DES    ACC.  ;      AnSENAL    OBSTÉTRICAL. 


114 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fia.  694-698.  —  Tire-têtes.  —  3,  4.  Grégoire  (à  charnière  et  à  ressort).  —  5.  Levret  (à  bascule).  —  6,7.  Levret 

(à  trois  branches). 


h 


\^-> 


Fig.  699-706.  —  Perforateurs  et  tire-têtes.  —  1.  Petit  (à  trois  branches).  —  2.  Fried.  —  3,  4.  Burton.  —  5,  6.  Grau. 
—  7.  Tire-tête  à  double  croix  do  Baquier.  —  8.  Tire-tête  à  bascule  d'Assalini. 


Fig.  707.  — Perce-crâne  de  Coutouly. 


PERFORATEURS   ET    TIRE-TETES 


115 


A 


FlG.  708,709.  —  Tire-tête  de  J.  May- 
grier,  pour  introduire  dans  le  trou 
occipital,  après  la  détroncation. 


Fia.  710-712. —  Perce-crânes. —  5.  Fried. 
6,  7.  Ould. 


Fia.  713-719.  —  Perce-crânes.  —  1,  2.  Rœdcrer-Ould.  —  3.  Smellie.  —  4.  Levret.  —  5.  Burtou.  —  G._Ornie. 

—  7.  Steidele. 


116 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


Fig.  720-726.  —  Perce-crânes.  —  1.  Walbaum.  —  2.  Siebold.  —  3.  Wigand.  —  4,  5.  Brûnninghausen. 

—  G.  Melzer.  —  7.  Klees. 


Fia.  727-734. — _Perce-crânes.  —  1.  Nœgele.  —  2,  Assalini. —  3,  4.  Jorg.  —  5,  6.  Kilian.  —  7.  Mende.—  8.  Davis. 


JU- 


Fia.  73*^736.—  Tire-tête  perforateur  de  Bellini,  1828  (1). 


(1)  Wasseige,  loc.  cit. 


PERFORATEURS   ET  TIRE-TETES 


117 


FlG.  737. —  Tire-tête  perfo- 
rateur de  Rizzoli. 


r\ 


^ssssssxs 


•i*) 


{J 


r^ 


Fia.  738. —  Tire-tête  de  Hubert  père  (1). 


FlG.  739.  —  Perfora- 
teur Benman. 


FlG.  740. —  Perfora- 
teur Simpson. 


FlG.  741. —  Perfora- 
teur Rigby. 


FlG.  742.  —  Perfora-  FlG.  743.—  Perfora- 

teur Ould.  teur  de  Weiss. 


(1)  Wasseige,  loe.  cit. 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fig.  744. —  Perforateur  de  Fiq.  745. —  Perforateur  de 

Greenhalgh.  Durroch. 


Fig.',746,  747.  —  Perforateur  de  Clément 
Godson,  modèle  Krohne  et  Sesemann. 


Fig.  748.  —  Perce-crâne  de  Blot. 


"JEIIllIlf1 


o 


Fig.  749.  —  Perforateur  de  Nyrop,  de  Copenhague. 


PERFORATEURS   ET   TIRE-TÈTES 


119 


FlG.  750-752.—  Diatrypteur  de  Didot, 
de  Liège. 


FlG.  753»  —  Doigtier  articulé  en  acier,  du 
même  auteur,  pour  l'extraction  des 
maxillaires  supérieurs,  après  leur  désar- 
ticulation à  l'aide  du  diatrypteur  (1). 


Fia.  754.—  Perce-crâne  de  Pinard,  modèle  Mathieu. 


FlG    756-762.-  Perce-crânes.  -  1.  Terebellum  deDugès.  -   2.  Perforateur   de  Weiss.   -  3,  4,   5.   Perforateur  et 
sa  gaine  de  Chailly-Honorô.  —  6,  7.  Perforateur  trépan  de  Kiwisch.  —  8.  Trépan  de  Ritgen. 

(1)  Wasseige,  loc.  cit. 


120 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fig.  763-768.  —  Perforateurs.  —  1,2.  Cederschjold.  —  3,  4.  —  Trépan  de  Fia.  769.  —  TréparTperfora- 

■\YiIde.  —  5,  6.  Trépan  de  Cari  Braun.  teur  de  Martin. 


FlG.  770.  —  Autre  modèle  de         FIG.  771. —  Perforateur 
perforateur  trépan  de  Lies-  trépan  de  Luer. 

nig,  modifié  par  Braun. 


*  Ml 


Fia.  772,  773. —  Perforateur  trépan 
de  Witkowski,  1868. 


PERFORATEURS   ET   TIRE-TETES 


121 


Fia.  774-777. —  Instruments  de  Guyon  pour  la  trépanation  de  la  base  du  crâne  du  foetus  :  tire-fond, 
couronnes  de  trépan,  forceps  céphalotribe  à  crémaillère. 


<E1 


Fig.  778,  779.  —  Perforateur  trépan   de   Soubhy  Saleh,  s'adaptant  à  son  appareil  à  ventouse,  1887  (1). 
(1)  Voir  page  59. 


122 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


<^\ 


Fifl.  780-783.  —  Instruments  de  Matteï  pour  la  perforation  du  crâne,  ]864  :  Endotome  pour  détruire  la  base  du 
crâne,  crochet  mousse,  léniceps  modifié,  perce-crâne. 


FlG.  784. —  Transforateur  ou  terebdellum   à  cuiller   fenêtrée,  de  Hubert  père,  1860. 


Fio.  785-790.  —  Perforateurs  de  L.  Hamon.  —  2.  Tarrière  pour  évider  la  base  du  crâne. —  3. Porte-lacs.  —  4.  Per- 
\    forateur  revêtu  de    sa   gaine   protectrice.    —  5,  6,  7.  Tire-têtes  sphénoïdiens,    munis  d'une   ouverture  destinée  au 
passage  de  lacs. 


GEPHALOTRIBES 


123 


Fia.  791. —  Perforateur  aie-  Fig.   7-92.  —  Cranio-tripso-tome 

soir   de   Tarnier,   à    lames  de  Chassagny,  1878. 

tranchantes  d'un  seul  côté. 


Fig.  793.  —  Autre  modèle. 


Céphalotribes. 


Fig.  794.  —  Céplialotribe  Baudelocque,  1829. 


124 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


Fig.  795. —  Céphalotribe  Baudelocque,  1832. 


Fio.  796-800.-  Céphalotribes.-  1.  Baudelocque,  1836.-  2.  Baudelocque-Kilian.-  3.  Dubois-Depaul.-  i.  Kiwisch. 

5.  Braun. 


Fig.   801.  —  Céphalotribe  de  Braun. 


CEPHALOTRIBES 


125 


E 


u 


FlG.  802,  803.  —  Céphalotribe  de  Kilian 
et  son  système  d'arrêt  disposé  sur  la 
face  postérieure  de  la  branche  droite. 


FlG.  804,  S05.  —  Céphalotribe  de  Busch 
avec.les  contours  des  manches  sinueux. 
—  II.   Courbure  pelvienne. 


Fia.  806,  807.  —Céphalotribe 


Cazeaux.  —  II.    Cuillers  écartées  parallèlement  au  moyen  de  la  vis.  Le   pivot  a 
été  attiré  d'un  bout  do  la  rainure  à  l'autre. 


126 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


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o    '' 


Fia.  808,  809.—  Céphalotribe  de  Ritgen. 
—  II.  Compresseur. 


Fia.  810. —  Céphalotribe  de 
Schoeller. 


Fia.  811-815. —  Céphalotribe  de  Langheinrich.  —  I.  Céphalotribe  dégarni  du  compresseur.  — "II.  Compresseur 
avec  sa  botte  métallique.  —  III.  Compresseur  adapté  au  céphalotribe.  —  lV.^Compresseur  vu  par'devaut. 
—  V.  Compresseur  vu  par  derrière. 


CEPHALOTRIBES 


127 


Fia.  816-818. —  Céphalotribe  de  Valette. —  II.  Branche  droite  vue  par  sa  face  interne.  —  III.  Compresseur. 
Le  perforateur  qui  peut  s'adapter  à  cet  instrument  se  retrouvera  plus_loin . 


Fia.  819,  820.  —    Céphalotribe  de 
Martin. —  II.  Branche  droite. 


FlG.  821,  822.  —  Céphalotribo  do  Dubois  modifié    par 
Locarelli. 


128 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


# 


FlG.  823,  824. —  Forceps-tenaille  de  Cliet. 
—  II.  Branche  gauche. 


FlG.  825. —  Forceps  cépha- 
lotribe  d'Assalini. 


FlG.  826.  —  Autre  modela 
du  forceps  d'Assalini. 


FlG.  827-830. —  Céphalotribe  de  Breit.  —  I.  Instrument  fermé  vu  par  devant.  —   II.  Instrument  fermé  vu  par  der- 
rière. —  III,  IV.  Branches  mâle  et  femelle. 


CEPHALOTRIBES 


129 


FlG.  S3I,  832.  — Céphalotribe  do  Kiwisch. 
—  II.  Système  de  compression. 


Fig.  833-835.  —  Céphalotribe  de  Trefurt.  —  II.  Système  de 
compression.  —  III.  Instrument  disposé  pour  l'extraction. 


Fig.  83G.  —  Céphalotribe  de  Iliiter. 


Fig.  837.  —  Céphalotribe  de  Scanzoni. 


H1ST.  DES  ACC.:  ARSENAL  OBSTLTRICAt.. 


130 


ARSENAL     OBSTÉTRICAL 


Fig.  838.  —  Céphalotribe  fermé  de  Chailly. 


Ftg.  830.  —  Extrémité  du  cépha- 
lotribe de  Chailly. 


Fig.  840.  —   Extrémité  du  FIG.  841.  —    Extrémité  du  céphalotribo 

céphalotribe  de  Depaul.  de  Blot. 


Fig.  842.—  Céphalotribe  brisé  de  Charrière. 


CÉPHALOTRIBES 


131 


FIG.  843,  844.  —  Céphalotribe  de  Fig.  845.—  Céphalotribe  de  Lue: . 

Lazarewitch. 


Fie  846.  —  Céphalotribe  de 
Lusk. 


Fia.  847.  —  Céphalotribe  de  Etlinger  et  Hugenberger. 


132 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fia.  848.—  Céphalotribe  de        FiG.  849.  —  Céphalotribe  de      Fia.  850.—  Céphalotribe         FiG.  851.  —  Céphalo- 
\'au  Aubel  (1).  Ilennig,  1865.  de  C.  Nyrop,  1866.  tribe  de  Breisky. 


Fig.  852,  853.—  Céphalotribe  droit  et  courbe 
de  Kidd. 


FIG.  854.  855.  —  Lamineur  de  A.  Wasseig 


(1;  Wasseige,  loc.  cit. 


CÉPHALOTRIBES 


133 


FIG.  856.—  Céphalotribe  de  Migon  à  vis  de  levier  central. 


Fig.  857.—  Céphalotribe  de 
Braiton  Hicks. 


Fig.  858.  —  Céphalotribe  avec  tracteur  de  Hamon,  de  Fresuay. 


13i 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fig.  859.  —  Céphalotribe  de  Tarnier,  à  fenêtres  ovales  destinées  à  empêcher  les  cuillers  du  céphalotribe  de 
glisser  sur  la  tête,  pendant  les  tractions. 


t=3 


Fig.  860.—  Céphalotribe  de 
Tarnier,  avec  courbure 
périnéale. 


Fia.  861    —  Céphalotribe  fenêtre 
de  Bailly. 


FiG.  862.  —  Céphalotribe  à  courbure 
périnéale  do  Bailly. 


CÉPHALOTRIBES 


135 


FiG.  863,  864.  — Céphalotribe  de  Pajot,  1886. 


Fig.  865.  —  Céphalotribe  perforateur  de  Valette,  modèle  Mathieu. 


136 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


FIG-  86C-868.  —  Forceps  de  Valette  sur  lequel  on  a  adapté  un  perforateur.  —  II.  Perforateur  vu  de  côté    (la  lame 
crénelée  rentrée  dans  sa  gaine  .—  III.  La  lame  dégagée  de  la  gaine. 


Fia.  869. —  Céphalotribe  de  Finizio.  —  I.  Vu  de  profil.— II.  Perce-crâne  changé  en  tire-téte. 


Fia.  870.  —  Céphalo-trépano-thlaste  de  Hiiter  fils. 


CEPHALOTRIBES 


137 


là. 


ganasaaagffi 


Fia.87i. — Labitome  de  Ritgen.  FiG-872. —  Céphalotribe-perforateur        FiG.  873.  Céphalotribe-perforateur 

Une  des  branches  dont  la  face  de  Lollini,  de  Bologne,  1867.  de  Cohen. 

interne  est  armée  d'un  couteau. 


F:g.  874-876.  —  Môme  céphalotribe.  —  II.  Branche  gauche.  —  III.  Branche  droite. 


138 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Fig.  877-881.  —  Basiotribe  de  Tarnicr, 


Fia.  882-885.  —  Basiotribe  Tarnier,  nouveau  modèle. 


PINCES   A   OS   ET  CRANIOCLASTES 


139 


Fia.  886.—  Céphalotribe-scie  de  Tarnier. 


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.  887.  —  Cépha 

otribe- 

scie  de  Péan 

Pinces  à  os  et  cranioclastes. 


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l/ji  "   ""   "   nnn   n    n  n'n  n  n  n 


FiG.  888,  889.  —  1.   Michdakh  pour  briser  la  tête  du  fœtus.  —  2.  Pince  pour  broyer  et  extraire  les  débris  du  foetus; 

d'après  Albucasis. 


140 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fio.  890. —  Rostrum 
anatis  de  Rueff, 
1554. 


FlG.  891. —  Forceps 
longa  et  tersa  de 
Rueff. 


Fig.  892,  893. —  Tenailles  et  pinces  d'A.  Paré,   pour  coupor 
les  os  du  fœtus,  1564. 


Fio.  894.  —  Autre  pinoe 
d'A.  Paré. 


FIG.  895.  —  Pince  à  os   ou  i  tenette  à 
conducteur  »  de  Jules  Mesnard,  1753. 


Fig.  896,  897. —  Pince  à 
aordache  de  Lovret. 


Fig.  898-901.  —  Pinces  à  os.  —  3.  Mesnard-Stein. 
—  S.  Boër,  1793.  —  6.  Davis. 


4.  Davis-Churchill. 


Fig.  902. —  Pince  à  os  de 
Davis. 


Fig.  903.  —  Pince  à  os 
de  David  Davis,  mo- 
dèle Mathieu,  1825. 


FlG.  904.—  Pince  à  os 
de  Churchill. 


Fie.  905.  —  Pince  à  os  de 
Godsou,  modèle  Arnold 
et  Sons. 


Fig.  906.—  Pince  à 
mordache  de  Van 
Huevel,  1843. 


142 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


;;  V, 


FlG.  907,  908.  —  Pinces  de  Meigs,  de  Philadelphie,  à  mors  droits 
ou  recourbés, -modifiées  par  Taylor,  1856. 


Fia.  909,  —  Pince  à  os  de  Van  Huevel 
modifiées  par  Pajot. 


Fia.  910.  —  Cranioclaste  de  J.-Y.  Simpson,  1800. 


CRANIOCLASTES 


143 


Fig.  911.  —  Cranioclaste  de  C.  Braun,  1862. 


FiG.  912.  —  Cranioclaste  Fia.  913.  —  Autre  modèle  du 

deRobertBarnes,  1868.  cranioclaste  de  Barnes. 


FiG.  914-916.  —  Cranioclaste  de  Hall  Davis. 


144 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


1 


~C~"T 


Fiq.  917,  918.  —  Cranioclaste  de  Radford. 


Fia.  919.  —  Cranioclaste  Fia.  920.—  Cranioclaste 

de  Holmes.  de  Ramsbotham. 


Fia.  921.—  Cranioclaste  FlG-  922.—  Cranioclaste 

de  Murphy.  de  Prestley. 


Fig.  923.  —  Cranioclaste        Fia.  924.  —  Cranioclaste 
do  Waller.  de  M.  Duncan. 


Fig.  925.  —  Cranioclaste 
de  Lever. 


Fig.  926.  —  Cranioclaste 
de  Lee. 


CRANIOCLASTES 


145 


Fig.  927.  —  Pince  tire-tête  de  Rizzoli,  1869. 


Fig.  028.  —  Cranioclaste  de  Hamon,  de 
Fresnay. 

HIST.    DES    ACC.;      ARSENAL    OB5TÉTIUCAL. 


Fig.  929.  —  Petit  cranioclaste 
do  Auvard. 


10 


M  6 


ARSENAL     OBSTÉTRICAL 


Fia.  930-932.  —  Cranioclaste  de  Auvard. 


Forceps-scie. 


Fig.  933-937.  —  Forceps-scie  de  Van-Huevel. 


FORCEPS-SCIE 


147 


FIG.  938.  —  Forceps-scie 
de  Uilli. 


Fia.  939-941. —  Forceps-scie  avec  conducteurs  flexibles  et  à  simple 
scie,  de  Mathieu. 


Fia.  912-914.  —  Forceps  à  double  scio  à  chaîne  de  Tarnier,  modèle  Mathieu. 


148 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


1 


FlG.  915-948.  —  Forceps  à  deux  scies  de  Tarnier,   les  deux   sections  se  réunissent    pour  détacher  une   fraction  de  la 

tête  du  fœtus,  modèle  Collin. 

Embryotomes. 


D 


Fie.  919-953.—  Différents  instruments  des  anciens  pour  inciser  le  fœtus,  d'après  Albucasis. 


EMBRYOTOMES 


149 


FlG.  954-956.  —  Embryotome  guillotine  de  Bau- 
delocque. 


Fig.  957.—  Crochets  à  décapita-        FlG.  958.—  Bistouri 
tion  de  Hubert  fils  (1).  de  doigt  de  Rœderer. 


Fig.  959.  —  Ciseaux  courbes  boutonnés,  de  Dubois,  modifiés  par  Pinard,  pour  la  détroncation. 


Fig.  960-9G2.  —  Crochets  tranchants,  l'un  mo'  sse,  l'autre   aigu,  et  leur  gaine  à  extrémité  articulée,  de  Jacquemier. 


(1)  Wasseige,  loc.  cit. 


150 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


Fia.   963-965.  -  Crochet  à  scie  Fia.  966,  967.  -  Embryotome 

pour   la    décapUaUon   de  Van  caché  de  Jacquemier. 

der   Ecken  (l). 


FlG.  971,  972.  —  Diviseur  cépha- 
liquô  de  Joulin. 


(t)  Wasseige,  loc.  cit. 


EMBRYOTOMES 


151 


Fia.  973.  —  Porte-lacs  à  ressort 
de  Tarnier  pour  entraîner  une 
scie  à  chaîne. 


Fia.  974-977.  —  Embryotome  avec  scie  à  chaîne,  de  Tarnier. 


Fio.  978.  —  Crochet   décollateur  de  G.  Chiarleoni. 


152 


ARSENAL     OBSTÉTRICAL 


Fig.  979-984.  —  Embryotome  de  Pierre  Thomas. 


Fia.  985.—  Embryotome  do  Pierre  Thomas   appliqué  autour  du  cou  du  fœtu 


EMBRYOTOMES 


153 


Fig.  986-988.  —  Crochet  embryotome  de  Pierre  Thomas  pour  la  décapitation,  1879. 


Fig.  989.  —  Embryotomie  à  l'aide  de  la  ficelle-scie  de  Barnes. 


15  i 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fia.  990.  —  Crochet   articulé  de  Hyernaux,  1875  (1). 


Fig.  991.  —  Crochet  FlG.  992.  _  Porte-lacs  de  Paiot. 

décollateur  de  Ve- 
rardini  (1). 


Fio.  993.  —  Instrument  de 
Pajot  pour  la  décollationau 
moyen  du  fouet. 


Fia.  994.—  Crochet  de  Stanesco,  1866. 


(1)  Wasseige,  loc.  cit. 


EMBRYOTOMES 


155 


Fia.  995-997.  —  Embryotome>veo  conducteur  en 
baleine  de  Mathieu. 


FlG.  998,  999. —  Crochet  mousse  articulé  de 
Wasseige  recevant  un  ressort  d'acier  à 
l'extrémité  duquel  on  fixe  une  ficelle  ou 
la  chaîne  de  l'écraseur. 


156 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


Fia.  1000-1004.  —  Porte-lacs  de  Auvard,  l'instrument  appliqué  puis  enlevé. 


Fia.  1005.  —  Perforateur  de  la  colonne  vertébrale,  de  Lucas-Championnière. 


Fia.  1006.  —  Embryotome  en  patte  de  homard,  de  Lazarewich. 


EMBRYOTOMES 


157 


Fia.  1007.  —  Embryotome   Tarnier,  premier  essai. 


Fia.  1008.  -  Embryotome  Tarnier,  nouveau  modèle. 


Fis.  1009 


.1014.—  Crochet  porte-lacs  de  A.  Ribemont-Dessaignes,  1881. 


!..S 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


^"^^^  -dè!f  de  188J-  -  >*  "15.  Croehot  métallo 

les  organes  maternels  contre  ration  oS  L  - Z  \Z  T  h"  r"^1  ?**  *  *  pr°té"er  en  Pa''- 
protecteur  des  organes   maternels  et  s'articulan îaveM,^' ■    ,         ,  '"^    d°Stiné   à    C0'»Pl«er    l'appareil 

E,A(fig.  1009-1014),  portant  à  l'une  de  ,™  ,7  J e  crochet.— Fis.  1017.  Crochet  muni  d'un  ressort  d'acier 
présentant  a  l'autre  uLna  u  mé^llt "oïl  f ™ ^nTînfï  l**?*  ?B  ^"^  Ia  **«£- 
Instrument  opérant  la  décollation.  Q-  1018-    Introductl™   «u    tube  protecteur.  _  ri  G.  1019. 


INSTRUMENTS    POUR    L  OPERATION    CESARIENNE 


159 


Instruments  pour  l'opération  césarienne  et  la  symphyséotomie. 


Fia.  1020-1040. —  Instruments  servant  à  l'opération  césarienne  au  XVIII»  siècle,  d'après  J.  Mesnard. —  A.  Bistouri.  — 
B.  Scalpel.  —  C.  Sonde  crénelée.  —  D.  Ciseaux  à  bouton.  —  E.  Trois  aiguilles  courbes.  —  F.  Deux  chevilles  pour 
soutenir  la  suture.  —  G.  Trois  plumasseaux  de  charpie  pour  la  plaie.  —  H.  Deux  compresses  longues  devant 
recouvrir  les  deux  côtés  de  la  suture.  —  I.  Pot  contenant  du  baume  d'arcceus.  —  L.  Fiole  contenant  du  baume 
du  Pérou.  —  M.  Compresse  carrée  pour  recouvrir  la  plaie.  —  N.  Bandage  de  corps. —  0.  Scapulaire  pour  soutenir 
le  bandage  de  corps. —  P.  Plaie  recousue.  —  Q.  Chevilles  qui  soutiennent  la  suture.  —  R.  Trois  points  de  suture.  — 
S.  Bistouri  courbe,  boutonné  pour  agrandir  l'orifice  de  la  matrice. 


160 


ARSENAL     OBSTETRICAL 


FlG.  1041.—  Bistouri 
boutonné  pour  la 
symphyséotomie. 


Fig.  1042. —  Bistouri 
conyeie  de  Levret 
pour  l'opération 
césarienne. 


Fia.  1043-1047.—  1,  2.  Couteau  de  Stein. 
—  3,  4,  5.  Aiguilles  de  Graefe  pour 
l'opération  césarienne. 


FlG.  1048.  —  Constricteur  do 
Wasseige  pour  l'opération 
de  Forro  (1). 


Fig.  1049,  1050. —  Appareil  de  M.  de  Saint- 
Germain  pour  fairJ  l'opération  césarienne 
avec  le  caustique  do  Vienne. 


(1)  Wasseige,  loc .  cit.  L'opération  de  Porro  ne  différant  de  l'opération  césarienne  que  par 
l'amputation  utéro-ovarienne,  les  instruments  spéciaux  qui  sont  mis  eu  usage  en  ce  casne  sont 
autres  que  ceux  qui  servent  en  gynécologie  pour  l'hystérotoniie. 


SERRES-FINES  —  AIGUILLE   A   SUTURES 


161 


Fig.  1051.  —  Ceinture  applicable  à  la  suite  de  l'opération  césarienne. 


III.  INSTRUMENTS    UTILISES    APRES    l' ACCOUCHEMENT 


1°  —  POUR    LA   MÈRE 


Serres-fines.  —  Aiguille  à  sutures. 


Fig.  1052,  1053.—  Serres-fines 
à  pointes  de  Creqny,  pour 
la  déchirure  du  périnée. 

BIST.   DES    ACC.;      ARSENAL    OBSTÉTRICAL. 


Fig.  1054. —  Aiguille  à  manche  de  Hemette  et 
de  Péan  pour  sutures  périnéales. 


162 


ARSENAL     OBSTÉTRICAL 


Appareils  contre  les  hémorragies. 


Fia.  1055.  —  Moulin 
à  ergot  de  seigle. 


Fia.  1056.  —  Ergotribe 
de  Douda. 


Fig.  1057.  —  Elytro-ptérygoïde  de  Chassagny,  contre  les 
hémorragies  de  la  délivrance. 


ÉLYTRO-PTERYGOIDK 


163 


FlG.  1038.  —  Elytro-ptérygoïde  de  Cliassagny,  modèlo   1SS7  (1). 


(1)  SS'.  Spéculum  en  buis.  —  VVVV.  Vessie  fixée  sur  le  spéculum  par  des  fils  placés  dans  les  rai- 
nures R'  R".  —  R  est  une  troisième  ligature  qui  divise  la  vessie  en  deux  compartiments  représentés 
par  les  lignes  ponctuées.  Le  compartiment  inférieur  distend  la  partie  moyenne  du  vagin  au-dessus 
du  sphincter  et  s'oppose  à  l'issue  du  compartiment  supérieur  qui  finit  de  dilater  le  vagin  et 
pénètre  dans  l'orifice  utérin  0. 

LL  représentent  des  attaches  fixées  à  l'extrémité  manuelle  du  spéculum  et  reliées  à  des  pattes 
P  attachées  à  la  chemise  de  la  malade.  —  G  représente  un  réservoir  gradué,  en  verre,  placé  à  70  cen- 
timètres ou  1  mètre  au-dessus  de  la  malade  et  conduisant  le  liquide  dans  les  deux  compartiments 
par  les  tubes  T  et  T\ 

Indications  :  Hémostase,  —  dilatation  du  col,  —  placenta prie via,  —  éclampsie,  —  rétention  du 
placenta,  —  diagnostic  de  tumeur  intra-utérine,  —  régression  de  myômes,  —  compression  du 
col  engorgé,  etc. 


16  4 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


EU 


Transfuseurs  (1). 


'^  J2LE-'  -  >__ 


FIG.  1059.—  Transfu- 
seur  Pajot,  1860. 


Fig.  1060. —  Transfusion  du  sang,  après  la  délivrance,  avec  l'appareil  d'Avelling 


■  Fig.  1061.  —  Tiansfusjur  de  Roussel,  de  Genève. 

{])  La  reproduction  de  tous  les  transfuseurs  nous   entraînerait  trop  loin,  nous  ne  signalons  que 
ceux  qui  ont  été  spécialement  destinés  aux  femmes  en  couches. 


SONDES    ET    IRRIGATEURS 


165 


Sondes  et  Irrigateurs. 


Fig.  1062-1064.  —  Sonde  uréthrale  de  Tarnier.  Sonde  plate  à  parois  mobiles  permettant  le  nettoyage. 


Fia.  1065.  —  Sonde 
uréthrale  de  Pajot. 


Fig.  1066-1068.  —  Sonde  intra-utérine  de  Pajot. 


166 


ARSENAL    OBSTETRICAL 


Fig.  1069.  —  Sonde  utérine  FiG.  1070,  1071.—  Sonde  en  1er 

en  S,  en  argent,  de  rinard,  à  cheval  a  double  courant,  de 

pour  irrigations  continues  Budin. 
de  la  cavité  utérine. 


Fig.  1072,  1073.  —  Sonde  à  double  courant 
et  dilatatrice,  en  argent,  de  Doléris. 


Fia.  1074,  1075. —  Sonde  intra-utérine  de  Doiéris,  modiliée  par  Gudendag. 


IRRIGATEURS 


167 


C  A 

Fig.  1076.  —  Appareil  à  irrigation  continue  de  Morosoff. 


Fig.  1077.  —  Canule  en  argent  de  Hayes,  criblée  de  petits  trous  qui  permettent  de  lancer  dans  la  cavité 
utérine  une  solution  aseptique,  sous  forme  de  pulvérisation. 


Fig.  1078.  —  Sonde  intra-utérine  de  Delore,  modifiée  par  Porak. 


Fig.  1079.  —  Bock  injecteur  en  verre  avec 
canule  vaginale  en  verre,  de  P.nard. 


Fig.  108% —  Bassin  avec  tube  évacuateur 
pour  irrigations  continues,  de  Pinard. 


168 


ARSENAL     OBSTÉTRICAL 


Fig.  1081.  —  Bassin  pour  lotions  après  l'accouchement. 


2°  —  POUR   LES    NOUVEAU-NÉ 


NES 


Insufflateurs. 


^ierTo^velTe  latérat  ^  ^      ^T'  1087-  Tube  ,aryng*'en  de  Ribe-        FlQ-  1088-  amateur  do 
s  er  à    ouverture  latérale.    —  A,  B.  mont,  avec  sa  poire  insufflatrice.  Maréchal 

Même    tube   se    démontant   pour    la  warecnai. 

trousse.  —  D.  Tube  de  Depaul  à  ou- 
verture terminale. 


INSUFFLATEURS 


!G9 


FiG.  1089,  1090.—  Aérophore  de  Gairal,  Fia.  1091  —  Insufflateur  de  Pros. 

avec  sa  poire  en  caoutchouc. 


FIG.  1092.  —  Spirophora 
de  Woillez. 


Instruments  pour  la  section  du  cordon  ou  du  filet  (1) 


Fig.  1093.  —  Ciseaux  à  tranchants  concaves    de  Levret,  pour  couper  le  cordon. 


(1)  Autrefois  les  barbiers  se  servaient  de  la  lancette  pour  couper  le  filet  ;  les  sages-femmes,  du 
temps  de  Fabrice  Aquapendente,  «  tiennent  toujours  un  de  leurs  ongles  prest  et  pointu  pour  couper 
à  tous  les  enfants  qui  naissent  le  ligament  qu'ils  ont  sous  la  langue,  croyant  que  si  elles  y  man- 
quoient,  les  enfants  ne  pourroient  jamais  parler.  Comme  si  la  nature  avait  besoin  du  secours  d'une 
chétive  femme  pour  faire  parler  l'homme  à  qui  la  parole  est  essentielle .  » 


170 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


*ÏG.  1094,  1095,  1C96.  -  Fourchettes  employées  autr  fois 
pour  la  section  du  filet. 


Kig.  1097. —  Sonde  cannelée 
de  trousse  utilisée  de  nos 
jours  pour  le  filet. 


Fro.  1098,.  1099.-  Instrument  à  ressort 
de  Peut,  avant  et  après  la  section  du 
HIl'I  par  le  bistouri  à  ressort. 


Ho.  1100,  1101.  -  Bistouri  fixe  et  courbe  de 
Pcan  pour  la  section  du  filet.  Ciseaux  à  gaine 
Cl  à  ressort    de  Petit    pour  le  même  usage 


COUVEUSES 


171 


Couveuses  et  appareils  à  gavage. 


'Double  couvercle  mohlt: 


Fig.  1102. —  Couveuse  de  la  Maternité  construite,  d'après  les  indications  de  Tarnier,  par  M.  Odile  Martin.  Les  parois 
épaisses  sont  remplies  de  sciure  de  bois,  pour  les  rendre  isolantes. 


Fig.  1103. —  Coupe  de  la  couveuse  de  Tarnier. 


172 


ARSENAL   OBSTETRICAL 


Fia.  1104.  —  Couveuse  fermée. 


Fig.  1105.  —  Boule  d'eau  chaude  en  grès  ou  moine,  servant   à  chauffer  la  couveuse. 


Fio.  1106.  —  Coupe  do  l'appareil  de  TVinckel  pour  bain1;  permanents  ou  prolongés,  destinés  aux  entants 
nés  avant  terme  ou  présentant  des  troubles  respiratoires. 


APPAREILS   A  GAVAGE 


173 


Fig.  1107.  — Baignoire  de  Winckel,  munie  de 
ton  couvercle,  vue  par  sa  partie  supérieure. 


FiG.  1108.  —  Appareil  de  Tarnier,  dit 
en  bout  de  sein,  pour  le  gavage  des 
nouveau-nés. 


Fig.  1109t  —  Appareil  de  Tarnier,  modèle  Luer,  pour  le  gavage  des  nouveau-nés. 


174 


ARSENAL  OBSTÉTRICAL 


Appareils  pour  mesurer  ou  peser  le  nouveau-né. 


Fio.  1110.  —  Céphalomètre  de  Stein.  Fig.  1111. —  Appareil  de  Nyrop  pour  mesurer  les  nouveau-nés. 


Fia.  1112.  —  Baramacomètre  de  Stein. 


PESE-BÉBES 


175 


llllll,îlllll1,l'.,lflM' 'J 


-  ....tmijj.  ^.ic.r^v-T' .;-..-... .  .  : S 


C 


Fig.  1113.  —  Peson  Odier  et  Blache. 


Fig.  1114.  —  Peson  Odier  et  Blache,  nouveau  modèle, 


Fig.  1115,  1116.  —  Pèso-bébés  du  docteur  Bouchut. 


176 


ARSENAL   OBSTÉTRICAL 


Fie.  1117. —  Pèse-bébés  du  docteu:  Bouchut,  disposé  avec  une  bretelle. 


PESE-BEBES 


177 


Fig.  1118.—  pèse -bébés  du  docteur  Bouchut,  disposé  avec  une  nacelle-berceau  pliant. 


H1ST.    DES   ACC.;    ARSEKAL    OBSTÉTRICAL. 


178 


ARSENAL    OBSTÉTRICAL 


Fig.  1119.  —  Berceau  pèse-bébés  de  Groussin. 


Fia.  1120.  —  Berceau  pèse-bébés,  modèle  Raynal. 


PÈSE-BÉBES 


179 


Fig.  1121.  —  Balance  pèse-bébés  avec  "Hamac, 


modèle  du  docteur  Pinard. 


Fig.  1122.  —  Pèse-bébés  à  règle  métrique  da  Jeannai. 


Fig.  1123.  —  Pèse-bébés  du  docteur  Coriveaud. 


TABLE   DES  MATIERES 


L'ARSENAL  OBSTETRICAL 


Pages 

I.  -  INSTRUMENTS  UTILISÉS  AVANT  LACCOUCHEME  NT.  .  9 

1°  Hygiène  et  pathologie  de  la  grossesse 9 

Corsets  et    ceintures 9 

2°  Exploration 12 

Stéthoscopes.  —  Métroscopes.  —  Vaginoscopes 12 

Spéculums 13 

Mannequins  et  bassins  artificiels 16 

Pelvimètres.  —  Cliséomètres.  —  Pelvigraphes 18 

3°   Accouchement    prématuré  artificiel   et  avortement 

provoqué 29 

Trocarts  et  pompes  aspiratrices 29 

Excitateurs  utérins 30 

Dilatateurs 31 

Pinces  à  faux  germe 35 

IL— INSTRUMENTS  UTILISÉS  PENDANT  L'ACCOUCHE  MENT  37 

1°   Pour  la  mère.  —  Chaises  obstétricales 37 

—  Appareils   anesthésiques 44 

—  Hystérotomes 45 

2J  Pour  le  foetus  (avant  l'extraction).  Perce-membranes.  .    .  47 

Appareils  pour  administrer  le  baptême  intra-utérin.  .    .    .  47 

Porte-cordons  et  porte-lacs  pour  la  version 48 

(Extraction  du  fœtus  par  les  voies  naturelles,  sans  muti- 
lations)    53 

A.  —  Présentation  du  siège 53 

Crochets  mousses.  —  Pinces  podaliques 53 

B.  —  Présentation  de  la  tête 55 

Filets.  —  Frondes.  —  Sériceps.  —  Ventouses.  .  .  55 

Leviers 60 

Forceps 64 

Appareils  pour  tractions  continues 100 


182  TABLE   DES   MATIÈRES 

Pages 

(Extraction  du  foetus  par  les  voies  naturelles,  avec 

mutilations) 108 

Crochets  aigus  ou  tranchants 108 

Perforateurs  et  tire-têtes 113 

Céphalotribes 123 

Pinces  à  os  et  cranioclastes 139 

Forceps-scie 14(3 

Embryotomes 148 

Instruments  pour  l'opération  césarienne  et  la  sym- 

physéotomie 159 

III.  —  INSTRUMENTS  UTILISÉS  APRES  L'ACCOUCHEMENT.  161 

1°  Pour  la  mère.  —  Serres-fines.  Aiguille  à  sutures.  ...  161 

—  Appareils  contre  les  hémorrhagies.  .  .  162 

—  Transfuseurs 164 

—  Sondes  et  irrigateurs 165 

2°    Pour  les  nouveau-nés.  —  Insufflateurs 168 

Instruments  pour  la  section  du  cordon  ou  du  filet.  .   .   .  169 

Couveuses  et  appareils  à  gavage 171 

Appareils  pour  mesurer  ou  peser  le  nouveau-né 174 


IMPRIMERIE      LEMALE      ET     C,e,     HAVRE 


Date  Due 


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Dfmco  38-297 


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Accession  no.  JF  F 


AuthorWitkowski: 
Histoire  des  accouete 
ments.     1887. 

Call  no. 

RG511 

887W